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CASS/JURITEXT000046510467.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Z 21-85.850 F-B
26 OCTOBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 OCTOBRE 2022
Mme [X] [H], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes, en date du 28 septembre 2021, qui a, notamment, déclaré M. [W] [M] pénalement irresponsable des faits d'assassinats, et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme [X] [H], et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [W] [M] a été mis en examen pour assassinats.
3. Par ordonnance du 3 mai 2021, le juge d'instruction a saisi la chambre de l'instruction d'une ordonnance de transmission de pièces, en application des dispositions de l'article 706-120 du code de procédure pénale.
Examen des moyens
Sur le second moyen
4. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a statué sans mentionner que M. [M], mis en examen, avait été informé de son droit de garder le silence, alors « que la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction, saisie d'une ordonnance de transmission de pièces pour cause de trouble mental, doit être informée de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué que monsieur [M] a comparu (p. 1), a été entendu en ses explications (p. 3) et a eu la parole en dernier (p. 4), mais qu'il n'en résulte pas que le président l'a informé de son droit de se taire ; qu'en omettant d'informer la personne mise en examen, dès l'ouverture des débats, de son droit de garder le silence, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article 600 du code de procédure pénale, nul ne peut, en aucun cas, se prévaloir contre la partie poursuivie de la violation ou omission des règles établies pour assurer la défense de celle-ci.
7. Les dispositions de l'article 6, §§ 1 et 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, dont il se déduit le droit de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ont pour objet la protection de l'accusé, au sens de cet article.
8. Il en résulte que la partie civile est sans qualité pour se prévaloir du défaut de notification à la personne qui comparaît devant la chambre de l'instruction, saisie d'une ordonnance de transmission de pièces pour cause de trouble mental, de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.
9. Ainsi, le moyen est irrecevable.
10. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000046510465.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 21-84.618 F-B
26 OCTOBRE 2022
IRRECEVABILITÉ
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 OCTOBRE 2022
M. [N] [P] a formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'assises de la Saône-et-Loire, en date du 9 juillet 2021, qui, pour vol avec arme, en récidive, l'a condamné à quinze ans de réclusion criminelle, avec période de sûreté fixée aux deux tiers de la peine, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [N] [P], et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par ordonnance du 15 novembre 2018, M. [N] [P] a été mis en accusation devant la cour d'assises de la Côte-d'Or du chef de vol avec arme, en récidive.
3. Par arrêt du 16 mai 2019, cette juridiction l'a condamné à quinze ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté fixée aux deux tiers de la peine, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation. Par arrêt distinct du même jour, la cour a prononcé sur les intérêts civils.
4. L'accusé a relevé appel des arrêts pénal et civil. Le ministère public et les parties civiles ont formé appel incident.
Examen de la recevabilité du pourvoi formé pour M. [P]
5. Le demandeur, ayant épuisé, par l'exercice qu'il en avait fait personnellement le 15 juillet 2021, le droit de se pourvoir contre les arrêts attaqués, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre les mêmes décisions, par l'intermédiaire de son avocat.
6. Seul est recevable le pourvoi formé par l'accusé.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa première branche
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [P] coupable, alors :
« 2°/ que le jury a tiré des conclusions en défaveur du prévenu en raison de son silence sans avoir reçu aucune instruction à cet égard ; que l'article 353 du code de procédure pénale étant dans cette mesure inconstitutionnel, comme cela est soutenu par un mémoire de question prioritaire de constitutionnalité distinct et motivé, la procédure a été irrégulière et l'arrêt ne répond pas en la forme aux conditions essentielles de son existence légale, en violation de l'article 591 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'une condamnation ne saurait être fondée exclusivement ou essentiellement sur le silence du prévenu ou sur son refus de répondre à des questions ou de déposer ; qu'en l'espèce, pour déclarer M. [P] coupable des faits qui lui étaient reprochés, l'arrêt attaqué s'est essentiellement fondé sur son silence et sur l'insuffisance de ses explications, et ce alors même qu'il résulte de la procédure que l'accusé n'a pas été informé sur les éventuel effets juridiques de son silence et qu'aucune instruction sur les conclusions en sa défaveur pouvant être tirées de son silence n'a été donnée au jury ; qu'en statuant ainsi, l'arrêt attaqué a porté atteinte tant au principe de la présomption d'innocence qu'au droit de se taire et a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
9. La Cour de cassation ayant, par arrêt du 21 avril 2022, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, le grief est devenu sans objet.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
10. Selon l'article 328 du code de procédure pénale, après l'avoir informé de son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, le président de la cour d'assises interroge l'accusé et reçoit ses déclarations.
11. S'agissant des conséquences pouvant être tirées de l'exercice par un accusé de son droit au silence, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, arrêt du 8 février 1996, Murray c. Royaume-Uni, n° 18731/91) a énoncé que le droit de garder le silence n'est pas absolu. Elle a précisé, d'une part, qu'il est manifestement incompatible avec le droit de se taire et le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination de fonder une condamnation exclusivement ou essentiellement sur le silence du prévenu ou sur son refus de répondre à des questions ou de déposer. Elle a ajouté, d'autre part, qu'il est tout aussi évident que ces interdictions ne peuvent et ne sauraient empêcher de prendre en compte le silence de l'intéressé, dans des situations qui appellent assurément une explication de sa part, pour apprécier la force de persuasion des éléments à charge.
12. La garantie de l'effectivité du droit de garder le silence impose donc de proscrire qu'une déclaration de culpabilité soit fondée exclusivement ou essentiellement sur le silence de l'accusé ou sur son refus de répondre à des questions.
13. Pour déclarer l'accusé coupable de vol avec arme, l'arrêt attaqué énonce que, en dépit de dénégations répétées et d'explications fluctuantes accueillies pour la première fois, près de trois années après la clôture de l'instruction au cours de laquelle l'intéressé avait fait le choix de demeurer particulièrement taisant, il ne parvient toujours pas à expliquer de manière cohérente et circonstanciée la présence de son ADN sur le serflex ayant servi à entraver l'une des victimes, et abandonné sur les lieux.
14. Il relève que cet élément probant est corroboré notamment par l'exploitation des données téléphoniques qui ont permis d'établir la présence de l'accusé dans l'agglomération dijonnaise le jour des faits, et ce alors même qu'il multipliait sur cette même période des allers-retours entre la Bourgogne et le Sud de la France, outre une interruption de toute utilisation de son téléphone sur une tranche horaire couvrant la commission du vol à main armée.
15. La cour d'assises ajoute que l'accusé a par ailleurs admis avoir fréquenté le magasin dans lequel a été commis le vol, à plusieurs reprises dans le courant de l'année 2015.
16. Elle retient en outre que les témoignages, concordants sur ce point, soulignent une certaine maîtrise et le contrôle des opérations de celui des deux auteurs qui a contraint une salariée à lui remettre les fonds, avant de l'attacher à l'aide du serflex sur lequel on a retrouvé le profil génétique de M. [P].
17. Elle précise que l'auteur non identifié à ce jour a été décrit comme remplissant un rôle d'exécutant dans la neutralisation des deux autres membres du personnel du magasin, cette distribution des rôles n'étant pas sans faire écho à certains des précédents passages à l'acte, judiciairement sanctionnés, de l'accusé.
18. En statuant ainsi, et dès lors qu'elle n'a pas fondé la déclaration de culpabilité exclusivement ou essentiellement sur le silence de l'accusé, la cour d'assises n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
19. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
20. Par ailleurs, aucun moyen n'est produit contre l'arrêt civil, la procédure est régulière et la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la cour et le jury.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé pour M. [P] :
Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;
Sur le pourvoi formé par M. [P] :
LE REJETTE.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000046510501.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 22-84.862 F-B
25 OCTOBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 OCTOBRE 2022
M. [Y] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 22 juillet 2022, qui, dans l'information suivie contre lui notamment des chefs de viols et tentative de meurtre aggravé, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [Y] [E], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [Y] [E] a été mis en examen des chefs précités le 14 juillet 2021 et placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nantes.
3. L'ordonnance portant organisation des services dudit tribunal à compter du 3 janvier 2022 précisait notamment que les affectations des juges pourraient en complément ou modification de cette dernière être arrêtées par des tableaux de service établis par le président du tribunal ou son délégataire.
4. S'agissant du service pénal du juge des libertés et de la détention, il était précisé que, hors périodes de service allégé et de fins de semaine, le service était assuré par Mmes [P] et [V] [G].
5. Le 7 avril 2022, le président du tribunal a rendu une ordonnance, au visa de l'article L. 252-1 du code de l'organisation judiciaire, disposant que, en raison de l'arrêt de travail de Mme [P], étaient désignés, en qualité de juge des libertés et de la détention, les magistrats visés aux tableaux de service hebdomadaires.
6. Par ordonnance du 5 juillet 2022, Mme Adeline Rousseau, magistrate désignée comme juge des libertés et de la détention par le tableau de service pour la semaine du 4 au 8 juillet 2022, a prolongé la détention de M. [E] pour une durée de six mois.
7. M. [E] a interjeté appel de cette ordonnance.
Examen des moyens
Sur le second moyen
8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité du débat contradictoire, alors :
« 1°/ que tout jugement doit établir la régularité de la composition de la juridiction qui l'a rendu ; que l'exposant faisait valoir (v. ses concl. p. 4) que l'ordonnance de prolongation de sa détention provisoire indiquait le nom de la magistrate qui l'avait rendue, Mme Rousseau, et sa qualité de juge des libertés et de la détention, mais ne mentionnait pas les éléments d'information permettant de s'assurer de la régularité de sa désignation et en particulier l'ordonnance par laquelle elle avait été désignée ; qu'en se bornant à retenir que, selon une ordonnance du 7 avril 2022 du président du tribunal judiciaire de Nantes constatant l'arrêt maladie de Mme [P], juge des libertés et de la détention, et renvoyant aux tableaux de service hebdomadaire, à la date du 5 juillet 2022, ce tableau de service désignait Mme Rousseau pour exercer les fonctions de juge des libertés et de la détention sans constater que l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire de l'exposant mentionnait la décision ayant désigné le juge des libertés et de la détention qui l'avait rendue, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L 137-1 et L 137-1-1 et 593 du code de procédure pénale ;
2° / que le juge des libertés et de la détention peut être suppléé en cas de vacance d'emploi, d'absence ou d'empêchement, par un magistrat du siège du premier grade ou hors hiérarchie désigné par le président du tribunal judiciaire ; qu'en cas d'empêchement de ces magistrats, le président du tribunal judiciaire peut désigner un magistrat du second grade ; que pour considérer que le magistrat ayant présidé le débat contradictoire en vue de la prolongation de la détention provisoire de M. [E] avait été régulièrement désigné, la chambre de l'instruction s'est bornée à retenir que, par ordonnance du 7 avril 2022, le président du tribunal judiciaire de Nantes a constaté l'arrêt maladie de Mme [P] et dit qu'il serait suppléé à cette absence par les magistrats visés aux tableaux de services hebdomadaires et qu'à la date du 5 juillet 2022, ce tableau de service désignait Mme Rousseau pour exercer les fonctions de juge des libertés et de la détention ; qu'en se déterminant ainsi, quand elle constatait que l'ordonnance du 7 avril 2022 ne désignait nominativement aucun magistrat suppléant le juge des libertés et de la détention et se bornait à renvoyer à des tableaux de service hebdomadaires qui, par définition, n'étaient pas établis à la date de l'ordonnance ni a fortiori annexés à l'ordonnance, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 137-1 et 137-1-1 du code de procédure pénale.
3°/ que le juge des libertés et de la détention peut être suppléé en cas de vacance d'emploi, d'absence ou d'empêchement, par un magistrat du siège du premier grade ou hors hiérarchie désigné par le président du tribunal judiciaire ; qu'en cas d'empêchement de ces magistrats, le président du tribunal judiciaire peut désigner un magistrat du second grade ; qu'en se bornant à retenir que, par ordonnance du 7 avril 2022, le président du tribunal judiciaire de Nantes a constaté l'arrêt maladie de Mme [P] et dit qu'il serait suppléé à cette absence par les magistrats visés aux tableaux de services hebdomadaires et qu'à la date du 5 juillet 2022, ce tableau de service désignait Mme Rousseau pour exercer les fonctions de juge des libertés et de la détention sans constater que le président du tribunal judiciaire avait une contrôle sur l'établissement et les éventuelles modifications desdits tableaux de service hebdomadaires en vue d'assurer de la régularité de la suppléance du juge des libertés et de la détention au regard des dispositions de l'article 137-1-1 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 137-1 et 137-1-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Pour écarter le moyen de nullité selon lequel la désignation du juge des libertés et de la détention était irrégulière, l'arrêt attaqué énonce que l'ordonnance de roulement du 3 janvier 2022 dispose que le service du juge des libertés et de la détention est composé de deux magistrates nommément désignées, et que, par ordonnance du 7 avril 2022, le président a constaté l'arrêt maladie de l'une d'entre elles et indiqué qu'il serait suppléé à cette absence par les magistrats visés aux tableaux de service hebdomadaires.
11. Les juges ajoutent qu'au 5 juillet 2022, date de l'ordonnance critiquée, le tableau de service désignait en qualité de juge des libertés et de la détention le magistrat ayant rendu l'ordonnance.
12. Ils en déduisent que ce magistrat avait été régulièrement désigné.
13. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.
14. En premier lieu, aucun texte n'impose que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention mentionne la décision l'ayant désigné en cette qualité.
15. En deuxième lieu, il importe peu que le juge des libertés et de la détention ait été désigné par le tableau de service hebdomadaire pour la semaine du 4 au 8 juillet 2022, postérieur à l'ordonnance du président du 7 avril 2022, dès lors que ledit tableau a été établi par ce dernier ou son délégataire.
16. Enfin, l'empêchement de l'un des juges des libertés et de la détention titulaires étant établi par l'ordonnance du président du tribunal du 7 avril 2022, il se déduit du tableau de service de la semaine considérée que les autres magistrats du premier grade de plus haut rang que celui ayant statué étaient empêchés car absents ou requis par l'exercice de leurs autres missions dans la juridiction.
17. Ainsi, le moyen doit être écarté.
18. Par ailleurs l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des articles 137-3 et 143-1 du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq octobre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000046510503.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 22-84.986 F-B
26 OCTOBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 OCTOBRE 2022
M. [H] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 27 juillet 2022, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de meurtres en bande organisée et tentative, association de malfaiteurs, en récidive, a ordonné la prolongation exceptionnelle de sa détention provisoire.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Laurent, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [H] [J], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Laurent, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [H] [J] a été mis en accusation des chefs susvisés et renvoyé devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône par ordonnance du juge d'instruction, en date du 28 mars 2019, maintenant les effets du mandat d'arrêt décerné à son encontre le 24 août 2018, en exécution duquel il a été placé en détention provisoire le 31 décembre 2019.
3. L'ordonnance de mise en accusation est devenue définitive le 4 mai 2020.
4. M. [J] a été mis en liberté le 8 juillet 2020.
5. L'intéressé ne s'étant pas présenté à l'interrogatoire préalable à sa comparution devant la cour d'assises, le président de cette cour a décerné mandat d'arrêt à son encontre le 25 novembre 2020.
6. Par arrêt rendu par défaut en date du 30 janvier 2021, maintenant les effets de ce mandat d'arrêt, la cour d'assises a déclaré M. [J] coupable de complicité de meurtres et de tentative de meurtre, en bande organisée et en récidive, et l'a condamné à trente ans de réclusion criminelle.
7. Le mandat d'arrêt a été mis à exécution le 1er septembre 2021.
8. Selon requête déposée le 1er juillet 2022, le procureur général a saisi la chambre de l'instruction aux fins de prolongation exceptionnelle de la détention provisoire de l'accusé.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la prolongation de la détention provisoire de M. [J] pour une durée de six mois à compter du 31 août 2022, alors :
« 1°/ que l'accusé détenu en raison des faits pour lesquels il est renvoyé devant la cour d'assises est immédiatement remis en liberté s'il n'a pas comparu devant celle-ci à l'expiration d'un délai d'un an à compter soit de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive s'il était alors détenu, soit de la date à laquelle il a été ultérieurement placé en détention provisoire ; que si l'accusé, qui était détenu à la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive, a été remis en liberté au cours de la procédure, il ne peut être ultérieurement replacé en détention qu'à la condition que le cumul des périodes pendant lesquelles il a ainsi été détenu n'excède pas un an ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que M. [J] était détenu pour les faits de la cause au jour où sa mise en accusation est devenue définitive ; qu'il a ainsi été détenu jusqu'au 8 juillet 2020, de sorte qu'il a passé 64 jours en détention ; que par un arrêt du 30 janvier 2021, rendu par défaut à l'égard de M. [J], la cour d'assises des Bouches-du-Rhône l'a déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés, l'a condamné à 30 années de réclusion criminelle et a ordonné le maintien des effets du mandat d'arrêt émis à son encontre le 25 novembre 2020 ; que ce mandat d'arrêt a été mis à exécution le 1er septembre 2021 ; qu'il s'ensuit que l'exposant, qui avait déjà été détenu 64 jours dans l'attente de sa comparution devant la cour d'assises, devait comparaître devant cette juridiction avant le 22 juin 2022, faute de quoi l'article 181, alinéa 8, du code de procédure pénale, imposait qu'il soit remis en liberté ; qu'en retenant toutefois, pour ordonner la prolongation de la détention provisoire de M. [J] pour une durée de six mois à compter du 31 août 2022, la date du 1er septembre 2021 comme point de départ du délai d'un an au terme duquel l'accusé doit avoir comparu devant la cour d'assises sous peine de remise en liberté d'office, quand ce délai, qui avait commencé à courir dès le 4 mai 2020, avait été suspendu, et non interrompu, du 8 juillet 2020 au 1er septembre 2021, la chambre de l'instruction a violé les articles 181, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que si le délai d'un an au terme duquel l'accusé doit avoir comparu devant la cour d'assises sous peine de remise en liberté d'office peut être prolongé, à titre exceptionnel, pour une durée de six mois, c'est à la condition qu'il soit justifié de circonstances ayant empêché l'audience au fond de débuter avant ce délai ; qu'en retenant, pour ordonner la prolongation de la détention provisoire de M. [J] pour une durée de six mois à compter du 31 août 2022, que devaient être réalisés « les actes indispensables dans le cadre de toute procédure criminelle, à savoir audition au fond, enquête de personnalité, expertises psychologique et psychiatrique », et que « ces actes, imposant la saisine du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Marseille aux fins d'audition de [H] [J] et de désignation d'experts psychiatre et psychologue et d'un enquêteur de personnalité, ne pouvaient pas être réalisés dans le délai courant jusqu'au 31 août 2022 », sans s'expliquer sur les raisons qui avaient empêché la réalisation de ces actes, peu nombreux, sur une période d'une année entière, la chambre de l'instruction n'a pas suffisamment justifié sa décision au regard des articles 181, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa première branche
10. L'arrêt attaqué prolonge la détention provisoire de M. [J] pour une durée de six mois à compter du 31 août 2022.
11. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des articles 181 et 379-4 du code de procédure pénale.
12. En effet, la durée de la détention provisoire accomplie en application de l'alinéa 8 du premier de ces textes ne s'impute pas sur la durée de celle subie, sur le fondement distinct de l'alinéa 2 du second, à la suite de la mise à exécution du mandat d'arrêt assortissant la condamnation de l'accusé jugé par défaut à une peine ferme privative de liberté.
13. Dès lors, le grief doit être écarté.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
14. Pour ordonner la prolongation de la détention provisoire de M. [J], l'arrêt attaqué énonce qu'il a fui à l'étranger dès le début de la procédure, n'a jamais été entendu et n'a été placé en détention provisoire qu'après l'ordonnance de mise en accusation ; que, cette ordonnance étant devenue définitive le 4 mai 2020, le président de la cour d'assises a apporté une diligence particulière à la poursuite de la procédure en ordonnant, le 29 mai 2020, un supplément d'information ; qu'ayant été mis en liberté, M. [J] a de nouveau pris la fuite et a été jugé par défaut, à la suite de quoi un mandat d'arrêt lui a été notifié le 1er septembre 2021 ; qu'il n'a pu être jugé en mai 2022, des actes imposant la saisine d'un juge d'instruction, ainsi que la désignation de deux experts et d'un enquêteur de personnalité, devant être réalisés en vue de l'audience et ne pouvant l'être avant le 31 août 2022.
15. En l'état de ces énonciations, desquelles il résulte que les autorités compétentes ont apporté au jugement de l'affaire, qui est audiencée du 6 au 13 février 2023, une diligence adaptée aux circonstances, la chambre de l'instruction, qui s'est déterminée par des considérations répondant aux exigences de l'article 181, alinéa 9, du code de procédure pénale, a justifié sa décision.
16. Ainsi, le moyen doit être écarté.
17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000046510241.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° E 22-81.466 F-D
25 OCTOBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 OCTOBRE 2022
M. [X] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 11 février 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de vols et tentatives de vol, en bande organisée, et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 5 mai 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [X] [H], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Mis en examen des chefs susvisés le 25 mars 2021, M. [X] [H] a présenté une requête en nullité de pièces de la procédure qui a été enregistrée au greffe de la chambre de l'instruction le 29 juin 2021.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'irrégularité du contrôle d'identité réalisé dans le cadre de la procédure du commissariat d'Argenteuil, alors « qu'il résulte de l'arrêt attaqué que pour justifier le contrôle de M. [H] les policiers en patrouille ont constaté le 13 juin 2020 à 22 heures 15, alors qu'ils étaient de passage devant un établissement de lavage, la présence d'un groupe de 7 individus qui lavaient cinq motocyclettes de type cross et un quad, tous non immatriculés, ainsi que de deux individus dont M. [H] qui déchargeaient d'un véhicule de marque Mercedes de type camionnette à hayon deux motocross non immatriculées, et constataient également la présence dans la camionnette de deux jerricans desquels émanaient une forte odeur d'essence sans plomb, ce qui n'était pas de nature à caractériser une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'ils avaient commis ou tenté de commettre une infraction, de sorte qu'en retenant néanmoins, pour dire n'y avoir lieu à annuler le contrôle d'identité, que ces éléments étaient de nature à constituer un indice faisant présumer à tout le moins un recel de véhicules et à justifier le contrôle, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 78-2 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
4. Pour rejeter le moyen de nullité du procès-verbal d'interpellation pris de l'irrégularité du contrôle d'identité dont a, au préalable, fait l'objet M. [H] le 13 juin 2020 à 22 heures 15, l'arrêt attaqué énonce que les policiers, de passage devant un établissement de lavage de véhicules, ont avisé un groupe de sept personnes qui lavaient cinq motocyclettes de type cross et un quad, véhicules non immatriculés, deux de ces personnes, dont l'intéressé, déchargeant ensuite d'une camionnette deux autres motocyclettes de type cross non immatriculées.
5. Les juges ajoutent que les policiers ont également constaté la présence, dans la camionnette, de deux jerricans d'où émanait une forte odeur d'essence sans plomb, de sorte que ces éléments étaient de nature à constituer à l'égard de l'intéressé un indice de commission de l'infraction de recel de vol du fait de l'absence d'immatriculation des véhicules et de leur nombre.
6. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction, qui a relevé des raisons plausibles de soupçonner la commission d'une infraction, a justifié sa décision.
7. Le moyen doit dès lors être rejeté.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de la violation de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, alors :
« 1°/ que l'autorisation donnée par le procureur de la République aux officiers de police judiciaire de requérir la remise d'informations concernant l'enquête doit être donnée dans le cadre de la procédure d'enquête préliminaire en cours et non par voie d'autorisation générale et permanente préalable ; qu'il résulte tant de la procédure que de l'arrêt attaqué que les autorisations données par le procureur de la République en vue de requérir la remise d'informations concernant l'enquête étaient en date des 16 mai 2018 et 13 janvier 2020, de sorte qu'en refusant d'annuler les réquisitions fondées sur ces autorisations, antérieures à l'ouverture de l'enquête sur des faits qui se seraient déroulés dans la nuit du 15 au 16 mai 2020, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 77-1-1 du code de procédure pénale ;
2°/ que les dispositions de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale sont édictées dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice et que leur méconnaissance est constitutive d'une nullité à laquelle les dispositions de l'article 802 du même code sont étrangères ; qu'en écartant la nullité à raison de ce que M. [H] n'apparaîtrait pas sur les enregistrements de vidéo-surveillance ou sur les documents relatifs au certificat d'immatriculation du véhicule [Immatriculation 1], la chambre de l'instruction a méconnu les articles 77-1-1 et 802 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en tout état de cause, il résulte de la procédure que la cote D107 concerne une vidéosurveillance sur laquelle M. [H] a été identifié et la cote D248 concerne des demandes de renseignements auprès de la CAF et de la direction des finances publiques concernant M. [H] ; qu'en écartant la nullité de ces actes sans consacrer aucun motif à l'intérêt pour M. [H] de les critiquer et au grief qu'il subissait, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 77-1-1 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 77-1-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 :
9. Selon ce texte, l'officier ou l'agent de police judiciaire peut, sur autorisation du procureur de la République, requérir des informations intéressant l'enquête de toute personne, de tout établissement ou organisme privé ou public ou de toute administration publique. Il en résulte que l'autorisation donnée par le procureur de la République aux officiers ou agents de police judiciaire de requérir de telles informations doit être donnée dans le cadre de la procédure d'enquête en cours et non par voie d'autorisation générale et permanente préalable, cette interprétation étant commandée par la nécessité de garantir une direction effective des enquêtes préliminaires par le procureur de la République.
10. L'irrégularité qui découle de la méconnaissance de cette exigence fait nécessairement grief.
11. Pour rejeter le moyen de nullité des réquisitions délivrées par les officiers de police judiciaire en charge de l'enquête préliminaire entre les 18 mai et 4 juin 2020, pris de l'absence d'autorisation du procureur de la République, l'arrêt attaqué énonce que, si la plupart d'entre elles visent des instructions permanentes du procureur de la République en date des 16 mai 2018 et 13 janvier 2020, il résulte de la procédure que les enquêteurs ont sollicité « l'autorisation à réquisition conformément à l'article 77-1-1 du code de procédure pénale », en particulier aux fins d'identifier des titulaires de lignes téléphoniques, ainsi que mentionné au procès-verbal d'avis à magistrat du 22 mai, de même qu'ils ont été autorisés à procéder à toutes réquisitions permettant l'identification des auteurs des vols, ainsi que mentionné au procès-verbal d'avis à magistrat du 29 mai, d'où il suit que les réquisitions ont été autorisées par le procureur de la République, qui a ainsi exercé la direction de l'enquête.
12. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus énoncés, pour les motifs qui suivent.
13. Ainsi que la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de le constater, le procureur de la République a autorisé, dans le cadre de l'enquête préliminaire en cours, le 29 mai 2020 (D 111), « toutes réquisitions nécessaires permettant l'identification des auteurs des vols », l'autorisation délivrée le 22 mai 2020 (D 51) pour des réquisitions aux fins de géolocalisation de lignes téléphoniques, spécifique, ne pouvant valoir, dès cette date, une telle autorisation générale dans le dossier.
14. Il en résulte qu'avant le 29 mai 2020, les réquisitions qui ne visent aucune autorisation, ou qui visent des autorisations générales et permanentes du procureur de la République non obtenues par l'officier ou l'agent de police judiciaire dans le cadre de l'enquête préliminaire en cours, sont, s'agissant de celles pour lesquelles le requérant avait qualité pour agir en nullité, irrégulières.
15. La cassation est dès lors encourue de ce chef.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de la violation de l'article R. 40-28 du code de procédure pénale, alors :
« 1°/ que l'accès au fichier de traitement des antécédents judiciaires est réservé aux agents des services de la police nationale exerçant des missions de police judiciaire individuellement désignés et spécialement habilités ; que la chambre de l'instruction qui, pour écarter la nullité tirée de l'absence d'habilitation de l'agent ayant consulté ce fichier, s'est contentée d'affirmer que l'accès n'était en pratique techniquement possible qu'à la condition de disposer d'un code d'accès personnalisé délivré aux seules personnes habilitées, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles R. 40-28 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en affirmant encore, sans aucune autre forme de motivation qu'aucun grief ne serait circonstancié, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles R. 40-28 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 230-10, R. 40-28 et 593 du code de procédure pénale :
17. Il résulte des deux premiers de ces textes que peuvent accéder aux informations, y compris nominatives, figurant dans le traitement d'antécédents judiciaire (TAJ) notamment les agents de la police nationale exerçant des missions de police judiciaire individuellement désignés et spécialement habilités par les autorités dont ils relèvent, l'habilitation précisant la nature des données auxquelles elle autorise l'accès. En conséquence, hors le cas où la consultation du traitement est effectuée par un enquêteur, autorisé par le procureur de la République, pour les besoins d'une procédure pénale, à délivrer une réquisition à cette fin en application de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, doit figurer au dossier de la procédure le document ou la mention établissant que l'accès à ce traitement a été le fait d'un agent désigné à cette fin et spécialement habilité. Le défaut d'une telle habilitation porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne dont les données personnelles ont été consultées.
18. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
19. Pour rejeter le moyen de nullité du procès-verbal de consultation du TAJ pris du défaut de mention de l'habilitation de l'agent de la police nationale qui a procédé à cette opération, l'arrêt attaqué énonce qu'en pratique, l'accès à ce traitement n'est techniquement possible qu'à la condition de disposer d'un code d'accès personnalisé délivré aux seules personnes habilitées, de sorte qu'aucune irrégularité n'est caractérisée ni aucun grief circonstancié.
20. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a prononcé par des motifs hypothétiques.
21. En effet, il lui appartenait, au besoin par un supplément d'information, de rechercher si l'agent de la police nationale en cause disposait de l'habilitation lui permettant d'accéder aux informations dont il a fait état dans son rapport.
22. La cassation est dès lors encore encourue de ce chef.
Et sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
23. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de la violation de l'article 64-1 du code de procédure pénale, alors « que les auditions des personnes placées en garde à vue pour crime, réalisées dans les locaux d'un service ou d'une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire font l'objet d'un enregistrement audiovisuel ; qu'en se bornant à constater, pour écarter la nullité tirée de l'absence d'enregistrement de la seconde audition de M. [H], l'existence d'un DVD qui, selon le procèsverbal, supporterait les auditions filmées de ce dernier, sans vérifier par elle-même si l'audition litigieuse y figurait bien, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 64-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 64-1 et 593 du code de procédure pénale :
24. Selon le premier de ces textes, les auditions des personnes placées en garde à vue pour crime réalisées dans les locaux d'un service ou d'une unité de police ou de gendarmerie exerçant une mission de police judiciaire font l'objet d'un enregistrement audiovisuel. La violation de cette disposition porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne placée en garde à vue.
25. Pour rejeter le moyen de nullité du procès-verbal de deuxième audition de garde à vue de M. [H], l'arrêt attaqué énonce que, si celui-ci ne mentionne pas, à la différence des trois autres procès-verbaux d'audition, qu'il a été procédé à l'enregistrement de celle-ci, il ne saurait se déduire de l'absence d'une telle mention la violation des dispositions de l'article 64-1, dès lors qu'il ressort de la procédure que l'officier de police judiciaire a placé sous scellé le DVD supportant les auditions filmées de l'intéressé, qu'une copie de ce scellé est annexée à la procédure et qu'il n'est pas invoqué par le requérant l'absence d'enregistrement effectif.
26. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a prononcé par des motifs hypothétiques.
27. En effet, il lui appartenait de s'assurer, au besoin par un supplément d'information, que la deuxième audition de l'intéressé, placé en garde à vue pour crime dans les locaux d'un service de police exerçant une mission de police judiciaire, avait fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel.
28. La cassation est dès lors encore encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 11 février 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux réquisitions prises sur le fondement de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, au procès-verbal de consultation du TAJ et au procès-verbal de deuxième audition de garde à vue de M. [H], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq octobre deux mille vingt-deux.
Crim., 19 février 2019, pourvoi n° 18-84.671, Bull. crim. 2019, n° 38 (Cassation partielle et désignation de juridiction)
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CASS/JURITEXT000046510236.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° E 21-85.763 FS-B
25 OCTOBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
IRRECEVABILITE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 OCTOBRE 2022
MM. [L] [I], [V] [F], [S] [O], [P] [M], [G] [C] [E] et [Z] [D] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, en date du 9 septembre 2021, qui, dans l'information suivie contre eux des chefs, notamment, d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, importations de stupéfiants en bande organisée et blanchiment, a prononcé sur leurs demandes d'annulation d'actes de la procédure.
Par ordonnance en date du 7 février 2022, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.
Des mémoires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de MM. [P] [M], [S] [O], [G] [C] [E] et [Z] [D], les observations de la SCP Spinosi, avocat de MM. [L] [I] et [V] [F], et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, MM. Maziau, Seys, Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, MM. Violeau, Michon, conseillers référendaires, M. Aubert, avocat général référendaire, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Examen de la recevabilité des pourvois formés par MM. [S] [O], [P] [M] et [Z] [D]
1. Les avocats de MM. [O], [D] et [M] ayant épuisé, par l'exercice qu'ils en ont fait les 13 et 14 septembre 2021, le droit de se pourvoir contre l'arrêt attaqué, MM. [O], [D] et [M] étaient irrecevables à se pourvoir à nouveau contre la même décision par des déclarations faites les 15 et 16 septembre 2021 au greffe du centre pénitentiaire.
2. Seuls sont recevables les pourvois formés les 13 et 14 septembre 2021.
Faits et procédure
3. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
4. Lors d'une enquête préliminaire diligentée par la juridiction inter-régionale spécialisée (JIRS) de [Localité 2] pour des faits d'association de malfaiteurs et d'infraction aux règles de cryptologie, un dispositif de captation des données informatiques sur un serveur alimentant un réseau de téléphones cryptés dit « [1] » a été mis en oeuvre, en application de l'article 706-102-1 du code de procédure pénale. La captation des données informatiques a révélé l'interaction de plusieurs utilisateurs de téléphones cryptés recourant à des pseudonymes et se livrant au trafic de stupéfiants sur le [Adresse 4].
5. Le 30 avril 2020, le procureur de la République de Lille a adressé au procureur de la République de Nancy des éléments relatifs à ces derniers, parmi lesquels MM. [L] [I], [V] [F], [S] [O], [P] [M], [G] [C] [E], [Z] [D].
6. Sur la base de ces éléments, le 30 avril 2020, une information judiciaire a été ouverte à [Localité 3] des chefs d'infractions à la législation sur les armes, importation de stupéfiants en bande organisée, trafic de stupéfiants, associations de malfaiteurs, à laquelle a été jointe, le 13 mai suivant, une information judiciaire déjà en cours des chefs d'importation de produits stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et associations de malfaiteurs.
7. Les personnes précitées ont été interpellées et mises en examen le 19 juin 2020, à l'exception de M. [M] qui l'a été le 5 novembre 2020.
8. M. [I] a présenté une requête en nullité le 17 décembre 2020, M. [D] le 18 décembre suivant, MM. [F], [O] et [C] [E] le 21 décembre suivant, M. [M] les 15 et 23 février 2021.
9. MM. [I] et [F] ont formé le 17 février 2021 une demande d'acte tendant à ce que soit jointe à l'information judiciaire la totalité de la procédure « souche » lilloise. Cette demande a été rejetée par ordonnance du juge d'instruction en date du 18 février 2021, frappée d'appel par les demandeurs.
10. Par arrêt avant dire droit en date du 20 mai 2021, la chambre de l'instruction a ordonné la jonction des différentes requêtes et des appels précités, la production aux débats, avant le 7 juin 2021, de différents procès-verbaux de la procédure « souche » lilloise, ainsi que de tous éléments permettant d'expliciter les raisons pour lesquelles l'opération de captation des données informatiques avait rendu nécessaire le blocage de noms de domaine et la modification des règles de routage réseau.
Examen des moyens
Sur le quatrième moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches, et les cinquième, sixième et septième moyen proposés par la SCP Spinosi pour M. [I]
Sur les premier, troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième moyens proposés par la SCP Spinosi pour M. [F]
Sur les premier, quatrième et cinquième moyens proposés par la SCP Celice, Texidor, Périer pour M. [D]
Sur le premier moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Périer pour M. [C] [E]
Sur les premier, troisième, quatrième moyens proposés par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [M]
Sur les premier et quatrième moyens proposés par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [O]
11. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen proposé par la SCP Spinosi pour M. [I]
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'illégalité des opérations d'interception et de captation effectuées sur le fondement de l'article 706-102-1 du code de procédure pénale, alors « qu'il ne peut y avoir d'ingérence d'une autorité publique dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi, celle-ci devant ainsi faire l'objet d'un encadrement légal spécifique et précis ; qu'est ainsi exclue l'interprétation extensive d'un dispositif légal en place, pour justifier, au besoin, le recours à des procédés qu'il ne prévoit pas ; que les dispositions de l'article 706-102-1 du code de procédure pénale prévoient un dispositif technique de captation des données informatiques ayant pour seule vocation de permettre l'accès, l'enregistrement, la conservation et la transmission de données d'un système informatique, à l'exclusion des données en cours de circulation ; qu'en rejetant le moyen de nullité tiré de l'illégalité des opérations d'interception et de captation effectuées, lorsqu'il ressort des pièces de la procédure qu'il a été ordonné, d'une part, la mise en place d'un dispositif de « blocage des opérations » auprès de différents prestataires, de nature à affecter le nom de domaine, la résolution DNS et l'infrastructure réseau en place, et d'autre part, des opérations de « redirection des flux », lesquelles consistent en une « modification des règles de routage du réseau », de telles opérations s'analysant comme des opérations de modifications du système de traitement automatisé de données, et ce notamment afin de s'y maintenir sans être repéré, de sorte qu'elles ne rentraient manifestement pas dans le champ d'application de l'article 706-102-1, sur le fondement duquel elles ont pourtant été entreprises, la chambre de l'instruction a violé les principes et dispositions susvisées. »
Réponse de la Cour
13. Pour écarter le moyen de nullité tiré de ce que l'article 706-102-1 du code de procédure pénale n'autorise que la captation des données informatiques stockées, à l'exclusion des données en cours de transmission, l'arrêt attaqué énonce que les opérations de blocage et de redirection des flux n'ont constitué que des opérations techniques préalables à la mise en oeuvre de la captation des données informatiques.
14. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
15. En premier lieu, il n'y a pas à faire de distinction là où l'article 706-102-1 susvisé n'en fait pas.
16. En second lieu, l'opération de captation suppose que les administrateurs de la solution de chiffrement en cause ne soient pas mis en mesure de neutraliser l'opération des enquêteurs, notamment en redirigeant les accès vers un autre serveur.
17. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [D]
Sur le troisième moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [C] [E]
Sur le troisième moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [O]
Enoncé des moyens
18. Le moyen proposé pour M. [D] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté sa demande d'annulation de toute pièce faisant état des deux procédures ouvertes à la juridiction interrégionale spécialisée de [Localité 2] ainsi que de chacun des actes, pièces ou mentions dont elles constituent le support nécessaire, à savoir de l'intégralité de la procédure le concernant, alors « que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties, ce qui implique qu'une personne mise en examen ait été mise en mesure de contester les conditions dans lesquelles ont été recueillis les éléments de preuve qui fondent sa mise en examen ; qu'en énonçant que « l'ensemble des pièces de procédure de Lille déjà versées permettent tant aux mis en examen qu'à la chambre de l'instruction d'apprécier la régularité et la loyauté des éléments initialement recueillis sans qu'il y ait eu une quelconque atteinte à leurs droits fondamentaux, tous éléments ayant au surplus, été soumis à leur contradiction tant lors de leurs auditions en garde à vue que lors de leurs interrogatoires par le magistrat instructeur et des débats devant cette chambre » (arrêt p. 110 § 6), quand l'exposant n'avait pas été mis en mesure de discuter la régularité et la loyauté de l'intégralité des pièces de la procédure « souche » lilloise, de nombreux éléments essentiels de cette procédure n'ayant pas été versés au dossier, ce qui ne lui avait pas permis d'exercer ses droits de la défense, notamment de vérifier la légalité et la qualité des transcriptions des communications issues du système [1] qui fondaient en grande partie sa mise en examen, la chambre de l'instruction a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale. »
19. Le moyen proposé pour M. [C] [E] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté sa demande d'annulation de toute pièce faisant état des deux procédures ouvertes à la juridiction interrégionale spécialisée de [Localité 2] ainsi que de chacun des actes, pièces ou mentions dont elles constituent le support nécessaire, à savoir de l'intégralité de la procédure le concernant, alors « que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties, ce qui implique qu'une personne mise en examen ait été mise en mesure de contester les conditions dans lesquelles ont été recueillis les éléments de preuve qui fondent sa mise en examen ; qu'en énonçant que « l'ensemble des pièces de procédure de Lille déjà versées permettent tant aux mis en examen qu'à la chambre de l'instruction d'apprécier la régularité et la loyauté des éléments initialement recueillis sans qu'il y ait eu une quelconque atteinte à leurs droits fondamentaux, tous éléments ayant au surplus, été soumis à leur contradiction tant lors de leurs auditions en garde à vue que lors de leurs interrogatoires par le magistrat instructeur et des débats devant cette chambre » (arrêt p. 110 § 6), quand l'exposant n'avait pas été mis en mesure de discuter la régularité et la loyauté de l'intégralité des pièces de la procédure « souche » lilloise, de nombreux éléments essentiels de cette procédure n'ayant pas été versés au dossier, ce qui ne lui avait pas permis d'exercer ses droits de la défense, notamment de vérifier la légalité et la qualité des transcriptions des communications issues du système [1] qui fondaient en grande partie sa mise en examen, la chambre de l'instruction a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale. »
20. Le moyen proposé pour M. [O] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté sa demande d'annulation de toute pièce faisant état des deux procédures ouvertes à la juridiction interrégionale spécialisée de [Localité 2] ainsi que de chacun des actes, pièces ou mentions dont elles constituent le support nécessaire, à savoir de l'intégralité de la procédure le concernant, alors « que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties, ce qui implique qu'une personne mise en examen ait été mise en mesure de contester les conditions dans lesquelles ont été recueillis les éléments de preuve qui fondent sa mise en examen ; qu'en énonçant que « l'ensemble des pièces de procédure de Lille déjà versées permettent tant aux mis en examen qu'à la chambre de l'instruction d'apprécier la régularité et la loyauté des éléments initialement recueillis sans qu'il y ait eu une quelconque atteinte à leurs droits fondamentaux, tous éléments ayant au surplus, été soumis à leur contradiction tant lors de leurs auditions en garde à vue que lors de leurs interrogatoires par le magistrat instructeur et des débats devant cette chambre » (arrêt p. 110 § 6), quand l'exposant n'avait pas été mis en mesure de discuter la régularité et la loyauté de l'intégralité des pièces de la procédure « souche » lilloise, de nombreux éléments essentiels de cette procédure n'ayant pas été versés au dossier, ce qui ne lui avait pas permis d'exercer ses droits de la défense, notamment de vérifier la légalité et la qualité des transcriptions des communications issues du système [1] qui fondaient en grande partie sa mise en examen, la chambre de l'instruction a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
21. Les moyens sont réunis.
22. La Cour de cassation juge qu'une personne mise en examen n'est pas fondée à critiquer, par une requête en annulation, l'absence au dossier de pièces de l'information judiciaire initiale, dès lors qu'elle dispose du droit de présenter une demande à cette fin au juge d'instruction et d'interjeter appel de l'ordonnance de refus qui pourrait lui être opposée (Crim., 1er avril 2020, pourvoi n° 19-80.908).
23. En conséquence, les requérants, qui n'ont pas saisi le juge d'instruction d'une demande d'acte à cette fin, ne sauraient se faire un grief des motifs par lesquels la chambre de l'instruction a rejeté leur requête en annulation tirée de l'absence à l'information judiciaire de pièces provenant de la procédure diligentée par la JIRS de [Localité 2].
24. En conséquence, les moyens ne peuvent être accueillis.
Sur le deuxième moyen proposé par la SCP Spinosi pour MM. [I] et [F]
Enoncé du moyen
25. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'absence de versement à la procédure de pièces issues de la procédure souche, alors « que, l'ensemble des actes à la disposition des autorités de poursuites, et de nature à influer sur l'issue du litige, doivent pouvoir faire l'objet d'un contrôle efficace de la part de la juridiction saisie, lequel ne saurait aller sans le versement de ces éléments en procédure ; qu'il en est tout particulièrement ainsi des pièces expressément identifiées comme déterminantes de la régularité de la procédure ; que la chambre de l'instruction ne pouvait, sans violer ce principe ainsi que les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, rejeter le moyen de nullité tiré de l'absence de versement de l'intégralité des éléments de l'enquête dans le cadre de laquelle les mesures de captation de données informatiques essentielles ont été opérées, et plus particulièrement de certaines pièces dont le caractère déterminant était spécifiquement démontré. »
Réponse de la Cour
26. Les demandeurs ne sauraient se faire un grief des motifs par lesquels la chambre de l'instruction a rejeté leur requête en annulation tirée de l'absence à l'information judiciaire de pièces provenant de la procédure diligentée par la JIRS de [Localité 2], dès lors qu'ils ne proposent aucun moyen critiquant l'arrêt en ce qu'il a confirmé les ordonnances du 18 février 2021 rejetant leurs demandes tendant au versement desdites pièces.
27. Il s'ensuit que le moyen n'est pas fondé.
Sur le quatrième moyen, pris en sa deuxième branche proposé par la SCP Spinosi pour M. [I],
Enoncé du moyen
28. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité tirés de l'irrégularité des mesures de captation de données informatique et de leur exploitation dans la présente procédure, alors :
« 2°/ que l'exploitation des mesures de captation de données informatiques est conditionnée par le placement sous scellés fermés des enregistrements effectués ; qu'en rejetant le moyen de nullité tiré de cette irrégularité, lorsqu'en dépit d'une injonction expresse de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy par arrêt avant dire droit du 21 mai 2021, de produire aux débats les procès-verbaux relatant le placement sous scellés des enregistrements, il ne figure toujours en procédure aucun élément de nature à établir la réalisation effective d'un tel placement sous scellés, de sorte qu'il est impossible de s'assurer de l'intégrité des données exploitées, la chambre de l'instruction a violé les articles 706-95-18, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
29. Pour écarter le moyen de nullité pris de l'absence à la procédure du procès-verbal de placement sous scellés fermés des enregistrements, l'arrêt, après avoir ordonné, avant dire droit, la production de cette pièce à la procédure, énonce que les formalités de placement sous scellés prévues à l'article 706-95-18 du code de procédure pénale n'étant pas exclues du champ d'application de l'article 802 du même code, leur inobservation ne saurait donner lieu à annulation en l'absence d'atteinte portée aux intérêts de la personne mise en examen invoquée et démontrée par celle-ci.
30. En l'état de ses seules énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
31. En effet, les allégations du demandeur selon lesquelles il aurait pu être porté atteinte à l'intégrité des données sont, en l'absence de toute contestation, hypothétiques.
32. Il s'ensuit que le grief doit être écarté.
Mais sur le troisième moyen proposé par la SCP Spinosi pour M. [I]
Enoncé du moyen
33. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité tiré de l'irrégularité du recours aux moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale, alors « qu'en cas de recours aux moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale, et sous réserve du respect des obligations qui en découlent, les résultats obtenus sont accompagnés des indications techniques utiles à la compréhension et à leur exploitation ainsi que d'une attestation visée par le responsable de l'organisme technique certifiant la sincérité des résultats transmis ; qu'en se bornant, pour rejeter le moyen de nullité tiré de la violation de ces dispositions, à affirmer que cette exigence de fourniture d'indications techniques n'est prévue que « sous réserve des obligations découlant du secret de la défense nationale » (arrêt, p. 115), lorsqu'il ressort des pièces de la procédure qu'outre l'absence d'indications techniques, laquelle peut se justifier par les considérations invoquées, aucune attestation de sincérité des résultats n'a été délivrée, une telle attestation ne faisant pourtant, par nature, courir aucun risque d'une telle révélation, de sorte qu'aucune des exigences, pourtant cumulatives, de l'article 230-3 du code de procédure pénale n'a été respectée, la chambre de l'instruction a violé les articles 230-3, 706-102-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 230-3 du code de procédure pénale et 593 du code de procédure pénale :
34. Aux termes du premier de ces articles, sous réserve des obligations découlant du secret de la défense nationale, les résultats sont accompagnés des indications techniques utiles à la compréhension et à leur exploitation ainsi que d'une attestation visée par le responsable de l'organisme technique certifiant la sincérité des résultats transmis. Les éléments ainsi obtenus font l'objet d'un procès-verbal de réception et sont versés au dossier de la procédure.
35. En vertu du second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
36. Pour écarter le moyen de nullité des opérations de captation de données informatiques, pris de l'absence à la procédure des éléments ci-dessus visés, l'arrêt attaqué énonce que la mise en place du dispositif a été réalisée, par voie de réquisition au directeur général de la sécurité intérieure, en recourant à des moyens de l'Etat soumis au secret de la défense nationale, de sorte qu'il est à ce titre cohérent que le service enquêteur oppose un tel secret.
37. Les juges ajoutent que les différents procès-verbaux d'investigations et de demandes complémentaires du service enquêteur décrivent de façon suffisamment précise le cheminement des investigations ayant nécessité le recours au service technique national de captation judiciaire, ainsi que les résultats d'exploitation de l'outil de captation injecté, dont il a été régulièrement rendu compte au juge des libertés et de la détention.
38. En prononçant ainsi uniquement sur l'absence à la procédure des indications techniques, sans répondre aux conclusions du requérant qui invoquait l'absence de l'attestation visée par le responsable de l'organisme technique certifiant la sincérité des résultats transmis, la chambre de l'instruction, à qui il appartenait, le cas échéant, de solliciter en application de l'article 201 du code de procédure pénale, le versement de cette pièce à la procédure, n'a pas justifié sa décision.
39. Il s'ensuit que la cassation est encourue de ce chef.
Et sur le deuxième moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [D]
Sur le deuxième moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [C] [E]
Sur le deuxième moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [M]
Sur le deuxième moyen proposé par la SCP Celice, Texidor, Perier pour M. [O]
Enoncé des moyens
40. Le moyen proposé pour M. [D] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré irrecevable à soulever les moyens tenant à la nullité des opérations de captation de données informatiques, alors :
« 1°/ que le demandeur à la nullité est recevable à proposer à la chambre de l'instruction des moyens de nullité pris de l'irrégularité d'actes accomplis dans une procédure distincte à laquelle il n'est pas partie, lorsqu'il fait valoir que les pièces de cette procédure qui ont été versées au dossier le concernant sont susceptibles d'avoir été illégalement recueillies, notamment par le recours par l'autorité publique à un procédé déloyal ; qu'en l'espèce, l'exposant avait intérêt et qualité pour agir en nullité des opérations de captation de données informatiques autorisées dans le cadre des procédures ouvertes à la juridiction interrégionale spécialisée de [Localité 2] dès lors qu'il soutenait que les transcriptions des données numériques, versées au dossier et fondant en grande partie sa mise en examen, avaient été illégalement recueillies en ce qu'elles procédaient du recours, par l'autorité publique, à un procédé déloyal ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, les articles préliminaire, 427, 171 et 802 du code de procédure pénale ;
2°/ que toute personne a le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; qu'en déclarant l'exposant irrecevable à soulever la nullité des opérations de captation de données informatiques aux motifs que celui-ci, susceptible d'être l'utilisateur du téléphone crypté avec le pseudonyme « [X] », avait fait valoir son droit au silence lors de sa garde à vue et de son interrogatoire de première comparution et avait refusé de s'expliquer lors de son interrogatoire de fond, de sorte qu'il ne pouvait justifier d'un droit lui étant propre que la violation des dispositions relatives à la captation des données informatiques aurait atteint, la chambre de l'instruction a violé le droit de l'exposant de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ensemble les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 de la directive 2016/343/UE du 9 mars 2016, 63-1 et 116 du code de procédure pénale. »
41. Le moyen proposé pour M. [C] [E] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré irrecevable à soulever les moyens tenant à la nullité des opérations de captation de données informatiques, alors :
« 1°/ que le demandeur à la nullité est recevable à proposer à la chambre de l'instruction des moyens de nullité pris de l'irrégularité d'actes accomplis dans une procédure distincte à laquelle il n'est pas partie, lorsqu'il fait valoir que les pièces de cette procédure qui ont été versées au dossier le concernant sont susceptibles d'avoir été illégalement recueillies, notamment par le recours par l'autorité publique à un procédé déloyal ; qu'en l'espèce, l'exposant avait intérêt et qualité pour agir en nullité des opérations de captation de données informatiques autorisées dans le cadre des procédures ouvertes à la juridiction interrégionale spécialisée de [Localité 2] dès lors qu'il soutenait que les transcriptions des données numériques, versées au dossier et fondant en grande partie sa mise en examen, avaient été illégalement recueillies en ce qu'elles procédaient du recours, par l'autorité publique, à un procédé déloyal ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, les articles préliminaire, 427, 171 et 802 du code de procédure pénale ;
2°/ que toute personne a le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; qu'en déclarant l'exposant irrecevable à soulever la nullité des opérations de captation de données informatiques aux motifs que celui-ci, susceptible d'être l'utilisateur du téléphone crypté avec le pseudonyme « [T] », avait déclaré n'avoir jamais utilisé de téléphone crypté, de sorte qu'il ne pouvait justifier d'un droit lui étant propre que la violation des dispositions relatives à la captation des données informatiques aurait atteint, la chambre de l'instruction a violé le droit de l'exposant de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ensemble les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 de la directive 2016/343/UE du 9 mars 2016, 63-1 et 116 du code de procédure pénale. »
42. Le moyen proposé pour M. [M] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré irrecevable à soulever les moyens tenant à la nullité des opérations de captation de données informatiques, alors :
« 1°/ que le demandeur à la nullité est recevable à proposer à la chambre de l'instruction des moyens de nullité pris de l'irrégularité d'actes accomplis dans une procédure distincte à laquelle il n'est pas partie, lorsqu'il fait valoir que les pièces de cette procédure qui ont été versées au dossier le concernant sont susceptibles d'avoir été illégalement recueillies, notamment par le recours par l'autorité publique à un procédé déloyal ; qu'en l'espèce, l'exposant avait intérêt et qualité pour agir en nullité des opérations de captation de données informatiques autorisées dans le cadre des procédures ouvertes à la juridiction interrégionale spécialisée de [Localité 2] dès lors qu'il soutenait que les transcriptions des données numériques, versées au dossier et fondant en grande partie sa mise en examen, avaient été illégalement recueillies en ce qu'elles procédaient du recours, par l'autorité publique, à un procédé déloyal ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, les articles préliminaire, 427, 171 et 802 du code de procédure pénale ;
2°/ que toute personne a le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; qu'en déclarant l'exposant irrecevable à soulever la nullité des opérations de captation de données informatiques aux motifs que celui-ci, susceptible d'être l'utilisateur du téléphone crypté avec le pseudonyme « [N] », avait nié tant en garde à vue que devant le juge d'instruction avoir utilisé un téléphone crypté, de sorte qu'il ne pouvait justifier d'un droit lui étant propre que la violation des dispositions relatives à la captation des données informatiques aurait atteint, la chambre de l'instruction a violé le droit de l'exposant de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ensemble les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 de la directive 2016/343/UE du 9 mars 2016, 63-1 et 116 du code de procédure pénale. »
43. Le moyen proposé pour M. [O] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré irrecevable à soulever les moyens tenant à la nullité des opérations de captation de données informatiques, alors :
« 1°/ que le demandeur à la nullité est recevable à proposer à la chambre de l'instruction des moyens de nullité pris de l'irrégularité d'actes accomplis dans une procédure distincte à laquelle il n'est pas partie, lorsqu'il fait valoir que les pièces de cette procédure qui ont été versées au dossier le concernant sont susceptibles d'avoir été illégalement recueillies, notamment par le recours par l'autorité publique à un procédé déloyal ; qu'en l'espèce, l'exposant avait intérêt et qualité pour agir en nullité des opérations de captation de données informatiques autorisées dans le cadre des procédures ouvertes à la juridiction interrégionale spécialisée de [Localité 2] dès lors qu'il soutenait que les transcriptions des données numériques, versées au dossier et fondant en grande partie sa mise en examen, avaient été illégalement recueillies en ce qu'elles procédaient du recours, par l'autorité publique, à un procédé déloyal ; qu'en jugeant le contraire, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, les articles préliminaire, 427, 171 et 802 du code de procédure pénale ;
2°/ que toute personne a le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; qu'en déclarant l'exposant irrecevable à soulever la nullité des opérations de captation de données informatiques aux motifs que celui-ci, susceptible d'être l'utilisateur du téléphone crypté avec le pseudonyme « [U] », avait fait valoir son droit au silence lors de sa garde à vue et de son interrogatoire de première comparution et avait déclaré qu'il s'expliquerait après la décision sur la requête en nullité, de sorte qu'il ne pouvait justifier d'un droit lui étant propre que la violation des dispositions relatives à la captation des données informatiques aurait atteint, la chambre de l'instruction a violé le droit de l'exposant de garder le silence et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ensemble les articles 9 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 de la directive 2016/343/UE du 9 mars 2016, 63-1 et 116 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
44. Les moyens sont réunis.
Sur les moyens, pris en leur première branche
45. C'est à tort que la chambre de l'instruction a déclaré irrecevable pour défaut de qualité des demandeurs leur moyen pris de ce que les données numériques versées au dossier avaient été recueillies par les enquêteurs par un procédé déloyal.
46. En effet, une personne mise en examen est recevable, sans que puisse lui être opposé un défaut de qualité pris de l'absence d'un droit ou d'un intérêt qui lui est propre, à présenter un moyen de nullité dès lors qu'elle invoque le recours, par l'autorité publique, à un procédé déloyal.
47. L'arrêt n'encourt néanmoins pas la censure dès lors qu'il résulte des paragraphes 14 à 16 du présent arrêt qu'aucune déloyauté n'a été commise par les enquêteurs dans la captation des données numériques.
48. Les griefs ne peuvent dès lors être accueillis.
Mais sur les moyens, pris en leur seconde branche
Vu les articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et 802 du code de procédure pénale :
49. Il résulte du premier de ces articles que toute personne a le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination.
50. La Cour européenne des droits de l'homme juge que ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l'accusé.
51. Le droit de ne pas s'auto-incriminer constitue une protection non pas contre la tenue de propos incriminants en tant que telle mais contre l'obtention de preuves par la coercition ou l'oppression. Il concerne en premier lieu le respect de la détermination d'un accusé de garder le silence (CEDH, arrêt du 17 décembre 1996, [H] c. Royaume-Uni, n° 19187/91 ; arrêt du 10 mars 2009, [B] c. Russie, n° 4378/02).
52. Pour rechercher si une procédure a vidé de sa substance même le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, il convient d'examiner la nature et le degré de coercition, l'existence de garanties appropriées dans la procédure et l'utilisation qui est faite des éléments ainsi obtenus.
53. En vertu du second de ces textes, en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, qui est saisie d'une demande d'annulation ou qui relève d'office une telle irrégularité, ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne.
54. La Cour de cassation en déduit que pour déterminer si le requérant a qualité pour agir en nullité, la chambre de l'instruction doit rechercher si la formalité substantielle ou prescrite à peine de nullité, dont la méconnaissance est alléguée, a pour objet de préserver un droit ou un intérêt qui lui est propre (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 21-80.642, publié au Bulletin).
55. Le moyen pose la question de savoir si, pour dénier au requérant qualité à agir en nullité, le juge peut lui opposer son choix de garder le silence ou ses dénégations, alors même qu'il résulte des investigations qu'il est concerné par la formalité dont il allégue qu'elle a été méconnue.
56. En premier lieu, il convient d'observer que la lettre de l'article 802 du code de procédure pénale ne s'oppose pas à ce que la preuve que la partie est concernée par la nullité résulte d'éléments de la procédure.
57. En deuxième lieu, dans l'hypothèse précitée, exiger du requérant qu'il justifie que l'acte critiqué a porté atteinte à un droit ou à un intérêt qui lui est propre a pour conséquence de le contraindre, sous peine d'être privé de son droit d'agir en nullité, à renoncer à exercer son droit au silence ou à revenir sur ses déclarations antérieures.
58. Cela peut aussi l'obliger, notamment lorsqu'est en cause un acte attentatoire à la vie privée, à admettre l'existence d'éléments à charge, voire à reconnaître les faits qui lui sont reprochés.
59. Or, les écrits du requérant devant la chambre de l'instruction, à l'appui de sa requête en nullité, sont susceptibles d'être pris en compte par la juridiction chargée de statuer sur son renvoi devant une juridiction de jugement ou de prononcer sur sa culpabilité.
60. Il s'ensuit, qu'en pareil cas, subordonner la recevabilité de l'action en nullité du requérant à la preuve par celui-ci qu'il est concerné par l'irrégularité est de nature à méconnaître son droit à ne pas s'auto-incriminer.
61. Enfin, le contentieux de l'annulation se rattachant au contentieux du bien-fondé de l'accusation, dès lors qu'il permet de contester la légalité du recueil d'un élément de preuve, il ne saurait être dénié au requérant qui est concerné par l'irrégularité le droit de contester la légalité d'un élément ainsi susceptible d'être retenu contre lui par l'accusation.
62. En conséquence, si le requérant n'allègue pas que la formalité méconnue a pour objet de préserver un droit ou un intérêt qui lui est propre, il appartient à la chambre de l'instruction de rechercher s'il résulte d'éléments de la procédure que tel pourrait être le cas.
63. En l'espèce, pour déclarer les requérants dépourvus de qualité pour solliciter l'annulation des opérations de captation des données numériques, l'arrêt énonce en substance qu'une telle mesure porte atteinte au droit du secret des correspondances protégé par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que par les dispositions des articles 226-15 et suivants du code pénal.
64. Les juges en déduisent qu'il convient d'apprécier pour chacun des requérants à la nullité s'il justifie d'un droit propre auquel la captation des données informatiques arguée de nullité aurait porté atteinte.
65. Ils constatent qu'à l'exception de M. [I] qui a reconnu être l'utilisateur d'un téléphone crypté [1] sous le pseudonyme « [A] », aucun des requérants n'a admis user d'un téléphone crypté avec le système [1] ou avoir le pseudonyme que l'exploitation des communications permettait de lui attribuer ou être l'un des interlocuteurs des communications captées.
66. Ils en déduisent qu'à défaut de pouvoir justifier d'un droit leur étant propre que la violation des dispositions relatives à la captation des données informatiques aurait atteint, MM. [D], [O], [C] [E], [M] n'ont pas qualité à agir et doivent être déclarés irrecevables à soulever la nullité de la mesure de captation des données informatiques mise en oeuvre dans la présente procédure.
67. En prononçant ainsi, alors qu'il résultait des pièces de la procédure que les enquêteurs avaient attribué à chaque requérant l'usage d'un téléphone crypté, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé au paragraphe 62.
68. La cassation est dès lors à nouveau encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur les pourvois formés les 15 et 16 septembre 2021 par déclaration au greffe de la maison d'arrêt par MM. [O], [D] et [M] :
Les DÉCLARE IRRECEVABLES ;
Sur les autres pourvois :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, en date du 9 septembre 2021, mais en ses seules dispositions ayant prononcé sur le moyen de nullité proposé par M. [I] pris de la violation de l'article 230-3 du code de procédure pénale et ayant déclaré MM. [D], [O], [C] [E] et [M] irrecevables à soulever les moyens tendant à la nullité des opérations de captation des données informatiques, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq octobre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000046510238.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 21-87.397 F-B
25 OCTOBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 25 OCTOBRE 2022
M. [S] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 2 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de blanchiment aggravé, associations de malfaiteurs, recel en bande organisée, non justification de ressources, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 21 mars 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Labrousse, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [S] [R], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Labrousse, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, conseiller de la chambre, M. Croizier, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 9 mars 2020, une information judiciaire portant sur un trafic de véhicules frauduleusement radiés du fichier des objets et véhicules volés (FOVeS) a été ouverte des chefs de vols, recel, modification frauduleuse des données d'un système de traitement automatisé mis en oeuvre par l'Etat, en bande organisée, et associations de malfaiteurs.
3. Les investigations réalisées ont mis en évidence que la société [1] avait, en quelques mois, procédé à plusieurs déclarations d'achat d'un véhicule initialement inscrit au FOVeS.
4. L'adresse IP associée à cette société a conduit à l'identification de M. [S] [R]. Ses données de trafic et de localisation ont été exploitées par les enquêteurs.
5. Le 11 décembre 2020, M. [R] a été mis en examen des chefs précités.
6. Le 10 juin 2021, il a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation des procès-verbaux d'exploitation de ses données de connexion.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses sixième et septième branches
7. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième et huitième branches
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure, alors :
« 1°/ qu'en vertu de l'article 15, § 1 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, § 1, de la Charte des droits fondamentaux, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, la conservation généralisée des adresses IP ne peut être autorisée qu'aux fins de recherche des infractions graves ; qu'en vertu des mêmes dispositions, la conservation ciblée des données de trafic et de localisation par les fournisseurs de communication électronique, dont les fournisseurs de téléphonie, ne peut-être permise qu'aux fins de recherche des infractions graves ; qu'il appartient au seul législateur de définir celles des infractions qui doivent être considérées comme suffisamment graves pour justifier de telles mesures de conservation de données personnelles ; que M. [R], mis en examen pour blanchiment, association de malfaiteurs, recel et non-justification de ressources, a soutenu l'irrégularité de la législation et de la règlementation applicable à de telles opérations et contesté les conditions dans lesquelles les adresses IP et les données de connexion et de localisation qui lui étaient attribuées avaient été conservées et exploitées par les enquêteurs ; que la chambre de l'instruction a estimé que la conservation généralisée des adresses IP et des données de trafic et de localisation pendant un an prévue par l'article L. 34-1 du code des postes et communications pour « les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale », était justifiée au regard de la gravité des infractions reprochées au mis en examen ; qu'en ne laissant pas inappliqué l'article L. 34-1 précité, qui ne précisait pourtant pas quelles infractions devaient être considérées comme graves, quand les infractions contre les biens reprochées au mis en examen ne pouvant être considérées comme suffisamment graves pour justifier l'atteinte au respect de la vie privée et à la liberté d'expression voulue par la directive précitée, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 5, 6, 8, 9 et 15 de la directive précitée, lus à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
2°/ qu'en vertu de l'article 15, § 1 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, § 1, de la Charte des droits fondamentaux, la conservation de telles données n'est permise que sur autorisation d'une autorité judiciaire ou d'une autorité administrative indépendante à même d'en apprécier la nécessité ; qu'en ne prenant pas en considération cette condition de régularité de la conservation par les opérateurs de téléphonie de ces données, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 5, 6, 8, 9 et 15 de la directive précitée, lus à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
3°/ que le juge répressif a compétence pour apprécier la légalité des actes réglementaires ; que, pour rejeter la requête en nullité invoquant l'inconventionnalité de l'article R. 10-13 du code des postes et des communications électroniques fondant la conservation des données, la chambre de l'instruction a estimé que « les diligences télématiques effectuées sur le fondement de [ce texte], l'ont été conformément au droit en vigueur au moment de leur réalisation, alors que leur modification a été reportée d'un délai de 6 mois à compter du mois d'avril 2021, selon les énonciations de la décision « French Data Network » rendue par le Conseil d'Etat le 21 avril 2020; que dès lors il n'a été fait qu'application du droit positif, sans aucune violation de principes ou conventions internationales supérieures » ; qu'en refusant de se prononcer sur la conformité au droit de l'Union européenne de cette disposition comme elle en avait le devoir, la décision du Conseil d'Etat n'ayant aucune autorité de la chose jugée sur cette question, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 111-5 du code pénal ;
4°/ qu'en vertu du principe de primauté du droit de l'Union européenne, à défaut de pouvoir procéder à une interprétation de la réglementation nationale conforme aux exigences du droit de l'Union, le juge national a l'obligation d'assurer le plein effet de celles-ci en laissant au besoin la réglementation nationale inappliquée, peu important que des décisions antérieures en aient admis la légalité et la conventionnalité ; que, dès lors, faute d'avoir constaté l'inopposabilité de la décision du Conseil d'Etat du 21 avril 2020, en tant que l'article R 10-13 du code des postes et communications électroniques n'était pas conforme au droit de l'Union européenne tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne qui a estimé que la conservation des adresses IP et des données de trafic et de localisation devait être limitée aux infractions graves, que la conservation des données de trafic et de localisation devait être subordonnée à l'autorisation d'une autorité judiciaire ou d'une autorité administrative indépendante et qu'elle était seule compétente pour autoriser le maintien provisoire en vigueur d'une législation nationale non conforme à ces exigences, la chambre de l'instruction, qui a estimé que le maintien en vigueur de l'article R.10-13 du code des postes et communications électronique pendant six mois décidé par le Conseil d'Etat s'imposait à elle, a méconnu le principe de primauté du droit de l'Union européenne, en violation de l'article 88-1 de la Constitution ;
5°/ qu'en vertu de l'article 15, § 1 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52, § 1, de la Charte des droits fondamentaux, les enquêteurs ne peuvent accéder aux adresses IP et aux données de connexion et de localisation que sur l'autorisation d'une autorité judiciaire ou d'une autorité administrative indépendante, distincte de celle sous l'autorité de laquelle les enquêteurs agissent : que, pour dire régulières l'obtention et l'exploitation par la police des données concernant le mis en examen, la chambre de l'instruction a considéré que « s'agissant des données liées à ces lignes téléphoniques, il apparait que les réquisitions réalisées par les enquêteurs pour obtenir les données critiquées, ainsi que toutes leurs exploitations, l'ont été, conformément, et dans le respect de la législation française en vigueur, et sur autorisation et sous le contrôle de l'autorité judiciaire, en l'espèce le juge d'instruction, magistrat disposant d'un statut d'indépendance garantie par la Constitution » ; qu'en ne s'expliquant pas sur cette autorisation, quand l'exposant soutenait que les policiers avaient agi sur le seul fondement d'une commission rogatoire prescrivant de rechercher les auteurs des infractions poursuivies, sans autoriser spécifiquement l'accès aux données concernant les personnes soupçonnées, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 5, 6, 8, 9 et 15 de la directive précitée, lus à la lumière des articles 7, 8 et 11 ainsi que de l'article 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
8°/ qu'il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre, en vertu du principe d'autonomie procédurale, de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l'Union, à condition toutefois qu'elles ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne et qu'elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par le droit de l'Union ; que, pour rejeter la requête en nullité, la chambre de l'instruction a estimé que « la question envisagée ici n'est pas celle de la nullité d'un procès-verbal établi conformément à la loi, mais plutôt celle de la valeur probante qui pourra lui être attachée, question dont sera saisie le cas échéant la juridiction du fond » ; qu'en statuant ainsi, quand la conservation et l'exploitation des données procédaient d'une méconnaissance des exigences de l'article 15 de la directive 2002/58/CE, prise notamment pour assurer la protection de la vie privée, quand la méconnaissance des dispositions nationales destinées à assurer la protection d'un tel droit est sanctionnée en principe par l'annulation de tels actes et quand la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 a créé un article 60-1-2 du code de procédure pénale disposant que le non-respect des nouvelles dispositions en matière d'accès aux données de connexion et de localisation fait encourir la nullité, la chambre de l'instruction qui a refusé d'annuler les procès-verbaux établis sur le fondement des données recueillies a violé l'article 173 du code de procédure pénale, ensemble le principe d'équivalence des garanties, tel qu'imposé par l'intégration du droit de l'Union européenne et l'article 88-1 de la Constitution. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 15 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 modifiée, lu à la lumière des articles 7, 8 et 11, ainsi que de l'article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :
9. Par arrêt en date du 12 juillet 2022, la Cour de cassation a énoncé les principes suivants (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 21-83.710, Bull. crim.).
10. L'article L. 34-1, III, du code des postes et des communications électroniques, dans sa version issue de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013, mis en oeuvre par l'article R. 10-13 dudit code, tel qu'il résultait du décret n° 2012-436 du 30 mars 2012, est contraire au droit de l'Union européenne en ce qu'il imposait aux opérateurs de services de télécommunications électroniques, aux fins de lutte contre la criminalité, la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion, à l'exception des données relatives à l'identité civile, aux informations relatives aux comptes et aux paiements, ainsi qu'en matière de criminalité grave, de celles relatives aux adresses IP attribuées à la source d'une connexion.
11. En revanche, la France se trouvant exposée, depuis décembre 1994, à une menace grave et réelle, actuelle ou prévisible à la sécurité nationale, les textes précités de droit interne étaient conformes au droit de l'Union en ce qu'ils imposaient aux opérateurs de services de télécommunications électroniques de conserver de façon généralisée et indifférenciée les données de trafic et de localisation, aux fins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et des actes de terrorisme, incriminés aux articles 410-1 à 422-7 du code pénal.
12. Les articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2, 99-3 et 99-4 du code de procédure pénale, dans leur version antérieure à la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022, lus en combinaison avec le sixième alinéa du paragraphe III de l'article préliminaire du code de procédure pénale, permettaient aux autorités compétentes, de façon conforme au droit de l'Union, pour la lutte contre la criminalité grave, en vue de l'élucidation d'une infraction déterminée, d'ordonner la conservation rapide, au sens de l'article 16 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cybercriminalité du 23 novembre 2001, des données de connexion, même conservées aux fins de sauvegarde de la sécurité nationale.
13. Il appartient à la juridiction, lorsqu'elle est saisie d'un moyen en ce sens, de vérifier, d'une part, que les éléments de fait justifiant la nécessité d'une telle mesure d'investigation répondent à un critère de criminalité grave, dont l'appréciation relève du droit national, d'autre part, que la conservation rapide des données de trafic et de localisation et l'accès à celles-ci respectent les limites du strict nécessaire.
14. S'agissant de la gravité des faits, il appartient au juge de motiver sa décision au regard de la nature des agissements de la personne poursuivie, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue.
15. Enfin, l'existence d'un grief pris de l'absence de contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante n'est établie que lorsque l'accès a porté sur des données irrégulièrement conservées, pour une finalité moins grave que celle ayant justifié la conservation hors hypothèse de la conservation rapide, n'a pas été circonscrit à une procédure visant à la lutte contre la criminalité grave ou a excédé les limites du strict nécessaire.
16. Il s'ensuit que la Cour de cassation, ayant jugé par l'arrêt précité du 12 juillet 2022, que le droit interne français ne pouvait continuer à s'appliquer que dans les limites et sous les conditions précitées, conformément au principe de la primauté du droit de l'Union européenne, il n'y a pas lieu de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle posée.
17. En l'espèce, pour écarter la nullité des réquisitions litigieuses, prise de la non-conformité du droit français aux exigences européennes en matière de conservation des données de connexion, l'arrêt attaqué énonce que la jurisprudence européenne admet la conservation généralisée et indifférenciée des adresses IP aux fins de lutte contre la criminalité grave, catégorie à laquelle, à l'évidence, appartiennent les crimes et délits pour lesquels M. [R] est mis en examen.
18. Les juges ajoutent que, s'agissant des données liées aux lignes téléphoniques du requérant, il apparaît que les réquisitions des enquêteurs pour obtenir les données critiquées ont été réalisées conformément à la législation française en vigueur, et sur autorisation et sous le contrôle de l'autorité judiciaire, en l'espèce le juge d'instruction, magistrat disposant d'un statut d'indépendance garanti par la Constitution.
19. Ils énoncent également que l'affirmation que les dispositions de l'article R. 10-13 du code des postes et des communications électroniques ne seraient pas conformes aux engagements européens de la France ne justifie pas de prononcer la nullité des procès-verbaux établis selon le droit français, en un moment où il était applicable, la modification du droit interne ayant été reportée de six mois par l'arrêt du Conseil d'Etat « French Data Network » en date du 21 avril 2021, et ce à compter dudit arrêt.
20. Ils en déduisent qu'il a été ainsi fait application du droit positif sans aucune violation de principes ou de conventions internationales supérieures.
21. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes susénoncés pour les raisons suivantes.
22. En premier lieu, saisi d'un moyen pris de l'illégalité des dispositions de l'article R. 10-13 du code des postes et des communications comme contraire aux exigences de l'Union européenne, il lui appartenait, en application de l'article 111-5 du code pénal, d'en apprécier la pertinence, le principe de primauté du droit de l'Union lui imposant d'assurer le plein effet de ses dispositions en laissant, au besoin, inappliquée toute réglementation contraire de la législation nationale.
23. Dès lors, la chambre de l'instruction ne pouvait, pour refuser d'examiner la conventionnalité de l'article R. 10-13 du code des postes et des communications électroniques, constater que le Conseil d'Etat avait, par la décision précitée du 21 avril 2021, enjoint au Premier ministre, dans un délai de six mois, à compter de celle-ci, de procéder à l'abrogation dudit article, en ce qu'il ne limitait pas les finalités de l'obligation de conservation généralisée et indifférenciée des données de trafic et de localisation autres que les données d'identité civile, les coordonnées de contact et de paiement, les données relatives aux contrats et aux comptes et les adresses IP, à la sauvegarde de la sécurité nationale.
24. En deuxième lieu, s'agissant de la conservation de l'adresse IP du requérant, ainsi que de ses données de trafic et de localisation, il lui appartenait de vérifier que les faits, objets de la présente procédure, relevaient de la criminalité grave, au regard de la nature des agissements en cause, de l'importance du dommage en résultant, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue, sans limiter son analyse aux seules qualifications retenues à l'encontre de celui-ci.
25. En outre, et s'agissant de la conservation des données de trafic et de localisation, elle devait également s'assurer que leur conservation rapide et l'accès à celles-ci respectaient les limites du strict nécessaire.
26. En troisième lieu, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer, par l'examen de la procédure, dont elle a le contrôle, qu'il ne résulte d'aucune pièce que le magistrat instructeur, qui a délivré une commission rogatoire rédigée en des termes généraux, ait autorisé les officiers de police judiciaire à procéder aux réquisitions adressées aux opérateurs de télécommunications, en en fixant la durée et le périmètre.
27. Il s'ensuit que l'accès aux données de connexion n'a pas été réalisé de façon conforme au droit de l'Union européenne. Une telle irrégularité n'est de nature à entraîner la nullité que si l'existence d'un grief est établie, conformément au paragraphe 15 de cet arrêt.
28. Enfin, la chambre de l'instruction ne pouvait, sans méconnaître le principe d'équivalence du droit européen, énoncer qu'en cas de méconnaissance de celui-ci, il appartiendrait à la juridiction de jugement d'apprécier la valeur probante des procès-verbaux dressés, mais devait rechercher si un grief était établi, conformément au paragraphe 15 de ce arrêt et, en ce cas, prononcer la nullité des actes litigieux.
29. La cassation est dès lors encourue de ces chefs.
PAR CES MOTIFS,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 2 décembre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq octobre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000046437313.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 22-80.120 F-B
11 OCTOBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 OCTOBRE 2022
M. [C] [O] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 5e section, en date du 15 décembre 2021, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre lui à la demande du gouvernement russe, a émis en avis favorable.
Un mémoire, des mémoires additionnels et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [C] [O], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [C] [O], ressortissant russe et maltais interpellé à l'aéroport de [1], a fait l'objet, de la part des autorités russes, d'une demande d'arrestation aux fins d'extradition provisoire, suivie d'une demande d'extradition aux fins de poursuites pénales, pour des faits commis entre le 9 décembre 2014 et le 1er septembre 2017 qualifiés de détournement de fonds, soustraction ou vol du bien d'autrui avec abus de la position officielle au sein d'un groupe organisé, à une échelle particulièrement grande.
3. M. [O] a déclaré ne pas consentir à sa remise.
4. Par arrêt avant dire droit du 28 avril 2021, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a ordonné un complément d'information afin de permettre, le cas échéant, aux autorités de la République de Malte de solliciter la remise de l'intéressé sur mandat d'arrêt européen.
5. L'affaire a été renvoyée à l'audience du 30 juin 2021, puis au 19 octobre 2021.
6. Le procureur général a transmis à la chambre de l'instruction, le jour de l'audience, un échange de courriel avec le bureau de l'entraide pénale internationale (BEPI) du ministère de la justice, précisant que « les autorités maltaises avaient bien été interrogées dès le mois de mars 2021 et nous avaient confirmé leur intention de ne pas émettre un MAE [...] ».
Examen des moyens
Sur le premier moyen
7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à la demande d'extradition, alors :
2°/ qu'il ne résulte d'aucune des mentions de l'arrêt que le courriel du bureau de l'entraide pénale internationale du ministère de la justice du 18 octobre 2021 évoqué par le parquet général dans des réquisitions déposées le 19 octobre 2021, veille de l'audience, ait été concomitamment déposé au dossier de la procédure ni communiqué à la défense lors des débats ; en fondant sa décision sur ce courriel, la chambre de l'instruction a violé le principe du contradictoire et les droits de la défense, ensemble les articles préliminaire du code de procédure pénale et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
9. La chambre de l'instruction a pu valablement se référer au courriel du BEPI du ministère de la justice produit la veille de l'audience par le ministère public, dès lors que l'avocat de la personne réclamée, entendu à l'audience en ses observations, ne s'est pas prévalu de cette irrégularité et n'a pas sollicité le renvoi de l'audience.
10. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.
Sur les troisième et quatrième moyens
Enoncé des moyens
11. Les troisième et quatrième moyens critiquent l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à la demande d'extradition, alors que cet avis, pris au regard de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, qui est une convention du Conseil de l'Europe, a perdu tout fondement légal, à raison de l'exclusion de la Russie du Conseil de l'Europe.
Réponse de la Cour
12. Les moyens sont réunis.
13. Par résolution adoptée le 16 mars 2022, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a décidé, dans le cadre de la procédure lancée en vertu de l'article 8 du statut dudit Conseil, que la Fédération de Russie cessait immédiatement d'en être membre (CM/Del/Dec(2022)1428ter/2.3).
14. Par résolution adoptée le 23 mars 2022, le même Comité des ministres a décidé que la Fédération de Russie a cessé au 16 mars 2022 d'être partie contractante aux conventions et protocoles conclus dans le cadre du Conseil de l'Europe qui ne sont ouverts qu'aux Etats membres de l'organisation, mais qu'elle continuera à être partie contractante aux conventions et protocoles conclus dans le cadre du Conseil de l'Europe auxquels elle a exprimé son consentement à être liée, et qui sont ouverts à l'adhésion d'États non-membres (CM/Del/Dec(2022)1429bis/2.3).
15. Or, l'article 30 de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 dispose, en son premier alinéa, que le Comité des ministres du Conseil de l'Europe pourra inviter tout Etat non-membre du Conseil à adhérer à la présente Convention.
16. Il en résulte que la Fédération de Russie continue à être partie contractante à ladite convention, nonobstant son exclusion du Conseil de l'Europe.
17. Dès lors, les moyens ne sont pas fondés.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a émis un avis favorable à la demande d'extradition, alors :
« 1°/ que l'avis est défavorable si les conditions légales de l'extradition ne sont pas remplies, ce qu'il incombe à la chambre de l'instruction de contrôler elle-même ; il résulte d'un arrêt du 6 septembre 2016 (C-182/15) de la Cour de justice de l'Union européenne qu'un Etat membre, saisi d'une demande d'extradition par un Etat tiers a l'obligation d'informer l'État membre de la nationalité de l'intéressé, et le cas échéant, à la demande de ce dernier État, de lui remettre ce citoyen, conformément aux dispositions relatives au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres ; par arrêt avant dire droit du 28 avril 2021, la chambre de l'instruction a ordonné un complément d'information à cette fin, auprès des autorités de la République de Malte et précisé que la réponse devra lui être transmise avec sa traduction en langue française ; en s'en tenant, pour dire n'y avoir lieu de refuser l'extradition, en l'absence de réponse au dossier des autorités maltaises elles-mêmes, au contenu d'un courriel du bureau de l'entraide pénale internationale du ministère de la justice interrogé par le parquet général, selon lequel les autorités judiciaires de la République de Malte auraient confirmé en mars 2021 leur intention de ne pas émettre un mandat d'arrêt européen, la chambre de l'instruction s'en est ainsi remise au pouvoir exécutif, n'a pas exercé le contrôle qui lui incombait personnellement et a privé sa décision en la forme, des conditions essentielles de son existence légale ; »
Réponse de la Cour
Vu les articles 18 et 21 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne et 593 du code de procédure pénale :
19. Selon les deux premiers de ces textes, lorsqu'un État membre dans lequel un citoyen de l'Union, ressortissant d'un autre État membre, s'est déplacé, se voit adresser une demande d'extradition par un État tiers avec lequel il a conclu un accord d'extradition, il est tenu d'informer l'État membre dont ledit citoyen a la nationalité et, le cas échéant, à la demande de ce dernier État membre, de lui remettre ce citoyen, conformément aux dispositions de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, pourvu que cet État membre soit compétent, en vertu de son droit national, pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors de son territoire national (CJUE, arrêt du 6 septembre 2016, Petruhin, C-182/15).
20. Conformément au principe de coopération loyale, il incombe à l'État membre requis d'informer les autorités compétentes de l'État membre dont la personne réclamée a la nationalité non seulement de l'existence d'une demande d'extradition la visant, mais encore de l'ensemble des éléments de droit et de fait communiqués par l'État tiers requérant dans le cadre de cette demande d'extradition.
21. Il incombe également à l'État membre requis de tenir lesdites autorités informées de tout changement de la situation dans laquelle se trouve la personne réclamée, pertinent aux fins de l'éventuelle émission contre elle d'un mandat d'arrêt européen (CJUE, arrêt du 17 décembre 2020, By, C-398/19).
22. Cet échange d'informations a pour objet de mettre l'Etat membre, dont la personne réclamée a la nationalité, en mesure d'exercer le pouvoir discrétionnaire, relevant de sa souveraineté en matière pénale, d'exercer des poursuites pour les faits visés dans la demande d'extradition et de délivrer à cette fin un mandat d'arrêt européen.
23. Selon le troisième de ces textes, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
24. En l'espèce, pour émettre un avis favorable à la demande d'extradition, l'arrêt attaqué énonce en substance que le courriel du 18 octobre 2021 du BEPI du ministère de la justice, évoqué par le ministère public dans ses réquisitions écrites, permet d'apprendre que les autorités judiciaires de la République de Malte ont confirmé, dès mars 2021, leur intention de ne pas émettre de mandat d'arrêt européen à l'encontre de M. [O].
25. Les juges en déduisent qu'il est justifié de l'information des autorités maltaises de l'existence d'une demande d'extradition de la part des autorités russes concernant l'intéressé, dès le mois de mars 2021.
26. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.
27. En effet, il lui incombait, en application des principes rappelés aux paragraphes 19 à 21, de s'assurer que cet État membre avait effectivement été mis en mesure d'apprécier l'opportunité d'émettre un mandat d'arrêt européen aux fins de poursuites pour les faits objet de la demande d'extradition, pour autant que son droit national le permette, ce qui ne pouvait résulter du simple échange de courriels entre le procureur général et le BEPI tel que soumis à la chambre de l'instruction.
28. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 15 décembre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze octobre deux mille vingt-deux.
Cf. :CJUE, arrêt du 6 septembre 2016, Aleksei Petruhhin, C-182/15.
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N° K 22-81.126 F-B
11 OCTOBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 OCTOBRE 2022
Mme [P] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 6 janvier 2022, qui, dans l'information suivie contre M. [J] [Y], des chefs de viol et d'agression sexuelle aggravés, a infirmé l'ordonnance du juge d'instruction la désignant en qualité d'administratrice ad hoc.
Par ordonnance en date du 14 avril 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Violeau, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [P] [U], les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [W] [K], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Violeau, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Une enquête a été diligentée à la suite des révélations faites par [S] [Y] d'agressions sexuelles commises sur sa personne par son frère, [J] [Y].
3. Le 7 avril 2021, une information judiciaire a été ouverte des chefs d'agressions sexuelles incestueuses sur mineure de 15 ans et de viols incestueux sur mineure de 15 ans, pour lesquels M. [Y] a été mis en examen.
4. Le 15 avril 2021, un avis à se constituer partie civile a été adressé aux représentants légaux de [S] [Y].
5. Le 18 juin 2021, à la suite d'une erreur de distribution, le juge d'instruction a transmis un nouvel avis à la mère de la mineure, Mme [W] [K].
6. Par ordonnance du 5 juillet 2021, le juge d'instruction a désigné Mme [P] [U] en qualité d'administratrice ad hoc dans l'intérêt de [S] [Y].
7. Le 12 juillet 2021, le juge d'instruction a reçu la constitution de partie civile de Mme [K] en tant que représentante légale de sa fille mineure.
8. L'avocat de Mme [K] a interjeté appel de l'ordonnance précitée de désignation d'un administrateur ad hoc.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en sa troisième branche
9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé l'ordonnance du 5 juillet 2021, a considéré qu'il n'y avait pas lieu de désigner un mandataire ad hoc pour représenter [S] [Y] dans le cadre de la procédure ouverte du chef d'agressions sexuelles incestueuses sur mineur de 15 ans et de viols incestueux sur mineur de 15 ans, alors « qu'après avoir constaté que Maître [X], représentant de Mme [U], a déposé un mémoire en cours de l'audience du 2 décembre 2021 (arrêt, p. 2 alinéa 9), l'arrêt relève que « les avocats des parties civiles, régulièrement avisées, étaient absentes » (ibid., pénultième alinéa) ; qu'il est entaché d'une contradiction et encourt la censure pour violation des articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
11. La demanderesse ne saurait se faire un grief des éventuelles mentions contradictoires de l'arrêt quant à la présence à l'audience de son avocat, dès lors que la chambre de l'instruction a répondu aux moyens péremptoires du mémoire transmis la veille de l'audience, qui était seul recevable.
12. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé l'ordonnance du 5 juillet 2021, il a considéré qu'il n'y avait pas lieu de désigner un mandataire ad hoc pour représenter [S] [Y] dans le cadre de la procédure ouverte du chef d'agressions sexuelles incestueuses sur mineur de 15 ans et de viols incestueux sur mineur de 15 ans, alors :
« 1°/ que le procureur de la république ou le juge d'instruction, saisi de faits commis volontairement à l'encontre d'un mineur, désigne un administrateur ad hoc lorsque la protection des intérêts de celui-ci n'est pas complètement assurée par ses représentants légaux ou par l'un d'entre eux ; qu'en décidant que la mère de la victime, l'enfant [S] [Y], pouvait assurer la protection de ses intérêts, quand elle était par ailleurs la mère de l'enfant mineur [J] [Y] auteur des faits et, en tant que telle, pouvait être déclarée civilement responsable des actes de ce dernier, les juges du fond ont violé l'article 706-50 du code de procédure pénale ;
2°/ que la désignation d'un mandataire ad hoc s'impose lorsque la protection des intérêts de l'enfant n'est pas complètement assurée par ses représentants légaux ; qu'en énonçant, à propos du conflit d'intérêt lié au fait que Mme [K] est à la fois la mère de l'auteur des faits et la mère de la victime, les juges du fond ont relevé que M. [J] [Y] est majeur et vit avec son père, pour rajouter : « ce qui permet de limiter fortement le risque d'interférence avec les décisions que sa mère pourrait être amenée à prendre pour elle » ; qu'en s'abstenant de rechercher si, quand bien même les risques seraient limités, cette situation n'était pas de nature à établir que la protection de [S] [Y] n'était pas complètement assurée, les juges du fond ont insuffisamment motivé leur décision au regard de l'article 706-50 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
14. Selon l'article 20 de la directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil, le mineur victime a, par principe, au cours d'une enquête pénale, le droit d'être accompagné de son représentant légal ou d'une personne de son choix, sauf décision contraire motivée.
15. Aux termes de l'article 706-50 du code de procédure pénale, le procureur de la République ou le juge d'instruction, saisi de faits commis volontairement à l'encontre d'un mineur, désigne un administrateur ad hoc lorsque la protection des intérêts de celui-ci n'est pas complètement assurée par ses représentants légaux ou par l'un d'entre eux.
16. Il en résulte que, d'une part, la seule circonstance que les faits sont qualifiés d'incestueux ne peut suffire à justifier la désignation d'un administrateur ad hoc.
17. D'autre part, il appartient au magistrat qui procède à une telle désignation, de motiver l'insuffisante capacité des représentants légaux à assurer complètement la protection du mineur, à partir de son appréciation souveraine des circonstances des faits.
18. En l'espèce, pour infirmer l'ordonnance de désignation d'un administrateur ad hoc, l'arrêt attaqué énonce notamment que la mère de [S] [Y], Mme [K], a accompli un certain nombre de démarches pour protéger sa fille mineure, une fois les faits d'agression sexuelle portés à sa connaissance, et l'a accompagnée à chaque étape de la procédure.
19. Ils relèvent qu'elle n'a aucunement cherché à couvrir ou à minimiser les agissements sexuels qu'[J] [Y] avait commis sur sa soeur et a séparé la fratrie afin d'éviter toute réitération dès qu'elle en a eu connaissance.
20. Les juges ajoutent en substance que le retard pris à se constituer partie civile est imputable non à sa négligence, mais à l'acheminement des courriers.
21. Ils énoncent que l'existence d'un conflit d'intérêts lié au fait que Mme [K] soit la mère à la fois de l'auteur et de la victime des faits n'est pas de nature à entraver la protection des intérêts de [S] [Y].
22. Les juges en déduisent que Mme [K] n'a pas été défaillante dans la protection des intérêts de sa fille et qu'aucun élément ne justifie la désignation d'un administrateur ad hoc.
23. En l'état de ces énonciations, dénuées d'insuffisance comme de contradiction, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
24. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
25. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
FIXE à 2 500 euros la somme que Mme [U] devra payer à Mme [K] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le onze octobre deux mille vingt-deux.
Crim., 12 septembre 2000, pourvoi n° 00-81.971, Bull. crim. 2000, n° 266 (rejet) ;1re Civ., 25 octobre 2005, pourvoi n° 03-14.404, Bull. 2005, I, n° 390 (2) (rejet).
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N° E 21-87.534 F-B
12 OCTOBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 OCTOBRE 2022
M. [R] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-5, en date du 29 septembre 2021, qui, pour violences aggravées, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de M. [R] [W], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [R] [W] a été condamné par le tribunal correctionnel, du chef précité, à six mois d'emprisonnement avec sursis.
3. Le prévenu a relevé appel de cette décision et le ministère public appel incident.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité, déclaré le prévenu coupable et l'a condamné à la peine de six mois d'emprisonnement assortie d'un sursis probatoire, alors « que la personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu'elle comprend, des droits dont elle bénéficie ; que si la personne ne comprend pas le français, ses droits doivent lui être notifiés par l'intermédiaire d'un interprète, le cas échéant après qu'un formulaire lui a été remis pour son information immédiate ; que tout retard dans la notification orale de ses droits, non justifié par une circonstance insurmontable, porte nécessairement atteinte à ses intérêts ; qu'en l'espèce, M. [W], de nationalité arménienne et ne comprenant pas le français, a été placé en garde à vue le 9 janvier 2020 à 20h40 ; qu'un formulaire de notification de ses droits dans la langue qu'il comprend lui a alors été remis ; que ses droits ne lui ont cependant été notifiés oralement par l'intermédiaire d'un interprète que le 10 janvier 2020 à 9h50, soit avec un retard de 13h10, sans qu'il ne soit justifié de circonstances insurmontables ayant empêché une notification immédiate de ses droits, ni qu'il ait été procédé à une notification par téléphone ; qu'en refusant néanmoins d'annuler le placement en garde à vue et les actes subséquents, la cour d'appel a violé l'article 63-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
5. Le demandeur ne peut critiquer la réponse donnée par l'arrêt attaqué à une exception de nullité, tirée de la tardiveté de la notification de ses droits en garde à vue, qu'il a présentée pour la première fois devant la cour d'appel, dès lors que, par application de l'article 385 du code de procédure pénale, cette exception n'ayant pas été invoquée devant le tribunal, devant lequel le prévenu a comparu, elle ne pouvait l'être pour la première fois devant la juridiction du second degré.
6. Le moyen ne peut donc être admis.
7. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze octobre deux mille vingt-deux.
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N° J 21-86.043 F-B
5 OCTOBRE 2022
IRRECEVABILITE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 OCTOBRE 2022
MM. [R] [N], [U] [A] [H] et [P] [T], pris en leur qualité de syndic de faillite de la succession de [G] [Y], ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-1, en date du 19 mai 2021, qui a prononcé sur leur requête en incident contentieux d'exécution et en restitution.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Planchon, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de MM. [R] [N], [U] [K] et [P] [T], pris en leur qualité de syndic de faillite de la succession de [G] [Y], les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la [6], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 1er mars 2002, une information judiciaire a été ouverte contre M. [V] [E], la [6] ([6]) et [G] [Y] des chefs, notamment, d'abus de confiance, d'abus de biens sociaux, de blanchiment, en raison de soupçons de blanchiment à l'occasion de l'acquisition, notamment, du château de la Garoupe via la société [6] en 1996 et 1997, qui aurait été financée grâce à des fonds provenant d'abus de confiance et d'abus de biens sociaux commis au préjudice des sociétés [5], de droit suisse, et [4], immatriculée à Gibraltar, dont le bénéficiaire économique était M. [O] [W].
3. La société [6], créée en novembre 1996 à cette fin, dont le gérant était M. [E], a pour objet l'activité de marchand de biens et a acquis le château de la Garoupe au prix de 55 000 000 de francs, soit 8 380 000 euros. Elle est détenue depuis 2007 par le trust [1], constitué par [G] [Y].
4. Le décès de ce dernier survenu le 23 mars 2013 ayant éteint l'action publique à son égard, la société [6] et M. [E] ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel des chefs d'abus de biens sociaux et de blanchiment aggravé pour avoir de manière habituelle et en utilisant les facilités que leur procurait l'exercice de leur activité d'agent immobilier, via les sociétés de droit suisse [3] et [2], apporté leur concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect des délits d'abus de confiance et de recels d'abus de confiance commis au préjudice des sociétés [5] et [4].
5. Le tribunal correctionnel a déclaré, notamment, la société [6] coupable de blanchiment aggravé, l'a condamnée à une amende de 2 000 000 d'euros et a ordonné à son encontre la confiscation du château de la Garoupe dont elle était propriétaire par jugement du 9 mars 2015 qui a été confirmé par l'arrêt de la cour d'appel du 8 décembre 2015 à l'encontre duquel les deux prévenus ont formé un pourvoi qui a été rejeté par arrêt du 25 octobre 2017.
6. Parallèlement, par décisions des 10 avril et 22 octobre 2014, MM. [R] [N] et [U] [K] ont été successivement nommés en qualité d'administrateurs généraux de la succession de [G] [Y], puis le 26 janvier 2015, une juridiction britannique ayant fait droit à leur demande tendant à ce que la succession soit administrée sous la forme d'une procédure de faillite en raison de son insolvabilité, les créanciers les ont nommés, ainsi que M. [P] [T], en qualité de syndics de faillite, ce qui a eu comme conséquence, d'une part, de leur donner la qualité de représentants des créanciers, d'autre part, au regard du droit anglais, de les rendre propriétaires de tous les biens compris dans le patrimoine du défunt.
7. Par requête en date du 6 mars 2020, les trois demandeurs ont sollicité, sur le fondement de l'article 710 du code de procédure pénale, la restitution du château de la Garoupe en faisant valoir que [G] [Y], qui en avait la libre disposition, en était le véritable propriétaire.
Examen de la recevabilité des pourvois
8. L'article 131-21 du code pénal prévoit que la confiscation de l'instrument de l'infraction, visée au deuxième alinéa, et les confiscations visées aux cinquième et sixième alinéas de ce texte, peuvent porter sur les biens dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition.
9. Il résulte de ces dispositions que le législateur, en introduisant la notion de libre disposition dans l'arsenal de la confiscation aux fins d'élargir le champ de cette sanction n'a pas entendu la substituer au droit de propriété mais organiser sa cohabitation avec ce dernier.
10. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, caractérise la libre disposition d'un bien le fait, pour une personne, de posséder la totalité ou une majorité des parts de la société qui en est propriétaire (Crim., 23 mai 2013, pourvoi n° 12-87.473, Bull. crim. 2013, n° 113 ; Crim., 29 janvier 2014, pourvoi n° 13-80.062, Bull. crim. 2014, n° 32), d'interposer une société immobilière, dont elle assure la gestion de fait, entre son patrimoine et elle, en recourant à des prête-noms de l'entourage familial pour exercer les fonctions ou les rôles de dirigeant de droit, d'administrateurs et d'associés (Crim., 8 novembre 2017, pourvoi n° 17-82.632, Bull. crim. 2017, n° 250 ; Crim., 23 octobre 2019, pourvoi n° 18-87.097, publié au Bulletin), de bénéficier de la signature bancaire du compte d'une société et d'en user librement (Crim., 3 avril 2019, pourvoi n° 18-83.052) ou encore le fait, sans être titulaire de parts au sein de la société propriétaire du bien immobilier, de faire de ce dernier sa résidence principale sans payer aucun loyer et gérer ladite société constituée pour les besoins de la cause entre ses deux filles (Crim., 19 novembre 2014, pourvoi n° 13-88.331).
11. S'il résulte de ces décisions que celui qui bénéficie de la libre disposition d'un bien peut en être considéré comme le propriétaire économique, ce statut n'est pas, pour la Cour de cassation, de nature à remettre en cause le titre de propriété régulier auquel s'attachent des droits et des obligations définis, dont dispose le propriétaire juridique ou légal du bien, qualifié de propriétaire de bonne foi par l'article 131-21 du code pénal, tel que cela ressort de sa jurisprudence qui interdit à l'un d'invoquer les moyens de l'autre (Crim., 15 janvier 2014, pourvoi n° 13-81.874, Bull. crim. 2014, n° 12).
12. C'est au regard de cette dichotomie que la Cour de cassation a, notamment au visa de l'article 6, § 2, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014, étendu la protection des droits du propriétaire de bonne foi au propriétaire des biens constituant l'objet ou le produit de l'infraction et énoncé que le jugement qui rejette une demande de restitution est susceptible d'appel de la part de la personne qui a formulé cette demande, sans que puisse lui être opposée l'autorité de la chose jugée de la décision ordonnant la confiscation (Crim., 7 novembre 2018, pourvoi n° 17-87.424, Bull. crim. 2018, n° 188).
13. La Cour de cassation a également permis au propriétaire de bonne foi, non condamné pénalement, d'agir sur le fondement de l'article 710 du code de procédure pénale aux fins de soulever tout incident contentieux relatif à l'exécution d'une décision pénale, même définitive, ordonnant une mesure de confiscation, y compris lorsque le bien confisqué constitue le produit direct ou indirect de l'infraction (Crim., 4 novembre 2021, pourvoi n° 21-80.487).
14. Ces solutions limitant au propriétaire de bonne foi la possibilité de remettre en cause une confiscation devenue définitive garantissent la sécurité juridique dans la gestion des biens confisqués et l'effectivité non seulement des décisions de justice prononçant une confiscation mais également des instruments européens favorisant le gel et la confiscation des produits du crime.
15. Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'est seul recevable à agir en application de l'article 710 du code de procédure pénale en incident d'exécution d'une décision de confiscation définitive, le propriétaire juridique ou légal du bien concerné, non condamné pénalement, qui conserve entier son droit de propriété sur celui-ci, nonobstant la libre disposition dont peut bénéficier une tierce personne.
16. En l'espèce, la confiscation du château de la Garoupe a été définitivement ordonnée à l'encontre de la société [6], propriétaire de ce bien, après qu'elle a été déclarée coupable du délit de blanchiment aggravé.
17. En conséquence, l'action des demandeurs n'étant pas recevable, leurs pourvois doivent être déclarés irrecevables.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DÉCLARE les pourvois IRRECEVABLES.
FIXE à 1 500 euros la somme globale que MM. [M], [H] et [S] devront payer à la société [6] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le cinq octobre deux mille vingt-deux.
Sur la caractérisation de la libre disposition d'un bien, à rapprocher : Crim., 8 novembre 2017, pourvoi n° 17-82.632, Bull. crim. 2017, n° 250, et l'arrêt cité ;Crim., 23 octobre 2019, pourvoi n° 18-87.097, Bull. crim. (cassation).Sur les droits du propriétaire de bonne foi d'un bien confisqué, à rapprocher :Crim., 15 janvier 2014, pourvoi n° 13-81.874, Bull. crim. 2014, n° 12 ;Crim., 7 novembre 2018, pourvoi n° 17-87.424, Bull. crim. 2018, n° 188 ;Crim., 4 novembre 2021, pourvoi n° 21-80.487.
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N° W 21-85.594 F-B
4 OCTOBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 OCTOBRE 2022
Mme [D] [I], épouse [W], la société [1] et la société [3] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle, en date du 8 septembre 2021, qui a condamné les deux premières, pour exercice illégal de la profession d'expert comptable, respectivement, à 1 000 euros d'amende avec sursis et à 2 000 euros d'amende avec sursis, la troisième, pour complicité de ce même délit, à 30 000 euros d'amende avec sursis, a ordonné affichage et publication de la décision et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire commun aux demandeurs, un mémoire en défense, ainsi que des observations complémentaires, ont été produits.
Sur le rapport de M. Sottet, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme [D] [I], épouse [W], la société [1], la société [3], les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat du conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables, et les conclusions de M. Aubert, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 6 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Sottet, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [D] [I], épouse [W], en son nom personnel et en sa qualité de représentante légale de la société [1] ([2]), et la société [3] ont été citées devant le tribunal correctionnel par le conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables, pour avoir exercé illégalement la profession d'expert-comptable ou été complice de ce même délit.
3. Les juges du premier degré ont déclaré Mme [W] et la société [2] coupables d'exercice illégal de la profession d'expert comptable, condamné celles-ci, respectivement, à 2 000 euros et à 4 000 euros d'amende, déclaré la société [3] coupable de complicité d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable et condamné cette dernière à 30 000 euros d'amende.
4. Ils ont en outre ordonné des mesures d'affichage et de publication, et alloué au conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables 6 000 euros de dommages et intérêts.
5. Mme [W], la société [2], la société [3], le ministère public et le conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables ont relevé appel de cette décision.
Examen de la recevabilité des mémoires personnels de Mme [W], de la société [2] et de la société [3]
6. Les mémoires personnels des demandeurs au pourvoi, non signés, ne sont pas recevables.
Examen des moyens
Sur les premier, pris en sa quatrième branche, et second moyens
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [W] et la société [2] coupables d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, alors :
« 1°/ que la loi pénale est d'interprétation stricte ; qu'aux termes de l'article 20 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 modifiée, exerce illégalement la profession d'expert-comptable celui qui, sans être inscrit au tableau de l'ordre, exécute habituellement, en son propre nom et sous sa responsabilité, des travaux prévus par les deux premiers alinéas de l'article 2 de ladite ordonnance, ou qui assure la direction suivie de ces travaux, en intervenant directement dans la tenue, la vérification, l'appréciation ou le redressement des comptes ; que cette incrimination, en ce qu'elle vise l'exécution de travaux « en son propre nom et sous sa responsabilité », ne s'applique pas à celui qui n'intervient qu'en qualité de sous-traitant d'un expert-comptable, sous le contrôle et la responsabilité de celui-ci, et sans être lié contractuellement au client au profit duquel les travaux sont effectués ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la société [1], prise en la personne de Mme [W], intervenait comme sous-traitant de la société [3], laquelle était inscrite au tableau de l'ordre des experts-comptables ; qu'en déclarant néanmoins Mme [W] et la société [1] coupables d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, au motif erroné que les travaux relevant des deux premiers alinéas de l'article 2 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 modifiée ne pourraient être sous-traités qu'à des personnes ayant elles-mêmes la qualité d'expert-comptable, la cour d'appel a violé les articles 2 et 20 de cette ordonnance, ensemble les articles 111-4 du code pénal et 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 modifiée ;
2°/ que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que l'exécution de travaux « en son propre nom et sous sa responsabilité », en tant qu'élément constitutif du délit d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, suppose l'existence d'un lien contractuel direct avec le client au profit duquel les travaux sont effectués ; qu'il suit de là que le sous-traitant, qui n'est engagé que par le sous-traité conclu avec l'expert-comptable et non par le contrat liant l'expert-comptable au client, ne saurait être regardé comme exerçant illégalement la profession d'expert-comptable ; que la cour d'appel, pour déclarer Mme [W] coupable de ce délit, a relevé, d'une part, que son nom figurait sur les ordres de mission qu'elle recevait de la société [3], d'autre part, que la société qu'elle dirigeait, Conseils et services du Léman, était contractuellement engagée, en tant que sous-traitant, à l'égard de la société [3], donneur d'ordre, « ou de tout tiers qui viendrait à être subrogé » dans les droits de cette dernière ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser la réalisation, par Mme [W], de travaux de comptabilité exécutés « en son propre nom et sous sa responsabilité », au sens de l'article 20 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 modifiée, la cour d'appel a violé les articles 2 et 20 de cette ordonnance, ensemble les articles 111-4 du code pénal et 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 modifiée ;
3°/ que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que l'exécution de travaux « en son propre nom et sous sa responsabilité », en tant qu'élément constitutif du délit d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, suppose l'existence d'un lien contractuel direct avec le client au profit duquel les travaux sont effectués ; qu'il suit de là que le sous-traitant, qui n'est engagé que par le sous-traité conclu avec l'expert-comptable et non par le contrat liant l'expert-comptable au client, ne saurait être regardé comme se livrant à un exercice illégal de la profession d'expert-comptable ; que la cour d'appel, pour déclarer la société [1] coupable de ce délit, a relevé que cette société, d'une part, facturait en son propre nom à la société [3] les prestations que celle-ci lui sous-traitait, d'autre part, était contractuellement engagée, en tant que sous-traitant, à l'égard de la société [3], donneur d'ordre, « ou de tout tiers qui viendrait à être subrogé » dans les droits de cette dernière ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser la réalisation, par la société [1], de travaux de comptabilité exécutés « en son propre nom et sous sa responsabilité », au sens de l'article 20 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 modifiée, la cour d'appel a violé les articles 2 et 20 de cette ordonnance, ensemble les articles 111-4 du code pénal et 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 modifiée. »
Réponse de la Cour
9. Pour déclarer les deux prévenues coupables d'exercice illégal de la profession d'expert-comptable, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte du contrat de sous-traitance passé entre la société [3], cabinet d'expertise comptable, et la société [2], dont Mme [W] est la représentante, que la première, qualifiée de donneur d'ordre, a confié mission à la seconde, qualifiée de sous-traitant, d'exercer pour son compte des prestations comptables, telles que saisie de comptabilité et établissement des déclarations fiscales.
10. Les juges ajoutent, d'une part, que les intéressées ont effectué dans ce cadre, sous leur signature et donc en leur nom propre, des travaux relevant de l'exercice de la profession d'expert-comptable, d'autre part, que ces mêmes travaux ont été effectués sous leur responsabilité, toutes deux étant engagées contractuellement à l'égard du donneur d'ordre ou de tout tiers qui viendrait à être subrogé dans les droits de celui-ci.
11. Ils précisent que la société [3], donneur d'ordre, n'a délégué aucun expert-comptable, même par intermittence, au sein de la société sous-traitante, pour veiller au respect des dispositions légales relatives aux conditions d'exercice de cette profession.
12. Ils concluent que la situation de sous-traitance alléguée par les deux prévenues, pour justifier l'exécution habituelle de travaux relevant des deux premiers alinéas de l'article 2 de l'ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 en dépit de leur absence de qualité d'expert-comptable, est sans incidence sur la caractérisation de l'infraction.
13. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision pour les raisons suivantes.
14. En premier lieu, si les travaux définis par l'article 20 de l'ordonnance susmentionnée comme relevant du monopole des experts-comptables doivent être exécutés par leur auteur en son nom propre et sous sa responsabilité, cette exigence s'attache, non pas au rapport entre ces travaux et le client au profit duquel ils sont effectués, mais à la qualité de leur auteur direct.
15. En deuxième lieu, le sous-traitant effectue ses travaux sous sa responsabilité propre à l'égard de l'entrepreneur principal, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun.
16. En troisième lieu, la sous-traitance de travaux de comptabilité, qui n'implique pas la complète subordination du sous-traitant à l'expert-comptable, ne permet pas de garantir la transparence financière ni la bonne exécution des obligations fiscales, sociales et administratives des acteurs économiques, alors que ces objectifs justifient la prérogative exclusive d'exercice de l'expert-comptable, professionnel titulaire du diplôme afférent, qui prête serment lors de son inscription au tableau de l'ordre, se soumet à un code de déontologie et à des normes professionnelles, et qui, objet de contrôles réguliers de son activité, est en outre soumis à une obligation d'assurance civile professionnelle.
17. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.
FIXE à 2 500 euros la somme globale que les demanderesses au pourvoi devront payer au conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatre octobre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000046389208.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° K 21-84.273 F-B
5 OCTOBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 OCTOBRE 2022
M. [N] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Riom, chambre correctionnelle, en date du 23 juin 2021, qui a prononcé sur sa requête en constatation de la prescription d'une peine.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Turcey, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [N] [U], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turcey, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par arrêt définitif du 2 décembre 1998, la cour d'appel de Riom a condamné M. [N] [U], pour abus de confiance aggravés, escroqueries et faux en écriture privée, à quatre ans d'emprisonnement, 1 000 000 de francs d'amende, et cinq ans d'interdiction des droits civiques.
3. Le 30 mars 2021, il a saisi cette juridiction d'une requête en constatation de la prescription de la peine d'amende prononcée à son encontre.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en constatation de l'acquisition de la prescription de la peine d'amende d'un montant de 1 million de francs à laquelle M. [N] [U] avait été condamné par arrêt définitif de la cour d'appel de Riom du 2 décembre 1998, alors :
« 1°/ que l'article 133-3 du code pénal, dans ses dispositions en vigueur du 1er mars 1994 au 31 mars 2017 applicables au litige, dispose : « Les peines prononcées pour un délit se prescrivent par cinq années révolues à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive » ; que l'article 707 du code de procédure pénale, dans ses dispositions en vigueur du 2 mars 1959 au 1 janvier 2005 applicables au litige, précise : « Le ministère public et les parties poursuivent l'exécution de la sentence chacun en ce qui le concerne. Néanmoins, les poursuites pour le recouvrement des amendes et confiscations sont faites au nom du procureur de la République, par le percepteur » ; que ce sont ces seules dispositions qui sont applicables en l'état d'une condamnation à une peine d'amende prononcée par arrêt irrévocable de la cour d'appel de Riom du 2 décembre 1998 et que la prescription de trois ans de la peine ainsi prononcée, sauf cause interruptive de prescription, était acquise le lendemain du 8 décembre 2001 (compte tenu du délai de pourvoi en cassation à compter du prononcé), seules les causes d'interruption de droit commun de la prescription de l'époque s'appliquant et que, pour le trésorier à l'époque, la prescription ne pouvait être interrompue que par un commandement notifié au condamné ou une saisie signifiée à celui-ci mais non par l'acceptation d'un échéancier et un paiement mensuel d'une fraction de la dette ; que la cour d'appel de Riom a pourtant considéré que la prescription de la peine avait été interrompue par le paiement mensuel issu de l'échéancier qu'avait bien voulu consentir à l'époque le trésorier ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 133-3 du code pénal, dans ses dispositions en vigueur du 1er mars 1994 au 31 mars 2017 applicables au litige, et l'article 707 du code de procédure pénale, dans ses dispositions en vigueur du 2 mars 1959 au 01 janvier 2005 applicables au litige ;
2°/ que la cour d'appel, en faisant application de l'article 707-1 alinéa 5 du code de procédure pénale actuel ou même antérieur bien que ces dispositions procédurales ne pouvaient s'appliquer à une prescription acquise le 9 décembre 2001 soit avant la création de ce texte et que l'ancien article 701 ne contenait pas de dispositions comparables à l'actuel alinéa 5, a violé ledit article 707-1 alinéa 5, par fausse application. »
Réponse de la Cour
5. Pour rejeter la requête de M. [U] tendant à la constatation de la prescription de la peine d'amende prononcée à son encontre le 2 décembre 1998 par la chambre des appels correctionnels, l'arrêt attaqué relève que d'après la réponse de la direction générale des finances publiques en date du 4 février 2021, versée aux débats par l'avocat du requérant, le trésorier de [Localité 1] a accepté la mise en place d'un échéancier de paiement le 2 août 1999 et que l'intéressé a payé la somme mensuelle de 457,35 euros jusqu'en mars 2000 puis de 152,44 euros à partir du mois d'avril 2000 jusqu'au 14 janvier 2021, de sorte qu'en application de l'article 707-1, alinéa 5, du code de procédure pénale, la prescription de la peine était interrompue par le paiement mensuel issu de l'échéancier qu'a bien voulu consentir la direction des finances publiques à la demande du condamné, et que la mise en recouvrement a bien été accomplie dans les délais de la prescription, laquelle s'est trouvée interrompue mensuellement à la suite du paiement partiel de l'amende, l'échéancier dont avait bénéficié le prévenu n'étant qu'une modalité de paiement de la somme due.
6. C'est à tort que les juges ont énoncé qu'en application de l'article 707-1, alinéa 5, du code de procédure pénale, la prescription de la peine avait été interrompue par le paiement mensuel issu de l'échéancier accordé par la direction des finances publiques à la demande du condamné, alors que les dispositions de ce texte, entré en vigueur le 29 mars 2012, ne pouvaient être retenues pour écarter l'argumentation du requérant qui soutenait que la prescription était acquise avant cette date.
7. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que l'acceptation par le Trésor public d'un échéancier de paiement le 2 août 1999, puis chacun des paiements mensuels effectués par le condamné jusqu'au 14 janvier 2021, constituaient des actes d'exécution de la peine d'amende prononcée contre M. [U], qui ont interrompu la prescription de celle-ci.
8. Ainsi, le moyen doit être écarté.
9. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le cinq octobre deux mille vingt-deux.
A rapprocher :2e Civ., 16 novembre 2006, pourvoi n° 05-18.287, Bull. 2006, II, n° 322 (cassation partielle) ;Crim., 26 juin 2013, pourvoi n° 12-88.265, Bull. crim. 2013, n° 170 (rejet), et l'arrêt cité.Sur l'interruption de la prescription d'une dette fiscale par la reconnaissance de la dette, Cf. :CE, 30 juin 2000, n° 177930, publié au Recueil Lebon.
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CASS/JURITEXT000046480709.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° M 21-86.965 F-B
18 OCTOBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 OCTOBRE 2022
M. [H] [W] et la société [1] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, chambre correctionnelle, en date du 10 novembre 2021, qui, pour infraction au code de l'environnement, a condamné le premier à 15 000 euros d'amende dont 5 000 euros avec sursis, la seconde à 650 000 euros d'amende, a ordonné le remise en état des lieux sous astreinte et une mesure de publication, et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [H] [W] et de la société [1], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société [1], qui a pour objet social la construction, l'exploitation et la gestion de réseaux de transport de gaz, a construit un gazoduc d'une longueur de plus de 300 kilomètres, mis en service le 1er novembre 2016. De nombreux travaux se sont poursuivis postérieurement jusqu'au cours du mois de novembre 2018, pour la réparation de divers défauts.
3. La réalisation de l'ouvrage a rendu nécessaire le défrichement de zones boisées et la création d'une piste de travail d'une largeur de 30 à 40 mètres selon les secteurs, afin de permettre le passage des engins de travaux publics et la pose de la conduite de gaz. Une bande dite hors sylvandi de 10 mètres de large est restée déboisée afin de permettre l'accès au gazoduc en cas de nécessité.
4. Le projet a fait l'objet des autorisations administratives nécessaires, en particulier deux arrêtés des préfets de l'Aube et de la Haute-Marne, respectivement en date des 21 mai et 12 juin 2014, qui ont dérogé à l'article L. 411-1 du code de l'environnement et autorisé, sur le fondement de l'article L. 411-2 du même code, jusqu'au 31 décembre 2017, la destruction, l'altération ou la dégradation d'aires de repos ou sites de reproduction d'espèces animales protégées sous réserve de la mise en oeuvre de mesures définies dans le dossier prévu à cet effet.
5. Un procès-verbal de l'[2] ([2]) du 27 novembre 2019, a relevé que, plus de deux ans après le délai imparti par les arrêtés préfectoraux, les zones déboisées n'avaient pas été remises en état sur une superficie de 40,6 hectares. Un contrôle réalisé notamment le 11 mars 2020 a confirmé ces constatations.
6. La société [1] et M. [H] [W], qu'elle emploie comme directeur de projet, ont été cités devant le tribunal correctionnel pour avoir, dans diverses communes énumérées dans la prévention, entre le 1er janvier 2018 et le 11 mars 2020, porté atteinte à la conservation d'habitats naturels, en l'espèce en détruisant 40,6 hectares d'arbres hors bande non sylvandi et en ne les reboisant pas à l'issue des travaux, en violation des prescriptions prévues par les arrêtés préfectoraux de dérogation.
7. Les juges du premier degré les ont déclarés coupables et ont prononcé sur les intérêts civils.
8. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et sixième branches, et le troisième moyen, pris en sa seconde branche
9. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen, pris en ses première et cinquième branches
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt confirmatif attaqué en ce qu'il a déclaré la société [1] et M. [W] coupables d'avoir, entre le 1er janvier 2018 et le 11 mars 2020, porté atteinte à la conservation d'habitats naturels d'espèces animales protégées au titre de l'article L. 411 1 du code de l'environnement, en l'espèce en détruisant 40,6 hectares d'arbres hors bande non sylvandi et en ne les reboisant pas à l'issue des travaux, alors :
« 1°/ que la loi pénale est d'interprétation stricte et que le délit d'atteinte à la conservation d'habitats naturels est une inf raction de commission ; qu'en se fondant , pour déclarer les prévenus coupables de ce chef, sur le fait que « les travaux de remise en état dans le cadre des mesures de réduction concernant les reboisements hors bande non sylvandi n'avaient pas été mis en place » et sur la seule « absence de début d'exécution des obligations de la société [1] notamment depuis la fin des travaux du gazoduc », sans caractériser un acte positif de commission d'une atteinte à la conservation d'un habitat naturel, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-4 du code pénal et L. 415-3 du code de l'environnement ;
5°/ qu'il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ; qu'en se fondant , pour déclarer les prévenus coupables du délit d'atteinte à la conservation d'habitats naturels, sur la seule « constat[ation] que les travaux de remise en état dans le cadre des mesures de réduction concernant les reboisements hors bande non sylvandi n'avaient pas été mis en place » et sur la « négligence » des prévenus, sans caractériser l'intention de commettre le délit poursuivi, la cour d'appel a violé les articles 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 111-4, 121-3 du code pénal et L. 415 3 du code de l'environnement. »
Réponse de la Cour
11. Pour confirmer le jugement ayant déclaré les prévenus coupables, l'arrêt attaqué énonce que l'article L. 411-1, 3°, du code de l'environnement pose le principe d'une protection stricte des habitats naturels et des habitats naturels des espèces protégées en interdisant leur destruction, leur altération ou leur dégradation, mais que l'article L. 411-2 du même code prévoit la possibilité de dérogations afin de permettre la construction de projets nécessaires à l'activé humaine pour des raisons d'intérêt public majeur qu'il définit.
12. Les juges rappellent que la société prévenue a notamment obtenu des dérogations préfectorales aux interdictions, d'une part, d'enlèvement et destruction de spécimens d'espèces animales protégées, d'autre part, d'altération ou dégradation de sites de reproduction ou d'aires de repos d'espèces animales protégées, d'enlèvement et de réimplantation de spécimens d'espèces végétales protégées.
13. Ils ajoutent que cette société s'était, à ce titre, expressément engagée, pour les petits mammifères, à replanter des haies arborées, arbustives et buissonnantes et, pour les oiseaux, à créer un stock de nouveaux arbres favorables à un habitat d'accueil.
14. Ils relèvent que le terme employé dans le dossier établi pour obtenir les dérogations est celui de « plantation » et non celui de « régénération naturelle des végétaux ». Ils retiennent que les possibles échanges avec l'administration sur une régénération naturelle ne peuvent justifier l'absence de début d'exécution des obligations mises à la charge de la société, notamment depuis la fin des travaux, et qu'il résulte des contrôles réalisés entre juin 2018 et le 20 mars 2020 par les agents de l'OFB que les travaux de remise en état concernant les reboisements hors bande non sylvandi n'ont pas été réalisés.
15. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes invoqués au moyen.
16. D'une part, le délit, prévu par le 1° de l'article L. 415-3 du code de l'environnement, d'atteinte à la conservation des habitats naturels ou espèces animales non domestiques, en violation des prescriptions prévues par les règlements ou décisions individuelles pris en application de l'article L. 411-2 du même code, peut être consommé par la simple abstention de satisfaire aux dites prescriptions.
17. D'autre part, une faute d'imprudence ou négligence suffit à caractériser l'élément moral du délit.
18. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société [1] à payer une amende délictuelle de 650 000 euros et a condamné M. [W] au paiement d'une amende de 15 000 euros et dit qu'il serait sursis partiellement pour un montant de 5 000 euros à l'exécution de cette peine, alors :
« 1°/ que l'amende doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, dont ses ressources et charges ; qu'en se bornant, pour condamner la société [1] à payer une amende délictuelle de 650 000 euros, à énoncer que le « retard pris dans la réalisation des mesures de réduction [...] a[vait] eu et [...] a[vait] toujours à ce jour des conséquences graves pour les espèces protégées identifiées » et que « le préjudice écologique [était] en conséquence important », sans s'expliquer ni sur les ressources et les charges de la société prévenue, ni sur sa situation personnelle, qu'elle devait pourtant prendre en considération au regard de la gravité des faits pour fonder sa décision, la cour d'appel ne l'a pas légalement justifiée au regard des articles 132-1, 132-20 du code pénal et 485-1 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 485-1 du code de procédure pénale :
20. Selon cet article, en matière correctionnelle, le choix de la peine doit être motivé au regard des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, sauf s'il s'agit d'une peine obligatoire ou de la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction. Il en résulte que l'amende doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, dont ses ressources et charges, en se référant aux éléments qui résultent du dossier et à ceux que le juge a sollicités et recueillis lors des débats.
21. Pour porter l'amende infligée par les premiers juges à la société [1] de 500 000 euros à 650 000 euros, l'arrêt attaqué énonce, d'une part, que cette société a un casier judiciaire vierge, qu'elle assumait une mission de service public et ne pouvait se comporter avec une telle négligence vis-à-vis de questions environnementales locales et d'un enjeu majeur au regard du contexte sociétal et écologique actuels, d'autre part, que le préjudice sera apprécié en tenant compte de déboisements portant sur 40,6 hectares et du retard inacceptable pris pour les travaux de reboisement mettant d'ores et déjà en péril certaines espèces.
22. En se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur le montant des ressources et des charges de la prévenue, qui était représentée à l'audience, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
23. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
24. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné à l'encontre de la société [1] prise en la personne de son représentant légal la remise en état des lieux auxquels il a été porté atteinte et ce avant le 1er février 2022 et sous astreinte journalière de 3 000 euros à compter du 1er février 2022, alors :
« 1°/ que le délai imparti par le juge pour effectuer des travaux de remise en état ne court qu'à compter du jour où la décision, devenue définitive, est exécutoire ; qu'en ordonnant à la société [1] de remettre les lieux en état « avant le 1er février 2022 », sous astreinte à compter de cette date, quand le délai d'exécution de la remise en état ne pouvait courir avant que la condamnation soit devenue définitive, la cour d'appel, qui a méconnu l'effet suspensif du pourvoi en cassation, a violé les articles L. 173-5 du code de l'environnement, 569 et 708 du code de procédure pénale ;
2°/ que l'injonction de remise en état peut être assortie d'une astreinte journalière pour une durée d'un an au plus ; qu'en s'abstenant de limiter à une année la durée pendant laquelle l'astreinte pouvait courir, et en prononçant ainsi une astreinte perpétuelle, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé l'article L. 173-5 du code de l'environnement. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 173-5 du code de l'environnement, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits :
25. Il résulte de ce texte que, lorsqu'elle ordonne des mesures destinées à remettre en état les lieux auxquels il a été porté atteinte par les faits incriminés ou à réparer les dommages causés à l'environnement,
la juridiction correctionnelle doit impartir à l'auteur de l'infraction un délai pour y procéder, et peut assortir sa décision d'une astreinte dont elle fixe le montant et la durée dans les limites déterminées par la loi.
26. L'arrêt attaqué a ordonné à l'encontre de la société [1] la remise en état des lieux auxquels il a été porté atteinte avant le 1er février 2022, sous astreinte journalière de 3 000 euros à compter de cette date.
27. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé.
28. D'une part, le délai d'exécution de la remise en état ne peut courir avant que la condamnation soit devenue définitive.
29. D'autre part, la cour d'appel a omis de fixer la durée de l'astreinte dans la limite d'un an au plus.
30. La cassation est par conséquent de nouveau encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
31. La cassation sera limitée à la peine d'amende prononcée contre la société [1] et à la mesure de remise en état ordonnée à son encontre. Les autres dispositions seront maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Dijon, en date du 10 novembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives à la peine d'amende prononcée contre la société [1] et à la mesure de remise en état ordonnée à son encontre, toutes autres dispositions étant expressément maintenues,
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Besançon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Dijon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit octobre deux mille vingt-deux.
N1>A rapprocher :Crim., 1er juin 2010, pourvoi n° 09-87.159, Bull. crim. 2010, n° 96 (2) (rejet).
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CASS/JURITEXT000046480711.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° P 22-81.934 F-B
18 OCTOBRE 2022
CAS. PART. PAR VOIE DE RETRANCH. SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 18 OCTOBRE 2022
Le procureur général près la cour d'appel de Douai a formé un pourvoi contre l'arrêt de ladite cour d'appel, 6e chambre, en date du 1er mars 2022, qui, pour violences en récidive et conduite sans permis, a condamné M. [E] [Y] à deux ans d'emprisonnement, cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme et a ordonné la révocation d'un sursis.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [E] [Y] a été poursuivi selon la procédure de comparution immédiate pour des faits de violences en récidive et conduite sans permis.
3. Devant le tribunal correctionnel, le prévenu a soulevé une exception de nullité tirée de l'irrégularité que constituerait la retranscription de déclarations faites hors la présence de son avocat dans le procès-verbal dressé par le procureur de la République en application de l'article 393 du code de procédure pénale.
4. Le tribunal a rejeté l'exception de nullité, déclaré le prévenu coupable et prononcé diverses peines.
5. M. [Y] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen est pris de la violation des articles 393 et 591 du code de procédure pénale.
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a partiellement fait droit à l'exception de nullité présentée par le prévenu et annulé deux lignes du procès verbal de comparution devant le procureur de la République, au motif qu'il se déduit de l'article 393 du code de procédure pénale et de la décision n° 2011-125 QPC du 6 mai 2011 du Conseil constitutionnel portant sur ce texte que ce magistrat ne saurait consigner les déclarations de la personne hors la présence de son avocat sans méconnaître les droits de la défense, alors que ladite décision portait sur une rédaction ancienne du texte et que sa rédaction actuelle, issue de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, en prévoyant le droit à l'assistance d'un avocat et la notification à la personne de son droit de garder le silence, garantit suffisamment les droits de celle-ci pour permettre le recueil de ses déclarations hors la présence de son avocat.
Réponse de la Cour
Vu l'article 393 du code de procédure pénale :
8. Il résulte de ce texte, dans sa version issue de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, que le procureur de la République qui ordonne le défèrement devant lui d'une personne qu'il envisage de poursuivre en application des articles 394, 395 et 397-1-1 du même code peut, après avoir avisé l'intéressée de son droit de garder le silence et de son droit d'être assistée d'un avocat, recueillir ses observations ou procéder à son interrogatoire.
9. Pour prononcer l'annulation partielle du procès-verbal de comparution devant le procureur de la République, l'arrêt attaqué énonce que les dispositions de l'article 393 du code de procédure pénale doivent être interprétées à la lumière des principes dégagés par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2011-125 QPC du 6 mai 2011, et que le procureur de la République ne peut dès lors, sauf à méconnaître les droits de la défense, ni interroger la personne ni consigner ses déclarations hors la présence de son avocat.
10. Les juges relèvent qu'en l'espèce, le procès-verbal mentionne que M. [Y], avisé de son droit à l'assistance d'un avocat, a désigné un conseil qui a fait savoir qu'il ne serait pas présent avant l'audience devant le tribunal correctionnel puis, qu'après avoir été informé de son droit de garder le silence, l'intéressé a fait des déclarations qui ont été retranscrites.
11. Ils en déduisent que cette retranscription a causé une atteinte aux droits de la défense faisant nécessairement grief à l'intéressé.
12. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés, pour les motifs qui suivent.
13. En premier lieu, les motifs et la réserve d'interprétation énoncés par la décision précitée du Conseil constitutionnel, relatifs à une version ancienne du texte qui ne prévoyait ni droit à l'assistance par un avocat, ni notification du droit au silence, ni possibilité pour le procureur de la République de procéder à l'interrogatoire de la personne, ne sauraient s'imposer à l'interprétation des dispositions en vigueur.
14. En second lieu, aucune disposition législative ou conventionnelle n'interdit au procureur de la République, après avoir informé la personne de ses droits, d'interroger celle-ci et de retranscrire ses déclarations si elle souhaite en faire, l'absence éventuelle de l'avocat régulièrement avisé ayant pour seule conséquence l'impossibilité de fonder une condamnation sur les seules déclarations ainsi recueillies, en application de l'article préliminaire du code de procédure pénale.
15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à l'annulation partielle du procès-verbal de comparution devant le procureur de la République. Les autres dispositions seront donc maintenues.
17. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 1er mars 2022, en ses seules dispositions relatives à l'annulation partielle du procès-verbal de comparution devant le procureur de la République, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit octobre deux mille vingt-deux.
Cf. : Cons. const., 6 mai 2011, décision n° 2011-125 QPC, M. Abderrahmane L. [Défèrement devant le procureur de la République].
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N° W 21-86.652 FS-B
19 OCTOBRE 2022
IRRECEVABILITÉ
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 OCTOBRE 2022
La société [2] et la [1] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 28 octobre 2021, qui, dans la procédure suivie, notamment, contre la première, des chefs de pratiques commerciales trompeuses, escroqueries et mise sur le marché de dispositifs médicaux sans avoir obtenu de certificat CE, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire a été produit pour la [1].
Sur le rapport de Mme Planchon, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la [1], et les conclusions de M. Petitprez, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, MM. d'Huy, Wyon, Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, M. Ascensi, Mmes Fouquet, Chafaï, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Une enquête préliminaire a été diligentée des chefs susvisés sur les agissements de la société [2] qui, à compter de mars 2020, a créé et administré plusieurs sites internet destinés à la commercialisation de produits pharmaceutiques liés à la pandémie de la Covid-19.
3. Dans le cadre des investigations, les enquêteurs ont procédé à la saisie de la somme de 908 428,77 euros figurant au crédit d'un des deux comptes ouverts par la société [2] auprès de la [1] qui, postérieurement, leur a fait savoir que, par le jeu d'une convention d'unité de comptes conclue entre elle et la société [2] le 14 décembre 2015, le solde fusionné des comptes de celle-ci était en réalité débiteur de 114 985,57 euros.
4. Le juge des libertés et de la détention a ordonné le maintien de la saisie effectuée sur le compte créditeur, à hauteur de 908 428,77 euros, par une ordonnance du 31 mars 2020 dont la société [2] et la [1] ont interjeté appel.
Déchéance du pourvoi formé par la société [2]
5. La société [2] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de la déclarer déchue de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Examen de la recevabilité du pourvoi formé par la [1]
6. En vertu d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation (1re Civ., 20 avril 1983, pourvoi n° 82-10.114, Bull. 1983, I, n° 127 ; Com., 13 janvier 1987, pourvoi n° 85-13.997, Bull. 1987, IV, n° 15), les sommes inscrites sur un compte bancaire constituent dès leur versement, quelle que soit l'origine des fonds versés, une créance du titulaire du compte contre l'établissement de crédit auprès duquel est ouvert ledit compte.
7. Il en résulte que la [1], établissement détenteur du compte de la société [2], a la qualité de débiteur de cette dernière.
8. La Cour de cassation juge que le débiteur d'une créance saisie en application de l'article 706-153 du code de procédure pénale n'est pas un tiers ayant des droits sur ce bien au sens de ce texte et n'a donc pas qualité pour exercer un recours contre l'ordonnance de saisie ni pour se pourvoir en cassation (Crim., 20 novembre 2019, pourvoi n° 18-82.066, publié au Bulletin).
9. Il doit en être jugé de même à l'égard de l'établissement de crédit auprès duquel est ouvert le compte sur lequel les sommes ont été saisies en application de l'article 706-154 du code de procédure pénale.
10. Il appartient à l'établissement de crédit débiteur, lorsqu'il conteste devoir consigner la somme due auprès de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, de saisir le magistrat qui a ordonné la saisie ou le juge d'instruction en cas d'ouverture d'une information judiciaire postérieurement à la saisie, d'une requête relative à l'exécution de celle-ci sur le fondement de l'article 706-144 du code de procédure pénale.
11. Il s'ensuit que le pourvoi n'est pas recevable.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par la société [2] :
CONSTATE la déchéance du pourvoi ;
Sur le pourvoi formé par la [1] :
LE DÉCLARE IRRECEVABLE.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf octobre deux mille vingt-deux.
Le Rapporteur Le Président
Le Greffier de chambre
Com., 13 janvier 1987, pourvoi n° 85-13.997, Bull. 1987, IV, n° 15 (rejet), et l'arrêt cité ;Crim., 20 novembre 2019, pourvoi n° 18-82.066, Bull. crim. (déchéance), et l'arrêt cité.
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CASS/JURITEXT000046510310.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Mme VAISSETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 621 F-B
Pourvoi n° A 20-22.528
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 OCTOBRE 2022
1°/ La société Ipso facto, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ la société Ekip', société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [S] [I], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Ipso facto,
ont formé le pourvoi n° A 20-22.528 contre l'arrêt rendu le 6 octobre 2020 par la cour d'appel de Bordeaux (4e chambre civile), dans le litige les opposant à la société Win System International Limited, dont le siège est [Adresse 3] (Chine), défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Ipso facto et de la société Ekip', ès qualités, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Win System International Limited, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présentes Mme Vaissette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 6 octobre 2020), la société Win System International Limited (la société Win), ayant son siège social à [Adresse 4], réalise des transactions financières et des opérations de commerce transfrontières.
2. Au début de l'année 2011, elle a commandé à la société française Ipso facto différents vins bordelais destinés à l'exportation. Les deux factures, émises pour un montant total de 4 682 388 euros, ont été payées par les sociétés Wai Hing Money, Sunny Wide et Sun Sing, habilitées à cet effet.
3. Soutenant que la société Ipso facto n'avait livré qu'une partie de la commande et lui devait la somme de 2 172 000 euros, la société Win l'a assignée en paiement.
4. La société Ekip' a été désignée mandataire judiciaire par le jugement du 14 octobre 2020 ouvrant le redressement judiciaire de la société Ipso facto.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième branches
Enoncé du moyen
6. Les sociétés Ipso facto et Ekip', ès qualités, font grief à l'arrêt d'écarter l'exception de forclusion, de dire la société Win recevable en son action, de prononcer la résiliation judiciaire des contrats de vente des vins Chevalier de Lascombes 2009, pour un montant de 372 000 euros, et Château Lascombes 2009, pour un montant de 1 800 000 euros, soit au total 2 172 000 euros, de condamner la société Ipso facto à restituer à la société Win la somme de 2 172 000 euros et de condamner la société Ipso facto à verser à la société Win la somme de 200 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors :
« 2°/ que l'article 1 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 stipule que "la présente Convention s'applique aux contrats de vente de marchandises" ; qu'en retenant, pour débouter la société Ipso facto de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article 39 de la Convention de Vienne, que cette Convention n'est pas applicable au motif que "la vente de vins n'est pas constitutive d'un contrat de vente au sens de cette Convention (article 3-1)", quand le vin constitue une marchandise dont la vente internationale relève de la Convention de Vienne, la cour d'appel a violé le texte susvisé par refus d'application ;
3°/ que l'article 3.1 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 stipule que "sont réputés ventes les contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, à moins que la partie qui commande celles-ci n'ait à fournir une part essentielle des éléments matériels nécessaires à cette fabrication ou production" ; qu'en retenant, pour débouter la société Ipso facto de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article 39 de la Convention de Vienne, que cette Convention n'est pas applicable, aux motifs adoptés que la "Convention de Vienne s'applique, selon son article 3, aux contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, ce qui n'est pas le cas de la vente de bouteilles de vins de Bordeaux", quand la stipulation de l'article 3.1 a pour objet d'inclure dans le champ d'application matériel de la Convention la vente de choses futures lorsque l'acquéreur ne fournit pas l'essentiel de la matière première et non de limiter ce champ d'application aux seuls contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, la cour d'appel a violé le texte susvisé par fausse application ;
4°/ que l'article 1.1 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 stipule que "la présente Convention s'applique aux contrats de vente de marchandises entre des parties ayant leur établissement dans des États différents lorsque ces États sont des États contractants, ou lorsque les règles du droit international privé mènent à l'application de la loi d'un État contractant" ; qu'en retenant, pour débouter la société Ipso facto de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article 39 de la Convention de Vienne, que cette Convention n'est pas applicable sur le territoire de Hong Kong, tout en constatant que l'article 3 de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 désigne la loi française pour régir la vente litigieuse en tant que loi du pays où le vendeur a sa résidence habituelle, ce dont il résultait que la Convention de Vienne du 11 avril 1980, qui constitue le droit substantiel français de la vente internationale de marchandises, était applicable au litige, la cour d'appel a violé le texte susvisé par refus d'application ;
5°/ que la Convention de Vienne du 11 avril 1980 instituant un droit uniforme sur les ventes internationales de marchandises s'impose au juge français, qui doit en faire application sous réserve de son exclusion, selon l'article 6, qui s'interprète comme permettant aux parties de l'éluder tacitement, en s'abstenant de l'invoquer devant le juge français ; qu'en considérant que les parties avaient tacitement exclu l'application de la Convention de Vienne, quand les commémoratifs du jugement établissent que la société Ipso facto invoquait l'application de la Convention de Vienne dans l'instance au fond ayant abouti au jugement du tribunal de commerce de Bordeaux de l'appel duquel elle était saisie, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention de Vienne par fausse application ;
6°/ en toute hypothèse, la portée du silence des parties dont s'induirait un accord procédural doit s'apprécier au regard de l'objet du litige ; qu'en déduisant l'exclusion tacite de la Convention de Vienne par les parties de ce que la société Ipso facto n'en avait jamais fait mention dans l'instance en référé, quand le débat devant la juridiction des référés avait trait à son incompétence à raison de l'existence d'une contestation sérieuse tenant à l'absence de tout contrat conclu entre les sociétés Win System International et Sun Sing International, demanderesses en restitution d'un indu prétendu, et la société Ipso facto, de sorte que le silence gardé par cette dernière sur l'applicabilité de la Convention de Vienne ne pouvait avoir aucune portée dans l'instance au fond introduite par la seule société Win System International sur le fondement, différent de celui invoqué dans l'instance en référé, de l'inexécution partielle du même contrat dont la conclusion était auparavant déniée, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 ;
7°/ en toute hypothèse, que la portée du silence des parties dont s'induirait un accord procédural doit s'apprécier au regard de l'objet du litige ; qu'en déduisant l'exclusion tacite de la Convention de Vienne par les parties de ce que la société Ipso facto n'en avait jamais fait mention dans le cadre du litige l'opposant à la société Usa Piilii Jepen International, quand l'instance introduite à l'encontre de cette dernière par la demande de la société Ipso facto tendant à l'exécution des contrats conclus avec elle pour un montant de 17 239 869,08 euros, portait sur des contrats différents de ceux objet du présent litige opposant la société Ipso facto et la société Win System International, de sorte que le silence gardé sur l'applicabilité de la Convention de Vienne dans l'instance à l'encontre de la société Usa Piilii Jepen International était dépourvu de portée dans l'instance l'opposant à la société Win System International, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article 7.2 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de marchandises (la CVIM) que les questions concernant les matières régies par la CVIM et qui ne sont pas expressément tranchées par elle sont réglées selon les principes généraux dont elle s'inspire ou, à défaut de ces principes, conformément à la loi applicable en vertu des règles du droit international privé.
8. Selon l'article 39, 2, de la CVIM, l'acheteur est, dans tous les cas, déchu du droit de se prévaloir d'un défaut de conformité, s'il ne le dénonce pas au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle les marchandises lui ont été effectivement remises.
9. Les dispositions de la CVIM ne prévoient pas de délai de prescription ou de forclusion et ce délai de deux ans est un délai de dénonciation du défaut de conformité et non un délai pour agir. La fin de non-recevoir soulevée, au visa de ce texte, par la société Ipso facto pour cause de forclusion de l'action formée par la société Win doit être rejetée.
10. Par ces seuls motifs substitués d'office à ceux critiqués par le moyen, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, la décision attaquée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Ipso facto aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Ipso facto et Ekip', en qualité de mandataire judiciaire de la société Ipso facto, et condamne la société Ipso facto à payer à la société Win System International Limited la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Ipso facto et la société Ekip', prise en la personne de M. [I], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Ipso facto.
La société Ipso Facto et la société Ekip ès qualités font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR écarté l'exception de forclusion que la société Ipso Facto avait soulevée, d'AVOIR dit la société Win System International recevable en son action, d'AVOIR prononcé la résiliation judiciaire des contrats de vente des vins Chevalier de Lascombes 2009, pour un montant de 372 000 euros, et Château Lascombes 2009, pour un montant de 1 800 000 euros, soit au total 2 172 000 euros, d'AVOIR condamné la société Ipso Facto à restituer à la société Win System International la somme de 2 172 000 euros et d'AVOIR condamné la société Ipso Facto à verser à la société Win System International la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
1°) ALORS QUE méconnaît les exigences d'un procès équitable et statue par une apparence de motivation l'arrêt d'appel dont les motifs ne permettent pas de distinguer les moyens d'une partie du fondement de sa décision ; qu'en considérant, pour débouter la société Ipso Facto de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article 39 de la Convention de Vienne, que « l'intimée, qui explique son retard à former réclamation par le litige opposant l'appelante à la USA PIILII, soutient que la Convention de Vienne n'est pas applicable en soulignant d'une part, à juste titre que la vente de vins n'est pas constitutive d'un contrat de vente au sens de cette Convention (article 3-1) ; que d'ailleurs les parties ont tacitement exclu son application, notamment la société Ipso Facto qui n'y a jamais fait mention devant le juge des référés, ni dans le cadre du litige l'opposant à la société USA PIILII, se fondant toujours sur des textes de droit interne français », quand de tels motifs, en présentant d'un même trait les arguments de l'intimée et le raisonnement des juges sans permettre de déterminer ce qui, parmi les moyens de la société Win System International, a effectivement fait l'objet d'une approbation par les juges, font peser un doute légitime sur l'impartialité de la juridiction, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 455 et 458 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE l'article 1 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 stipule que « la présente Convention s'applique aux contrats de vente de marchandises » ; qu'en retenant, pour débouter la société Ipso Facto de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article 39 de la Convention de Vienne, que cette Convention n'est pas applicable au motif que « la vente de vins n'est pas constitutive d'un contrat de vente au sens de cette Convention (article 3-1) » (arrêt, p. 9, § 2), quand le vin constitue une marchandise dont la vente internationale relève de la Convention de Vienne, la cour d'appel a violé le texte susvisé par refus d'application ;
3°) ALORS QUE l'article 3.1 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 stipule que « sont réputés ventes les contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, à moins que la partie qui commande celles-ci n'ait à fournir une part essentielle des éléments matériels nécessaires à cette fabrication ou production » ; qu'en retenant, pour débouter la société Ipso Facto de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article 39 de la Convention de Vienne, que cette Convention n'est pas applicable, aux motifs adoptés que la « Convention de Vienne s'applique, selon son article 3, aux contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, ce qui n'est pas le cas de la vente de bouteilles de vins de Bordeaux » (jugement, p. 6, § 3), quand la stipulation de l'article 3.1 a pour objet d'inclure dans le champ d'application matériel de la Convention la vente de choses futures lorsque l'acquéreur ne fournit pas l'essentiel de la matière première et non de limiter ce champ d'application aux seuls contrats de fourniture de marchandises à fabriquer ou à produire, la cour d'appel a violé le texte susvisé par fausse application ;
4°) ALORS QUE l'article 1.1 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 stipule que « la présente Convention s'applique aux contrats de vente de marchandises entre des parties ayant leur établissement dans des États différents lorsque ces États sont des États contractants, ou lorsque les règles du droit international privé mènent à l'application de la loi d'un État contractant » ; qu'en retenant, pour débouter la société Ipso Facto de la fin de non-recevoir tirée de la forclusion prévue par l'article 39 de la Convention de Vienne, que cette Convention n'est pas applicable sur le territoire de Hong Kong, tout en constatant que l'article 3 de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 désigne la loi française pour régir la vente litigieuse en tant que loi du pays où le vendeur a sa résidence habituelle (arrêt, p. 10, § 1), ce dont il résultait que la Convention de Vienne du 11 avril 1980, qui constitue le droit substantiel français de la vente internationale de marchandises, était applicable au litige, la cour d'appel a violé le texte susvisé par refus d'application ;
5°) ALORS QUE la Convention de Vienne du 11 avril 1980 instituant un droit uniforme sur les ventes internationales de marchandises s'impose au juge français, qui doit en faire application sous réserve de son exclusion, selon l'article 6, qui s'interprète comme permettant aux parties de l'éluder tacitement, en s'abstenant de l'invoquer devant le juge français ; qu'en considérant que les parties avaient tacitement exclu l'application de la Convention de Vienne, quand les commémoratifs du jugement (p. 4) établissent que la société Ipso Facto invoquait l'application de la Convention de Vienne dans l'instance au fond ayant abouti au jugement du tribunal de commerce de Bordeaux de l'appel duquel elle était saisie, la cour d'appel violé l'article 6 de la Convention de Vienne par fausse application ;
6°) ALORS QU'en toute hypothèse, la portée du silence des parties dont s'induirait un accord procédural doit s'apprécier au regard de l'objet du litige ; qu'en déduisant l'exclusion tacite de la Convention de Vienne par les parties de ce que la société Ipso Facto n'en avait jamais fait mention dans l'instance en référé, quand le débat devant la juridiction des référés avait trait à son incompétence à raison de l'existence d'une contestation sérieuse tenant à l'absence de tout contrat conclu entre les sociétés Win System International et Sun Sing International, demanderesses en restitution d'un indu prétendu, et la société Ipso Facto, de sorte que le silence gardé par cette dernière sur l'applicabilité de la Convention de Vienne ne pouvait avoir aucune portée dans l'instance au fond introduite par la seule société Win System International sur le fondement, différent de celui invoqué dans l'instance en référé, de l'inexécution partielle du même contrat dont la conclusion était auparavant déniée, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 ;
7°) ALORS QU'en toute hypothèse, la portée du silence des parties dont s'induirait un accord procédural doit s'apprécier au regard de l'objet du litige ; qu'en déduisant l'exclusion tacite de la Convention de Vienne par les parties de ce que la société Ipso Facto n'en avait jamais fait mention dans le cadre du litige l'opposant à la société Usa Piilii Jepen International, quand l'instance introduite à l'encontre de cette dernière par la demande de la société Ipso Facto tendant à l'exécution des contrats conclus avec elle pour un montant de 17 239 869,08 euros, portait sur des contrats différents de ceux objet du présent litige opposant la société Ipso Facto et la société Win System International, de sorte que le silence gardé sur l'applicabilité de la Convention de Vienne dans l'instance à l'encontre de la société Usa Piilii Jepen International était dépourvu de portée dans l'instance l'opposant à la société Win System International, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980.
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CASS/JURITEXT000046510302.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle
Mme BÉLAVAL, conseiller le plus ancien
non empêché, faisant fonction de président
Arrêt n° 619 F-B
Pourvoi n° M 21-15.619
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 OCTOBRE 2022
La société Caisse de Crédit mutuel Saint-Étienne Bellevue, société civile coopérative, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° M 21-15.619 contre l'arrêt rendu le 25 février 2021 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MJ synergie - mandataires judiciaires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Office notarial des comtés du Forez, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la société [J] et associés - mandataires judiciaires, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
4°/ à M. [K] [J], domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vaissette, conseiller doyen, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Caisse de Crédit mutuel Saint-Étienne Bellevue, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société MJ synergie - mandataires judiciaires, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société [J] et associés - mandataires judiciaires et de M. [J], et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents Mme Bélaval, conseiller le plus ancien non empêché, faisant fonction de président, Mme Vaissette, conseiller doyen rapporteur, M. Riffaud, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 25 février 2021), M. [G] a été mis en redressement judiciaire par un jugement du 13 novembre 2013 qui a désigné la Selarl MJ synergie, représentée par M. [J], en qualité de mandataire judiciaire. La créance de la Caisse de Crédit mutuel Saint-Etienne Bellevue (la banque) a été admise au passif à titre privilégié à concurrence de 306 572,05 euros.
2. Pendant la période d'observation du redressement judiciaire, plusieurs terrains grevés par des inscriptions d'hypothèques et de privilège de prêteur de deniers de la banque ont été vendus et la SCP [N] [H], notaire ayant reçu les actes, a remis l'intégralité des prix de vente, soit 117 758,11 euros, à la société MJ synergie représentée par M. [J], par des virements des 4 septembre et 7 novembre 2014. Les demandes réitérées de la banque auprès du mandataire judiciaire pour obtenir le versement des sommes provenant des ventes de parcelles n'ont pas abouti, le mandataire judiciaire indiquant avoir remis les sommes en cause au débiteur.
3. Estimant que la responsabilité du mandataire judiciaire était engagée, la banque a, par un acte du 19 octobre 2016, assigné la Selarl MJ synergie, représentée par M. [J], en paiement de la somme de 117 758,11 euros outre intérêts.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action en responsabilité en tant que dirigée contre la société MJ synergie, représentée par M. [J], alors « que le mandataire judiciaire exerçant au sein d'une société exerce les fonctions de mandataire judiciaire au nom de la société et ne peut plus exercer à titre individuel, de sorte qu'en cas de faute commise par le mandataire dans l'exercice de ses fonctions, l'action en responsabilité est recevable contre la société ; qu'en l'espèce, en jugeant au contraire que l'action en responsabilité introduite par la Caisse de Crédit mutuel à raison des fautes commises par M. [J], mandataire associé de la Selarl MJ synergie, ne pouvait être dirigée que contre M. [J] personnellement et non contre la Selarl MJ synergie, la cour d'appel a violé les articles R. 814-83 à R. 814-86 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La société [J] et associés - mandataires judiciaires et M. [J] contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau dès lors que la banque ne s'est pas prévalue devant la cour d'appel des dispositions des articles R. 814-83 à R. 814-86 du code de commerce et qu'il n'est pas de pur droit en ce qu'il repose sur le présupposé d'une faute commise par le mandataire dans l'exercice de ses fonctions qui n'a pas été constatée par l'arrêt.
6. Cependant, le moyen, qui soutient la recevabilité de l'action en responsabilité introduite contre la société MJ synergie, à raison de l'allégation d'une faute de M. [J] dans l'exécution de sa mission, ne se réfère à aucun fait qui ne résulterait pas des énonciations de l'arrêt.
7. Le moyen, de pur droit, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles R. 814-83, R. 814-84, R. 814-85, alinéa 2, et R. 814-86 du code de commerce :
8. Selon le premier de ces textes, lorsque le tribunal nomme une société en qualité de mandataire judiciaire, il désigne en son sein un ou plusieurs associés exerçant l'activité de mandataire judiciaire pour la représenter dans l'exercice du mandat qui lui est confié.
Il résulte des textes visés ensuite que l'associé d'une société de mandataires judiciaires, qui exerce ses fonctions au nom de la société, ne peut plus exercer sa profession à titre individuel et doit consacrer à la société toute son activité professionnelle.
9. Pour déclarer irrecevable l'action en responsabilité dirigée contre la société MJ synergie, représentée par M. [J], l'arrêt retient que le mandataire judiciaire qui exerce son activité sous une forme sociale doit, si sa responsabilité est recherchée, être assigné personnellement, en tant que répondant sur son patrimoine des conséquences de ses fautes personnelles et que toute action initiée par voie d'assignation contre la société civile professionnelle dont il fait partie est irrecevable.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté qu'à la date de la délivrance de l'assignation, la société MJ synergie, représentée par M. [J], était la titulaire du mandat judiciaire, de sorte que l'action en responsabilité, à raison des fautes reprochées dans l'exécution de la mission de mandataire judiciaire, était recevable contre cette société, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'infirmant le jugement, il déclare irrecevable l'action en responsabilité de la société Caisse de Crédit mutuel Saint-Etienne Bellevue, en tant que dirigée à l'encontre de la société MJ synergie, représentée par M. [J], la condamne au paiement d'une indemnité de procédure de 1 000 euros à la société MJ synergie, à la société [J] et associés - mandataires judiciaires et à M. [J] et aux dépens, et la déboute de sa réclamation fondée sur l'article 700 du code de procédure civile y compris en appel, l'arrêt rendu le 25 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne la société MJ synergie aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société [J] et associés - mandataires judiciaires à payer à la société Caisse de Crédit mutuel Saint-Etienne Bellevue la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société Caisse de Crédit mutuel Saint-Étienne Bellevue.
La Caisse de Crédit Mutuel de Saint-Etienne Bellevue fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré son action en responsabilité irrecevable en tant que dirigée à l'encontre de la SELARL MJ Synergie, représentée par maître [J] ;
1°) Alors que le mandataire judiciaire exerçant au sein d'une société exerce les fonctions de mandataire judiciaire au nom de la société et ne peut plus exercer à titre individuel, de sorte qu'en cas de faute commise par le mandataire dans l'exercice de ses fonctions, l'action en responsabilité est recevable contre la société ; qu'en l'espèce, en jugeant au contraire que l'action en responsabilité introduite par la Caisse de Crédit Mutuel à raison des fautes commises par maître [J], mandataire associé de la SELARL MJ Synergie, ne pouvait être dirigée que contre maître [J] personnellement et non contre la SELARL MJ Synergie, la cour d'appel a violé les articles R. 814-83 à R. 814-86 du code de commerce ;
2°) Alors que dans une société d'exercice libéral, la société est solidairement responsable avec ses associés des conséquences dommageables de leurs actes ; qu'il en résulte qu'en cas de faute d'un associé, l'action en responsabilité est recevable contre la société ; qu'en l'espèce, en jugeant au contraire que l'action en responsabilité introduite par la Caisse de Crédit Mutuel à raison des fautes commises par maître [J], mandataire associé de la SELARL MJ Synergie, ne pouvait être dirigée que contre maître [J] personnellement et non contre la SELARL MJ Synergie, la cour d'appel a violé l'article 16 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990.
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CASS/JURITEXT000046510499.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 759 F-B
Pourvoi n° S 21-15.026
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 27 OCTOBRE 2022
La société Lyonnaise de banque, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-15.026 contre l'arrêt rendu le 11 février 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [X] [W], domicilié [Adresse 1], pris en qualité de mandataire liquidateur de la société Travere Industries,
2°/ à la société Travere Industries, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la société Rioux, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité de mandataire liquidateur de la société Travere Industries,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Lyonnaise de banque, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 février 2021), la société Lyonnaise de banque (la banque) a consenti à la société Travere Industries (la société Travere) un prêt professionnel.
2. Les 3 novembre 2008 et 23 janvier 2011, la société Travere a été successivement mise en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire, M. [W] et la société Rioux étant désignés co-liquidateurs. La banque a procédé, au titre du prêt, à deux déclarations de créance successives, que la société Travere a contestées. Par une ordonnance du 15 octobre 2012, le juge-commissaire a admis la créance. Par un arrêt du 11 juin 2015, la cour d'appel a infirmé cette ordonnance, dit que le juge-commissaire était dépourvu de pouvoir juridictionnel pour trancher la contestation qui opposait les parties, sursis à statuer sur l'ensemble des demandes jusqu'à la décision définitive de la juridiction compétente et ouvert aux parties un délai d'un mois pour saisir la juridiction compétente à peine de forclusion.
3. La banque a assigné la société Travere et les liquidateurs devant le tribunal pour trancher la contestation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de dire que les déclarations de créance sont irrégulières et de rejeter ses demandes, alors « que sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet de la créance, ainsi que pour apprécier la régularité de la déclaration de créance ; que par conséquent, le juge-commissaire qui, constatant l'existence d'une contestation ne relevant pas de son pouvoir juridictionnel, renvoie les parties à mieux se pourvoir et à saisir le juge compétent, reste compétent, une fois la contestation tranchée ou la forclusion acquise pour statuer sur la créance en l'admettant ou en la rejetant ; qu'en l'espèce, le juge-commissaire par ordonnance du 9 octobre 2012, constatant que la banque justifiait de la régularité de sa déclaration et du quantum de sa créance, a prononcé l'admission de celle-ci au passif de la procédure collective ouverte contre la société Travère Industries ; que par arrêt infirmatif du 11 juin 2015, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, constatant que le juge-commissaire est dépourvu de pouvoir juridictionnel pour trancher la contestation opposant les parties, a sursis à statuer sur l'ensemble des demandes jusqu'à la décision définitive de la juridiction compétente et a invité les parties à saisir le juge compétent dans le délai d'un mois, à peine de forclusion ; que saisi par la banque, le tribunal de commerce de Toulon, par jugement du 26 juin 2017 a fixé la créance de celle-ci au passif de la liquidation judiciaire de la débitrice ; que la cour d'appel d'Aix-en-Provence ne pouvait décider que les déclarations de la banque étaient irrégulières et débouter celle-ci de toutes ses demandes ; qu'en statuant ainsi quand il lui appartenait de relever d'office son pouvoir juridictionnel pour statuer sur la régularité des déclarations de créances de la banque, la cour d'appel, qui a commis un excès de pouvoir, a violé l'article L 624-2 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, ensemble l'article 125 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 12 mars 2014 :
5. Il résulte de ce texte que lorsque le juge-commissaire constate qu'une contestation de créance ne relève pas de son pouvoir juridictionnel, sursoit à statuer sur l'admission de la créance et invite les parties à saisir le juge compétent sur cette contestation, ou lorsque, s'estimant incompétent pour trancher la contestation, il renvoie les parties à saisir le juge compétent, le juge-commissaire demeure seul compétent pour statuer sur la régularité de la déclaration de créance et admettre ou rejeter la créance.
6. Pour dire que les déclarations de créance sont irrégulières et rejeter les demandes de la banque, l'arrêt retient qu'il n'est pas justifié que le signataire des déclarations successives avait reçu délégation de pouvoir d'ester en justice de la part du représentant légal de la banque ou d'un délégataire ayant reçu lui-même le pouvoir de subdéléguer.
7. En statuant ainsi, alors que la cour d'appel, statuant par son arrêt du 11 juin 2015 avec les pouvoirs du juge-commissaire, était seule compétente pour statuer sur la régularité de la déclaration de créance, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs de juge compétent pour trancher la contestation sérieuse, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Travere Industries, M. [W] et la société Rioux, ces derniers en leur qualité de liquidateurs de la société Travere Industries, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lyonnaise de banque ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la société Lyonnaise de banque.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Lyonnaise de Banque fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué.
D'AVOIR dit que les déclarations de la banque sont irrégulières et de l'AVOIR déboutée de toutes ses demandes.
ALORS QUE sauf constat de l'existence d'une instance en cours, le juge-commissaire a une compétence exclusive pour décider de l'admission ou du rejet de la créance, ainsi que pour apprécier la régularité de la déclaration de créance ; que par conséquent, le juge-commissaire qui, constatant l'existence d'une contestation ne relevant pas de son pouvoir juridictionnel, renvoie les parties à mieux se pourvoir et à saisir le juge compétent, reste compétent, une fois la contestation tranchée ou la forclusion acquise pour statuer sur la créance en l'admettant ou en la rejetant ; qu'en l'espèce, le juge-commissaire par ordonnance du 9 octobre 2012, constatant que la banque justifiait de la régularité de sa déclaration et du quantum de sa créance, a prononcé l'admission de celle-ci au passif de la procédure collective ouverte contre la société Travère Industries ; que par arrêt infirmatif du 11 juin 2015, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, constatant que le juge-commissaire est dépourvu de pouvoir juridictionnel pour trancher la contestation opposant les parties, a sursis à statuer sur l'ensemble des demandes jusqu'à la décision définitive de la juridiction compétente et a invité les parties à saisir le juge compétent dans le délai d'un mois ,à peine de forclusion ; que saisi par la banque, le tribunal de commerce de Toulon, par jugement du 26 juin 2017 a fixé la créance de celle-ci au passif de la liquidation judiciaire de la débitrice ; que la cour d'appel d'Aix-en-Provence ne pouvait décider que les déclarations de la banque étaient irrégulières et débouter celle-ci de toutes ses demandes ; qu'en statuant ainsi quand il lui appartenait de relever d'office son pouvoir juridictionnel pour statuer sur la régularité des déclarations de créances de la banque, la cour d'appel, qui a commis un excès de pouvoir, a violé l'article L 624-2 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005, ensemble l'article 125 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
La société Lyonnaise de Banque fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué
D'AVOIR dit que les déclarations de la banque sont irrégulières et de l'AVOIR déboutée de toutes ses demandes.
ALORS D'UNE PART QU' aucune pièce justificative ne doit être exigée à l'appui de l'expédition de l'acte authentique en ce qui concerne les énonciations établissant l'état, la capacité et la qualité de parties lorsque ces énonciations sont certifiées exactes dans l'acte par le notaire ; et que l'analyse certifiée du notaire suffit à établir la capacité juridique dont dispose son auteur pour accomplir l'acte concerné ; que pour juger irrégulières les déclarations de créance de la Société Lyonnaise de Banque au passif de la procédure collective ouverte contre la société Travère Industries, l'arrêt retient qu'à cette déclaration du 18 novembre 2008 est jointe une attestation notariée du 23 janvier 2006 de Me [U] notaire [?]attestant que la Lyonnaise de Banque, représentée par M. [C], directeur général adjoint a donné à M. [S] qui exerce les fonctions de chargé de procuration-contentieux les pouvoirs indiqués au verso ; qu'il est indiqué dans cette attestation que M. [C] a reçu pouvoirs de M. [B], président directeur général ; [?] mais que cette attestation notariée ne permet pas à la cour de vérifier que M. [C] avait bien reçu délégation de pouvoir d'ester en justice[?] et qu'il pouvait subdéléguer cette prérogative à M. [S] ; qu'en se déterminant ainsi quand la mention portée au bas de l'attestation du 23 janvier 2006 selon laquelle le notaire certifiait la qualité et la capacité de M. [C] incluait nécessairement sa capacité juridique à ester en justice et à déclarer les créances, ainsi qu'à subdéléguer ses pouvoirs, la cour d'appel a violé l'article 2158 ancien du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006.
ALORS D'AUTRE PART QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les documents qui leur sont soumis ; et que constitue une dénaturation par omission le fait de tenir pour inexistante une pièce versée aux débats ; que pour juger que les déclarations de créance de la banque sont irrégulières, l'arrêt retient que l'absence de signature des intéressés et notamment de M. [S] (sur l'attestation notariée du 23 janvier 2006) et de tout autre document ne permet pas de vérifier qu'il est bien le signataire de la déclaration de créance du 18 novembre 2008 ; qu'en statuant ainsi sans prendre en considération et sans analyser les spécimens de signature de M. [S] accompagnés d'une copie de sa carte d'identité versés aux débats par la banque (pièce n° 17) pour les comparer à celle portée sur la déclaration sous le nom de M. [S], la cour d'appel a dénaturé ces documents.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (très subsidiaire)
La société Lyonnaise de Banque fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué
D'AVOIR dit que les déclarations de la banque sont irrégulières et de l'AVOIR déboutée de toutes ses demandes.
ALORS QUE le juge ne peut méconnaitre l'objet du litige dont il est saisi ; que pour juger irrégulières les déclarations de créance (sic) de la banque, la cour d'appel retient qu'il n'est pas démontré que la seconde déclaration de créance datée du 18 janvier 2011 a été effectuée par un employé de la Lyonnaise de Banque ayant reçu délégation de pouvoir d'y procéder ; qu'en statuant ainsi quand dans le dispositif de ses conclusions, la débitrice se bornait à solliciter le rejet de la créance déclarée par la banque pour irrégularité de la déclaration des créances, laquelle se rapportait exclusivement à la déclaration initiale effectuée le 18 novembre 2008, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile.
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CASS/JURITEXT000046510281.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 616 FS-B
Pourvoi n° D 20-22.416
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 OCTOBRE 2022
La société Findi Real Estate, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° D 20-22.416 contre l'arrêt rendu le 3 novembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société [O] [N], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], en la personne de M. [O] [N], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Findi Real Estate,
2°/ à la société Citibank Europe PLC, dont le siège est [Adresse 1] (Irlande), venant aux droits de la société Citibank International Limited,
défenderesses à la cassation.
La société Citibank Europe PLC a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de la société Findi Real Estate, de Me Laurent Goldman, avocat de la société Citibank Europe PLC, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société [O] [N], en la personne de M. [O] [N], ès qualités, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, MM. Bedouet, Alt, conseillers, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 novembre 2020), la SCI Le Sevine (la SCI) a été créée en 2000 pour l'achat d'un terrain en vue de la construction d'un immeuble. Les sociétés Findi Real Estate (la société Findi) et France Invest Real Estate (la société Fire) ont été constituées afin d'acquérir les parts sociales de la société mère de la SCI, la société Barbanniers.
2. Le 12 juillet 2006, la société Citibank International PLC, aux droits de laquelle vient la société Citibank Europe PLC (la société Citibank), a consenti un prêt à la société Findi d'un montant principal de 61 900 000 euros, remboursable in fine le 16 juillet 2011. Le même jour, la société Findi a consenti à la SCI un prêt de 41 958 999,69 euros afin de refinancer son compte courant d'associé et a cédé à la société Fire la totalité des parts sociales qu'elle venait d'acquérir et la créance de refinancement détenue à l'égard de la SCI ainsi que les garanties les accompagnant. Une partie du prix de cession a été stipulée payable à la date d'échéance finale du prêt Citibank.
3. Le 26 juin 2007, la société Citibank a cédé par voie de titrisation sa créance au titre du prêt consenti à la société Findi le 12 juillet 2006 au fonds commun de créance Europrop, devenu FCT Europrop (le FCT), ainsi que l'intégralité des sûretés et privilèges attachés à cette créance.
4. Par un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 12 juillet 2011, publié au Bodacc le 27 juillet suivant, la société Findi a été mise en procédure de sauvegarde, la société [O] [N] étant désignée mandataire judiciaire. Un plan de sauvegarde a été arrêté le 28 juin 2012 dont la durée a été prolongée jusqu'au 28 juin 2020.
5. Le 26 septembre 2011, le FCT a déclaré au passif de la société Findi une créance privilégiée de 61 900 000 euros en principal, outre intérêts, au titre du prêt. Puis, le 18 novembre 2011, le FCT a assigné la société Citibank aux fins de résolution du contrat de cession du prêt à son profit et de réparation du préjudice subi. Un arrêt du 6 février 2019 a prononcé la résolution judiciaire de l'acte de cession de créances et des annexes conclu entre la société Citibank et le FCT.
6. Le 25 novembre 2011, la société Citibank a également déclaré au passif de la société Findi une créance « éventuelle » identique à celle déclarée par le FCT, qui a été contestée.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
7. La société Findi fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la déclaration de créance par la société Citibank et d'admettre la créance principale à hauteur de 61 900 000 euros, alors :
« 1°/ que lorsqu'une procédure collective est ouverte par une juridiction qui a son siège sur le territoire de la France métropolitaine, le délai de déclaration des créances est augmenté exceptionnellement de deux mois pour les créanciers qui ne demeurent pas sur ce territoire ; que le lieu où demeure une société est la France si celle-ci y dispose d'un établissement ayant une activité en lien avec le litige ; qu'en l'espèce, en jugeant que l'allongement du délai de déclaration de créances est déterminé par le lieu du seul siège social de la société Citibank où se trouvent les organes habilités à la représenter en justice et donc à déclarer les créances ou à déléguer ce pouvoir, pour en déduire que cette société devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration, tout en constatant que "la référence de l'article R. 622-24 du code de commerce à la demeure du créancier se comprend au regard de l'article 43 du code de procédure civile, selon lequel le lieu où demeure une personne morale s'entend du lieu où celle-ci est établie", la cour d'appel a violé l'article R. 622-24 du code de commerce ;
2°/ qu'en jugeant que, demeurant hors le territoire de la France métropolitaine, la société Citibank devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration, lorsqu'elle relevait que les négociations ayant abouti au prêt litigieux objet de la déclaration de créances avaient été menées par le préposé d'un établissement de la société Citibank situé à [Localité 7], lequel avait par ailleurs reçu le pouvoir de signer le contrat de prêt et d'accomplir les actes d'exécution de celui-ci, sans en conclure que la société Citibank disposait en France métropolitaine d'un établissement autonome ayant une activité en lien avec le litige, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et a violé l'article R. 622-24 du code de commerce ;
3°/ qu'en retenant que la preuve n'est pas rapportée que le préposé de la succursale parisienne de la société Citibank global markets limited était également le préposé de la succursale française de la société Citibank International PLC, pour en déduire que la société Citibank devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration, lorsqu'elle constatait qu'en plus d'être situées à la même adresse à [Localité 7], ces deux succursales appartiennent au groupe Citibank, de sorte que le seul constat tiré d'un pouvoir de négociation, de signature et d'exécution du prêt confié à l'un de leur préposé suffisait à retenir que la société Citibank disposait en France métropolitaine d'un établissement autonome ayant une activité en lien avec le litige ;
4°/ que l'allongement du délai de déclaration de créances prévu par l'alinéa 2e de l'article R. 622-24 du code de commerce édicte un régime dérogatoire au délai de droit commun dont la seule finalité est de compenser au profit du créancier demeurant hors de la France métropolitaine la contrainte résultant de l'éloignement ; qu'en l'espèce, en jugeant cet article applicable au bénéfice de la société Citibank, lorsqu'elle constatait que si celle-ci a procédé à une déclaration de créances le 25 novembre 2011, c'est "compte tenu de la remise en cause de l'opération par le FCT", ce dont il s'inférait que le délai de distance n'a pas été invoqué par la société Citibank conformément à sa finalité, la cour d'appel a violé l'article R. 622-24 du code de commerce ;
5°/ qu'en tout état de cause, en retenant que la société Citibank a procédé à une déclaration de créances le 25 novembre 2011 "compte tenu de la remise en cause de l'opération par le FCT" et que le délai de distance permet au créancier ne demeurant pas sur le territoire de la France métropolitaine de surmonter les difficultés liées à la langue et à la connaissance du droit français, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires et violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6°/ qu'en tout état de cause, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article R. 622-24 du code de commerce en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était pourtant invitée si, en tant qu'elle était chargée légalement de la gestion et du recouvrement du prêt litigieux sur le territoire de la France métropolitaine, qu'elle connaissait les difficultés de la société Findi Real Estate et qu'elle était informée dès son ouverture de l'existence de la procédure de sauvegarde, la société Citibank suivait attentivement le sort de sa société débitrice, dont elle était particulièrement proche, de sorte que la cour d'appel en aurait déduit qu'elle n'a souffert d'aucun éloignement qui l'aurait empêché de déclarer sa créance dans le délai de droit commun de deux mois ;
7°/ qu'en ne répondant pas au moyen péremptoire tiré de ce que l'octroi d'un délai de distance à la société Citibank conduirait à reconnaître l'existence de deux délais de déclaration distincts pour une seule et même personne, et ce dans la mesure où la société Citibank était légalement en charge du recouvrement du Prêt CITI pour le compte du FCT EUROPROP, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. Après avoir constaté qu'il n'était pas contesté, d'une part, que la société Citibank était une société de droit anglais qui avait son siège social et son principal établissement à [Localité 6] tant lors de la conclusion du contrat, le 12 juillet 2006, que lors de la déclaration de créance, le 25 novembre 2011, d'autre part, qu'elle disposait également d'un établissement situé à [Localité 7], l'arrêt relève, d'abord, que l'offre de prêt, rédigée en anglais, a été signée par Mme [A], managing director de la société Citibank, que le prêt a été accordé par cette société anglaise « agissant par l'intermédiaire de sa succursale de [Localité 6] représentée par M. [U] [H] et Mme [T] [W], dûment habilités », que le contrat de prêt stipule que toutes les communications relatives aux accords de financement devaient être réalisées pour la société Citibank à son adresse de [Localité 6] en la personne de M. [B] [D], et retient que l'accord du comité de crédit, à l'en-tête Citigroup, rédigé en anglais, montre que si M. [K] était le sponsoring officer, en revanche, l'Originating unit, l'Approving unit et l'Administrative agent bank étaient « [Localité 6] Sec Europe », que les notifications d'intérêts du prêt ont été émises le 18 septembre 2006 par M. [B] [D], que les mails échangés courant avril, mai et juin 2011 entre DTZ Investors pour la société Findi et la société Citibank, aux fins d'obtention d'une prorogation d'un an de l'échéance du prêt, ont été adressés en anglais à M. [B] [D], et que la notification du défaut de remboursement du prêt a été adressée à la société Findi par la société Citibank, depuis son adresse de [Localité 6], et signée par M. [B] [D].
9. L'arrêt relève ensuite que si les négociations ayant abouti au prêt litigieux ont été menées pour l'essentiel par M. [K] « Director - Real estate finance, Citigroup global markets limited, a member of Citigroup,[Adresse 2] », qui avait reçu les 8 mai et 29 juin 2006 le pouvoir de signer le contrat de prêt et d'accomplir les actes d'exécution de celui-ci, et ce, jusqu'au 31 juillet 2006, son bloc de signature indique qu'il était un préposé de la succursale française de la société Citibank Global Markets Limited, dont l'adresse, figurant sur le Kbis, était également au [Adresse 2]. L'arrêt retient que la preuve n'est pas rapportée qu'il était également le préposé de la succursale française de la société Citibank, et que, même à supposer qu'il l'eût été, cela démontrerait seulement que cet établissement n'avait joui d'une certaine autonomie que pour représenter la société lors des négociations, et que la preuve n'est pas établie que les pouvoirs de MM. [H] et [K], relatifs à ce prêt, auraient été prolongés au-delà du mois de juillet 2006 ni que ceux-ci auraient eu le pouvoir d'engager la société Citibank auprès des tiers au-delà de cette date ni qu'ils auraient eu qualité pour déclarer la créance en 2011.
10. De ces constatations et appréciations, d'où il résulte qu'à la date de la publication du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, la personne de la société Citibank ayant le pouvoir de déclarer sa créance, qu'elle fût le représentant légal ou un délégataire de celui-ci, ne se trouvait pas au sein de son établissement en France mais à son siège social à l'étranger, de sorte qu'elle subissait la contrainte résultant de son éloignement, la cour d'appel a pu déduire, par un arrêt motivé et sans se contredire, que la société Citibank, créancière demeurant hors du territoire de la France métropolitaine, devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration de créance prévu à l'article R. 622-24, alinéa 2, du code de commerce, sans que la domiciliation professionnelle de M. [K] à [Localité 7], l'information qui lui avait été donnée quant à l'ouverture de la procédure collective et les arguments relatifs à l'opération distincte de titrisation comme au mandat légal de recouvrement qui lui avait été confié par le FCT, ne puissent l'en priver.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
12. La société Citibank fait grief à l'arrêt d'admettre sa créance à titre privilégié selon les sûretés au titre du prêt Citi régulières, à savoir le nantissement du solde des trois comptes bancaires ouverts par la société Findi, la délégation des sommes dues à la société Findi par la banque de couverture de taux au titre de la convention de couverture de taux et le nantissement des titres de la société Findi, alors « que dans ses conclusions d'appel, la société Citibank faisait valoir que "l'irrégularité des bordereaux Dailly ne signifie pas que les créances qui en étaient l'objet ne sont plus affectées en sûreté de la créance de Prêt Citibank", dès lors que "les cessions Dailly jugées irrégulières par la cour d'appel de Paris ont en tout état de cause dégénéré en nantissements" ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, de nature à établir que la créance déclarée par la banque était également garantie par ces nantissements et ne devait donc pas être admise à titre privilégié selon les seules sûretés décrites dans les écritures de la société Findi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
13. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
14. Pour limiter le nombre des sûretés garantissant la créance de la société Citibank, l'arrêt retient qu'à la suite de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 février 2019, la société Citibank ne peut plus bénéficier des sûretés attachées au contrat de cession annulé.
15. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la société Citibank qui soutenait que les cessions Dailly jugées irrégulières par la cour d'appel de Paris avaient dégénéré en nantissements, de sorte que cette société était bien fondée à solliciter aussi son admission à titre privilégié à cet égard, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
16. La société Citibank fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande de paiement provisionnel, alors « qu'une juridiction d'appel, saisie d'une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des prétentions nouvelles, est tenue de l'examiner d'office au regard de chacune des exceptions prévues aux articles 564 à 567 du code de procédure civile ; qu'en se bornant à relever, pour dire irrecevable la demande de paiement provisionnel formée pour la première fois à hauteur d'appel par la société Citibank, qu'elle ne tendait ni à faire écarter une prétention adverse, ni aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, sans rechercher si cette demande n'était pas née de la survenance d'un fait nouveau, tiré de la vente de l'immeuble [Adresse 5] au prix de 53 millions d'euros postérieurement à l'ordonnance du juge-commissaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 564 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 564 à 566 du code de procédure civile :
17. La cour d'appel est tenue d'examiner au regard de chacune des exceptions prévues aux textes susvisés si la demande est nouvelle. Aux termes du premier de ces textes, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
18. Pour déclarer irrecevable la demande de provision de la société Citibank, l'arrêt retient que la demande est nouvelle en cause d'appel et qu'elle ne tend ni à faire écarter une prétention adverse, l'objet du litige concernant l'admission au passif de sa créance, ni aux mêmes fins puisque l'admission d'une créance au passif se distingue des modalités de répartition de celle-ci.
19. En se déterminant ainsi, sans rechercher, au besoin d'office, si la demande de provision, qui n'avait pas été formée devant le juge-commissaire, ne se fondait pas sur la survenance de la vente de l'immeuble après l'ordonnance de ce juge frappée d'appel, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il admet la créance à titre privilégié selon les sûretés au titre du prêt Citi régulières, à savoir le nantissement du solde des trois comptes bancaires ouverts par la société Findi, la délégation des sommes dues à la société Findi par la banque de couverture de taux au titre de la convention de couverture de taux et le nantissement des titres de la société Findi, en ce qu'il déclare irrecevable la demande de paiement provisionnel formée par la société Citibank Europe PLC et en ce qu'il statue sur les dépens, l'arrêt rendu le 3 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société Findi Real Estate aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour la société Findi Real Estate.
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Findi Real Estate de sa fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la créance déclarée par la société Citibank, partant, d'avoir confirmé l'ordonnance en ce qu'elle a admis la créance principale à hauteur de 61.900.000 euros ;
1°) Alors que, d'une part, lorsqu'une procédure collective est ouverte par une juridiction qui a son siège sur le territoire de la France métropolitaine, le délai de déclaration des créances est augmenté exceptionnellement de deux mois pour les créanciers qui ne demeurent pas sur ce territoire ; que le lieu où demeure une société est la France si celle-ci y dispose d'un établissement ayant une activité en lien avec le litige ; qu'en l'espèce, en jugeant que l'allongement du délai de déclaration de créances est déterminé par le lieu du seul siège social de la société Citibank où se trouvent les organes habilités à la représenter en justice et donc à déclarer les créances ou à déléguer ce pouvoir, pour en déduire que cette société devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration, tout en constatant que « la référence de l'article R.622-24 du code de commerce à la demeure du créancier se comprend au regard de l'article 43 du code de procédure civile, selon lequel le lieu où demeure une personne morale s'entend du lieu où celle-ci est établie », la cour d'appel a violé l'article R. 622-24 du code de commerce ;
2°) Alors que, d'autre part, en jugeant que, demeurant hors le territoire de la France métropolitaine, la société Citibank devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration, lorsqu'elle relevait que les négociations ayant abouti au prêt litigieux objet de la déclaration de créances avaient été menées par le préposé d'un établissement de la société Citibank situé à [Localité 7], lequel avait par ailleurs reçu le pouvoir de signer le contrat de prêt et d'accomplir les actes d'exécution de celui-ci, sans en conclure que la société Citibank disposait en France métropolitaine d'un établissement autonome ayant une activité en lien avec le litige, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations et a violé l'article R. 622-24 du code de commerce ;
3°) Alors que, de troisième part, en retenant que la preuve n'est pas rapportée que le préposé de la succursale parisienne de la société Citibank global markets limited était également le préposé de la succursale française de la société Citibank international Plc, pour en déduire que la société Citibank devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration, lorsqu'elle constatait qu'en plus d'être situées à la même adresse à [Localité 7], ces deux succursales appartiennent au groupe Citibank, de sorte que le seul constat tiré d'un pouvoir de négociation, de signature et d'exécution du prêt confié à l'un de leur préposé suffisait à retenir que la société Citibank disposait en France métropolitaine d'un établissement autonome ayant une activité en lien avec le litige ;
4°) Alors que, de quatrième part, l'allongement du délai de déclaration de créances prévu par l'alinéa 2ème de l'article R. 622-24 du code de commerce édicte un régime dérogatoire au délai de droit commun dont la seule finalité est de compenser au profit du créancier demeurant hors de la France métropolitaine la contrainte résultant de l'éloignement ; qu'en l'espèce, en jugeant cet article applicable au bénéfice de la société Citibank, lorsqu'elle constatait que si celle-ci a procédé à une déclaration de créances le 25 novembre 2011, c'est « compte tenu de la remise en cause de l'opération par le FCT » (arrêt, p. 2), ce dont il s'inférait que le délai de distance n'a pas été invoqué par la société Citibank conformément à sa finalité, la cour d'appel a violé l'article R. 622-24 du code de commerce ;
5°) Alors que, de cinquième part, en tout état de cause, en retenant que la société Citibank a procédé à une déclaration de créances le 25 novembre 2011 « compte tenu de la remise en cause de l'opération par le FCT » (arrêt, p. 2) et que le délai de distance permet au créancier ne demeurant pas sur le territoire de la France métropolitaine de surmonter les difficultés liées à la langue et à la connaissance du droit français, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires et violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6°) Alors que, de sixième part, en tout état de cause, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article R. 622-24 du code de commerce en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était pourtant invitée (conclusions d'appel, pp. 74-76) si, en tant qu'elle était chargée légalement de la gestion et du recouvrement du prêt litigieux sur le territoire de la France métropolitaine, qu'elle connaissait les difficultés de la société Findi Real Estate et qu'elle était informée dès son ouverture de l'existence de la procédure de sauvegarde, la société Citibank suivait attentivement le sort de sa société débitrice, dont elle était particulièrement proche, de sorte que la cour d'appel en aurait déduit qu'elle n'a souffert d'aucun éloignement qui l'aurait empêché de déclarer sa créance dans le délai de droit commun de deux mois ;
7°) Alors que, de septième part, en ne répondant pas au moyen péremptoire tiré de ce que l'octroi d'un délai de distance à la société Citibank conduirait à reconnaître l'existence de deux délais de déclaration distincts pour une seule et même personne, et ce dans la mesure où la société Citibank était légalement en charge du recouvrement du Prêt CITI pour le compte du FCT EUROPROP (conclusions d'appel, pp. 72-73), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. Moyens produits au pourvoi incident par Me Laurent Goldman, avocat aux Conseils, pour la société Citibank Europe PLC.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Citibank fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir admis sa créance à titre privilégié que selon les « sûretés au titre du prêt Citi régulières, à savoir le nantissement du solde des trois comptes bancaires ouverts par Findi, la délégation des sommes dues à Findi par la banque de couverture de taux au titre de la convention de couverture de taux et le nantissement des titres de Findi » ;
1°) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, la société Citibank faisait valoir que « l'irrégularité des bordereaux Dailly ne signifie pas que les créances qui en étaient l'objet ne sont plus affectées en sûreté de la créance de Prêt Citibank », dès lors que « les cessions Dailly jugées irrégulières par la cour d'appel de Paris ont en tout état de cause dégénéré en nantissements » (p. 40, point 108) ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, de nature à établir que la créance déclarée par la banque était également garantie par ces nantissements et ne devait donc pas être admise à titre privilégié selon les seules sûretés décrites dans les écritures de la société Findi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en retenant également que la société Citibank ne contestait pas les écritures de la société Findi, en ce qu'elle prétendait que la créance de la banque ne devait être admise à titre privilégié qu'au titre des sûretés « régulières » du prêt Citi, à savoir le nantissement du solde des trois comptes bancaires ouverts par Findi, la délégation des sommes dues à Findi par la banque de couverture de taux et le nantissement des titres de Findi, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE, en tout état de cause, dans son arrêt du 6 février 2019, la cour d'appel de Paris a jugé que les cessions Dailly litigieuses étaient « irrégulières » et qu'un acte de cession Dailly « irrégulier n'est pas nul mais simplement disqualifié » ; qu'en retenant néanmoins, pour n'admettre la créance de la banque à titre privilégié que selon certaines sûretés, qu'en suite de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 février 2019, la société Citibank ne pouvait plus bénéficier des sûretés attachées au contrat de cession qui aurait été « annulé », la cour d'appel a dénaturé l'arrêt précité et ainsi violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société Citibank fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevable sa demande de paiement provisionnel ;
1°) ALORS QU'une juridiction d'appel, saisie d'une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des prétentions nouvelles, est tenue de l'examiner d'office au regard de chacune des exceptions prévues aux articles 564 à 567 du code de procédure civile ; qu'en se bornant à relever, pour dire irrecevable la demande de paiement provisionnel formée pour la première fois à hauteur d'appel par la société Citibank, qu'elle ne tendait ni à faire écarter une prétention adverse, ni aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, sans rechercher si cette demande n'était pas née de la survenance d'un fait nouveau, tiré de la vente de l'immeuble [Adresse 5] au prix de 53 millions d'euros postérieurement à l'ordonnance du juge-commissaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 564 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher également si la demande de paiement provisionnel formée par la société Citibank n'était pas l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaires de sa demande d'admission de sa créance au passif de la société Findi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 566 du code de procédure civile.
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CASS/JURITEXT000046510295.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle sans renvoi
Mme VAISSETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 618 F-B
Pourvoi n° B 20-23.150
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 OCTOBRE 2022
La société MJ synergie, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société DPI international, a formé le pourvoi n° B 20-23.150 contre l'arrêt rendu le 8 octobre 2020 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige l'opposant à la société And Plast, dont le siège est [Adresse 2] (Andorre), société de droit étranger, défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société MJ synergie, ès qualités, les observations écrites de Me [F] (ayant radié sa constitution le 29 septembre 2021, après le dépôt du mémoire en défense), pour la société And Plast, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présentes Mme Vaissette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 8 octobre 2020), la société DPI international (la société DPI) a été mise en redressement judiciaire le 31 mai 2017. Les sociétés AJ partenaires et MJ synergie ont été désignées respectivement administrateur judiciaire et mandataire judiciaire.
2. Pendant la période d'observation du redressement judiciaire, en septembre et décembre 2017, la société DPI a commandé des outillages à la société And Plast pour un montant total de 355 600 euros. Ces marchandises ont été vendues avec une clause de réserve de propriété, acceptée par le dirigeant de la société DPI le 9 février 2018. La livraison des biens vendus a eu lieu fin février 2018.
3. Le 1er juin 2018, un jugement a arrêté le plan de cession de la société DPI et prononcé sa liquidation judiciaire.
4. Le 21 juin 2018, la société And Plast a revendiqué les matériels auprès du liquidateur qui a refusé d'acquiescer, puis, le 30 juillet 2019, elle a saisi le juge-commissaire qui s'est déclaré incompétent.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de retenir la compétence du juge-commissaire puis, sur opposition, du tribunal, alors « que l'action en revendication d'un bien meuble exercée en vertu d'une créance née postérieurement à l'ouverture d'une procédure collective, assortie d'une clause de réserve de propriété sur le bien revendiqué, est soumise au droit commun ; qu'elle ne peut dès lors être exercée que devant le juge de droit commun, et non devant le juge de la procédure collective ou le juge-commissaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la revendication exercée par la société And Plast relevait de la compétence du
juge-commissaire, en tant que juridiction de premier ressort de la procédure
collective, exclusivement compétente en matière de revendication ; qu'en se prononçant ainsi, après avoir relevé que la revendication était exercée par la société And Plast en vertu d'une clause de réserve de propriété associée à une créance née pendant la période d'observation, ce qui impliquait que cette revendication, liée à une créance qui n'était pas soumise à la discipline imposée par l'ouverture de la procédure collective, relevait de la compétence du juge de droit commun, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 624-9, L. 624-17, L. 641-14, R. 621-21, R. 624-13 et R. 662-3 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 624-9, L. 624-16 rendus applicables à la liquidation judiciaire par l'article L. 641-14, et R. 662-3 du code de commerce :
6. Il résulte de la combinaison de ces textes que le juge-commissaire n'est compétent pour connaître de la revendication des biens mobiliers que lorsque le demandeur se prévaut d'un droit de propriété né antérieurement à l'ouverture de la procédure collective. La revendication d'un droit de propriété né postérieurement à celle-ci relève de l'application des dispositions du code civil.
7. Pour déclarer le juge-commissaire compétent, l'arrêt retient que les dispositions relatives à la revendication des biens meubles n'excluent pas l'hypothèse d'une revendication dont la cause est née durant la période d'observation, que la société And Plast n'entend pas exercer le recours de droit commun du code civil, la marchandise n'étant ni perdue, ni volée. Il ajoute que les effets de la clause de réserve de propriété relèvent de la juridiction de la procédure collective, qui connaît de tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, en application de l'article R. 662-3 du code de commerce.
8. En statuant ainsi, alors que la liquidation judiciaire de la société DPI prononcée par le jugement du 1er juin 2018 ne constituait pas une procédure collective nouvelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable le recours exercé par la société And Plast et rejeté la demande reconventionnelle de la société DPI international, l'arrêt rendu le 8 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Confirme le jugement rendu le 16 octobre 2019 par le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse, en ce qu'il a déclaré non fondé le recours exercé par la société And Plast et en ce qu'il a confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge-commissaire du 20 décembre 2018 et en ce qu'il s'est déclaré incompétent ;
Condamne la société And Plast aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société And Plast et la condamne à payer à la société MJ synergie, en qualité de liquidateur judiciaire de la société DPI international, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat aux Conseils, pour la société MJ synergie, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société DPI international.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la compétence était dévolue au juge-commissaire en premier ressort et au tribunal de commerce statuant sur opposition, pour statuer sur l'action en revendication de la part de la société And Plast relativement aux biens commandés par la société DPI International lors de la période d'observation, et, en conséquence, d'avoir fait droit à la demande de la société And Plast d'un report sur le prix et d'avoir condamné la société MJ Synergie, ès qualités, à verser à la société And Plast la somme de 359.650 € ;
1°) Alors que l'action en revendication d'un bien meuble exercée en vertu d'une créance née postérieurement à l'ouverture d'une procédure collective, assortie d'une clause de réserve de propriété sur le bien revendiqué, est soumise au droit commun ; qu'elle ne peut dès lors être exercée que devant le juge de droit commun, et non devant le juge de la procédure collective ou le juge-commissaire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la revendication exercée par la société And Plast relevait de la compétence du juge-commissaire, en tant que juridiction de premier ressort de la procédure collective, exclusivement compétente en matière de revendication (arrêt, p. 5 § 1 à 4) ; qu'en se prononçant ainsi, après avoir relevé que la revendication était exercée par la société And Plast en vertu d'une clause de réserve de propriété associée à une créance née pendant la période d'observation, ce qui impliquait que cette revendication, liée à une créance qui n'était pas soumise à la discipline imposée par l'ouverture de la procédure collective, relevait de la compétence du juge de droit commun, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 624-9, L. 624-17, L. 641-14, R. 621-21, R. 624-13 et R. 662-3 du code de commerce ;
2°) Alors qu' en jugeant que la société And Plast n'entendait pas exercer un recours de droit commun, « surtout pas celui visé par l'article 2276 invoqué par DPI, qui est relatif à la revendication de celui qui a perdu ou auquel a été volé une chose, notions étrangères au présent litige » (arrêt, p. 4 § 7), la cour d'appel a violé l'article 2276 du code civil, anciennement l'article 2279 du même code, qui fonde toute action en revendication d'un bien mobilier corporel individualisé.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fait droit à la demande de la société And Plast d'un report sur le prix, de l'avoir condamnée à verser, ès qualités, à la société And Plast la somme de 359.650 € et d'avoir en conséquence rejeté sa demande reconventionnelle à l'encontre de la société And Plast ;
Alors que peuvent être revendiqués, s'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure collective, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété ; que néanmoins, pour être opposable à la procédure collective, cette clause doit avoir été convenue librement entre les parties dans un écrit établi au plus tard au moment de la livraison ; que tel n'est pas le cas si l'acceptation de la clause est obtenue par une partie par l'effet d'une contrainte ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que le dirigeant de la société DPI International avait accepté une clause de réserve de propriété sur les marchandises acquises de la société And Plast dans un écrit établi le 9 février 2018 (arrêt, p. 5 § 7) et que la contrainte ayant conduit à la signature de cette clause n'était pas démontrée (arrêt, p. 6 § 6) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (concl., p. 14), si la signature de la clause de réserve de propriété n'avait été demandée par la société And Plast qu'après la conclusion des contrats de vente avec la société DPI International, en empêchant la livraison effective des marchandises à cette dernière, et si ce comportement avait contraint la société DPI International, alors en période d'observation dans le cadre d'une procédure collective, à accepter la clause de réserve de propriété afin d'éviter un trop grand retard de livraison de ses propres clients, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 624-16 du code de commerce.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir fait droit à la demande de la société And Plast d'un report sur le prix, et de l'avoir condamnée à verser, ès qualités, à la société And Plast la somme de 359.650 € ;
1°) Alors que les termes du litige sont fixés par les écritures respectives des parties ; qu'en l'espèce, la société And Plast sollicitait, dans le dispositif de ses écritures, à titre principal, que soit ordonnée « la restitution des biens existants en nature dans les locaux de la société DPI International et/ou dans les mains de tiers sous acquéreurs à concurrence de la somme de 359.650 € », et à titre subsidiaire, à défaut de reprise en nature sous quinze jours, la restitution des biens revendiqués à hauteur du prix de vente, soit la somme de 359.650 €, en accordant « le cas échéant le statut de créance privilégiée de l'article L. 622-13 [lire L. 622-17] à cette créance » (concl. adv., p. 16) ; que la société And Plast ne demandait pas la condamnation de la société MJ Synergie, ès qualités, à lui payer la somme de 359.650 € au titre de sa créance née postérieurement au jugement d'ouverture du redressement judiciaire ; qu'en condamnant néanmoins la société MJ Synergie, ès qualités, à payer à la société And Plast la somme de 359.650 € « au titre d'une créance privilégiée » (arrêt, p. 7 § 10), la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) Alors qu'en toute hypothèse, dans le cadre d'un redressement judiciaire converti en liquidation judiciaire, les créances nées postérieurement au jugement d'ouverture et répondant aux conditions prévues à l'article L. 622-17 du code de commerce, lorsqu'elles ne sont pas payées à l'échéance, sont payées par privilège avant toutes les autres créances, sans préjudice des droits de rétention opposables à la procédure collective, à l'exception de celles qui sont garanties par le privilège établi aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 du code du travail, des frais de justice nés régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure, de celles qui sont garanties par le privilège établi par l'article L. 611-11 du présent code et de celles qui sont garanties par des sûretés immobilières ; que lorsque de telles créances sont garanties par une clause de réserve de propriété, et que les biens visés par cette clause ne se retrouvent pas en nature dans l'actif du débiteur, cette stipulation ne confère aucun avantage particulier à son titulaire à l'encontre de ce débiteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a condamné la société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, à payer à la société And Plast la somme de 359.650 € « au titre d'une créance privilégiée » (arrêt, p. 7 § 10), en vertu de l'article L. 622-17 du code de commerce et compte tenu de la clause de réserve de propriété stipulée sur les marchandises dont la vente était à l'origine de la créance de la société And Plast (arrêt, p. 6 § 9) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que cette clause de réserve de propriété ne conférait à cette société aucun avantage particulier à l'encontre du débiteur en liquidation judiciaire, et notamment ne permettait pas sa condamnation à payer la société And Plast par priorité aux créanciers privilégiés, la cour d'appel a violé l'article L. 622-17 du code de commerce ;
3°) Alors que, subsidiairement, peut être revendiqué le prix ou la partie du prix des biens objet d'une clause de réserve de propriété qui n'a été ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé entre le débiteur et l'acheteur à la date du jugement d'ouverture ; qu'en l'espèce, la société MJ Synergie, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société DPI International, faisait valoir, à titre subsidiaire (concl., p. 15), qu'à supposer possible la revendication sur le fondement du droit des procédures collectives, elle ne pouvait pas intervenir en nature puisque les marchandises en cause avaient été intégrées dans des moules revendus aux clients de la société DPI International avant la conversion en liquidation judiciaire ; qu'elle ajoutait qu'un report de la clause de réserve de propriété sur le prix de ces marchandises ne pourrait se concevoir que sur la part de ce prix n'ayant pas encore été réglée à la société DPI International (concl., p. 16) ; que la cour d'appel a condamné la société MJ Synergie, ès qualités, à payer à la société And Plast la somme de 359.650 € après avoir jugé que, les marchandises n'étant plus présentes en nature dans le patrimoine de la société débitrice, il convenait de reporter les effets de la revendication de la société And Plast sur le prix de vente non réglé (arrêt, p. 6) ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'il résultait de ses constatations qu'elle pouvait seulement constater le report de la clause de réserve de propriété sur la part du prix non payé par les sous-acquéreurs à la société DPI International, et non condamner son liquidateur judiciaire, sur l'actif disponible, à hauteur du montant total de la créance, la cour d'appel a violé les articles L. 622-17 et L. 624-18 du code de commerce.
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CASS/JURITEXT000046510289.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 617 FS-B
Pourvoi n° V 21-12.085
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 OCTOBRE 2022
La société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 21-12.085 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2020 par la cour d'appel de Rennes (3e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à M. [I] [G], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société BNP Paribas, de la SARL Corlay, avocat de M. [G], et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mmes Bélaval, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, MM. Bedouet, Alt, conseillers, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes,15 décembre 2020), la société Saint Antoine BA (la société Saint Antoine) a conclu avec ses principaux créanciers un accord de conciliation homologué par un jugement du 12 avril 2012 selon lequel la société BNP Paribas (la banque) s'engageait à consentir un prêt de 75 000 euros, lequel a été signé le 4 mai suivant. M. [G], gérant de la société Saint Antoine, s'est rendu caution solidaire du prêt dans la limite de la somme de 86 250 euros, couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des intérêts de retard.
2. Le 30 octobre 2013, la société Saint Antoine a été mise en redressement judiciaire. La banque a déclaré sa créance le 19 novembre suivant et a prononcé la déchéance du terme du prêt le 24 décembre 2015 puis a assigné M. [G] en paiement le 19 juin 2015.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
3. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer caduc le cautionnement et de rejeter les autres demandes, alors « que la caducité du plan de conciliation résultant de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire n'entraîne pas l'extinction des sûretés qui garantissent le remboursement d'un nouvel apport de trésorerie consenti au débiteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le prêt de 75 000 euros accordé le 4 mai 2012 à la société Saint Antoine BA par la société BNP Paribas constituait à hauteur de 50.000 euros "un nouvel apport en trésorerie bénéficiant du privilège de conciliation" ; qu'en retenant néanmoins que l'engagement de caution de M. [G] garantissant le remboursement de ce prêt était devenu caduc en raison du placement de la société Saint Antoine BA en redressement judiciaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses
propres constatations, a violé l'article L. 611-12 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 611-12 du code de commerce :
4. Si, selon ce texte, lorsqu'il est mis fin de plein droit à un accord de conciliation en raison de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire du débiteur, le créancier, qui a consenti à celui-ci des délais ou des remises de dettes dans le cadre de l'accord de conciliation, recouvre l'intégralité de ses créances et des sûretés qui les garantissaient, il ne conserve cependant pas le bénéfice des nouvelles sûretés obtenues dans le cadre de l'accord en contrepartie de ces délais ou de ces abandons de créances.
5. En revanche, le créancier, qui a consenti, pour les besoins de l'accord, une avance donnant naissance à une nouvelle créance, garantie par un cautionnement, est en mesure de demander l'exécution par la caution de cet engagement, en dépit de la caducité de l'accord.
6. Pour déclarer caduc le cautionnement de M. [G], l'arrêt retient que le concours de 75 000 euros consenti par la banque, destiné en partie au remboursement d'une ligne de découvert, qui constitue pour le surplus un nouvel apport en trésorerie, a été accordé dans le cadre de l'accord de conciliation auquel le prononcé du redressement judiciaire a mis fin et en déduit que l'échec de l'accord a entraîné la caducité de celui-ci dans son intégralité, notamment celle des engagements de caution.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, qui est inopérante, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [G] et le condamne à payer à la société BNP Paribas la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour la société BNP Paribas.
La société BNP Paribas fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré caduc le cautionnement de M. [G] en date du 4 mai 2012 et d'AVOIR rejeté les autres demandes des parties ;
AUX MOTIFS QUE l'ouverture d'une procédure de liquidation met fin de plein droit à l'accord de conciliation homologué par le tribunal dans le cadre de la prévention des difficultés de l'entreprise : Article L 611-12 du code de commerce, dans sa version issue de la loi du 26 juillet 2005, applicable au présent litige : «L'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire met fin de plein droit à l'accord constaté ou homologué en application de l'article L. 611-8. En ce cas, les créanciers recouvrent l'intégralité de leurs créances et sûretés, déduction faite des sommes perçues, sans préjudice des dispositions prévues à l'article L. 611-11.» ; que la BNP a accordé, dans le cadre du protocole de conciliation, un prêt de 75.000 euros à la société Saint Antoine, dont 25.000 euros étaient destinés au remboursement d'une ligne de découvert et 50.000 euros constituaient un nouvel apport en trésorerie bénéficiant du privilège de conciliation ; que ce concours, accordé dans le cadre de l'accord de conciliation, a été cautionné à hauteur de 86.250 euros par M. [G] ; que M. [G] considère que la BNP a, dans le cadre de l'accord de conciliation, obtenu une nouvelle garantie et que l'ouverture du redressement judiciaire de la société Saint Antoine aurait mis fin à cet accord rendant son cautionnement à hauteur de 86.250 euros caduc ; que si selon l'article L 611-12 du code de commerce, lorsqu'il est mis fin de plein droit à un accord de conciliation en raison de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire du débiteur, le créancier qui a consenti à celui-ci des délais ou des remises de dette dans le cadre de l'accord de conciliation recouvre l'intégralité de ses créances et des sûretés qui les garantissaient, il ne conserve pas le bénéfice des nouvelles sûretés obtenues dans le cadre de l'accord ; que l'échec de l'accord entraîne la caducité de celui-ci dans son intégralité et notamment des engagements de caution ; que dans le cadre de l'accord de conciliation, la BNP a accordé une nouvelle ouverture de trésorerie de 50.000 euros et le remboursement du découvert existant pour 25.000 euros ; qu'ainsi, du fait de l'échec du protocole de conciliation, la BNP n'a pas conservé le bénéfice de l'engagement de caution accordé par M. [G] dans le cadre de l'accord de conciliation homologué par le tribunal ; que cet engagement est caduc ;
1) ALORS QUE la caducité du plan de conciliation résultant de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire n'entraîne pas l'extinction des sûretés consenties en contrepartie de l'aménagement des dettes du débiteur ; qu'en retenant, pour débouter la société BNP Paribas de sa demande en paiement contre M. [G], que «l'échec de l'accord entraîne la caducité de celui-ci dans son intégralité et notamment des engagements de caution» (arrêt, p. 3, dernier §), la cour d'appel a violé l'article L. 611-12 du code de commerce ;
2) ALORS, en toute hypothèse, QUE la caducité du plan de conciliation résultant de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire n'entraîne pas l'extinction des sûretés qui garantissent le remboursement d'un nouvel apport de trésorerie consenti au débiteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le prêt de 75.000 euros accordé le 4 mai 2012 à la société Saint Antoine BA par la société BNP Paribas constituait à hauteur de 50.000 euros «un nouvel apport en trésorerie bénéficiant du privilège de conciliation» (arrêt, p. 3, antépénultième §, et p. 4, § 1) ; qu'en retenant néanmoins que l'engagement de caution de M. [G] garantissant le remboursement de ce prêt était devenu caduc en raison du placement de la société Saint Antoine BA en redressement judiciaire (arrêt, p. 4, § 2), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 611-12 du code de commerce.
Sur la caducité des nouvelles sûretés en cas d'échec d'un accord de conciliation, à rapprocher : Com., 25 septembre 2019, pourvoi n° 18-15.655, Bull., (cassation partielle).
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CASS/JURITEXT000046437345.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
QUESTION PRIORITAIRE
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________
Audience publique du 12 octobre 2022
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 699 FS-B
Affaire n° X 22-40.013
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 OCTOBRE 2022
Le tribunal de commerce de Paris (16e chambre) a transmis à la Cour de cassation, par jugement rendu le 8 juillet 2022, des questions prioritaires de constitutionnalité reçues le 18 juillet 2022, dans l'instance mettant en cause :
D'une part,
M. [C] [N], domicilié [Adresse 4],
D'autre part,
1°/ la société LT capital, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ la société Mitsio Invest, société civile, dont le siège est [Adresse 5],
3°/ Mme [F] [Y], domiciliée [Adresse 2],
4°/ M. [O] [P], domicilié [Adresse 1],
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés LT capital et Mitsio Invest, de Mme [Y] et de M. [P], et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débat en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mme Fèvre, M. Alt, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Lefeuvre, Tostain, MM. Boutié, Gillis, Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. M. [N] était salarié et associé de la société par actions simplifiée LT capital. Il a, au mois d'octobre 2020, démissionné de ses fonctions salariées.
2. L'article 11 des statuts de la société par actions simplifiée LT capital stipule que la qualité d'associé est réservée aux personnes ayant la qualité de salarié et/ou de mandataire social de la société et qu'en cas de perte, par l'associé, de cette qualité, le président de la société convoque l'assemblée générale extraordinaire des associés afin qu'elle se prononce sur l'exclusion de l'associé.
3. Dans sa version initiale, cet article précisait que l'associé dont l'exclusion est envisagée ne prend pas part au vote sur la décision de son exclusion.
4. Le 22 janvier 2021, l'assemblée générale extraordinaire a modifié, à la majorité requise par les statuts pour leur modification, l'article 11 des statuts en ce sens que l'associé dont l'exclusion est envisagée prend part au vote sur la décision d'exclusion.
5. Par décision du même jour, l'assemblée générale extraordinaire a exclu M. [N], celui-ci ayant, en application de l'article 11 des statuts, modifié, pris part au vote relatif à la décision de son exclusion.
6. M. [N] a assigné la société LT capital en nullité de la modification statutaire du 22 janvier 2021, de la décision l'excluant de la société et de la cession de ses actions. Devant le tribunal de commerce, M. [N] a, par un mémoire distinct, posé quatre questions prioritaires de constitutionnalité.
Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité
7. Par jugement du 8 juillet 2022, le tribunal de commerce de Paris a transmis quatre questions prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigées :
« 1°/ L'article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 alors qu'il porte atteinte au droit de propriété sans nécessité publique ?
2°/ L'article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 alors qu'il porte atteinte de façon disproportionnée aux droits de propriété sans que cette atteinte soit justifiée par un motif d'intérêt général ?
3°/ L'article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 alors qu'il permet, combiné à l'article L. 227-19 du même code, la cession forcée par l'associé de ses actions sans qu'il ait consenti à l'adoption de la clause statutaire d'exclusion l'autorisant ?
4°/ L'article L. 227-19 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 alors qu'il permet la cession forcée par l'associé de ses actions sans qu'il ait consenti à l'adoption de la clause statutaire d'exclusion l'autorisant ? »
Examen des questions prioritaires de constitutionnalité
8. Les dispositions contestées sont le premier alinéa de l'article L. 227-16 du code de commerce, qui dispose que, dans les sociétés par actions simplifiées, « [d]ans les conditions qu'ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu'un associé peut être tenu de céder ses actions », et le second alinéa de l'article L. 227-19 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019, qui dispose que « [l]es clauses statutaires mentionnées aux articles L. 227-14 et L. 227-16 ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts ».
9. Ces dispositions sont applicables au litige, la décision d'exclusion de M. [N] ayant été prise en application d'une clause d'exclusion stipulée dans les statuts de la société LT capital, laquelle a été adoptée sur le fondement de l'article L. 227-16 du code de commerce et modifiée à la majorité prévue par les statuts, ainsi que le permet désormais l'article L. 227-19 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019. En effet, ces dernières dispositions, qui suppriment l'exigence d'unanimité pour l'adoption ou la modification d'une clause statutaire d'exclusion dans les sociétés par actions simplifiées, ont pour objet et pour effet de régir les effets légaux du contrat de société. Elles sont, par suite, applicables aux sociétés par actions simplifiées créées antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019.
10. Les articles L. 227-16 et L. 227-19 du code de commerce n'ont pas déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
11. Les questions posées présentent un caractère sérieux en ce que, d'une part, l'article L. 227-16, alinéa 1, du code de commerce a pour conséquence de permettre à une société par actions simplifiée de priver, en exécution d'une clause statutaire d'exclusion, un associé de la propriété de ses droits sociaux sans que cette privation repose sur une cause d'utilité publique, et en ce que, d'autre part, il résulte de la combinaison de ce texte avec l'article L. 227-19, alinéa 2, de ce code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019, qu'une société par actions simplifiée peut désormais, par une décision non prise à l'unanimité de ses membres, priver un associé de la propriété de ses droits sociaux sans qu'il ait consenti par avance à sa possible exclusion dans de telles conditions, de sorte que ces dispositions seraient de nature à porter atteinte au droit de propriété et à ses conditions d'exercice, garantis par les articles 17 et 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
12. En conséquence, il y a lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
RENVOIE au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000045422189.xml | COUR DE CASSATION LG
CHAMBRE MIXTE
Audience publique du 25 mars 2022
Mme ARENS, première présidente Rejet
Arrêt n° 288 B+R
Pourvoi n° V 20-17.072
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en CHAMBRE MIXTE, DU 25 mars 2022
Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° V 20-17.072 contre l'arrêt rendu le 30 janvier 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 4), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [O] [R], prise tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant légal de sa fille mineure, [T] [N],
2°/ à Mme [Y] [N],
3°/ à [T] [N],
domiciliées toutes trois [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
L'affaire, initialement orientée à la deuxième chambre civile, a été renvoyée, par une ordonnance du 27 septembre 2021 de la première présidente, devant une chambre mixte composée de la première chambre civile, de la deuxième chambre civile et de la chambre criminelle.
Le demandeur au pourvoi invoque, devant la chambre mixte, le moyen de cassation annexé au présent arrêt.
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du FGTI.
Aucun mémoire en défense n'a été déposé.
Le rapport de MM. Besson et Samuel, conseillers rapporteurs, désignés conformément à l'article R. 431-[Date décès 1] du code de l'organisation judiciaire, et l'avis écrit de M. Gaillardot, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties.
Un avis 1015 du code de procédure civile a été mis à disposition des parties et des observations ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret.
Sur le rapport de MM. Besson et Samuel, assistés de MM. Allain et Dureux, auditeurs au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 11 mars 2022 où étaient présents Mme Arens, première présidente, MM. Chauvin, Pireyre, Soulard, présidents, MM. Besson et Samuel, conseillers rapporteurs, Mmes de la Lance, Duval-Arnould, Martinel, doyens de chambre, Mme Durin-Karsenty, M. Mornet, Mmes Labrousse, Kerner-Menay, conseillers, M. Gaillardot, premier avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,
la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, composée de la première présidente, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 janvier 2020), à la suite du décès de [B] [V], tuée lors de l'attentat perpétré le [Date décès 1] 2016 à [Localité 7], le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) a adressé à Mme [R], fille de la victime, en réparation de son préjudice et de celui de ses deux filles mineures, [Y] et [T] [N], une offre d'indemnisation au titre, notamment, de leur préjudice d'affection et du « préjudice exceptionnel spécifique des victimes d'actes de terrorisme ».
2. Estimant cette offre insuffisante, Mme [R], agissant tant en qualité d'héritière de [B] [V] qu'à titre personnel et en tant que représentante légale de [Y] [N], aujourd'hui majeure, et d'[T] [N], a assigné le FGTI en indemnisation de leurs préjudices.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Le FGTI fait grief à l'arrêt de fixer à la somme de 20 000 euros le préjudice d'attente et d'inquiétude subi par Mme [R], et à celle de 5 000 euros chacune celui subi par chacune de ses filles, ainsi que de le condamner à verser l'ensemble de ces sommes à Mme [R], tant à titre personnel qu'en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineures, alors « que le préjudice d'affection indemnise l'ensemble des souffrances morales éprouvées par les proches à raison du fait dommageable subi par la victime directe, à l'origine de son décès ; qu'en allouant à Mme [R], à titre personnel et en qualité de représentante légale de ses deux filles, diverses sommes au titre d'un « préjudice d'attente et d'inquiétude », cependant qu'elle avait également réparé leur préjudice d'affection, la cour d'appel a indemnisé deux fois le même préjudice, violant le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit. »
Réponse de la Cour
4. Les proches d'une personne, qui apprennent que celle-ci se trouve ou s'est trouvée exposée, à l'occasion d'un événement, individuel ou collectif, à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, éprouvent une inquiétude liée à la découverte soudaine de ce danger et à l'incertitude pesant sur son sort.
5. La souffrance, qui survient antérieurement à la connaissance de la situation réelle de la personne exposée au péril et qui naît de l'attente et de l'incertitude, est en soi constitutive d'un préjudice directement lié aux circonstances contemporaines de l'événement.
6. Ce préjudice, qui se réalise ainsi entre la découverte de l'événement par les proches et leur connaissance de son issue pour la personne exposée au péril, est, par sa nature et son intensité, un préjudice spécifique qui ouvre droit à indemnisation lorsque la victime directe a subi une atteinte grave ou est décédée des suites de cet événement.
7. Il résulte de ce qui précède que le préjudice d'attente et d'inquiétude que subissent les victimes par ricochet ne se confond pas, ainsi que le retient exactement la cour d'appel, avec le préjudice d'affection, et ne se rattache à aucun autre poste de préjudice indemnisant ces victimes, mais constitue un préjudice spécifique qui est réparé de façon autonome.
8. Il s'ensuit que c'est sans indemniser deux fois le même préjudice que la cour d'appel a accueilli les demandes présentées au titre de ce préjudice spécifique d'attente et d'inquiétude.
9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, et prononcé le vingt-cinq mars deux mille vingt-deux par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR liquidé à la somme de 20 000 euros le préjudice d'attente et d'inquiétude subi par Mme [R], d'AVOIR liquidé à la somme de 5 000 euros le préjudice d'attente et d'inquiétude subi par Mlle [T] [N] et Mme [Y] [N], et d'AVOIR condamné le FGTI à verser l'ensemble de ces sommes à Mme [R], tant à titre personnel qu'ès qualités ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE le FGTI fait valoir que ce poste de préjudice n'est pas un préjudice autonome et que son indemnisation s'appréhende dans le cadre d'une majoration du préjudice d'affection ; qu'en l'occurrence, Mme [B] [V] qui était âgée de 64 ans et qui demeurait à [Localité 6], est venue à [Localité 7] le jeudi [Date décès 1] 2016 afin de rendre visite à une de ses amies, Mme [E] [P] ; que le matin du [Date décès 2], sa fille, Mme [O] [R], qui demeure à [Localité 9], et qui ne s'était pas immédiatement inquiétée compte tenu des habitudes de vie de sa mère qui rendaient peu vraisemblable sa présence sur [Adresse 5], a voulu prendre de ses nouvelles d'abord par un message envoyé sur son téléphone puis en lui téléphonant ; que n'ayant obtenu de réponse ni de sa part ni de la part de Mme [P], elle est arrivée à [Localité 7] le jour-même, et l'a cherchée en vain dans les hôpitaux ; que le samedi 16 juillet, elle a pris contact avec la cellule de crise où son ADN a été recueilli ; que le dimanche 17 juillet, un appel téléphonique l'ayant informée que sa mère n'était pas sur la liste des victimes, elle est rentrée chez elle ; que le lundi 18 juillet, la cellule de crise a pris contact avec elle afin qu'elle revienne immédiatement à [Localité 7] où elle a appris, vers 21 heures, le décès, dans la nuit du [Date décès 1] au [Date décès 2], de Mme [B] [V] ; que Mme [O] [R] a ainsi vécu pendant 4 jours dans l'angoisse, ignorant si sa mère était toujours vivante, craignant qu'elle ne soit blessée ou morte ; que ce préjudice ne se confond pas avec le préjudice d'affection lequel indemnise le préjudice moral subi par les proches à la suite du décès de la victime ; qu'il ne se confond pas davantage avec le préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme ; que ce préjudice a été exactement indemnisé par le premier juge par la somme de 20 000 euros à Mme [O] [R] et celle de 5 000 euros à chacune de ses filles qui avaient 13 et 7 ans à la mort de leur grand-mère et étaient en âge de s'inquiéter de sa disparition ; que le jugement est confirmé de ces chefs ;
ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE le préjudice spécifique temporaire d'attente et d'inquiétude peut être défini comme le préjudice autonome exceptionnel, directement lié aux circonstances contemporaines et immédiatement postérieures aux attentats terroristes euxmêmes vécues par les victimes par ricochet, et qui tiennent compte notamment de l'attente de l'arrivée et du déploiement des secours, des conditions dans lesquelles les familles ont été averties ou ont appris la nouvelle de l'accident, de l'incertitude du bilan ou d'une orientation hospitalière et de la diffusion de l'information donnée au fur et à mesure sur le sort des proches ; que ce préjudice situationnel d'angoisse autonome peut être vécu par une victime par ricochet, qu'il y ait ou non communauté de vie avec la victime directe de l'acte de terrorisme ; qu'il apparaît en l'espèce que Madame [O] [R] a tenté à plusieurs reprises, en vain, de joindre sa mère puis l'amie de celle-ci après l'annonce de l'attentat ; qu'elle se rendait le jour même à [Localité 7] où elle était reçue par la cellule d'urgence médico-psychologique, faisait prélever un échantillon de son ADN, et cherchait sa mère dans divers établissements hospitaliers ; que le dimanche 17 juillet 2016, elle recevait un appel en provenance de [Localité 8] l'informant que sa mère ne faisait pas partie de la liste des victimes de l'attentat ; que le lendemain lundi 18 juillet 2016, la cellule d'urgence la contactait et lui demandait de revenir en urgence à [Localité 7] où elle apprenait le décès de sa mère ; que le préjudice d'attente et d'inquiétude subi par Madame [O] [R] est ainsi suffisamment établi et sera indemnisé par l'octroi d'une somme de 20 000 euros ; que, s'agissant de Mme [T] [N] et de Mme [Y] [N], les circonstances de la découverte du décès de Madame [B] [V] ont été ci-dessus décrites et n'ont pas épargné les mineures qui ont subi de ce chef un préjudice important indemnisable par l'octroi d'une somme de 5 000 euros chacune ;
ALORS QUE le préjudice d'affection indemnise l'ensemble des souffrances morales éprouvées par les proches à raison du fait dommageable subi par la victime directe, à l'origine de son décès ; qu'en allouant à Mme [R], à titre personnel et en qualité de représentante légale de ses deux filles, diverses sommes au titre d'un « préjudice d'attente et d'inquiétude », cependant qu'elle avait également réparé leur préjudice d'affection, la cour d'appel a indemnisé deux fois le même préjudice, violant le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit.
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CASS/JURITEXT000045422192.xml | COUR DE CASSATION FB
CHAMBRE MIXTE
Audience publique du 25 mars 2022 Cassation partielle sans renvoi
Mme ARENS, première présidente
Arrêt n° 289 B+R
Pourvoi n° W 20-15.624
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en CHAMBRE MIXTE, DU 25 MARS 2022
Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° W 20-15.624 contre l'arrêt rendu le 29 août 2019 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [T] [D] [E], veuve [X],
2°/ à M. [R] [N] [E],
3°/ à Mme [T] [M] [X],
4°/ à Mme [Z] [J] [E],
5°/ aux héritiers de [U] [C] [E], décédée,
6°/ à Mme [A] [B] [G] [E],
tous domiciliés [Adresse 6],
défendeurs à la cassation.
L'affaire, initialement orientée à la deuxième chambre civile, a été renvoyée, par une ordonnance du 27 septembre 2021 de la première présidente, devant une chambre mixte composée de la première chambre civile, de la deuxième chambre civile et de la chambre criminelle.
Le demandeur au pourvoi invoque, devant la chambre mixte, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Delvové-Trichet, avocat du FGTI.
Un mémoire en défense et en demande de mise hors de cause a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [T] [D] [E], veuve [X], M. [R] [N] [E], Mme [Z] [J] [E], les héritiers de [U] [C] [E], Mme [A] [B] [E].
Un mémoire en rectification d'erreur matérielle a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [T] [D] [E], veuve [X], M. [R] [N] [E], Mme [Z] [J] [E], les héritiers de [U] [C] [E], Mme [A] [B] [E] et Mme [T] [H] [X].
Des observations complémentaires avant audience ont été déposées par la SCP Delvové-Trichet, avocat du FGTI.
Le rapport de MM. Besson et Samuel, conseillers rapporteurs, désignés conformément à l'article R. 431-14 du code de l'organisation judiciaire, et l'avis écrit de M. Grignon-Dumoulin, avocat général, ont été mis à la disposition des parties.
Un avis 1015 du code de procédure civile a été mis à disposition des parties.
Sur le rapport de MM. Besson et Samuel, assisté de MM. Allain et Dureux, auditeurs au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Delvové-Trichet et la SCP Buk Lament-Robillot, et l'avis de M. Grignon-Dumoulin, avocat général auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 11 mars 2022 où étaient présents Mme Arens, première présidente, MM. Chauvin, Pireyre, Soulard, présidents, MM. Besson et Samuel, conseillers rapporteurs, Mmes de la Lance, Duval-Arnould, Martinel, doyens de chambre, Mme Durin-Karsenty, M. Mornet, Mmes Labrousse, Kerner-Menay, conseillers, M. Grignon-Dumoulin, avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,
la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, composée de la première présidente, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 29 août 2019), le 5 juillet 2014, à 22h20, la gendarmerie a été avisée de ce qu'un individu avait porté plusieurs coups de couteau à [R] [X]. Ce dernier est décédé le [Date décès 2], à 0h40, à l'hôpital où il avait été transporté en arrêt cardio-respiratoire.
2. Mme [T] [D] [E], veuve [X], M. [R] [N] [E], Mme [Z] [J] [E], Mme [A] [B] [E], Mme [T] [H] [X] et [U] [C] [E] ont saisi la commission d'indemnisation des victimes d'infractions pour obtenir réparation des préjudices. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a contesté l'indemnisation allouée au titre des préjudices éprouvés par [R] [X].
Sur l'irrecevabilité partielle du pourvoi, relevée d'office après avis adressé aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile
Vu les articles 615 et 975, alinéa 2, du code de procédure civile :
3. Il résulte de ces textes que le recours en cassation constitue une instance nouvelle qui ne peut être introduite contre une personne décédée et que le demandeur ayant connaissance du décès d'une partie doit diriger son pourvoi contre ses ayants droit.
4. La déclaration de pourvoi, déposée au greffe de la Cour de cassation le 11 mai 2020 est dirigée, notamment, contre [U] [C] [E], décédée le [Date décès 1] 2018.
5. Formé alors que le FGTI avait connaissance du décès de [U] [C] [E], le pourvoi est irrecevable en ce qu'il est dirigé contre celle-ci.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le FGTI fait grief à l'arrêt de confirmer la décision entreprise en tant qu'elle a alloué aux ayants droit de [R] [X], la somme de 1 500 000 FCP au titre de la souffrance morale liée la conscience de la mort imminente entre le moment de son agression et son décès, après avoir déjà alloué à l'indivision successorale représentée en l'état par Mme [T] [E], veuve [X], et Mme [M] [X], la somme de 1 500 000 FCP au titre des souffrances endurées par [R] [X] avant son décès alors « que les différentes souffrances psychiques et troubles qui y sont associés sont inclus dans le poste de préjudice des souffrances endurées ; que ce poste inclut donc le préjudice moral de mort imminente consistant pour la victime décédée à être demeurée, entre la survenance du dommage et sa mort, suffisamment consciente pour avoir envisagé sa propre fin ; qu'en allouant aux ayants droit de la victime, la somme de 150 000 FCP au titre du préjudice d'angoisse de mort imminente subi par celle-ci, après leur avoir alloué la même somme de 150 000 FCP au titre des souffrances endurées par celle-ci avant son décès, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
7. L'arrêt, par motifs adoptés, après avoir constaté que les lésions consécutives à la multiplicité des plaies par arme blanche présentes sur le corps de la victime lui avaient causé une souffrance importante, énonce qu'il convient d'évaluer à 1 500 000 FCP l'indemnisation de l'indivision successorale au titre des souffrances endurées par la victime entre son agression et son décès.
8. Il précise que, pour caractériser l'existence d'un préjudice distinct « d'angoisse de mort imminente », il est nécessaire de démontrer l'état de conscience de la victime en se fondant sur les circonstances de son décès.
9. Il retient que la nature et l'importance des blessures, rapportées au temps de survie de la victime, âgée de seulement vingt-sept ans, dont l'état de conscience a conduit sa famille à juger possible son transport
en voiture légère jusqu'à l'hôpital, démontrent que [R] [X] a souffert d'un préjudice spécifique lié à la conscience de sa mort imminente, du fait de la dégradation progressive et inéluctable de ses fonctions vitales causée par une hémorragie interne et externe massive, et que le premier juge a procédé à sa juste évaluation.
10. C'est, dès lors, sans indemniser deux fois le même préjudice que la cour d'appel, tenue d'assurer la réparation intégrale du dommage sans perte ni profit pour la victime, a réparé, d'une part, les souffrances endurées du fait des blessures, d'autre part, de façon autonome, l'angoisse d'une mort imminente.
11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
12. Le FGTI fait grief à l'arrêt de le condamner aux dépens de l'instance d'appel, alors « que les frais exposés devant les juridictions de première instance et d'appel statuant en matière d'indemnisation des victimes d'infraction sont à la charge du Trésor public ; qu'en condamnant néanmoins le Fonds de garantie aux dépens de l'instance d'appel, la cour d'appel a violé les articles R. 91 et R. 93, II, 11°, du code de procédure pénale, applicable en Polynésie française par application de l'article 804 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 804, R. 91 et R. 93, II, 11°, du code de procédure pénale :
13. Selon ces textes, les frais exposés devant les juridictions de première instance et d'appel de Polynésie française statuant en matière d'indemnisation des victimes d'infractions sont à la charge du Trésor public.
14. L'arrêt condamne le FGTI aux dépens.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
17. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre [U] [C] [E] ;
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu'il condamne le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions aux entiers dépens de l'instance d'appel, l'arrêt rendu le 29 août 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse les dépens de l'instance devant la Cour de cassation et d'appel à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, et prononcé le vingt-cinq mars deux mille vingt-deux par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Delvolvé-Trichet, avocat aux Conseils, pour le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé la décision entreprise en tant qu'elle a alloué aux ayants droits de [R] [X], la somme de 1 500 000 FCP au titre de la souffrance morale liée la conscience de la mort imminente entre le moment de son agression et son décès, après avoir déjà alloué à l'indivision successorale représentée en l'état par Mme [T] [E], veuve [X], et Mme [H] [X], la somme de 1 500 000 FCP au titre des souffrances endurées par [R] [X] avant son décès ;
Aux motifs que « le Fonds de Garantie conteste l'allocation par le premier juge aux ayants droit de M. [R] [X], décédé des suites de ses blessures par arme blanche le [Date décès 2] 2014, d'une double indemnité, d'une part, en réparation des souffrances endurées et, d'autre part, en réparation de son préjudice d'angoisse de mort imminente, en soutenant que ce dernier est nécessairement inclus dans le poste de préjudice des souffrances endurées de sorte, qu'en l'espèce, il y a eu double indemnisation ; qu'en premier lieu, il convient de rappeler que la jurisprudence de la Cour de cassation n'exclut pas l'indemnisation spécifique du préjudice dit "d'angoisse de mort imminente", lorsqu'il est rapporté la preuve d'une souffrance particulière causée à la victime par la conscience de sa mort imminente ; que, contrairement à ce que soutient l'appelante, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne refuse pas d'indemniser ce chef de préjudice, puisqu'elle admet l'indemnisation de la souffrance liée à la conscience de la gravité de son état et du caractère inéluctable de son décès, ainsi que des souffrances morales et psychologiques caractérisées par la perte d'espérance de vie ou l'angoisse de mort ; qu'en revanche, il est vrai que, nonobstant l'identification distincte de ce chef de ce préjudice, elle inclut sa réparation dans le poste des souffrances endurées ; que toutefois, cette différence de méthodologie, reposant sur la définition large du poste anciennement qualifié de "pretium doloris" retenue par la nomenclature dite "Dintilhac", ne conduit pas à exclure la prise en compte du préjudice d'angoisse de mort imminente ; que c'est d'ailleurs ce à quoi tend la prétention accessoire formée par les consorts [X]-[E] qui réclament, à titre subsidiaire, l'allocation d'une indemnité globale de 3 millions FCP en réparation des souffrances endurées par la victime, en lieu et place de l'octroi d'une indemnité de 1 500 000 FCP au titre des souffrances endurées et 1 500 000 FCP au titre de la souffrance morale liée à la conscience de la mort imminente ; que, de surcroît, il sera observé que : d'une part, les travaux préparatoires ayant conduit à l'adoption de la nomenclature "Dintilhac" avaient précisé que celle-ci ne faisait pas obstacle à la détermination d'un chef de préjudice ne figurant pas dans la liste des postes annexée et, d'autre part, la jurisprudence administrative a également reconnu le droit à réparation du préjudice de conscience d'une espérance de vie réduite ; qu'en revanche, il demeure nécessaire de caractériser l'existence de ce préjudice distinct, notamment en démontrant l'état de conscience de la victime et en se fondant sur les circonstances particulières de son décès ; qu'or, en l'espèce, par des motifs pertinents que la cour approuve, le premier juge a fait une exacte appréciation des faits de la cause, en retenant que : "si le rapport d'autopsie fait mention d'une "mort violente" de [R] [X], en revanche, il ne s'est pas agi d'un décès immédiat, puisqu'il résulte des pièces de procédure et des pièces médicales versées au dossier, que la victime n'est pas décédée sur le coup, qu'il a pu encore marcher jusqu'au bord de la route et qu'il a été ensuite transporté en voiture légère jusqu'à l'hôpital de [Localité 4], et en arrêt cardio-respiratoire à son arrivée aux urgences ; qu'ainsi, apparaît que [R] [X] a conservé sa pleine conscience jusqu'à son arrivée aux urgences, et qu'au regard du nombre de coups portés, de la gravité de ses blessures, et du fait qu'il est décédé des suites d'une hémorragie interne massive et externe, associée à une asphyxie, il a nécessairement éprouvé une angoisse de mort imminente ; que cet état de fait n'est pas nié par le Fonds de garantie, qui, au sein de ses écritures en date du 1er juin 2017, a estimé que : "il est certain que Monsieur [X] a éprouvé une forte angoisse à l'idée de perdre la vie" ; qu'il importe en outre de quantifier le délai de souffrance pour prendre en considération l'évaluation du préjudice en cause ; qu'à ce titre, il convient de prendre en compte la durée de survie de la victime, temps durant lequel celle-ci a eu pleinement conscience de sa mort imminente, pour évaluer au plus près l'indemnisation de ce poste de préjudice ; qu'en l'espèce, il résulte des pièces de procédure versées au dossier que l'intervention des services de gendarmerie de TARAVAO est requise le 5 juillet 2014 à 22h20 pour un homme qui s'est fait poignarder au PK14,200 à [Localité 5], et que la victime est décédée de ses blessures le [Date décès 2] 2014 à 0h40 ; qu'il est manifeste qu'à tout le moins, entre le 5 juillet 2014 22h20 et le [Date décès 2] 2014 à 0h40, [R] [X] a pu éprouver, au regard des pièces médicales versées au dossier, une angoisse de mort" ; qu'en effet, il résulte du rapport d'autopsie medico-légale du Docteur [V] du 30 septembre 2014 que M. [R] [X] a été victime de multiples coups de couteau, ayant entraîné des coupures de défense, mais également une blessure de la cuisse et surtout une "vaste plaie latéro-thoracique gauche, deux plaies profondes du diaphragme et une plaie transfixiante de la grande courbure de l'estomac" ; que ces dernières ont provoqué "une hémorragie interne massive et externe associée à une asphyxie Lb consécutive à un hémopneumothorax gauche majeur (avec plaie transfixiante du lobe inférieure du poumon gauche) et un hémopneumopéritoine (par plaies diaphragmiques et gastriques)" ; que la nature et l'importance de ces blessures, rapportées au temps de survie de la victime, seulement âgé de 27 ans à la date des faits, dont l'état de conscience a conduit sa famille à juger possible son transport en voiture légère jusqu'à l'hôpital de [Localité 4], démontrent que M. [R] [X] a souffert d'un préjudice spécifique lié à la conscience de sa mort imminente, du fait de la dégradation progressive et inéluctable de ses fonctions vitales, causée par une hémorragie interne et externe massive ; que, par conséquent, le jugement sera confirmé de ce chef, y compris quant à l'appréciation de l'indemnité allouée en réparation, dès lors que la cour considère que le premier juge a procédé à une juste évaluation de celle-ci et que l'appelante, qui propose de verser une indemnité globale de 8 000 euros (soit 954 654 FCP), ne démontre pas suffisamment la meilleure adéquation de cette indemnité au cas d'espèce, en se prévalant d'une seule décision prononcée le 28 mars 2019 par la cour d'appel de Douai ; qu'au surplus, il sera observé que l'indemnité de 1 500 000 FCP (soit 12 570 euros), arbitrée par le premier juge au titre de ce chef de préjudice, correspond à l'indemnisation usuelle de souffrances endurées qualifiées de "moyennes" ; qu'il n'est donc pas justifié de réformer le jugement sur ce point » (arrêt, p. , § et s.) ;
Alors que les différentes souffrances psychiques et troubles qui y sont associés sont inclus dans le poste de préjudice des souffrances endurées ; que ce poste inclut donc le préjudice moral de mort imminente consistant pour la victime décédée à être demeurée, entre la survenance du dommage et sa mort, suffisamment consciente pour avoir envisagé sa propre fin ; qu'en allouant aux ayants droit de la victime, la somme de 150 000 FCP au titre du préjudice d'angoisse de mort imminente subi par celle-ci, après leur avoir alloué la même somme de 150 000 FCP au titre des souffrances endurées par celle-ci avant son décès, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné le Fonds de garantie aux dépens de l'instance d'appel ;
Alors que les frais exposés devant les juridictions de première instance et d'appel statuant en matière d'indemnisation des victimes d'infraction sont à la charge du Trésor public ; qu'en condamnant néanmoins le Fonds de garantie aux dépens de l'instance d'appel, la cour d'appel a violé les articles R. 91 et R. 93, II, 11°, du code de procédure pénale, applicable en Polynésie française par application de l'article 804 du code de procédure pénale.
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CASS/JURITEXT000045308928.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 mars 2022
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 303 FP-B+R
Pourvoi n° D 20-20.185
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 MARS 2022
1°/ Mme [M] [J], domiciliée [Adresse 2],
2°/ M. [D] [Y], domicilié [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° D 20-20.185 contre l'arrêt rendu le 9 juillet 2020 par la cour d'appel de [Localité 6] (audience solennelle), dans le litige les opposant au conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lille, dont le siège est [Adresse 1], défendeur à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le Défenseur des droits a présenté des observations le 1er février 2022, en application de l'article 33 de la loi organique n° 2011-333 du 23 mars 2011;
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Gall, conseiller référendaire, les observations et plaidoiries de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [J] et de M. [Y], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lille, les observations du Défenseur des droits et l'avis de M. Poirret, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 15 février 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Le Gall, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, M. Vigneau, Mme Auroy, M. Hascher, Mme Antoine, MM. Avel, Mornet, Mme Poinseaux, M. Chevalier, conseillers, MM. Vitse, Duval, conseillers référendaires, M. Poirret, premier avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1, alinéa 2, et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ([Localité 6], 9 juillet 2020), par délibération du 24 juin 2019, notifiée aux membres du barreau le 27 juin, le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Lille (le conseil de l'ordre) a modifié l'article 9.6 de son règlement intérieur, relatif aux rapports avec les institutions, par l'ajout d'un cinquième alinéa disposant : « l'avocat ne peut porter avec la robe ni décoration, ni signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique. »
2. Le 27 août 2019, Mme [J], élève-avocate à l'I[8], et M. [Y], avocat inscrit au barreau de Lille, ont chacun formé, devant le bâtonnier de l'ordre, un recours contre cette délibération.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [J] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son recours formé contre la délibération du conseil de l'ordre du 24 juin 2019, alors :
« 1°/ que les dispositions de l'article 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 relative à la profession d'avocat sont contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit et notamment, au droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 en ce qu'elles limitent aux seuls avocats la possibilité de déférer à la cour d'appel une délibération ou décision du conseil de l'ordre de nature à léser leurs intérêts professionnels, à l'exclusion des élèves avocats ; que la déclaration d'inconstitutionnalité qui sera prononcée après renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité posée par écrit distinct et motivé au Conseil constitutionnel, privera l'article 15 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 et l'arrêt attaqué de toute base légale ;
2°/ qu'une élève avocate d'un centre de formation professionnelle qui porte le voile ou le foulard a intérêt à agir en annulation de la délibération du conseil de l'ordre du barreau qu'elle se prépare à intégrer, faisant interdiction de porter avec la robe d'avocat un signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique ; que la cour d'appel a violé l'article 31 du code de procédure civile ;
3°/ que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la Convention européenne des droits de l'homme ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale ; que la Cour européenne des droits de l'homme reconnaît comme recevable à se plaindre d'une violation des droits et libertés de ladite convention celui qui, en l'absence d'acte individuel d'exécution, fait partie d'une catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de la loi dénoncée comme violant ses droits et libertés ; qu'en s'abstenant de rechercher si, en sa qualité d'élève avocate au [4], de [Localité 6] et de [Localité 9], Mme [J], qui porte le voile, ne faisait pas partie d'une catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de la délibération du conseil de l'ordre portant interdiction de porter avec la robe d'avocat un signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
4. En premier lieu, par arrêt du 8 avril 2021 (n° 398 FS-P), la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à renvoi devant le Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité.
5. En deuxième lieu, il résulte des articles 31 du code de procédure civile, 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 14, 15 et 62 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 que, d'une part, seul le procureur général ou un avocat s'estimant lésé dans ses intérêts professionnels peut déférer à la cour d'appel les délibérations ou décisions du conseil de l'ordre, d'autre part, l'élève d'un [5] d'avocats dépend juridiquement de ce centre, de sorte que, s'agissant d'une action attitrée, celui-ci n'a pas qualité pour agir en contestation d'une délibération du conseil de l'ordre d'un barreau.
6. Après avoir relevé que Mme [J] n'était pas avocate, mais élève-avocate en formation à l'[7], non encore titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, la cour d'appel en a exactement déduit que celle-ci ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article 15 du décret précité, en l'absence de justification d'un intérêt professionnel lésé, et que le serment prêté par les élèves-avocats au début de leur formation n'était pas de nature à les assimiler à des avocats ni leur conférer la qualité exigée par ce texte.
7. En troisième lieu, ayant retenu que Mme [J], qui n'était pas soumise au port de la robe en sa qualité d'élève-avocate, ne pouvait se prévaloir d'une violation actuelle de ses droits et libertés reconnus par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations et énonciations rendaient inopérante.
8. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Sur les deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens, en ce qu'ils sont formés par Mme [J]
9. Le rejet du premier moyen rend ces moyens inopérants.
Sur le deuxième moyen, en ce qu'il est formé par M. [Y]
Enoncé du moyen
10. M. [Y] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de la délibération du conseil de l'ordre adoptée le 24 juin 2019, alors :
« 1°/ que toute délibération ou décision du conseil de l'ordre d'un barreau étrangère aux attributions de ce conseil ou contraire aux dispositions législatives ou réglementaires doit être annulée par la cour d'appel ; que le pouvoir réglementaire du conseil de l'ordre ne peut s'exercer que dans le cadre des dispositions législatives et réglementaires qui régissent la profession et dans la limite des libertés individuelles qui appartiennent aux avocats ; qu'aux termes de l'article 17 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971, le conseil de l'ordre de chaque barreau a pour attribution "de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession et de veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'à la protection de leurs droits" et a pour tâches notamment "d'arrêter et, s'il y a lieu, de modifier les dispositions du règlement intérieur" ; qu'aux termes de l'article 3 de ladite loi, les avocats "revêtent dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession" ; qu'en jugeant que "dès lors que le costume d'audience est une question intéressant l'exercice de la profession des avocats inscrits au barreau de Lille son conseil de l'ordre était bien compétent pour modifier son règlement intérieur à ce sujet" cependant que la délibération litigieuse, en ce qu'elle interdit à l'avocat de "porter avec sa robe ni décoration, ni signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique" et porte ainsi atteinte à l'exercice de leurs libertés publiques par les avocats, ne constitue pas une simple règle d'application ou une conséquence nécessaire de l'obligation de revêtir le costume professionnel, la cour d'appel a violé les articles 3, 17 et 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
2°/ que l'autonomie du pouvoir de réglementation du conseil de l'ordre d'un barreau quant à son règlement intérieur ne lui permet pas de restreindre sans base légale les libertés individuelles des avocats membres de ce barreau ; qu'il n'existe aucune base légale à la reconnaissance d'une obligation de neutralité attachée à la qualité d'auxiliaire de justice de l'avocat dont un conseil de l'ordre serait, à l'échelon local, habilité à tirer les conséquences dans son règlement intérieur ; qu'en jugeant néanmoins que le conseil de l'ordre du barreau de Lille était compétent pour édicter une telle interdiction dans son règlement intérieur, la cour d'appel a violé les articles 17 et 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble les articles 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 34 de la constitution. »
Réponse de la Cour
11. L'article 3 de la loi du 31 décembre 1971 énonce que les avocats sont des auxiliaires de justice, prêtent serment en ces termes : « Je jure comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité » et revêtent, dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession.
12. Selon l'article 17, le conseil de l'ordre a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession, sans préjudice des attributions dévolues au Conseil national des barreaux (CNB).
13. Selon l'article 21-1, le CNB unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession.
14. En l'absence de disposition législative spécifique et à défaut de disposition réglementaire édictée par le CNB, il entre dans les attributions d'un conseil de l'ordre de réglementer le port et l'usage du costume de sa profession.
15. C'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que les modalités du port et de l'usage du costume intéressaient l'exercice de la profession d'avocat et que le conseil de l'ordre avait le pouvoir de modifier son règlement intérieur sur ce point.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen, en ce qu'il est formé par M. [Y]
Enoncé du moyen
17. M. [Y] fait le même grief à l'arrêt, alors « que toute délibération ou décision du conseil de l'ordre d'un barreau étrangère aux attributions de ce conseil ou contraire aux dispositions législatives ou réglementaires doit être annulée par la cour d'appel ; que les articles R. 66 et R. 69 du code de la Légion d'honneur et de la Médaille militaire, auxquels renvoie l'article 27 du décret n° 63-1196 du 31 décembre 1963 portant création d'un Ordre national du mérite, confère le droit pour le décoré de porter les insignes que confère l'attribution d'une décoration française ; que le port d'une décoration sur la robe d'avocat ne contrevient ni aux principes essentiels de la profession ni au principe d'égalité entre les avocats (Crim. 24 octobre 2017, pourvoi n° 17-26.166, publié au bulletin) ni, à travers celui-ci, au principe d'égalité des justiciables ; qu'en refusant d'annuler la délibération litigieuse interdisant le port de toute décoration avec la robe d'avocat, la cour d'appel a violé les textes précités, ensemble l'article 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ; l'indivisibilité de la délibération devait entraîner sa nullité en son entier. »
Réponse de la Cour
18. Il ne résulte ni de l'arrêt ni des productions que M. [Y] ait soutenu être titulaire d'une décoration, de sorte qu'il n'est pas recevable, faute d'intérêt personnel et direct, à critiquer la délibération litigieuse en ce qu'elle interdit à l'avocat de porter toute décoration sur la robe.
19. Le moyen n'est donc pas recevable.
Sur le quatrième moyen, en ce qu'il est formé par M. [Y]
Enoncé du moyen
20. M. [Y] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que toute mesure restrictive des libertés protégées par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 10 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être "déterminée" ou "prévue par la loi" au sens de ces dispositions ; que la délibération litigieuse, qui fait interdiction à l'avocat de "porter avec sa robe" un "signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique", n'a aucune base légale et excède les attributions du conseil de l'ordre ; que la cour d'appel a violé les articles précités ;
2°/ que l'interdiction posée de porter avec la robe un signe manifestant ostensiblement une "appartenance ou une opinion ... communautaire", qui ne permet pas de cerner précisément les interdictions et obligations susceptibles d'en découler, méconnaît, par son imprécision même, la liberté d'expression, la liberté religieuse, et contrevient à l'interdiction de toute discrimination ; que la cour d'appel a violé les articles 1 et 2 de la loi 2008-496 du 27 mai 2008, 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 9, 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, 18, 19 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, 10, 11, 21, 22 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 18 décembre 2000 ;
3°/ que les libertés de pensée, de conscience et de religion et la liberté d'expression de ces libertés ne peuvent faire l'objet d'autres restrictions que celles qui prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique à l'un des buts suivants : sécurité publique, protection de l'ordre, santé ou morale publique, protection des droits et libertés d'autrui ; qu'en jugeant que l'interdiction faite à l'avocat de porter avec la robe, lors des missions d'assistance et de représentation du justiciable devant une juridiction, un "signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique" pouvait trouver sa justification dans l'objectif général, imprécis et abstrait de défense "du droit", non rattachable à l'un des buts légitimes précités, la cour d'appel a méconnu les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 10 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
4°/ que l'interdiction générale faite à l'avocat, professionnel libéral et indépendant néanmoins tenu par des obligations déontologiques de nature à sauvegarder la primauté de l'intérêt du client dans l'exercice de ses fonctions d'auxiliaire de justice, de porter avec la robe, lors des missions d'assistance et de représentation du justiciable devant une juridiction, un "signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique", n'est pas nécessaire dans une société démocratique à l'objectif de protection des droits et libertés du justiciable ; que la cour d'appel a méconnu les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 10 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
5°/ que l'interdiction générale faite à l'avocat, lors des missions d'assistance et de représentation du justiciable devant une juridiction, de porter un "signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique", n'est pas nécessaire ni proportionnée dans une société démocratique pour parvenir à l'objectif collectif de "témoigner de cette disponibilité [de l'avocat] à tout justiciable", la robe d'avocat permettant déjà et à elle seule d'atteindre cet objectif ; que la cour d'appel a méconnu les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 10 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
21.Il résulte des articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 9 et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que toute personne a droit, d'une part, à la liberté de pensée, de conscience et de religion, d'autre part, à la liberté d'expression et que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre, de la santé ou de la moralité publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
22. Selon l'article 3 de la loi du 31 décembre 1971 précité, les avocats sont des auxiliaires de justice qui prêtent serment d'exercer leurs fonctions notamment avec indépendance et qui revêtent, dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession, défini par l'arrêté des consuls du 2 nivôse an XI.
23. Après avoir rappelé que les avocats sont des auxiliaires de justice qui, en assurant la défense des justiciables, concourent au service public de la justice, la cour d'appel a retenu que la volonté d'un barreau d'imposer à ses membres, lorsqu'ils se présentent devant une juridiction pour assister ou représenter un justiciable, de revêtir un costume uniforme contribue à assurer l'égalité des avocats et, à travers celle-ci, l'égalité des justiciables, élément constitutif du droit à un procès équitable, qu'afin de protéger leurs droits et libertés, chaque avocat, dans l'exercice de ses fonctions de défense et de représentation, se doit d'effacer ce qui lui est personnel et que le port du costume de sa profession sans aucun signe distinctif est nécessaire pour témoigner de sa disponibilité à tout justiciable.
24. La cour d'appel, qui s'est ainsi fondée sur l'article 3 précité et les usages de la profession, en a déduit à bon droit que l'interdiction édictée à l'article 9.6 du règlement intérieur du barreau de Lille, suffisamment précise en ce qu'elle s'appliquait au port, avec la robe, de tout signe manifestant une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique, était nécessaire afin de parvenir au but légitime poursuivi, à savoir protéger l'indépendance de l'avocat et assurer le droit à un procès équitable, mais était aussi, hors toute discrimination, adéquate et proportionnée à l'objectif recherché.
25. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le cinquième moyen, en ce qu'il est formé par M. [Y]
Enoncé du moyen
26. M. [Y] fait encore le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que cette délibération, en ce qu'elle interdit le port, avec la robe d'avocate, de tout signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse ou communautaire, constitue une discrimination indirecte, fondée sur le sexe et la religion, en ce que, d'apparence neutre, elle entraîne, en fait, un désavantage particulier et disproportionné pour les femmes musulmanes, sauf à ce que cette interdiction soit objectivement justifiée par un objectif légitime, et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ce qu'il appartenait à la cour d'appel de vérifier ; que cependant, l'arrêt attaqué n'a pas justifié, autrement qu'en des termes généraux, en quoi et en vertu de quels critères, le port du voile ferait obstacle à l'exercice effectif de la mission d'assistance et de représentation de son client par une telle avocate ni en quoi et en vertu de quels critères le port du voile par une avocate dûment revêtue de son costume d'audience ferait obstacle à l'objectif de "disponibilité [de l'avocat] à tout justiciable" ; que la cour d'appel a violé les articles 2.2° de la loi 2008-496 du 27 mai 2008, 2 et 4 de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 26 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques ;
2°/ qu'en se bornant, pour écarter l'existence d'une discrimination indirecte à l'égard des femmes musulmanes, à relever que "l'interdiction édictée par la délibération litigieuse du 24 juin 2019 ne peut pas empêcher une femme portant le foulard de prêter serment et de devenir avocate, mais seulement restreindre la possibilité de garder le foulard quand cette avocate intervient devant une juridiction pour assister ou représenter un justiciable" pour considérer satisfaite l'exigence de proportionnalité, sans rechercher si, au regard de son champ propre d'application, la délibération litigieuse ne s'appliquait pas de manière disproportionnée aux femmes musulmanes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2.2° de la loi 2008-496 du 27 mai 2008, 2 et 4 de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 26 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques ;
3°/ qu'en ne répondant pas aux conclusions de M. [Y] qui faisait valoir que le caractère discriminatoire de la délibération prise à la suite de l'arrivée d'une élève-avocate voilée, et de l'intention ayant motivé la délibération, ressortait de l'absence de toute poursuite disciplinaire de la part du Conseil de l'ordre du barreau de Lille contre les avocats lillois ayant porté avec leur robe des signes manifestant ostensiblement leur opinion politique, tels qu'un rabat rouge, pendant les actions de grève et les manifestations d'opposition au projet de réforme des retraites organisées par une partie des membres de la profession entre janvier et 26 mars 2020, (conclusions, p. 31), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
27. En premier lieu, M. [Y] n'est pas recevable, faute d'intérêt personnel et direct, à invoquer un désavantage particulier et disproportionné pour les femmes musulmanes, pouvant résulter de la délibération litigieuse.
28. En second lieu, la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes.
29. Le moyen, irrecevable en ses première et deuxième branches, n'est donc pas fondé en sa troisième.
30. Il s'ensuit que la demande tendant à saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle relative à l'interprétation des dispositions de l'article 2 § b) de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, définissant la discrimination indirecte, est sans objet.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [J] et M. [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille vingt-deux.
Le conseiller referendaire rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [J] et M. [Y]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [M] [J] élève-avocate fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé la décision du 9 septembre 2019 du Conseil de l'ordre du barreau de Lille en ce qu'elle a déclaré irrecevable son recours formé à l'encontre de la délibération du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lille en date du 27 juin 2019,
1° ALORS QUE les dispositions de l'article 19 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 relative à la profession d'avocat sont contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit et notamment, au droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 en ce qu'elles limitent aux seuls avocats la possibilité de déférer à la cour d'appel une délibération ou décision du conseil de l'ordre de nature à léser leurs intérêts professionnels, à l'exclusion des élèves avocats ; que la déclaration d'inconstitutionnalité qui sera prononcée après renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité posée par écrit distinct et motivé au Conseil constitutionnel, privera l'article 15 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 et l'arrêt attaqué de toute base légale ;
2° ALORS QU'une élève avocate d'un centre de formation professionnelle qui porte le voile ou le foulard a intérêt à agir en annulation de la délibération du conseil de l'ordre du barreau qu'elle se prépare à intégrer, faisant interdiction de porter avec la robe d'avocat un signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique ; que la cour d'appel a violé l'article 31 du code de procédure civile;
3° ALORS QUE toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la Convention européenne des droits de l'homme ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale ; que la Cour européenne des droits de l'homme reconnaît comme recevable à se plaindre d'une violation des droits et libertés de ladite convention celui qui, en l'absence d'acte individuel d'exécution, fait partie d'une catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de la loi dénoncée comme violant ses droits et libertés ; qu'en s'abstenant de rechercher si, en sa qualité d'élève avocate au [4], de [Localité 6] et de [Localité 9], Mme [J], qui porte le voile, ne faisait pas partie d'une catégorie de personnes risquant de subir directement les effets de la délibération du conseil de l'ordre portant interdiction de porter avec la robe d'avocat un signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande d'annulation de la délibération du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lille prise le 24 juin 2019,
1° ALORS QUE toute délibération ou décision du conseil de l'ordre d'un barreau étrangère aux attributions de ce conseil ou contraire aux dispositions législatives ou réglementaires doit être annulée par la cour d'appel ; que le pouvoir réglementaire du conseil de l'ordre ne peut s'exercer que dans le cadre des dispositions législatives et réglementaires qui régissent la profession et dans la limite des libertés individuelles qui appartiennent aux avocats ; qu'aux termes de l'article 17 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971, le conseil de l'ordre de chaque barreau a pour attribution « de traiter toutes questions intéressant l'exercice de la profession et de veiller à l'observation des devoirs des avocats ainsi qu'à la protection de leurs droits » et a pour tâches notamment « d'arrêter et, s'il y a lieu, de modifier les dispositions du règlement intérieur » ; qu'aux termes de l'article 3 de ladite loi, les avocats « revêtent dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires, le costume de leur profession » ; qu'en jugeant que « dès lors que le costume d'audience est une question intéressant l'exercice de la profession des avocats inscrits au barreau de Lille son conseil de l'ordre était bien compétent pour modifier son règlement intérieur à ce sujet » cependant que la délibération litigieuse, en ce qu'elle interdit à l'avocat de « porter avec sa robe ni décoration, ni signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique » et porte ainsi atteinte à l'exercice de leurs libertés publiques par les avocats, ne constitue pas une simple règle d'application ou une conséquence nécessaire de l'obligation de revêtir le costume professionnel, la cour d'appel a violé les articles 3, 17 et 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
2° ALORS QUE l'autonomie du pouvoir de réglementation du conseil de l'ordre d'un barreau quant à son règlement intérieur ne lui permet pas de restreindre sans base légale les libertés individuelles des avocats membres de ce barreau ; qu'il n'existe aucune base légale à la reconnaissance d'une obligation de neutralité attachée à la qualité d'auxiliaire de justice de l'avocat dont un conseil de l'ordre serait, à l'échelon local, habilité à tirer les conséquences dans son règlement intérieur ; qu'en jugeant néanmoins que le conseil de l'ordre du barreau de Lille était compétent pour édicter une telle interdiction dans son règlement intérieur, la cour d'appel a violé les articles 17 et 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble les 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 34 de la constitution.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande d'annulation de la délibération du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lille prise le 24 juin 2019,
ALORS QUE toute délibération ou décision du conseil de l'ordre d'un barreau étrangère aux attributions de ce conseil ou contraire aux dispositions législatives ou réglementaires doit être annulée par la cour d'appel ; que les articles R. 66 et R. 69 du code de la Légion d'honneur et de la Médaille militaire, auxquels renvoie l'article 27 du décret n° 63-1196 du 31 décembre 1963 portant création d'un ordre national du Mérite, confère le droit pour le décoré de porter les insignes que confère l'attribution d'une décoration française ; que le port d'une décoration sur la robe d'avocat ne contrevient ni aux principes essentiels de la profession ni au principe d'égalité entre les avocats (Crim. 24 octobre 2017, pourvoi n° 17-26.166, publié au bulletin) ni, à travers celui-ci, au principe d'égalité des justiciables ; qu'en refusant d'annuler la délibération litigieuse interdisant le port de toute décoration avec la robe d'avocat, la cour d'appel a violé les textes précités, ensemble l'article 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ; l'indivisibilité de la délibération devait entraîner sa nullité en son entier.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande d'annulation de la délibération du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lille prise le 24 juin 2019,
1° ALORS QUE toute mesure restrictive des libertés protégées par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 10 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être « déterminée » ou « prévue par la loi » au sens de ces dispositions; que la délibération litigieuse, qui fait interdiction à l'avocat de « porter avec sa robe » un « signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique », n'a aucune base légale et excède les attributions du conseil de l'ordre ; que la cour d'appel a violé les articles précités ;
2° ALORS QUE l'interdiction posée de porter avec la robe un signe manifestant ostensiblement une « appartenance ou une opinion ... communautaire », qui ne permet pas de cerner précisément les interdictions et obligations susceptibles d'en découler, méconnaît, par son imprécision même, la liberté d'expression, la liberté religieuse, et contrevient à l'interdiction de toute discrimination ; que la cour d'appel a violé les articles 1 et 2 de la loi 2008-496 du 27 mai 2008, 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 9, 10 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, 18, 19 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, 10, 11, 21, 22 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 18 décembre 2000 ;
3° ALORS QUE les libertés de pensée, de conscience et de religion et la liberté d'expression de ces libertés ne peuvent faire l'objet d'autres restrictions que celles qui prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique à l'un des buts suivants : sécurité publique, protection de l'ordre, santé ou morale publique, protection des droits et libertés d'autrui; qu'en jugeant que l'interdiction faite à l'avocat de porter avec la robe, lors des missions d'assistance et de représentation du justiciable devant une juridiction, un « signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique » pouvait trouver sa justification dans l'objectif général, imprécis et abstrait de défense « du droit », non rattachable à l'un des buts légitimes précités, la cour d'appel a méconnu les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 10 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
4° ALORS QUE l'interdiction générale faite à l'avocat, professionnel libéral et indépendant néanmoins tenu par des obligations déontologiques de nature à sauvegarder la primauté de l'intérêt du client dans l'exercice de ses fonctions d'auxiliaire de justice, de porter avec la robe, lors des missions d'assistance et de représentation du justiciable devant une juridiction, un « signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique », n'est pas nécessaire dans une société démocratique à l'objectif de protection des droits et libertés du justiciable; que la cour d'appel a méconnu les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 10 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
5° ALORS QUE l'interdiction générale faite à l'avocat, lors des missions d'assistance et de représentation du justiciable devant une juridiction, de porter un « signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique », n'est pas nécessaire ni proportionnée dans une société démocratique pour parvenir à l'objectif collectif de « témoigner de cette disponibilité [de l'avocat] à tout justiciable », la robe d'avocat permettant déjà et à elle seule d'atteindre cet objectif; que la cour d'appel a méconnu les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 18 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 10 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
CINQUIEME MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande d'annulation de la délibération du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lille prise le 24 juin 2019,
1° ALORS QUE cette délibération, en ce qu'elle interdit le port, avec la robe d'avocate, de tout signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse ou communautaire, constitue une discrimination indirecte, fondée sur le sexe et la religion, en ce que, d'apparence neutre, elle entraîne, en fait, un désavantage particulier et disproportionné pour les femmes musulmanes, sauf à ce que cette interdiction soit objectivement justifiée par un objectif légitime, et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ce qu'il appartenait à la cour d'appel de vérifier ; que cependant, l'arrêt attaqué n'a pas justifié, autrement qu'en des termes généraux, en quoi et en vertu de quels critères, le port du voile ferait obstacle à l'exercice effectif de la mission d'assistance et de représentation de son client par une telle avocate ni en quoi et en vertu de quels critères le port du voile par une avocate dument revêtue de son costume d'audience ferait obstacle à l'objectif de « disponibilité [de l'avocat] à tout justiciable » ; que la cour d'appel a violé les articles 2.2° de la loi 2008-496 du 27 mai 2008, 2 et 4 de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 26 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques ;
2° ALORS QU' en se bornant, pour écarter l'existence d'une discrimination indirecte à l'égard des femmes musulmanes, à relever que « l'interdiction édictée par la délibération litigieuse du 24 juin 2019 ne peut pas empêcher une femme portant le foulard de prêter serment et de devenir avocate, mais seulement restreindre la possibilité de garder le foulard quand cette avocate intervient devant une juridiction pour assister ou représenter un justiciable »
pour considérer satisfaite l'exigence de proportionnalité, sans rechercher si, au regard de son champ propre d'application, la délibération litigieuse ne s'appliquait pas de manière disproportionnée aux femmes musulmanes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2.2° de la loi 2008-496 du 27 mai 2008, 2 et 4 de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 26 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques ;
3° ALORS QU' en ne répondant pas aux conclusions de Me [Y] qui faisait valoir que le caractère discriminatoire de la délibération prise à la suite de l'arrivée d'une élève-avocate voilée, et de l'intention ayant motivé la délibération, ressortait de l'absence de toute poursuite disciplinaire de la part du Conseil de l'ordre du barreau de Lille contre les avocats lillois ayant porté avec leur robe des signes manifestant ostensiblement leur opinion politique, tels qu'un rabat rouge, pendant les actions de grève et les manifestations d'opposition au projet de réforme des retraites organisées par une partie des membres de la profession entre janvier et 26 mars 2020, (conclusions, p. 31), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
Le greffier de chambre
N1 > N2 >1re Civ., 24 octobre 2018, pourvoi n° 17-26.166, Bull., (rejet), et les arrêts cités ;
|
CASS/JURITEXT000045067710.xml | LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 janvier 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 50 FS-B+R
Pourvoi n° B 20-15.376
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2022
1°/ M. [L] [B],
2°/ Mme [D] [Z], épouse [B],
tous deux domiciliés [Adresse 10],
ont formé le pourvoi n° B 20-15.376 contre l'arrêt rendu le 6 février 2020 par la cour d'appel de Nîmes (2e chambre, section A), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Mutuelles des architectes français (MAF), dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à Mme [J] [X], veuve [O], domiciliée [Adresse 10],
3°/ à M. [Y] [U], domicilié [Adresse 8], pris en qualité de mandataire liquidateur de M. [F] [E], demeurant [Adresse 7],
4°/ à M. [K] [I], domicilié [Adresse 1],
5°/ à M. [S] [A], domicilié [Adresse 5],
6°/ à M. [T] [W], domicilié [Adresse 3],
7°/ à M. [G] [R], domicilié [Adresse 14], pris en qualité de mandataire liquidateur de la société Maison du Gard,
8°/ à M. [C] [P], domicilié [Adresse 11],
9°/ à la société Caro Pro, dont le siège est [Adresse 4],
10°/ à la société Axa France IARD, dont le siège est [Adresse 9],
11°/ à la société SMA, dont le siège est [Adresse 12],
12°/ à la société BRMJ, dont le siège est [Adresse 13], prise en qualité de mandataire liquidateur de la société ARA services et aménagements,
13°/ à la société MAZA Menuiseries, dont le siège est [Adresse 6],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de Me Soltner, avocat de M. et Mme [B], de la SCP Boulloche, avocat de la MAF, de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [O], et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 30 novembre 2021 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Bech, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, Mme Brun, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. et Mme [B] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre MM. [I], [A], [W], [R], en sa qualité de liquidateur de la société Maison du Gard, et [P], et les sociétés Caro Pro, Axa France IARD, SMA, BRMJ, en sa qualité de liquidateur de la société ARA services et aménagements, et Maza menuiseries.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 6 février 2020), par acte du 18 mars 2009, Mme [O] a vendu un appartement à M. et Mme [B].
3. Ceux-ci ont confié à M. [E] (l'architecte), assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre de la rénovation de ce bien.
4. Se plaignant de malfaçons et d'imprévisions ayant, notamment, entraîné un dépassement du budget, M. et Mme [B] ont assigné l'architecte et la MAF en indemnisation de leurs préjudices.
5. Mme [O], se plaignant, quant à elle, de dommages provenant de l'appartement vendu et causés aux biens dont elle était restée propriétaire, a assigné M. et Mme [B], qui ont appelé l'architecte en garantie. Les instances ont été jointes.
6. L'architecte a été placé en liquidation judiciaire.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et sur le troisième moyen, ci-après annexés
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. M. et Mme [B] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande en paiement formée au titre de leur préjudice lié au dépassement du budget global du chantier, alors « que, selon l'article 1231-2 du code civil, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé ; qu'en l'espèce, sans la faute de M. [E], les époux [B] n'auraient pas été confrontés à la nécessité de souscrire un emprunt pour faire face à des travaux imprévus ; qu'ils auraient pu, dès l'origine, décider en connaissance de cause d'entreprendre ce chantier, de recourir ou non aux entreprises et intervenants qui leur étaient proposés, et pour un coût qu'ils auraient pu accepter ou refuser en connaissance de cause, autant de données dont ils ont été frustrés en raison de la faute de l'architecte ; qu'en exonérant celui-ci de toute responsabilité aux motifs que le surcoût qu'il lui était demandé de prendre en charge aurait dû « nécessairement être payé » par les exposants, affirmation portant sur un fait par hypothèse incertain et donc insusceptible d'affecter le lien de causalité direct qui existait entre le dommage résultant du dépassement de budget et la faute de l'architecte, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
9. La cour d'appel a retenu que, si le projet de l'architecte avait été correctement réalisé, M. et Mme [B] auraient dû nécessairement payer le surcoût correspondant aux prestations complémentaires omises de son évaluation.
10. Elle a pu en déduire qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre le préjudice lié à ce surcoût et les fautes de l'architecte, en dehors des déconvenues éprouvées par les maîtres d'ouvrage du fait des plus-values en cours de chantier, dont elle a souverainement fixé la réparation.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
12. M. et Mme [B] font grief à l'arrêt de fixer leur créance au passif de l'architecte à la somme de 67 777,06 euros seulement avec intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2013 et de condamner la MAF à payer cette somme, alors « que l'architecte qui manque à son devoir de conseil en omettant d'exiger les plans d'exécution de leur lot par les entreprises et de définir l'objet du marché revenant à chacune d'elles, ne peut se décharger des conséquences de sa carence en invoquant des fautes d'exécution de ces mêmes entreprises, fautes dont l'exécution de sa mission avait précisément pour objet d'empêcher la survenance ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, pour chacun des lots affectés de malfaçons, a retenu que « les désordres sont imputables pour moitié à une faute de l'entreprise qui n'a pas exécuté un ouvrage conforme aux règles de l'art (et) à l'architecte qui en s'abstenant dans le cadre de sa mission AMT de préparer un projet complet définissant précisément les prestations de l'entreprise, et en n'exigeant pas de l'entreprise un plan d'exécution, n'a pas mis en place un cadre permettant le bon accomplissement de l'ouvrage » ; qu'en jugeant que l'architecte ayant commis un tel manquement était fondé, dans ses relations avec les maîtres d'ouvrage, à se prévaloir de la faute d'exécution commise par les entreprises, et en décidant en conséquence que les fautes respectives des parties ayant contribué aux désordres seront fixées dans la proportion de 70 % pour l'entreprise en raison du défaut d'exécution, et de 30 % pour l'architecte en raison de l'impréparation du projet, la cour d'appel a violé les articles 1231-1 et 1793 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
13. Selon ce texte, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
14. Chacun des coauteurs d'un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné in solidum à la réparation de l'entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilités entre les coauteurs, lequel n'affecte que les rapports réciproques de ces derniers, mais non le caractère et l'étendue de leur obligation à l'égard de la victime du dommage.
15. L'arrêt relève que le contrat de maîtrise d'oeuvre contient une clause prévoyant que l'architecte ne pourra être tenu responsable ni solidairement ni in solidum des fautes commises par d'autres intervenants à l'opération.
16. Une telle clause ne limite pas la responsabilité de l'architecte, tenu de réparer les conséquences de sa propre faute, le cas échéant in solidum avec d'autres constructeurs. Elle ne saurait avoir pour effet de réduire le droit à réparation du maître d'ouvrage contre l'architecte, quand sa faute a concouru à la réalisation de l'entier dommage.
17. Pour limiter l'obligation à réparation de l'architecte et de son assureur à une fraction des dommages, l'arrêt retient que la clause d'exclusion de solidarité n'est privée d'effet qu'en cas de faute lourde et que l'architecte n'est tenu qu'à hauteur de la part contributive de sa faute dans la survenance des dommages.
18. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que les dommages avaient été causés par la faute de l'architecte, qui s'était abstenu de préparer un projet complet définissant précisément les prestations des locateurs d'ouvrage et d'exiger d'eux des plans d'exécution, ce dont il résultait que la faute de l'architecte était à l'origine de l'entier dommage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Mise hors de cause
19. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause Mme [O], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la fixation de créance au passif de M. [E] et la condamnation de la Mutuelle des architectes français prononcées au titre de la reprise des malfaçons du gros oeuvre imputables à M. [H], des malfaçons du placoplâtre, des malfaçons des évacuations des eaux usées, des malfaçons des gouttières, des malfaçons des enduits, des malfaçons de l'électricité, de la mise en conformité du chauffage, du lot terrasse de 18 m² et de la visite du consuel demandée par l'expert, l'arrêt rendu le 6 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Met hors de cause Mme [O] ;
Condamne M. [U], pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de M. [E], et la Mutuelle des architectes français aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la Mutuelle des architectes français à payer à M. et Mme [B] la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Soltner, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [B]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR Fixé la créance de M. [L] [B] et Mme [D] [Z] épouse [B] à l'égard de M. [E] à la somme de 67.777,06 € seulement avec intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2013 ; Dit que la somme de 67.777,06 € sera inscrite au passif de la procédure collective de M. [E] ; Condamné la Mutuelle des Architectes Français en qualité d'assureur de M. [E], à payer à M. [L] [B] et Mme [D] [Z] épouse [B] la somme de 67.777,06 € avec intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2013 en réparation de leurs préjudices ;
AUX MOTIFS QU'Attendu qu'il y a donc lieu de déterminer la réalité des préjudices invoqués et leur lien de causalité avec une faute de l'architecte ou des entreprises ayant procédé à l'exécution de l'ouvrage ; Attendu que les époux [B] sont liés à M. [E] par un contrat d'architecte signé le 3 février 200 limitant la mission du maître d'oeuvre à :
-l'assistance à la passation des marchés AMT
-la direction et comptabilité des travaux DE
-le visa des plans VISA
-l'assistance aux opérations de réception AOR
Attendu certes que les obligations du maître d'oeuvre sont limitées par sa mission ; Que toutefois en l'espèce, selon l'expert, la complexité du chantier des époux [B] impliquant une réhabilitation complète, commandait une mission complète ; Attendu qu'en effet, il existe des tâches nécessaires sans lesquelles l'architecte n'est pas en mesure d'assurer l'accomplissement de l'oeuvre et sa bonne exécution ; Qu'ainsi, M. [E] ne pouvait assister efficacement les époux [B] lors des passations des marchés ni assurer une direction des travaux conforme aux règles de l'art, sans qu'au préalable aient été établis un diagnostic de l'existant et une définition précise des prestations des différents lots ; qu'en n'informant pas le maître de l'ouvrage de la nécessité, soit de lui confier ces missions complémentaires, soit de les déléguer à un tiers, l'architecte a failli à son obligation de conseil à l'égard du maître de l'ouvrage ; Que M. [E] aurait dû notamment établir des écrits et documents graphiques permettant aux entreprises d'avoir une parfaite connaissance du projet pour apprécier l'étendue et la pertinence des prestations à réaliser ; Qu'il ne pouvait accepter une mission "AMT" sans exiger du maître de l'ouvrage que les autres missions constituant un préalable nécessaire soient réalisés par lui-même ou par un tiers ; Que le déroulement chaotique du chantier souligné par l'expert, caractérisé par la succession des entreprises pour un même lot et l'inexécution partielle par les entreprises de leur contrat mal défini est la conséquence d'un manque de préparation du projet, caractérisant une faute de l'architecte dans son obligation de conseil ; Attendu que la qualité d'agent immobilier de M. [B], maître de l'ouvrage qui lui confère une compétence en matière immobilière mais non dans le domaine de la construction ne pouvait en aucun cas dispenser l'architecte de son obligation de conseil ; (?) Sur les plus-values de chantier : Attendu qu'en l'absence d écrits et documents graphiques permettant aux entreprises d'avoir une parfaite connaissance du projet pour apprécier l'étendue et la pertinence des prestations à réaliser, les prestations prévues au devis des entreprises se sont révélées insuffisantes pour répondre aux contraintes du chantier de sorte que sont nés de nombreux litiges et divergences sur le chantier ; que les époux [B] ont été confrontés à plusieurs reprises à des surcoûts qui n'étaient pas envisagés initialement ; que l'impréparation du projet par l'architecte caractérisant une faute dans sa mission AMT est à l'origine exclusive des déconvenues multiples des époux [B] ; Qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement de première instance qui leur a accordé à ce titre la somme de 3.000€
9. Sur les désordres apparus après abandons et défaillances ayant conduit à des travaux de reprise par de nouveau titulaire ;
Attendu que ce poste de préjudice concerne le coût des réparations des désordres apparus en cours de chantier consécutivement à la défection ou l'abandon de certaines entreprises ;
- le lot gros oeuvre :
Attendu que M. [H] qui était titulaire du lot gros oeuvre a abandonné le chantier ; que les malfaçons constatées après son départ ont fait l'objet d'un nouveau contrat de marché confié à Ara Service pour un coût de 7.380 € HT (rapport d'expertise page 131) ; Que les désordres sont imputables essentiellement à un défaut d'exécution de l'entreprise qui n'a pas exécuté un ouvrage conforme aux règles de l'art et également à l'architecte qui en s'abstenant dans le cadre de sa mission AMT de préparer un projet complet définissant précisément les prestations de l'entreprise [H], et en n'exigeant pas de l'entreprise un plan d'exécution, n'a pas mis en place un cadre permettant le bon accomplissement de l'ouvrage ; Que les fautes respectives des parties ayant contribué aux désordres seront fixées dans la proportion de 70 % pour l'entreprise (défaut d'exécution) et 30 % pour l'architecte (préparation insuffisante du projet), étant relevé qu'aucune demande n'est formée par les époux [B] à l'encontre de l'entreprise [H], de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur une éventuelle condamnation de cette dernière conformément à l'article 5 du code de procédure civile, le jugé lié par les conclusions des parties, devant se prononcer seulement sur la demande ; Attendu qu'en l'absence de réception de l'ouvrage les désordres liées à la construction sont réparables dans les conditions de la responsabilité civile de droit commun ; Que les rapports entre les différents intervenants sont régis par les règles de la responsabilité civile contractuelle ou délictuelle selon qu'il existe ou non un contrat entre eux ; Attendu que pour échapper à une condamnation in solidum de l'architecte, la Maf qui assure ce dernier, invoque la clause du contrat excluant la solidarité ; Attendu que le § 5 du contrat d'architecte prévoit une clause limitative de solidarité ainsi libellée : il ne pourra être tenu responsable ni solidairement ni in solidum des fautes commises par d'autres intervenants à l'opération visée ci-dessus ; Attendu que les époux [B] estiment que cette clause écartant la responsabilité in solidum de l'architecte n'est pas valable ; Attendu toutefois que le juge est tenu de respecter les stipulations contractuelles excluant les conséquences de la responsabilité solidaire ou in solidum d'un constructeur à raison des dommages imputables à un autre intervenant lorsque la responsabilité recherchée n'est pas la responsabilité légale des articles 1792 et suivants du code civil ;Qu'une telle clause limitative de responsabilité est privée d'effet seulement dans le cas d'une faute lourde ;
Lot gros oeuvre :
Attendu que selon l'expert, le gros oeuvre est affecté de désordres nécessitant des reprises fixées pour un coût de 2.980 € HT ; Attendu que le gros oeuvre a été traité successivement par M. [H] et l'entreprise ARA Service ; Que l'absence d'état des lieux dressé par l'architecte lors de l'abandon du chantier par le titulaire initial constitue une faute de l'architecte dans l'exécution de sa mission de direction des travaux (DET) et ne permet pas d'imputer un défaut d'exécution à l'une ou l'autre des entreprises de sorte que l'architecte supportera seul le montant de la reprise des désordres ;
Gouttières :
Attendu que le défaut de pente affectant les gouttières mises en place par l'entreprise Chapon Dumas nécessite des travaux de reprise, estimés par l'expert à 1.500€ hT ; Que ces désordres sont imputables essentiellement à un défaut d'exécution de l'entreprise Chapon Dumas qui n'a pas exécuté un ouvrage conforme aux règles de l'art mais également à l'architecte qui en s'abstenant dans le cadre de ses missions AMT et DET de préparer un projet complet définissant précisément les prestations de l'entreprise Chapon Dumas, et en n'exigeant pas de l'entreprise un plan d'exécution, n'a pas mis en place un cadre permettant le bon accomplissement de l'ouvrage ; Que les fautes respectives des parties ayant contribué aux désordres seront fixées dans la proportion de 70 % pour l'entreprise (défaut d'exécution) et 30 % pour l'architecte (préparation insuffisante du projet), étant relevé qu'aucune demande n'est formée par les époux [B] à l'encontre de l'entreprise Chapon Dumas, laquelle n'est pas attraite en la cause ;Que l'architecte doit être tenu responsable du préjudice pour sa seule faute, soit pour la somme de 450 € HT (1.500 X30 %) somme qui sera inscrite au passif de sa liquidation judiciaire ; Qu'il sera fait application de la clause exclusive de solidarité dès lors qu'il n'est pas démontré de faute lourde commise par l'architecte ;
Lot enduit de façade :
Attendu que l'entreprise [P] titulaire du lot n'a pas traité intégralement la façade, l'expert ayant noté la nécessité de procéder à des compléments d'enduit et une reprise en rive par couvre-joint afin d'assurer l'étanchéité pour un coût de 3.000 € ; Que ces désordres sont imputables essentiellement à un défaut d'exécution de l'entreprise Pro Etanchéité (M. [P]) qui n'a pas exécuté un ouvrage conforme aux règles de l'art mais également à l'architecte qui en s'abstenant dans le cadre de sa mission de préparer un projet complet définissant précisément les prestations de l'entreprise [P] Pro Etanchéité, et en n'exigeant pas de l'entreprise un plan d'exécution, n'a pas mis en place un cadre permettant le bon accomplissement de l'ouvrage ; Que les fautes respectives des parties ayant contribué aux désordres seront fixées dans la proportion de 70 % pour l'entreprise (défaut d'exécution) et 30 % pour l'architecte (préparation insuffisante du projet) ; Que l'architecte doit être tenu responsable du préjudice pour sa seule faute, soit pour la somme de 900€ HT (3.000X30 %) somme qui sera inscrite au passif de sa liquidation judiciaire ; Qu'il sera fait application de la clause exclusive de solidarité dès lors qu'il n'est pas démontré de faute lourde commise par l'architecte ; Attendu que la somme mise à la charge de l'entreprise Pro Etanchéité sera limitée à la somme réclamée par les époux [B] dans leurs dernières conclusions fixée à la somme de 330 €, dès lors que le juge, conformément à l'article 5 du code de procédure civile est lié par les conclusions des parties et doit se prononcer seulement sur la demande ; Lot électricité /VMC : Attendu que selon l'expert, la société Rapid Elec qui est intervenue à la suite de M. [A] pour ce lot, a livré un ouvrage comportant de défauts et non-conformités à la sécurité ; Que les travaux de reprise qui ont été effectués s'élèvent à la somme de 2.322€ ht ; Que ces désordres sont imputables essentiellement à un défaut d'exécution de l'entreprise Rapid Elec (M. [W]) qui n'a pas exécuté un ouvrage conforme aux règles de l'art mais également à l'architecte qui en s'abstenant dans le cadre de sa mission AMT de préparer un projet complet définissant précisément les prestations de l'entreprise Rapid Elec, et en n'exigeant pas de l'entreprise un plan d'exécution, n'a pas mis en place un cadre permettant le bon accomplissement de l'ouvrage ; que les fautes respectives des parties ayant contribué aux désordres seront fixées dans la proportion de 70 % pour l'entreprise (défaut d'exécution) et 30 % pour l'architecte (préparation insuffisante du projet) ; Que l'architecte doit être tenu responsable du préjudice pour sa seule faute, soit pour la somme de 696,6€ HT (2.322 X30 %) somme qui sera inscrite au passif de sa liquidation judiciaire ; Qu'il sera fait application de la clause exclusive de solidarité dès lors qu'il n'est pas démontré de faute lourde commise par l'architecte ; Attendu que la somme mise à la charge de l'entreprise Rapid Elec sera limitée à la somme réclamée par les époux [B] dans leurs dernières conclusions fixée à la somme de254 €, dès lors que le juge, conformément à l'article 5 du code de procédure civile est lié par les conclusions des parties et doit se prononcer seulement sur la demande ;
Lot chauffage ECS :
Attendu que selon l'expert, le matériel mis en place par l'entreprise [A] n'est pas adapté à la configuration des lieux , aucune étude thermique prenant en compte toutes les contraintes des existants et les coefficients thermiques des nouveaux matériaux n'ayant été réalisée au préalable ; Attendu que les travaux de reprise supposant une étude thermique, la dépose de l'installation existante ainsi que la fourniture et la pose d'un chauffage air/air dimensionné outre les mesures correctives de la VMC et du cumulus représentent un coût HT de 18.300 € ; Que ces désordres sont imputables pour moitié à une faute de l'entreprise [A]) qui n'a pas exécuté un ouvrage conforme aux règles de l'art et qui n'a pas conseillé aux époux [B] de faire réaliser une étude thermique mais également à l'architecte qui en s'abstenant dans le cadre de sa mission AMT de préparer un projet complet définissant précisément les prestations de l'entreprise [A], et en n'exigeant pas de l'entreprise un plan d'exécution, n'a pas mis en place un cadre permettant le bon accomplissement de l'ouvrage ; qu'en outre, M. [E] qui a reconnu n'avoir aucune compétence en matière thermique, aurait dû conseiller à ses clients, de faire réaliser préalablement une étude thermique afin d'éviter une inadaptation des installations ; Que les fautes respectives des parties ayant contribué aux désordres seront fixées dans la proportion de 50 % pour l'entreprise (défaut d'exécution et manquement à son obligation de conseil) et 50 % pour l'architecte (préparation insuffisante du projet et manquement à son obligation de conseil) ; Attendu que la somme mise à la charge de l'entreprise [A] sera limitée à la somme réclamée par les époux [B] dans leurs dernières conclusions fixée à la somme de 2.794,46 € HT, soit 3.073,90 TTC dès lors que le juge, conformément à l'article 5 du code de procédure civile est lié par les conclusions des parties et doit se prononcer seulement sur la demande ; Que l'architecte doit être tenu responsable du préjudice pour sa seule faute, soit pour la somme de 9.150 €(18.300 X 50%) somme qui sera inscrite au passif de sa liquidation judiciaire ; Qu'il sera fait application de la clause exclusive de solidarité dès lors qu'il n'est pas démontré de faute lourde commise par l'architecte ;
Lot plomberie
Attendu que l'architecte qui s'est trompé dans la commande d'un élément sanitaire, devra régler la somme de 150 € représentant le montant de la pose du WC suspendu ;
Lot terrasse de 18 m2 :
Attendu que selon l'expert, cette terrasse n'est pas conforme, en raison de l'impossibilité d'évacuation des eaux pluviales sous la chape, aucun principe de drainage et d'évacuation par récolte n'ayant été réalisé ; Que l'entreprise [H] a commis des non-conformités, les lots étanchéité ([P]) et carrelage, plomberie et menuiseries ayant accepté de travailler sur ces supports non conformes ; Que les travaux de reprise consistent à démolir la chape et le carrelage, à assurer l'évacuation et à réaliser une nouvelle étanchéité avec habillage des seuils reconstitués pour un coût de 5.320 € ht ; Attendu que l'absence d'établissement par l'architecte d'un document définissant précisément le contenu de la prestation de M. [H] en ce qui concerne sa prestation sur la terrasse d'une part et l'absence d'état des lieux dressé par l'architecte lors de l'abandon du chantier par M. [H] constitue une faute de l'architecte tant au stade de l'assistance à la passation des marchés (AMT) que dans l'exécution de sa mission de direction des travaux (DET) et n'a pas permis de déceler la non-conformité du support sur lequel les entreprises ont réalisé ultérieurement leurs prestations ; Qu'il importe de relever que l'entreprise [H] qui a failli dans l'exécution d'un ouvrage conforme aux règles de l'art supportera le coût de la réfection de l'évacuation représentant une somme de 900 € et, l'architecte le surplus de la reprise, soit la somme de 4.420 € ; Que l'architecte doit être tenu responsable du préjudice pour sa seule faute, soit pour la somme de 4.420 € qui sera inscrite au passif de sa liquidation judiciaire ; Qu'il sera fait application de la clause exclusive de solidarité dès lors qu'il n'est pas démontré de faute lourde commise par l'architecte ;
Lot menuiseries extérieures et intérieures :
Attendu que selon l'expert, les menuiseries ne sont pas conformes aux règles de sécurité pour assurer l'isolement au feu selon le degré requis , la mise aux normes représentant un coût de 2.450 € ht ; Que ces désordres sont imputables à un défaut de conseil de l'architecte qui aurait dû prévoir les normes qui s'imposaient en l'espèce ; Qu'en revanche, faute de constat d'un quelconque désordre par l'expert, la pose d'une porte à galandage ou d'une trappe qui révèlent des non finitions ne peut être imputée à l'architecte ou à un autre locateur d'ouvrage ; L'isolement aux tiers dans la cage d'escalier et garde-corps sécurité :
Attendu qu'il importe de relever que la rénovation concernait un appartement situé dans une copropriété et à un étage élevé ; que l'expert a indiqué qu'il était nécessaire de réaliser des cloisons séparatives entre le logement des époux [B] et les parties communes ainsi que des garde-corps, l'ensemble représentant un coût de 3.250 € Ht ; Que l'architecte aurait dû prévoir, au titre de son obligation de conseil d'équiper les ouvrages des équipements de sécurité qui s'imposaient ; Qu'il doit donc supporter entièrement le coût de la mise aux normes ;
Sur la garantie due par la Maf, assureur de M. [E] : Attendu que la Maf garantissant M. [E] au titre de sa responsabilité civile professionnelle et qui peut opposer la clause exclusive de solidarité insérée au contrat de son assurée dans le cadre de l'action directe de la victime à son encontre ,sera condamnée à payer aux époux [B] la somme de 67.777,06 €, avec intérêts au taux légal à compter du 29 juillet 2013, date de l'assignation ; Sur la garantie due par la société assurances Axa , assureur de M. [A] : Attendu que la garantie responsabilité civile professionnelle de la société Axa ne peut être mobilisée au titre des travaux de reprise de l'ouvrage fait par l'assuré ;
1°) ALORS QUE l'architecte qui manque à son devoir de conseil en omettant d'exiger les plans d'exécution de leur lot par les entreprises et de définir l'objet du marché revenant à chacune d'elles, ne peut se décharger des conséquences de sa carence en invoquant des fautes d'exécution de ces mêmes entreprises, fautes dont l'exécution de sa mission avait précisément pour objet d'empêcher la survenance ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, pour chacun des lots affectés de malfaçons, a retenu que « les désordres sont imputables pour moitié à une faute de l'entreprise qui n'a pas exécuté un ouvrage conforme aux règles de l'art (et) à l'architecte qui en s'abstenant dans le cadre de sa mission AMT de préparer un projet complet définissant précisément les prestations de l'entreprise, et en n'exigeant pas de l'entreprise un plan d'exécution, n'a pas mis en place un cadre permettant le bon accomplissement de l'ouvrage » ; qu'en jugeant que l'architecte ayant commis un tel manquement était fondé, dans ses relations avec les maîtres d'ouvrage, à se prévaloir de la faute d'exécution commise par les entreprises, et en décidant en conséquence que les fautes respectives des parties ayant contribué aux désordres seront fixées dans la proportion de 70 % pour l'entreprise en raison du défaut d'exécution, et de 30 % pour l'architecte en raison de l'impréparation du projet, la cour d'appel a violé les articles 1231-1 et 1793 du code civil ;
2°) ALORS QUE la faute lourde de l'architecte se déduit de la gravité des manquements aux obligations contractuelles et réglementaires que lui imposait sa mission, peu important son absence d'intention de nuire ; qu'il appartient au juge devant lequel le maître d'ouvrage invoque l'existence d'une faute lourde de l'architecte de nature à priver d'effet une clause écartant la solidarité, de se prononcer sur les moyens et arguments soulevés à l'appui de cette qualification; qu'en se contentant d'énoncer que la faute lourde invoquée contre M. [E] « n'est pas démontrée », sans procéder à aucune analyse des conclusions des époux [B] qui soutenaient que l'expert avait constaté les très nombreuses fautes de M. [E] (Pages 111, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 119, 120, 121, 122, 123 et 124 / Rapport d'expertise Pièce n°11), d'où il se déduisait que l'intéressé avait preuve de négligences d'une extrême gravité dénotant son inaptitude à accomplir sa mission contractuelle, ce qui justifiait la mise à l'écart, en raison de l'existence d'une faute lourde, de la clause écartant le jeu de la solidarité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard articles 1231-1 et 1793 du code civil ;
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté les époux [B] de leur demande en paiement de la somme de 58 621,45 euros au titre de leur préjudice lié au dépassement du budget global du chantier ;
AUX MOTIFS QUE les déconvenues éprouvées par les époux [B] pour les plus-values en cours de chantier ont fait l'objet d'une indemnisation ; Que s'agissant du préjudice allégué de dépassement global du chantier, il est incontestable que le budget initialement prévu dans le projet de l'architecte a été largement dépassé ; qu'il importe néanmoins de relever que si le projet de l'architecte avait été correctement réalisé, les époux [B] auraient dû nécessairement payer ce surcoût correspondant à des prestations complémentaires ; Qu'il n'existe donc pas de lien de causalité entre la faute commise par l'architecte dans la préparation du projet et le préjudice allégué par les époux [B] ; Que par suite, le premier jugement sera infirmé en ce qu'il a accordé aux époux [B] la somme de 58.621,45 € à ce titre ;
1°) ALORS QUE selon l'article 1793 du Code civil « lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire » ; que l'architecte qui manque à son obligation de conseil en omettant d'informer le maître d'ouvrage de la nécessité de prévoir des postes de travaux et des missions supplémentaires imposées par l'importance du chantier et le volume des travaux que celui-ci réclame, est tenu de réparer les conséquences des dépassements de coût résultant de cette impréparation dont il porte seul la responsabilité ; que la cour d'appel, qui retient que Monsieur [E], en n'informant pas le maître de l'ouvrage de la nécessité, soit de lui confier des missions complémentaires, soit de les déléguer à un tiers, avait failli à son obligation de conseil à l'égard du maître de l'ouvrage, tout en jugeant que ce même architecte n'était pas tenu de prendre à sa charge le montant du dépassement de budget en résultant, aux motifs que les époux [B] aurait dû nécessairement payer ce surcoût si l'architecte avant correctement réalisé sa mission, la cour d'appel a violé l'article 1231-1 et 1793 du code civil ;
2°) ALORS QUE selon l'article 1231-2 du code civil, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé ; qu'en l'espèce, sans la faute de M. [E], les époux [B] n'auraient pas été confrontés à la nécessité de souscrire un emprunt pour faire face à des travaux imprévus ; qu'ils auraient pu, dès l'origine, décider en connaissance de cause d'entreprendre ce chantier, de recourir ou non aux entreprises et intervenants qui leur étaient proposés, et pour un coût qu'ils auraient pu accepter ou refuser en connaissance de cause, autant de données dont ils ont été frustrés en raison de la faute de l'architecte ; qu'en exonérant celui-ci de toute responsabilité aux motifs que le surcoût qu'il lui était demandé de prendre en charge aurait dû « nécessairement être payé » par les exposants, affirmation portant sur un fait par hypothèse incertain et donc insusceptible d'affecter le lien de causalité direct qui existait entre le dommage résultant du dépassement de budget et la faute de l'architecte, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement de première instance en ce qu'il a condamné Mme [O] à payer aux époux [B] la somme de 23.000 € au titre des travaux de toiture qu'elle a commandés avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2015 ;
AUX MOTIFS QUE, Sur la demande en paiement des époux [B] à l'encontre de Mme [O] Attendu que les époux [B] prétendent que pour éviter le blocage de leur chantier, ils ont réglé à M. [H] en charge de la surélévation du toit sur la partie avant de l'immeuble (partie privative), la somme de 23.000 € correspondant à la prestation réalisée par cet entrepreneur sur la toiture arrière, (partie commune de la copropriété), à la demande de Mme [O] ; Attendu que ce paiement allégué s'analyse en un paiement de la dette d'autrui ; Que selon l'article 1236 du code civil, une obligation peut être acquittée par toute personne qui y est intéressée ou par un tiers qui n'y est point intéressé pourvu que ce tiers agisse au nom et en l'acquit du débiteur ; Que le tiers qui sans y être tenu, a payé la dette d'autrui de ses propres deniers, est tenu de prouver que la cause dont procède ce paiement implique pour le débiteur l'obligation de lui rembourser les sommes ainsi versées ; Qu'en l'espèce, le paiement allégué de la somme de 23.000€ ne résulte d'aucune pièce du dossier des époux [B] ; qu'en effet, ils ne justifient pas d'un débit de leur compte bancaire correspondant au montant ; que pas davantage, ils ne produisent un reçu de l'entreprise [H] ; Qu'ils ne versent pas non plus la facture de M. [H] adressée à Mme [O] concernant la réfection de la toiture arrière, partie commune ; Que même les investigations expertales n'ont pas permis de connaître la nature des travaux et le montant correspondant à la partie commune de la toiture, l'expert constatant qu'il n'était pas en mesure d'apprécier la teneur de l'accord verbal entre M. [H] et Mme [O] ; Qu'en page 140 de son rapport, l'expert note que la facture de l'entreprise [H] est toujours absente de notre dossier ; Attendu qu'il s'en déduit que les époux [B] ne rapportent pas la preuve de leur qualité de solvens et ne sont pas bien fondés dans leur demande de remboursement à l'encontre de Mme [O] de la somme de 23.000€ ; Que par suite, il y a lieu d'infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné Mme [O] à payer aux époux [B] la somme de 23.000€ au titre des travaux de toiture qu'elle a commandés avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2015
1°) ALORS QUE le juge ne doit pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, il résulte du rapport d'expertise, expressément reproduit par les époux [B] dans leur conclusions, les énonciations suivantes de l'expert : « ...il est confirmé que Mme [O] est toujours débitrice vis-à-vis de [H] (?) et que l'abandon véritable ne pourrait être conséquent du non-paiement des époux [B] concernant leur part. » (Pages 66, 67, 138, 139 / Rapport d'expertise pièce n°11) ; « Le compte entre les parties confirme que [H] a facturé ses prestations pour la couverture / Charpente aux époux [B] selon facture du 12.05.2009 pour 23.442,10 € T.T.C. Règlement des époux [B] à hauteur de 23.000 € T.T.C. Les époux [B] seront en droit d'exiger le coût ainsi annoncé au profit de Mme [O]. » (p. 139) ; qu'en énonçant que « le paiement allégué de la somme de 23.000€ ne résulte d'aucune pièce du dossier des époux [B] » la Cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise, en violation des articles 1103, 1193 et 1104 du Code civil (nouveau).
2°) ALORS QUE la preuve du paiement s'établit par tous moyens ; qu'en s'abstenant de rechercher si la preuve du paiement de la somme de 23 000 euros au nom et pour le compte de Mme [O] ne résultait pas de l'examen des comptes entre les parties fait par l'expert, et notamment de la constatation par ce dernier de la réalité du paiement de la somme de 23 000 euros à la société [H] pour des travaux de toiture ne pouvant pas leur incomber, et des autres pièces produites par les époux [B] pour attester de ce paiement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des article 1315 et 1236 du code civil ;
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CASS/JURITEXT000046357302.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 29 septembre 2022
Annulation partielle
sans renvoi
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 971 F-B
Pourvoi n° S 21-14.681
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 29 SEPTEMBRE 2022
M. [U] [Z], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-14.681 contre l'arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à la société EG active Lyon, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [Z], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société EG active Lyon, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 28 janvier 2021), le 18 juillet 2019, M. [Z] a relevé appel d'un jugement du 24 juin 2019 d'un conseil de prud'hommes rendu dans un litige l'opposant à la société EG active Lyon.
2. Cette dernière a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant rejeté ses demandes tendant à déclarer les conclusions de M. [Z] irrecevables, faute de déterminer l'objet du litige, et par voie de conséquence, à déclarer caduque la déclaration d'appel.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [Z] fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a dit que le conseiller de la mise en état était compétent pour statuer sur la demande tendant à la caducité de l'appel, d'infirmer l'ordonnance pour le surplus et, statuant à nouveau, de déclarer caduque la déclaration d'appel, alors « qu'aucune disposition ne donne compétence au conseiller de la mise en état pour apprécier, en considération de leur contenu, si les conclusions des parties déterminent l'objet du litige au regard des prescriptions de l'article 954 du code de procédure civile ; que, pour confirmer l'ordonnance déférée, en ce qu'elle avait dit le conseiller de la mise en état compétent pour statuer sur la demande de caducité de l'appel, et statuer elle-même, sur déféré, sur une demande tendant à voir prononcer la caducité de l'appel au motif que les conclusions de l'appelant ne déterminaient pas l'objet du litige, la cour d'appel a retenu que le conseiller de la mise en état était compétent pour statuer sur la recevabilité des conclusions à fin de prononcer la caducité de l'appel ; qu'en statuant de la sorte par un motif inopérant, dès lors que, serait-il établi qu'elles ne déterminent pas l'objet du litige, des conclusions ne sont pas irrecevables pour ce seul motif, et quand la cour d'appel, statuant au fond, est seule compétente pour déterminer l'étendue de sa saisine et apprécier si les conclusions des parties déterminent l'objet du litige au regard de l'article 954 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé ce texte et les articles 911-1 et 914 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Il résulte des articles 908, 914 et 954 du code de procédure civile que le conseiller de la mise en état ou, le cas échéant, la cour d'appel statuant sur déféré, est compétent pour prononcer, à la demande d'une partie, la caducité de la déclaration d'appel fondée sur l'absence de mention de l'infirmation ou de l'annulation du jugement dans le dispositif des conclusions de l'appelant.
5. Le moyen, qui postule le contraire, ne peut être accueilli.
Mais sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
6. M. [Z] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ qu'en toute hypothèse, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'il en résulte que, dès lors que l'appelant formule des prétentions au fond dans le dispositif de ses conclusions, l'objet du litige soumis à la cour d'appel est déterminé ; que lorsque l'appelant, bien que formulant des prétentions au fond dans le dispositif de ses conclusions, n'y demande ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut, dans les instances introduites par une déclaration d'appel postérieure au 17 septembre 2020, que confirmer le jugement ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. [Z] formulait plusieurs prétentions au fond dans le dispositif de ses conclusions prises dans le délai prévu par l'article 908 du code de procédure civile ; qu'en retenant, néanmoins, que ces conclusions ne déterminaient pas l'objet du litige, au motif inopérant que leur dispositif ne contenait pas de demande d'annulation ou d'infirmation du jugement, et en en déduisant que l'appel aurait été caduc, la cour d'appel a violé les articles 4 et 954 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en tout état de cause, si les conclusions de l'appelant dont le dispositif ne comporte pas de demande expresse d'infirmation ou d'annulation de la décision déférée ne déterminent pas l'objet du litige, de sorte qu'en l'absence d'autres conclusions déterminant l'objet du litige remises au greffe dans le délai prévu par l'article 908 du code de procédure civile, l'appel est caduc, l'application immédiate de cette règle de procédure, résultant d'une interprétation nouvelle des dispositions des articles 4, 908, 910-1 et 954 du code de procédure civile, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date d'un arrêt publié de la Cour de cassation, affirmant cette règle, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable ; qu'en faisant application de cette règle en l'espèce, la cour d'appel a donné aux dispositions précitées une portée qui n'était pas prévisible pour M. [Z] à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 18 juillet 2019, cette application aboutissant donc à le priver d'un procès équitable, au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile et 6,§1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
7. L'objet du litige devant la cour d'appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l'obligation faite à l'appelant de conclure conformément à l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954.
8. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l'infirmation ou l'annulation du jugement frappé d'appel.
9. A défaut, en application de l'article 908, la déclaration d'appel est caduque ou, conformément à l'article 954, alinéa 3, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.
10. Ainsi, l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (2e Civ., 4 novembre 2021, pourvoi n° 20-15-766, publié).
11. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.
12. Pour déclarer caduque la déclaration d'appel, l'arrêt retient que les seules conclusions d'appelant prises dans le délai prévu par l'article 908, qui ne portent aucune critique des dispositions du jugement dont appel, comportent un dispositif qui ne conclut ni à l'annulation, ni à l'infirmation du jugement, et en déduit que les conclusions d'appelant remises au greffe par M. [Z] dans le délai prévu par les dispositions de l'article 907 ne déterminent pas l'objet du litige porté devant la cour d'appel et qu'il convient par conséquent, par application combinée des articles 908, 910-1 et 954 du code de procédure civile, de constater la caducité de la déclaration d'appel formée le 18 juillet 2019.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 42, 908 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 18 juillet 2019, l'application de cette règle de procédure, qui instaure une charge procédurale nouvelle dans l'instance en cours, aboutissant à priver M. [Z] d'un procès équitable au sens de l'article 6,§1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Portée et conséquences de l'annulation
14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
16. Il résulte de ce qui est dit au paragraphe n° 13 qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant débouté la société EG active Lyon de son incident d'irrecevabilité des conclusions et de caducité de la déclaration d'appel et rejeté les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
ANNULE, sauf en ce qu'il confirme l'ordonnance déférée ayant dit que le conseiller de la mise en état était compétent pour statuer sur la demande tendant à la caducité de l'appel interjeté, l'arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d'appel de Grenoble ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONFIRME l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant débouté la société EG active Lyon de son incident d'irrecevabilité des conclusions et de caducité de la déclaration d'appel et dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
DIT que l'affaire se poursuivra devant la cour d'appel de Grenoble.
Condamne la société EG active Lyon aux dépens en ceux compris ceux exposés devant la cour d'appel de Grenoble au titre de la procédure d'incident ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [Z]
M. [Z] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé l'ordonnance déférée en ce qu'elle avait dit que le conseiller de la mise en état était compétent pour statuer sur la demande tendant à la caducité de l'appel, d'AVOIR infirmé l'ordonnance pour le surplus et, statuant à nouveau, d'AVOIR déclaré caduque la déclaration d'appel ;
1°) ALORS QU'aucune disposition ne donne compétence au conseiller de la mise en état pour apprécier, en considération de leur contenu, si les conclusions des parties déterminent l'objet du litige au regard des prescriptions de l'article 954 du code de procédure civile ; que, pour confirmer l'ordonnance déférée, en ce qu'elle avait dit le conseiller de la mise en état compétent pour statuer sur la demande de caducité de l'appel, et statuer elle-même, sur déféré, sur une demande tendant à voir prononcer la caducité de l'appel au motif que les conclusions de l'appelant ne déterminaient pas l'objet du litige, la cour d'appel a retenu que le conseiller de la mise en état était compétent pour statuer sur la recevabilité des conclusions à fin de prononcer la caducité de l'appel ; qu'en statuant de la sorte par un motif inopérant, dès lors que, serait-il établi qu'elles ne déterminent pas l'objet du litige, des conclusions ne sont pas irrecevables pour ce seul motif, et quand la cour d'appel, statuant au fond, est seule compétente pour déterminer l'étendue de sa saisine et apprécier si les conclusions des parties déterminent l'objet du litige au regard de l'article 954 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé ce texte et les articles 911-1 et 914 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'il en résulte que, dès lors que l'appelant formule des prétentions au fond dans le dispositif de ses conclusions, l'objet du litige soumis à la cour d'appel est déterminé ; que lorsque l'appelant, bien que formulant des prétentions au fond dans le dispositif de ses conclusions, n'y demande ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut, dans les instance introduites par une déclaration d'appel postérieure au 17 septembre 2020, que confirmer le jugement ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. [Z] formulait plusieurs prétentions au fond dans le dispositif de ses conclusions prises dans le délai prévu par l'article 908 du code de procédure civile ; qu'en retenant, néanmoins, que ces conclusions ne déterminaient pas l'objet du litige, au motif inopérant que leur dispositif ne contenait pas de demande d'annulation ou d'infirmation du jugement, et en en déduisant que l'appel aurait été caduc, la cour d'appel a violé les articles 4 et 954 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'en tout état de cause, si les conclusions de l'appelant dont le dispositif ne comporte pas de demande expresse d'infirmation ou d'annulation de la décision déférée ne déterminent pas l'objet du litige, de sorte qu'en l'absence d'autres conclusions déterminant l'objet du litige remises au greffe dans le délai prévu par l'article 908 du code de procédure civile, l'appel est caduc, l'application immédiate de cette règle de procédure, résultant d'une interprétation nouvelle des dispositions des articles 4, 908, 910-1 et 954 du code de procédure civile, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date d'un arrêt publié de la Cour de cassation, affirmant cette règle, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable ; qu'en faisant application de cette règle en l'espèce, la cour d'appel a donné aux dispositions précitées une portée qui n'était pas prévisible pour M. [Z] à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 18 juillet 2019, cette application aboutissant donc à le priver d'un procès équitable, au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°) ALORS QUE M. [Z] critiquait les dispositions du jugement dont il demandait l'infirmation dans la discussion de ses conclusions ; qu'en affirmant que ses conclusions ne comportaient aucune critique des dispositions du jugement, la cour d'appel a dénaturé ces conclusions et violé l'article 4 du code de procédure civile.
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CASS/JURITEXT000046357292.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 29 septembre 2022
Cassation sans renvoi
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 955 FS-B
Pourvoi n° E 21-23.456
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [H].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 15 octobre 2021.
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de l'Aseaj.
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 15 mars 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 29 SEPTEMBRE 2022
Mme [W] [H], domiciliée [Adresse 4]), a formé le pourvoi n° E 21-23.456 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2021 par la cour d'appel de Besançon (chambre spéciale des mineurs - assistance éducative), dans le litige l'opposant :
1°/ au Pôle des solidarités du Jura, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à M. [I] [D], domicilié [Adresse 1],
3°/ à l'Association de sauvegarde de l'enfance à l'adulte du Jura (Aseaj), dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité de mandataire ad hoc de [V] [S],
4°/ au procureur général près la cour d'appel de Besançon, domicilié [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Delbano, conseiller, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de Mme [H], de la SCP Foussard et Froger, avocat du Pôle des solidarités du Jura, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de l'Aseaj, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Delbano, conseiller rapporteur, en présence de Mme [Z], auditrice au service de documentation, des études et du rapport, Mme Martinel, conseiller doyen, Mmes Kermina, Durin-Karsenty, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Dumas, Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 1er juillet 2021) et les productions, Mme [H] a, par déclaration du 25 janvier 2021 établie et transmise par un avocat, interjeté appel du jugement d'un juge des enfants ayant renouvelé jusqu'au 31 janvier 2022 la mesure éducative de sa fille avec placement au domicile du père.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
2. Mme [H] fait grief à l'arrêt de constater que la cour d'appel de Besançon n'était saisie d'aucune demande en l'absence d'effet dévolutif de l'appel interjeté par elle, alors « qu'il résulte des dispositions des articles 562 et 933 du code de procédure civile et des stipulations de l'article 6.1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'en matière de procédure d'appel sans représentation obligatoire, la déclaration d'appel, qui mentionne que l'appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d'appel en omettant d'indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s'entendre comme déférant à la connaissance de la cour d'appel l'ensemble des chefs de ce jugement ; qu'en énonçant, par conséquent, pour constater qu'elle n'était saisie d'aucune demande en l'absence d'effet dévolutif de l'appel interjeté par Mme [W] [H], que l'effet dévolutif n'opère pas lorsque la déclaration d'appel ne mentionne pas les chefs de jugement qui sont critiqués, que la déclaration d'appel formée par le conseil de Mme [W] [H] le 25 janvier 2021 ne précisait pas les chefs du jugement rendu le 13 janvier 2021 par le juge des enfants du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier qu'elle entendait critiquer et qu'il s'en déduisait, par application combinée des articles 542, 562, 901 et 933 du code de procédure civile, que ne lui était déféré aucun des chefs du jugement rendu le 13 janvier 2021 par le juge des enfants du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier et qu'elle n'était pas saisie des prétentions présentées à l'audience par Mme [W] [H], quand l'appel interjeté à l'encontre d'un jugement rendu en matière d'assistance éducative est soumis à la procédure d'appel sans représentation obligatoire et quand l'appel interjeté par Mme [W] [H] tendait à la réformation d'un jugement rendu en matière d'assistance éducative, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 562, 933 et 1192 du code de procédure civile et les stipulations de l'article 6.1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles 562 et 933 du code de procédure civile :
4. Selon le premier de ces textes, l'appel défère à la cour d'appel la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. Selon le second, régissant la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d'appel, la déclaration désigne le jugement dont il est fait appel, précise les chefs du jugement critiqués auquel l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible, et mentionne, le cas échéant, le nom et l'adresse du représentant de l'appelant devant la cour.
5. Si, pour les procédures avec représentation obligatoire, il a été déduit de l'article 562, alinéa 1er, du code de procédure civile, que lorsque la déclaration d'appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l'effet dévolutif n'opère pas (2e Civ., 30 janvier 2020, pourvoi n° 18-22.528, publié) et que de telles règles sont dépourvues d'ambiguïté pour des parties représentées par un professionnel du droit (2e Civ., 2 juillet 2020, pourvoi n° 19-16.954, publié), un tel degré d'exigence dans les formalités à accomplir par l'appelant en matière de procédure sans représentation obligatoire constituerait une charge procédurale excessive, dès lors que celui-ci n'est pas tenu d'être représenté par un professionnel du droit. La faculté de régularisation de la déclaration d'appel ne serait pas de nature à y remédier (2e Civ., 9 septembre 2021, pourvoi n° 20-13.673, publié).
6. Il en résulte qu'en matière de procédure sans représentation obligatoire, y compris lorsque les parties ont choisi d'être assistées ou représentées par un avocat, la déclaration d'appel qui mentionne que l'appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d'appel, en omettant d'indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s'entendre comme déférant à la connaissance de la cour d'appel l'ensemble des chefs de ce jugement.
7. Il doit en être de même lorsque la déclaration d'appel, qui omet de mentionner les chefs de dispositif critiqués, ne précise pas si l'appel tend à l'annulation ou à la réformation du jugement.
8. Pour dire que la cour d'appel n'était saisie d'aucune demande, l'arrêt retient que la déclaration d'appel faite par l'avocat de Mme [H], qui ne précise pas les chefs du jugement qu'elle entend critiquer, n'a pas eu d'effet dévolutif.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
12. Il résulte de ce qui est dit aux paragraphes 6, 7 et 8, que la déclaration d'appel de Mme [H] doit s'entendre comme ayant déféré à la cour d'appel l'ensemble des chefs du jugement. Il résulte du jugement du 13 janvier 2021 que la mesure éducative avec placement au domicile du père a été renouvelée jusqu'au 31 janvier 2022 et est donc expirée à ce jour. L'appel est en conséquence devenu sans objet.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONSTATE que la mesure d'assistance éducative a expiré le 31 janvier 2022 ;
DIT que l'appel est devenu sans objet ;
Laisse les dépens exposés en première instance, en appel et devant la Cour de cassation à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour Mme [H]
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR constaté que la cour d'appel de Besançon n'était saisie d'aucune demande en l'absence d'effet dévolutif de l'appel interjeté par Mme [W] [H] ;
ALORS QU'il résulte des dispositions des articles 562 et 933 du code de procédure civile et des stipulations de l'article 6.1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qu'en matière de procédure d'appel sans représentation obligatoire, la déclaration d'appel, qui mentionne que l'appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d'appel en omettant d'indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s'entendre comme déférant à la connaissance de la cour d'appel l'ensemble des chefs de ce jugement ; qu'en énonçant, par conséquent, pour constater qu'elle n'était saisie d'aucune demande en l'absence d'effet dévolutif de l'appel interjeté par Mme [W] [H], que l'effet dévolutif n'opère pas lorsque la déclaration d'appel ne mentionne pas les chefs de jugement qui sont critiqués, que la déclaration d'appel formée par le conseil de Mme [W] [H] le 25 janvier 2021 ne précisait pas les chefs du jugement rendu le 13 janvier 2021 par le juge des enfants du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier qu'elle entendait critiquer et qu'il s'en déduisait, par application combinée des articles 542, 562, 901 et 933 du code de procédure civile, que ne lui était déféré aucun des chefs du jugement rendu le 13 janvier 2021 par le juge des enfants du tribunal judiciaire de Lons-le-Saunier et qu'elle n'était pas saisie des prétentions présentées à l'audience par Mme [W] [H], quand l'appel interjeté à l'encontre d'un jugement rendu en matière d'assistance éducative est soumis à la procédure d'appel sans représentation obligatoire et quand l'appel interjeté par Mme [W] [H] tendait à la réformation d'un jugement rendu en matière d'assistance éducative, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 562, 933 et 1192 du code de procédure civile et les stipulations de l'article 6.1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
2e Civ., 9 septembre 2021, pourvoi n° 20-13.673, Bull. (rejet).
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CASS/JURITEXT000046510483.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1097 FS-B
Pourvoi n° H 21-24.424
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
1°/ Mme [M] [Z], épouse [C],
2°/ Mme [N] [C],
toutes deux domiciliées [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° H 21-24.424 contre l'arrêt n° RG : 20/09346 rendu le 16 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 12), dans le litige les opposant :
1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à M. [T] [C], domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mme [Z] et Mme [N] [C], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Besson, Mme Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, M. Gaillardot, premier avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 2021), et les productions, M. [C] se trouvait dans le magasin Hypercasher de Vincennes, le 9 janvier 2015, lorsqu'un terroriste s'y est introduit. Il s'est réfugié au sous-sol de l'établissement, dans l'une des chambres froides, jusqu'à sa libération, plusieurs heures plus tard, par les services de police.
2. Après avoir reçu des provisions du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI), M. [C], son épouse Mme [Z], et leur fille, Mme [N] [C], l'ont assigné aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [Z] et Mme [N] [C] font grief à l'arrêt de les dire irrecevables en leurs demandes, alors « qu'il résulte des dispositions des articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au FGTI l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de Mme [Z] et de Mme [N] [C], respectivement épouse et fille de M. [C], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (?) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut », cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances, dans leur rédaction applicable au litige :
4. Selon le premier de ces textes, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3.
5. Selon le deuxième, pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
6. Selon le troisième, le Fonds de garantie est tenu, dans le délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés.
7. Aucun de ces textes n'exclut l'indemnisation des proches de la victime directe d'un attentat, en cas de survie de celle-ci.
8. Par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 86-120 du 9 septembre 1986, ultérieurement codifiée aux articles susmentionnés, que l'intention du législateur était de répondre, par l'application des règles du droit commun de la réparation, à la nécessité d'indemniser entièrement et rapidement le préjudice corporel des victimes d'actes terroristes, à la différence du régime d'indemnisation des victimes de dommages corporels résultant d'une infraction, alors applicable, issu de la loi n° 77-5 du 3 janvier 1977, qui ne prévoyait qu'une indemnisation partielle.
9. Depuis que la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990 modifiant l'article 706-3 du code de procédure pénale a étendu aux victimes d'infractions dont elle assure l'indemnisation le principe de la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, la Cour de cassation juge de manière constante, à la suite de deux arrêts rendus le 14 janvier 1998 (2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-11.328, Bulletin civil 1998, II, n° 14, 2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-16.255), que cet article n'exclut pas, lorsque la victime d'une infraction a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun.
10. Interpréter les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances comme excluant l'indemnisation des proches d'une victime survivante conduirait à réserver aux proches des victimes d'attentats un sort plus défavorable qu'à ceux des victimes d'autres infractions.
11. Un tel résultat, que ne commande aucune différence rédactionnelle entre les textes qui régissent les droits de ces victimes, n'apparaît pas conforme à l'intention du législateur.
12. En outre, par un arrêt rendu en chambre mixte le 25 mars 2022 (Ch. mixte, 25 mars 2022, pourvoi n° 20-17.072 en cours de publication), la Cour de cassation a admis l'indemnisation du préjudice d'attente et d'inquiétude que peuvent subir les proches d'une victime exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, y compris en cas de survie de celle-ci.
13. Pour dire Mmes [Z] et [C] irrecevables en leurs demandes d'indemnisation, l'arrêt énonce que les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayants droit faisant défaut.
14. En statuant ainsi, alors que n'est pas exclue, lorsque la victime directe d'un acte de terrorisme a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit Mme [Z] et Mme [N] [C] irrecevables en leurs demandes, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et le condamne à payer à Mme [Z] et Mme [N] [C] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour Mme [Z] et Mme [N] [C]
Mme [M] [Z] épouse [C] et Mme [N] [C] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit Mme [M] [Z] épouse [C] et Mme [N] [C] irrecevables en leurs demandes,
Alors que, il résulte des dispositions des articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de Mme [M] [Z] épouse [C] et de Mme [N] [C], respectivement épouse et fille de M. [C], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (?) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut » (arrêt, p. 11), cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances.
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CASS/JURITEXT000046510497.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 octobre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1114 F-B
Pourvoi n° Q 21-14.334
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [S] [E] [J].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 2 février 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
Mme [Y] [S] [E] [J], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Q 21-14.334 contre l'arrêt rendu le 14 mai 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MAAF assurances, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Besson, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [S] [E] [J], de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société MAAF assurances, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Besson, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 14 mai 2020), Mme [S] [E] [J], domiciliée en France, a été victime de blessures à la suite d'un accident de la circulation survenu en Espagne alors qu'elle était passagère d'un bus immatriculé en France, entré en collision avec un bus immatriculé au Portugal, assuré auprès de la société de droit portugais Fidelidade.
2. Mme [S] [E] [J] a assigné en référé la société MAAF assurances (la MAAF) intervenant comme représentante en France de la société d'assurance Fidelidade, aux fins d'obtenir la désignation d'un expert sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ainsi que le versement d'une provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.
Examen des moyens
Sur les trois moyens, réunis
Enoncé des moyens
3. Par son premier moyen, Mme [S] [E] [J] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande à l'encontre de la MAAF tendant à ordonner une expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ qu'en se référant à la directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et à l'arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016 relatif à cette directive, quand il leur fallait seulement se référer à la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, sachant que le contenu des deux directives était différent, et en tout cas, à l'article L. 310-2-2 du code des assurances, les juges du fond ont violé par fausse application l'article 4 de la directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et par refus d'application l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, et l'article L. 310-2-2 du code des assurances ;
2°/ qu'en tout cas, dès lors que tant au regard de l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 qu'au regard de l'article L. 310-2-2 du code des assurances, le représentant de l'assureur étranger a pour mission de « traiter et régler » les sinistres, il a nécessairement qualité pour défendre à une action en justice, comme le souligne le considérant 37 de la directive ; qu'il a notamment qualité pour défendre à une action fondée sur l'article 145 du code de procédure civile et destinée à la mise en place d'une mesure d'instruction en vue de résoudre le litige futur relatif à l'indemnisation de la victime ; qu'à cet égard, l'arrêt doit être censuré pour violation de l'article 145 du code de procédure civile, ensemble l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et l'article L. 310-2-2 du code des assurances ;
3°/ que, dès lors que l'absence de contestation sérieuse n'est pas une condition légalement requise par le texte, les juges du fond ont violé l'article 145 du code de procédure civile. »
4. Par son deuxième moyen, Mme [S] [E] [J] fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'article 145 du code de procédure civile n'exige pas que le défendeur à la demande en référé soit le défendeur à l'action au fond ; qu'à ce titre, le représentant, tel que visé à l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et à l'article L. 310-2-2 du code des assurances, peut en tout cas être défendeur à l'action engagée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, peu important que l'assureur ne puisse éventuellement être défendeur dans le cadre de l'action au fond ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article 145 du code de procédure civile et des articles 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et L. 310-2-2 du code des assurances. »
5. Par son troisième moyen, Mme [S] [E] [J] fait grief à l'arrêt d'écarter sa demande de provision, alors :
« 1°/ qu'en se référant à la directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et à l'arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016 relatif à cette directive, quand il leur fallait seulement se référer à la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, sachant que le contenu des deux directives était différent, et en tout cas, à l'article L. 310-2-2 du code des assurances, les juges du fond ont violé par fausse application l'article 4 de la directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et par refus d'application l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, et l'article L. 310-2-2 du code des assurances ;
2°/ qu'en tout cas, dès lors que tant au regard de l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 qu'au regard de l'article L. 310-2-2 du code des assurances, le représentant de l'assureur étranger a pour mission de « traiter et régler » les sinistres, il a nécessairement qualité pour défendre à une action en justice comme le souligne le considérant 37 de la directive ; qu'il a notamment qualité pour défendre à une action visant à l'octroi d'une provision sur le fondement de l'article 809 ancien du code de procédure civile ; qu'en écartant la demande de provision, les juges du fond ont violé l'article 809 ancien du code de procédure civile, l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et l'article L. 310-2-2 du code des assurances ;
3°/ qu'à supposer que le représentant n'ait pas le pouvoir de défendre à une action au fond, de toute façon, ayant pour mission de traiter et de régler le sinistre, il a au moins qualité pour défendre à une demande visant à l'octroi d'une provision, dès lors notamment que la provision peut être remise en cause dans le cadre d'une action au fond et qu'étant représentant, l'assureur est en droit de faire supporter la provision par l'entité qu'il représente ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article 809 ancien du code de procédure civile, de l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et de l'article L. 310-2-2 du code des assurances ;
4°/ que si l'octroi de la provision suppose une obligation non sérieusement contestable, l'absence de contestation sérieuse a trait à l'obligation de réparer et non au point de savoir si un assureur français peut être attrait en qualité de représentant d'un assureur étranger pour qu'il soit statué sur la provision ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué doit être censuré pour violation de l'article 809 ancien du code de procédure civile, de l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et de l'article L. 310-2-2 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
6. L'arrêt rappelle d'abord exactement que les dispositions de l'article 4 de la directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 prescrivant aux entreprises d'assurance couvrant les risques liés à la responsabilité civile des véhicules terrestres à moteur de nommer un représentant chargé du règlement des sinistres dans chaque État membre autre que celui où elles ont reçu leur agrément administratif ont été reprises, dans des termes identiques, à l'article 21 de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009.
7. En effet, l'article 4.1 de la directive 2000/16/CE susmentionnée, comme l'article 21.1 de la directive 2009/103/CE, disposent que le représentant a pour mission de « traiter et de régler les sinistres résultant d'un accident » dans les cas visés par ces textes. L'article L. 310-2-2 du code des assurances transposant ces dispositions reprend ces mêmes termes.
8. La cour d'appel s'est à juste titre référée à l'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) le 15 décembre 2016 (CJUE, 15 décembre 2016, affaire C-558/15 - [Z] [G] [N] et autres), qui a interprété l'article 4 de la directive 2000/26/CE, pour rechercher la teneur de la mission du représentant de l'assureur au sens de la directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009.
9. Ayant relevé que, par cet arrêt, la CJUE avait dit pour droit que l'article 4 de la directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 doit être interprété en ce sens qu'il n'impose pas aux États membres de prévoir que le représentant chargé du règlement des sinistres puisse être assigné lui-même, en lieu et place de l'entreprise d'assurance qu'il représente, devant la juridiction nationale saisie d'un recours en indemnisation intenté par une personne lésée entrant dans le champ d'application de la directive, et retenu exactement qu'aucun texte de transposition ne prévoit que le représentant soit débiteur de l'indemnisation due par l'assureur étranger, la cour d'appel a décidé à bon droit que ne se déduit d'aucun texte le droit pour la victime de diriger l'action judiciaire en indemnisation, même provisionnelle, exclusivement contre le représentant de l'assureur.
10. Par ailleurs, l'action en référé fondée sur l'article 145 du code de procédure civile devant être dirigée contre la personne à laquelle la mesure d'instruction pourra être opposée dans un litige éventuel au fond, elle doit l'être, en cas d'expertise médicale faisant suite à un accident de la circulation, contre le débiteur de la réparation du dommage corporel, soit au cas particulier, l'assureur du véhicule impliqué dans l'accident, et non son représentant au sens des directives susmentionnées.
11. Dès lors, c'est à bon droit que la cour d'appel a rejeté les demande de Mme [S] [E] [J] dirigées contre la MAAF.
12. Les moyens, dont le premier est inopérant en sa troisième branche, comme s'attaquant à des motifs surabondants de l'arrêt, ne sont, dès lors, pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [S] [E] [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour Mme [S] [E] [J]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'arrêt infirmatif attaqué, critiqué par Madame [S] [E] [J], encourt la censure ;
EN CE QU'il a refusé, sur la demande formée par Madame [S] à l'encontre de la MAAF, de prescrire une expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, premièrement, en se référant à la Directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et à l'arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016 relatif à cette directive, quand il leur fallait seulement se référer à la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, sachant que le contenu des deux directives était différent, et en tout cas, à l'article L.310-2-2 du code des assurances, les juges du fond ont violé par fausse application l'article 4 de la Directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et par refus d'application l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, et l'article L.310-2-2 du code des assurances ;
ALORS QUE, deuxièmement, et en tout cas, dès lors que tant au regard de l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 qu'au regard de l'article L.310-2-2 du code des assurances, le représentant de l'assureur étranger a pour mission de « traiter et régler » les sinistres, il a nécessairement qualité pour défendre à une action en justice, comme le souligne le considérant 37 de la directive ; qu'il a notamment qualité pour défendre à une action fondée sur l'article 145 du code de procédure civile et destinée à la mise en place d'une mesure d'instruction en vue de résoudre le litige futur relatif à l'indemnisation de la victime ; qu'à cet égard, l'arrêt doit être censuré pour violation de l'article 145 du code de procédure civile, ensemble l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et l'article L.310-2-2 du code des assurances ;
ET ALORS QUE, troisièmement, dès lors que l'absence de contestation sérieuse n'est pas une condition légalement requise par le texte, les juges du fond ont violé l'article 145 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
L'arrêt infirmatif attaqué, critiqué par Madame [S] [E] [J], encourt la censure ;
EN CE QU'il a refusé, sur la demande formée par Madame [S] à l'encontre de la MAAF de prescrire une expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;
ALORS QUE, l'article 145 du code de procédure civile n'exige pas que le défendeur à la demande en référé soit le défendeur à l'action au fond ; qu'à ce titre, le représentant, tel que visé à l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et à l'article 310-2-2 du code des assurances, peut en tout cas être défendeur à l'action engagée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, peu important que l'assureur ne puisse éventuellement être défendeur dans le cadre de l'action au fond ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article 145 du code de procédure civile et des articles 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et L.310-2-2 du code des assurances.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
L'arrêt infirmatif attaqué, critiqué par Madame [S] [E] [J], encourt la censure ;
EN CE QU'il a écarté la demande de provision ;
ALORS QUE, premièrement, en se référant à la Directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et à l'arrêt de la CJUE du 15 décembre 2016 relatif à cette directive, quand il leur fallait seulement se référer à la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, sachant que le contenu des deux directives était différent, et en tout cas, à l'article L.310-2-2 du code des assurances, les juges du fond ont violé par fausse application l'article 4 de la Directive 2000/26/CE du 16 mai 2000 et par refus d'application l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009, et l'article L.310-2-2 du code des assurances ;
ALORS QUE, deuxièmement, et en tout cas, dès lors que tant au regard de l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 qu'au regard de l'article L.310-2-2 du code des assurances, le représentant de l'assureur étranger a pour mission de « traiter et régler » les sinistres, il a nécessairement qualité pour défendre à une action en justice comme le souligne le considérant 37 de la directive ; qu'il a notamment qualité pour défendre à une action visant à l'octroi d'une provision sur le fondement de l'article 809 ancien du code de procédure civile ; qu'en écartant la demande de provision, les juges du fond ont violé l'article 809 ancien du code de procédure civile, l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et l'article L.310-2-2 du code des assurances ;
ALORS QUE, troisièmement, à supposer que le représentant n'ait pas le pouvoir de défendre à une action au fond, de toute façon, ayant pour mission de traiter et de régler le sinistre, il a au moins qualité pour défendre à une demande visant à l'octroi d'une provision, dès lors notamment que la provision peut être remise en cause dans le cadre d'une action au fond et qu'étant représentant, l'assureur est en droit de faire supporter la provision par l'entité qu'il représente ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article 809 ancien du code de procédure civile, de l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et de l'article L.310-2-2 du code des assurances ;
ET ALORS QUE, quatrièmement, si l'octroi de la provision suppose une obligation non sérieusement contestable, l'absence de contestation sérieuse a trait à l'obligation de réparer et non au point de savoir si un assureur français peut être attrait en qualité de représentant d'un assureur étranger pour qu'il soit statué sur la provision ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué doit être censuré pour violation de l'article 809 ancien du code de procédure civile, de l'article 21 de la Directive 2009/103/CE du 16 septembre 2009 et de l'article L.310-2-2 du code des assurances.
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CASS/JURITEXT000046510495.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1111 F-B
Pourvoi n° H 21-10.739
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
La société Cabinet Coll, société d'exercice libéral par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 21-10.739 contre l'ordonnance n° RG : 18/00024 rendue le 27 novembre 2020 par le premier président de la cour d'appel de Paris (Pôle 2, chambre 6), dans le litige l'opposant à Mme [S] [G], divorcée [K], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Isola, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Cabinet Coll, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [G], divorcée [K], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Isola, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 27 novembre 2020) et les productions, Mme [G] a confié la défense de ses intérêts, le 20 mars 2014, à la société Cabinet Coll (l'avocat) pour l'assister dans une procédure l'opposant à son époux.
2. Une convention d'honoraires a été conclue le même jour, prévoyant un forfait, non remboursable, de 3 500 euros TTC, en cas de dessaisissement de l'avocat par le client et une clause d'indemnité de dédit prévoyant, dans la même hypothèse, que l'honoraire restant à courir serait dû, plafonné à 2 500 euros HT (3 000 euros TTC).
3. Mme [G] a mis fin au mandat qui la liait à l'avocat par courriel du 6 octobre 2015, confirmé par lettre du 28 décembre 2015.
4. Le 14 avril 2016, elle a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris d'une contestation d'honoraires afin d'obtenir le remboursement des honoraires versés.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen qui est irrecevable et sur le second, pris en sa troisième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
6. L'avocat fait grief à l'ordonnance de réputer non écrites les deux clauses de dédit figurant aux articles III-1 et V-5.5 de la convention d'honoraires, par application des articles L. 212, alinéa 1er, et L. 241-1 du code de la consommation, de fixer à la somme de 900 euros TTC les honoraires dus à l'avocat, de constater que Mme [G] avait versé à ce dernier la somme de 3 500 euros TTC au titre des honoraires et de condamner en conséquence l'avocat à lui rembourser la somme de 2 600 euros TTC, alors :
« 1°/ que la procédure spéciale prévue par l'article 174 du décret du 27 novembre 1991 ne s'applique qu'aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats ; qu'il en résulte que le bâtonnier, et sur recours, le premier président, n'ont pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, des différends portant sur l'existence ou la validité du mandat confié à l'avocat ; qu'en jugeant que la clause de dédit insérée à la convention d'honoraires devait être réputée non écrite comme étant abusive au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation, le premier président a excédé ses pouvoirs et violé l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;
2°/ que, subsidiairement, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que le déséquilibre significatif doit être apprécié par les juges du fond en fonction de l'équilibre général des prestations réciproques et du principe de liberté contractuelle ; qu'en jugeant que la clause de dédit insérée à la convention d'honoraires créait un déséquilibre significatif au détriment du client, en ce qu'aucune clause de dédit n'était réciproquement prévue au profit du client en cas de dessaisissement anticipé par l'avocat, sans rechercher si, ainsi que le mentionnait expressément la convention d'honoraires, la clause de dédit ne trouvait pas sa contrepartie, favorable au client, dans la fixation d'un honoraire forfaitaire ferme sans aucun dépassement d'un montant largement inférieur à celui qui aurait résulté de l'application d'un taux-horaire, le premier président a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 212-1 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
7. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, [C], C-243/08).
8. Selon l'article L. 212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
9. Il entre dans les pouvoirs du premier président, statuant en matière de fixation des honoraires d'avocat, d'examiner le caractère abusif des clauses des conventions d'honoraires lorsque le client de l'avocat est un non-professionnel ou un consommateur.
10. C'est donc sans excéder ses pouvoirs que le premier président, qui ne s'est pas prononcé sur la validité du mandat de l'avocat, a retenu que les dispositions du code de la consommation sont applicables aux conventions d'honoraires d'avocats et a examiné le caractère abusif des clauses de la convention litigieuse.
11. Relevant, ensuite, qu'en l'espèce, les deux clauses, respectivement prévues par les articles III-1 et V-5-5 de la convention d'honoraires, étaient contradictoires quant à leur montant, le premier article prévoyant qu'en cas de dessaisissement de l'avocat par le client, les honoraires forfaitaires de 3 500 euros TTC restaient dus en totalité et le second que les indemnités de dédit ne pouvaient dépasser 2 500 euros HT, soit 3 000 euros TTC, il a retenu, procédant à la recherche prétendument omise, que ces clauses ont, chacune, pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties au contrat, dès lors que, d'une part, l'avocat obtiendrait de sa cliente, le paiement de la totalité des honoraires ou leur quasi-totalité alors qu'il n'avait effectué que deux prestations sur les six qu'il s'était engagé à effectuer pour le montant forfaitaire fixé et que les deux montants du dédit apparaissaient disproportionnés avec les diligences réalisées, d'autre part, qu'il n'est nullement prévu, en cas de « dessaisissement » anticipé par l'avocat, une clause de dédit en faveur de la cliente.
12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société Cabinet Coll aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cabinet Coll et la condamne à payer à Mme [G] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Cabinet Coll
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La SELASU CABINET COLL fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR réputé non écrite les deux clauses de dédit figurant aux articles III-1 et V-5.5 de la convention d'honoraires, par application des articles L. 212 alinéa 1er et L. 241-1 du Code de la consommation, d'AVOIR fixé à la somme de 900 € TTC les honoraires dus au Cabinet COLL par Madame [G], d'AVOIR constaté que celle-ci avait versé au Cabinet COLL la somme de 3.500 € TTC au titre des honoraires d'AVOIR et condamné en conséquence le Cabinet COLL à rembourser à Madame [G] la somme de 2.600 € TTC ;
ALORS QUE les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires des avocats sont soumises au bâtonnier, lequel statue dans un délai de quatre mois prorogeable une fois par décision expresse ; qu'à l'expiration de ces délais, le bâtonnier est dessaisi de la réclamation formée devant lui, et cela même si aucune des parties n'a porté cette réclamation devant le premier président dans le délai d'un mois suivant l'expiration de ces délais, de sorte que la décision qu'il prendrait ultérieurement doit être déclarée nulle ; qu'en l'espèce, le premier président a expressément constaté que Madame [G] avait saisi le bâtonnier « par lettre RAR du 14 avril 2016 et qu'aucune décision n'ayant été rendue dans les mois suivants, elle s'est enquise auprès des services du bâtonnier par courrier RAR du 25 septembre 2017 des suites données à sa saisine du 14 avril 2016 » et que la décision du bâtonnier avait finalement été rendue le 21 décembre 2017, soit postérieurement à son dessaisissement ; qu'il s'en déduit, ainsi que le soutenait l'exposant, que la décision de bâtonnier est nulle ; qu'en jugeant le contraire, le premier Président de la Cour d'appel, qui a refusé de tirer les conséquences de ses propres constatations, a violé les articles 175 et 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La SELASU CABINET COLL fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR réputé non écrite les deux clauses de dédit figurant aux articles III-1 et V-5.5 de la convention d'honoraires, par application des articles L. 212 alinéa 1er et L. 241-1 du Code de la consommation, d'AVOIR fixé à la somme de 900 € TTC les honoraires dus au Cabinet COLL par Madame [G], d'AVOIR constaté que celle-ci avait versé au Cabinet COLL la somme de 3.500 € TTC au titre des honoraires d'AVOIR et condamné en conséquence le Cabinet COLL à rembourser à Madame [G] la somme de 2.600 € TTC ;
1°/ ALORS QUE la procédure spéciale prévue par l'article 174 du décret du 27 novembre 1991 ne s'applique qu'aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats ; qu'il en résulte que le bâtonnier, et sur recours, le premier président, n'ont pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, des différends portant sur l'existence ou la validité du mandat confié à l'avocat ; qu'en jugeant que la clause de dédit insérée à la convention d'honoraires devait être réputée non écrite comme étant abusive au sens de l'article L. 212-1 du Code de la consommation, le premier Président a excédé ses pouvoirs et violé l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;
2°/ ET ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que le déséquilibre significatif doit être apprécié par les juges du fond en fonction de l'équilibre général des prestations réciproques et du principe de liberté contractuelle ; qu'en jugeant que la clause de dédit insérée à la convention d'honoraires créait un déséquilibre significatif au détriment du client, en ce qu'aucune clause de dédit n'était réciproquement prévue au profit du client en cas de dessaisissement anticipé par l'avocat, sans rechercher si, ainsi que le mentionnait expressément la convention d'honoraires, la clause de dédit ne trouvait pas sa contrepartie, favorable au client, dans la fixation d'un honoraire forfaitaire ferme sans aucun dépassement d'un montant largement inférieur à celui qui aurait résulté de l'application d'un taux-horaire, le premier Président a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 212-1 du Code de la consommation ;
3°/ ET ALORS ENFIN, SUBSIDIAIREMENT, QUE lorsqu'à la date de dessaisissement de l'avocat, il n'a pas été mis fin au mandat par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable, la convention préalable d'honoraires cesse d'être applicable et les honoraires correspondant à la mission partielle effectuée par l'avocat jusqu'à cette date doivent être appréciés en fonction des seuls critères définis par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 ; qu'ainsi les honoraires sont fixés en tenant compte des usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences effectuées ; qu'à cet égard, le bâtonnier ou, sur recours, le premier président, ne saurait porter une appréciation sur la qualité du travail effectué par l'avocat pour fixer lesdits honoraires ; qu'en l'espèce, le premier Président, pour évaluer les honoraires dus par Madame [G] au Cabinet COLL, a relevé que si l'affaire était complexe en raison de son caractère international, l'avocat n'avait toutefois pas fait état dans son projet de requête en divorce de la Convention franco-marocaine de 1981 pourtant applicable dès lors que Madame [G] est de nationalité marocaine ; qu'en portant ainsi un jugement sur la pertinence des recherches effectuées par le Cabinet COLL pour déterminer le montant des honoraires qui lui étaient dus, le premier Président a violé l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.
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CASS/JURITEXT000046510491.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1101 FS-B
Pourvoi n° K 21-13.134
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
1°/ Mme [K] [L],
2°/ M. [M] [T],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° K 21-13.134 contre l'arrêt rendu le 21 janvier 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-6), dans le litige les opposant :
1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Var, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Besson, conseiller, les observations et plaidoiries de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de Mme [L] et de M. [T], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Besson, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Martin, Mme Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mmes Brouzes et Philippart, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 21 janvier 2021), Mme [L] et M. [T], qui étaient présents à proximité du site de l'attentat perpétré le 14 juillet 2016, à Nice, au moyen d'un camion qui s'était engouffré dans la foule, ont adressé au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) une demande d'indemnisation de leurs préjudices, en faisant valoir qu'ils avaient subi des répercussions psychologiques à la suite de cet événement.
2. Le FGTI ayant refusé de les indemniser, au motif qu'ils ne se trouvaient pas sur le lieu même de l'attentat, Mme [L] et M. [T] l'ont assigné devant un tribunal de grande instance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Mme [L] et M. [T] font grief à l'arrêt de dire qu'ils ne peuvent prétendre à la qualité de victimes d'acte de terrorisme au sens de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986, et à une indemnisation par le FGTI, et de les débouter de l'intégralité de leurs demandes, alors :
« 1°/ que doivent être qualifiées de victimes les personnes impliquées qui se trouvaient sur le lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui, ayant été exposées au risque ont présenté ultérieurement un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié ; qu'il suffit que la personne ait été exposée au risque et non que le risque se soit réalisé pour que lui soit reconnu le statut de victime ; qu'en se bornant à affirmer, pour considérer que les exposants n'avaient pas le statut de victimes, que le camion s'était arrêté à 400 mètres de là où ils se trouvaient, sans rechercher, comme elle y était invitée, si avant l'arrêt du camion les exposants avaient été exposés au risque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances et l'article 421-1 du code pénal ;
2°/ que doivent être qualifiées de victimes les personnes impliquées qui se trouvaient sur le lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui, ayant été exposées au risque ont présenté ultérieurement un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié ; qu'il suffit que la personne ait été exposée au risque et non que le risque se soit réalisé pour que lui soit reconnu le statut de victime ; qu'en affirmant, pour refuser le statut de victimes à M. [T] et Mme [L], qu'ils se trouvaient à 400 mètres du camion au moment de la fin de sa course, la cour d'appel qui a soumis la reconnaissance de la qualité de victime à la réalisation du risque, a violé les articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances et l'article 421-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
4. L'article 421-1 du code pénal prévoit que certaines infractions constituent des actes de terrorisme lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur.
5. Selon l'article L. 126-1 du code des assurances, qui a codifié, en substance, l'article 9 de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 et L. 422-3.
6. S'agissant d'actes de terrorisme en lien avec les infractions d'atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité des personnes, sont des victimes, au sens de l'article L.126-1 précité, les personnes qui ont été directement exposées à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle.
7. Le fait pour une personne de s'être trouvée à proximité du lieu d'un attentat et d'en avoir été le témoin ne suffit pas, en soi, à lui conférer la qualité de victime.
8. L'arrêt relève que le Palais de la Méditerranée devant lequel la course du camion avait pris fin était éloigné de 400 mètres du théâtre de Verdure où se trouvaient Mme [L] et M. [T] et constate qu'ils ne s'étaient pas trouvés sur la trajectoire de ce véhicule.
9. En l'état de ces constatations et énonciations mettant en évidence que Mme [L] et M. [T] n'avaient, à aucun moment, été directement exposés à un péril objectif de mort ou d'atteinte corporelle, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument délaissée, a pu décider qu'ils n'avaient pas la qualité de victimes au sens des textes susmentionnés.
10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gouz-Fitoussi, avocat aux Conseils, pour Mme [L] et M. [T]
M. [T] et Mme [L] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit qu'ils ne pouvaient prétendre à la qualité de victime d'acte de terrorisme au sens de la loi du 9 septembre 1986, et à une indemnisation subséquente par le fonds de garantie et de les avoir déboutés de l'intégralité de leurs demandes ;
Alors 1°) que doivent être qualifiées de victimes les personnes impliquées qui se trouvaient sur le lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui, ayant été exposées au risque ont présenté ultérieurement un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié ; qu'il suffit que la personne ait été exposée au risque et non que le risque se soit réalisé pour que lui soit reconnu le statut de victime ; qu'en se bornant à affirmer, pour considérer que les exposants n'avaient pas le statut de victimes, que le camion s'était arrêté à 400 mètres de là où ils se trouvaient, sans rechercher, comme elle y était invitée, si avant l'arrêt du camion les exposants avaient été exposés au risque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances et l'article 421-1 du code pénal ;
Alors 2°) que doivent être qualifiées de victimes les personnes impliquées qui se trouvaient sur le lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui, ayant été exposées au risque ont présenté ultérieurement un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié ; qu'il suffit que la personne ait été exposée au risque et non que le risque se soit réalisé pour que lui soit reconnu le statut de victime ; qu'en affirmant, pour refuser le statut de victimes à M. [T] et Mme [L], qu'ils se trouvaient à 400 mètres du camion au moment de la fin de sa course, la cour d'appel qui a soumis la reconnaissance de la qualité de victime à la réalisation du risque, a violé les articles L. 126-1 et L. 422-1 du code des assurances et l'article 421-1 du code pénal.
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CASS/JURITEXT000046510485.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1098 FS-B
Pourvoi n° G 21-24.425
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
1°/ M. [D] [P], domicilié [Adresse 1],
2°/ Mme [F] [X], domiciliée [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° G 21-24.425 contre l'arrêt n° RG : 20/00817 rendu le 16 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 12), dans le litige les opposant :
1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à Mme [K] [N], épouse [P], domiciliée [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [P] et Mme [X], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Besson, Mme Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, Mme Gaillardot, premier avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 2021), et les productions, Mme [P] se trouvait dans le magasin Hypercasher de Vincennes, le 9 janvier 2015, lorsqu'un terroriste s'y est introduit. Elle y était prise en otage, aux côtés d'autres clients, jusqu'à sa libération, plusieurs heures plus tard, par les services de police.
2. Après avoir reçu des provisions du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI), Mme [P], son mari, M. [P] et Mme [X], sa fille, l'ont assigné aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. M. [P] et Mme [X] font grief à l'arrêt de les dire irrecevables en leurs demandes présentées au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude, du préjudice d'affection et du préjudice sexuel, alors « qu'il résulte des dispositions des articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au FGTI l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de M. [P] et Mme [X], respectivement époux et fille de Mme [P], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (?) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut », cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances, dans leur rédaction applicable au litige :
4. Selon le premier de ces textes, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3.
5. Selon le deuxième, pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
6. Selon le troisième, le Fonds de garantie est tenu, dans le délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés.
7. Aucun de ces textes n'exclut l'indemnisation des proches de la victime directe d'un attentat, en cas de survie de celle-ci.
8. Par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 86-120 du 9 septembre 1986, ultérieurement codifiée aux articles susmentionnés, que l'intention du législateur était de répondre, par l'application des règles du droit commun de la réparation, à la nécessité d'indemniser entièrement et rapidement le préjudice corporel des victimes d'actes terroristes, à la différence du régime d'indemnisation des victimes de dommages corporels résultant d'une infraction, alors applicable, issu de la loi n° 77-5 du 3 janvier 1977, qui ne prévoyait qu'une indemnisation partielle.
9. Depuis que la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990 modifiant l'article 706-3 du code de procédure pénale a étendu aux victimes d'infractions dont elle assure l'indemnisation le principe de la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, la Cour de cassation juge de manière constante, à la suite de deux arrêts rendus le 14 janvier 1998 (2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-11.328, Bulletin civil 1998, II, n° 14, 2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-16.255), que cet article n'exclut pas, lorsque la victime d'une infraction a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun.
10. Interpréter les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances comme excluant l'indemnisation des proches d'une victime survivante conduirait à réserver aux proches des victimes d'attentats un sort plus défavorable qu'à ceux des victimes d'autres infractions.
11. Un tel résultat, que ne commande aucune différence rédactionnelle entre les textes qui régissent les droits de ces victimes, n'apparaît pas conforme à l'intention du législateur.
12. En outre, par un arrêt rendu en chambre mixte le 25 mars 2022 (Ch. mixte, 25 mars 2022, pourvoi n° 20-17.072 en cours de publication), la Cour de cassation a admis l'indemnisation du préjudice d'attente et d'inquiétude que peuvent subir les proches d'une victime exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, y compris en cas de survie de celle-ci.
13. Pour dire M. [P] et Mme [X] irrecevables en leurs demandes d'indemnisation, l'arrêt énonce que les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayants droit faisant défaut.
14. En statuant ainsi, alors que n'est pas exclue, lorsque la victime directe d'un acte de terrorisme a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit M. [D] [P] et Mme [F] [X] irrecevables en leurs demandes présentées au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude, du préjudice d'affection et du préjudice sexuel, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et le condamne à payer à M. [P] et Mme [X] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour M. [P] et Mme [X]
M. [P] et Mme [X] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit M. [P] et Mme [X] irrecevables en leurs demandes présentées au titre du préjudice d'attente et d'inquiétude, du préjudice d'affection et du préjudice sexuel,
Alors que, il résulte des dispositions des articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de M. [P] et Mme [X], respectivement époux et fille de Mme [P], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (?) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut » (arrêt, p. 7), cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances.
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CASS/JURITEXT000046510493.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1104 F-B
Pourvoi n° G 21-12.028
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [H] [O].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 11 décembre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
M. [H] [O], domicilié [Adresse 5], a formé le pourvoi n° G 21-12.028 contre l'ordonnance n° RG 18/01982 rendue le 18 décembre 2019 par la première présidente de la cour d'appel d'Orléans, dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [E] [T], domicilié [Adresse 3],
2°/ à Mme [C] [N], épouse [O], domiciliée [Adresse 1],
3°/ à Mme [U] [O], domiciliée [Adresse 4],
4°/ à Mme [I] [O], domiciliée [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de M. [O], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Mmes [C], [U] et [I] [O] et M. [O] (les consorts [O]) ont confié à M. [T], avocat, la défense de leurs intérêts dans une procédure conduite à l'encontre de la société AXA. Une convention d'honoraires a été signée le 30 juin 2016 entre les parties.
2. Après avoir mis un terme à son mandat, l'avocat, bâtonnier de son ordre, a saisi le président du tribunal de grande instance le 19 mars 2018 en fixation du montant de ses honoraires et condamnation in solidum des consorts [O] à lui verser la somme de 2 056,94 euros.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [O] fait grief à l'ordonnance de condamner l'avocat à restituer aux consorts [O] un trop perçu de 155,80 euros, alors « que le bâtonnier et le premier président, saisis d'une demande en fixation d'honoraires d'un avocat, sont compétents pour statuer sur les exceptions relatives à la validité de la convention d'honoraires ; qu'en considérant qu'il n'entrait pas dans ses pouvoirs de statuer sur la nullité pour vice de consentement de la convention d'honoraires et, par suite, que le moyen invoqué en ce sens était inopérant, le premier président a violé les articles 1108 et 1109 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1108 et 1109, devenus respectivement, 1128 et 1130 du code civil et 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat :
4. Selon le premier de ces textes, le consentement de la partie qui s'oblige est l'une des conditions essentielles de la validité de la convention. Aux termes du second, il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol. Il résulte du dernier que les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires d'avocat ne peuvent être réglées que par la procédure prévue par ce décret.
5. Pour écarter le moyen présenté par les consorts [O], tiré de la nullité pour vice du consentement de la convention d'honoraires qu'ils avaient conclue avec l'avocat, l'ordonnance énonce que le premier président ne dispose pas du pouvoir de statuer sur cette éventuelle nullité.
6. En statuant ainsi, alors que le premier président, saisi d'une demande en fixation d'honoraires d'un avocat, a le pouvoir pour statuer sur les exceptions relatives à la validité de la convention d'honoraires, la première présidente a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle a ordonné la jonction des dossiers 18/3444 et 18/1982 sous le n° 18/1982, et déclaré recevable le recours formé par Mmes [I], [U] et [C] [O] et M. [H] [O] contre « l'ordonnance de taxe » rendue par le président du tribunal de grande instance de Blois le 19 juillet 2018 sous le n° 18/584, l'ordonnance rendue le 18 décembre 2019, entre les parties, par la première présidente de la cour d'appel d'Orléans ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Versailles.
Condamne M. [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [T] à payer à Me Haas la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Haas, avocat aux Conseils, pour M. [O]
M. [O] fait grief à l'ordonnance infirmative attaquée D'AVOIR Me [T] condamné à restituer aux consorts [O] la somme trop perçue de 155,80 euros ;
ALORS, 1°), QUE le bâtonnier et le premier président, saisis d'une demande en fixation d'honoraires d'un avocat, sont compétents pour statuer sur les exceptions relatives à la validité de la convention d'honoraires ; qu'en considérant qu'il n'entrait pas dans ses pouvoirs de statuer sur la nullité pour vice de consentement de la convention d'honoraires et, par suite, que le moyen invoqué en ce sens était inopérant, le premier président a violé les articles 1108 et 1109 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
ALORS, 2°), QUE, dans leurs conclusions d'appel, les consorts [O] faisaient valoir qu'une partie des diligences accomplies par l'avocat avaient été inutiles à la défense de leurs intérêts ; qu'en laissant sans réponse ce moyen, qui n'était pas inopérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
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COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1099 FS-B
Pourvoi n° J 21-24.426
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
1°/ M. [U] [O] [K],
2°/ Mme [T] [K],
3°/ Mme [C] [K],
4°/ [G] [K], représentée par ses représentants légaux, M. [U] [O] [K] et Mme [E] [P], épouse [K],
tous quatre domiciliés [Adresse 1] (Etats-Unis),
ont formé le pourvoi n° J 21-24.426 contre l'arrêt n° RG : 20/09349 rendu le 16 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 12), dans le litige les opposant :
1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à Mme [E] [P], épouse [K], domiciliée [Adresse 1] (Etats-Unis), prise en son nom personnel,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [U] [O] [K], Mme [T] [K], Mme [C] [K] et [G] [K], représentée par ses représentants légaux M. [U] [O] [K] et Mme [E] [P] épouse [K], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Besson, Mme Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, M. Gaillardot, premier avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 2021), et les productions, Mme [P] se trouvait dans le magasin Hypercasher de Vincennes, le 9 janvier 2015, lorsqu'un terroriste s'y est introduit. Elle y était prise en otage, aux côtés d'autres clients, jusqu'à sa libération, plusieurs heures plus tard, par les services de police.
2. Après avoir reçu des provisions du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI), Mme [P], son mari, M. [K] et leurs filles, Mmes [T] et [C] [K] et [G] [K], représentée par ses représentants légaux, M. [K] et Mme [P], (les consorts [K] [P]) l'ont assigné aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Les consorts [K] [P] font grief à l'arrêt de les dire irrecevables en leurs demandes, alors « qu'il résulte des dispositions des articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au FGTI l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de l'époux et des filles de Mme [K] que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (?) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut », cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances, dans leur rédaction applicable au litige :
4. Selon le premier de ces textes, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3.
5. Selon le deuxième, pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
6. Selon le troisième, le Fonds de garantie est tenu, dans le délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés.
7. Aucun de ces textes n'exclut l'indemnisation des proches de la victime directe d'un attentat, en cas de survie de celle-ci.
8. Par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 86-120 du 9 septembre 1986, ultérieurement codifiée aux articles susmentionnés, que l'intention du législateur était de répondre, par l'application des règles du droit commun de la réparation, à la nécessité d'indemniser entièrement et rapidement le préjudice corporel des victimes d'actes terroristes, à la différence du régime d'indemnisation des victimes de dommages corporels résultant d'une infraction, alors applicable, issu de la loi n° 77-5 du 3 janvier 1977, qui ne prévoyait qu'une indemnisation partielle.
9. Depuis que la loi n° 90-589 du 6 juillet 1990 modifiant l'article 706-3 du code de procédure pénale a étendu aux victimes d'infractions dont elle assure l'indemnisation le principe de la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, la Cour de cassation juge de manière constante, à la suite de deux arrêts rendus le 14 janvier 1998 (2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-11.328, Bulletin civil 1998, II, n° 14, 2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-16.255), que cet article n'exclut pas, lorsque la victime d'une infraction a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun.
10. Interpréter les articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances comme excluant l'indemnisation des proches d'une victime survivante conduirait à réserver aux proches des victimes d'attentats un sort plus défavorable qu'à ceux des victimes d'autres infractions.
11. Un tel résultat, que ne commande aucune différence rédactionnelle entre les textes qui régissent les droits de ces victimes, n'apparaît pas conforme à l'intention du législateur.
12. En outre, par un arrêt rendu en chambre mixte le 25 mars 2022 (Ch. mixte, 25 mars 2022, pourvoi n° 20-17.072 en cours de publication), la Cour de cassation a admis l'indemnisation du préjudice d'attente et d'inquiétude que peuvent subir les proches d'une victime exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, y compris en cas de survie de celle-ci.
13. Pour dire les consorts [K] [P] irrecevables en leurs demandes d'indemnisation, l'arrêt énonce que les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayants droit faisant défaut.
14. En statuant ainsi, alors que n'est pas exclue, lorsque la victime directe d'un acte de terrorisme a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit M. [U] [O] [K], Mme [T] [K], Mme [C] [K] et [G] [K] représentée par Mme [E] [K] et M. [U] [O] [K], irrecevables en leurs demandes, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et le condamne à payer à M. [K], M. [K] et Mme [P] es qualités de représentants légaux de leur fille mineure [G] [K], et Mmes [T] et [C] [K] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour M. [U] [O] [K], Mme [T] [K], Mme [C] [K] et [G] [K], représentée par ses représentants légaux M. [U] [O] [K] et Mme [E] [P] épouse [K]
Les consorts [K], exposants, font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit M. [U] [O] [K], Mme [T] [K], Mme [C] [K] et Mme [G] [K], représentée par Mme [E] [K] et M. [U] [O] [K], irrecevables en leurs demandes,
Alors que, il résulte des dispositions des articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de l'époux et des filles de Mme [K], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (?) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut » (arrêt, p. 13), cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances.
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CASS/JURITEXT000046510489.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 octobre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1100 FS-B
Pourvoi n° K 21-12.881
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° K 21-12.881 contre l'arrêt rendu le 3 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 4), dans le litige l'opposant à M. [L] [P], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
M. [P] a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le demandeur au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [P], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Besson, Mme Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mme Philippart, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 décembre 2020), le 24 novembre 2011, M. [P] et [E] [T] ont été victimes d'un enlèvement revendiqué par un groupe terroriste. [E] [T] a été exécuté le 10 mars 2013 par ses ravisseurs. M. [P] a été libéré le 29 novembre 2014.
2. Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) a versé plusieurs provisions à M. [P] et, après expertise, lui a présenté une offre d'indemnisation qu'il a refusée.
3. M. [P] a saisi un tribunal de grande instance pour obtenir l'indemnisation de son préjudice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
4. Le FGTI fait grief à l'arrêt de fixer à la somme de 262 918, 30 euros le poste des pertes de gains professionnels futurs, alors « que le préjudice doit être réparé intégralement, sans qu'il en résulte pour la victime une perte ou un profit ; qu'en jugeant, pour fixer à la somme de 262 918, 30 euros le poste des pertes de gains professionnels futurs subie par M. [P], que celui-ci subirait une « perte de gains professionnels futurs totale imputable au fait dommageable » cependant qu'il résultait de ses propres constatations que M. [P] était sans emploi à la date du fait dommageable, de sorte qu'il ne pouvait prétendre, avant comme après la consolidation, qu'à l'indemnisation d'une perte de chance d'exercer une activité professionnelle, la cour d'appel, qui a indemnisé M. [P] sur la base de revenus hypothétiques, a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir constaté que l'année de son enlèvement, M. [P] avait travaillé jusqu'au 18 mars, puis bénéficié jusqu'au 31 octobre 2011 d'un contrat à durée déterminée, l'arrêt relève que ses revenus n'étaient pas réguliers de sorte qu'il convenait de se référer à la moyenne de ses salaires des quatre dernières années précédant son enlèvement pour déterminer le montant à prendre en considération pour le calcul de ses pertes de gains.
6. Il ajoute que M. [P] n'a pu travailler pendant plusieurs années en raison des faits eux-mêmes, sa détention ayant duré plus de trois ans, puis des troubles qu'il a présentés, en lien avec son enlèvement et sa détention, qui l'empêchent de pouvoir retravailler après la consolidation de son état de santé.
7. En l'état de ses constatations et énonciations, dont elle a déduit que M. [P] subissait une perte de gains professionnels futurs totale imputable au fait dommageable, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de l'existence et de l'étendue de ce préjudice, peu important que M. [P] ait été sans emploi depuis quelques semaines au moment de son enlèvement, que la cour d'appel a statué comme elle l'a fait.
8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. Le FGTI fait grief à l'arrêt d'allouer à M. [P] une somme de 20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, alors « que le déficit fonctionnel permanent indemnise les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales ; qu'en allouant à M. [P] une somme de 20 000 euros au titre d'une incidence professionnelle réparant « l'état d'inactivité professionnelle dans lequel il se trouve, qui l'empêche de s'épanouir professionnellement et lui fait perdre une partie de son existence sociale », tout en lui allouant par ailleurs une somme de 82 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, dont elle constatait elle-même qu'elle avait le même objet, la cour d'appel, qui a réparé deux fois le même préjudice, a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale. »
Réponse de la Cour
10. L'arrêt, pour allouer à M. [P] une certaine somme au titre du poste de l'incidence professionnelle, énonce qu'il invoque à juste titre l'état d'inactivité professionnelle dans lequel il se trouve, qui l'empêche de s'épanouir professionnellement et lui fait perdre une partie de son existence sociale.
11. Pour lui allouer une autre somme au titre du déficit fonctionnel permanent, l'arrêt retient que les séquelles conservées par M. [P] après la consolidation de son état entraînent, non seulement des atteintes aux fonctions physiologiques, mais également une perte de la qualité de vie et des troubles dans les conditions d'existence personnelles, familiales et sociales.
12. Il résulte de ce qui précède que, malgré la référence commune à l'existence sociale de M. [P], la cour d'appel, qui a évalué les conséquences des séquelles qu'il présentait, d'une part, dans la sphère professionnelle liées à son exclusion définitive du monde du travail, d'autre part, en dehors de celle-ci, n'a pas réparé deux fois le même préjudice.
13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal
14. Le FGTI fait grief à l'arrêt d'allouer à M. [P] une somme de 500 000 euros au titre des souffrances, alors « que dans le dispositif de ses conclusions d'appel, M. [P] sollicitait l'octroi d'une somme de 80 000 euros au titre des souffrances endurées ; qu'en allouant à M. [P] la somme de 500 000 euros au titre de ce chef de préjudice, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
15. Après avoir rappelé que M. [P] demande, au titre du préjudice de souffrances endurées, la somme de 80 000 euros et considère avoir subi un préjudice spécifique situationnel d'angoisse autonome qui justifie l'octroi de la somme de 10 100 000 euros, l'arrêt énonce que le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées regroupe toutes les souffrances de la victime, qu'elles soient physiques ou psychiques, et les troubles qui y sont associés, subies à compter de la survenance de l'événement à l'origine de ces souffrances et ce, quel que soit l'acte y ayant conduit.
16. L'arrêt retient ensuite que le préjudice de souffrances de M. [P] est constitué, notamment, par le traumatisme subi lors de son enlèvement sous la menace de l'arme des djihadistes, dont le canon était pointé sur sa tempe, les souffrances physiques subies pendant ses trois années de détention et l'angoisse dans laquelle il a vécu, confronté à de multiples reprises à la réalité de la mort par des simulacres d'exécution.
17. Il résulte de ce qui précède qu'en rejetant la demande de M. [P] au titre du préjudice situationnel d'angoisse et en lui allouant la somme de 500 000 euros au titre des souffrances endurées, la cour d'appel, qui n'a pas réparé deux fois le même préjudice ni accordé à la victime une indemnisation excédant la somme des demandes présentées de ces chefs, n'a pas modifié les termes du litige.
18. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le pourvoi incident éventuel
19. Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel de M. [P], devenu sans objet par suite du rejet du pourvoi principal.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal.
DIT n'y avoir lieu de statuer sur le pourvoi incident éventuel formé par M. [P] ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et le condamne à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le FGTI fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR fixé à la somme de 262 918,30 euros le poste des pertes de gains professionnels futurs ;
ALORS QUE le préjudice doit être réparé intégralement, sans qu'il en résulte pour la victime une perte ou un profit ; qu'en jugeant, pour fixer à la somme de 262 918,30 euros le poste des pertes de gains professionnels futurs subie par M. [P], que celui-ci subirait une « perte de gains professionnels futurs totale imputable au fait dommageable » (arrêt, p. 8, § 6) cependant qu'il résultait de ses propres constatations (arrêt, p. 6, § 4) que M. [P] était sans emploi à la date du fait dommageable, de sorte qu'il ne pouvait prétendre, avant comme après la consolidation, qu'à l'indemnisation d'une perte de chance d'exercer une activité professionnelle, la cour d'appel, qui a indemnisé M. [P] sur la base de revenus hypothétiques, a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
Le FGTI fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR alloué à M. [P] une somme de 20 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;
ALORS QUE le déficit fonctionnel permanent indemnise les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence personnelles, familiales et sociales ; qu'en allouant à M. [P] une somme de 20 000 euros au titre d'une incidence professionnelle réparant « l'état d'inactivité professionnelle dans lequel il se trouve, qui l'empêche de s'épanouir professionnellement et lui fait perdre une partie de son existence sociale » (arrêt, p. 9, § 7), tout en lui allouant par ailleurs une somme de 82 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent, dont elle constatait elle-même qu'elle avait le même objet (arrêt, p. 11, § 3), la cour d'appel, qui a réparé deux fois le même préjudice, a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
Le FGTI fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR alloué à M. [P] une somme de 500 000 euros au titre des souffrances ;
ALORS QUE dans le dispositif de ses conclusions d'appel, M. [P] sollicitait l'octroi d'une somme de 80 000 euros au titre des souffrances endurées ; qu'en allouant à M. [P] la somme de 500 000 euros au titre de ce chef de préjudice, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. Moyens produits au pourvoi incident éventuel par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [P]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la victime directe d'actes de terrorisme (M. [P], l'exposant) de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice situationnel d'angoisse ;
ALORS QUE le préjudice spécifique d'angoisse d'une victime directe d'actes de terrorisme a pour finalité l'indemnisation de ses souffrances psychiques spécifiques ressenties durant le cours même de l'événement traumatique, indépendamment de ses suites éventuelles (décès, souffrances physiques ou psychiques) ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a assimilé l'indemnisation du « préjudice situationnel d'angoisse » subi par la victime directe d'actes de terrorisme pendant le cours même de ces événements violents, indépendamment de leurs suites, à celle du préjudice « des souffrances endurées » regroupant « les souffrances (?) physiques ou psychiques » subies « à compter de la survenance de l'événement » violent ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a méconnu le principe de réparation intégrale sans perte ni profit, et l'article 1382 du code civil, devenu article 1240 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir accordé à la victime directe d'actes de terrorisme (M. [P], l'exposant) une indemnisation limitée à la somme de 735 000 euros au titre du préjudice de rétention, et d'avoir en conséquence condamné l'organisme ad hoc (le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme) à lui verser de ce chef cette seule somme ;
ALORS QUE l'indemnisation des victimes directes d'actes de terrorisme doit respecter le principe de la réparation intégrale ; qu'en l'espèce, pour déterminer le préjudice de rétention subi par l'exposant entre son enlèvement en novembre 2011 et sa libération en décembre 2014, l'arrêt attaqué, par motifs adoptés, a procédé à une évaluation différenciée de l'indemnité en fonction de chaque « année » de détention ; qu'en statuant de la sorte, sans indiquer sur quels éléments elle se serait fondée et justifier une telle méthode par une quelconque évolution dans les conditions de vie de la victime au cours de sa détention, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit et de l'article 1382 du code civil, devenu article 1240 du même code.
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CASS/JURITEXT000046510279.xml | LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 737 FS-B
Pourvoi n° U 21-19.053
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
La fondation [I] [T], dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° U 21-19.053 contre l'arrêt rendu le 6 mai 2021 par la cour d'appel de Versailles (14ème chambre), dans le litige l'opposant au département du Val d'Oise, dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de la fondation [I] [T], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat du département du Val d'Oise, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mme Greff-Bohnert, M. Boyer, Mmes Abgrall, Grall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Davoine, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 mai 2021), le 15 décembre 1992, l'Association Beauséjour, aux droits de laquelle vient la fondation [I] [T] (la fondation) et le département du Val-d'Oise (le département) ont conclu, pour la réalisation d'un projet de développement d'écoles d'enseignement supérieur, un acte portant dévolution à titre gratuit au département d'un terrain situé sur le site dit « [Adresse 3] » à [Localité 1].
2. Le 15 janvier 1996, le département a consenti à la fondation une promesse unilatérale de vente portant sur les terrains et les bâtiments construits ou à construire sur le site, la levée de la promesse devant intervenir « au plus tôt dès la 11ème année à compter de la plus tardive des déclarations d'achèvement des travaux de constructions et au plus tard 34 ans à compter de la même date ».
3. Suivant délibération adoptée le 25 septembre 2015, le conseil départemental du Val-d'Oise a dénoncé la promesse.
4. La fondation a assigné le département aux fins, principalement, de voir déclarer nul l'acte de dévolution, à titre subsidiaire, de voir prononcer l'exécution forcée de la promesse unilatérale de vente et, à titre infiniment subsidiaire, d'obtenir le paiement de dommages et intérêts.
5. Le département a soulevé l'incompétence de la juridiction judiciaire.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
6. La fondation fait grief à l'arrêt de confirmer la déclaration d'incompétence du tribunal judiciaire de Pontoise, alors « que le juge judiciaire est seul compétent pour se prononcer sur la validité d'un titre de propriété comme sur celle des actes portant transfert de propriété ; qu'en jugeant que le juge judiciaire n'est pas compétent pour connaître de conclusions tendant à l'annulation de l'acte authentique emportant dévolution de la propriété de biens immobiliers par une personne privée au profit d'un département au motif inopérant que ces biens, après être entrés dans le patrimoine du département, ont été incorporés à son domaine public, la cour d'appel a violé, par fausse application, la loi des 16-24 août 1790 et le principe de séparation des pouvoirs. »
Réponse de la Cour
Vu la loi des 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire et le décret du 16 fructidor an III :
7. En application de ces textes, l'ordre juridictionnel compétent pour connaître d'une action en annulation d'un contrat conclu entre une personne publique et une personne privée dépend de la nature, administrative ou de droit privé, de ce contrat, laquelle s'apprécie à la date à laquelle il a été conclu.
8. A moins que la loi n'en dispose autrement, celui-ci ne sera regardé comme administratif que s'il fait participer la personne privée à l'exécution même du service public ou s'il comporte des clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs.
9. Pour dire la juridiction judiciaire incompétente, l'arrêt retient que la qualification de droit privé de l'acte de dévolution n'a pas en elle-même d'incidence sur la solution du litige et que, si la demande d'annulation de cet acte peut avoir pour conséquence de remettre les parties dans la situation initiale, en l'état actuel du droit, le département est propriétaire du site, l'acte litigieux de dévolution ayant eu un effet translatif de propriété.
10. L'arrêt ajoute que la question de l'appartenance du site au domaine public, dont dépend la solution de l'exception d'incompétence, ne présente pas de difficulté sérieuse, et que le juge administratif est compétent pour statuer sur l'ensemble des litiges relatifs à des biens appartenant au domaine public, de sorte que la demande de nullité de l'acte de dévolution ressort de la compétence du tribunal administratif.
11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'acte de dévolution dont l'annulation était demandée était un contrat de droit privé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne le département du Val-d'Oise aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le département du Val-d'Oise et le condamne à payer à la fondation [I] [T] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour la fondation [I] [T]
La fondation [I] [T] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé la déclaration d'incompétence du tribunal judiciaire de Pontoise ;
1°- ALORS QUE la fondation [I] [T] demandait l'annulation de l'acte authentique par lequel la propriété des biens litigieux avait été dévolue au département ; qu'en jugeant que le titre de propriété du département n'était pas contesté, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la fondation et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°- ALORS QUE la propriété s'acquiert et se transmet par succession, par donation et par l'effet des obligations ; qu'en retenant que les conclusions tendant à l'annulation de l'acte authentique emportant transfert de propriété de biens immobiliers au profit du département ne caractérisaient pas une contestation sur la validité d'un titre de propriété, la cour d'appel a violé l'article 711 du code civil
3°- ALORS QUE le juge judiciaire est seul compétent pour se prononcer sur la validité d'un titre de propriété comme sur celle des actes portant transfert de propriété ; qu'en jugeant que le juge judiciaire n'est pas compétent pour connaître de conclusions tendant à l'annulation de l'acte authentique emportant dévolution de la propriété de biens immobiliers par une personne privée au profit d'un département au motif inopérant que ces biens, après être entrés dans le patrimoine du département, ont été incorporés à son domaine public, la cour d'appel a violé, par fausse application, la loi des 16-24 août 1790 et le principe de séparation des pouvoirs.
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CASS/JURITEXT000046510268.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 786 F-B
Pourvoi n° G 21-50.047
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
Le procureur général près la cour d'appel de Douai, domicilié en son parquet général, [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-50.047 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2021 par la cour d'appel de Douai (audience solennelle), dans le litige l'opposant à M. [L] [B], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kerner-Menay, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [B], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Kerner-Menay, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 20 mai 2021), le 6 décembre 2019, Mme [Z], agissant en qualité de procureure générale près la cour d'appel de Douai, a saisi le conseil régional de discipline des barreaux du ressort de cette cour d'appel, aux fins de poursuites disciplinaires à l'encontre de M. [B], avocat au barreau d'Avesnes-sur-Helpe, condamné définitivement le 27 juillet 2017 pour violation du secret professionnel.
2. Celui-ci a soulevé une exception d'irrecevabilité de la saisine, au motif que Mme [Z] n'avait plus qualité pour y procéder, dès lors qu'elle avait été nommée procureure générale près la cour d'appel d'Aix-en-Provence par décret du président de la République du 2 décembre 2019, publié au Journal officiel le 4 décembre 2019.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Le procureur général près la cour d'appel de Douai fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'acte de saisine du conseil régional de discipline par Mme [Z], alors « que la décharge d'un magistrat, fut-il procureur général, est effective, par application de l'article 7 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, non pas à compter de la date du décret de nomination ou de sa publication mais à compter de sa date d'installation dans ses nouvelles fonctions, de sorte qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 7, alinéa 1, de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 :
4. Aux termes de ce texte, les magistrats sont installés dans leurs fonctions en audience solennelle de la juridiction à laquelle ils sont nommés ou rattachés.
5. Il en résulte que c'est l'installation des magistrats qui fixe la date de la prise des nouvelles fonctions et, par voie de conséquence, de la cessation des anciennes.
6. Pour déclarer irrecevable l'acte de saisine du conseil régional de discipline par Mme [Z], l'arrêt retient que M. [B] est bien fondé à soutenir qu'à la date de cette saisine le 6 décembre 2019, la magistrate n'avait plus qualité pour agir dès lors qu'elle avait été déchargée de ses fonctions de procureure générale près la cour d'appel de Douai par décret.
7. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que Mme [Z] avait été installée dans ses nouvelles fonctions de procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 2 janvier 2020, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne M. [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [B] ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par le procureur général près la cour d'appel de Douai
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir jugé madame [W] [Z] irrecevable à . introduire un recours, le 6 décembre 2020, contre la décision rendue par l'instance disciplinaire à l'encontre d'un avocat au motif qu'elle avait été déchargée des fonctions de·procureur général près la cour· d'appel de Douai par Décret du 2 décembre 2019.
AU MOTIF QUE :
« Aux termes de l'article 23 de la loi n071-1J30 du 31 décembre 1971 portant réforme de certames professions judiciaires et juridiques: « l'instance discipline tire compétente en application de l'article 22 est saisie par le procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle elle est instituée ou le bâtonnier dont relève l'avocat mis en cause ».
Maître [L] [B] étant avocat au barreau d'Avesnes-sur-Helpe, le conseil de discipline des avocats des barreaux du ressort de la cour d'appel de Douai devait en conséquence être par le procureur général près la cour d'appel de Douai.
Il résulte du décret du 2 décembre 2019 publié au journal officiel de la Républiqùe française du 4 décembre 2019 que, par décret du président de la· République Française en date du 2 décembre 2019, Madame [W] [Z], avocate générale à la Cour de cassation, est déchargée des fonctions de procureur générale près la cour d'appel de Douai et chargée des fonctions de procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence ».
Certes, il est bien exact,comme le soutient le parquet général, que la prise de fonction de Madame [Z] en qualité de procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence n'est intervenue qu'à la date de son installation dans ses nouvelles fonctions, en application de l'article 7 de l'ordonnance de n°058270 du 22 décembre 1958, cette installation ayant été réalisée le 2 janVier 2020.
Il n'en demeure pas moins, que Maître [B] est bien fondé à soutenir qu'à la date du 6 décembre 2019, quand elle a saisi le conseil régional de discipline, Madame [Z] n'avait plus qualité pour saisir cette instance disciplinaire, dès lors qu'elle avait été déchargée des fonctions de procureure générale près la cour d'appel de Douai par décret, dont Maître [B] peut se prévaloir puisqu'il avait été publié au journal officiel du 4 décembre 2019.
Ne peut être retenu l'argument soulevé par le parquet général au terme duquel il convenait d'assurer la continuité du service public de la justice, alors même qu'il rappelle que le parquet est indivisible dans son organisation et son fonctionnement, et que le premier avocat général avait toute qualité pour saisir l'instance disciplinaire.
Sera en conséquence confirmée la décision du conseil régional de discipline des barreaux du ressort de la cour d'appel de Douai en ce qu'il a déclaré irrecevable l'acte de saisine du-dit conseil en date du décembre 2019 à l'encontre de Monsieur le bâtonnier [L] [B] par Madame la procureure générale de la cour d'appel de Douai ainsi que la procédure subséquente. »
ALORS QUE : "La décharge des fonctions d'un magistrat, procureur général, est effective, par application de l'article 7 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, non pas à compter de la date du décret de nomination ou de sa publication mais à compter de la date d'installation dans ses nouvelles fonctions.
En statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
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COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 octobre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1084 F-B
Pourvoi n° M 21-16.907
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 OCTOBRE 2022
1°/ la société Demax, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],
2°/ la société BTSG², société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], agissant en la personne de M. [L] [E] en qualité de mandataire judiciaire au plan de sauvegarde de la société Demax, ayant un établissement secondaire [Adresse 3],
3°/ la société [B] [P] & associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], agissant en la personne de M. [B] [P] en qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Demax,
ont formé le pourvoi n° M 21-16.907 contre l'arrêt rendu le 1er avril 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-9), dans le litige les opposant à la société Allianz Iard, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Demax, la société BTSG², agissant en la personne de M. [L] [E] en qualité de mandataire judiciaire au plan de sauvegarde de la société Demax, et la société [B] [P] & associés, agissant en la personne de M. [B] [P] en qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Demax, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz Iard, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 1er avril 2021), par jugement du 18 octobre 2018, un tribunal de commerce a condamné la société Demax à restituer à la société Allianz Iard, les véhicules qu'elle détenait en exécution du contrat signé entre elles et résilié le 1er décembre 2016, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par véhicule manquant, à l'expiration d'un délai de 21 jours suivant la signification de la décision.
2. Par jugement du 29 janvier 2019, une procédure de sauvegarde a été ouverte à l'égard de la société Demax.
3. Par décision du 5 mars 2019, un juge de l'exécution a liquidé l'astreinte pour la période du 15 novembre au 4 décembre 2018.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société Demax fait grief à l'arrêt de liquider l'astreinte ordonnée par le tribunal de commerce de Paris dans son jugement en date du 18 octobre 2018 et de fixer à la somme de 920 000 euros la créance de la société Allianz Iard dans la procédure collective de la société Demax, alors « que l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe ; qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions susvisées, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; que demeurent recevables les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Demax avait fait l'objet d'une procédure collective ouverte par jugement du 29 janvier 2019, qu'elle a interjeté appel le 18 mars 2019 et que la société Allianz a déclaré sa créance le 25 mars 2019 pour le montant de la condamnation obtenue en première instance ; qu'elle a encore constaté qu'aux termes de ses conclusions du 24 février 2020, la société Allianz sollicitait la confirmation du jugement frappé d'appel, lequel avait condamné la société Demax au paiement d'une somme d'argent ; que pour dire toutefois que la demande tendant à la fixation de sa créance à la procédure collective de la société Demax était recevable quoique formée pour la première fois par conclusions du 21 octobre 2020, la cour d'appel a retenu que cette demande tendait à la même prétention que celle initialement formulée sauf à tenir compte de l'élément juridique nouveau ; qu'en statuant ainsi, quand la procédure collective et la déclaration de créance de la société Allianz étaient des faits antérieurs aux premières conclusions déposées par cette société, la cour d'appel a violé l'article 910-4 du code de procédure civile, en sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 910-4 du code de procédure civile :
5. Selon ce texte, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
6. Pour fixer à la somme de 920 000 euros la créance de la société Allianz Iard dans la procédure collective de la société Demax, l'arrêt retient que dans des conclusions du 24 février 2020, la société Allianz Iard sollicitait la confirmation du jugement frappé d'appel, ce qui emportait condamnation financière de la société Demax alors que la procédure collective la concernant a été ouverte le 29 janvier 2019, mais qu'avant que la cour ne statue, dans ses dernières écritures du 21 octobre 2020, elle a opportunément ajusté sa demande pour solliciter uniquement la fixation de la créance dans la procédure collective, ce qui tend à la même prétention que celle initialement formulée, sauf à tenir compte de l'élément juridique nouveau et en déduit que l'irrecevabilité ne sera pas retenue.
7. En statuant ainsi, alors que la demande de fixation de la créance de la société Allianz Iard constituait une prétention, qu'elle n'était pas destinée à répliquer aux conclusions de l'appelant ni à faire juger une question née, postérieurement aux premières conclusions, de la révélation d'un fait, la procédure collective et la déclaration de créance de la société Allianz Iard étant antérieures aux premières conclusions déposées par celle-ci, la cour d'appel, qui ne pouvait que déclarer irrecevable cette prétention, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé à la somme de 920 000 euros la créance de la société Allianz Iard dans la procédure collective de la société Demax, l'arrêt rendu le 1er avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.
Condamne la société Allianz Iard aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Allianz Iard et la condamne à payer à la société Demax, la société BTSG², agissant en la personne de M. [E] en qualité de mandataire judiciaire au plan de sauvegarde de la société Demax et la SELARL [B] [P] & associés, agissant en qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de la société Demax, la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Demax, la société BTSG², agissant en la personne de M. [L] [E] en qualité de mandataire judiciaire au plan de sauvegarde de la société Demax, et la SARL [B] [P] & associés, agissant en la personne de M. [B] [P] en qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Demax
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR liquidé l'astreinte ordonnée par le tribunal de commerce de Paris dans son jugement en date du 18 octobre 2018 et d'AVOIR fixé à la somme de 920.000 € la créance de la société ALLIANZ IARD dans la procédure collective de la SARL DEMAX ;
1°/ ALORS QUE l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe ; qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions susvisées, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; que demeurent recevables les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a constaté que la société DEMAX avait fait l'objet d'une procédure collective ouverte par jugement du 29 janvier 2019, qu'elle a interjeté appel le 18 mars 2019 et que la société ALLIANZ a déclaré sa créance le 25 mars 2019 pour le montant de la condamnation obtenue en première instance ; qu'elle a encore constaté qu'aux termes de ses conclusions du 24 février 2020, la société ALLIANZ sollicitait la confirmation du jugement frappé d'appel, lequel avait condamné la société DEMAX au paiement d'une somme d'argent ; que pour dire toutefois que la demande tendant à la fixation de sa créance à la procédure collective de la société DEMAX était recevable quoique formée pour la première fois par conclusions du 21 octobre 2020, la Cour d'appel a retenu que cette demande tendait à la même prétention que celle initialement formulée sauf à tenir compte de l'élément juridique nouveau ; qu'en statuant ainsi, quand la procédure collective et la déclaration de créance de la société ALLIANZ étaient des faits antérieurs aux premières conclusions déposées par cette société, la Cour d'appel a violé l'article 910-4 du code de procédure civile, en sa rédaction applicable au litige ;
2°/ ET ALORS QUE ce n'est que dans les cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée que l'irrecevabilité peut être écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ; que l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe ; que ces conclusions déterminent l'objet du litige ; qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions susvisées, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; qu'en déclarant recevables les conclusions déposées le 21 octobre 2020, au-delà du délai d'un mois susvisé, au motif inopérant qu'elles l'avaient été avant que le juge ne statue, la Cour d'appel a violé l'article 910-4 du code de procédure civile en sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article 126 du même code.
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CASS/JURITEXT000046510266.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 784 F-B
Pourvoi n° F 21-50.045
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [H].
Admission au bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 19 août 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
Le procureur général près la cour d'appel de Lyon, domicilié en son parquet général, 1 rue du Palais, 69321 Lyon cedex, a formé le pourvoi n° F 21-50.045 contre l'ordonnance rendue le 18 mai 2021 par la cour d'appel de Lyon, dans le litige l'opposant à M. [F] [H], domicilié centre hospitalier de [2], [Localité 1], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [H], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Lyon, 18 mai 2021), le 5 février 2016, M. [H] a été admis en soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d'une hospitalisation complète, par décision du représentant de l'Etat dans le département sur le fondement de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique. Cette hospitalisation s'est poursuivie jusqu'au 8 août 2019, date à laquelle le représentant de l'Etat a transformé la mesure en programme de soins. Le 2 novembre 2020, M. [H] a été réadmis en hospitalisation complète. Par ordonnance du 10 novembre 2020, le juge des libertés et de la détention a autorisé la poursuite de la mesure. Par arrêté du 30 novembre 2020, le représentant de l'Etat a maintenu la mesure pour une durée de six mois à compter du 4 décembre 2020.
2. Le 21 avril 2021, le représentant de l'Etat a saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande de prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du code de la santé publique.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
3. Le procureur général près la cour d'appel de Lyon fait grief à l'ordonnance de décider de la mainlevée de la mesure, alors « que, sur le fondement de l'article L. 3213-4 du code de la santé publique, la mesure d'hospitalisation psychiatrique sans consentement d'un patient qui a fait l'objet d'une réintégration en hospitalisation complète peut être maintenue par le représentant de l'Etat dans le département pour une période de six mois ; en affirmant que la mesure d'hospitalisation psychiatrique sans consentement d'un patient qui avait fait l'objet d'une réintégration en hospitalisation complète ne pouvait être maintenue par le représentant de l'Etat dans le département que pour une période de trois mois, le délégué du premier président de la cour d'appel de Lyon a violé l'article L. 3213-4 du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3213-4 du code de la santé publique :
4. Il résulte de ce texte que les soins psychiatriques sans consentement décidés par le représentant de l'Etat dans le département ont une durée initiale d'un mois à compter de la décision d'admission et peuvent être ensuite maintenus pour une nouvelle durée de trois mois, puis par périodes maximales de six mois renouvelables, sans que la modification des modalités de soins, au cours de la mesure, n'ait d'incidence sur ces durées.
5. Pour décider de la mainlevée de la mesure, l'ordonnance retient que, la décision de réadmission en hospitalisation complète du 2 novembre 2020 ayant une durée d'un mois, le maintien de l'hospitalisation sous contrainte de M. [H] n'était pas justifié pour la journée du 3 décembre 2020 et que l'arrêté du 30 novembre 2020 ne pouvait maintenir la mesure pour une période supérieure à trois mois.
6. En statuant ainsi, alors que la précédente décision de maintien des soins datait du 2 juin 2020 et couvrait la période du 4 juin au 4 décembre 2020, le premier président a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
8. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que, les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle dit l'appel de M. [H] recevable, l'ordonnance rendue le 18 mai 2021, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Lyon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par le procureur général près la cour d'appel de Lyon
Il est fait grief à l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Lyon du 18 mai 2021:
"d'avoir dit que l'arrêté du préfet de L'Isère du 30 novembre 2020 ne pouvait maintenir la, mesure de soins psychiatriques sans consentement de Monsieur [F] [H] pour une durée de 6 mois.
Aux motifs que :
1°/ Monsieur [F] [H] a fait l'objet d'une réintégration en hospitalisation complète par arrêté préfectoral du 2 novembre 2020, alors qu'il était en programme de soins depuis plus d'une année.
Dès lors, le préfet pouvait; dans les trois derniers jours du mois suivant la décision d'admission, maintenir la mesure d'hospitalisation en soins psychiatriques sans consentement pour une nouvelle durée de trois mois, soit jusqu'au 2 mars 2021, la mesure pouvant par la suite être maintenue pour des périodes maximales de six mois, renouvelables.
Or; l'arrêté du 30 novembre 2020 a, en contravention avec les dispositions de l'article L 3213-4 du . code. de la santé publique, maintenu la mesure pour une durée de six mois, et cela à compter du 4 décembre 2020.
Il en résulte :
-que le maintien sous le régime de l'hospitalisation sous contrainte n'était pas justifié pour la journée du 3 décembre 2020 ;
-surtout, que depuis le 2 mars 2021, aucun arrêté préfectoral régulier n'autorisait le maintien de Monsieur [F] [H] en hospitalisation sous contrainte.
Aux termes de l'article L.3213-4 alinéa 2 du code de la santé publique, faute de décision du représentant de l'état à l'issue des délais énoncés, la levée de la mesure est acquise. »
1°/ Alors que la décision de « réadmission» en hospitalisation complète d'un patient ne peut pas considérée comme une décision d'admission en soins psychiatriques sans consentement.
2/ Alors que sur le fondement de l'article 13-4 du code de la santé publique, la mesure. d'hospitalisation psychiatrique sans consentement d'un patient qui a fait l'objet d'une réintégration en hospitalisation complète peut être maintenue par le représentant de l'État dans le département pour une période de 6 mois.
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CASS/JURITEXT000046510272.xml | LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 733 FS-B
Pourvoi n° N 21-19.898
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
M. [U] [G], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 21-19.898 contre l'arrêt rendu le 26 mai 2021 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Edelis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
2°/ à la société IFB France, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la société BNP PARIBAS personal finance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
4°/ à la société Axa France vie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [G], de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société IFB France, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société BNP Paribas personal finance et de la société Axa France vie, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Edelis, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Maunand, conseiller doyen rapporteur, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mmes Abgrall, Grall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Davoine, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 26 mai 2021), par l'intermédiaire de la société IFB France (le mandataire), M. [G] (l'acquéreur) a acquis de la société Prestigium, aux droits de laquelle vient la société Edelis (le vendeur), par acte authentique de vente en l'état futur d'achèvement du 13 octobre 2005, un appartement dans une résidence à titre d'investissement immobilier locatif bénéficiant d'une défiscalisation.
2. Il a financé son acquisition à l'aide d'un prêt immobilier souscrit auprès de la société BNP Paribas Personal Finance (la société BNP Paribas) et assuré auprès de la société Axa France vie.
3. Il a donné le bien à bail commercial à la société Goelia gestion pour une durée de neuf ans à compter de la livraison intervenue le 23 juin 2006, moyennant un loyer annuel de 3 416 euros.
4. Le 16 octobre 2014, l'exploitant a notifié à l'acquéreur son intention de résilier le bail aux conditions initiales en raison de la baisse de rentabilité de l'appartement.
5. Un nouveau bail a été conclu le 11 septembre 2015 pour un loyer fixé à 1 800 euros.
6. En mai et juillet 2016, l'acquéreur, se plaignant d'une baisse de rentabilité et d'une surévaluation de la valeur de son bien, a assigné le vendeur, le mandataire et les sociétés BNP Paribas et Axa France vie en nullité pour dol de la vente et du prêt, subsidiairement en indemnisation des préjudices résultant du manquement du vendeur et de son mandataire à leur devoir de conseil.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en nullité du contrat fondée sur le dol, alors « que la nullité de la convention est encourue lorsque les manoeuvres pratiquées volontairement par une des parties sont telles qu'il est évident que, sans elles, l'autre partie n'aurait pas contracté ; que, pour écarter le dol, l'arrêt attaqué s'est borné à retenir que l'opération avait accru l'actif du patrimoine de l'acquéreur, qui s'était enrichi de la propriété de l'appartement et du montant des loyers, et que le passif de son patrimoine avait également été diminué du fait des avantages fiscaux dont il avait bénéficié, de sorte que, à défaut de produire les justificatifs permettant de déterminer le montant effectif de ces avantages, il ne démontrait pas le dol allégué ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le vendeur avait commis des manoeuvres dolosives en surévaluant le prix d'achat du bien et des loyers par la conclusion d'un fonds de concours avec l'exploitant, en induisant en erreur l'acquéreur sur la rentabilité du bien, auquel il avait fait croire que la valeur de celui-ci allait augmenter pendant toute la durée de l'opération pour atteindre un prix à la revente très favorable, en dissimulant la cession à l'exploitant des locaux destinés à l'accueil et à la réception, réduisant par la même le potention locatif et vénal du lot acquis, et en occultant les risques réels de l'opération en l'absence d'une analyse pertinente des prix du marché par un organisme indépendant, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1116 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
8. Selon ce texte, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; il ne se présume pas et doit être prouvé.
9. Pour rejeter la demande, l'arrêt retient que l'opération a accru l'actif du patrimoine de l'acquéreur, qui s'est enrichi de la propriété de l'appartement et du montant des loyers perçus durant neuf années et que le passif a été diminué, puisque le dispositif lui ouvrait droit à la récupération de la taxe sur la valeur ajoutée sur le prix de vente, de sorte que l'acquéreur, qui ne produit aucun justificatif permettant de déterminer le montant effectif des avantages fiscaux dont il a bénéficié, ne démontre pas le dol allégué.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, lors de la conclusion du contrat, l'acquéreur n'avait pas été induit en erreur sur la rentabilité et la valeur du bien par des manoeuvres dolosives consistant en la conclusion d'un fonds de concours avec l'exploitant et la cession à celui-ci des locaux destinés à l'accueil et à la réception de la résidence, dissimulés à l'acquéreur, ainsi qu'en l'absence d'analyse des prix du marché par un organisme indépendant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen relevé d'office
11. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :
12. Selon ce texte, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
13. Il est jugé que le délai de l'action en responsabilité, qu'elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance (1re Civ., 11 mars 2010, pourvoi n° 09-12.710, Bull. 2010, I, n° 62 ; 2e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-17.754, Bull. 2017, II, n° 102).
14. Pour fixer le point de départ de l'action en responsabilité exercée par l'acquéreur contre le vendeur et son mandataire au jour de la signature de l'acte authentique de la vente en l'état futur d'achèvement, soit le 13 octobre 2005, l'arrêt retient que, s'agissant d'un manquement à l'obligation d'information ou de conseil, le dommage consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste dès l'établissement de l'acte critiqué.
15. En statuant ainsi, alors que, s'agissant d'un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour l'acquéreur ne peut résulter que de faits susceptibles de lui révéler l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Mise hors de cause
16. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause les sociétés BNP Paribas Personal Finance et Axa France vie, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette l'exception d'irrecevabilité de l'assignation pour défaut de publicité foncière, l'arrêt rendu le 26 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause les sociétés BNP Paribas Personal Finance et Axa France vie ;
Condamne les sociétés Edelis et IFB France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [G]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté l'acquéreur d'un bien en état futur d'achèvement (M. [G], l'exposant) de sa demande en nullité du contrat de vente fondée sur le dol ;
ALORS QUE la nullité de la convention est encourue lorsque les manoeuvres pratiquées volontairement par une des parties sont telles qu'il est évident que, sans elles, l'autre partie n'aurait pas contracté ; que, pour écarter le dol, l'arrêt attaqué s'est borné à retenir que l'opération avait accru l'actif du patrimoine de l'acquéreur, qui s'était enrichi de la propriété de l'appartement et du montant des loyers, et que le passif de son patrimoine avait également été diminué du fait des avantages fiscaux dont il avait bénéficié, de sorte que, à défaut de produire les justificatifs permettant de déterminer le montant effectif de ces avantages, il ne démontrait pas le dol allégué ; qu'en statuant ainsi sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (v. les concl. de l'exposant, pp. 24-31), si le vendeur avait commis des manoeuvres dolosives en surévaluant le prix d'achat du bien et des loyers par la conclusion d'un fonds de concours avec l'exploitant, en induisant en erreur l'acquéreur sur la rentabilité du bien, auquel il avait fait croire que la valeur de celui-ci allait augmenter pendant toute la durée de l'opération pour atteindre un prix à la revente très favorable, en dissimulant la cession à l'exploitant des locaux destinés à l'accueil et à la réception, réduisant par la même le potentiel locatif et vénal du lot acquis, et en occultant les risques réels de l'opération en l'absence d'une analyse pertinente des prix du marché par un organisme indépendant, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1116 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité délictuelle introduite par l'acquéreur d'un bien en état futur d'achèvement (M. [G], l'exposant) ;
ALORS QU'en matière d'investissements locatifs, le point de départ de la prescription de l'action pour manquement au devoir d'information et de conseil du vendeur est la date à laquelle l'acquéreur a pris conscience des pertes qu'il a subies ; qu'en retenant que, pour un manquement à l'obligation d'information ou de conseil, le dommage consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifestait dès l'établissement de l'acte critiqué et que c'était donc par une exacte analyse des éléments soumis à son appréciation que le premier juge avait fixé le point de départ du délai de prescription à la date de signature de l'acte de vente, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil ;
ALORS QUE, en outre, l'exposant faisait valoir (v. ses concl. n° 6, pp. 19-20) que ce n'était qu'à l'issue de la période de neuf ans ayant suivi la livraison du bien qu'il avait pris conscience de la surévaluation de la valeur vénale et locative de celui-ci, la convention de concours dont avait bénéficié l'exploitant ayant permis de maintenir artificiellement le loyer initial à un niveau déconnecté du marché et que, ayant eu l'illusion d'avoir disposé lors de l'achat d'une étude financière loyale sur le prix de vente et le rendement escompté, émanant d'une association indépendante, il s'était fié à cette information sans procéder à une vérification personnelle des valeurs vénale et locative du bien ; que, pour déclarer l'action prescrite, l'arrêt attaqué a retenu, par motifs éventuellement adoptés, que l'acquéreur ne justifiait ni d'une surévaluation du loyer au jour de la conclusion du bail commercial ni d'une surévaluation du prix de vente à défaut de produire des éléments de comparaison tirés du marché immobilier remontant à la date de l'acquisition ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, quand il lui appartenait de rechercher la date à laquelle l'acquéreur avait réalisé que le potentiel locatif qu'il escomptait au vu de la simulation financière qui lui avait été remise ne serait pas celui annoncé lors de la conclusion du contrat, la cour d'appel n'a conféré à sa décision aucune base légale au regard de l'article 2224 du code civil.
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CASS/JURITEXT000046510264.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 781 F-B
Pourvoi n° Y 21-10.938
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
1°/ le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau des Pyrénées-Orientales, domicilié [Adresse 2],
2°/ le conseil de l'ordre des avocats au barreau des Pyrénées-Orientales, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° Y 21-10.938 contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2020 par la cour d'appel de Montpellier (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [M] [I], domicilié [Adresse 1],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Montpellier, domicilié en son [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Gall, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau des Pyrénées-Orientales et du conseil de l'ordre des avocats au barreau des Pyrénées-Orientales, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [I], après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Le Gall, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 30 novembre 2020), par arrêté du 18 octobre 2018, le conseil de l'ordre des avocats au barreau des Pyrénées-Orientales (le conseil de l'ordre) a prononcé l'omission du tableau de M. [I] au motif qu'il n'avait pas respecté l'échéancier auquel il s'était engagé pour le paiement de sa dette à la Caisse nationale des barreaux français (la CNBF).
2. Celui-ci a formé un recours qui a été rejeté par décision du conseil de l'ordre du 1er juillet 2019.
3. M. [I] a été placé en redressement judiciaire par décision du 4 juillet suivant et s'est prévalu de cette mesure pour solliciter, le 31 juillet 2019, sa réinscription au tableau.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le bâtonnier et le conseil de l'ordre font grief à l'arrêt d'ordonner la réinscription au tableau de M. [I], alors « que l'avocat qui, sans motifs valables, n'a pas acquitté sa cotisation à la CNBF dans les délais prescrits, peut être omis du tableau ; que sa réinscription est prononcée par le conseil de l'ordre, qui vérifie que l'intéressé remplit les conditions requises pour figurer au tableau, avant d'accueillir sa demande ; qu'après avoir relevé que l'omission de M. [I] avait été prononcée au motif qu'il n'avait pas respecté l'échéancier fixé pour le règlement de sa dette à l'égard de la CNBF, la cour d'appel retient, pour ordonner sa réinscription, que, postérieurement à cette omission, M. [I] a été placé en redressement judiciaire, ce qui lui interdit de payer le reliquat de cette dette antérieure, motif légitime de non-paiement ; qu'en statuant ainsi par un motif inopérant, sans constater que M. [I] aurait procédé au paiement de sa dette à l'égard de la CNBF et que la cause de son omission aurait ainsi disparu, la cour d'appel a violé les articles 105, 2° et 107 du décret du 27 novembre 1991. »
Réponse de la Cour
5. Si, selon l'article 105, 2° du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, l'avocat qui, sans motifs valables, n'a pas acquitté sa cotisation à la CNBF peut être omis du tableau, sa réinscription est, aux termes de l'article 107, prononcée par le conseil de l'ordre qui, avant d'accueillir la demande de réinscription, vérifie que l'intéressé remplit les conditions requises pour figurer au tableau.
6. Aux termes de l'article L. 622-7 du code de commerce relatif à la procédure de sauvegarde de justice, applicable également, selon l'article L. 631-14, à la procédure de redressement judiciaire, le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes.
7. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'absence de règlement de cotisations dues par un avocat ayant motivé son omission du tableau ne peut faire obstacle à sa réinscription dans le cas où il fait l'objet d'un redressement judiciaire.
8. Ayant relevé que l'ouverture, le 4 juillet 2019, de la procédure de redressement judiciaire interdisait à M. [I] de régler le reliquat de sa dette à la CNBF, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que le conseil de l'ordre ne pouvait maintenir son refus de réinscription de M. [I] au tableau.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le conseil de l'ordre des avocats au barreau des Pyrénées-Orientales aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour le bâtonnier de l'ordre des avocats des Pyrénées-Orientales et le conseil de l'ordre des avocats du barreau des Pyrénées-Orientales
Le conseil de l'ordre des avocats du barreau des Pyrénées-Orientales fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé sa décision du 5 septembre 2019 refusant la réinscription au tableau de M. [M] [I], et d'AVOIR ordonné cette réinscription ;
ALORS QUE l'avocat qui, sans motifs valables, n'a pas acquitté sa cotisation à la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) dans les délais prescrits, peut être omis du tableau ; que sa réinscription est prononcée par le conseil de l'ordre, qui vérifie que l'intéressé remplit les conditions requises pour figurer au tableau, avant d'accueillir sa demande ; qu'après avoir relevé que l'omission de M. [I] avait été prononcée au motif qu'il n'avait pas respecté l'échéancier fixé pour le règlement de sa dette à l'égard de la CNBF, la cour d'appel retient, pour ordonner sa réinscription, que, postérieurement à cette omission, M. [I] a été placé en redressement judiciaire, ce qui lui interdit de payer le reliquat de cette dette antérieure, motif légitime de non-paiement ; qu'en statuant ainsi par un motif inopérant, sans constater que M. [I] aurait procédé au paiement de sa dette à l'égard de la CNBF et que la cause de son omission aurait ainsi disparu, la cour d'appel a violé les articles 105 2° et 107 du décret du 27 novembre 1991.
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CASS/JURITEXT000046510270.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 787 F-B
Pourvoi n° A 20-23.333
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
Le directeur du Centre hospitalier [3], dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 20-23.333 contre l'ordonnance rendue le 20 octobre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (Hospitalisation sans consentement - 1-11 HO), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [P] [I], domicilié [Adresse 2],
2°/ au procureur général près la cour d'appel, domicilié en son parquet général, palais Monclar, 13100 Aix-en-Provence,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado Gilbert, avocat du directeur du Centre hospitalier [3], après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1.Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Aix-en-Provence, 20 octobre 2020), le 30 septembre 2020, M. [I] a été admis en soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d'une hospitalisation complète, par décision du directeur de l'établissement, au vu d'un péril imminent, sur le fondement de l'article L.3212-1, II, 2° du code de la santé publique.
2. Le 5 octobre 2020, le directeur d'établissement a saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande aux fins de poursuite de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du même code.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais, sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le directeur du centre hospitalier [3] fait grief à l'ordonnance de décider de la mainlevée de la mesure, alors « que constitue des difficultés particulières au sens de l'article L. 3212-1,II, 2° du code de la santé publique, le fait, pour la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques sans consentement, de refuser que sa famille soit informée de cette mesure ; qu'en considérant que le centre hospitalier [3] ne justifiait pas avoir fait toute diligence pour informer la famille du patient, mentionnant le cas échéant les difficultés rencontrées, après avoir constaté qu'il résultait de la fiche de recherche des personnes de l'entourage dans les 24 heures de l'admission de M. [I] que l'établissement de santé n'avait pas pu procéder dans ce laps de temps à l'information d'un membre de sa famille « le patient refusant tout contact avec celle-ci et que l'hôpital ne les contacte » ce qui révélait l'existence de difficultés particulières faisant obstacle à l'information de la famille de M. [I], la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 3212-1, II, 2° du code de la santé publique, ensemble l'article L. 1110-4 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3212-1, II, 2°, alinéa 2, et L. 1110-4 du code de la santé publique :
5. Selon le premier de ces textes, en cas de décision d'admission en soins psychiatriques sans consentement prise par un directeur d'établissement au vu d'un péril imminent, celui-ci informe, dans un délai de vingt-quatre heures sauf difficultés particulières, la famille de la personne qui fait l'objet de soins et, le cas échéant, la personne chargée de la protection juridique de l'intéressé ou, à défaut, toute personne justifiant de l'existence de relations avec la personne malade antérieures à l'admission en soins et lui donnant qualité pour agir dans l'intérêt de celle-ci.
6. Constitue une difficulté particulière, au sens de ce texte, le fait, pour la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques sans consentement, de refuser que sa famille soit informée de cette mesure dès lors qu'en application du second de ces textes, la personne a droit au respect du secret des informations la concernant.
7. Pour décider de la mainlevée de la mesure de soins, après avoir constaté que, lors de son admission, M. [I] se trouvait en errance, après avoir été mis dehors par ses parents, éprouvait un sentiment de persécution envers sa famille et avait exprimé son refus de faire prévenir celle-ci, l'ordonnance retient que le directeur établissement n'a pas fait toute diligence pour informer une personne de l'entourage de M. [I] susceptible d'agir dans l'intérêt de celui-ci.
8. En statuant ainsi, sans tirer les conséquences légales de ses constatations desquelles il résultait qu'en raison du refus exprimé par M. [I] d'une information de sa famille, le directeur d'établissement se trouvait en présence d'une difficulté particulière, le premier président a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, dès lors que les délais légaux pour se prononcer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle dit l'appel recevable, l'ordonnance rendue le 20 octobre 2020, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour Le directeur du Centre hospitalier [3]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le directeur du centre hospitalier [3] reproche à l'ordonnance attaquée, D'AVOIR déclaré non fondé son appel et d'avoir, en conséquence, confirmé la décision rendue le 8 octobre 2020 par le juge des libertés et de la détention d'Aix-en-Provence ayant ordonné la main levée de l'hospitalisation sous contrainte de M. [I] ;
1°) ALORS QUE constitue des difficultés particulières au sens de l'article L. 3212-1,II, 2° du code de la santé publique, le fait, pour la personne qui fait l'objet de soins psychiatriques sans consentement, de refuser que sa famille soit informée de cette mesure ; qu'en considérant que le centre hospitalier [3] ne justifiait pas avoir fait toute diligence pour informer la famille du patient, mentionnant le cas échéant les difficultés rencontrées, après avoir constaté qu'il résultait de la fiche de recherche des personnes de l'entourage dans les 24 heures de l'admission de M. [I] que l'établissement de santé n'avait pas pu procéder dans ce laps de temps à l'information d'un membre de sa famille « le patient refusant tout contact avec celle-ci et que l'hôpital ne les contacte » ce qui révélait l'existence de difficultés particulières faisant obstacle à l'information de la famille de M. [I], la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 3212-1, II, 2° du code de la santé publique, ensemble l'article L. 1110-4 du même code ;
2°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le droit d'une personne de tenir son état de santé secret et de s'opposer à ce que les professionnels de santé communiquent à un tiers les informations la concernant peut être limité à la seule condition que les mesures mises en oeuvre poursuivent un but légitime et soient proportionnées au but visé ; qu'en imposant au directeur de l'établissement d'accueil d'informer la famille et les proches de M. [I] qu'il avait admis en soins sans consentement pour péril imminent sur le fondement d'un certificat médical, nonobstant le refus du patient que soit délivrée une telle information, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée au droit de toute personne au respect de sa vie privée et à tenir son état de santé secret, dont il est la composante, et a violé l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°) ALORS, PLUS SUBSIDIAIREMENT, QUE le droit d'une personne de tenir son état de santé secret et de s'opposer à ce que les professionnels de santé communiquent à un tiers les informations la concernant peut être limité à la seule condition que les mesures mises en oeuvre poursuivent un but légitime et soient proportionnées au but visé ; que pour ordonner la mainlevée de la mesure d'hospitalisation dont M. [I] faisait l'objet, la cour d'appel a considéré que le centre hospitalier [3] avait commis une irrégularité en ne procédant pas à toute diligence pour informer la famille de M. [I] de celle-ci ; qu'en statuant ainsi, après avoir cependant constaté que celui-ci avait expressément refusé que sa famille en soit informée, que c'était elle qui l'avait « mis dehors » ce qui avait provoqué son état d'errance et un sentiment de persécution, et révélait que la famille du patient n'agissait pas dans son intérêt mais au contraire manifestait un désintérêt quant à son état de santé mental dont elle avait pourtant conscience, la cour d'appel a porté une atteinte disproportionnée au droit de M. [I] au respect de sa vie privée, incluant celui de tenir son état de santé secret et a violé l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°) ALORS, ENCORE PLUS SUBSIDIAIREMENT, QUE la mainlevée d'une mesure de soins psychiatriques sans consentement ne peut résulter de la seule irrégularité de la décision administrative la prescrivant, le juge étant tenu de motiver sa décision en énonçant en quoi l'irrégularité constatée a concrètement porté atteinte aux intérêts de la personne faisant l'objet des soins en cause ; qu'en se bornant à énoncer, pour ordonner la mainlevée de la mesure de soins psychiatriques sans consentement dont faisait l'objet M. [I], « que les exigences de l'article L. 3212-1, II, 2° du code de la santé publique n'ont pas été remplies ce qui porte atteinte aux droits de (ce dernier) » (arrêt, p. 6), la cour d'appel, qui a déduit de la seule irrégularité constatée l'atteinte aux intérêts de M. [I] sans motiver in concreto sa décision, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3212-1, II, 2° du code de la santé publique, ensemble l'article L. 3216-1 du même code.
SECOND MOYEN DE CASSATION, subsidiaire,
Le directeur du centre hospitalier [3] reproche à l'ordonnance attaquée, D'AVOIR déclaré non fondé son appel et d'avoir, en conséquence, confirmé la décision rendue le 8 octobre 2020 par le juge des libertés et de la détention d'Aix-en-Provence, ayant ordonné la main levée de l'hospitalisation sous contrainte de M. [I] ;
ALORS QUE l'article L. 3212-1, II, 2° du code de la santé publique, tant dans sa version issue de la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013 que dans sa version issue de l'ordonnance n° 2020-232 du 11 mars 2020, est contraire au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'il y a lieu, dès lors, de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'exposant par mémoire distinct et motivé ; qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra, l'arrêt attaqué se trouvera privé de base légale.
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CASS/JURITEXT000046510274.xml | LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 735 FS-B
Pourvoi n° Q 21-19.900
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
Mme [D] [X], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 21-19.900 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2021 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Edelis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
2°/ à la société IFB France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la Société générale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
4°/ à la société Sogecap, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [X], de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat de la société IFB France, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société générale et de la société Sogecap, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Edelis, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Maunand, conseiller doyen rapporteur, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mmes Abgrall, Grall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Davoine, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 9 juin 2021), par l'intermédiaire de la société IFB France (le mandataire), Mme [X] (l'acquéreur) a acquis de la société Prestigium, aux droits de laquelle vient la société Edelis (le vendeur), par acte authentique de vente en l'état futur d'achèvement du 8 septembre 2005, un appartement dans une résidence à titre d'investissement immobilier locatif bénéficiant d'une défiscalisation.
2. Elle a financé son acquisition à l'aide d'un prêt immobilier souscrit auprès de la Société générale et assuré auprès de la société Sogecap.
3. Elle a donné le bien à bail commercial à la société Goelia gestion pour une durée de neuf ans à compter de la livraison intervenue le 23 juin 2006.
4. Le 27 juin 2014, l'exploitant a informé l'acquéreur de son intention de résilier le bail aux conditions initiales en raison de la baisse de rentabilité de l'appartement.
5. Un nouveau bail a été conclu à effet du 31 octobre 2015 pour un loyer réduit à 1 800 euros.
6. En mai et juillet 2016, l'acquéreur, se plaignant d'une baisse de rentabilité et d'une surévaluation de la valeur de son bien, a assigné le vendeur, le mandataire, la Société générale et la société Sogecap en nullité pour dol de la vente et du prêt, subsidiairement en indemnisation des préjudices résultant du manquement du vendeur et de son mandataire à leur devoir de conseil.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
7. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en nullité du contrat fondée sur le dol, alors « que la nullité de la convention est encourue lorsque les manoeuvres pratiquées volontairement par une des parties sont telles qu'il est évident que, sans elles, l'autre partie n'aurait pas contracté ; que, pour écarter le dol, l'arrêt attaqué s'est borné à retenir que l'opération avait accru l'actif du patrimoine de l'acquéreur, qui s'était enrichi de la propriété de l'appartement et du montant des loyers, et que le passif de son patrimoine avait également été diminué du fait des avantages fiscaux dont il avait bénéficié, de sorte que, à défaut de produire les justificatifs permettant de déterminer le montant effectif de ces avantages, il ne démontrait pas le dol allégué; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le vendeur avait commis des manoeuvres dolosives en surévaluant le prix d'achat du bien et des loyers par la conclusion d'un fonds de concours avec l'exploitant , en induisant en erreur l'acquéreur sur la rentabilité du bien, auquel il avait fait croire que la valeur de celui-ci allait augmenter pendant toute la durée de l'opération pour atteindre un prix à la revente très favorable, en dissimulant la cession à l'exploitant des locaux destinés à l'accueil et à la réception, réduisant par la même le potention locatif et vénal du lot acquis, et en occultant les risques réels de l'opération en l'absence d'une analyse pertinente des prix du marché par un organisme indépendant , la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1116 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 16 février 2016 :
8. Selon ce texte, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; il ne se présume pas et doit être prouvé.
9. Pour rejeter la demande, l'arrêt retient que l'opération a accru l'actif du patrimoine de l'acquéreur, qui s'est enrichi de la propriété de l'appartement et du montant des loyers perçus durant neuf années et que le passif a été diminué, puisque le dispositif lui ouvrait droit à la récupération de la taxe sur la valeur ajoutée sur le prix de vente, de sorte que l'acquéreur, qui ne produit aucun justificatif permettant de déterminer le montant effectif des avantages fiscaux dont elle a bénéficié, ne démontre pas le dol allégué.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, lors de la conclusion du contrat, l'acquéreur n'avait pas été induit en erreur sur la rentabilité et la valeur du bien par des manoeuvres dolosives consistant en la conclusion d'un fonds de concours avec l'exploitant et la cession à celui-ci des locaux destinés à l'accueil et à la réception de la résidence, dissimulés à l'acquéreur, ainsi qu'en l'absence d'analyse des prix du marché par un organisme indépendant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen relevé d'office
11. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :
12. Selon ce texte, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
13. Il est jugé, sous l'empire de ces textes, que le délai de l'action en responsabilité, qu'elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance (1re Civ., 11 mars 2010, pourvoi n° 09-12.710, Bull. 2010, I, n° 62 ; 2e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-17.754, Bull. 2017, II, n° 102).
14. Pour fixer le point de départ de l'action en responsabilité exercée par l'acquéreur contre le vendeur et son mandataire au jour de la signature de l'acte authentique de la vente en l'état futur d'achèvement, soit le 8 septembre 2005, l'arrêt retient que, s'agissant d'un manquement à l'obligation d'information ou de conseil, le dommage consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste dès l'établissement de l'acte critiqué.
15. En statuant ainsi, alors que, s'agissant d'un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour l'acquéreur ne peut résulter que de faits susceptibles de lui révéler l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Mise hors de cause
16. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la Société générale et la société Sogecap, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette l'exception d'irrecevabilité de l'assignation pour défaut de publicité foncière, l'arrêt rendu le 9 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la Société générale et la société Sogecap ;
Condamne les sociétés Edelis et IFB France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme [X]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté l'acquéreur d'un bien en état futur d'achèvement (Mme [X], l'exposante) de sa demande en nullité du contrat de vente fondée sur le dol ;
ALORS QUE la nullité de la convention est encourue lorsque les manoeuvres pratiquées volontairement par une des parties sont telles qu'il est évident que, sans elles, l'autre partie n'aurait pas contracté ; que, pour écarter le dol, l'arrêt attaqué s'est borné à retenir que l'opération avait accru l'actif du patrimoine de l'acquéreur, qui s'était enrichi de la propriété de l'appartement et du montant des loyers, et que le passif de son patrimoine avait également été diminué du fait des avantages fiscaux dont il avait bénéficié, de sorte que, à défaut de produire les justificatifs permettant de déterminer le montant effectif de ces avantages, il ne démontrait pas le dol allégué ; qu'en statuant ainsi sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (v. les concl. n° 4 de l'exposante, pp. 25-33), si le vendeur avait commis des manoeuvres dolosives en surévaluant le prix d'achat du bien et des loyers par la conclusion d'un fonds de concours avec l'exploitant, en induisant en erreur l'acquéreur sur la rentabilité du bien, auquel il avait fait croire que la valeur de celui-ci allait augmenter pendant toute la durée de l'opération pour atteindre un prix à la revente très favorable, en dissimulant la cession à l'exploitant des locaux destinés à l'accueil et à la réception, réduisant par la même le potentiel locatif et vénal du lot acquis, et en occultant les risques réels de l'opération en l'absence d'une analyse pertinente des prix du marché par un organisme indépendant, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1116 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable comme prescrite l'action en responsabilité délictuelle introduite par l'acquéreur d'un bien en état futur d'achèvement (Mme [X], l'exposante) ;
ALORS QUE, en matière d'investissements locatifs, le point de départ de la prescription de l'action pour manquement au devoir d'information et de conseil du vendeur est la date à laquelle l'acquéreur a pris conscience des pertes qu'il a subies ; qu'en retenant que, pour un manquement à l'obligation d'information ou de conseil, le dommage consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifestait dès l'établissement de l'acte critiqué et que c'était donc par une exacte analyse des éléments soumis à son appréciation que le premier juge avait fixé le point de départ du délai de prescription à la date de signature de l'acte de vente, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil ;
ALORS QUE, en outre, l'exposante faisait valoir (v. ses concl. n°4, pp. 20-22) que ce n'était qu'à l'issue de la période de neuf ans ayant suivi la livraison du bien qu'elle avait pris conscience de la surévaluation de la valeur vénale et locative de celui-ci, la convention de concours dont avait bénéficié l'exploitant ayant permis de maintenir artificiellement le loyer initial à un niveau déconnecté du marché et que, ayant eu l'illusion d'avoir disposé lors de l'achat d'une étude financière loyale sur le prix de vente et le rendement escompté, émanant d'une association indépendante, elle s'était fiée à cette information sans procéder à une vérification personnelle des valeurs vénale et locative du bien ; que, pour déclarer l'action prescrite, l'arrêt attaqué a retenu, par motifs éventuellement adoptés, que l'acquéreur ne justifiait ni d'une surévaluation du loyer au jour de la conclusion du bail commercial ni d'une surévaluation du prix de vente à défaut de produire des éléments de comparaison tirés du marché immobilier remontant à la date de l'acquisition ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, quand il lui appartenait de rechercher la date à laquelle l'acquéreur avait réalisé que le potentiel locatif qu'il escomptait au vu de la simulation financière qui lui avait été remise ne serait pas celui annoncé lors de la conclusion du contrat, la cour d'appel n'a conféré à sa décision aucune base légale au regard de l'article 2224 du code civil.
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CASS/JURITEXT000046510260.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Cassation sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 768 FS-B
Pourvoi n° A 20-22.827
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [N].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 12 décembre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
M. [G] [N], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 20-22.827 contre l'ordonnance rendue le 15 octobre 2020 par le premier président de la cour d'appel de Lyon, dans le litige l'opposant :
1°/ au directeur du centre hospitalier [3] (établissement public), dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à Mme [V] [N], domiciliée [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [N], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du directeur du centre hospitalier [3], et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Le Gall, de Cabarrus, M. Serrier, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. [N] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [N].
Faits et procédure
2. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Lyon, 15 octobre 2020), le 24 septembre 2020, M. [N] a été admis en soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d'une hospitalisation complète, par décision du directeur d'établissement et à la demande d'un tiers, sur le fondement de l'article L. 3212-1 du code de la santé publique.
3. Le 29 septembre 2020, le directeur d'établissement a saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande aux fins de prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du même code.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. M. [N] fait grief à l'ordonnance d'autoriser son maintien en hospitalisation complète, alors « que le premier président saisi de l'appel interjeté contre une ordonnance ayant autorisé le maintien en hospitalisation d'une personne sans son consentement ne peut se prononcer sans qu'un avis rendu par un psychiatre de l'établissement d'accueil se prononçant sur la nécessité de poursuivre l'hospitalisation complète ne soit adressé au greffe de la cour d'appel au plus tard quarante-huit heures avant l'audience ; que pour juger la procédure régulière cependant qu'il avait constaté que ce délai de quarante-huit heures n'avait pas été respecté, le premier président a relevé qu'il n'était résulté de cette méconnaissance aucune atteinte aux droits de M. [N] dès lors que l'avis médical, établi la veille de l'audience et n'apportant pas d'éléments nouveaux, avait été communiqué sans délai au conseil de M. [N], laquelle avait pu le discuter à l'audience et communiquer un autre certificat médical ; qu'en statuant ainsi, quand l'abrégement du délai laissé à M. [N] et son conseil pour prendre connaissance du certificat avant audience avait nécessairement causé un grief à M. [N] qui n'avait pas bénéficié du temps prévu par la loi pour recueillir des éléments permettant de discuter ce certificat, le premier président a violé l'article L. 3211-12-4 du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 3211-12-4, alinéa 3, du code de la santé publique, en cas d'appel d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention prise en application de l'alinéa 1 de l'article L. 3211-12-1, un avis rendu par un psychiatre de l'établissement d'accueil de la personne admise en soins psychiatriques sans consentement se prononçant sur la nécessité de poursuivre l'hospitalisation complète est adressé au greffe de la cour d'appel au plus tard quarante-huit heures avant l'audience.
6. Il appartient au premier président, en l'absence de respect du délai de quarante-huit heures pour la transmission de l'avis médical au greffe, d'apprécier souverainement s'il en est résulté un grief.
7. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation qu'après avoir constaté que l'avis médical avait été transmis au greffe de la cour d'appel la veille de l'audience, le premier président a écarté l'existence d'un grief en retenant que cet avis n'apportait pas d'éléments nouveaux, qu'il avait été communiqué sans délai au conseil de M. [N] et que l'avocat avait pu le discuter à l'audience et produire un autre certificat médical.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. M. [N] fait le même grief à l'ordonnance, alors « que, lorsqu'une personne est admise en soins psychiatriques sans son consentement, elle doit faire l'objet d'un premier examen médical complet dans les vingt-quatre heures puis un second dans les soixante-douze heures suivant son admission ; qu'en l'espèce, pour juger que les examens médicaux avaient été pratiqués dans les délais légaux, le premier président s'est borné à constater que ceux-ci avaient été pratiqués dans le courant du premier et du troisième jours suivant l'admission de M. [N] ; qu'en statuant par des motifs inopérants qui ne permettaient pas de déterminer, faute d'horodatage des certificats, si les délais légaux de vingt-quatre et soixante-douze heures avaient été respectés, la juridiction d'appel a violé l'article L. 3211-2-2 du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3211-2-2 du code de la santé publique :
10. Selon ce texte, lorsqu'une personne est admise en soins psychiatriques sans consentement, elle fait l'objet d'une période d'observation et de soins initiale sous la forme d'une hospitalisation complète qui donne lieu à l'établissement, par un psychiatre de l'établissement d'accueil, de deux certificats médicaux constatant l'état mental du patient et confirmant ou non la nécessité de maintenir les soins, le premier dans les vingt-quatre heures de la décision d'admission, le second dans les soixante-douze heures de celle-ci.
11. Dès lors que les délais y sont exprimés en heures, ils se calculent d'heure à heure.
12. En l'absence de respect des délais prévus par le texte précité, la mainlevée de la mesure ne peut être prononcée que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne, conformément à l'article L. 3216-1, alinéa 2, du code de la santé publique.
13. Pour écarter le moyen tiré de l'absence d'horodatage des certificats médicaux des vingt-quatre et soixante-douze heures ne permettant pas de vérifier le respect des délais légaux et autoriser le maintien de M. [N] en hospitalisation complète, l'ordonnance retient que la loi ne prévoit pas un tel horodatage et que le premier certificat a été établi le 25 septembre 2020, soit dans les vingt-quatre heures de l'admission décidée le 24, et le second le 27 septembre 2020, soit dans les soixante-douze heures de celle-ci.
14. En statuant ainsi, le premier président a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1 , du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
17. Les délais légaux pour statuer sur la mesure étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 15 octobre 2020, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Lyon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour M. [N]
M. [N] fait grief à l'ordonnance confirmative attaquée d'AVOIR autorisé son maintien en hospitalisation complète sans son consentement pour lui prodiguer des soins psychiatriques au-delà d'une durée de douze jours ;
1°) ALORS D'UNE PART QUE lorsqu'une personne est admise en soins psychiatriques sans son consentement, elle doit faire l'objet d'un premier examen médical complet dans les vingt-quatre heures puis un second dans les soixante-douze heures suivant son admission ; qu'en l'espèce, pour juger que les examens médicaux avaient été pratiqués dans les délais légaux, le premier président s'est borné à constater que ceux-ci avaient été pratiqués dans le courant du premier et du troisième jours suivant l'admission de M. [N] ; qu'en statuant par des motifs inopérants qui ne permettaient pas de déterminer, faute d'horodatage des certificats, si les délais légaux de vingt-quatre et soixante-douze heures avaient été respectés, la juridiction d'appel a violé l'article L. 3211-2-2 du code de la santé publique ;
2°) ALORS D'AUTRE PART QUE le premier président saisi de l'appel interjeté contre une ordonnance ayant autorisé le maintien en hospitalisation d'une personne sans son consentement ne peut se prononcer sans qu'un avis rendu par un psychiatre de l'établissement d'accueil se prononçant sur la nécessité de poursuivre l'hospitalisation complète ne soit adressé au greffe de la cour d'appel au plus tard quarante-huit heures avant l'audience ; que pour juger la procédure régulière cependant qu'il avait constaté que ce délai de quarante-huit heures n'avait pas été respecté, le premier président a relevé qu'il n'était résulté de cette méconnaissance aucune atteinte aux droits de M. [N] dès lors que l'avis médical, établi la veille de l'audience et n'apportant pas d'éléments nouveaux, avait été communiqué sans délai au conseil de M. [N], laquelle avait pu le discuter à l'audience et communiquer un autre certificat médical ; qu'en statuant ainsi, quand l'abrègement du délai laissé à M. [N] et son conseil pour prendre connaissance du certificat avant audience avait nécessairement causé un grief à M. [N] qui n'avait pas bénéficié du temps prévu par la loi pour recueillir des éléments permettant de discuter ce certificat, le premier président a violé l'article L. 3211-12-4 du code de la santé publique.
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CASS/JURITEXT000046510277.xml | LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 octobre 2022
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 736 FS-B
Pourvoi n° K 21-12.674
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
Le syndicat des copropriétaires [Adresse 3], dont le siège est [Adresse 3], [Localité 4], représenté par Mme [P] [O], agissant en qualité d'administrateur judiciaire, domiciliée [Adresse 2], [Localité 1], a formé le pourvoi n° K 21-12.674 contre les arrêts rendus les 28 mars 2019 et 19 novembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3), dans le litige l'opposant à la commune de [Localité 4], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité, [Adresse 5], [Localité 4], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat du syndicat des copropriétaires [Adresse 3], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la commune de [Localité 4], et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mme Greff-Bohnert, M. Boyer, Mmes Abgrall, Grall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mmes Brun, Vernimmen, Davoine, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt
Faits et procédure
1. Selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 28 mars 2019 et 19 novembre 2020), Mmes [X] et [B] et MM. [H], [V] et [Y] sont copropriétaires d'un immeuble situé [Adresse 3], à [Localité 4].
2. Au vu d'un rapport d'expertise préconisant la réalisation de travaux, le maire de la commune de [Localité 4] (la commune) a pris, le 15 janvier 2008, sur le fondement de l'article L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation, un arrêté de péril imminent ordonnant aux copropriétaires de démolir une extension en façade Est du bâtiment, de démolir la toiture et de la reconstruire, de chaîner la partie supérieure de la structure de l'immeuble et de poser des témoins de contrôle de mouvement des fissures dans l'escalier, en confortant le plancher des combles en cas d'aggravation des fissures.
3. Au cours de l'été 2009, la commune a fait réaliser d'office les travaux.
4. Par un jugement rendu le 28 février 2012, la juridiction administrative a annulé l'arrêté de péril imminent, sauf en ce qui concerne les travaux sur l'extension de la façade Est.
5. La commune a assigné le syndicat des copropriétaires [Adresse 3] (le syndicat des copropriétaires), qui avait été constitué, en paiement du coût des travaux réalisés.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le syndicat des copropriétaires fait grief aux arrêts de dire que la commune est fondée à lui réclamer le remboursement des sommes qu'elle avait engagées au titre des travaux qui n'avaient pas fait l'objet d'un arrêté de péril et de le condamner à payer à la commune une certaine somme, alors :
« 1°/ que l'enrichissement n'est pas sans cause lorsqu'il procède de l'accomplissement, par l'appauvri, d'une obligation légale ; qu'en condamnant les copropriétaires à rembourser la commune de [Localité 4], sur le fondement de l'enrichissement sans cause, du montant des travaux réalisés à l'initiative de son maire en application d'un arrêté de péril imminent faisant obligation au maire de faire exécuter d'office les travaux non réalisés par les propriétaires, et à la commune, d'en supporter le coût, d'où il suit que l'appauvrissement de celle-ci, qui procédait d'obligations légales, n'était donc pas sans cause, la cour d'appel a violé l'article 1371 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et les principes applicables à l'enrichissement sans cause ;
2°/ que l'action fondée sur l'enrichissement sans cause ne peut être admise pour suppléer à une autre action que l'appauvri ne peut intenter par suite d'un obstacle de droit ; qu'ayant justement relevé que la commune n'était plus en droit d'émettre de titre exécutoire pour recouvrer le coût des travaux réalisés en exécution des dispositions annulées de l'arrêté de péril imminent, la cour d'appel, en la déclarant néanmoins fondée en son action dès lors que les travaux dont elle avait supporté le coût avaient enrichi le patrimoine des copropriétaires, l'a ainsi admise à contourner les conséquences de l'annulation contentieuse de l'arrêté de péril imminent et à tenir en échec les règles impératives sanctionnées par cette annulation, en méconnaissance du principe de subsidiarité de l'action fondée sur l'enrichissement injustifié, et de l'article 1371 dans sa rédaction en vigueur à la date des faits. »
Réponse de la Cour
7. D'une part, ayant relevé que l'arrêté de péril imminent, sur le fondement duquel le maire avait prescrit les travaux, avait été annulé par la juridiction administrative, sauf en ce qu'il prescrivait des travaux d'extension de la façade Est, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que, du fait de l'effet rétroactif de l'annulation de cet acte, qui était censé n'avoir jamais existé, l'appauvrissement de la commune ne trouvait pas sa cause dans l'accomplissement, par celle-ci, d'une obligation légale.
8. D'autre part, la cour d'appel a retenu à bon droit que le fait, pour le maire, de ne pas pouvoir délivrer un titre exécutoire afin de mettre à la charge du propriétaire, sur le fondement de l'article L. 511-4 du code de la construction et de l'habitation, le coût des travaux exécutés d'office par la commune en exécution de l'arrêté de péril annulé ne faisait pas obstacle à l'exercice de l'action de la commune fondée sur l'enrichissement sans cause.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
10. Le syndicat des copropriétaires fait grief aux arrêts de le condamner à payer à la commune la somme de 72 785 euros, alors « que celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit à celui qui s'en trouve appauvri une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement ; que le syndicat de copropriété faisait valoir dans ses conclusions qu'il avait du exposer une somme de 9 840 € HT pour assurer la conformité aux normes des Bâtiments de France des travaux réalisés à l'initiative du maire de [Localité 4] ; qu'en n'apportant aucune réponse à ce moyen de nature à établir que l'enrichissement des copropriétaires du fait de ces travaux était moindre que l'appauvrissement de la commune, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.»
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel a retenu qu'il résultait de l'attestation de l'architecte que les travaux effectués pour le compte de la commune s'élevaient, déduction faite de la somme correspondant à ceux relatifs à la façade Est, à la somme de 59 649,70 euros TTC, tandis qu'il ressortait de la facture du bureau d'études technique que les frais d'études techniques s'élevaient à la somme de 5 079,89 euros TTC et les honoraires d'architecte à celle de 8 055,74 euros selon les factures de M. [U].
12. La cour d'appel a ainsi apprécié souverainement, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, le montant de l'enrichissement des copropriétaires du fait des travaux accomplis par la commune.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le syndicat des copropriétaires [Adresse 3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande du syndicat des copropriétaires [Adresse 3] et le condamne à payer à la commune de [Localité 4] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SAS Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour le syndicat des copropriétaires [Adresse 3]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3], à [Localité 4], fait grief à l'arrêt du 28 mars 2019 d'avoir jugé la commune de [Localité 4] fondée à lui réclamer le remboursement des sommes qu'elle avait engagées au titre des travaux qui n'ont pas fait l'objet d'un arrêté de péril et, par voie de conséquence, à l'arrêt du 19 novembre 2020 de l'avoir condamné à lui payer la somme de 72 785 €.
1°) ALORS QUE l'enrichissement n'est pas sans cause lorsqu'il procède de l'accomplissement, par l'appauvri, d'une obligation légale ; qu'en condamnant les copropriétaires à rembourser la commune de [Localité 4], sur le fondement de l'enrichissement sans cause, du montant des travaux réalisés à l'initiative de son maire en application d'un arrêté de péril imminent faisant obligation au maire de faire exécuter d'office les travaux non réalisés par les propriétaires, et à la commune, d'en supporter le coût, d'où il suit que l'appauvrissement de celle-ci, qui procédait d'obligations légales, n'était donc pas sans cause, la cour d'appel a violé l'article 1371 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, et les principes applicables à l'enrichissement sans cause.
2°) ALORS QUE l'action fondée sur l'enrichissement sans cause ne peut être admise pour suppléer à une autre action que l'appauvri ne peut intenter par suite d'un obstacle de droit ; qu'ayant justement relevé que la commune n'était plus en droit d'émettre de titre exécutoire pour recouvrer le coût des travaux réalisés en exécution des dispositions annulées de l'arrêté de péril imminent, la cour d'appel, en la déclarant néanmoins fondée en son action dès lors que les travaux dont elle avait supporté le coût avaient enrichi le patrimoine des copropriétaires, l'a ainsi admise à contourner les conséquences de l'annulation contentieuse de l'arrêté de péril imminent et à tenir en échec les règles impératives sanctionnées par cette annulation, en méconnaissance du principe de subsidiarité de l'action fondée sur l'enrichissement injustifié, et de l'article 1371 dans sa rédaction en vigueur à la date des faits.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Le syndicat des copropriétaires du [Adresse 3], à [Localité 4], fait grief aux arrêts des 28 mars 2019 et 19 novembre 2020 de l‘avoir condamné à payer à la commune de [Localité 4] la somme de 72 785 €
ALORS QUE celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit à celui qui s'en trouve appauvri une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement ; que le syndicat de copropriété faisait valoir dans ses conclusions qu'il avait du exposer une somme de 9840 € HT pour assurer la conformité aux normes des Bâtiments de France des travaux réalisés à l'initiative du maire de [Localité 4] ; qu'en n'apportant aucune réponse à ce moyen de nature à établir que l'enrichissement des copropriétaires du fait de ces travaux était moindre que l'appauvrissement de la commune, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
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CASS/JURITEXT000046510262.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 octobre 2022
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 769 FS-B
Pourvoi n° W 21-10.706
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [P] [S].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 3 décembre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 OCTOBRE 2022
M. [P] [S], domicilié [Adresse 2], actuellement hospitalisé à l'EPSM de [7], [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 21-10.706 contre l'ordonnance rendue le 1er octobre 2020 par le premier président de la cour d'appel de Reims, dans le litige l'opposant :
1°/ au préfet de la Marne, domicilié [Adresse 3],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Reims, domicilié en son parquet général, [Adresse 4],
3°/ à l'association ASFA, dont le siège est [Adresse 5], prise en qualité de curatrice de M. [P] [S],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de M. [S], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Le Gall, de Cabarrus, M. Serrier, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Reims, 1er octobre 2020), le 20 mars 2017, M. [S] a été admis en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète par décision du préfet de Seine-Saint-Denis sur le fondement de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique. La mesure s'est poursuivie dans le département des Pyrénées-Atlantiques, avec une période de programme de soins entre juin et octobre 2017 et un séjour en unité pour malades difficiles (UMD) entre le 3 janvier 2018 et le 9 octobre 2019. Le 14 janvier 2020, le préfet de ce département a ordonné le transfert du patient à l'UMD de [Localité 6]. Le 23 mars 2020, le juge des libertés et de la détention a autorisé la prolongation de la mesure d'hospitalisation complète.
2. Le 7 septembre 2020, le préfet de la Marne a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du code de la santé publique. M. [S] a demandé au juge de constater que les conditions de son maintien en UMD n'étaient pas réunies.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
4. M. [S] fait grief à l'ordonnance d'autoriser la maintien de son hospitalisation complète, alors « qu'il appartient au juge des libertés et de la détention, puis en appel, au magistrat délégué par le premier de la cour d'appel, chargés de contrôler la régularité de la mesure d'hospitalisation complète, de vérifier que le séjour en Unité de malades difficiles est toujours fondé au regard des exigences des articles R. 3222-1 et suivants du code de la santé publique ; qu'en refusant d'exercer ce contrôle au prétexte que seule la commission de suivi médical saisie par le patient est compétente pour donner un avis au préfet sur le maintien ou non de l'intéressé en unité de malades difficiles, sans d'ailleurs vérifier que l'arrêté de maintien en soins psychiatriques du préfet du 17 juillet 2020 avait visé un avis de la commission de suivi médical, l'ordonnance attaquée a violé les articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique, ensemble les articles R. 3222-1 et suivants du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique que le juge des libertés et de la détention contrôle la régularité et le bien-fondé des décisions administratives de soins sans consentement, ainsi que des mesures d'isolement et de contention.
6. Selon l'article R. 3222-1, les UMD accueillent des patients qui relèvent de soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète décidés par le représentant de l'Etat dans le département sur le fondement de l'article L. 3213-1 ou l'autorité judiciaire sur le fondement de l'article 706-135 du code de procédure pénale et dont l'état de santé requiert la mise en oeuvre, sur proposition médicale et dans un but thérapeutique, de protocoles de soins intensifs et de mesures de sécurité particulières.
7. Selon l'article R. 3222-4, dans chaque département d'implantation d'une UMD, il est créé une commission du suivi médical, qui peut, en application de l'article R. 3222-5, se saisir à tout moment de la situation d'un patient hospitalisé dans l'UMD de son département d'implantation, examine au moins tous les six mois le dossier de chaque patient hospitalisé dans l'unité et peut être saisie, en outre, notamment par la personne hospitalisée. Selon l'article R. 3222-6, lorsque cette commission, saisie le cas échéant par le psychiatre responsable de l'UMD, constate que les conditions mentionnées à l'article R. 3222-1 ne sont plus remplies, elle saisit le préfet du département d'implantation de l'unité ou, à [Localité 8], le préfet de police, qui prononce, par arrêté, la sortie du patient de l'UMD et informe de sa décision le préfet ayant pris l'arrêté initial d'admission dans cette unité, ainsi que l'établissement de santé qui avait demandé l'admission du patient.
8. Il s'en déduit, en l'état des textes, que la régularité et le bien-fondé de l'admission et du maintien d'un patient en UMD, considérée comme une modalité d'hospitalisation, ne relèvent pas du contrôle du juge des libertés et de la détention.
9. C'est dès lors à bon droit que le premier président a énoncé, par motifs propres et adoptés, que, si le juge des libertés et de la détention est seul chargé de contrôler la procédure de soins psychiatriques sans consentement, et notamment la régularité des décisions administratives, il ne lui appartient pas de se prononcer sur la mise en oeuvre d'une mesure médicale, telle que le maintien en UMD.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat aux Conseils, pour M. [S]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [S] fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé l'ordonnance du 21 septembre 2020 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne qui l'a débouté de sa demande de mainlevée de la mesure de soins sous contrainte.
ALORS QUE le juge doit vérifier, comme il le lui est demandé, si le signataire de la requête avait qualité, le cas échéant au titre d'une délégation de signature, pour saisir le juge des libertés et de la détention ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêté de délégation de signature que la signataire avait compétence pour signer les arrêtés d'admission en soins psychiatriques, et non pour saisir le juge des libertés d'une requête ; qu'en jugeant néanmoins cette délégation valable pour saisir le juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée a méconnu l'obligation qui s'impose au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause, ensemble l'article 112 du code de procédure civile
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
M. [S] fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé l'ordonnance du 21 septembre 2020 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne qui l'a débouté de sa demande de mainlevée de la mesure de soins sous contrainte.
ALORS QU'il appartient au Juge des libertés et de la détention, puis en appel, au magistrat délégué par le premier de la cour d'appel, chargés de contrôler la régularité de la mesure d'hospitalisation complète, de vérifier que le séjour en Unité de Malades Difficiles est toujours fondé au regard des exigences des articles R 3222-1 et suivants du code de la santé publique ; qu'en refusant d'exercer ce contrôle au prétexte que seule la commission de suivi médical saisie par le patient est compétente pour donner un avis au Préfet sur le maintien ou non de l'intéressé en unité de malades difficiles, sans d'ailleurs vérifier que l'arrêté de maintien en soins psychiatriques du Préfet du 17 juillet 2020 avait visé un avis de la commission de suivi médical, l'ordonnance attaquée a violé les articles L. 3211-12, L. 3211-12-1 et L. 3216-1 du code de la santé publique, ensemble les articles R 3222-1 et suivants du code de la santé publique
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
M. [S] fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir confirmé l'ordonnance du 21 septembre 2020 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne qui l'a débouté de sa demande de mainlevée de la mesure de soins sous contrainte
ALORS QUE le maintien en hospitalisation complète doit être justifié par le constat que le patient souffre de troubles mentaux compromettant la sûreté des personnes ou portant gravement atteinte à l'ordre public ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, sans constater qu'il résultait des certificats médicaux et de la décision du préfet que les troubles mentaux dont souffre le requérant compromettaient la sûreté des personnes ou portaient gravement atteinte à l'ordre public, la magistrate déléguée par le premier président n'a pas donné de base légale à sa décision, au regard des articles L. 3213-1, L. 3213-3 et R. 3213-3 du code de la santé publique.
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CASS/JURITEXT000046282288.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 septembre 2022
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 613 FS-B
Pourvoi n° S 19-21.964
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
La société [H] [X] [M] et fils, société de droit koweitien, dont le siège est [Adresse 1] (Égypte), a formé le pourvoi n° S 19-21.964 contre l'arrêt rendu le 6 juin 2019 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige l'opposant à la société Libyan investment authority (LIA), dont le siège est [Adresse 2] (Libye), défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent , avocat de la société [H] [X] [M] et fils, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Libyan investment authority, et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Avel et Bruyére, Mme Guihal, conseillers, M. Vitse, Mmes Champ et Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 juin 2019), par actes séparés du 11 mars 2016, la société [H] [X] [M] et fils ([M]), bénéficiaire d'une sentence arbitrale rendue au [Localité 3] contre l'Etat libyen, a, après avoir obtenu l'exequatur de cette décision, fait pratiquer, entre les mains de la Société générale, une saisie-attribution des sommes détenues au nom de l'Etat de Libye ou de la Libyan investment authority (LIA), ainsi qu'une saisie de droits d'associés ou de valeurs mobilières, laquelle en a demandé la mainlevée.
2. Par un arrêt du 3 novembre 2021 (n° 653), il a été sursis à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie par un arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation (Ass. plén., 10 juillet 2020, pourvois n° 18-18.542 et 18-21.814) de la question de savoir si les dispositions d'un autre règlement européen, relatif à des mesures restrictives à l'égard de l'Iran et comportant une définition des mesures de gel analogue à celle du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011, s'opposaient à ce que soit diligentée sur des avoirs gelés, sans autorisation préalable de l'autorité nationale compétente, une mesure dépourvue d'effet attributif, telle qu'une saisie conservatoire.
3. Par un arrêt du 11 novembre 2021 (C-340/20), la CJUE a répondu à la question préjudicielle.
Examen du moyen
Sur le moyen unique
Enoncé du moyen
4. La société [M] fait grief à l'arrêt d'ordonner la mainlevée de la saisie-attribution et de la saisie de droits d'associés ou de valeurs mobilières pratiquées le 11 mars 2016 auprès de la Société générale option Europe à l'encontre de la société LIA, alors :
« 1°/ qu'en vertu des principes du droit international relatifs à l'immunité d'exécution, l'immunité d'exécution doit être écartée lorsque le bien appréhendé est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé autrement qu'à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l'entité contre laquelle la procédure est engagée, qu'en décidant que « les Etats étrangers bénéficient en effet, par principe, d'une immunité d'exécution. Il en est autrement lorsque les biens concernés se rattachent, non à l'exercice d'une activité de souveraineté, ce qui signifie que les biens sont utilisés ou sont destinés à être utilisés à des fins publiques, mais à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice », l'arrêt attaqué a été rendu en violation du droit international régissant les immunités des Etats étrangers et notamment l'immunité d'exécution ;
2°/ qu'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'immunité d'exécution doit être écartée lorsque le bien appréhendé est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé à des fins d'investissement ; qu'en l'espèce, pour juger que les sommes détenues par la LIA sur le compte-courant ouvert auprès de la Société générale option Europe ainsi que les droits d'associés ou les valeurs mobilières bénéficiaient d'une immunité d'exécution et ne pouvaient, par conséquent, être l'objet d'une saisie, la cour d'appel s'est bornée à constater que ces biens étaient « utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques » ; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait elle-même constaté que les fonds étaient spécialement affectés à des activités d'investissement à l'étranger, la cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers et notamment l'immunité d'exécution ;
3°/ qu'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, le bénéfice de l'immunité d'exécution s'apprécie pour chaque bien appréhendé par la saisie ; qu'en jugeant que l'immunité d'exécution couvrait tous « les biens appartenant à l'Autorité libyenne d'investissement, quel que soit le produit financier de placement », la cour d'appel n'a pas pris en considération la finalité à laquelle était destiné le produit financier « Euro Medium Term Note », pourtant objet de la saisie, et a, ainsi, privé sa décision de base légale au regard des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers ;
4°/ que toute activité déployée par un Etat ou son émanation ne peut que poursuivre un intérêt général ; qu'à lui seul le critère fondé sur l'intérêt général n'est pertinent pour délimiter le champ de l'immunité d'exécution ; qu'en se référant exclusivement à l'idée que les opérations de placement réalisées par la LIA servaient l'intérêt du peuple libyen, notamment en visant la résolution 1973 du 17 mars 2011 du Conseil de sécurité de l'ONU sans rechercher si ces biens sont « spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé autrement qu'à des fins de service public non commerciales » pour décider que les fonds appréhendés étaient couverts par l'immunité d'exécution, l'arrêt attaqué a, ainsi, privé sa décision de base légale au regard des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers ;
5°/ que porte une atteinte disproportionnée au droit fondamental à l'exécution des décisions de justice, toute protection des biens de l'Etat étranger allant au-delà de ce que prescrit le droit international coutumier tel que reflété par la Convention des Nations-Unies du 2 décembre 2004 ; qu'en l'espèce, pour prononcer la mainlevée de la saisie, la cour d'appel a jugé que les biens utilisés par le fond souverain de l'Etat libyen à des fins d'investissement étaient couverts par son immunité d'exécution ; qu'en statuant ainsi, alors que le droit international coutumier tel qu'il résulte de la Convention des Nations-Unies de 2004 autorise la saisie des biens utilisés par l'Etat ou l'une de ses émanations à des fins d'investissement, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les principes du droit international régissant les immunités d'exécution des Etats étrangers ;
6°/ que l'article 26 de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980, à laquelle se référait le contrat, dispose que « la conciliation et l'arbitrage se dérouleront conformément aux règles et aux procédures établies dans l'annexe de cette Convention » et que « cette annexe constitue une partie intégrante de celle-ci » ; qu'en l'espèce, pour juger que l'Etat libyen n'avait pas expressément accepté de se soumettre à la sentence arbitrale et ne s'était pas expressément engagé à exécuter cette sentence, la cour d'appel a retenu que n'était pas visé par la clause compromissoire du contrat passé avec l'exposante, l'article 2-8 de l'annexe de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 lequel prévoit que « la sentence arbitrale rendue conformément aux provisions de cet article sera définitive et liera les parties qui doivent s'y soumettre et qui doivent l'exécuter immédiatement » ; qu'en statuant ainsi, alors que l'article 29 du contrat passé entre l'Etat libyen et la société [M] stipulait qu'il devait être « recouru à l'arbitrage conformément aux dispositions de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 » laquelle, dans son article 26, énonce expressément que son annexe dont l'article 2-8 fait partie intégrante de ses dispositions, la cour d'appel a méconnu la force obligatoire du contrat, ensemble la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 ;
7°/ qu'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'acceptation par l'État étranger, signataire de la clause d'arbitrage, de se soumettre à la sentence arbitrale et de l'exécuter dans les termes de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 vaut renonciation expresse à son immunité d'exécution; qu'en jugeant le contraire, alors qu'elle avait elle même constaté que l'Etat libyen avait, non seulement, expressément adhéré à cette Convention mais, également, expressément visé cette Convention dans la clause compromissoire du contrat qu'il a conclu avec l'exposante, la cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, ensemble la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes ;
8°/ qu'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'engagement pris par l'Etat signataire de la clause d'arbitrage d'exécuter la sentence conformément à l'article 34-2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du commerce international du [Localité 3] lequel est expressément visé par la sentence arbitrale, vaut renonciation à son immunité d'exécution ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, ensemble l'article 34-2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du [Localité 3] ;
9°/ que les parties ayant toutes deux admis que l'article 34.2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du [Localité 3] était applicable même s'il n'était pas visé par la clause compromissoire, la cour d'appel ne pouvait se fonder sur le silence de la clause sur ce texte sans méconnaître les termes du litige et violer l'article 4 du code de procédure civile ;
10°/ que, subsidiairement à supposer que la cour d'appel ait adopté les motifs des premiers juges, doit être qualifiée d'émanation, l'entité dépourvue de d'autonomie fonctionnelle et de patrimoine propre ; que cette qualité s'apprécie en droit mais surtout en fait selon la méthode du faisceau d'indices ;qu'en l'espèce, pour refuser de qualifier la L.I.A. d'émanation de l'Etat libyen, les juges du fond se sont exclusivement fondés sur l'autonomie juridique de l'entité ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher comme ils y étaient invités, si dans les faits, la L.I.A. n'était pas suffisamment indépendante dans son fonctionnement et si son patrimoine se confondait avec celui de l'Etat libyen, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des principes du droit international relatifs aux émanations des Etats étrangers. »
Réponse de la Cour
5. L'article 1 du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011 et l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution dispose :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
a) « fonds », les actifs financiers et les avantages économiques de toute nature, y compris et notamment, mais pas exclusivement :
i) le numéraire, les chèques, les créances en numéraire, les traites, les ordres de paiement et autres instruments de paiement ;
ii) les dépôts auprès d'établissements financiers ou d'autres entités, les soldes en comptes, les créances et les titres de créances ;
iii) les titres de propriété et d'emprunt, tels que les actions et autres titres de participation, les certificats représentatifs de valeurs mobilières, les obligations, les billets à ordre, les warrants, les obligations non garanties et les contrats sur produits dérivés, qu'ils soient négociés en Bourse ou fassent l'objet d'un placement privé ;
iv) les intérêts, les dividendes ou autres revenus d'actifs ou plus-values perçus sur des actifs ;
b) « gel des fonds », toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds ou tout accès à ceux-ci qui aurait pour conséquence une modification de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, y compris la gestion de portefeuilles. »
6. Selon l'article 5 § 4 du même règlement, tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent aux entités énumérées à l'annexe VI, parmi lesquelles figure la LIA, ou que celles-ci avaient en leur possession, détenaient ou contrôlaient à la date du 16 septembre 2011 et qui se trouvaient en dehors de Libye à cette date restent gelés.
7. L'article 11, § 2, du même règlement dispose :
« 2.Par dérogation à l'article 5, § 4, et pour autant qu'un paiement soit dû au titre d'un contrat ou d'un accord conclu ou d'une obligation souscrite par la personne, l'entité ou l'organisme concerné avant la date de sa désignation par le Conseil de sécurité ou le comité des sanctions, les autorités compétentes des États membres, mentionnées sur les sites internet énumérés à l'annexe IV, peuvent autoriser, dans les conditions qu'elles jugent appropriées, le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés, pour autant que les conditions suivantes soient réunies :
a) l'autorité compétente concernée a établi que le paiement n'enfreint pas l'article 5, § 2, ni ne profite à une entité visée à l'article 5, § 4 ;
b) l'État membre concerné a notifié au comité des sanctions, dix jours ouvrables à l'avance, son intention d'accorder une autorisation. »
8. Le quatrième dispose :
« L'acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation.
La notification ultérieure d'autres saisies ou de toute autre mesure de prélèvement, même émanant de créanciers privilégiés, ainsi que la survenance d'un jugement portant ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ne remettent pas en cause cette attribution.
Toutefois, les actes de saisie notifiés au cours de la même journée entre les mains du même tiers sont réputés faits simultanément. Si les sommes disponibles ne permettent pas de désintéresser la totalité des créanciers ainsi saisissants, ceux-ci viennent en concours.
Lorsqu'une saisie-attribution se trouve privée d'effet, les saisies et prélèvements ultérieurs prennent effet à leur date. »
9. La CJUE a été saisie par l'assemblée plénière d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, dont l'article 1° dispose :
« Aux seules fins du présent règlement, on entend par :
h) « gel des fonds », toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, notamment la gestion de portefeuilles. »
10. De cette définition, la CJUE déduit que « la notion de « gel des fonds » englobe toute utilisation de fonds ayant pour conséquence, notamment, un changement de la destination de ces fonds, même si une telle utilisation des fonds n'a pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur » (§ 49).
11. La CJUE ajoute que cette interprétation est corroborée par les considérants du règlement 423/2007, selon lesquels :
- « les mesures restrictives adoptées contre la République islamique d'Iran ont une vocation préventive en ce sens qu'elles visent à empêcher un risque de prolifération nucléaire dans cet Etat » (§§ 52 et 54) ;
- « les mesures de gel des fonds et des ressources économiques visent par conséquent à éviter que l'avoir concerné par une mesure de gel soit utilisé pour procurer des fonds, des biens ou des services susceptibles de contribuer à la prolifération nucléaire en Iran » (§ 55) ;
- « pour atteindre ces buts, il est non seulement légitime, mais également indispensable que les définitions des notions de « gel des fonds » et de « gel des ressources économiques » revêtent une interprétation large parce qu'il s'agit d'empêcher toute utilisation des avoirs gelés qui permettrait de contourner les règlements en cause et d'exploiter les failles du système » (§ 56).
12. La CJUE ajoute qu'elle « a déjà jugé que l'importance des objectifs poursuivis par un acte de l'Union établissant un régime de mesures restrictives est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs, y compris pour ceux qui n'ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l'adoption des mesures concernées, mais qui se trouvent affectés notamment dans leurs droits de propriété [...] de sorte que la circonstance que la cause de la créance à recouvrer sur la personne ou l'entité dont les fonds ou les ressources économiques sont gelés est étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et antérieure à la résolution 1737 (2006) n'est pas pertinente » (§§ 66 et 67).
13. Les mesures de gel sont définies en termes similaires par le règlement concernant l'Iran et par celui relatif à la Libye. Les considérants de celui-ci, comme ceux du règlement concernant l'Iran, soulignent la portée préventive des mesures de gel, en l'occurrence la prévention de « la menace que représentent les personnes et entités qui possèdent ou contrôlent des fonds publics libyens détournés sous l'ancien régime de [C] [Y], susceptibles d'être utilisés pour mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour entraver ou compromettre la réussite de sa transition politique » (2ème considérant).
14. Il en résulte que ne peut être diligentée, sur des fonds ou des ressources économiques gelés, aucune mesure d'exécution qui aurait pour effet, non seulement de les faire sortir du patrimoine du débiteur, mais aussi de conférer au créancier poursuivant un simple droit de préférence, sans une autorisation préalable du directeur du Trésor, autorité nationale désignée en application de l'article 11 § 2 du règlement n° 2016/44, une telle interprétation étant indispensable pour assurer l'efficacité des mesures restrictives, quels qu'en soient les effets sur les créanciers étrangers aux détournements de fonds publics opérés sous l'ancien régime libyen.
15. Il ressort de l'arrêt que la société [M] n'a pas sollicité l'autorisation du directeur du Trésor préalablement aux saisies.
16. Il en résulte que la mainlevée des saisies ne pouvait qu'être ordonnée.
17. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société [H] [X] [M] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour la société [H] [X] [M] et fils
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 9 janvier 2018 par le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Nanterre en ce qu'il a ordonné la mainlevée de la saisie-attribution et la saisie de droits d'associés ou de valeurs mobilières pratiquées le 11 mars 2016 auprès de la Société générale option Europe par la société [H] [X] [M] et fils à l'encontre de la société Libyan investment authority ;
AUX MOTIFS QUE « Sur le fond :
Qu'à ce stade du raisonnement, il convient d'observer que, dans l'hypothèse où cette notion d'émanation de l'Etat libyen serait établie, aux termes de l'article L. 111-1-3, des mesures conservatoires ou des mesures d'exécution forcée ne peuvent être mises en oeuvre sur les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique des Etats étrangers ou de leurs postes consulaires, de leurs missions spéciales ou de leurs missions auprès des organisations internationales, que dans le cas de la disparition de l'immunité d'exécution des Etats concernés ;
Que c'est donc dans cette hypothèse d'une renonciation de l'Etat libyen à son immunité d'exécution que la cour doit d'abord examiner, étant entendu qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et que les "dire que" ou "juger que" ne sont pas des prétentions, mais des rappels des moyens invoqués à l'appui des demandes, ne conférant pas – hormis les cas prévus par la loi – de droit à la partie qui les requiert, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces points et qu'il convient de ne statuer sur lesdits moyens que s'ils ont une incidence sur la solution du litige ;
Que la société [H] [X] [M] et fils soutient que les biens saisis ne sont pas couverts par l'immunité et qu'elle prétend subsidiairement que l'Etat libyen a renoncé à trois reprises à son immunité :
- en adhérant à la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980,
- en signant la clause compromissoire visant la Convention,
- en acceptant le règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du commerce international du [Localité 3] ;
Que l'Autorité libyenne d'investissement estime que l'immunité d'exécution de l'Etat libyen fait obstacle aux saisies querellées ;
Que l'article L. 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution énumère les biens qui bénéficient d'une présomption de souveraineté ;
Que la question se pose, notamment, pour un produit financier dénommé EMTN (Euro Medium Term Note) ;
Que les Etats étrangers bénéficient en effet, par principe, d'une immunité d'exécution ; qu'il en est autrement lorsque les biens concernés se rattachent, non à l'exercice d'une activité de souveraineté, ce qui signifie que les biens sont utilisés ou sont destinés à être utilisés à des fins publiques, mais à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice ;
Qu'or il n'est pas contesté que l'Autorité libyenne d'investissement a été créée en 2006 afin de gérer les fonds souverains détenus par la Libye ;
Qu'ainsi l'appelante reconnaît elle-même en page 29 de ses conclusions que les biens concernés sont "utilisés ou destinés à être utilisés pour réaliser par la LIA une activité d'investissement ou de réinvestissement conformément à la mission que lui a confiée la loi" ;
Que c'est encore l'appelante qui rappelle les termes de l'article 4 de la loi n° 205/1374, selon lequel l'Autorité Libyenne d'Investissement "a pour objet d'investir et de faire fructifier les fonds que lui attribue le Comité populaire général (le gouvernement) conformément aux dispositions de la présente décision aux fins de fructifier ces fonds, fournir des apports financiers adéquats et diversifier les sources de revenus nationaux de manière à augmenter les rentrées annuelles du Trésor Public et limiter l'impact des fluctuations des revenus et ressources pétrolières" ; que de même ceux de l'article 5 indique que "l'autorité a pour objet l'investissement, directement ou indirectement, des fonds affectés à l'investissement à l'étranger en se basant sur la faisabilité économique et ce dans les différents domaines économiques, de sorte à contribuer au développement et à la diversification des ressources de l'économie nationale, à réaliser les meilleurs rendements financiers soutenant ainsi le Trésor public et assurant le futur des générations à venir, et à limiter les effets des fluctuations en termes de revenus et autres recettes de l'Etat (...)
L'autorité se chargera de la réception des fonds affectés à l'investissement et sera responsable de leur investissement et réinvestissement pour le compte de l'Etat afin de recueillir les ressources financières nécessaires pour favoriser le développement économique du peuple libyen et maintenir son bien-être et sa prospérité économique dans l'avenir" ;
Qu'enfin il n'est pas indifférent de relever ainsi qu'il est dit par l'appelante, que les biens et avoirs détenus par l'Autorité Libyenne d'Investissement ont expressément fait l'objet d'un gel par l'adoption de la résolution 1973 du 17 mars 2011 du Conseil de sécurité de l'ONU, le paragraphe 20 de cette résolution prévoyant que le Conseil de sécurité "se déclare résolu à veiller à ce que les avoirs gelés en application du paragraphe 17 de la résolution 1970 (2011) soient à une étape ultérieure, dès que possible, mis à la disposition du peuple de Jamahiriya arabe libyenne et utilisés à son profit" ;
Que les biens appartenant à l'Autorité libyenne d'investissement, quel que soit le produit financier de placement, sont donc bien utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques ce qui exclut qu'ils puissent être l'objet d'une saisie, sauf renonciation par l'Etat libyen ;
Qu'or dans le cas d'espèce, au regard des exigences de la matière, s'agissant de la souveraineté d'un Etat, cette renonciation par la Libye à son immunité d'exécution ne peut être directement déduite de son adhésion à la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 ou de l'acceptation du règlement de procédure du Centre Régional d'Arbitrage du commerce international du [Localité 3], étant précisé qu'il n'est nullement allégué ou établi que la sentence arbitrale fasse elle-même référence à une quelconque renonciation ou encore à un engagement de l'Etat à l'exécution de la sentence arbitrale ;
Que l'article 29 du contrat passé entre la société [M] et l'Etat de Libye est en effet rédigé dans les termes qui suivent : "en cas de naissance d'un différend relatif à l'interprétation ou à l'exécution du contrat pendant la période où il a cours, il doit être procédé à sa résolution à l'amiable, et en cas d'impossibilité d'un tel règlement, il doit être recouru à l'arbitrage conformément aux dispositions de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980" ;
Mais que l'annexe de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 intitulée "conciliation et arbitrage", en son article 2-8 qui prévoit que "la sentence arbitrale rendue conformément aux provisions de cet article sera définitive et liera les parties qui doivent s'y soumettre et qui doivent l'exécuter immédiatement à moins que le tribunal n'ait fixé un délai pour l'exécution de tout ou partie de ladite sentence ; la sentence arbitrale ne peut faire l'objet d'aucune voie de recours" n'est pas visée par la clause compromissoire ;
Que l'article 34-2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du commerce international du [Localité 3] qui dispose que "toutes les sentences sont rendues par écrit ; elles sont définitives et s'imposent aux parties ; les parties exécutent sans délai toutes les sentences", n'est pas non plus visée et ne constitue pas davantage la preuve d'un engagement de l'Etat à l'exécution de la sentence arbitrale dans le cas d'espèce ;
Que faute d'être plus précise quant à ses références et la portée de l'engagement souscrit, celui pris par l'Etat libyen, signataire de la clause d'arbitrage, n'est donc pas un acte de renonciation à son immunité d'exécution ;
Qu'en l'absence d'autres éléments, la notion de bonne foi dans l'exécution des conventions ou l'absence de recours possible qui s'imposent aux parties à la lecture des dispositions de la sentence arbitrale, ne sont d'aucun secours pour caractériser une telle renonciation ;
Qu'en conséquence, en l'absence de renonciation expresse de l'Etat libyen à son immunité d'exécution sur les biens concernés par les saisies litigieuses, le jugement qui en a ordonné la mainlevée sera confirmé » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE : « selon les termes de l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent ;
Qu'il est cependant admis que le droit de poursuite du créancier est étendu en cas de confusion des patrimoines notamment aux organismes publics qui dépendent d'un Etat étranger au point d'en être qu'une émanation ;
Qu'il est également d'usage qu'une entité est une émanation d'un Etat lorsqu'elle ne bénéficie pas d'une autonomie fonctionnelle et qu'il existe une confusion de patrimoine ;
Que la sentence arbitrale du 22 mars 2013, qui à la fois déclare que la LIA jouit de la personnalité morale et de l'autonomie financière et reconnaît que la LIA demeure une partie intégrante de l'Etat libyen, ne lie pas le juge français dans sa jurisprudence actuelle ;
Que cette décision (point 9 de la sentence) est le reflet de la complexité de la situation alors qu'il est aujourd'hui reconnu (plusieurs pièces du dossier dont pièce 29 en défense page 45) que "l'opacité de la structure du capital dans la hiérarchie des filiales a permis l'enrichissement de la famille [M]" ;
Que pour autant, cette situation n'induit pas forcément que la LIA est une émanation de l'Etat libyen ;
Que la société Libyan investment authority est un établissement financier d'investissement créée en 2006 puis confirmé par la loi du 28 janvier 2010 dont les dispositions sont ici après examinées ;
Qu'il n'est pas contesté que la LIA est un fonds souverain dont la vocation est d'être sous la tutelle d'un Etat c'est-à-dire contrôlé par l'Etat e alimenté en grande partie par les ressources de l'Etat (pièce doctrine de la société [H] [X] [M] et fils) ;
Que les fonds souverains peuvent être soit gérés directement par leur gouvernement national ou être simplement supervisés par ce même gouvernement ;
Qu'en l'espèce il ressort des principes déclaratoires libyens aux termes de la loi du 28 janvier 2010 que la LIA est certes rattachée au comité populaire général, nom donné au gouvernement libyen à cette date et qu'elle jouit de la personnalité morale ;
Que plus concrètement, la LIA est dirigée par un Conseil de fiduciaires composé de membres du gouvernement et du gouverneur de la banque centrale de Libye mais également d'experts dans le domaine du travail de l'Autorité, ce Conseil nommant pour trois années un conseil d'administration dont le président et le vice-président ont de l'expérience dans les domaines de gestion et d'investissement des fonds et des actifs lequel exerce le contrôle de la gestion de la LIA et surveille la mise en place de ses programmes ;
Que les membres du conseil d'administration, soit l'organe décisionnel, ne sont pas rémunérés en tant que fonctionnaires mais par décision du Conseil des fiduciaires qui en fixe le montant ;
Que par ailleurs, les employés de la LIA sont "considérés comme des employés publics", ce qui sous-entend qu'ils n'en sont pas directement mais que leurs conditions doivent se rapprocher de celle des fonctionnaires libyens :
Qu'ainsi la LIA est dotée d'une personnalité juridique qui lui est propre et qui est distincte de celle du gouvernement ou de la banque centrale et comprend un organe de direction, certes désigné par le gouvernement mais organe qui est ensuite complété dans sa gestion par des experts et des membres ayant une expérience académique et professionnelle en matière financière ;
Qu'il en résulte que la LIA dispose d'un statut juridique qui prévoit qu'elle n'est pas entièrement et directement placée sous le contrôle total du gouvernement, étant ainsi rattachée au gouvernement, comme l'institue l'article 3 de la loi, sans y être pour autant soumise comme il résulte de sa composition et des organes de sa direction ;
Que par ailleurs les ressources financières de la LIA sont certes composées des sommes allouées par l'Etat mais également de prêts qu'elle peut obtenir auprès de l'étranger et de fonds monétaires et actifs en nature qui lui sont alloués ;
Que les fonds et entités (article 16) sont la propriété de la LIA, constituant ainsi un patrimoine distinct de celui de l'Etat libyen ;
Que la stratégie de gestion des actifs financiers, article 11 de la loi, n'est pas définie par le gouvernement mais par le conseil d'administration lequel conçoit principalement les politiques d'investissement et de ré-investissement des fonds affectés à l'investissement après approbation du Conseil des fiduciaires, preuve de l'existence d'une autonomie financière de la LIA ;
Que l'affectation principale des fonds à l'Etat n'est pas en soi un élément prouvant que la LIA est une émanation de l'Etat libyen, tout fond souverain ayant pour objet d'enrichir le pays concerné ;
Qu'aussi, quand bien même la LIA apporte une aide financière à l'Etat et qu'elle est considérée comme l'une des institutions financières essentielles de la Libye pour la reconstruction du pays, elle n'est pas pour autant assimilée à l'Etat lui-même puisqu'elle dispose d'une autonomie financière ;
Que la situation actuelle politique montre d'ailleurs que l'ONU, plus particulièrement le Groupe d'experts sur la Libye crée en 2011, intervient directement auprès de la LIA en qualité d'entité autonome en précisant en 2015 que le groupe d'experts "entretient de bons rapports avec la direction de la LIA et des mesures semblent avoir été prises pour régler les problèmes de gouvernance, notamment en matière de correction. Un décalage continue d'exister entre la direction (de la LIA) et les sections compétentes des ministères mais il devra se réduire une fois que la stabilité du gouvernement sera renforcée" ;
Qu'enfin et comme le souligne la société [H] [X] [M] et fils, la Résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations-Unies en date du 17 mars 2011 a décidé notamment de geler les avoirs de la société Libyan investment authority dans le cadre de l'adoption de mesures restrictives en se déclarant préoccupé par la détérioration de la situation en Libye ;
Que néanmoins, il convient à ce titre de relever que le Conseil de sécurité n'a pas formellement identifié la LIA comme étant détenue par l'Etat à 100% mais a seulement précisé qu'elle était "sous le contrôle de [C] [Y]" effectuant ainsi une distinction entre l'influence de [C] [Y] sur des entités libyennes et la détention par l'Etat d'autres entités ;
Que dès lors, la société [H] [X] [M] et fils ne démontre pas que la société Libyan investment authority est dans une dépendance fonctionnelle avec l'Etat libyen empêchant toute autonomie de droit et de fait organique, patrimoniale et financière ;
Qu'en conséquence, il convient d'ordonner la mainlevée de la saisie » ;
1°/ ALORS QU'en vertu des principes du droit international relatifs à l'immunité d'exécution, l'immunité d'exécution doit être écartée lorsque le bien appréhendé est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé autrement qu'à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l'entité contre laquelle la procédure est engagée, qu'en décidant que « les Etats étrangers bénéficient en effet, par principe, d'une immunité d'exécution. Il en est autrement lorsque les biens concernés se rattachent, non à l'exercice d'une activité de souveraineté, ce qui signifie que les biens sont utilisés ou sont destinés à être utilisés à des fins publiques, mais à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice », l'arrêt attaqué a été rendu en violation du droit international régissant les immunités des Etats étrangers et notamment l'immunité d'exécution ;
2°/ ALORS QU'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'immunité d'exécution doit être écartée lorsque le bien appréhendé est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé à des fins d'investissement ; qu'en l'espèce, pour juger que les sommes détenues par la LIA sur le compte-courant ouvert auprès de la Société générale option Europe ainsi que les droits d'associés ou les valeurs mobilières bénéficiaient d'une immunité d'exécution et ne pouvaient, par conséquent, être l'objet d'une saisie, la cour d'appel s'est bornée à constater que ces biens étaient « utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques » ; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait elle-même constaté que les fonds étaient spécialement affectés à des activités d'investissement à l'étranger, la cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers et notamment l'immunité d'exécution ;
3°/ ALORS QU'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, le bénéfice de l'immunité d'exécution s'apprécie pour chaque bien appréhendé par la saisie ; qu'en jugeant que l'immunité d'exécution couvrait tous « les biens appartenant à l'Autorité libyenne d'investissement, quel que soit le produit financier de placement », la cour d'appel n'a pas pris en considération la finalité à laquelle était destiné le produit financier « Euro Medium Term Note », pourtant objet de la saisie, et a, ainsi, privé sa décision de base légale au regard des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers ;
4°/ALORS QUE toute activité déployée par un Etat ou son émanation ne peut que poursuivre un intérêt général ; qu'à lui seul le critère fondé sur l'intérêt général n'est pertinent pour délimiter le champ de l'immunité d'exécution ; qu'en se référant exclusivement à l'idée que les opérations de placement réalisées par la LIA servaient l'intérêt du peuple libyen, notamment en visant la résolution 1973 du 17 mars 2011 du Conseil de sécurité de l'ONU sans rechercher si ces biens sont « spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé autrement qu'à des fins de service public non commerciales » pour décider que les fonds appréhendés étaient couverts par l'immunité d'exécution, l'arrêt attaqué a, ainsi, privé sa décision de base légale au regard des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers ;
5°/ ALORS QUE porte une atteinte disproportionnée au droit fondamental à l'exécution des décisions de justice, toute protection des biens de l'Etat étranger allant au-delà de ce que prescrit le droit international coutumier tel que reflété par la Convention des Nations-Unies du 2 décembre 2004 ; qu'en l'espèce, pour prononcer la mainlevée de la saisie, la cour d'appel a jugé que les biens utilisés par le fond souverain de l'Etat libyen à des fins d'investissement étaient couverts par son immunité d'exécution ; qu'en statuant ainsi, alors que le droit international coutumier tel qu'il résulte de la Convention des Nations-Unies de 2004 autorise la saisie des biens utilisés par l'Etat ou l'une de ses émanations à des fins d'investissement, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde européenne des droits de l'homme, ensemble les principes du droit international régissant les immunités d'exécution des Etats étrangers ;
6°/ ALORS QUE l'article 26 de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980, à laquelle se référait le contrat, dispose que « la conciliation et l'arbitrage se dérouleront conformément aux règles et aux procédures établies dans l'annexe de cette convention » et que « cette annexe constitue une partie intégrante de celle-ci » ; qu'en l'espèce, pour juger que l'Etat libyen n'avait pas expressément accepté de se soumettre à la sentence arbitrale et ne s'était pas expressément engagé à exécuter cette sentence, la cour d'appel a retenu que n'était pas visé par la clause compromissoire du contrat passé avec l'exposante, l'article 2-8 de l'annexe de la Convention Unifiée pour l'Investissement des Capitaux Arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 lequel prévoit que « la sentence arbitrale rendue conformément aux provisions de cet article sera définitive et liera les parties qui doivent s'y soumettre et qui doivent l'exécuter immédiatement » ; qu'en statuant ainsi, alors que l'article 29 du contrat passé entre l'Etat libyen et la société [M] stipulait qu'il devait être « recouru à l'arbitrage conformément aux dispositions de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 » laquelle, dans son article 26, énonce expressément que son annexe dont l'article 2-8 fait partie intégrante de ses dispositions, la cour d'appel a méconnu la force obligatoire du contrat, ensemble la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 ;
7°/ ALORS QU'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'acceptation par l'État étranger, signataire de la clause d'arbitrage, de se soumettre à la sentence arbitrale et de l'exécuter dans les termes de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 vaut renonciation expresse à son immunité d'exécution; qu'en jugeant le contraire, alors qu'elle avait elle-même constaté que l'Etat libyen avait, non seulement, expressément adhéré à cette Convention mais, également, expressément visé cette Convention dans la clause compromissoire du contrat qu'il a conclu avec l'exposante, la cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, ensemble la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes ;
8°/ ALORS QU'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'engagement pris par l'Etat signataire de la clause d'arbitrage d'exécuter la sentence conformément à l'article 34-2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du commerce international du [Localité 3] lequel est expressément visé par la sentence arbitrale, vaut renonciation à son immunité d'exécution ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, ensemble l'article 34-2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du [Localité 3] ;
9°/ ALORS QUE les parties ayant toutes deux admis que l'article 34.2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du [Localité 3] était applicable même s'il n'était pas visé par la clause compromissoire, la cour d'appel ne pouvait se fonder sur le silence de la clause sur ce texte sans méconnaître les termes du litige et violer l'article 4 du code de procédure civile ;
10°/ ALORS QUE, subsidiairement à supposer que la cour d'appel ait adopté les motifs des premiers juges, doit être qualifiée d'émanation, l'entité dépourvue de d'autonomie fonctionnelle et de patrimoine propre ; que cette qualité s'apprécie en droit mais surtout en fait selon la méthode du faisceau d'indices ; qu'en l'espèce, pour refuser de qualifier la LIA d'émanation de l'Etat libyen, les juges du fond se sont exclusivement fondés sur l'autonomie juridique de l'entité ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher comme ils y étaient invités, si dans les faits, la LIA n'était pas suffisamment indépendante dans son fonctionnement et si son patrimoine se confondait avec celui de l'Etat libyen, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des principes du droit international relatifs aux émanations des Etats étrangers.
Ass. plén., 29 avril 2022, pourvoi n° 18-18.542, Bull., (Cassation partielle partiellement sans renvoi).
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CASS/JURITEXT000046437329.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 octobre 2022
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 729 FS-B
Pourvoi n° 20-21.016
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 OCTOBRE 2022
1°/ M. [G] [Z],
2°/ Mme [W] [R], épouse [Z],
domiciliés tous deux [Adresse 6],
ont formé le pourvoi n° 20-21.016 contre l'arrêt rendu le 10 septembre 2020 par la cour d'appel de Caen (2e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à l'Association calvadosienne pour la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence (ACSEA), dont le siège est [Adresse 1], dont le service ATC est [Adresse 3], prise en qualité de tutrice de Mme [D] [A], domiciliée [Adresse 5], venant aux droits de [P] [V], épouse [A], décédée,
2°/ à la société [N] Marie, société d'exercice libérale à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], représentée par son mandataire judiciaire, Mme [N],
3°/ à M. [H] [S], domicilié [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
L'Association calvadosienne pour la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence a formé un pourvoi provoqué éventuel contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi provoqué éventuel invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. et Mme [Z], de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de l'Association calvadosienne pour la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence, ès qualités, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [N], ès qualités et de M. [S], et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mmes Beauvois, Agostini, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, Mme Caron-Déglise, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. et Mme [Z] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [S] et Mme [N], en qualité de liquidateur de la SELARL Marie [N].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 10 septembre 2020), par acte reçu le 18 août 2008 par M. [S], notaire, [P] [V] a donné à bail à M. et Mme [Z] un immeuble à usage de commerce et d'habitation.
3. Les locataires ont assigné la bailleresse en exécution de travaux et en réparation des préjudices causés par des désordres affectant les locaux loués.
4. Un jugement du 15 septembre 2014, revêtu de l'exécution provisoire, a notamment condamné [P] [V] à faire réaliser des travaux et à payer mensuellement à M. et Mme [Z] des indemnités de jouissance.
5. [P] [V], qui avait interjeté appel de cette décision, est décédée le 13 avril 2017, en laissant pour lui succéder sa fille, Mme [A].
6. Par déclaration du 4 avril 2018, publiée le 6 du même mois, celle-ci a accepté la succession à concurrence de l'actif net.
7. M. et Mme [Z] ont assigné l'Association calvadosienne pour la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence (ACSEA), en qualité de tuteur de Mme [A], venant aux droits de [P] [V], en reprise d'instance devant la cour d'appel.
8. L'ACSEA, ès qualités, a assigné en garantie M. [S] et son successeur, la SELARL Marie [N].
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, et sur le second moyen du pourvoi principal, ainsi que sur le moyen du pourvoi provoqué éventuel, ci-après annexés
9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal et le moyen du pourvoi provoqué éventuel, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation, et sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et le second moyen du pourvoi principal, qui sont irrecevables.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
10. M. et Mme [Z] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme éteintes leurs demandes à l'encontre de la succession de [P] [V], alors « que le paiement emporte extinction de la créance ; qu'à ce titre, les créances dont le paiement a été obtenu en exécution d'un jugement rendu contre le de cujus n'ont pas à être déclarées à la succession lorsque celle-ci a fait l'objet d'une acceptation à concurrence de l'actif net, peu important les éventuels recours formés contre le jugement ; qu'en retenant en l'espèce que les condamnations prononcées par le tribunal contre la de cujus n'étaient pas définitives pour avoir fait l'objet d'un appel, et que les créances objet de ces condamnations devaient être déclarées à la succession sans qu'il importe que les condamnations aient déjà été exécutées, la cour d'appel a violé les articles 792 et 1234 ancien devenu 1342 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 792, 1234, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et 1342, alinéa 3, du code civil :
11. Selon le premier de ces textes, lorsque la succession a été acceptée par un héritier à concurrence de l'actif net, les créanciers de la succession doivent déclarer leurs créances en notifiant leur titre au domicile élu de la succession. Les créances dont le montant n'est pas encore définitivement fixé sont déclarées à titre provisionnel sur la base d'une évaluation. Faute de déclaration dans un délai de quinze mois à compter de la publicité nationale dont fait l'objet la déclaration d'acceptation de succession, les créances non assorties de sûreté sur les biens de la succession sont éteintes à l'égard de celle-ci.
12. Il résulte des deux derniers de ces textes que le paiement éteint la dette.
13. Pour déclarer irrecevables comme éteintes toutes les demandes formées par M. et Mme [Z] contre la succession de [P] [V], l'arrêt, après avoir constaté le défaut de déclaration de créances dans le délai imparti, retient que, les condamnations prononcées par le tribunal n'étant pas définitives, il importe peu que certaines aient été exécutées.
14. En statuant ainsi, alors que les paiements effectués en vertu du jugement exécutoire par provision avaient éteint les créances correspondantes de M. et Mme [Z], de sorte que ceux-ci n'étaient pas soumis à l'obligation de les déclarer à la succession, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Demande de rectification d'erreur matérielle
Vu l'article 462 du code de procédure civile :
15. L'arrêt est affecté d'une erreur matérielle en ce qu'il fait mention de la SCP [N] au lieu de la SELARL [N].
16. Il y a lieu de réparer cette erreur.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
ORDONNE la rectification de l'arrêt rendu le 10 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remplace, dans le dispositif de cet arrêt, « Dit irrecevable l'intervention forcée en cause d'appel de Me [S] et de la SCP [N] » par « Dit irrecevable l'intervention forcée en cause d'appel de Me [S] et de la SELARL [N] » ;
Ordonne la mention de cette rectification en marge de l'arrêt rectifié ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables comme étant éteintes les demandes formées par M. et Mme [Z] contre la succession, l'arrêt rendu le 10 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne l'ACSEA, ès qualités, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par l'ACSEA, ès qualités, et la condamne à payer à M. et Mme [Z] la somme de 2 500 euros et à M. [S] et Mme [N], ès qualités, celle globale de 1 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [Z]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'arrêt infirmatif attaqué par M. et Mme [Z] encourt la censure ;
EN CE QU' il a jugé irrecevables comme éteintes les demandes de M. et Mme [Z] formées contre la succession de Mme [P] [A] ;
ALORS QUE, premièrement, le paiement emporte extinction de la créance ; qu'à ce titre, les créances dont le paiement a été obtenu en exécution d'un jugement rendu contre le de cujus n'ont pas à être déclarées à la succession lorsque celle-ci a fait l'objet d'une acceptation à concurrence de l'actif net, peu important les éventuels recours formés contre le jugement ; qu'en retenant en l'espèce que les condamnations prononcées par le tribunal contre la de cujus n'étaient pas définitives pour avoir fait l'objet d'un appel, et que les créances objet de ces condamnations devaient être déclarées à la succession sans qu'il importe que les condamnations aient déjà été exécutées, la cour d'appel a violé les articles 792 et 1234 ancien devenu 1342 du code civil ;
ALORS QUE, deuxièmement, l'obligation de déclaration à la succession ayant fait l'objet d'une acceptation à concurrence de l'actif net ne concerne que les créances nées contre le défunt antérieurement à l'ouverture de sa succession ou celles nées postérieurement à raison de la succession ; qu'elle ne concerne pas en revanche les autres créances nées sur les héritiers après l'ouverture de la succession ; qu'à ce titre, en cas d'évolution d'un dommage, seule la créance de réparation pour la période antérieure au décès doit être déclarée à la succession ; qu'en déclarant éteintes la totalité des créances que détenaient M. et Mme [Z] sur la succession de Mme [P] [V] épouse [A], quand elle constatait elle-même que ceux-ci sollicitaient la réalisation de travaux supplémentaires à raison de nouvelles dégradations survenues après le décès de la bailleresse, et l'indemnisation de leurs préjudices de jouissance pour la période postérieure à cette date, la cour d'appel a violé l'article 792 du code civil ;
ET ALORS QUE, troisièmement, et subsidiairement, l'obligation de déclaration des créances détenues sur une succession qui a fait l'objet d'une acceptation à concurrence de l'actif net ne concerne pas les obligations de faire lorsque le créancier poursuit leur exécution en nature ; qu'en déclarant éteintes l'ensemble des créances que détenaient M. et Mme [Z] sur la succession, en ce compris le droit revendiqué par eux d'obtenir la réalisation de travaux dans les locaux pris à bail, la cour d'appel a violé l'article 792 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
L'arrêt infirmatif attaqué par M. et Mme [Z] encourt la censure ;
EN CE QU' il a jugé irrecevables comme éteintes les demandes de M. et Mme [Z] formées contre la succession de Mme [P] [A] ;
ALORS QUE, premièrement, l'ingérence que crée l'instauration d'un délai de déclaration de créance sanctionné par l'extinction des droits du créancier doit répondre à un but légitime et présenter un caractère proportionné au but ainsi poursuivi ; qu'en l'espèce, M. et Mme [Z] contestaient la conformité des articles 788 et 792 du code civil à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en soulignant que, contrairement à la déclaration de créances prévue pour les procédures collectives ou aux dispositions applicables aux procédures de surendettement, les créanciers de la succession tenus de déclarer leur créance dans un délai de quinze mois suivant publication de l'acceptation à concurrence de l'actif net ne bénéficient d'aucune notification individuelle et ne disposent d'aucun recours pour être relevé de forclusion ; qu'en se bornant à observer que les créanciers de la succession disposaient d'un délai de déclaration suffisamment long et que l'héritier acceptant à concurrence de l'actif net encourait la déchéance de son option en cas d'omission volontaire dans l'inventaire d'éléments du patrimoine successoral, quand ces constatations ne suffisaient pas à établir la proportionnalité de l'atteinte portée par les articles 788 et 792 du code civil aux droits de créance de M. et Mme [Z] et à leur droit à un recours effectif, la cour d'appel a violé les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention ;
ET ALORS QUE, deuxièmement, la conformité de l'application d'une disposition législative ou réglementaire aux droits et libertés garantis par la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit s'apprécier concrètement au regard des circonstances de la cause ; qu'en se bornant à faire état de ce que l'article 792 impartissait aux créanciers un délai suffisamment long pour déclarer leurs créances, et que l'héritier pouvait être réputé acceptant pur et simple s'il est démontré qu'il a omis sciemment et de mauvaise foi un élément d'actif ou de passif dans l'inventaire prévu à l'article 789, sans vérifier concrètement si, au regard des circonstances de l'espèce, l'application de cette disposition n'avait pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la propriété de M. et Mme [Z] et à leur droit à un recours effectif, la cour d'appel a violé les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du premier protocole additionnel de la convention. Moyen produit au pourvoi provoqué éventuel par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour l'Association calvadosienne pour la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence, ès qualités
L'ACSEA fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit irrecevable l'intervention forcée en cause d'appel de M. [S] et de la SELARL [N] Marie ;
ALORS QUE des tiers peuvent être appelés devant la cour, même aux fins de condamnation, quand l'évolution du litige implique leur mise en cause ; que pour retenir que l'intervention forcée en cause d'appel de Maître [S] et de la SELARL [N] Marie était irrecevable, la cour d'appel a relevé l'absence de toute évolution du litige impliquant leur mise en cause en appel ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (conclusions, p. 3, al. 7 ; p. 25, point D), si [P] [A] n'avait pas été tardivement informée, en l'occurrence après que l'instruction de l'affaire a été close le 26 mai 2020 et seulement dix jours avant le prononcé du jugement, de ce que Maître [S] se désistait de son offre d'acquisition de l'immeuble en qualité de gérant de la SCI Kongolais, dans laquelle il indiquait très clairement faire son affaire personnelle des conséquences de la procédure engagée par M. [Z], en cas de condamnation à exécuter des travaux, et si cette information tardive et imprévue ne constituait pas un élément de fait nouveau justifiant que les notaires soient appelés en cause à hauteur d'appel afin de la garantir de toute condamnation qui seraient prononcée à son encontre, au profit de M. et Mme [Z], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 555 du code de procédure civile.
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CASS/JURITEXT000046437327.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 octobre 2022
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 728 FS-B
Pourvoi n° 21-11.408
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 OCTOBRE 2022
M. [Z] [F], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° 21-11.408 contre l'arrêt rendu le 28 janvier 2021 par la cour d'appel de Nîmes (1re chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [X] [C], domicilié [Adresse 4],
2°/ à M. [O] [N], domicilié [Adresse 2], pris en qualité d'ayant droit de sa mère, [K] [C] épouse [N], décédée, et en qualité de représentant légal de M. [L] [N], placé sous mesure d'habilitation familiale,
3°/ à M. [L] [N], domicilié [Adresse 3], pris en qualité d'ayant droit de son épouse, [K] [C] épouse [N], décédée, représenté par M. [O] [N],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [F], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [C] et de MM. [O] et [L] [N], et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mmes Beauvois, Agostini, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, Mme Caron-Déglise, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à M. [O] [N] et à M. [L] [N], représenté par M. [O] [N], de leur reprise d'instance en qualité d'ayants droit de [K] [C], décédée le 9 janvier 2021.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 28 janvier 2021), [G] [C], placée sous tutelle le 8 août 2015, est décédée le 6 octobre 2015, en laissant pour lui succéder ses frère et soeur, M. [X] [C] et [K] [C] (les consorts [C]).
3. Le 31 juillet 2014, en présence de deux témoins, la de cujus avait remis à M. [T], notaire, qui en avait dressé l'acte de suscription, un testament mystique dactylographié et signé par elle, instituant M. [F] en qualité de légataire universel.
4. Les consorts [C] ont assigné M. [F] en nullité du testament.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. M. [F] fait grief à l'arrêt de déclarer nul le testament de [G] [C], alors :
« 1°/ que, pour décider que le testament mystique était nul, les juges du fond ont considéré que l'acuité visuelle de [G] [C] veuve [F] ne lui permettait pas de lire les caractères dactylographiés, de taille normale, du document qu'elle avait présenté au notaire comme son testament, et qu'aucun élément de l'acte lui-même ou de l'acte de suscription n'éclairait sur le procédé technique qui aurait pu permettre à la testatrice de lire son testament ; qu'en statuant par ces motifs ne caractérisant pas l'impossibilité absolue de [G] [C] veuve [F] de lire son testament, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 978 du code civil ;
2°/ qu'en retenant la nullité du testament mystique au motif qu'aucun élément de l'acte lui-même ou de l'acte de suscription ne l'éclairait sur le procédé technique qui aurait pu permettre à [G] [C] veuve [F] de lire son testament, la cour d'appel, qui a fait peser à M. [F], défendeur à l'action en nullité, la charge de prouver la possibilité pour la testatrice de lire son testament, a inversé la charge de la preuve et violé l'article 9 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article 978 du code civil, ceux qui ne savent ou ne peuvent lire, ne pourront faire de dispositions dans la forme mystique.
7. La cour d'appel a relevé que, dans l'acte de suscription du 31 juillet 2014, le notaire avait mentionné que le testament mystique litigieux lui avait été remis par « le testateur », qui avait déclaré lui présenter son testament et affirmé en avoir personnellement vérifié le libellé par la lecture qu'« il » en avait effectuée.
8. Elle a retenu qu'il ressortait du dossier de tutelle de [G] [C] et des pièces médicales produites que celle-ci, qui souffrait de la maladie neurodégénérative de Steel Richardson, était dans l'incapacité de lire elle-même le texte dactylographié sur le document présenté et qu'aucun élément intrinsèque ou extrinsèque, dont l'acte de suscription, ne venait l'éclairer sur la manière dont l'intéressée aurait pu lire le document qu'elle présentait comme son testament.
9. C'est donc sans inverser la charge de la preuve que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de caractériser l'impossibilité absolue de [G] [C] de lire le document, en a déduit, en l'absence de certitude sur l'expression de ses dernières volontés, que l'acte devait être annulé.
10. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
11. M. [F] fait grief à l'arrêt de déclarer nul le testament de [G] [C] et de rejeter sa demande tendant à ce qu'il soit requalifié en testament international et à ce que sa régularité soit constatée, alors « que l'arrêt attaqué a constaté que le testament litigieux avait été dactylographié, qu'il comportait la signature de [G] [C] veuve [F], qu'il avait été remis au notaire qui l'avait cacheté en présence des deux témoins, et que le notaire avait consigné dans l'acte de suscription la déclaration de la testatrice selon laquelle il s'agissait de son testament et qu'elle en avait vérifié le contenu par la lecture qu'elle en avait faite ; qu'il en résultait qu'avaient été respectées toutes les formalités prévues par les articles 3 à 5 de la loi uniforme annexée à la Convention de Washington du 26 octobre 1973 portant loi uniforme sur la forme d'un testament international, de sorte que le testament litigieux devait être requalifié en testament international valable ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des textes susmentionnés de l'article 1 de la loi uniforme annexée à la Convention de Washington du 26 octobre 1973, qu'elle a ainsi violés. »
Réponse de la Cour
12. La cour d'appel a relevé que, dans l'acte de suscription du 31 juillet 2014, le notaire avait mentionné que le testament mystique litigieux lui avait été remis par « le testateur », qui avait déclaré lui présenter son testament et affirmé en avoir personnellement vérifié le libellé par la lecture qu'« il » en avait effectuée.
13. Ayant retenu que [G] [C] était dans l'incapacité de lire le document remis au notaire, de sorte qu'elle n'avait pas été en mesure de déclarer que ce document était son testament et qu'elle en connaissait le contenu, la cour d'appel en a exactement déduit que le document présenté, déclaré nul en tant que testament mystique, ne pouvait valoir comme testament international.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
REJETTE la requête ;
Condamne M. [F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [F] et le condamne à payer à M. [C] et MM. [L] et [O] [N] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. [F]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré nul le testament du 26 juillet 2014 de [G] [C] veuve [F] ;
alors 1°/ que pour décider que le testament mystique était nul, les juges du fond ont considéré que l'acuité visuelle de [G] [C] veuve [F] ne lui permettait pas de lire les caractères dactylographiés, de taille normale, du document qu'elle avait présenté au notaire comme son testament, et qu'aucun élément de l'acte lui-même ou de l'acte de suscription n'éclairait sur le procédé technique qui aurait pu permettre à la testatrice de lire son testament ; qu'en statuant par ces motifs ne caractérisant pas l'impossibilité absolue de [G] [C] veuve [F] de lire son testament, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 978 du code civil ;
alors 2°/ qu'en retenant la nullité du testament mystique au motif qu'aucun élément de l'acte lui-même ou de l'acte de suscription ne l'éclairait sur le procédé technique qui aurait pu permettre à [G] [C] veuve [F] de lire son testament, la cour d'appel, qui a fait peser à M. [F], défendeur à l'action en nullité, la charge de prouver la possibilité pour la testatrice de lire son testament, a inversé la charge de la preuve et violé l'article 9 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré nul le testament du 26 juillet 2014 de [G] [C] veuve [F] et rejeté la demande de M. [F] tendant à ce que le testament soit requalifié en testament international et à ce que sa régularité soit constatée ;
alors que l'arrêt attaqué a constaté que le testament litigieux avait été dactylographié, qu'il comportait la signature de [G] [C] veuve [F], qu'il avait été remis au notaire qui l'avait cacheté en présence des deux témoins, et que le notaire avait consigné dans l'acte de suscription la déclaration de la testatrice selon laquelle il s'agissait de son testament et qu'elle en avait vérifié le contenu par la lecture qu'elle en avait faite ; qu'il en résultait qu'avaient été respectées toutes les formalités prévues par les articles 3 à 5 de la loi uniforme annexée à la Convention de Washington du 26 octobre 1973 portant loi uniforme sur la forme d'un testament international, de sorte que le testament litigieux devait être requalifié en testament international valable ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des textes susmentionnés de l'article 1 de la loi uniforme annexée à la Convention de Washington du 26 octobre 1973, qu'elle a ainsi violés.
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CASS/JURITEXT000046389113.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 octobre 2022
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 703 FS-B
Pourvoi n° 21-16.307
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 OCTOBRE 2022
La société Entreparticuliers.com, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° 21-16.307 contre l'arrêt rendu le 2 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l'opposant à la société LBC France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La société LBC France a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Le Gall, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Entreparticuliers.com, de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société LBC France, et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 juillet 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Le Gall, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Gargoullaud, Dazzan, Feydeau-Thieffry, M. Serrier, conseillers référendaires, Mme Mallet-Bricout, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 février 2021), la société LBC France exploite le site français de petites annonces en ligne « www.leboncoin.fr », à la suite d'un traité d'apport partiel d'actifs conclu le 28 juin 2011 avec la société SCM France, devenue Schibsted France, laquelle a créé ce site en 2006 et l'a exploité jusqu'en 2011.
2. La société Entreparticuliers.com exploite le site internet « www.entreparticuliers.com » qu'elle a créé au cours de l'année 2000 et qui propose aux particuliers un service payant d'hébergement d'annonces essentiellement immobilières. Pour les besoins de son activité, elle est abonnée à un « service de pige immobilière » commercialisé par la société Directannonces qui collecte et transmet quotidiennement à ses abonnés, professionnels de l'immobilier, toutes les nouvelles annonces immobilières publiées par les particuliers sur différents supports, notamment internet.
3. Estimant que ce procédé constitue la mise en place par la société Entreparticuliers.com, aidée de son co-contractant, d'un système d'extraction total, répété et systématique de la base de données immobilière du site « leboncoin.fr », et exposant que, depuis le mois de juin 2011, de nombreux utilisateurs de son site se plaignent de la reprise de leurs annonces sur le site « entreparticuliers.com » sans leur autorisation, la société LBC France a fait procéder, les 5, 6 et 7 octobre 2016, à un constat d'huissier de justice portant sur deux cent quarante-six annonces du site « entreparticuliers.com. », puis a assigné, le 25 avril 2017, la société Entreparticuliers.com afin d'obtenir des mesures indemnitaires et d'interdiction, au visa des articles L. 112-3, L. 341-1 et L. 342-2 du code de la propriété intellectuelle et, subsidiairement, sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
4. La société Entreparticuliers.com fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'irrecevabilité des demandes de la société LBC France formées sur le fondement de la sous-base « immobilier », de dire que le site leboncoin.fr constitue une base de données dont la société LBC France est le producteur, de dire que la société LBC France est producteur de la sous-base de données « immobilier » du site www.leboncoin.fr, de dire qu'elle a procédé à l'extraction et à la réutilisation d'une partie substantielle de la sous-base de données « immobilier » du site leboncoin.fr, d'ordonner, sous astreinte, la cessation de ces agissements, de la condamner à verser à la société LBC France la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice financier et celle de 20 000 euros en réparation de son préjudice d'image, d'ordonner une mesure de publication et de rejeter ses autres demandes, alors :
« 1°/ que, si les prétentions présentées pour la première fois en cause d'appel ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, les prétentions portant sur des droits de propriété intellectuelle distincts, qui n'ont pas le même objet, ne peuvent tendre aux mêmes fins ; que la demande présentée par la société LBC France aux premiers juges tendait à se voir reconnaître un droit sui generis sur la base de données envisagée dans son entier et à en faire sanctionner la violation, tandis que la demande présentée devant la cour d'appel tendait à se voir reconnaître un droit sui generis sur la sous-base de données « immobilier » et à en faire sanctionner la violation ; qu'en affirmant néanmoins, pour rejeter l'exception d'irrecevabilité, que les demandes relatives à la sous-base tendaient aux mêmes fins que celles formulées devant le premier juge, à savoir démontrer le caractère substantiel de l'extraction opérée par la société Entreparticuliers.com, la cour d'appel a violé les articles 564 et 565 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en toute hypothèse, les parties doivent, en cause d'appel, présenter, dès leurs premières conclusions, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; qu'il n'est fait exception que pour les demandes reconventionnelles et les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; que les demandes de la société LBC France relatives à la sous-base « immobilier » ne figuraient pas dans ses premières conclusions d'appel ; qu'en retenant, pour rejeter néanmoins l'exception d'irrecevabilité, qu'elles tendaient aux mêmes fins que les demandes formulées devant le premier juge, portant sur l'ensemble de la base de données, la cour d'appel, qui a énoncé un motif inopérant, a violé l'article 910-4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Dès lors que les demandes initiales portaient sur l'ensemble de la base de données et incluaient ainsi la sous-base de données « immobilier », c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que les demandes limitées à cette sous-base n'étaient pas nouvelles et étaient donc recevables en appel.
6. Le moyen, inopérant en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
7. La société Entreparticuliers.com fait grief à l'arrêt de dire que le site leboncoin.fr constitue une base de données dont la société LBC France est le producteur, de dire que la société LBC France est producteur de la sous-base de données « immobilier » du site www.leboncoin.fr, de dire qu'elle a procédé à l'extraction et à la réutilisation d'une partie substantielle de la sous-base de données « immobilier » du site leboncoin.fr, d'ordonner, sous astreinte, la cessation de ces agissements, de la condamner à verser à la société LBC France la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice financier et celle de 20 000 euros en réparation de son préjudice d'image, d'ordonner une mesure de publication et de rejeter ses autres demandes, alors :
« 1°/ que l'article 8-1 du traité d'apport partiel d'actifs du 28 juin 2011 stipulait que « SCM France est régulièrement propriétaire ou bénéficiaire du droit d'usage des droits de propriété intellectuelle se rapportant à la branche d'activité et s'engage à consentir à LBC France une licence d'exploitation des droits de propriété intellectuelle incluant en particulier la marque « leboncoin.fr », « vendez achetez près de chez vous » et les noms de domaine « leboncoin.fr », « leboncoin.com » moyennant une contrepartie financière faisant l'objet d'un contrat distinct » ; qu'il s'en déduisait que la société SCM France s'était réservé l'ensemble des droits de propriété intellectuelle afférents à la branche d'activité apportée ; qu'en affirmant, au contraire, que cette clause ne pouvait s'analyser comme réservant à la société SCM France le bénéfice des droits sui generis du producteur de base de données, la cour d'appel en a dénaturé les stipulations claires et précises, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis ;
2°/ que, dans le cas où une base de données protégée fait l'objet d'un nouvel investissement substantiel, sa protection expire quinze ans après le 1er janvier de l'année civile suivant celle de ce nouvel investissement ; que la personne qui, sans être le producteur initial d'une base de données, consent des investissements pour l'entretenir et la renouveler, n'est pas admise à invoquer la prorogation d'une protection dont elle n'est pas investie, n'ayant pas pris l'initiative et le risque de la création ; qu'en se fondant sur l'article L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle pour affirmer le droit sui generis de la société LBC sur une base de données qu'elle n'a pas créée, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application ;
3°/ que la personne qui réalise des investissements sur une base de données dont il n'est pas le producteur initial ne peut invoquer la protection du droit sui generis qu'en démontrant qu'il en est résulté une nouvelle base de données éligible à la protection du droit sui generis sur les bases de données ; qu'en reconnaissant à la société LBC France la qualité de producteur de la base de données litigieuse, sans rechercher si les investissements qu'elle avait consentis depuis le traité d'apport partiel d'actifs du 28 juin 2011 avaient abouti à la constitution d'une nouvelle base de données éligible, en elle-même, à la protection légale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
4°/ qu'en toute hypothèse, la personne qui réalise des investissements sur une base de données existante ne peut invoquer une durée de protection propre qu'en démontrant que ces investissements sont substantiels et qu'il en est résulté une modification substantielle de la base de données initiale ; qu'en reconnaissant à la société LBC France la qualité de producteur de la base de données litigieuse, sans rechercher si les investissements qu'elle avait consentis depuis le traité d'apport partiel d'actifs du 28 juin 2011 avaient conduit à une modification substantielle de la base de données initiale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données. »
Réponse de la Cour
8. Après avoir retenu que la société LBC France avait acquis, par le traité d'apport partiel d'actifs du 28 juin 2011, la propriété des éléments d'actifs constituant la branche d'activité d'exploitation du site internet « leboncoin.fr » et qu'elle avait procédé pour la constitution, la vérification et la présentation de la base de données à de nouveaux investissements financiers, matériels et humains substantiels au sens des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, du fait de leur nature et de leur montant, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche visée par la troisième branche et qui a procédé à celle invoquée par la quatrième, en a exactement déduit que la société LBC France était fondée à invoquer la protection de cette base de données.
9. Le moyen, irrecevable en sa première branche en l'absence de production du contrat d'apport partiel d'actifs consenti par la société SCM France à la société LBC France, n'est pas fondé pour le surplus.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
10. La société Entreparticuliers.com fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que la notion d'investissement lié à l'obtention du contenu d'une base de données s'entend comme désignant les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base et ne comprend pas les moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d'une base de données ; qu'en tenant compte, au titre des investissements liés à la constitution de la base de données, des dépenses de communication consenties par la société LBC France pour inciter les consommateurs à créer leurs annonces, la cour d'appel a violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
2°/ que la notion d'investissement lié à l'obtention du contenu d'une base de données s'entend comme désignant les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base et ne comprend pas les moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d'une base de données ; qu'en tenant compte, au titre des investissements liés à la constitution de la base de données, des dépenses de stockage consenties par la société LBC France, la cour d'appel a de nouveau violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
3°/ que la notion d'investissement lié à la vérification du contenu de la base de données doit être comprise comme visant les moyens consacrés, en vue d'assurer la fiabilité de l'information contenue dans ladite base, au contrôle de l'exactitude des éléments recherchés, lors de la constitution de cette base ainsi que pendant la période de fonctionnement de celle-ci ; que les moyens consacrés à des opérations de vérification au cours de la phase de création de données ou d'autres éléments par la suite rassemblés dans une base constituent, en revanche, des moyens relatifs à cette création et ne peuvent dès lors être pris en compte aux fins d'apprécier l'existence d'un investissement substantiel ; qu'en retenant, au titre des dépenses engagées par la société LBC France pour la vérification des données, les coûts salariaux afférents à l'équipe « serenity », bien que la vérification opérée par le logiciel « serenity » intervienne au stade de la création des données, la cour d'appel a violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
4°/ que la notion d'investissement lié à la vérification du contenu de la base de données doit être comprise comme visant les moyens consacrés au contrôle de l'exactitude des données ; qu'acceptant de prendre en considération les coûts salariaux des équipes « serenity » et « fraude et modération » sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le contrôle qu'elles opéraient sur les annonces des internautes n'était pas limité à la détection des fraudes et illégalités, à l'exclusion de l'exactitude des informations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
5°/ que la notion d'investissement dans la présentation du contenu de la base de données comprend les moyens visant à conférer à ladite base sa fonction de traitement de l'information, à savoir ceux consacrés à la disposition systématique ou méthodique des éléments contenus dans cette base ainsi qu'à l'organisation de leur accessibilité individuelle, en dehors de la création des données ; qu'en acceptant de prendre en considération les dépenses liées à la classification des annonces des internautes et à l'organisation du site internet www.leboncoin.fr en arborescence, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si une telle présentation n'était pas étroitement liée à la création même des annonces des internautes, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données. »
Réponse de la Cour
11. Par quatre arrêts du 9 novembre 2004 (C-203/02, C-46/02, C-338/02, C-444/02), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que la notion d'investissement lié à l'obtention du contenu de la base de données doit s'entendre comme désignant les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base, à l'exclusion des moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs d'une base de données, le titulaire d'une base de données devant dès lors justifier d'un investissement autonome par rapport à celui que requiert la création des données contenues dans la base dont il demande la protection.
12. C'est à bon droit et après avoir procédé aux recherches prétendument omises que la cour d'appel a retenu pour l'attribution de la protection sui generis :
- au titre d'un investissement lié à l'obtention du contenu de la base de données, les investissements de communication comme ayant pour but de rechercher et de collecter un grand nombre d'annonces auprès d'internautes, ainsi que les dépenses de stockage comme étant nécessaires au regard des flux d'annonces entrants, du volume des informations à enregistrer et des exigences de temps de consultation imposant des infrastructures informatiques de stockage sophistiquées et coûteuses, du stockage des annonces selon une organisation rigoureuse constituée de seize tables de stockage, et de l'enregistrement et du stockage de toutes les modifications dont la traçabilité de 100 % est assurée, les données étant indexées de façon à ce que les résultats de recherche puissent s'afficher dans des temps très courts ;
- au titre d'un investissement lié à la vérification du contenu de la base de données, les dépenses afférentes au logiciel serenity, les opérations de vérification des annonces du site leboncoin.fr étant effectuées, d'une part, une fois que l'annonce est déposée par l'annonceur, par l'intermédiaire de ce logiciel de filtrage, d'autre part, a posteriori, par une équipe chargée de la modération ;
- au titre d'un investissement lié à la présentation du contenu de la base de données, les dépenses liées à la classification des annonces, laquelle est opérée selon dix catégories qui sont ensuite divisées en sous-catégories, puis en critères de recherche spécifiques pour chaque sous-catégorie, selon une arborescence détaillée qui rassemble et organise près de vingt-huit millions d'annonces avec une moyenne de huit cent mille nouvelles annonces quotidiennes, la base étant mise à jour et en conformité par l'équipe « produits ».
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le quatrième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
14. La société Entreparticuliers.com fait encore le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que la notion d'investissement lié à l'obtention du contenu d'une base de données s'entend comme désignant les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base et ne comprend pas les moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d'une base de données ; qu'en tenant compte, au titre des investissements liés à la constitution de la sous-base de données « immobilier », des dépenses de communication consenties par la société LBC France pour inciter les consommateurs à créer leurs annonces immobilières, la cour d'appel a violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumières des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
2°/ que l'objectif du droit sui generis est de garantir une protection contre l'appropriation des résultats obtenus de l'investissement financier et professionnel consenti par la personne qui a recherché et rassemblé le contenu d'une base de données ; qu'il s'en déduit que l'acquisition d'une base de données existante ne peut s'analyser en un investissement de constitution ; qu'en tenant compte, au titre des dépenses de constitution de la sous-base de données « immobilier », de l'acquisition par la société LBC France du site de la société A vendre à louer exploitant un site d'annonce immobilières, la cour d'appel a de nouveau violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
3°/ qu'une sous-base de données n'est éligible à la protection du droit sui generis qu'autant qu'elle résulte, en elle-même d'investissements financiers, matériels et humains substantiels au sens de l'article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle ; qu'en se bornant à affirmer que les annonces immobilières constituent 10 % des annonces de la base de données de la société LBC France, de sorte qu'une partie peut être évaluée à 10 % des investissements substantiels engagés par la société LBC France pour la constitution, la vérification et la présentation du contenu de sa base de données se rapportent au contenu de la sous-base de données « immobilier », sans démontrer que la sous-base de données « immobilier » avait donné lieu à des investissements substantiels propres et autonomes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 à 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données. »
Réponse de la Cour
15. Ayant examiné les investissements réalisés au titre de la sous-base de données « immobilier » et retenu que la société LBC France justifiait avoir investi, de 2014 à 2016, une somme de plus de 4,9 millions d'euros dans les campagnes de publicité ciblées en matière immobilière, ce qui avait permis de collecter un grand nombre d'annonces immobilières créées par des internautes, avoir acquis pour un montant de 19,8 millions d'euros une société exploitant un site d'annonces immobilières en ligne, ce qui avait permis d'enrichir sa sous-base de données « immobilier », et qu'une part pouvant être évaluée à 10 % des investissements substantiels engagés pour la constitution, la vérification et la présentation de la base de données se rapportait au contenu de la sous-base de données « immobilier », la cour d'appel en a déduit à bon droit que celle-ci devait bénéficier de la protection au titre de la sous-base.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le cinquième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
17. La société Entreparticuliers.com fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a procédé à l'extraction et à la réutilisation d'une partie substantielle de la sous-base de données « immobilier » du site leboncoin.fr, d'ordonner, sous astreinte, la cessation de ces agissements, de la condamner à verser à la société LBC France la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice financier et celle de 20 000 euros en réparation de son préjudice d'image, d'ordonner une mesure de publication et de rejeter ses autres demandes, alors :
« 1°/ qu'à défaut de transfert permanent ou temporaire de données, le renvoi à une base de données par la mention d'un lien hypertexte n'excède pas la simple prestation technique d'indexation de contenus et ne saurait constituer un acte d'extraction ; qu'en décidant, au contraire, que les onglets renvoyant vers le site leboncoin.fr pour les coordonnées de l'annonceur constituaient une indexation procédant d'une extraction prohibée, la cour d'appel a violé l'article L. 342-1 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 7 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
2°/ que constitue une partie qualitativement substantielle d'une base de données les éléments extraits ou réutilisés qui, en eux-mêmes représentent, en termes d'obtention, de vérification ou de présentation, un important investissement humain, technique ou financier ; qu'en se bornant à relever, pour affirmer l'existence d'une réutilisation d'une partie qualitativement substantielle de la sous-base de données « immobilier », que cette dernière avait nécessité des investissements substantiels, sans rechercher les éléments réutilisés représentaient en eux-mêmes un investissement important, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 342-1 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 7 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données. »
Réponse de la Cour
18. La cour d'appel a retenu que les annonces immobilières du site « entreparticuliers.com » reprenaient toutes les informations relatives au bien immobilier, s'agissant de la localisation, la surface, le prix, la description et la photographie du bien, qui sont les critères essentiels des annonces du site leboncoin.fr, et qu'en exécution du contrat de pige immobilière conclu avec la société Directannonces, la société Entreparticuliers.com s'était vu transférer toutes les annonces immobilières de vente du site leboncoin.fr.
19. Sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, elle en a justement déduit que la société Entreparticuliers.com avait procédé à l'extraction et la réutilisation d'une partie qualitativement substantielle du contenu de la sous-base de données « immobilier » de la société LBC France.
20. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident qui n'est qu'éventuel, la Cour :
REJETTE le pourvoi principal ;
Condamne la société Entreparticuliers.com aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Entreparticuliers.com et la condamne à payer à la société LBC France la somme de 5 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq octobre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Entreparticuliers.com, demanderesse au pourvoi principal.
PREMIER MOYEN DE CASSATION (sur la recevabilité des demandes de la société LBC France fondées sur la sous-base de données « immobilier »)
La société Entreparticuliers.com reproche tout d'abord à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception d'irrecevabilité des demandes de la société LBC France formées sur le fondement de la sous-base « immobilier », dit que le site www.leboncoin.fr constituait une base de données dont la société LBC France était le producteur, dit que la société LBC France est producteur de la sous-base de données « immobilier » du site www.leboncoin.fr, dit que la société Entreparticuliers.com a procédé à l'extraction et à la réutilisation d'une partie substantielle de la sous-base de données « immobilier » du site www.leboncoin.fr, ordonné, sous astreinte, la cessation de ces agissements, condamné la société Entreparticuliers.com à verser à la société LBC France la somme de 50 000 € en réparation de son préjudice financier et de 20 000 € en réparation de son préjudice d'image, ordonné une mesure de publication et rejeté les autres demandes de la société Entreparticuliers.com,
1) ALORS QUE, que, si les prétentions présentées pour la première fois en cause d'appel ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, les prétentions portant sur des droits de propriété intellectuelle distincts, qui n'ont pas le même objet, ne peuvent tendre aux mêmes fins ; que la demande présentée par la société LBC France aux premiers juges tendait à se voir reconnaître un droit sui generis sur la base de données envisagée dans son entier et à en faire sanctionner la violation, tandis que la demande présentée devant la cour d'appel tendait à se voir reconnaître un droit sui generis sur la sous-base de données « immobilier » et à en faire sanctionner la violation ; qu'en affirmant néanmoins, pour rejeter l'exception d'irrecevabilité, que les demandes relatives à la sous-base tendaient aux mêmes fins que celles formulées devant le premier juge, à savoir démontrer le caractère substantiel de l'extraction opérée par la société Entreparticuliers.com, la cour d'appel a violé les articles 564 et 565 du code de procédure civile ;
2) ALORS QU' en toute hypothèse, les parties doivent, en cause d'appel, présenter, dès leurs premières conclusions, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; qu'il n'est fait exception que pour les demandes reconventionnelles et les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ; que les demandes de la société LBC France relatives à la sous-base « immobilier » ne figuraient pas dans ses premières conclusions d'appel ; qu'en retenant, pour rejeter néanmoins l'exception d'irrecevabilité, qu'elles tendaient aux mêmes fins que les demandes formulées devant le premier juge, portant sur l'ensemble de la base de données, la cour d'appel, qui a énoncé un motif inopérant, a violé l'article 910-4 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (sur la qualité de producteur de base de données de la société LBC France)
La société Entreparticuliers.com reproche ensuite à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le site www.leboncoin.fr constituait une base de données dont la société LBC France était le producteur, dit que la société LBC France est producteur de la sous-base de données « immobilier » du site www.leboncoin.fr, dit que la société Entreparticuliers.com a procédé à l'extraction et à la réutilisation d'une partie substantielle de la sous-base de données « immobilier » du site www.leboncoin.fr, ordonné, sous astreinte, la cessation de ces agissements, condamné la société Entreparticuliers.com à verser à la société LBC France la somme de 50 000 € en réparation de son préjudice financier et de 20 000 € en réparation de son préjudice d'image, ordonné une mesure de publication et rejeté les autres demandes de la société Entreparticuliers.com,
1) ALORS QUE l'article 8-1 du traité d'apport partiel d'actifs du 28 juin 2011 stipulait que « SCM France est régulièrement propriétaire ou bénéficiaire du droit d'usage des droits de propriété intellectuelle se rapportant à la branche d'activité et s'engage à consentir à LBC France une licence d'exploitation des droits de propriété intellectuelle incluant en particulier la marque "leboncoin.fr", "vendez achetez près de chez vous" et les noms de domaine "leboncoin.fr", "leboncoin.com" moyennant une contrepartie financière faisant l'objet d'un contrat distinct » ; qu'il s'en déduisait que la société SCM France s'était réservé l'ensemble des droits de propriété intellectuelle afférents à la branche d'activité apportée ; qu'en affirmant, au contraire, que cette clause ne pouvait s'analyser comme réservant à la société SCM France le bénéfice des droits sui generis du producteur de base de données, la cour d'appel en a dénaturé les stipulations claires et précises, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis ;
2) ALORS QUE, dans le cas où une base de données protégée fait l'objet d'un nouvel investissement substantiel, sa protection expire quinze ans après le 1er janvier de l'année civile suivant celle de ce nouvel investissement ; que la personne qui, sans être le producteur initial d'une base de données, consent des investissements pour l'entretenir et la renouveler, n'est pas admise à invoquer la prorogation d'une protection dont elle n'est pas investie, n'ayant pas pris l'initiative et le risque de la création ; qu'en se fondant sur l'article L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle pour affirmer le droit sui generis de la société LBC sur une base de données qu'elle n'a pas créée, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application ;
3) ALORS QUE la personne qui réalise des investissements sur une base de données dont il n'est pas le producteur initial ne peut invoquer la protection du droit sui generis qu'en démontrant qu'il en est résulté une nouvelle base de données éligible à la protection du droit sui generis sur les bases de données ; qu'en reconnaissant à la société LBC France la qualité de producteur de la base de données litigieuse, sans rechercher si les investissements qu'elle avait consentis depuis le traité d'apport partiel d'actifs du 28 juin 2011 avaient abouti à la constitution d'une nouvelle base de données éligible, en elle-même, à la protection légale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
4) ALORS QU' en toute hypothèse, la personne qui réalise des investissements sur une base de données existante ne peut invoquer une durée de protection propre qu'en démontrant que ces investissements sont substantiels et qu'il en est résulté une modification substantielle de la base de données initiale ; qu'en reconnaissant à la société LBC France la qualité de producteur de la base de données litigieuse, sans rechercher si les investissements qu'elle avait consentis depuis le traité d'apport partiel d'actifs du 28 juin 2011 avaient conduit à une modification substantielle de la base de données initiale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (sur les investissements liés à la constitution, à la vérification et à la présentation de la base de données)
La société Entreparticuliers.com reproche encore à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le site www.leboncoin.fr constituait une base de données dont la société LBC France était le producteur, dit que la société LBC France est producteur de la sous-base de données « immobilier » du site www.leboncoin.fr, dit que la société Entreparticuliers.com a procédé à l'extraction et à la réutilisation d'une partie substantielle de la sous-base de données « immobilier » du site www.leboncoin.fr, ordonné, sous astreinte, la cessation de ces agissements, condamné la société Entreparticuliers.com à verser à la société LBC France la somme de 50 000 € en réparation de son préjudice financier et de 20 000 € en réparation de son préjudice d'image, ordonné une mesure de publication et rejeté les autres demandes de la société Entreparticuliers.com,
1) ALORS QUE la notion d'investissement lié à l'obtention du contenu d'une base de données s'entend comme désignant les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base et ne comprend pas les moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d'une base de données ; qu'en tenant compte, au titre des investissements liés à la constitution de la base de données, des dépenses de communication consenties par la société LBC France pour inciter les consommateurs à créer leurs annonces, la cour d'appel a violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
2) ALORS QUE la notion d'investissement lié à l'obtention du contenu d'une base de données s'entend comme désignant les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base et ne comprend pas les moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d'une base de données ; qu'en tenant compte, au titre des investissements liés à la constitution de la base de données, des dépenses de stockage consenties par la société LBC France, la cour d'appel a de nouveau violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
3) ALORS QUE la notion d'investissement lié à la vérification du contenu de la base de données doit être comprise comme visant les moyens consacrés, en vue d'assurer la fiabilité de l'information contenue dans ladite base, au contrôle de l'exactitude des éléments recherchés, lors de la constitution de cette base ainsi que pendant la période de fonctionnement de celle-ci ; que les moyens consacrés à des opérations de vérification au cours de la phase de création de données ou d'autres éléments par la suite rassemblés dans une base constituent, en revanche, des moyens relatifs à cette création et ne peuvent dès lors être pris en compte aux fins d'apprécier l'existence d'un investissement substantiel ; qu'en retenant, au titre des dépenses engagées par la société LBC France pour la vérification des données, les coûts salariaux afférents à l'équipe « serenity », bien que la vérification opérée par le logiciel « serenity » intervienne au stade de la création des données, la cour d'appel a violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
4) ALORS QUE la notion d'investissement lié à la vérification du contenu de la base de données doit être comprise comme visant les moyens consacrés au contrôle de l'exactitude des données ; qu'acceptant de prendre en considération les coûts salariaux des équipes « serenity » et « fraude et modération » sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le contrôle qu'elles opéraient sur les annonces des internautes n'était pas limité à la détection des fraudes et illégalités, à l'exclusion de l'exactitude des informations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
5) ALORS QUE la notion d'investissement dans la présentation du contenu de la base de données comprend les moyens visant à conférer à ladite base sa fonction de traitement de l'information, à savoir ceux consacrés à la disposition systématique ou méthodique des éléments contenus dans cette base ainsi qu'à l'organisation de leur accessibilité individuelle, en dehors de la création des données ; qu'en acceptant de prendre en considération les dépenses liées à la classification des annonces des internautes et à l'organisation du site internet www.leboncoin.fr en arborescence, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si une telle présentation n'était pas étroitement liée à la création même des annonces des internautes, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION (sur le caractère protégeable de la sous-base de données « immobilier »)
La société Entreparticuliers.com reproche encore à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la société LBC France est producteur de la sous-base de données « immobilier » du site www.leboncoin.fr, dit que la société Entreparticuliers.com a procédé à l'extraction et à la réutilisation d'une partie substantielle de la sous-base de données « immobilier » du site www.leboncoin.fr, ordonné, sous astreinte, la cessation de ces agissements, condamné la société Entreparticuliers.com à verser à la société LBC France la somme de 50 000 € en réparation de son préjudice financier et de 20 000 € en réparation de son préjudice d'image, ordonné une mesure de publication et rejeté les autres demandes de la société Entreparticuliers.com,
1) ALORS QUE la notion d'investissement lié à l'obtention du contenu d'une base de données s'entend comme désignant les moyens consacrés à la recherche d'éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base et ne comprend pas les moyens mis en oeuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d'une base de données ; qu'en tenant compte, au titre des investissements liés à la constitution de la sous-base de données « immobilier », des dépenses de communication consenties par la société LBC France pour inciter les consommateurs à créer leurs annonces immobilières, la cour d'appel a violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumières des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
2) ALORS QUE l'objectif du droit sui generis est de garantir une protection contre l'appropriation des résultats obtenus de l'investissement financier et professionnel consenti par la personne qui a recherché et rassemblé le contenu d'une base de données ; qu'il s'en déduit que l'acquisition d'une base de données existante ne peut s'analyser en un investissement de constitution ; qu'en tenant compte, au titre des dépenses de constitution de la sous-base de données « immobilier », de l'acquisition par la société LBC France du site de la société A vendre à louer exploitant un site d'annonce immobilières, la cour d'appel a de nouveau violé les articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 et 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
3) ALORS QU' une sous-base de données n'est éligible à la protection du droit sui generis qu'autant qu'elle résulte, en elle-même d'investissements financiers, matériels et humains substantiels au sens de l'article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle ; qu'en se bornant à affirmer que les annonces immobilières constituent 10% des annonces de la base de données de la société LBC France, de sorte qu'une partie peut être évaluée à 10% des investissements substantiels engagés par la société LBC France pour la constitution, la vérification et la présentation du contenu de sa base de données se rapportent au contenu de la sous-base de données "immobilier", sans démontrer que la sous-base de données « immobilier » avait donné lieu à des investissements substantiels propres et autonomes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 341-1 et L. 342-5 du code de la propriété intellectuelle, interprétés à la lumière des articles 7 à 10 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données.
CINQUIEME MOYEN DE CASSATION (sur l'extraction et la réutilisation de la sous-base de données « immobilier »)
La société Entreparticuliers.com reproche enfin à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la société Entreparticuliers.com a procédé à l'extraction et à la réutilisation d'une partie substantielle de la sous-base de données « immobilier » du site www.leboncoin.fr, ordonné, sous astreinte, la cessation de ces agissements, condamné la société Entreparticuliers.com à verser à la société LBC France la somme de 50 000 € en réparation de son préjudice financier et de 20 000 € en réparation de son préjudice d'image, ordonné une mesure de publication et rejeté les autres demandes de la société Entreparticuliers.com,
1) ALORS QU' à défaut de transfert permanent ou temporaire de données, le renvoi à une base de données par la mention d'un lien hypertexte n'excède pas la simple prestation technique d'indexation de contenus et ne saurait constituer un acte d'extraction ; qu'en décidant, au contraire, que les onglets renvoyant vers le site leboncoin.fr pour les coordonnées de l'annonceur constituaient une indexation procédant d'une extraction prohibée, la cour d'appel a violé l'article L. 342-1 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 7 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données ;
2) ALORS QUE constitue une partie qualitativement substantielle d'une base de données les éléments extraits ou réutilisés qui, en eux-mêmes représentent, en termes d'obtention, de vérification ou de présentation, un important investissement humain, technique ou financier ; qu'en se bornant à relever, pour affirmer l'existence d'une réutilisation d'une partie qualitativement substantielle de la sous-base de données « immobilier », que cette dernière avait nécessité des investissements substantiels, sans rechercher les éléments réutilisés représentaient en eux-mêmes un investissement important, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 342-1 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 7 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données.
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CASS/JURITEXT000046480896.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 20 octobre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1071 F-B
Pourvoi n° N 21-15.942
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 OCTOBRE 2022
Mme [E] [F], épouse [G], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 21-15.942 contre l'arrêt rendu le 18 février 2021 par la cour d'appel de Versailles (2e chambre, 1re section), dans le litige l'opposant à M. [R] [G], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [F] épouse [G], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [G], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 février 2021) et les productions, M. [G] a relevé appel, le 2 mars 2020, d'un jugement rendu le 19 décembre 2019 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Versailles dans un litige l'opposant à Mme [G] quant au divorce des époux et aux conséquences en résultant.
2. M. [G] a signifié ses premières conclusions d'appelant à Mme [G], alors non constituée, le 11 juin 2020.
3. Le 11 septembre 2020, Mme [G] a déposé ses premières conclusions d'intimée contenant appel incident, devant la 2ème chambre 1ère section de la cour d'appel.
4. Mme [G] a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant déclaré d'office irrecevables toutes conclusions que pourrait déposer l'intimée postérieurement au 11 septembre 2020.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Mme [G] fait grief à l'arrêt de rejeter le déféré formé contre l'ordonnance du conseiller de la mise en état, alors « que les conclusions exigées par l'article 909 du code de procédure civile sont celles, adressées à la cour d'appel, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ce texte et qui déterminent l'objet du litige ; qu'en jugeant qu'elle n'était pas saisie des conclusions d'intimée contenant appel incident de Mme [F] du 11 septembre 2020, motif pris de ce que le dispositif de ces conclusions mentionnait « il est demandé à Madame ou Monsieur le conseiller de la mise en état », quand lesdites conclusions, contenant une demande de réformation partielle du jugement entrepris, ainsi que des prétentions et des moyens sur le fond, déterminaient l'objet du litige et avaient été transmises à la cour d'appel par la voie du RPVA dans le délai de trois mois suivant la notification des conclusions de l'appelant, de sorte qu'elle en était bien saisie en dépit de la référence erronée au conseiller de la mise en état, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition que celle-ci ne comporte pas, a violé les articles 909 et 910-1 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 910-1 du code de procédure civile :
6. Aux termes de ce texte, les conclusions exigées par les articles 905-2 et 908 à 910 sont celles, adressées à la cour, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ces textes et qui déterminent l'objet du litige.
7. Pour déclarer d'office irrecevables toutes conclusions que pourrait déposer l'intimée postérieurement au 11 septembre 2020, l'arrêt retient qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, seul le dispositif des conclusions doit être pris en considération, que (le dispositif des) conclusions signifiées par l'intimée, qui mentionne « il est demandé au conseiller de la mise en état », est adressé au conseiller de la mise en état, et que l'indication « plaise à la cour », dans le corps des écritures, ne peut permettre de le corriger, de sorte que, les règles de procédure civile étant édictées afin de garantir aux parties, dans un cadre de sécurité juridique, un procès équitable, les conclusions de l'intimée du 11 septembre 2020 ne saisissent pas la cour d'appel et, le délai pour conclure n'ayant pas été suspendu, l'intimée n'a pas conclu dans le délai qui lui était imparti.
8. En statuant ainsi, alors que les conclusions au fond de Mme [G] contenaient une demande de réformation partielle du jugement ainsi que des prétentions et moyens sur le fond, et lui avaient été transmises par le RPVA, selon les exigences requises, la cour d'appel, qui en était saisie quand bien même elles comportaient une référence erronée au conseiller de la mise en état, et qui ne pouvait que les déclarer recevables, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [G] et le condamne à payer à Mme [F] épouse [G] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme [F] épouse [G]
Mme [F] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré infondé et rejeté le déféré qu'elle avait formé à l'encontre d'une ordonnance du conseiller de la mise en état du 13 octobre 2020 qui avait déclaré irrecevables toutes conclusions qu'elle pourrait déposer postérieurement au 11 septembre 2020 ;
1°) ALORS QUE les conclusions exigées par l'article 909 du code de procédure civile sont celles, adressées à la cour d'appel, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ce texte et qui déterminent l'objet du litige ; qu'en jugeant qu'elle n'était pas saisie des conclusions d'intimée contenant appel incident de Mme [F] du 11 septembre 2020, motif pris de ce que le dispositif de ces conclusions mentionnait « il est demandé à Madame ou Monsieur le conseiller de la mise en état », quand lesdites conclusions, contenant une demande de réformation partielle du jugement entrepris, ainsi que des prétentions et des moyens sur le fond, déterminaient l'objet du litige et avaient été transmises à la cour d'appel par la voie du RPVA dans le délai de trois mois suivant la notification des conclusions de l'appelant, de sorte qu'elle en était bien saisie en dépit de la référence erronée au conseiller de la mise en état, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition que celle-ci ne comporte pas, a violé les articles 909 et 910-1 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE si la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion, aucune règle de droit ne détermine le lieu où doit figurer la désignation de la juridiction saisie ; qu'en conséquence, en cas de discordance dans la rédaction des conclusions sur la nature de la juridiction saisie, dans celles-ci, il appartient au juge de prendre en compte l'ensemble de leurs mentions, ainsi que la nature des moyens et prétentions formulés, afin de déterminer quelle a été la volonté de leur auteur ; qu'en refusant de procéder à cette recherche, au motif que seul le dispositif des conclusions doit être pris en considération pour déterminer la juridiction saisie, la cour d'appel a violé les articles 12 et 954 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, sanctionner par une irrecevabilité l'irrégularité consistant pour l'intimé à avoir adressé, par une mention dans le dispositif, ses conclusions au fond déposées dans le délai de l'article 909 du code de procédure civile au conseiller de la mise en état et non à la cour d'appel, porte une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge d'appel ; qu'en se fondant sur le fait que les conclusions d'intimée contenant appel incident de Mme [F] du 11 septembre 2020 mentionnaient, dans leur dispositif, « il est demandé à Madame ou Monsieur le conseiller de la mise en état » pour estimer qu'elle n'en était pas saisie, en déduire que l'intimée n'avait pas conclu dans le délai imparti par l'article 909 et déclarer irrecevables toutes conclusions qui pourraient être déposées postérieurement au 11 septembre 2020, la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif, en violation de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
4°) ALORS QU'en toute hypothèse, le droit à un procès équitable exclut l'application immédiate d'une règle de procédure, qui résulte d'une interprétation nouvelle des articles 909 et 954 du code de procédure civile, à une instance introduite par une déclaration d'appel antérieure à sa formulation dans un arrêt publié de la Cour de cassation ; qu'en se fondant sur le fait que les conclusions d'intimée contenant appel incident de Mme [F] du 11 septembre 2020 mentionnaient, dans leur dispositif, « il est demandé à Madame ou Monsieur le conseiller de la mise en état » pour estimer qu'elle n'en était pas saisie, en déduire que l'intimée n'avait pas conclu dans le délai imparti par l'article 909 et déclarer irrecevables toutes conclusions qui pourraient être déposées postérieurement au 11 septembre 2020, la cour d'appel a fait application d'une sanction, résultant d'une interprétation nouvelle des articles susvisés, n'ayant jamais été formulée dans un arrêt publié de la Cour de cassation, et a ainsi violé l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
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CASS/JURITEXT000046727208.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 décembre 2022
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1280 FS-B
Pourvoi n° J 21-12.696
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
Mme [U] [N], en qualité d'inspectrice du travail de la section 03-09 de l'unité de contrôle 03 Lille-Est de la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (Ddets) du Nord de la Dreets des Hauts de France, anciennement dénommée Direccte des Hauts de Fance section 03-09 Lille-Est de l'unité départementale Nord-Lille, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 21-12.696 contre l'arrêt rendu le 18 décembre 2020 par la cour d'appel de Douai, dans le litige l'opposant à l'association Aide à domicile aux retraités Flandre-Métropole, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
L'association Aide à domicile aux retraités Flandre-Métropole a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lacquemant, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [N], ès qualités, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de l'association Aide à domicile aux retraités Flandre-Métropole, la plaidoirie de Me Pinatel, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Lacquemant, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, M. Pion, Mmes Van Ruymbeke, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, M. Chiron, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 18 décembre 2020), l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle n° 3 Nord-Lille de la Direction régionale des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts de France a saisi le juge des référés d'un tribunal judiciaire aux fins de voir ordonner à l'association Aide à domicile aux retraités Flandre Métropole (l'association) de mettre en oeuvre des mesures ayant pour objet la limitation au niveau le plus bas possible du nombre de travailleurs exposés, ou susceptibles de l'être, au risque biologique lié au Covid-19.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident, qui est préalable
Enoncé du moyen
2. L'association fait grief à l'arrêt de déclarer l'inspectrice du travail recevable en son action exercée sur le fondement de l'article L. 4732-1 du code du travail, alors :
« 1°/ que l'inspecteur du travail peut saisir le juge judiciaire statuant en référé pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque lorsqu'il constate un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique d'un travailleur résultant de l'inobservation des dispositions ainsi que des textes pris pour leur application du livre IV ; que selon l'article L. 4421-1 du code du travail, les règles de prévention des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs exposés à des agents biologiques concernées par le livre IV sont déterminées par décret en Conseil d'Etat ; que selon l'article R. 4421-1 du code du travail, les dispositions spécifiques du titre II intitulé ''Prévention des risques biologiques'' figurant dans le livre IV relatif à la ''Prévention de certains risques d'exposition'' de la quatrième partie du code du travail sont applicables dans les établissements dans lesquels la nature de l'activité peut conduire à exposer les travailleurs à des agents biologiques ; qu'en jugeant Mme [N], inspectrice du travail, recevable en son action fondée sur les dispositions spécifiques du titre II intitulé ''Prévention des risques biologiques'' figurant dans le livre IV relatif à la ''Prévention de certains risques d'exposition'' de la quatrième partie du code du travail à l'encontre d'une association d'aide à domicile qui relève des dispositions du livre II de la septième partie du code du travail relatives aux activités de service à la personne, la cour d'appel a violé les articles L. 4732-1, L. 4421-1 et R. 4421-1 du code du travail par fausse application ;
2°/ que l'inspecteur du travail peut saisir le juge judiciaire statuant en référé pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque lorsqu'il constate un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique d'un travailleur résultant de l'inobservation des dispositions ainsi que des textes pris pour leur application du livre IV ; que selon l'article L. 4421-1 du code du travail, les règles de prévention des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs exposés à des agents biologiques concernées par le livre IV sont déterminées par décret en Conseil d'Etat ; que selon l'article R. 4421-1 du code du travail, les dispositions spécifiques du titre II intitulé ''Prévention des risques biologiques'' figurant dans le livre IV relatif à la ''Prévention de certains risques d'exposition'' de la quatrième partie du code du travail ne sont pas applicables lorsque l'activité, bien qu'elle puisse conduire à exposer des travailleurs, n'implique pas normalement l'utilisation délibérée d'un agent biologique et que l'évaluation des risques prévue au chapitre III ne met pas en évidence de risque spécifique ; qu'en jugeant, pour dire recevable l'action de Mme [N], inspectrice du travail, que l'activité d'aide à domicile n'implique pas effectivement l'usage délibérée d'un agent biologique mais que l'extrait du document unique d'évaluation des risques professionnels produit par Mme [N] identifie un risque biologique spécifique lié à l'intervention à domicile pendant une épidémie ou une pandémie et le classifie en risque mortel, la cour d'appel a violé les articles L. 4732-1, L. 4421-1 et R. 4421-1 ainsi que les articles R. 4423-1 à R. 4423-4 du code du travail par fausse application ;
3°/ que l'inspecteur du travail peut saisir le juge judiciaire statuant en référé pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque lorsqu'il constate un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique d'un travailleur résultant de l'inobservation des dispositions ainsi que des textes pris pour leur application du livre IV ; que selon l'article L. 4421-1 du code du travail, les règles de prévention des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs exposés à des agents biologiques concernées par le livre IV sont déterminées par décret en Conseil d'Etat ; que selon les articles R. 4421-3 et R. 4421-4 du code du travail du titre II intitulé ''Prévention des risques biologiques'' figurant dans le livre IV relatif à la ''Prévention de certains risques d'exposition'' de la quatrième partie du code du travail, les agents biologiques sont classés en quatre groupes en fonction du risque d'infection qu'ils présentent et sont considérés comme agents biologiques pathogènes les agents biologiques des groupes 2, 3 et 4 dont la liste est fixée par arrêté ; que l'arrêté du 27 décembre 2017 fixant la liste de ces agents biologiques pathogènes est intitulé ''Arrêté du 27 décembre 2017 relatif à la liste des agents biologiques pathogènes et aux mesures de prévention à mettre en oeuvre dans les laboratoires où les travailleurs sont susceptibles d'être exposés à des agents biologiques pathogènes'' ; qu'en jugeant, pour dire recevable l'action de Mme [N], inspectrice du travail, que cet arrêté, qui concerne uniquement les laboratoires, est applicable à l'activité d'aide à domicile, la cour d'appel a violé les articles L. 4421-1, R. 4421-3 et R. 4421-4 du code du travail ainsi que l'arrêté du 27 décembre 2017 par fausse application ».
Réponse de la Cour
3. Aux termes de l'article L. 4111-1, alinéa 1, du code du travail, sous réserve des exceptions prévues à l'article L. 4111-4, les dispositions de la quatrième partie du code du travail sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'aux travailleurs.
4. Selon l'article L. 4732-1 du même code, l'inspecteur du travail, lorsqu'il constate un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité d'un travailleur résultant de l'inobservation des dispositions du livre IV de la quatrième partie du code du travail, peut saisir le juge des référés pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque.
5. Aux termes de l'article R. 4421-1 du même code, les dispositions relatives aux risques biologiques sont applicables dans les établissements dans lesquels la nature de l'activité peut conduire à exposer les travailleurs à des agents biologiques. Toutefois, les dispositions des articles R. 4424-2, R. 4424-3, R. 4424-7 à R. 4424-10, R. 4425-6 et R. 4425-7 ne sont pas applicables lorsque l'activité, bien qu'elle puisse conduire à exposer des travailleurs, n'implique pas normalement l'utilisation délibérée d'un agent biologique et que l'évaluation des risques prévue au chapitre III ne met pas en évidence de risque spécifique.
6. Selon l'article R. 4421-4 du même code, sont considérés comme agents biologiques pathogènes les agents biologiques des groupes 2, 3 et 4, dont la liste est fixée par arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de l'agriculture et de la santé.
7. Il résulte du premier de ces textes que toute personne morale ou entreprise individuelle qui exerce une activité de service à la personne, en sa qualité d'employeur de droit privé, est soumise aux dispositions relatives à la prévention des risques biologiques.
8. La cour d'appel, après avoir constaté, d'une part, que l'activité d'aide à domicile pouvait conduire à exposer les salariés qui exécutent les prestations au domicile des clients, dont on ignore s'ils sont contaminés, à des agents biologiques et actuellement au Covid-19, d'autre part, que le document unique d'évaluation des risques professionnels établi par l'employeur identifiait un risque biologique spécifique lié à l'intervention à domicile pendant une pandémie ou une épidémie en le classifiant de risque mortel et permettait d'écarter l'exception prévue à l'alinéa 2 de l'article R. 4421-1, enfin, que l'objet de l'arrêté du 27 décembre 2017 était, non seulement de fixer les règles de confinement applicables aux laboratoires, mais aussi d'actualiser la liste des agents pathogènes prévue par l'arrêté du 18 juillet 1994 pris en application de l'article R. 4421-4 du code du travail, a, à bon droit, décidé que les dispositions relatives à la prévention des risques biologiques étaient applicables au sein de l'association et déclaré recevable l'action engagée par l'inspectrice du travail.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen du pourvoi principal, ci-après annexé
10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois, tant principal qu'incident ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme [N], ès qualités, demanderesse au pourvoi principal
Mme l'inspectrice du travail de la section 03-09 [Localité 3] Est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit n'y avoir lieu à statuer sur le surplus de ses demandes.
1° ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; qu'en refusant de statuer sur les prétentions de Mme l'inspectrice du travail en raison de leur caractère imprécis, quand, d'une part, celle-ci demandait à ce que soient ordonnées des mesures concrètes et, d'autre part, l'employeur convenait que les équipements de protection individuelle en débat étaient les masques FFP2 ou FFP3, ce dont il résultait que les prétentions étaient suffisamment détaillées pour permettre aux juges de statuer, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile.
2° ALORS QUE le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ; qu'en déclarant que l'imprécision des prétentions de Mme l'inspectrice du travail constituait un obstacle à l'application de la loi, quand il était tenu de se prononcer sur les mesures de protection des salariés de l'association Adar sollicitées, la cour d'appel a commis un déni de justice en violation de l'article 4 du code civil.
3° ALORS subsidiairement QU'aux termes de l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en retenant que les mesures sollicitées de Madame l'inspectrice du travail étaient insuffisamment précises et que pour ce seul motif, il convenait de les rejeter, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16, alinéas 1 et 3, du code de procédure civile.
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour l'association Aide à domicile aux retraités Flandre-Métropole, demanderesse au pourvoi incident
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré Mme [N], inspectrice du travail, recevable en son action exercée sur le fondement de l'article L. 4732-1 du code du travail,
1°) ALORS QUE l'inspecteur du travail peut saisir le juge judiciaire statuant en référé pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque lorsqu'il constate un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique d'un travailleur résultant de l'inobservation des dispositions ainsi que des textes pris pour leur application du livre IV ; que selon l'article L. 4421-1 du code du travail, les règles de prévention des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs exposés à des agents biologiques concernées par le livre IV sont déterminées par décret en Conseil d'Etat ; que selon l'article R. 4421-1 du code du travail, les dispositions spécifiques du titre II intitulé « Prévention des risques biologiques » figurant dans le livre IV relatif à la « Prévention de certains risques d'exposition » de la quatrième partie du code du travail sont applicables dans les établissements dans lesquels la nature de l'activité peut conduire à exposer les travailleurs à des agents biologiques ; qu'en jugeant Mme [N], inspectrice du travail, recevable en son action fondée sur les dispositions spécifiques du titre II intitulé « Prévention des risques biologiques » figurant dans le livre IV relatif à la « Prévention de certains risques d'exposition » de la quatrième partie du code du travail à l'encontre d'une association d'aide à domicile qui relève des dispositions du livre II de la septième partie du code du travail relatives aux activités de sevice à la personne, la cour d'appel a violé les articles L. 4732-1, L. 4421-1 et R. 4421-1 du code du travail par fausse application.
2°) ALORS (subsidiairement) QUE l'inspecteur du travail peut saisir le juge judiciaire statuant en référé pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque lorsqu'il constate un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique d'un travailleur résultant de l'inobservation des dispositions ainsi que des textes pris pour leur application du livre IV ; que selon l'article L. 4421-1 du code du travail, les règles de prévention des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs exposés à des agents biologiques concernées par le livre IV sont déterminées par décret en Conseil d'Etat ; que selon l'article R. 4421-1 du code du travail, les dispositions spécifiques du titre II intitulé « Prévention des risques biologiques » figurant dans le livre IV relatif à la « Prévention de certains risques d'exposition » de la quatrième partie du code du travail ne sont pas applicables lorsque l'activité, bien qu'elle puisse conduire à exposer des travailleurs, n'implique pas normalement l'utilisation délibérée d'un agent biologique et que l'évaluation des risques prévue au chapitre III ne met pas en évidence de risque spécifique ; qu'en jugeant, pour dire recevable l'action de Mme [N], inspectrice du travail, que l'activité d'aide à domicile n'implique pas effectivement l'usage délibérée d'un agent biologique mais que l'extrait du document unique d'évaluation des risques professionnels produit par Mme [N] identifie un risque biologique spécifique lié à l'intervention à domicile pendant une épidémie ou une pandémie et le classifie en risque mortel, la cour d'appel a violé les articles L. 4732-1, L. 4421-1 et R. 4421-1 ainsi que les articles R. 4423-1 à R. 4423-4 du code du travail par fausse application.
3°) ALORS QUE l'inspecteur du travail peut saisir le juge judiciaire statuant en référé pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque lorsqu'il constate un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique d'un travailleur résultant de l'inobservation des dispositions ainsi que des textes pris pour leur application du livre IV ; que selon l'article L. 4421-1 du code du travail, les règles de prévention des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs exposés à des agents biologiques concernées par le livre IV sont déterminées par décret en Conseil d'Etat ; que selon les article R. 4421-3 et R. 4421-4 du code du travail du titre II intitulé « Prévention des risques biologiques » figurant dans le livre IV relatif à la « Prévention de certains risques d'exposition » de la quatrième partie du code du travail, les agents biologiques sont classés en quatre groupes en fonction du risque d'infection qu'ils présentent et sont considérés comme agents biologiques pathogènes les agents biologiques des groupes 2, 3 et 4 dont la liste est fixée par arrêté ; que l'arrêté du 27 décembre 2017 fixant la liste de ces agents biologiques pathogènes est intitulé « Arrêté du 27 décembre 2017 relatif à la liste des agents biologiques pathogènes et aux mesures de prévention à mettre en oeuvre dans les laboratoires où les travailleurs sont susceptibles d'être exposés à des agents biologiques pathogènes » ; qu'en jugeant, pour dire recevable l'action de Mme [N], inspectrice du travail, que cet arrêté, qui concerne uniquement les laboratoires, est applicable à l'activité d'aide à domicile, la cour d'appel a violé les articles L. 4421-1, R. 4421-3 et R. 4421-4 du code du travail ainsi que l'arrêté du 27 décembre 2017 par fausse application.
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CASS/JURITEXT000046727214.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 décembre 2022
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1325 F-B
Pourvoi n° G 21-16.996
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
La société Compagnie armoricaine de transports, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 9], prise en ses établissements d'Ile-et-Vilaine situés [Adresse 4] et [Adresse 3], a formé le pourvoi n° G 21-16.996 contre le jugement rendu, selon procédure accélérée au fond, le 7 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Rennes, dans le litige l'opposant :
1°/ au comité social et économique de l'établissement Transdev CAT 35, dont le siège est [Adresse 4], et [Adresse 3],
2°/ à M. [X] [B], domicilié [Adresse 10],
3°/ à M. [A] [H], domicilié [Adresse 11],
4°/ à Mme [V] [D], domiciliée [Adresse 12],
5°/ à Mme [I] [C], domiciliée [Adresse 8],
6°/ à M. [T] [E], domicilié [Adresse 2],
7°/ à M. [W] [R], domicilié [Adresse 1],
8°/ à M. [M] [Z], domicilié [Adresse 5],
9°/ à Mme [J] [G], domiciliée [Adresse 7],
10°/ à la société Physiofirm, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 6],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Compagnie armoricaine de transports, de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat du comité social et économique de l'établissement Transdev CAT 35, de la société Physiofirm, après débats en l'audience publique du 19 octobre 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Rennes, 7 mai 2021), statuant selon la procédure accélérée au fond, par acte du 5 février 2021, la société Compagnie armoricaine de transport (CAT) (la société) a sollicité, à titre principal, l'annulation de la délibération du comité social et économique de l'établissement de [Localité 13], datée du 7 janvier 2021, décidant du recours à une expertise pour risque grave et, à titre subsidiaire, la réduction du coût prévisionnel, de l'étendue et de la durée de cette expertise.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première à cinquième branches, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa sixième branche
Enoncé du moyen
3. La société fait grief au jugement de « rejeter ses demandes comme étant irrecevables », alors « que le point de départ du délai de 10 jours pendant lequel l'employeur peut contester le coût prévisionnel, l'étendue ou la durée de l'expertise votée par le comité social et économique court à compter de la notification par l'expert désigné du dernier cahier des charges établi par ses soins ; qu'en l'espèce, il était constant qu'après avoir transmis une première lettre de mission le 17 janvier 2021, la société Physiofirm avait adressé un cahier des charges rectifié le 26 janvier 2021, dans lequel l'expert réduisait la durée prévisionnelle de son intervention de 39,5 jours à 39 jours et le coût prévisionnel de la somme de 71 100 euros TTC à la somme de 63 180 euros TTC ; qu'en jugeant que l'exposante était forclose et que sa demande visant à contester le coût prévisionnel, l'étendue et la durée de l'expertise devait être déclarée irrecevable, motif pris qu'elle n'avait introduit l'instance que par assignation du 5 février [2021], et que le délai de 10 jours avait commencé à courir dès le 17 janvier 2021, le tribunal a violé les articles L. 2315-86 et R. 2315-49 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 2315-86, alinéa 1, 3°, et R. 2315-49 du code du travail :
4. Selon le premier de ces textes, sauf dans le cas prévu à l'article L. 1233-35-1, l'employeur saisit le juge judiciaire dans un délai fixé par décret en Conseil d'État de la notification à l'employeur du cahier des charges et des informations prévues à l'article L. 2315-81-1 s'il entend contester le coût prévisionnel, l'étendue ou la durée de l'expertise.
5. Aux termes de l'article R. 2315-49 du code du travail, pour chacun des cas de recours prévus à l'article L. 2315-86, l'employeur saisit le juge dans un délai de dix jours.
6. Pour rejeter la contestation du coût prévisionnel, de l'étendue et de la durée de l'expertise, le jugement retient que plus de dix jours se sont écoulés entre la notification faite par l'expert du coût prévisionnel, de l'étendue et de la durée de l'expertise, le 17 janvier 2021, et la délivrance de l'assignation, le 5 février suivant, et que c'est à tort que la société affirme que le délai de forclusion n'aurait commencé à courir qu'à compter de la notification de la seconde proposition tarifaire de l'expert, allégation non fondée en droit qui se heurte aux dispositions des articles L. 2315-86 et R. 2315-49 du code du travail en ce qu'aucun cas de prorogation du délai pour agir n'a été envisagé par le pouvoir normatif.
7. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que l'expert avait notifié à la société un nouveau coût prévisionnel le 26 janvier 2021, en sorte que le délai de contestation de dix jours a couru à compter de cette date et que, la saisine du tribunal ayant eu lieu le 5 février suivant, l'action en contestation du coût prévisionnel, de l'étendue et de la durée de l'expertise était recevable, le tribunal a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
8. Le moyen, pris en sa sixième branche, ne formulant aucune critique contre les motifs du jugement fondant le chef du dispositif déclarant irrecevable la contestation par la société de la validité de l'expertise ordonnée par le comité social et économique de l'établissement de Rennes, la cassation ne peut s'étendre à cette disposition du jugement.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il « rejette comme étant irrecevable » la contestation par la société Compagnie armoricaine de transport (CAT) de la validité de l'expertise ordonnée par délibération en date du 7 janvier 2021 du comité social et économique de l'établissement de [Localité 13], le jugement rendu le 7 mai 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Rennes ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Saint-Malo ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Compagnie armoricaine de transports
La société CAT FAIT GRIEF au jugement attaqué d'AVOIR rejeté ses demandes comme étant irrecevables ;
1°) ALORS QUE les juges ne peuvent dénaturer les termes du litige, lesquels sont fixés par les prétentions respectives des parties ; qu'en l'espèce, pour conclure à l'irrecevabilité des demandes formulées par la société CAT, le Comité Social et Economique se bornait à prétendre que l'assignation avait été délivrée au-delà du délai légal de dix jours pour former les contestations qu'elle élevait ; que la société Physiofirm alléguait quant à elle que l'assignation était nulle en raison de modalités de comparution prétendument erronées et que la signification de l'assignation était elle-même nulle pour ne pas avoir été effectuée dans les formes requises ; qu'aucune des parties ne reprochait à la société CAT de ne pas avoir soulevé son moyen tiré de la fraude dès l'assignation ; que dès lors, en rejetant les demandes de la société CAT comme étant irrecevables, au motif qu'elle n'avait pas fait état de la fraude qu'elle invoquait dès le stade de son assignation, le Tribunal a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) ALORS en tout état de cause QUE le juge doit respecter le contradictoire ; qu'en soulevant d'office le moyen pris de ce que la fraude n'avait pas été invoquée dès l'assignation, le Tribunal a violé l'article 16 du Code de procédure civile.
3°) ALORS QUE s'il incombe au demandeur d'exposer l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder sa demande avant qu'il ne soit statué sur celle-ci, il peut les présenter, dans le cadre de conclusions récapitulatives, même s'il n'en avait pas fait état au stade de son assignation ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions récapitulatives, auxquelles le tribunal a expressément renvoyé « pour plus ample informé de l'exposé des moyens et des prétentions des parties », la société CAT faisait valoir qu'aucune forclusion ne pouvait lui être opposée dans la mesure où la délibération litigieuse du 7 janvier 2021 avait été prise de manière frauduleuse (jugement p. 4) ; qu'en s'abstenant de se prononcer sur le moyen tiré de la fraude invoquée par la société CAT au motif que ce moyen n'était pas contenu dans l'assignation, le Tribunal a violé l'article 1351, devenu 1355, du code civil ;
4°) ALORS QUE la fraude corrompt tout et que les faits et actes consécutifs à une manoeuvre frauduleuse sont dépourvus d'effet ; qu'en affirmant que même à supposer la délibération litigieuse entachée de fraude, l'exposante avait agi tardivement après en avoir pris connaissance, ainsi qu'après avoir reçu la lettre de mission de l'expert, et en lui reprochant d'avoir fait une contre-proposition au cabinet d'expertise plutôt que de saisir immédiatement le tribunal judiciaire, quand le caractère frauduleux de la délibération empêchait qu'un quelconque fait ou acte consécutif à celle-ci puisse faire courir le délai de 10 jours prévu à l'article R. 2315-49 du Code du travail, la Cour d'appel a violé le principe selon lequel la fraude corrompt tout, ensemble les articles L. 2315-86 et R. 2315-49 du Code du travail ;
5°) ALORS QUE les juges ne peuvent dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions récapitulatives, auxquelles le tribunal a expressément renvoyé « pour plus ample informé de l'exposé des moyens et des prétentions des parties », la société CAT faisait valoir qu'elle n'avait pas saisi le Président du Tribunal Judiciaire d'une contestation immédiatement après la réception de la première proposition de mission, du fait que « les justiciables sont encouragés à régler amiablement les litiges qui les opposent et à rechercher en toute circonstance la possibilité de concilier leur différent afin de ne réserver au juge que ce qui n'a pas pu être convenu entre les parties » (conclusions d'appel de l'exposante p. 15 § 1) ; qu'en reprochant à l'exposante de ne pas avoir exposé « pourquoi elle avait « invité le cabinet Physiofirm à (lui) faire une meilleure proposition » (page 15 de son assignation), (?) au lieu d'en saisir sans désemparer le président du tribunal judiciaire », le Tribunal a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
6°) ALORS en tout état de cause QUE le point de départ du délai de 10 jours pendant lequel l'employeur peut contester le coût prévisionnel, l'étendue ou la durée de l'expertise votée par le Comité Social et Economique court à compter de la notification par l'expert désigné du dernier cahier des charges établi par ses soins ; qu'en l'espèce, il était constant qu'après avoir transmis une première lettre de mission le 17 janvier 2021, la société Physiofirm avait adressé un cahier des charges rectifié le 26 janvier 2021, dans lequel l'expert réduisait la durée prévisionnelle de son intervention de 39,5 jours à 39 jours et le coût prévisionnel de la somme de 71 100 euros TTC à la somme de 63 180 euros TTC ; qu'en jugeant que l'exposante était forclose et que sa demande visant à contester le coût prévisionnel, l'étendue et la durée de l'expertise devait être déclarée irrecevable, motif pris qu'elle n'avait introduit l'instance que par assignation du 5 février 2020, et que le délai de 10 jours avait commencé à courir dès le 17 janvier 2021, le tribunal a violé les articles L. 2315-86 et R. 2315-49 du code du travail ;
Sur le délai en contestation du coût prévisionnel, de l'étendue et de la durée de l'expertise ordonnée par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), à rapprocher : Soc., 28 mars 2018, pourvoi n° 16-28.561, Bull. 2018, V, n° 60 (cassation), et les arrêts cités ; Soc., 06 mars 2019, pourvoi n° 17-28.503 ; Soc., 20 mars 2019, pourvoi n° 17-23.027, Bull., (cassation partielle).
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CASS/JURITEXT000046727210.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 décembre 2022
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1281 FS-B
Pourvoi n° E 21-19.454
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
Mme [B] [O], en qualité d'inspectrice du travail de la section 03-09 de l'unité de contrôle 03 [Localité 3]-Est, de la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (Ddets) du Nord de la Dreets des Hauts de France, anciennement dénommée Direccte des Hauts de Fance section 03-09 [Localité 3]-Est de l'unité départementale Nord-[Localité 3], dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-19.454 contre l'arrêt rendu le 29 juin 2021 par la cour d'appel de Douai (14e chambre), dans le litige l'opposant à l'association Aide à domicile aux retraités Flandre-Métropole, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lacquemant, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [O], ès qualités, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de l'association Aide à domicile aux retraités Flandre-Métropole, la plaidoirie de Me Pinatel avocat de l'association Aide à domicile aux retraités Flandre-Métropole, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Lacquemant, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, M. Pion, Mmes Van Ruymbeke, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, M. Chiron, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 29 juin 2021) et les productions, l'association Aide à domicile aux retraités Flandre Métropole (l'association) propose des services à domicile, notamment une aide à la personne et un service de soins infirmiers.
2. Dans le contexte de l'épidémie de Covid-19, l'association a mis à jour, le 5 février 2021, le « tableau des consignes » destiné au personnel, lequel prévoit désormais que lors des interventions à domicile les salariés devront porter un masque chirurgical lorsque le bénéficiaire est négatif au Covid-19 ou asymptomatique et un masque FFP2 si le bénéficiaire est positif au Covid-19 ou symptomatique.
3. Le 14 janvier 2021, l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle n° 3 [Localité 3]-Est de la Direction régionale des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts de France a saisi le juge des référés d'un tribunal judiciaire aux fins de voir ordonner à l'association, sous astreinte, de mettre en oeuvre un certain nombre de mesures ayant pour objet la limitation au niveau le plus bas possible du nombre de travailleurs exposés, ou susceptibles de l'être, au risque biologique lié au Covid-19 et en particulier de procurer à chaque salarié des masques de type FFP2 ou FFP3 ou équivalents pour toute intervention à domicile compte tenu des risques de contamination par aérosols et du défaut de maîtrise des règles d'aération au sein du domicile des bénéficiaires et d'adresser à tous les salariés une communication afin de les informer qu'ils ne doivent en aucun cas intervenir au domicile d'un client s'ils ne disposent pas des équipements de protection individuelle requis.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. L'inspectrice du travail fait grief à l'arrêt d'ordonner à l'association de procurer à chaque salarié amené à intervenir au domicile d'un bénéficiaire positif au Covid-19 ou symptomatique, au moins un masque de type FFP2 par intervention à domicile, de la débouter de sa demande d'astreinte et de dire que les mesures ordonnées prendront terme avec la disparition du risque sanitaire, alors :
« 1°/ qu'en application de l'article L. 4732-1 du code du travail, l'inspecteur du travail saisit le juge judiciaire statuant en référé pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque, telles que la mise hors service, l'immobilisation, la saisie des matériels, machines, dispositifs, produits ou autres, lorsqu'il constate un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique d'un travailleur ; que constitue un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique des salariés d'une association intervenant dans le domaine de l'aide à domicile l'exposition au virus Sars-Cov-2, que les bénéficiaires soient symptomatiques ou positifs à la Covid-19 ou encore asymptomatiques ou présymptomatiques, en raison des modalités de transmission de ce virus, par gouttelettes ou aérosols et par des personnes non nécessairement positives à la Covid-19, de sorte que l'employeur doit mettre à leur disposition des masques de type FFP pour toutes leurs interventions au domicile des bénéficiaires ; que la cour d'appel, qui a ordonné à l'association de procurer à chaque salarié amené à intervenir au domicile d'un bénéficiaire positif à la Covid-19 ou symptomatique au moins un masque de type FFP2 par intervention à domicile, reconnaissant ainsi que le masque de type FFP2 constitue une mesure propre à faire cesser le risque d'exposition au virus, n'a toutefois pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en refusant d'étendre cette mesure à toutes les interventions des salariés au domicile des bénéficiaires, même non positifs à la Covid-19 ou asymptomatique, en violation du texte précité ;
2°/ qu'en application de l'article R. 4321-4 du code du travail, l'employeur met à la disposition de ses salariés les équipements de protection individuelle appropriés ; qu'il résulte des articles R. 4311-8, R. 4311-12, R. 4312-6 et de son annexe II, R. 4424-3 et R. 4424-5 du code du travail que, pour les salariés exposés à un agent biologique pathogène, l'employeur doit mettre à leur disposition un équipement de protection des voies respiratoires conformes aux normes reprises dans la collection des normes nationales dont les références ont été publiées au Journal officiel de l'Union européenne ; que les masques chirurgicaux, qui ne sont pas conçus pour protéger leur porteur d'un risque de contamination par un agent biologique pathogène, ne constitue pas un équipement de protection des voies respiratoires, à l'inverse des masques de type FFP ; qu'en jugeant néanmoins qu'aucune des dispositions du code du travail ne désigne expressément les masques de type FFP2 ou FFP3 comme éléments de protection individuelle et n'exclue de façon générale les masques chirurgicaux et qu'il n'est pas justifié que la fourniture d'un masque FFP2 ou FFP3 ou équivalent est désormais obligatoire ou même recommandée, dans le secteur de l'aide à domicile au profit de bénéficiaires non positifs à la Covid-19 ou asymptomatiques, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
3°/ qu'en se déterminant de la sorte, quand l'exposante soutenait que seuls les masques de type FFP constituent un équipement de protection individuelle et, précisément, un équipement de protection des voies respiratoires, au sens des dispositions du code du travail, la cour d'appel, qui n'a pas procédé à la recherche à laquelle elle était ainsi invitée, n'a pas donné de base légale à sa décision ;
4°/ qu'en ayant retenu que ''l'évolution récente de la situation sanitaire en France, à savoir la baisse continue des contaminations, en corrélation avec le développement et la généralisation de la vaccination, prioritaire tant pour les aides à domicile que pour les personnes âgées, ainsi que la facilité accrue de procéder à des tests, justifient de plus fort que l'utilisation des masques FFP2 ou FFP3 ne soit pas étendue au-delà de l'intervention au domicile de bénéficiaires positifs au Covid-19 ou symptomatiques et ce, nonobstant l'existence de nouveaux variants'', quand, peu important la baisse des contaminations et le développement de la vaccination, les salariés de l'association restent exposés à un risque sérieux de contamination par le virus Sars-Cov-2, dès lors qu'ils interviennent au domicile de personnes potentiellement contaminées ou dans le domicile desquelles le virus peut être présent, de sorte que l'employeur doit mettre en oeuvre les mesures de protection appropriées pour faire cesser ce risque, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant, a de nouveau violé l'article L. 4732-1 du code du travail ».
Réponse de la Cour
5. Selon l'article R. 4424-3 du code du travail, lorsque l'exposition des travailleurs à un agent biologique dangereux ne peut être évitée, elle doit être réduite par la mise en oeuvre de diverses mesures, notamment des mesures de protection collective ou, lorsque l'exposition ne peut être évitée par d'autres moyens, par des mesures de protection individuelle.
6. Selon l'article R. 4321-4 du même code, l'employeur met à disposition de ses salariés, en tant que de besoin, les équipements de protection individuelle appropriés.
7. La cour d'appel qui a relevé que la fourniture de masques FFP2 et FFP3 n'était pas obligatoire ou même recommandée dans le secteur de l'aide à domicile au profit de bénéficiaires non positifs au Covid-19 ou ne présentant pas de symptômes, a pu décider que la mise à disposition par l'employeur d'un masque FFP2 aux salariés intervenant au domicile d'une personne positive ou symptomatique était de nature à réduire l'exposition au Covid-19.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [O], en qualité d'inspectrice du travail, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour Mme [O], ès qualités
Mme l'inspectrice du travail fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance du président du tribunal judiciaire de Lille du 23 février 2021 en ce qu'elle a ordonné à l'Adar Flandre Métropole de procurer à chaque salarié amené à intervenir au domicile d'un bénéficiaire positif au Covid 19 ou symptomatique, au moins un masque de type FFP2 par intervention à domicile, de l'avoir infirmée en ce qu'elle a assorti cette mesure d'une astreinte et d'avoir dit que les mesures ordonnées prendront terme avec la disparition du risque sanitaire ;
1/ Alors qu'en application de l'article L. 4732-1 du code du travail, l'inspecteur du travail saisit le juge judiciaire statuant en référé pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque, telles que la mise hors service, l'immobilisation, la saisie des matériels, machines, dispositifs, produits ou autres, lorsqu'il constate un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique d'un travailleur ; que constitue un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique des salariés d'une association intervenant dans le domaine de l'aide à domicile l'exposition au virus Sars-Cov-2, que les bénéficiaires soient symptomatiques ou positifs à la Covid 19 ou encore asymptomatiques ou présymptomatiques, en raison des modalités de transmission de ce virus, par gouttelettes ou aérosols et par des personnes non nécessairement positives à la Covid 19, de sorte que l'employeur doit mettre à leur disposition des masques de type FFP pour toutes leurs interventions au domicile des bénéficiaires ; que la cour d'appel, qui a ordonné à l'association de procurer à chaque salarié amené à intervenir au domicile d'un bénéficiaire positif à la Covid 19 ou symptomatique au moins un masque de type FFP par intervention à domicile, reconnaissant ainsi que le masque de type FFP 2 constitue une mesure propre à faire cesser le risque d'exposition au virus, n'a toutefois pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en refusant d'étendre cette mesure à toutes les interventions des salariés au domicile des bénéficiaires, même non positifs à la Covid 19 ou asymptomatique, en violation du texte précité ;
2/ Alors, en outre, qu'en application de l'article R. 4321-4 du code du travail, l'employeur met à la disposition de ses salariés les équipements de protection individuelle appropriés ; qu'il résulte des articles R. 4311-8, R. 4311-12, R. 4312-6 et de son annexe II, R. 4424-3 et R. 4424-5 du code du travail que, pour les salariés exposés à un agent biologique pathogène, l'employeur doit mettre à leur disposition un équipement de protection des voies respiratoires conformes aux normes reprises dans la collection des normes nationales dont les références ont été publiées au Journal officiel de l'Union européenne ; que les masques chirurgicaux, qui ne sont pas conçus pour protéger leur porteur d'un risque de contamination par un agent biologique pathogène, ne constitue pas un équipement de protection des voies respiratoires, à l'inverse des masques de type FFP ; qu'en jugeant néanmoins qu'aucune des dispositions du code du travail ne désigne expressément les masques de type FFP 2 ou FFP 3 comme éléments de protection individuelle et n'excluent de façon générale les masques chirurgicaux et qu'il n'est pas justifié que la fourniture d'un masque FFP 2 ou FFP 3 ou équivalent est désormais obligatoire ou même recommandée, dans le secteur de l'aide à domicile au profit de bénéficiaires non positifs à la Covid 19 ou asymptomatiques, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
3/ Alors, à tout le moins, qu'en se déterminant de la sorte, quand l'exposante soutenait que seuls les masques de type FFP constituent un équipement de protection individuelle et, précisément, un équipement de protection des voies respiratoires, au sens des dispositions du code du travail, la cour d'appel, qui n'a pas procédé à la recherche à laquelle elle était ainsi invitée, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des mêmes textes ;
4/ Alors, enfin, qu'en ayant retenu que « l'évolution récente de la situation sanitaire en France, à savoir la baisse continue des contaminations, en corrélation avec le développement et la généralisation de la vaccination, prioritaire tant pour les aides à domicile que pour les personnes âgées, ainsi que la facilité accrue de procéder à des tests, justifient de plus fort que l'utilisation des masques FFP2 ou FFP3 ne soit pas étendue au-delà de l'intervention au domicile de bénéficiaires positifs au Covid 19 ou symptomatiques et ce, nonobstant l'existence de nouveaux variants », quand, peu important la baisse des contaminations et le développement de la vaccination, les salariés de l'association restent exposés à un risque sérieux de contamination par le virus Sars-Cov-2, dès lors qu'ils interviennent au domicile de personnes potentiellement contaminées ou dans le domicile desquelles le virus peut être présent, de sorte que l'employeur doit mettre en oeuvre les mesures de protection appropriées pour faire cesser ce risque, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant, a de nouveau violé l'article L. 4732-1 du code du travail.
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CASS/JURITEXT000046727212.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 décembre 2022
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1313 F-B
Pourvoi n° A 21-16.000
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
La société d'économie mixte d'aménagement de la ville de Paris, société anonyme d'économie mixte, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 21-16.000 contre l'arrêt rendu le 10 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 4), dans le litige l'opposant à Mme [W] [T], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor,Périer, avocat de la société d'économie mixte d'aménagement de la ville de Paris, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de [H], et après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ( Paris, 10 mars 2021), Mme [T] a été engagée le 13 septembre 2010 par la société d'économie mixte d'aménagement de la ville de Paris (SEMAVIP), en qualité d'assistante de direction.
2.Contestant son licenciement pour motif économique notifié le 27 mai 2016, elle a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée diverses sommes à titre d'indemnité de préavis et de congés payés afférents, alors «qu'en cas d'inexécution du préavis, l'employeur n'est tenu au paiement d'une indemnité compensatrice que lorsqu'il a unilatéralement décidé de dispenser le salarié d'exécuter sa prestation de travail ou lorsque cette inexécution lui est imputable ; que l'employeur n'est pas tenu au paiement d'une indemnité compensatrice lorsqu'il a dispensé le salarié d'exécuter son préavis sur sa demande, peu important que cette demande ait été formulée avant le licenciement ; qu'en l'espèce, il est constant que Mme [T], qui avait été informée le 15 avril 2016 de la suppression de son emploi et du plan de mobilité professionnelle mis en place par la SEMAVIP, a indiqué, par lettre du 21 avril 2016, qu'elle avait retrouvé un nouvel emploi à la condition d'être disponible rapidement et a précisé, par lettre du 22 avril 2016, qu'elle devait être disponible au plus tard le vendredi 3 juin 2016, demandant en conséquence à « être dispensée du préavis (?) dans le cadre du licenciement économique dont nous avons parlé » ; que, dans la lettre de licenciement, l'employeur lui avait en conséquence indiqué « nous vous confirmons que nous acceptons votre demande d'être dispensée du préavis à compter du 3 juin 2016 » ; qu'en retenant cependant que l'employeur était redevable du paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, au motif tout aussi inopérant qu'erroné que la salariée ne pouvait valablement renoncer au préavis avant le licenciement, la cour d'appel a violé les articles L. 1231-4, L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte de l'article L. 1234-1 du code du travail, qu'en cas d'inexécution par le salarié du préavis, l'employeur n'est tenu au paiement d'une indemnité compensatrice que lorsqu'il a unilatéralement décidé de dispenser le salarié d'exécuter sa prestation de travail ou lorsque cette inexécution lui est imputable.
6. Selon l'article L. 1231-4 du même code, l'employeur et le salarié ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles du licenciement.
7. La cour d'appel, qui a constaté que la salariée avait renoncé le 21 avril 2016 à l'exécution du préavis, a exactement retenu que cette renonciation n'était pas valable comme intervenue avant la notification de son licenciement le 27 mai 2016, peu important la communication d'un plan de mobilité professionnelle avant cette date.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que l'employeur, tenu d'exécuter de bonne foi le contrat de travail et les obligations qui en résultent, peut tenir compte, dans ses recherches de reclassement, de la volonté du salarié d'être licencié rapidement pour pouvoir occuper un autre emploi ; qu'en l'espèce, la SEMAVIP faisait valoir qu'elle avait informé Mme [T], le 15 avril 2016, que son poste serait supprimé et qu'aucun reclassement n'était possible ni en son sein, ni au sein de la société SPLA et lui avait proposé un accompagnement à la recherche d'emploi ; que par lettres des 20, 21 et 22 avril 2016, Mme [T] avait répondu qu'elle n'était pas intéressée par le dispositif d'accompagnement à la recherche d'emploi et qu'ayant obtenu une proposition d'embauche, elle souhaitait être licenciée rapidement pour occuper cet autre emploi ; qu'en affirmant que cette demande de la salariée ne pouvait dispenser l'employeur de ses obligations légales en matière de licenciement pour motif économique, pour en déduire que l'employeur, qui ne démontrait pas avoir effectué de façon sérieuse et loyale son obligation de reclassement en proposant à la salariée les postes disponibles, a manqué à son obligation de reclassement, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-4 du code du travail ;
2°/ qu' il n'y a pas de manquement à l'obligation de reclassement lorsque l'employeur établit qu'aucun poste compatible avec les compétences du salarié n'était disponible à la date du licenciement ; qu'en l'espèce, la SEMAVIP soutenait qu'aucun poste n'était disponible pour le reclassement de la salariée ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le reclassement de Mme [T] n'était pas impossible en l'absence de poste disponible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
10. L'employeur est tenu avant tout licenciement économique, d'une part, de rechercher toutes les possibilités de reclassement existant dans le groupe dont il relève, parmi les entreprises dont l'activité, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, d'autre part, de proposer ensuite aux salariés dont le licenciement est envisagé tous les emplois disponibles de la même catégorie ou, à défaut, d'une catégorie inférieure.
11. Il en résulte qu'il ne peut limiter ses recherches de reclassement et ses offres en fonction de la volonté du salarié, exprimée par avance, en dehors de toute proposition concrète.
12. Ayant relevé que si la salariée avait indiqué par avance qu'elle bénéficiait d'une embauche et avait demandé d'enclencher le licenciement, cette circonstance ne pouvait dispenser l'employeur de ses obligations légales en matière de licenciement pour motif économique, et fait ressortir qu'il ne lui avait pas proposé les postes disponibles listés dans le plan de mobilité professionnelle, la cour d'appel a exactement décidé, procédant à la recherche prétendument omise, qu'il n'avait pas satisfait de façon sérieuse et loyale à son obligation de reclassement préalable au licenciement.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société d'économie mixte d'aménagement de la ville de Paris
aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société d'économie mixte d'aménagement de la ville de Paris et la condamne à payer à Mme [T] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société d'économie mixte d'aménagement de la ville de Paris
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La Société d'Economie Mixte d'Aménagement de la Ville de Paris fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée à payer à Mme [T] les sommes de 29.541,60 euros à titre d'indemnité de préavis et 2.954,16 euros au titre de congés payés afférents ;
ALORS QU' en cas d'inexécution du préavis, l'employeur n'est tenu au paiement d'une indemnité compensatrice que lorsqu'il a unilatéralement décidé de dispenser le salarié d'exécuter sa prestation de travail ou lorsque cette inexécution lui est imputable ; que l'employeur n'est pas tenu au paiement d'une indemnité compensatrice lorsqu'il a dispensé le salarié d'exécuter son préavis sur sa demande, peu important que cette demande ait été formulée avant le licenciement ; qu'en l'espèce, il est constant que Mme [T], qui avait été informée le 15 avril 2016 de la suppression de son emploi et du plan de mobilité professionnelle mis en place par la SEMAVIP, a indiqué, par lettre du 21 avril 2016, qu'elle avait retrouvé un nouvel emploi à la condition d'être disponible rapidement et a précisé, par lettre du 22 avril 2016, qu'elle devait être disponible au plus tard le vendredi 3 juin 2016, demandant en conséquence à « être dispensée du préavis (?) dans le cadre du licenciement économique dont nous avons parlé » ; que, dans la lettre de licenciement, l'employeur lui avait en conséquence indiqué « nous vous confirmons que nous acceptons votre demande d'être dispensée du préavis à compter du 3 juin 2016 » ; qu'en retenant cependant que l'employeur était redevable du paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, au motif tout aussi inopérant qu'erroné que la salariée ne pouvait valablement renoncer au préavis avant le licenciement, la cour d'appel a violé les articles L. 1231-4, L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail dans
leur rédaction applicable au litige.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La Société d'Economie Mixte d'Aménagement de la Ville de Paris fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée à payer à Mme [T] la somme de
30.560,25 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
1. ALORS QUE l'employeur, tenu d'exécuter de bonne foi le contrat de travail et les obligations qui en résultent, peut tenir compte, dans ses recherches de reclassement, de la volonté du salarié d'être licencié rapidement pour pouvoir occuper un autre emploi ; qu'en l'espèce, la SEMAVIP faisait valoir qu'elle avait informé Mme [T], le 15 avril 2016, que son poste serait supprimé et qu'aucun reclassement n'était possible ni en son sein, ni au sein de la société SPLA et lui avait proposé un accompagnement à la recherche d'emploi ; que par lettres des 20, 21 et 22 avril 2016, Mme [T] avait répondu qu'elle n'était pas intéressée par le dispositif d'accompagnement à la recherche d'emploi et qu'ayant obtenu une proposition d'embauche, elle souhaitait être licenciée rapidement pour occuper cet autre emploi ; qu'en affirmant que cette demande de la salariée ne pouvait dispenser l'employeur de ses obligations légales en matière de licenciement pour motif économique, pour en déduire que l'employeur, qui ne démontrait pas avoir effectué de façon sérieuse et loyale son obligation de reclassement en proposant à la salariée les postes disponibles, a manqué à son obligation de reclassement, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-4 du code du travail ;
2. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QU' il n'y a pas de manquement à l'obligation de reclassement lorsque l'employeur établit qu'aucun poste compatible avec les compétences du salarié n'était disponible à la date du licenciement ; qu'en l'espèce, la SEMAVIP soutenait qu'aucun poste n'était disponible pour le reclassement de la salariée ; qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le reclassement de Mme [T] n'était pas impossible en l'absence de poste disponible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La Société d'Economie Mixte d'Aménagement de la Ville de Paris fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée à payer à Mme [T] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour non-présentation du bénéfice du contrat de sécurisation professionnelle ;
ALORS QUE le salarié ne peut prétendre au paiement d'une indemnisation au titre de l'absence de proposition de contrat de sécurisation professionnelle qu'à la condition d'établir le préjudice causé par cette carence de l'employeur ; qu'en l'espèce, la SEMAVIP soutenait que le défaut de proposition d'un contrat de sécurisation professionnelle n'a causé aucun préjudice à la salariée, puisqu'elle avait retrouvé un emploi en contrat à durée indéterminée avant son licenciement et qu'elle a commencé ce nouvel emploi immédiatement après avoir quitté l'entreprise ; qu'en se bornant à affirmer, pour dire que le préjudice subi sera indemnisé à hauteur de 1.500 euros, que « le défaut de communication [du contrat de sécurisation professionnelle] crée un préjudice au salarié en ce qu'il ne peut bénéficier des conséquences de ce contrat telles que rappelées notamment à l'article L. 1233-67 du code du travail », sans rechercher si la conclusion d'un contrat de travail avec un nouvel employeur ne faisait pas obstacle à la conclusion d'un contrat de sécurisation professionnelle et au bénéfice des avantages qui en résultent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1233-67 du code du travail et 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
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CASS/JURITEXT000046727196.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 décembre 2022
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1279 FS-B
Pourvoi n° D 21-23.662
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
M. [C] [J], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 21-23.662 contre l'arrêt rendu le 15 juillet 2021 par la cour d'appel d'Angers (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Ulysse Hervé et fils, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [J], de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de la société Ulysse Hervé et fils, et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, M. Pion, Mmes Lacquemant, Nirdé-Dorail et Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur et Laplume, M. Chiron, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 15 juillet 2021), M. [J] a été engagé, à compter du 3 mai 2004, en qualité de maçon, par la société Ulysse Hervé et fils.
2. A l'issue d'un arrêt de travail, il a été déclaré « inapte total » dans un avis du 11 avril 2017, le médecin du travail précisant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans l'entreprise.
3. Le salarié a été licencié le 10 mai 2017 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
4. Il a saisi la juridiction prud'homale d'une contestation de son licenciement.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement n'est pas nul et qu'il est fondé sur une cause réelle et sérieuse et le débouter de ses demandes relatives au licenciement, alors :
« 1°/ qu'en vertu des articles L. 4624-4 et R. 4624-42 du code du travail, le médecin se prononce sur l'inaptitude du salarié après une étude de poste ; que le licenciement prononcé en raison de l'état de santé du salarié dont l'inaptitude n'a pas été régulièrement constatée est nul ; qu'en déboutant le salarié de ses demandes aux motifs adoptés que si "la loi impose [...] au médecin du travail d'effectuer ou de faire effectuer par un membre de l'équipe pluridisciplinaire un certain nombre de diligences avant de déclarer un salarié inapte physiquement", il s'agit "d'obligations imposées au médecin du travail, sans d'ailleurs que la loi n'ait prévu de sanction en cas de non respect de ces prescriptions", qu'il n'appartient pas "à l'employeur de vérifier le travail du médecin" et que ce dernier a "en revanche [...] l'obligation de tenir compte de l'avis et des conclusions du médecin du travail", la cour d'appel a violé le principe de non discrimination, ensemble les articles L. 1132-1, L. 1132-4, L. 4624-4 et R. 4624-42 du code du travail ;
2°/ qu'en vertu des articles L. 4624-7 et R. 4624-45 du code du travail, dans leur rédaction applicable, le salarié, qui entend contester les éléments de nature médicale justifiant l'avis d'inaptitude, saisit dans un délai de quinze jours le conseil de prud'hommes en sa formation des référés aux fins de désignation d'un médecin expert ; qu'au prix d'une interprétation de l'article L. 4624-7 dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 "à la lumière" de sa rédaction adoptée par l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, la cour d'appel a considéré que "le législateur a dès la réforme de 2016 souhaité que les avis dans leur globalité soient contestés devant le conseil de prud'hommes en sa formation des référés" et estimé que "la régularité de l'avis, qu'elle concerne les éléments purement médicaux ou l'étude de son poste, ne p[ouvait] plus être contestée et l'avis du médecin du travail s'impos[ait]à l'employeur comme au juge" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 4624-7 et R. 4624-45 du code du travail dans leur rédaction applicable ;
3°/ qu'en application des articles L. 4624-4 et R. 4624-42 du code du travail, le médecin du travail se prononce sur l'inaptitude du salarié après une étude de poste ; que le licenciement prononcé en raison de l'état de santé du salarié dont l'inaptitude n'a pas été régulièrement constatée est nul ; qu'en déboutant le salarié de ses demandes aux motifs propres que l'avis d'inaptitude n'a pas été contesté dans le délai de quinze jours de sorte que "la régularité de l'avis, qu'elle concerne les éléments purement médicaux ou l'étude de son poste, ne pouvait plus être contestée et [que] l'avis du médecin du travail s'impos[ait] à l'employeur comme au juge", quand le médecin du travail ne peut conclure à l'inaptitude qu'après s'être conformé à la procédure de constatation de l'inaptitude en procédant à une étude de poste et que le non-respect de la procédure ne relève pas du champ d'application du recours contre l'avis d'inaptitude exercé devant le conseil de prud'hommes, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 1132-1, L. 1132-4, L. 4624-4, L. 4624-7, dans sa rédaction applicable, et R. 4624-42 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Aux termes de l'article L. 4624-7 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, si le salarié ou l'employeur conteste les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4, il peut saisir le conseil de prud'hommes d'une demande de désignation d'un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la cour d'appel. L'affaire est directement portée devant la formation de référé.
8. L'article R. 4624-45 du même code, dans ses dispositions issues du décret n° 2017-1008 du 10 mai 2017, énonce qu'en cas de contestation portant sur les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail mentionnés à l'article L. 4624-7, la formation de référé est saisie dans un délai de quinze jours à compter de leur notification. Les modalités de recours ainsi que ce délai sont mentionnés sur les avis et mesures émis par le médecin du travail. La décision de la formation des référés se substitue aux éléments de nature médicale mentionnés au premier alinéa qui ont justifié les avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestés.
9. Il en résulte que l'avis émis par le médecin du travail, seul habilité à constater une inaptitude au travail, peut faire l'objet tant de la part de l'employeur que du salarié d'une contestation devant la formation de référé du conseil de prud'hommes qui peut examiner les éléments de toute nature ayant conduit au prononcé de l'avis. En l'absence d'un tel recours, cet avis s'impose aux parties.
10. La cour d'appel, après avoir constaté que l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail le 11 avril 2017 mentionnait les voies et délais de recours et n'avait fait l'objet d'aucune contestation dans le délai de 15 jours, en a exactement déduit que la régularité de l'avis ne pouvait plus être contestée et que cet avis s'imposait aux parties comme au juge, que la contestation concerne les éléments purement médicaux ou l'étude de poste.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [J]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [J] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit que son licenciement n'est pas nul et qu'il est fondé sur une cause réelle et sérieuse, et de l'AVOIR en conséquence débouté de ses demandes relatives au licenciement.
1° ALORS QU'en vertu des articles L.4624-4 et R. 4624-42 du code du travail, le médecin se prononce sur l'inaptitude du salarié après une étude de poste ; que le licenciement prononcé en raison de l'état de santé du salarié dont l'inaptitude n'a pas été régulièrement constatée est nul ; qu'en déboutant le salarié de ses demandes aux motifs adoptés que si « la loi impose [...] au médecin du travail d'effectuer ou de faire effectuer par un membre de l'équipe pluridisciplinaire un certain nombre de diligences avant de déclarer un salarié inapte physiquement », il s'agit « d'obligations imposées au médecin du travail, sans d'ailleurs que la loi n'ait prévu de sanction en cas de non respect de ces prescriptions », qu'il n'appartient pas « à l'employeur de vérifier le travail du médecin » et que ce dernier a « en revanche [...] l'obligation de tenir compte de l'avis et des conclusions du médecin du travail » (jugement entrepris p. 5, §§ 2 à 5), la cour d'appel a violé le principe de non discrimination, ensemble les articles L. 1132-1, L. 132-4, L. 4624-4 et R. 4624-42 du code du travail.
2° ALORS QU'en vertu des articles L. 4624-7 et R. 4624-45 du code du travail, dans leur rédaction applicable, le salarié, qui entend contester les éléments de nature médicale justifiant l'avis d'inaptitude, saisit dans un délai de quinze jours le conseil de prud'hommes en sa formation des référés aux fins de désignation d'un médecin expert ; qu'au prix d'une interprétation de l'article L. 4624-7 dans sa rédaction issue de la loi du 8 août 2016 « à la lumière » de sa rédaction adoptée par l'ordonnance du 22 septembre 2017, la cour d'appel a considéré que « le législateur a dès la réforme de 2016 souhaité que les avis dans leur globalité soient contestés devant le conseil de prud'hommes en sa formation des référés » (arrêt attaqué p. 6, § 4) et estimé que « la régularité de l'avis, qu'elle concerne les éléments purement médicaux ou l'étude de son poste, ne p[ouvait] plus être contestée et l'avis du médecin du travail s'impos[ait] à l'employeur comme au juge » (arrêt attaqué p. 6, § 6) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 4624-7 et R. 4624-45 du code du travail dans leur rédaction applicable.
3° ALORS QU'en application des articles L. 4624-4 et R. 4624-42 du code du travail, le médecin du travail se prononce sur l'inaptitude du salarié après une étude de poste ; que le licenciement prononcé en raison de l'état de santé du salarié dont l'inaptitude n'a pas été régulièrement constatée est nul ; qu'en déboutant le salarié de ses demandes aux motifs propres que l'avis d'inaptitude n'a pas été contesté dans le délai de quinze jours de sorte que « la régularité de l'avis, qu'elle concerne les éléments purement médicaux ou l'étude de son poste, ne pouvait plus être contestée et [que] l'avis du médecin du travail s'impos[ait] à l'employeur comme au juge » (arrêt attaqué p. 6, § 6), quand le médecin du travail ne peut conclure à l'inaptitude qu'après s'être conformé à la procédure de constatation de l'inaptitude en procédant à une étude de poste et que le non-respect de la procédure ne relève pas du champ d'application du recours contre l'avis d'inaptitude exercé devant le conseil de prud'hommes, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 1132-1, L. 1132-4, L. 4624-4, L. 4624-7, dans sa rédaction applicable, et R. 4624-42 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
M. [J] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et de l'AVOIR en conséquence débouté de ses demandes relatives au licenciement.
1° ALORS QUE conformément à l'article L. 4624-6 du code du travail, l'employeur est tenu de prendre en considération l'avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4 ; qu'en retenant que l'employeur avait respecté son obligation de sécurité aux motifs que l'avis d'aptitude avec aménagement du 20 janvier 2015 émis lors de la visite de reprise ne précisait pas les aménagements envisagés, quand il appartenait à l'employeur d'interroger le médecin du travail sur les préconisations requises par celui-ci, la cour d'appel a violé les articles L. 4121 dans sa rédaction en vigueur, L. 4121-2 et L. 4624-6 du code du travail.
2° ALORS QUE conformément à l'article L. 4624-6 du code du travail, l'employeur est tenu de prendre en considération l'avis et les indications ou les propositions émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2 à L. 4624-4 ; qu'en retenant que l'employeur avait respecté son obligation de sécurité aux motifs qu'il n'était pas établi de lien entre la visite de reprise du 20 janvier 2015 et le nouvel accident du travail survenu le 18 novembre 2016, quand cette circonstance est radicalement inopérante à établir que l'employeur s'est conformé aux préconisations du médecin du travail émise lors de la visite de reprise, la cour d'appel a violé les articles L. 4121 dans sa rédaction en vigueur, L. 4121-2 et L. 4624-6 du code du travail
Sur le principe que les avis du médecin du travail s'imposent au juge en l'absence de recours dans le délai imparti, à rapprocher : Soc., 17 décembre 2014, pourvoi n° 13-12.277, Bull. 2014, V, n° 310 (cassation partielle), et l'arrêt cité.
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CASS/JURITEXT000046727194.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 décembre 2022
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1277 FS-B
Pourvoi n° V 21-17.927
Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de M. [Z].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 9 juillet 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
La société Access Assistance, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 21-17.927 contre l'arrêt rendu le 8 avril 2021 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à M. [Y] [Z], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Access Assistance, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [Z], et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, M. Pion, Mmes Lacquemant, Nirdé-Dorail et Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur et Laplume, M. Chiron, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 8 avril 2021), M. [Z] a été engagé par la société Access Assistance le 14 avril 2004 en qualité d'agent d'entretien.
2. Le 25 février 2019, le médecin du travail a émis un avis d'inaptitude, indiquant : « Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».
3. Le 7 mars 2019, l'employeur a saisi le conseil de prud'hommes, statuant en la forme des référés, aux fins de contester l'avis d' inaptitude et demander l'organisation d'une expertise.
4. Le médecin inspecteur régional du travail a été désigné par ordonnance du 26 avril 2019.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le salarié était inapte au poste d'agent d'entretien ainsi qu'à tout autre poste au sein de la société Access Assistance, alors « que selon l'article R. 4624-42 du code du travail, un salarié ne peut être déclaré médicalement inapte à son poste qu'après, d'une part, qu'il a été réalisé un examen médical permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation, de mutation de poste ou sur la nécessité de proposer un changement de poste, d'autre part, qu'il a été réalisé ou fait réaliser une étude de poste, de troisième part, qu'il a été réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l'établissement et, enfin, qu'il a été procédé à un échange avec l'employeur ; que ces conditions cumulatives doivent être respectées quelle que soit la cause de l'inaptitude ; qu'au cas présent, la société Access Assistante faisait valoir que les avis d'inaptitude du médecin du travail et du médecin inspecteur du travail n'avaient été précédés d'aucune étude de poste, ni d'aucune étude des conditions de travail au sein de l'établissement ; que, pour confirmer l'inaptitude, la cour d'appel a énoncé qu'une telle absence serait ''sans influence'' au motif que l'inaptitude ''ne résulte pas des conditions de travail mais d'une dégradation des relations entre les parties pendant l'arrêt de travail et des conséquences psychiques qui en sont résultées'' ; qu'en statuant de la sorte par des motifs inopérants, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 4624-7 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, modifiée par la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, le salarié ou l'employeur peut saisir le conseil de prud'hommes en la forme des référés d'une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4.
7. Ce texte ajoute que le conseil de prud'hommes peut confier toute mesure d'instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l'éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence et que sa décision se substitue aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestées.
8. Selon l'article R. 4624-42 du code du travail dans ses dispositions issues du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016, le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que s'il a réalisé au moins un examen médical de l'intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste, s'il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste et une étude des conditions de travail dans l'établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée et enfin s'il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l'employeur.
9. Il en résulte que le juge saisi d'une contestation de l'avis d'inaptitude peut examiner les éléments de toute nature sur lesquels le médecin du travail s'est fondé pour rendre son avis. Il substitue à cet avis sa propre décision après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d'instruction.
10. La cour d'appel, qui a procédé à l'examen de la procédure suivie par le médecin du travail et relevé que l'inaptitude de l'intéressé ne résultait pas des conditions de travail mais d'une dégradation des relations entre les parties pendant l'arrêt de travail et des conséquences psychiques qui en sont résultées, a pu en déduire que l'absence d'études récentes était sans influence sur les conclusions du médecin du travail qui concernaient une période postérieure à l'arrêt de travail et décider que le salarié était inapte au poste d'agent d'entretien ainsi qu'à tout autre poste au sein de la société Access Assistance.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Access Assistance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Access Assistance et la condamne à payer à à la SCP Célice, Texidor et Périer la somme de 2656 euros et à M. [Z] la somme de 344 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Access Assistance
La société Access Assistance reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit et jugé que M. [Y] [Z] était inapte au poste d'agent d'entretien ainsi qu'à tout autre poste au sein de la société Access Assistance ;
ALORS QUE selon l'article R. 4624-42 du code du travail, un salarié ne peut être déclaré médicalement inapte à son poste qu'après, d'une part, qu'il a été réalisé un examen médical permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation, de mutation de poste ou sur la nécessité de proposer un changement de poste, d'autre part, qu'il a été réalisé ou fait réaliser une étude de poste, de troisième part, qu'il a été réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l'établissement et, enfin, qu'il a été procédé à un échange avec l'employeur ; que ces conditions cumulatives doivent être respectées quelle que soit la cause de l'inaptitude ; qu'au cas présent, la société Access Assistante faisait valoir que les avis d'inaptitude du médecin du travail et du médecin inspecteur du travail n'avaient été précédés d'aucune étude de poste, ni d'aucune étude des conditions de travail au sein de l'établissement ; que, pour confirmer l'inaptitude, la cour d'appel a énoncé qu'une telle absence serait « sans influence » au motif que l'inaptitude « ne résulte pas des conditions de travail mais d'une dégradation des relations entre les parties pendant l'arrêt de travail et des conséquences psychiques qui en sont résultées » ; qu'en statuant de la sorte par des motifs inopérants, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
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CASS/JURITEXT000046651960.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 novembre 2022
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1292 FS-B
Pourvoi n° P 21-17.300
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 NOVEMBRE 2022
1°/ Mme [O] [K], domiciliée [Adresse 3],
2°/ le syndicat CFTC, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° P 21-17.300 contre l'arrêt rendu le 1er avril 2021 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, section 2), dans le litige les opposant :
1°/ à l'Union pour la gestion des établissements des caisses d'assurance maladie du Nord-Est, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à M. le ministre chargé de la Sécurité sociale, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [K] et du syndicat CFTC, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'Union pour la gestion des établissements des caisses d'assurance maladie du Nord-Est, et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 octobre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Mmes Lecaplain-Morel, Deltort, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, M. Halem, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 1er avril 2021), Mme [K], salariée de l'Union pour la gestion des établissements des caisses d'assurance maladie du Nord-Est, a bénéficié d'un congé sans solde de fin de carrière pour la période du 31 mai 2018 au 30 mars 2019.
2. Soutenant que les congés issus du compte épargne-temps ne pouvaient pas être imputés sur les jours fériés, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'indemnité de congé non pris en raison de l'imputation des congés sur les jours fériés.
3. Le syndicat CFTC (le syndicat) est intervenu à l'instance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La salariée et le syndicat font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes tendant à faire juger que l'employeur a violé les dispositions de l'article L. 3133-3 du code du travail et à la condamnation de ce dernier au paiement de certaines sommes à titre de rappel de salaire et de dommages -intérêts, alors « que le compte épargne-temps permet au salarié d'accumuler des droits à congé rémunéré ou de bénéficier d'une rémunération, immédiate ou différée, en contrepartie des périodes de congé ou de repos non prises ou des sommes qu'il y a affectées, et d'autre part que le chômage des jours fériés ne peut entraîner aucune perte de salaire ; qu'en déboutant la salariée de sa demande de paiement d'un complément d'indemnité de congé de fin de carrière par utilisation de son compte d'épargne-temps incluant le paiement des jours fériés de la période, aux motifs inopérants que l'accord collectif applicable dispose que le contrat de travail est suspendu pendant la période de congés et que son indemnisation est exclusive d'une rémunération au titre de la prestation de travail, la cour d'appel a violé les articles L 3151-1 et L 3133-3 du code du travail, ensemble les articles 4.2.2. et 5 du Protocole d'accord relatif au compte épargne temps dans les organismes de sécurité sociale du 8 mars 2016. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 3151-2 du code du travail, le compte épargne-temps permet au salarié d'accumuler des droits à congé rémunéré ou de bénéficier d'une rémunération, immédiate ou différée, en contrepartie des périodes de congé ou de repos non pris ou des sommes qu'il y a affectées.
6. Les sommes issues de l'utilisation, par le salarié, des droits affectés sur son compte épargne-temps ne répondent à aucune périodicité de la prestation de travail ou de sa rémunération, puisque, d'une part, le salarié et l'employeur décident librement de l'alimentation de ce compte et, d'autre part, la liquidation du compte épargne-temps ne dépend que des dispositions légales et conventionnelles applicables.
7. Selon les articles 4 et 5 du protocole d'accord relatif au compte épargne-temps dans les organismes de sécurité sociale, le compte épargne-temps permet l'indemnisation de tout ou partie d'un congé sans solde d'origine légale ou conventionnelle. Le contrat de travail est suspendu et l'intéressé perçoit une indemnité calculée sur la base de son salaire au moment du départ et correspondant à la valeur en euros, au jour du départ, du nombre de jours épargnés. Il en résulte que, le congé sans solde entraînant la suspension du contrat de travail, le salarié ne peut prétendre à aucune rémunération au titre des jours fériés afférents à cette période.
8. La cour d'appel, qui a retenu à bon droit que la salariée ne pouvait prétendre durant la période de congé sans solde qu'à une indemnisation au titre du compte épargne-temps, a exactement décidé que l'employeur n'était pas dans l'obligation de payer les rémunérations relatives aux jours fériés inclus dans ce congé.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne Mme [K] et le syndicat CFTC aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour Mme [K] et le syndicat CFTC
Mme [K] et le syndicat CFTC font grief à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de leurs demandes tendant 1) à voir juger que l'Ugecam a violé les dispositions de l'article L 3133-3 du code du travail ; 2) à la condamnation de l'Ugecam au paiement à Mme [K] de la somme de 930,78 € brut à titre de rappel de salaire et de la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts ; et 3) à la condamnation de l'Ugecam au paiement au syndicat CFTC de la somme de 1 000 € à titre de dommages et intérêts ;
alors que, d'une part, le compte épargne-temps permet au salarié d'accumuler des droits à congé rémunéré ou de bénéficier d'une rémunération, immédiate ou différée, en contrepartie des périodes de congé ou de repos non prises ou des sommes qu'il y a affectées, et d'autre part que le chômage des jours fériés ne peut entraîner aucune perte de salaire ; qu'en déboutant la salariée de sa demande de paiement d'un complément d'indemnité de congé de fin de carrière par utilisation de son compte d'épargne-temps incluant le paiement des jours fériés de la période, aux motifs inopérants que l'accord collectif applicable dispose que le contrat de travail est suspendu pendant la période de congés et que son indemnisation est exclusive d'une rémunération au titre de la prestation de travail, la cour d'appel a violé les articles L 3151-1 et L 3133-3 du code du travail, ensemble les articles 4.2.2. et 5 du Protocole d'accord relatif au compte épargne temps dans les organismes de sécurité sociale du 8 mars 2016.
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CASS/JURITEXT000046651976.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 23 novembre 2022
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1328 FP-B+R
Pourvoi n° U 20-21.924
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 NOVEMBRE 2022
La société Etablissements Decayeux, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 20-21.924 contre l'arrêt rendu le 17 septembre 2020 par la cour d'appel de Rennes (7e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à M. [N] [O], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, et de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Etablissements Decayeux, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [O], et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 20 octobre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Techer, conseiller référendaire corapporteur, M. Flores, conseiller corapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mmes Capitaine, Monge, Mariette, MM. Rinuy, Pion, Mme Van Ruymbeke, M. Pietton, Mme Sommé, M. Sornay, Mme Le Lay, conseillers, M. Le Corre, Mmes Chamley-Coulet, Valéry, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 17 septembre 2020) et les productions, M. [O] a été engagé le 4 mai 2009 par la société Etablissements Decayeux (la société), en qualité d'attaché commercial.
2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 15 janvier 2015 à l'effet d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
3. Il a été licencié le 19 octobre suivant.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, quatrième et cinquième moyens, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui, pour les deux derniers, sont irrecevables, pour les deux autres, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à régler au salarié diverses sommes à titre de rappel d'heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnité légale forfaitaire pour travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, de prononcer en conséquence la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts exclusifs et de le condamner à verser au salarié diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice légale de préavis, outre les congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que le temps de déplacement professionnel pour se rendre du domicile aux lieux d'exécution du contrat de travail n'est pas du temps de travail effectif et n'ouvre droit qu'à une contrepartie financière ou en repos s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail ; qu'en condamnant l'employeur au paiement d'un rappel d'heures supplémentaires et de congés payés afférents au titre des temps de déplacement effectués par le salarié pour se rendre sur les lieux d'exécution du contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-4 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 3121-1 du code du travail, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
7. Aux termes de l'article L. 3121-4 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par décision unilatérale de l'employeur prise après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'il en existe. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire.
8. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 2, point 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, dans lesquelles les travailleurs n'ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du "temps de travail", au sens de cette disposition, le temps de déplacement que ces travailleurs consacrent aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par leur employeur (CJUE, arrêt du 10 septembre 2015, Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obreras (CC.OO.)/Tyco Integrated Security SL et Tyco Integrated Fire & Security Corporation Servicios SA, C-266/14).
9. Certes, ainsi que l'a énoncé l'arrêt précité (points 48 et 49), il résulte de la jurisprudence de la Cour que, exception faite de l'hypothèse particulière visée à l'article 7, § 1, de la directive 2003/88/CE en matière de congé annuel payé, celle-ci se borne à réglementer certains aspects de l'aménagement du temps de travail, de telle sorte que, en principe, elle ne trouve pas à s'appliquer à la rémunération des travailleurs.
10. La Cour de justice considère en outre que la directive ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation d'un État membre, d'une convention collective de travail ou d'une décision d'un employeur qui, aux fins de la rémunération d'un service, prend en compte de manière différente les périodes au cours desquelles des prestations de travail sont réellement effectuées et celles durant lesquelles aucun travail effectif n'est accompli, même lorsque ces périodes doivent être considérées, dans leur intégralité, comme du "temps de travail" aux fins de l'application de ladite directive, CJUE, arrêt du 9 mars 2021, D.J./Radiotelevizija Slovenija, C-344/19, point 58 (Période d'astreinte dans un lieu reculé) et CJUE, arrêt du 9 mars 2021, RJ/Stadt Offenbach am Main, C-580/19.
11. La Cour de cassation a jugé que le mode de rémunération des travailleurs dans une situation dans laquelle les travailleurs n'ont pas de lieu de travail fixe ou habituel et effectuent des déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier clients désignés par leur employeur relève, non pas de ladite directive, mais des dispositions pertinentes du droit national et qu'en application de l'article L. 3121-4 du code du travail, le temps de déplacement qui dépasse le temps normal de trajet, qui n'est pas du temps de travail effectif, doit faire l'objet d'une contrepartie, soit sous forme de repos, soit sous forme financière (Soc., 30 mai 2018, pourvoi n° 16-20.634, Bull. 2018, V, n° 97 (rejet)).
12. Cependant, dans l'arrêt du 9 mars 2021 (D.J./Radiotelevizija Slovenija, C-344/19), la Cour de justice de l'Union européenne retient que les notions de "temps de travail" et de "période de repos" constituent des notions de droit de l'Union qu'il convient de définir selon des caractéristiques objectives, en se référant au système et à la finalité de la directive 2003/88/CE. En effet, seule une telle interprétation autonome est de nature à assurer à cette directive sa pleine efficacité ainsi qu'une application uniforme de ces notions dans l'ensemble des États membres (point 30). La Cour de justice de l'Union européenne précise que malgré la référence faite aux "législations et/ou pratiques nationales" à l'article 2 de la directive 2003/88/CE, les États membres ne sauraient déterminer unilatéralement la portée des notions de "temps de travail" et de "période de repos", en subordonnant à quelque condition ou restriction que ce soit le droit, reconnu directement aux travailleurs par cette directive, à ce que les périodes de travail et, corrélativement, celles de repos soient dûment prises en compte. Toute autre interprétation tiendrait en échec l'effet utile de la directive 2003/88/CE et méconnaîtrait sa finalité (point 31).
13. Eu égard à l'obligation d'interprétation des articles L. 3121-1 et L. 3121-4 du code du travail à la lumière de la directive 2003/88/CE, il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif telle qu'elle est fixée par l'article L. 3121-1 du code du travail, ces temps ne relèvent pas du champ d'application de l'article L. 3121-4 du même code.
14. La cour d'appel a constaté que le salarié, qui soutenait, sans être contredit sur ce point par l'employeur, qu'il devait en conduisant, pendant ses déplacements, grâce à son téléphone portable professionnel et son kit main libre intégré dans le véhicule mis à sa disposition par la société, être en mesure de fixer des rendez-vous, d'appeler et de répondre à ses divers interlocuteurs, clients, directeur commercial, assistantes et techniciens, exerçait des fonctions de "technico-commercial" itinérant, ne se rendait que de façon occasionnelle au siège de l'entreprise pour l'exercice de sa prestation de travail et disposait d'un véhicule de société pour intervenir auprès des clients de l'entreprise répartis sur sept départements du Grand Ouest éloignés de son domicile, ce qui le conduisait, parfois, à la fin d'une journée de déplacement professionnel, à réserver une chambre d'hôtel afin de pourvoir reprendre, le lendemain, le cours des visites programmées.
15. Elle a ainsi fait ressortir que, pendant les temps de trajet ou de déplacement entre son domicile et les premier et dernier clients, le salarié devait se tenir à la disposition de l'employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
16. Elle a décidé à bon droit que ces temps devaient être intégrés dans son temps de travail effectif et rémunérés comme tel.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Etablissements Decayeux aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Etablissements Decayeux et la condamne à payer à M. [O] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Marc Lévis, avocat aux Conseils, pour la société Etablissements Decayeux
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Decayeux fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Decayeux à régler à M. [O] les sommes de 26.103,38 € de rappel de commissions et 2 610,33 € d'incidence congés payés et d'AVOIR, en conséquence, prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Decayeux et condamné cette dernière à verser à M. [O] les autres sommes de 8. 725,18 € d'indemnité compensatrice légale de préavis, 872,51 d'incidence congés payés, 4.965,10 € d'indemnité légale de licenciement et 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
ALORS QUE les parties au contrat de travail peuvent décider de subordonner le versement d'un élément de rémunération variable à la signature d'un avenant ultérieur le prévoyant ; que le contrat de travail conclu entre la société Decayeux et M. [O] prévoyait expressément qu'en l'absence d'accord des parties fixant, par voie d'avenant, des objectifs chiffrés de facturation de commandes aux clients, le salarié percevrait une rémunération fixe mensuelle sans aucune rémunération variable ; qu'en condamnant l'employeur au paiement d'une rémunération variable sur les exercices 2013/2014 après avoir constaté l'absence d'avenant conclu pour ces périodes, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail et l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenu 1103 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La société Decayeux fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la société Decayeux de sa demande de condamnation de M. [O] à lui rembourser la somme de 15.989,62 euros au titre de commissions indues ;
1/ ALORS QUE les parties au contrat de travail peuvent décider de subordonner le versement d'un élément de rémunération variable à la signature d'un avenant ultérieur le prévoyant ; que le contrat de travail conclu entre la société Decayeux et M. [O] prévoyait expressément qu'en l'absence d'accord des parties fixant, par voie d'avenant, des objectifs chiffrés de facturation de commandes aux clients, le salarié percevrait une rémunération fixe mensuelle sans aucune rémunération variable ; qu'en déboutant la société Decayeux de sa demande de remboursement des commissions versées au salarié au titre des exercices 2013/2014 après avoir constaté l'absence d'avenant conclu pour ces périodes, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail et l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenu 1103 du code civil ;
2/ ALORS QUE le paiement effectué en connaissance de cause ne fait pas obstacle à l'exercice par son auteur de l'action en répétition de l'indu dès lors que la preuve est rapportée que ce qui avait été payé n'était pas dû ; qu'en retenant, pour débouter la société de sa demande de remboursement des commissions indument perçues, que celle-ci s'était acquittée des sommes considérées en pleine connaissance de cause, la cour d'appel a violé les articles 1235 et 1376 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenus 1302 et 1302-1.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société Decayeux fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Decayeux à régler à M. [O] les sommes de 22.000 euros de rappel d'heures supplémentaires et 2.200 euros au titre des congés payés y afférents, d'AVOIR, en conséquence, condamné la société Decayeux à régler à M. [O] la somme de 24.825,54 euros à titre d'indemnité légale forfaitaire pour travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié et d'AVOIR, en conséquence, prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Decayeux et condamné cette dernière à verser à M. [O] les autres sommes de 8.725,18 € d'indemnité compensatrice légale de préavis, 872,51 d'incidence congés payés, 4.965,10 € d'indemnité légale de licenciement et 25.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
ALORS QUE le temps de déplacement professionnel pour se rendre du domicile aux lieux d'exécution du contrat de travail n'est pas du temps de travail effectif et n'ouvre droit qu'à une contrepartie financière ou en repos s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail ; qu'en condamnant l'employeur au paiement d'un rappel d'heures supplémentaires et de congés payés afférents au titre des temps de déplacement effectués par le salarié pour se rendre sur les lieux d'exécution du contrat de travail, la cour d'appel a violé l'article L. 3121-4 du code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi 2016-1088 du 8 août 2016.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION, subsidiaire
La société Decayeux fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Decayeux à régler à M. [O] la somme de 24.825,54 euros à titre d'indemnité légale forfaitaire pour travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié ;
ALORS QUE l'élément intentionnel du travail dissimulé ne peut se déduire d'un décompte des heures de travail effectué conformément aux dispositions légales et à la jurisprudence en vigueur à la date de leur réalisation ; qu'en condamnant l'employeur à payer une indemnité pour travail dissimulé au regard de l'absence de comptabilisation des heures correspondant aux temps de trajets dont la prise en compte dans le temps de travail effectif était exclue par les dispositions légales et la jurisprudence en vigueur à la date de leur réalisation, la cour d'appel a violé les articles L. 8221-1 et L. 8221-5 du code du travail.
CINQUIEME MOYEN DE CASSATION
La société Decayeux fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Decayeux à payer à M. [O] la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée ;
ALORS QUE si le juge qui annule une sanction disciplinaire peut condamner l'employeur au paiement de dommages-intérêts, c'est à la condition de caractériser un préjudice distinct non réparé par l'annulation de la sanction ; qu'en condamnant la société Decayeux à payer à M. [O] la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour sanction disciplinaire injustifiée, sans caractériser de préjudice distinct subi par le salarié, la cour d'appel a violé les articles L. 1331-1 du code du travail et 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenu 1231-1 du code civil.
Sur la prise en compte du temps de déplacement professionnel dépassant le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail comme temps de travail dépassant le temps normal de trajet devant faire l'objet d'une contrepartie, à rapprocher : Soc., 30 mai 2018, pourvoi n° 16-20.634, Bull. 2018, V, n° 97 (rejet).
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CASS/JURITEXT000046651916.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 23 novembre 2022
M. SOMMER, président
Arrêt n° 1252 FS-B
Pourvoi n° N 20-23.206
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 23 NOVEMBRE 2022
La société Glass Partners Transports, dont le siège est [Adresse 9] (Belgique), a formé le pourvoi n° N 20-23.206 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2020 par la cour d'appel de Metz (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [D] [F], domicilié [Adresse 3],
2°/ à la société [Y] & associés - mandataires judiciaires, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], prise en la personne de M. [K] [Y], en qualité de mandataire liquidateur de la société Nijman Winnen et ayant un établissement [Adresse 2],
3°/ à l'UNEDIC délégation AGS CGEA de Nancy, dont le siège est [Adresse 4],
4°/ au Pôle emploi Grand Est, dont le siège est [Adresse 6],
défendeurs à la cassation.
La société [Y] & associés - mandataires judiciaires a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Carillon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Glass Partners Transports, de la SCP Didier et Pinet, avocat de la société [Y] & associés - mandataires judiciaires, de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de M. [F], et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, M. Carillon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, M. Pietton, Mme Le Lay, MM. Barincou, Seguy, Mmes Grandemange, Douxami, conseillers, M. Le Corre, Mmes Prieur, Marguerite, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 15 septembre 2020), M. [F] a été engagé par la société Nijman Winnen à compter du 22 octobre 2001. En dernier lieu, il occupait le poste de directeur d'exploitation.
2. Le 1er mars 2010, la société Glass Partners Transports a acquis les actions composant le capital de la société Nijman Winnen.
3. Après avoir été licencié pour motif économique, M. [F] a, par lettre du 24 mai 2011, saisi la juridiction prud'homale de demandes dirigées à la fois contre la société Nijman Winnen et contre la société Glass Partners Transports, pour obtenir leur condamnation in solidum à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
4. La société Nijman Winnen a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 9 juillet 2013, M. [Y] étant désigné en qualité de liquidateur.
Recevabilité du pourvoi incident contestée par la défense
Vu l'article 609 du code de procédure civile :
5. Le pourvoi en cassation n'est recevable que si le demandeur a intérêt à agir.
6. La société [Y] et associés, en sa qualité de liquidateur de la société Nijman Winnen, s'est pourvue en cassation contre l'arrêt qui dit que le salarié a été victime de harcèlement moral et reconnaît une situation de coemploi entre les sociétés Nijman Winnen et Glass Partners Transports, qui condamne la société Glass Partners Transports à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral, dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamne la société Glass Partners Transports à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ordonne le remboursement par la société Glass Partners Transports à Pôle emploi des indemnités de chômage, déclare irrecevables les demandes de condamnation solidaire formées par le salarié contre la société Nijman Winnen, représentée par M. [Y] en qualité de liquidateur, et condamne la société Glass Partners Transports au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens tant de première instance que d'appel.
7. La société [Y] et associés, ès qualités, est dès lors sans intérêt à la cassation de cette décision qui n'a prononcé aucune condamnation ni fixation de créances au passif de la liquidation judiciaire de la société Nijman Winnen.
8. Son pourvoi n'est donc pas recevable.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. La société Glass Partners Transports fait grief à l'arrêt de reconnaître une situation de coemploi entre les sociétés Nijman Winnen et Glass Partners Transports et, en conséquence, de la condamner à payer au salarié diverses sommes, alors « que, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière ; qu'en l'espèce, pour retenir l'existence d'une situation de co-emploi entre la société Glass Partners Transports et sa filiale la société Nijman Winnen, la cour d'appel s'est bornée à relever, en premier lieu, que les deux sociétés avaient la même activité de transport du verre, que la filiale n'avait pas d'autre client que la société mère, que celle-ci détenait après le rachat du 28 février 2010 l'intégralité du capital social de la filiale, que suite à ce rachat M. [J] avait été nommé président de la filiale et membre du conseil de gestion, et qu'il existait un état de domination économique de la filiale ; qu'elle a indiqué ensuite, par motifs propres et adoptés, que les témoignages produit par M. [F] confirmaient ses déclarations selon lesquelles il devait rendre compte aux dirigeants de la société mère et prendre ses consignes auprès d'eux, que M. [R] dirigeait les réunions des délégués du personnel et avait dirigé l'entretien préalable au licenciement, que les transports étaient directement ordonnés depuis la Belgique, que le protocole de fin de conflit avait été notamment signé par M. [J], que la gestion financière et comptable était assurée par la société mère, que M. [F] était sous la dépendance des responsables du planning de la société mère, ces derniers prévoyant les tournées des chauffeurs salariés de la filiale, gérant leurs congés de maladie et prévenant les clients de leurs heures d'arrivée, que la société mère s'était ainsi substituée à la filiale dans la gestion du personnel roulant de celle-ci qui n'avait plus aucune autonomie dans l'élaboration des tournées des chauffeurs, leurs plannings, les relations avec les clients et même la gestion des congés de maladie des chauffeurs ou de leur temps de vote pour les institutions représentatives du personnel, et qu'il y avait non seulement confusion d'activités entre la filiale et la société mère mais aussi une immixtion, soit une ingérence continuelle et anormale de la société mère dans l'organisation de l'activité et la gestion économique et sociale de la filiale allant au-delà de la nécessaire collaboration entre société d'un même groupe ou de la dépendance d'une filiale à sa société mère et qui s'était traduite par l'éviction des organes de direction de la filiale au profit de salariés de la société mère ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel, qui n'a pas retenu l'existence d'un lien de subordination, n'a pas davantage caractérisé une immixtion permanente de la société Glass Partners Transports dans la gestion économique et sociale de la société employeur conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière, et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
10. Il résulte de l'article L. 1221-1 du code du travail que, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière.
11. La cour d'appel a d'abord constaté, par motifs propres, qu'à la suite du rachat par la société Glass Partners Transports de la société Nijman Winnen en février 2010, celle-ci, qui n'avait plus de client propre, s'était retrouvée sous la totale dépendance économique de la société belge qui lui sous-traitait des transports et les organisait au travers des ordres de transport, le salarié, qui était directeur d'exploitation, étant ainsi sous la dépendance des deux responsables du planning de la société Glass Partners Transports, lesquels prévoyaient les tournées des chauffeurs salariés de la filiale, allant jusqu'à gérer leurs congés de maladie et prévenant les clients de leurs heures d'arrivées, de sorte que le directeur d'exploitation n'avait plus de pouvoir décisionnel.
12. Elle a également relevé que la société Glass Partners Transports s'était substituée à sa filiale dans la gestion de son personnel dans les relations tant individuelles que collectives, celle-ci n'ayant plus aucune autonomie dans l'élaboration des tournées des chauffeurs, leurs plannings, les relations avec les clients et même la gestion des congés de maladie des chauffeurs ou de leur temps de vote pour les institutions représentatives du personnel.
13. Elle a enfin retenu, par motifs adoptés, que la gestion financière et comptable de la filiale était assurée par la société Glass Partners Transports.
14. Elle en a conclu qu'était ainsi démontrée une ingérence continuelle et anormale de la société mère dans la gestion économique et sociale de la filiale, allant au-delà de la nécessaire collaboration entre sociétés d'un même groupe, qui s'était traduite par l'éviction des organes de direction de la société Nijman Winnen dont faisait partie l'intéressé au profit de salariés de la société Glass Partners Transports.
15. En l'état de ces constatations, la cour d'appel a ainsi caractérisé une immixtion permanente de la société mère dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière, ce dont elle a exactement déduit l'existence d'une situation de coemploi.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
17. La société Glass Partners Transports fait grief à l'arrêt de dire que le salarié avait été victime de harcèlement moral et de la condamner à lui payer des dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors :
« 1°/ qu'il incombe au salarié d'établir, et au juge de constater, la matérialité d'éléments de fait précis, répétés et concordants pouvant laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral, à charge ensuite seulement pour l'employeur de prouver que ses agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a affirmé que M. [F] établissait l'existence matérielle de faits précis et concordants, et notamment le retrait injustifié de ses fonctions de directeur d'exploitation pour les confier à des salariés de la société Glass Partners Transports, faits qui pris dans leur ensemble permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre ; qu'en statuant de la sorte, sans identifier quels étaient, en dehors du retrait injustifié de ses fonctions, les faits précis établis concernant le salarié, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1152-1 du code du travail ;
2°/ que les juges du fond ne peuvent modifier les termes du litige ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, la société Glass Partners Transports n'invoquait pas une incompétence de M. [F] ni ne tentait de justifier une mise à l'écart de ce dernier par ses erreurs ou défauts mais contestait toute mise à l'écart décidée par elle au profit de ses salariés, soutenant que la situation dénoncée par M. [F] avait pour origine le désinvestissement volontaire des collaborateurs de la filiale, dont le sien et celui de Mme [E] ; qu'en affirmant à l'appui de sa décision que les reproches d'incompétence n'étaient pas fondés et que les erreurs ou défauts à les supposer telles que décrites dans les attestations produites par la société Glass Partners Transports ne pouvaient justifier une mise à l'écart de M. [F] de son poste de directeur d'exploitation et la dévolution de ses fonctions à deux salariés de la société Glass Partners Transports, la cour d'appel a modifié les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ que les juges du fond sont tenus de motiver leur décision ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que la société Glass Partners Transports avait produit des attestations de plusieurs de ses salariés mentionnant le manque de volonté de M. [F] de collaborer avec eux, son désinvestissement et une sollicitation continuelle par M. [F] des salariés de la société mère pour effectuer son travail ; qu'en énonçant cependant que les reproches d'incompétence n'étaient pas fondés dès lors que M. [F] était directeur d'exploitation au sein de la société Nijman Winnen depuis 2005 au même niveau de hiérarchie que la directrice de site et sous la seule autorité du président de la société Nijman Winnen ou son délégué et qu'il était titulaire du certificat de capacité professionnelle au transport national et international par route en date du 27 janvier 2005 et d'une attestation de capacité à l'exercice de la profession de commissionnaire de transport du 27 janvier 2005, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à exclure la réalité du désinvestissement volontaire, du refus de collaborer et du manque total d'initiative de M. [F], tels qu'ils résultaient des attestations produites par la société Glass Partners Transports, et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ en outre, que la preuve est libre en matière prud'homale ; qu'en retenant à l'appui de sa décision que les attestations produites par la société Glass Partners Transports émanaient toutes de ses salariés et que si ceux-ci parlaient tous d'erreurs commises par M. [F], il n'était rapporté aucune preuve matérielle de ces erreurs, la cour d'appel, qui a exigé une preuve matérielle en plus des attestations, a violé le principe susvisé. »
Réponse de la Cour
18. Pour condamner l'employeur à payer des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral, la cour d'appel a d'abord retenu que le salarié, par la production de l'organigramme, de plusieurs attestations, d'un compte-rendu de réunion du CHSCT, d'un procès-verbal de réunion de décembre 2010 faisant état d'incidents relatifs au positionnement des caméras de surveillance du site et du remboursement de frais de déplacement ayant précédé son arrêt maladie, établissait l'existence de faits, notamment le retrait injustifié de ses fonctions de directeur d'exploitation pour les confier à des salariés de la société Glass Partners Transports, permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral.
19. Elle a ensuite déduit de ces éléments l'existence matérielle de faits précis et concordants et notamment le retrait injustifié de ses fonctions de directeur d'exploitation pour les confier à des salariés de la société Glass Partners Transports, faits qui, pris dans leur ensemble, permettent de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.
20. Elle a encore constaté que les erreurs ou défauts reprochés au salarié, à les supposer établis, ne pouvaient justifier sa mise à l'écart de son poste de directeur d'exploitation et la dévolution de ses fonctions aux salariés de la société Glass Partners Transports.
21. Il apparaît ainsi que sous le couvert de griefs non fondés de manque de base légale et de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de fait et de preuve dont elle a, sans méconnaître les règles spécifiques de preuve ni les termes du litige et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, déduit tant l'existence de faits précis permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral que l'absence de justification par l'employeur d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
22. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le troisième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
23. La société Glass Partners Transports fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de la condamner à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'ordonner le remboursement par elle des indemnités de chômage payées au salarié à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois, alors :
« 1°/ que le juge ne peut modifier les termes du litige ; qu'en l'espèce, le mandataire liquidateur de la société Nijman Winnen soulignait que les sociétés du groupe, autre que la société Glass Partners Transports, avaient répondu négativement à la recherche de reclassement, produisant à cet égard notamment les lettres des trois autres sociétés du groupe (TNJ, GPTS et Glass Partners Transports Luxembourg) indiquant ne pas disposer de poste disponible ; qu'en appréciant le respect de l'obligation de reclassement de la société Nijman Winnen au regard de la seule réponse de la société Glass Partners Transports, la cour d'appel a modifié les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ en tout état de cause, que l'employeur est libéré de l'obligation de faire des offres de reclassement au salarié dont il envisage le licenciement pour motif économique lorsque l'entreprise et, le cas échéant, le groupe de reclassement ne comporte pas d'emploi disponible en rapport avec ses compétences ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que la société Nijman Winnen avait consulté le gérant de la société Glass Partners Transports sur les possibilités de reclassement existant "au sein du groupe" et que seuls avaient été identifiés par ce dernier deux postes au sein de la société Glass Partners Transports, ces postes ayant été proposés au salarié qui les avait refusés ; qu'en énonçant, pour conclure à la violation de l'obligation de reclassement, que les deux offres de reclassement proposées, qui émanaient et étaient adressées à la même personne, [P] [R], agissant à la fois pour la société Nijman Winnen et pour la société Glass Partners Transports, n'avaient ni un caractère loyal ni un caractère sérieux s'agissant d'une recherche de reclassement qui aurait dû se faire au sein du groupe Glass Partners employant 210 collaborateurs sur quatre sites, un au grand-duché de Luxembourg, un à [Localité 5], deux en Belgique (un à [Localité 8] et un à [Localité 7] pour 170 véhicules et 7000 m² d'entrepôt), quand il ressortait de ses constatations que le reclassement avait bien été recherché dans le groupe et que seuls les deux postes refusés par le salarié y étaient disponibles, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 ;
3°/ que ne constitue pas une violation de l'obligation de reclassement le fait de proposer au salarié un poste de reclassement situé à l'étranger sans lui avoir au préalable demandé s'il accepte de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national ; qu'en retenant, pour conclure à la violation de l'obligation de reclassement, que la société Nijman Winnen n'avait pas demandé à M. [F] préalablement au licenciement s'il acceptait de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national et lui avait proposé d'emblée un poste situé en Belgique sans avoir recueilli son accord exprès préalable, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-4-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 ;
4°/ que l'employeur est tenu, dans le cadre de son obligation de reclassement, de proposer au salarié les postes de catégorie inférieure, ce dernier pouvant ensuite, au vu de la proposition, donner ou non son accord exprès à une telle proposition ; qu'en retenant, pour conclure à la violation de l'obligation de reclassement, que le reclassement du salarié doit s'effectuer sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente et que les deux postes proposés au salarié ne correspondaient pas à sa qualification et étaient en deçà de sa formation de commissionnaire de transport sans qu'il ait donné son accord exprès pour un reclassement sur un emploi de catégorie inférieure, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010. »
Réponse de la Cour
24. D'une part, une partie ne pouvant se prévaloir des conclusions d'une autre partie au soutien de son grief, la société Glass Partners Transports n'est pas recevable à reprocher à la cour d'appel d'avoir modifié l'objet du litige tel qu'il aurait été déterminé par les conclusions du liquidateur de la société Nijman Winnen.
25. D'autre part, la cour d'appel ayant relevé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que les offres proposées émanaient et étaient adressées à la même personne, soit M. [R], qui agissait à la fois pour la société Nijman Winnen et pour la société Glass Partners Transports, et que la recherche de reclassement aurait dû se faire au sein du groupe Glass Partners Transports qui emploie 210 personnes sur plusieurs sites, caractérisant ainsi l'absence de recherche effective et sérieuse de reclassement, a pu déduire, de ce seul motif, abstraction faite des motifs critiqués par les troisième et quatrième branches, qui sont surabondants, que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement.
26. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DECLARE irrecevable le pourvoi incident formé par la société [Y] et associés, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Nijman Winnen ;
REJETTE le pourvoi principal ;
Condamne la société Glass Partners Transports aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Glass Partners Transports, la condamne à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros et rejette la demande de M. [F] à l'égard de la société [Y] et associés, ès qualités ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Glass Partners Transports, demanderesse au pourvoi principal
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Glass Partners Transports FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR reconnu une situation de co-emploi entre les sociétés Nijman Winnen et Glass Partners Transports et, en conséquence, d'AVOIR condamné la société Glass Partners Transports à payer à M. [F] des dommages et intérêts pour harcèlement moral et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'AVOIR ordonné le remboursement par la société Glass Partners Transports des indemnités de chômage payées à M. [F] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois,
ALORS QUE hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre que s'il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière ; qu'en l'espèce, pour retenir l'existence d'une situation de co-emploi entre la société Glass Partners Transports et sa filiale la société Nijman Winnen, la cour d'appel s'est bornée à relever, en premier lieu, que les deux sociétés avaient la même activité de transport du verre, que la filiale n'avait pas d'autre client que la société mère, que celle-ci détenait après le rachat du 28 février 2010 l'intégralité du capital social de la filiale, que suite à ce rachat M. [S] [J] avait été nommé président de la filiale et membre du conseil de gestion, et qu'il existait un état de domination économique de la filiale ; qu'elle a indiqué ensuite, par motifs propres et adoptés, que les témoignages produit par M. [F] confirmaient ses déclarations selon lesquelles il devait rendre compte aux dirigeants de la société mère et prendre ses consignes auprès d'eux, que M. [R] dirigeait les réunions des délégués du personnel et avait dirigé l'entretien préalable au licenciement, que les transports étaient directement ordonnés depuis la Belgique, que le protocole de fin de conflit avait été notamment signé par M. [J], que la gestion financière et comptable était assurée par la société mère, que M. [F] était sous la dépendance des responsables du planning de la société mère, ces derniers prévoyant les tournées des chauffeurs salariés de la filiale, gérant leurs congés de maladie et prévenant les clients de leurs heures d'arrivées, que la société mère s'était ainsi substituée à la filiale dans la gestion du personnel roulant de celle-ci qui n'avait plus aucune autonomie dans l'élaboration des tournées des chauffeurs, leurs plannings, les relations avec les clients et même la gestion des congés de maladie des chauffeurs ou de leur temps de vote pour les institutions représentatives du personnel, et qu'il y avait non seulement confusion d'activités entre la filiale et la société mère mais aussi une immixtion, soit une ingérence continuelle et anormale de la société mère dans l'organisation de l'activité et la gestion économique et sociale de la filiale allant au-delà de la nécessaire collaboration entre société d'un même groupe ou de la dépendance d'une filiale à sa société mère et qui s'était traduite par l'éviction des organes de direction de la filiale au profit de salariés de la société mère ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel, qui n'a pas retenu l'existence d'un lien de subordination, n'a pas davantage caractérisé une immixtion permanente de la société Glass Partners Transports dans la gestion économique et sociale de la société employeur conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière, et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1221-1 du code du travail.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société Glass Partners Transports FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que M. [F] avait été victime de harcèlement moral et condamné la société Glass Partners Transports à payer à M. [F] la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
1. ALORS QU'il incombe au salarié d'établir, et au juge de constater, la matérialité d'éléments de fait précis, répétés et concordants pouvant laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral, à charge ensuite seulement pour l'employeur de prouver que ses agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a affirmé que M. [F] établissait l'existence matérielle de faits précis et concordants, et notamment le retrait injustifié de ses fonctions de directeur d'exploitation pour les confier à des salariés de la société Glass Partners Transports, faits qui pris dans leur ensemble permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre ; qu'en statuant de la sorte, sans identifier quels étaient, en dehors du retrait injustifié de ses fonctions, les faits précis établis concernant le salarié, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 1152-1 du code du travail ;
2. ALORS subsidiairement QUE les juges du fond ne peuvent modifier les termes du litige ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel (p. 21 et 28), la société Glass Partners Transports n'invoquait pas une incompétence de M. [F] ni ne tentait de justifier une mise à l'écart de ce dernier par ses erreurs ou défauts mais contestait toute mise à l'écart décidée par elle au profit de ses salariés, soutenant que la situation dénoncée par M. [F] avait pour origine le désinvestissement volontaire des collaborateurs de la filiale, dont le sien et celui de Mme [E] ; qu'en affirmant à l'appui de sa décision que les reproches d'incompétence n'étaient pas fondés et que les erreurs ou défauts à les supposer telles que décrites dans les attestations produites par la société Glass Partners Transports ne pouvaient justifier une mise à l'écart de M. [D] [F] de son poste de directeur d'exploitation et la dévolution de ses fonctions à deux salariés de la société Glass Partners Transports, la cour d'appel a modifié les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
3. ALORS en outre QUE les juges du fond sont tenus de motiver leur décision ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt (p. 14, dernier §, et p. 15) que la société Glass Partners Transports avait produit des attestations de plusieurs de ses salariés mentionnant le manque de volonté de M. [F] de collaborer avec eux, son désinvestissement et une sollicitation continuelle par M. [F] des salariés de la société mère pour effectuer son travail ; qu'en énonçant cependant que les reproches d'incompétence n'étaient pas fondés dès lors que M. [F] était directeur d'exploitation au sein de la société Nijman Winnen depuis 2005 au même niveau de hiérarchie que la directrice de site et sous la seule autorité du président de la société Nijman Winnen ou son délégué et qu'il était titulaire du certificat de capacité professionnelle au transport national et international par route en date du 27 janvier 2005 et d'une attestation de capacité à l'exercice de la profession de commissionnaire de transport du 27 janvier 2005, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à exclure la réalité du désinvestissement volontaire, du refus de collaborer et du manque total d'initiative de M. [F], tels qu'ils résultaient des attestations produites par la société Glass Partners Transports, et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4. ALORS en outre QUE la preuve est libre en matière prud'homale ; qu'en retenant à l'appui de sa décision que les attestations produites par la société Glass Partners Transports émanaient toutes de ses salariés et que si ceux-ci parlaient tous d'erreurs commises par M. [F], il n'était rapporté aucune preuve matérielle de ces erreurs, la cour d'appel, qui a exigé une preuve matérielle en plus des attestations, a violé le principe susvisé.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION (ÉGALEMENT SUBSIDIAIRE)
La société Glass Partners Transports FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de M. [F] était dépourvu de cause réelle et sérieuse, d'AVOIR condamné la société Glass Partners Transports à payer à M. [F] la somme de 38 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'AVOIR ordonné le remboursement par la société Glass Partners Transports des indemnités de chômage payées à M. [F] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois,
1. ALORS QUE le juge ne peut modifier les termes du litige ; qu'en l'espèce, le mandataire liquidateur de la société Nijman Winnen soulignait que les sociétés du groupe, autre que la société Glass Partners Transports, avaient répondu négativement à la recherche de reclassement, produisant à cet égard notamment les lettres des trois autres sociétés du groupe (TNJ, GPTS et Glass Partners Transports Luxembourg) indiquant ne pas disposer de poste disponible (conclusions d'appel de la société [Y] et associés – mandataires judiciaires, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Nijman Winnen, p. 8 et bordereau ; prod. 11 et 12 du MA) ; qu'en appréciant le respect de l'obligation de reclassement de la société Nijman Winnen au regard de la seule réponse de la société Glass Partners Transports, la cour d'appel a modifié les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
2. ALORS en tout état de cause QUE l'employeur est libéré de l'obligation de faire des offres de reclassement au salarié dont il envisage le licenciement pour motif économique lorsque l'entreprise et, le cas échéant, le groupe de reclassement ne comporte pas d'emploi disponible en rapport avec ses compétences ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que la société Nijman Winnen avait consulté le gérant de la société Glass Partners Transports sur les possibilités de reclassement existant « au sein du groupe » et que seuls avaient été identifiés par ce dernier deux postes au sein de la société Glass Partners Transports (arrêt, p. 19), ces postes ayant été proposés au salarié qui les avait refusés ; qu'en énonçant, pour conclure à la violation de l'obligation de reclassement, que les deux offres de reclassement proposées, qui émanaient et étaient adressées à la même personne, [P] [R], agissant à la fois pour la société Nijman Winnen et pour la société Glass Partners Transports, n'avaient ni un caractère loyal ni un caractère sérieux s'agissant d'une recherche de reclassement qui aurait dû se faire au sein du groupe Glass Partners employant 210 collaborateurs sur quatre sites, un au grand-duché de Luxembourg, un à [Localité 5], deux en Belgique (un à [Localité 8] et un à [Localité 7] pour véhicules et 7000 m² d'entrepôt), quand il ressortait de ses constatations que le reclassement avait bien été recherché dans le groupe et que seuls les deux postes refusés par le salarié y étaient disponibles, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 ;
3. ALORS en outre QUE ne constitue pas une violation de l'obligation de reclassement le fait de proposer au salarié un poste de reclassement situé à l'étranger sans lui avoir au préalable demandé s'il accepte de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national ; qu'en retenant, pour conclure à la violation de l'obligation de reclassement, que la société Nijman Winnen n'avait pas demandé à M. [F] préalablement au licenciement s'il acceptait de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national et lui avait proposé d'emblée un poste situé en Belgique sans avoir recueilli son accord exprès préalable, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-4-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010 ;
4. ALORS enfin QUE l'employeur est tenu, dans le cadre de son obligation de reclassement, de proposer au salarié les postes de catégorie inférieure, ce dernier pouvant ensuite, au vu de la proposition, donner ou non son accord exprès à une telle proposition ; qu'en retenant, pour conclure à la violation de l'obligation de reclassement, que le reclassement du salarié doit s'effectuer sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente et que les deux postes proposés au salarié ne correspondaient pas à sa qualification et étaient en deçà de sa formation de commissionnaire de transport sans qu'il ait donné son accord exprès pour un reclassement sur un emploi de catégorie inférieure, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-499 du 18 mai 2010.
Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour la société [Y] & associés - mandataires judiciaires, demanderesse au pourvoi incident
La société [Y] et associés, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Nijman Winnen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la société Nijman Winnen avait manqué à son obligation de reclassement et que le licenciement de M. [F] était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
1°) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel (p. 8), Me [Y], ès qualités, faisait valoir qu'à l'exception de la société Glass Partners Transports, toutes les sociétés du groupe avaient répondu négativement à sa recherche de reclassement ; qu'il produisait (pièce n° 13 en appel) les lettres des trois sociétés du groupe (TNJ, GPTS et GPT Luxembourg) indiquant ne pas disposer de poste ; qu'en se bornant à examiner la réponse de la société Glass Partners Transports pour dire la recherche de reclassement insuffisante, sans répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en décidant que la société Nijman Winnen avait manqué à son obligation de reclassement quand il résultait de ses constatations que les deux seuls postes disponibles au sein de la société Glass Partners Transports avaient été proposés à M. [F] qui les avait refusés, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-4 du code du travail ;
3°) ALORS QUE ne constitue pas un manquement à l'obligation de reclassement le fait de proposer au salarié un poste à l'étranger sans avoir reçu son accord préalable pour un reclassement à l'étranger ; qu'en déclarant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse faute pour la société Nijman Winnen d'avoir recueilli l'accord de principe de la salariée avant de lui proposer un poste de reclassement en Belgique, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-4-1 du code du travail ;
4°) ALORS QU'à défaut de poste disponible de même catégorie, l'employeur est tenu de proposer au salarié un poste de reclassement de catégorie inférieure ; qu'en retenant, pour dire que la société Nijman Winnen avait manqué à son obligation de reclassement, qu'elle avait proposé à M. [F] deux postes ne correspondant pas sa qualification de directeur de site, s'agissant de postes administratifs et que la salariée n'avait pas donné son accord exprès pour que le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure, la cour d'appel a derechef violé l'article L. 1233-4 du code du travail.
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CASS/JURITEXT000046727321.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Z 20-87.111 F- B
7 DÉCEMBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 DÉCEMBRE 2022
M. [S] [E] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Pau, chambre correctionnelle, en date du 19 novembre 2020, qui, pour escroquerie, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Turcey, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [S] [E], les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de MM. [H] et [F] [X], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turcey, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A l'issue d'une information judiciaire ouverte le 27 avril 2015, M. [S] [E] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel qui, par jugement du 27 mai 2019, l'a condamné pour escroquerie à deux ans d'emprisonnement, a ordonné une mesure de confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.
3. Il a relevé appel de cette décision, et le ministère public a formé un appel incident.
4. M. [E] a sollicité, par requête en date du 25 juin 2020, la mainlevée de la mesure de confiscation concernant ses biens immobiliers sis à [Localité 5] (Pyrénées-Orientales) et à [Localité 4] (Belgique).
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens, et sur le troisième moyen, pris en sa première branche
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [S] [E] à la peine complémentaire de confiscation de l'immeuble sis [Adresse 1] et rejeté la demande de mainlevée de la saisie portant sur cet immeuble, alors :
« 2°/ qu'il appartient aux juges du fond de s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé et à sa vie privée par la mesure de confiscation de tout ou partie de son patrimoine ; qu'en se bornant à prononcer la confiscation de maison de [Localité 4] en Belgique du prévenu, sans motivation quant à l'atteinte portée par cette mesure au droit de propriété de l'intéressé, à sa vie privée et plus particulièrement à l'exercice par celui-ci de l'activité professionnelle de juriste qu'il pratique dans cette maison, la cour d'appel a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du protocole n° 1, 132-1 du code pénal, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
7. Pour rejeter la demande de mainlevée de la saisie portant sur l'immeuble sis [Adresse 1]), et en ordonner la confiscation, l'arrêt attaqué énonce notamment qu'il est établi que les sommes remises par M. [F] [X] ont été utilisées pour la réalisation de travaux d'amélioration dans cet immeuble, propriété de M. [E], lequel ne le conteste pas et a indiqué à l'audience de la cour avoir utilisé la somme versée par M. [X] à cette fin.
8. Les juges retiennent qu'il est acquis que l'immeuble sus-visé est à la fois le produit de sommes licites, constituées d'emprunts réalisés par le prévenu, et de sommes frauduleuses, soit les remises effectuées par M. [X] qui sont le produit de l'escroquerie commise par M. [E].
9. Ils ajoutent que cet immeuble a été acheté le 11 décembre 2003, pour la somme de 210 000 euros, que les renseignements adressés au juge d'instruction par les policiers belges indiquent que M. [E] en est le seul propriétaire, et que selon les déclarations de l'intéressé à l'audience, le bien immobilier est désormais valorisable à une somme de 1,5 million d'euros grâce aux travaux réalisés avec les fonds illicites, les renseignements recueillis par la police fédérale belge en octobre 2017 ayant chiffré cette valeur à 775 000 euros.
10. Ils en concluent que la confiscation dudit immeuble, dont la valeur actualisée résulte de la réalisation des travaux effectués grâce aux importantes remises de fonds obtenues frauduleusement au préjudice de M. [X] par la commission de manoeuvres longues et très élaborées, apparaît par conséquent nécessaire au regard de la gravité des faits, sans être disproportionnée au regard de l'atteinte portée par cette mesure au droit de propriété et au droit au respect de la vie privée et familiale de M. [E], puisque celui-ci est d'autre part propriétaire de l'immeuble sis à [Localité 5], dont il va retrouver la disposition, et d'autres biens immobiliers, qui sont, selon ses dires mêmes nombreux, et qu'il a énoncés et décrits aux enquêteurs (immeubles et terrains à [Localité 3], à [Localité 2] et au Liban où M. [E] possède des terrains et une usine d'embouteillage d'eau minérale), et dont il a aussi précisé qu'ils étaient payés.
11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a retenu que l'immeuble en cause constitue, pour partie, le produit de l'infraction, en ce qu'il a bénéficié de travaux d'amélioration financés par le produit de l'escroquerie dont le prévenu a été déclaré coupable, en sorte que le bien était confiscable dans sa totalité en application du troisième alinéa de l'article 131-21 du code pénal, et qui a apprécié le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé et à sa vie familiale par la mesure de confiscation de ce bien, dont il n'était pas soutenu devant elle qu'il serait nécessaire à l'activité professionnelle de M. [E], a justifié sa décision.
12. Dès lors, le moyen doit être écarté.
13. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept décembre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000046727323.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° M 21-83.354 F- B
7 DÉCEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 DÉCEMBRE 2022
M. [D] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, chambre correctionnelle, en date du 25 mars 2021, qui, pour concussion et prise illégale d'intérêts, l'a condamné à huit mois d'emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d'amende, trois ans d'inéligibilité et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. de Lamy, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [D] [U], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. de Lamy, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a porté à la connaissance du procureur de la République des faits pouvant constituer le délit de concussion.
3. Il a relevé que M. [D] [U], qui occupe notamment la fonction de conseiller régional, a perçu pour les années 2016, 2017 et 2018 des sommes excédant le montant plafonné des rémunérations et indemnités des élus locaux prévu par l'article L. 4135-18 du code général des collectivités territoriales.
4. Le 2 février 2016, la commission permanente du conseil régional de la Réunion a, en effet, décidé d'autoriser M. [U], désigné par l'assemblée plénière de la Région parmi les nouveaux représentants de cette institution au sein de la société d'économie mixte locale (SEML) [1], à présenter sa candidature pour exercer les fonctions de président du conseil d'administration de celle-ci et de directeur général.
5. Le conseil d'administration de la société [1] a élu M. [U] en qualité de président directeur général et a fixé sa rémunération mensuelle brute à la somme de 6 800 euros.
6. Les juges du premier degré ont déclaré M. [U] coupable, notamment, du chef de concussion et l'ont condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à une peine de trois ans d'inéligibilité.
7. M. [U] ainsi que le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [U] coupable du chef de concussion, alors :
« 1°/ que la loi pénale étant d'interprétation stricte, le délit de concussion ne saurait sanctionner la perception ou l'exonération d'autres titres que ceux visés par le texte d'incrimination ; que l'alinéa 1er de l'article 432-10 du Code pénal ne vise que le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits ou contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu'elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû ; que n'entre pas dans le champ d'application de ce texte, la rémunération d'un directeur général dans le cadre d'un contrat ou d'un mandat de droit privé, dès lors que celle-ci est spécifique et destinée à rémunérer des fonctions et une activité totalement différentes de celles d'un président et échappe ainsi au champ d'application des règles du plafonnement et de l'écrêtement, et ne saurait ainsi constituer une somme de nature à « excéder ce qui est dû » ; qu'en décidant cependant en l'espèce que le délit de concussion était établi en son élément matériel, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision, en méconnaissance des articles L. 4135-18 du code général des collectivités territoriales, 432-10 du code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ que le délit de concussion par dépositaire de l'autorité publique est une infraction intentionnelle qui nécessite, pour être constituée, que le prévenu ait conscience que ce qu'il perçoit l'est de manière indue ; que le délit ne peut donc être caractérisé par une simple interprétation erronée par l'agent des règles de droit ; que dès lors la seule perception par M. [D] [U] d'une rémunération au titre de sa fonction de directeur général au sein de la société [1], à supposer même qu'elle fût indue, ne pouvait, contrairement à ce qu'affirme l'arrêt attaqué, caractériser le délit de concussion, dès lors que l'exposant a cru pouvoir la percevoir en toute légalité ; qu'en considérant que « nonobstant l'interprétation des textes qu'il a soulevé devant le tribunal puis devant la cour, M. [D] [U] avait suffisamment d'expérience en tant qu'élu local pour avoir agi sciemment », la cour d'appel a ainsi méconnu les articles 121-3, 432-10 du Code pénal ; 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que les juges sont tenus de répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que dans ses conclusions d'appel, M. [D] [U] soutenait que sa rémunération au titre de sa fonction de directeur général n'était pas « touchée par le champ textuel des règles du plafonnement et de l'écrêtement » et qu'en tout état de cause, aucune mauvaise foi ne pouvait lui être reprochée, dès lors que celui-ci avait tenu à procéder au remboursement des sommes considérées comme trop-perçus ; qu'en omettant ces circonstances et en ne recherchant pas si tel était le cas, a cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 432-10 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Pour déclarer le prévenu coupable du chef de concussion, l'arrêt attaqué énonce que l'article L. 4135-18 code général des collectivités territoriales dispose que le conseiller régional titulaire d'autres mandats électoraux ou qui siège à ce titre, notamment, au conseil d'administration ou au conseil de surveillance d'une SEML ou qui préside une telle société ne peut percevoir, pour l'ensemble de ses fonctions, un montant total de rémunérations et d'indemnités de fonction supérieur à une fois et demie le montant de l'indemnité parlementaire telle qu'elle est définie à l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l'indemnité des membres du Parlement. Le montant supérieur à ce plafond doit être écrêté et reversé au budget de la personne publique au sein de laquelle le conseiller a exercé le plus récemment un mandat ou une fonction.
11. Les juges relèvent qu'il est établi que M. [U] était dépositaire de l'autorité publique au moment des faits, dès lors qu'il occupait les fonctions de conseiller régional de la Réunion puis de 1er vice-président dudit conseil régional, de maire de la commune de [Localité 2], de 3ème vice-président de la communauté d'agglomération du sud et de président-directeur général de la société [1].
12. Ils ajoutent que M. [U] a toujours reconnu avoir perçu les sommes versées au titre de l'ensemble de ses fonctions et les a déclarées à la HATVP, et qu'il soutient toutefois que la rémunération qu'il perçoit de la société [1] en vertu de ses fonctions de président directeur général n'est pas explicitement visée par l'article L. 4135-18 du code général des collectivités territoriales et n'entre donc pas dans le calcul de l'écrêtement.
13. Les juges retiennent que le conseil d'administration de la société [1], après avoir désigné à l'unanimité M. [U] en qualité de président du conseil d'administration de cette société, a décidé, comme l'article L. 225-51-1 du code de commerce le lui permet, de déroger à la pratique antérieure et de dire que la direction générale sera dorénavant assumée, sous sa responsabilité, par le président du conseil d'administration.
14. L'arrêt attaqué précise que dès lors que l'exercice de la direction générale est assumé par le président du conseil d'administration, celui-ci devient président directeur général et aucune distinction n'est à opérer entre la rémunération de président et celle de directeur général, les rémunérations versées à ce titre à l'élu étant soumises au plafond du cumul des rémunérations.
15. Les juges soulignent que M. [U] avait suffisamment d'expérience en tant qu'élu local pour considérer qu'il a agi sciemment. Qu'il ne pouvait, en effet, ignorer que l'exercice de la direction générale de la société [1] était attaché, de par les conditions de sa désignation en tant qu'élu de la Région au sein d'une structure majoritairement détenue par celle-ci et abondée par des fonds publics, à l'exercice de sa fonction de président de la société et qu'il aurait dû a minima s'interroger, en sa qualité de dépositaire de l'autorité publique, sur le cumul des rémunérations, ne pouvant valablement s'exonérer par l'absence d'alertes préalables émanant des services administratifs du conseil régional.
16. Les juges concluent qu'en omettant de déclarer des rémunérations qu'il savait excéder ce qui lui était dû en sa qualité d'élu, M. [U] s'est rendu coupable du délit de concussion.
17. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision et n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
18. En premier lieu, selon l'article 432-10 du code pénal le délit de concussion se consomme, notamment, par le fait, pour une personne dépositaire de l'autorité publique, de percevoir des salaires et indemnités au-delà de ceux auxquels elle sait avoir droit.
19. En deuxième lieu, l'article L. 4135-18 du code général des collectivités territoriales détermine un plafond total de rémunération et d'indemnité de fonction pour le conseiller régional titulaire d'autres mandats électoraux ou qui siège à ce titre, notamment, au conseil d'administration ou au conseil de surveillance d'une SEML ou qui préside une telle société.
20. En troisième lieu, l'élément moral du délit de concussion, qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, se déduit de la matérialité des faits et ne saurait être remis en cause par un acte qui leur est postérieur tel le remboursement des sommes considérées comme un trop-perçu.
21. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [U] aux peines principales de huit mois d'emprisonnement assortis d'un sursis simple et dix mille euros d'amende, et à la peine complémentaire de privation du droit d'éligibilité pour une durée de trois ans, alors :
« 1°/ qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit en justifier la nécessité au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale ; qu'en condamnant M. [D] [U] à la peine de huit mois
d'emprisonnement assortis du sursis simple sans s'être précisément expliquée sur la gravité des faits, la personnalité de l'exposant ni sur le caractère proportionné de l'atteinte ainsi portée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 132-1 du code pénal, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine d'amende doit motiver décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; qu'en l'espèce, pour prononcer la peine de 10 000 euros d'amende à l'encontre de l'exposant, la cour d'appel s'est abstenue de prendre en considération les ressources et les charges qui pesaient sur lui ; qu'en statuant ainsi, par des constatations impropres à caractériser la prise en compte des charges de l'exposant dans le calcul du quantum de l'amende, la cour d'appel n'a pas justifié ce chef de décision au regard des articles 132-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 132-1 et 132-20, alinéa 2, du code pénal :
23. Selon le premier de ces textes en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur.
24. Selon le second de ces textes, le juge qui prononce une amende doit, en outre, motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu.
25. Pour condamner le prévenu, notamment, à huit mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 10 000 euros, l'arrêt attaqué fait état des sommes annuellement perçues par M. [U] pour toutes les fonctions qu'il exerce, retient la gravité de l'atteinte commise à la probité et ses conséquences sur le conseil régional et relève, enfin, son absence de condamnation pénale ainsi que sa restitution du trop-perçu.
26. En se déterminant ainsi, sans s'expliquer, d'une part, sur la situation personnelle de l'intéressé et, d'autre part, sur le montant de ses charges la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
27. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
28. La cassation sera limitée aux peines, dès lors que les déclarations de culpabilité n'encourent pas la censure. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 25 mars 2021, mais en ses seules dispositions relatives au prononcé des peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept décembre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000046727327.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° S 22-85.686 FS-B
6 DÉCEMBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 DÉCEMBRE 2022
M. [K] [T] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 9e chambre, en date du 21 septembre 2022, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'agression sexuelle aggravée, a rejeté sa demande de mise en liberté.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [K] [T], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, M. Samuel, Mme Goanvic, MM. Sottet, Coirre, Mme Hairon, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Charmoillaux, conseillers référendaires, M. Tarabeux, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Initialement mis en examen du chef de viol par conjoint ou concubin et placé en détention provisoire le 30 octobre 2020, M. [K] [T] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour agression sexuelle par conjoint ou concubin.
3. Par jugement du 17 février 2022, les juges du premier degré l'ont déclaré coupable, condamné à cinq ans d'emprisonnement dont un an avec sursis probatoire et ont ordonné son maintien en détention.
4. Par arrêt du 1er juin 2022, la cour d'appel a confirmé le jugement et maintenu M. [T] en détention.
5. Ce dernier a formé un pourvoi contre cet arrêt, en cours d'examen par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
6. Le 16 juin 2022, M. [T] a saisi la chambre correctionnelle de la cour d'appel d'une demande de mise en liberté.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande de mise en liberté, alors « que la cour d'appel, saisie d'une demande de mise en liberté formée par une personne maintenue en détention depuis plus de huit mois, doit, si elle envisage de rejeter cette demande, motiver sa décision au regard des considérations de fait sur le caractère insuffisant des obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile, prévue au troisième alinéa de l'article 142-5 et à l'article 142-12-1, ou du dispositif électronique prévu à l'article 138-3 du Code de procédure pénale ; qu'il résulte de la procédure et de sa fiche pénale que Monsieur [T] était, au jour où la Cour d'appel a statué sur sa demande de remise en liberté, maintenu en détention provisoire, dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation à intervenir sur le pourvoi qu'il a formé contre l'arrêt de la Cour d'appel de Lyon en date du 1er juin 2022, depuis plus de huit mois pour avoir été placé en détention provisoire le 30 octobre 2020 ; qu'en se bornant, pour rejeter cette demande de mise en liberté, à énoncer que la détention provisoire constitue l'unique moyen de parvenir aux objectifs fixés par l'article 144 du Code de procédure pénale, à l'exclusion du contrôle judiciaire et de l'assignation à résidence sous surveillance électronique, sans motiver sa décision au regard des considérations de fait sur le caractère insuffisant des obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile, prévue au troisième alinéa de l'article 142-5 et à l'article 142-12-1, ou du dispositif électronique prévu à l'article 138-3 du Code de procédure pénale, la Cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des dispositions précitées, ensemble les articles 222-28 et 222-48-1 du Code pénal, 148-1, 137-3, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour rejeter la demande de mise en liberté, l'arrêt attaqué retient que M. [T] a commis une agression sexuelle en tentant d'étrangler sa victime, que d'autres femmes ont été victimes de ses violences, que les expertises psychiatriques font craindre un nouveau passage à l'acte, que, contestant les faits, il n'a entrepris ni réflexion ni démarche de soins et qu'il projette de retrouver la situation dans laquelle il se trouvait au moment des faits.
9. Les juges ajoutent que M. [T] ne bénéficie ni d'une insertion socio-professionnelle ni d'attaches familiales à proximité et que la victime réside non loin de son domicile.
10. Ils en déduisent que la détention provisoire est l'unique moyen de parvenir aux objectifs, fixés par l'article 144 du code de procédure pénale, de prévenir le renouvellement de l'infraction, de garantir le maintien de M. [T] à la disposition de la justice et de prévenir le risque de pression sur la victime, et qu'une mesure de contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence sous surveillance électronique ne pourrait, quelles qu'en soient les modalités, permettre d'atteindre ces objectifs, compte tenu de la liberté de mouvement et de communication que conserverait l'intéressé.
11. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction, qui s'est déterminée par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences des articles 143-1 et suivants du code de procédure pénale, a justifié sa décision.
12. En effet, les dispositions de l'article 137-3 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, selon lesquelles, en matière correctionnelle, les décisions du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire au-delà de huit mois ou rejetant une demande de mise en liberté concernant une détention de plus de huit mois doivent également comporter l'énoncé des considérations de fait sur le caractère insuffisant des obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile, prévue au troisième alinéa de l'article 142-5 et à l'article 142-12-1 du même code, ou du dispositif électronique prévu à l'article 138-3, lorsque cette mesure peut être ordonnée au regard de la nature des faits reprochés, ne sont plus applicables lorsque le juge d'instruction a rendu son ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement.
13. Dès lors, le moyen doit être écarté.
14. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six décembre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000046727318.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Y 21-80.743 FS-B
7 DÉCEMBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 DÉCEMBRE 2022
Mme [K] [O] et M. [B] [U] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 3 décembre 2020, qui, dans la procédure suivie contre eux des chefs de travail dissimulé et publicité tendant à favoriser le travail dissimulé, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge des libertés et de la détention.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.
La première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un avis en date du 15 juin 2022 (pourvoi n° U 22-70.002).
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de Mme [K] [O] et de M. [B] [U], et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Planchon, MM. d'Huy, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, Mmes Fouquet, Chafaï, conseillers référendaires, M. Salomon, avocat général, et Mme Boudalia, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. La société [7], ayant pour activité la gestion d'animatrices de lignes téléphoniques surtaxées pour adultes, et sa gérante, Mme [K] [O], ont été mises en cause pour des faits de travail dissimulé et de publicité tendant à favoriser le travail dissimulé, comme étant suspectées d'avoir recours à de faux travailleurs indépendants.
3. L'enquête a par ailleurs mis en cause M. [B] [U], lié à Mme [O] par un pacte civil de solidarité, en sa qualité d'auto-entrepreneur sous-traitant de la société [7].
4. Au cours de l'enquête, par ordonnance du 24 mai 2019, le juge des libertés et de la détention a ordonné notamment la saisie de plusieurs immeubles acquis par Mme [O] et M. [U] avec une clause de tontine.
5. Le 4 juin 2019, Mme [O] et M. [U] ont interjeté appel de l'ordonnance de saisie immobilière.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la saisie pénale des biens immobiliers suivants : une maison d'habitation et une parcelle de jardin situées au lieu-dit [Localité 8] à [Localité 9], sur des parcelles cadastrées section F n° [Cadastre 1] et [Cadastre 2], acquises par Mme [O] et M. [U] par acte des 1er et 13 septembre 2010, et trois parcelles de terrain, dont une avec gîte et piscine, et une maison d'habitation situées au lieu-dit [Localité 8] à [Localité 9], sur des parcelles cadastrées section F n° [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5] et [Cadastre 6], acquises par Mme [O] et M. [U] par acte du 23 octobre 2013, alors :
« 1°/ que la saisie en valeur ne peut être ordonnée que sur les biens appartenant à la personne visée par une enquête ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont elle a la libre disposition ; que les acquéreurs d'un immeuble grevé d'une clause de tontine aux termes de laquelle celui-ci appartiendra en totalité au survivant d'entre eux, ne sont pas titulaires d'un droit privatif de propriété sur le bien ou partie de ce bien tant que la condition suspensive de survie n'est pas réalisée ; qu'en retenant que les biens immobiliers situés au lieu-dit [Localité 8] à [Localité 9] peuvent être saisis dès lors que Mme [O] en est propriétaire, après avoir pourtant constaté que Mme [O] et M. [U] ont acquis ensemble ces biens immobiliers avec une clause de tontine, la chambre de l'instruction a méconnu les règles régissant la clause de tontine, l'article 131-21, alinéa 9, du code pénal et les articles 706-141-1, 706-150 à 706-152 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en retenant tout à la fois que Mme [O] est propriétaire des biens situés au lieu-dit [Localité 8] à [Localité 9] et qu'il résulte de la clause de tontine figurant aux contrats de vente conclus par Mme [O] et M. [U] en 2010 et 2013 que le premier mourant d'eux sera considéré comme n'ayant jamais eu droit à la propriété des immeubles acquis, laquelle sera censée avoir toujours reposé sur la tête du survivant, et que jusqu'au décès du premier mourant, chaque acquéreur sera propriétaire indivis sous condition résolutoire de son prédécès et est propriétaire privatif exclusif sous condition de sa survie, la chambre de l'instruction, qui s'est contredite, a méconnu l'article 131-21, alinéa 9, du code pénal et les articles 593, 706-141-1, 706-150 à 706-152 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en retenant que M. [U] n'établit pas que la saisie contestée porte gravement atteinte à son droit de propriété, après avoir pourtant constaté qu'il a acquis les biens immobiliers saisis avec Mme [O] avec une clause tontine en vertu de laquelle le premier mourant d'eux sera considéré comme n'ayant jamais eu droit à la propriété des immeubles acquis, laquelle sera censée avoir toujours reposé sur la tête du survivant, la chambre de l'instruction, qui s'est contredite, a méconnu l'article 131-21, alinéa 9, du code pénal et les articles 593, 706-141-1, 706-150 à 706-152 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour confirmer la saisie, l'arrêt relève notamment que l'acquisition des biens par Mme [O] et M. [U] avec clause de tontine ne fait pas obstacle à la saisie en totalité des biens, laquelle ne suspend ni l'usage des biens ni le droit d'en percevoir les fruits.
9. Les juges ajoutent, en réponse au moyen de M. [U] pris de ce que la saisie des immeubles porterait atteinte à son droit de propriété en ce qu'il n'est pas coïndivisaire des biens mais cocontractant à un pacte tontinier, que l'intéressé ne précise pas en quoi la saisie pénale de ces biens, dont Mme [O] est propriétaire au même titre que lui, constitue une atteinte disproportionnée à son droit de propriété, en l'absence de transfert de propriété et avec maintien de la jouissance de ces biens.
10. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
11. En effet, c'est à tort que les juges énoncent que Mme [O] est propriétaire des immeubles saisis, alors que les acquéreurs d'un immeuble grevé d'une clause de tontine aux termes de laquelle celui-ci appartiendra en totalité au survivant d'entre eux, ne sont pas titulaires d'un droit privatif de propriété sur le bien ou partie de ce bien tant que la condition suspensive de survie n'est pas réalisée.
12. Cependant l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que les droits concurrents sur un immeuble grevé d'une telle clause, dont est titulaire la personne mise en cause, constituent un bien dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du code pénal et dont la saisie, qui ne suspend ni l'usage du bien ni le droit d'en percevoir les fruits, s'étend nécessairement à la totalité de l'immeuble en application de l'article 706-151, alinéa 2, du code de procédure pénale.
13. La confiscation encourue des droits concurrents du condamné ne porte pas atteinte aux droits du coacquéreur du bien grevé de la clause de tontine, dès lors que ce dernier demeure titulaire de ses propres droits, la condition de survie continuant à devoir être appréciée en la personne des coacquéreurs.
14. Le bien est en revanche confiscable dans sa totalité dans le cas où il est à la libre disposition du condamné, le coacquéreur n'étant pas de bonne foi.
15. Dès lors, le moyen doit être écarté.
16. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept décembre deux mille vingt-deux.
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N° E 21-85.993 F- B
7 DÉCEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 DÉCEMBRE 2022
L'administration des douanes et des droits indirects, partie poursuivante et M. [H] [U] [F] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 4e chambre, en date du 1er septembre 2021, qui, pour transfert de capitaux sans déclaration, blanchiment douanier et blanchiment, a condamné le second à trente mois d'emprisonnement, dix ans d'interdiction du territoire français et une amende douanière et M. [H] [X] [R] [S] à douze mois d'emprisonnement, dix ans d'interdiction du territoire français et une amende douanière et a ordonné une mesure de confiscation.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ampliatif, personnel et en défense ont été produits.
Sur le rapport de Mme Fouquet, conseiller référendaire, les observations de la société Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction régionale des douanes et droits indirects de [Localité 1], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement en date du 7 novembre 2019, le tribunal correctionnel a déclaré les deux prévenus coupables des chefs de transfert de capitaux sans déclaration, blanchiment et blanchiment douanier et les a condamnés, pour ces deux derniers délits, M. [U] [F] à trente mois d'emprisonnement et dix ans d'interdiction du territoire français, M. [R] [S] à dix-huit mois d'emprisonnement et dix ans d'interdiction du territoire français.
3. Les premiers juges ont en outre condamné solidairement les deux prévenus à une amende douanière de 65 000 euros pour le délit de transfert de capitaux sans déclaration et une amende douanière de 130 000 euros pour le délit de blanchiment douanier. Ils ont également ordonné la confiscation au profit des douanes des sommes saisies.
4. Les deux prévenus ont fait appel des dispositions pénales et douanières du jugement. Le procureur de la République a fait appel des dispositions pénales.
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens proposés par M. [U] [F] et sur le moyen unique pris en ses deuxième et troisième branches proposé pour l'administration des douanes et des droits indirects
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le moyen unique proposé pour l'administration des douanes et des doits indirects pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. Le moyen, en sa première branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement déféré sur la peine d'amende douanière de 130.000 euros à laquelle MM. [H] [X] [R] [S] et [H] [W] [U] [F] avaient été solidairement condamnés en répression des faits de blanchiment douanier dont ils avaient été reconnus coupables et a dit n'y avoir lieu au prononcé d'une telle amende, alors :
« 1°/ qu'en considérant que MM. [U] [F] et [R] [S] ne devaient pas être condamnés au paiement d'une amende douanière de 130 000 euros en répression du délit de blanchiment douanier dont ils ont été reconnus coupables, en l'absence de justificatifs de la situation personnelle et de la situation financière de M. [U] [F] et en l'absence d'éléments sur la situation professionnelle de M. [R] [S], quand le prononcé d'une amende douanière, qui est fixée en considération de la valeur des marchandises de fraude, ne dépend pas de la situation personnelle, professionnelle ou financière du prévenu, la cour d'appel a violé les articles 369 et 415 du code des douanes. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 369 du code des douanes :
7. Il se déduit de ce texte, d'une part que le juge qui prononce une amende fiscale n'est pas tenu de prendre en considération la situation personnelle, familiale et sociale du contrevenant pour en déterminer le montant.
8. D'autre part, s'il peut réduire le montant de cette amende, eu égard à l'ampleur et à la gravité de l'infraction commise, ainsi qu'à la personnalité de son auteur, il ne saurait en dispenser totalement ce dernier.
9. Pour dire n'y avoir lieu à condamner M. [U] [F] à une amende douanière en répression du délit de blanchiment douanier, l'arrêt attaqué, après avoir relevé des éléments tenant à la gravité des faits et à la personnalité de M. [U] [F], énonce que celui-ci réside en Espagne mais ne produit aucun justificatif de sa situation personnelle ni aucun justificatif de sa situation financière de sorte qu'une sanction financière, complémentaire à l'amende douanière déjà prononcée, ne peut être envisagée.
10. Les juges ajoutent que la gravité de l'infraction retenue et la personnalité du prévenu rendent indispensable de prononcer une peine d'emprisonnement ferme de trente mois, toute autre sanction étant manifestement inadéquate au regard des antécédents de l'intéressé et des éléments déjà rappelés.
11. S'agissant de M. [R] [S], l'arrêt attaqué, après avoir relevé des éléments tenant à sa personnalité, énonce qu'il produit des documents attestant de sa situation familiale en Espagne mais pas de sa situation professionnelle et qu'en l'absence de tels éléments, seule une peine d'emprisonnement peut être envisagée, d'autant qu'il ne comparait pas devant la cour.
12. Les juges ajoutent que la gravité des délits commis par lui, tenant à la nature même de ceux-ci et à l'importance de la somme saisie, et la personnalité de M. [R] [S], dont ils relèvent néanmoins le rôle secondaire par rapport à son co-prévenu, rendent indispensable de le condamner à douze mois d'emprisonnement, toute autre sanction étant manifestement inadéquate au regard des éléments ainsi rappelés.
13. En conclusion, la cour d'appel infirme le jugement en ce qu'il a condamné les deux prévenus à une amende douanière de 130 000 euros, les peines d'emprisonnement prononcées à leur encontre étant appliquées au titre des deux délits.
14. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés.
15. En effet, d'une part, elle ne pouvait écarter le prononcé de toute amende douanière, fut-elle d'un montant symbolique.
16. D'autre part, n'étant pas tenus de prendre en considération la situation personnelle, familiale et sociale des prévenus pour fixer le montant de cette amende, les juges ne pouvaient en réduire le montant au motif qu'ils n'étaient pas en possession d'éléments relatifs à leur situation financière.
17. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
18. Il résulte des motifs de l'arrêt attaqué que les peines prononcées en répression des délits de blanchiment et de blanchiment douanier ont été déterminées en tenant compte de ce qu'il n'était pas infligé d'amende douanière aux prévenus.
19. En conséquence, la cassation à intervenir concernera l'ensemble des peines et sanctions douanières prononcées à l'encontre de MM. [U] [F] et [R] [S] en répression de ces deux délits.
20. Les autres dispositions seront maintenues, dès lors que les déclarations de culpabilité et l'amende douanière prononcée en répression du délit de transfert de capitaux sans déclaration n'encourent pas la censure.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par M. [U] [F] :
LE DÉCLARE non-admis ;
Sur le pourvoi formé par l'administration des douanes et des droits indirects :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 1er septembre 2021, mais en ses seules dispositions ayant condamné M. [U] [F] à trente mois d'emprisonnement et dix ans d'interdiction du territoire français, M. [R] [S] à douze mois d'emprisonnement, dix ans d'interdiction du territoire français et ayant ordonné des mesures de confiscation, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept décembre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000046727161.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° J 22-85.403 F-P
30 NOVEMBRE 2022
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 30 NOVEMBRE 2022
M. [S] [H] et M. [T] [G] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 2 septembre 2022, qui les a renvoyés devant la cour d'assises de Paris, sous l'accusation, pour le premier, d'évasion en bande organisée et d'association de malfaiteurs, pour le second, d'associations de malfaiteurs en récidive, et a confirmé leur maintien sous contrôle judiciaire.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Gouton, conseiller, les observations de Maître Laurent Goldman, avocat de M. [S] [H], et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 30 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gouton, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 1er juillet 2018, trois personnes armées se sont emparées d'un hélicoptère dont le pilote a été contraint de se poser dans la cour intérieure du centre pénitentiaire de [Localité 1], et ont fait évader M. [K] [H], détenu dans cet établissement.
3. Les investigations ont permis l'arrestation du fugitif, ainsi que l'identification et l'interpellation de plusieurs personnes ayant participé à la préparation et à l'exécution de son évasion, ou l'ayant accueilli ou assisté.
4. Par ordonnance du 4 mai 2022, les juges d'instruction cosaisis de la juridiction interrégionale spécialisée de Paris ont ordonné la mise en accusation et le renvoi devant la cour d'assises de Paris de onze personnes pour divers crimes et délits connexes, dont M. [S] [H], frère de M. [K] [H], et M. [T] [G].
5. Huit d'entre elles, dont M. [S] [H] et M. [G], ainsi que le procureur de la République, ont relevé appel de cette ordonnance.
Déchéance du pourvoi formé par M. [G]
6. M. [G] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de le déclarer déchu de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Examen des moyens proposés pour M. [H]
Sur le premier moyen
7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. M. [S] [H] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé son maintien sous contrôle judiciaire jusqu'à sa comparution devant la cour d'assises de Paris, alors « que le contrôle judiciaire des personnes renvoyées pour délit connexe prend fin à compter de leur mise en accusation devant la cour d'assises, sauf s'il est fait application des dispositions du troisième alinéa de l'article 179 du code de procédure pénale ; qu'en confirmant le maintien sous contrôle judiciaire de M. [H] jusqu'à sa comparution devant la cour d'assises de Paris, sans faire application des dispositions du troisième alinéa de l'article 179 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 181 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 179, 181, 214 et 215 du code de procédure pénale :
9. Selon l'article 214 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction prononce la mise en accusation devant la cour d'assises ou la cour criminelle départementale des personnes mises en examen à l'égard desquelles il existe des charges d'avoir commis une infraction qualifiée crime par la loi. Elle peut aussi renvoyer devant la juridiction criminelle les infractions connexes, en particulier les délits.
10. Selon l'article 215 du code précité, l'article 181 du même code est applicable, lorsque la chambre de l'instruction prononce la mise en accusation.
11. Selon cet article 181, le contrôle judiciaire des personnes renvoyées pour délit connexe devant la juridiction criminelle prend fin avec la décision de mise en accusation, sauf s'il est fait application du troisième alinéa de l'article 179 du même code.
12. Selon ce dernier texte, la personne renvoyée devant une juridiction de jugement peut être maintenue sous contrôle judiciaire par le juge d'instruction, par une décision distincte de l'ordonnance de renvoi et spécialement motivée.
13. Il se déduit de ces dispositions que le contrôle judiciaire de la personne renvoyée pour délit connexe devant la cour d'assises ou la cour criminelle départementale par la chambre de l'instruction prend fin avec l'arrêt de mise en accusation, sauf s'il est maintenu par un arrêt distinct et spécialement motivé.
14. En ordonnant, par l'arrêt attaqué, d'une part, le renvoi de M. [S] [H] devant la cour d'assises pour des délits connexes, d'autre part, son maintien sous contrôle judiciaire, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés.
15. La cassation est, dès lors, encourue.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation sera limitée à la confirmation du maintien sous contrôle judiciaire de M. [S] [H], dès lors que son renvoi devant la cour d'assises n'encourt pas la censure.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé par M. [G] :
CONSTATE la déchéance du pourvoi ;
Sur le pourvoi formé par M. [H] :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 2 septembre 2022, mais en ses seules dispositions relatives au maintien de M. [S] [H] sous contrôle judiciaire, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente novembre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000046727170.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 21-85.948 F-B
6 DÉCEMBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 DÉCEMBRE 2022
M. [G] [O] et la société [2] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 6 octobre 2021, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 24 novembre 2020, n° 19-87.651), pour infraction au code de l'environnement, a condamné le premier à 100 000 euros d'amende, a dit que cette amende serait supportée à concurrence de 80 000 euros par la seconde et a ordonné une mesure de publication.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire commun aux demandeurs et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [G] [O] et de la société [2], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 29 mars 2018, le centre de sécurité des navires de [Localité 4] a effectué un contrôle du combustible utilisé par un navire de croisière appartenant à la société britannique [2] et placé sous le commandement de M. [G] [O].
3. Ce contrôle avait notamment pour objet de vérifier le respect des prescriptions de l'article L. 218-2 du code de l'environnement relatif aux limitations de la teneur en soufre des combustibles. Il s'est avéré que le bon de soutage du combustible utilisé indiquait une teneur en soufre de 1,75 % et l'analyse d'un échantillon a révélé une teneur de 1,68 %, alors qu'elle aurait du être inférieure ou égale à 1,50 %. Un procès-verbal de constatation d'infraction a été établi.
4. M. [O] a été cité devant le tribunal correctionnel pour pollution de l'air en raison de l'utilisation, par un navire en mer territoriale, de combustible dont la teneur en soufre est supérieure aux normes autorisées, faits prévus par les articles L. 218-15, II, L. 218-2, I, II et III, L. 218-16, L. 218-18 du code de l'environnement et réprimés par les articles L. 218-15, II, L. 218-23 et L. 173-7 du même code.
5. La société [2] a été citée, en sa qualité de propriétaire et exploitante du navire, sur le fondement de l'article L. 218-23 précité.
6. Le tribunal a déclaré M. [O] coupable, l'a condamné à une amende de 100 000 euros mise à la charge de la société [2] à hauteur de 80 000 euros, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur les intérêts civils.
7. M. [O], la société [2] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et troisième moyens, le cinquième moyen, pris en ses quatrième, cinquième, septième, huitième, neuvième et dixième branches, et le sixième moyen
8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [O] coupable de faits d'utilisation par un navire en mer territoriale de combustible dont la teneur en soufre est supérieure aux normes autorisées et a prononcé sur la peine, alors :
« 1°/ que l'article L. 218-2, II, du code de l'environnement, qui établit une discrimination injustifiée entre les navires de croisière et les autres navires, est contraire au principe de non-discrimination, garanti par l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en se fondant sur ce texte, pour retenir la responsabilité pénale du capitaine du navire, la cour d'appel a violé l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que l'article L. 218-2, II, du code de l'environnement, en raison de l'imprécision de l'élément légal de l'infraction quant à la détermination des navires à passagers « assurant des services réguliers à destination ou en provenance de ports d'un Etat membre de l'Union européenne » est contraire au principe de légalité des délits et des peines, garanti par l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en se fondant sur ce texte, pour retenir la responsabilité pénale du capitaine du navire, la cour d'appel a violé l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
10. L'article L. 218-2, II, du code de l'environnement, interprété à la lumière, d'une part, de la directive 1999/32/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant une réduction de la teneur en soufre de certains combustibles liquides et modifiant la directive 93/12/CEE, telle que modifiée par la directive 2005/33/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 2005, d'autre part, de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 23 janvier 2014 (CJUE, arrêt du 23 janvier 2014, Mattia Manzi et Compagnia Naviera Orchestra, C-537/11), selon lequel un navire de croisière relève du champ d'application de l'article 4 bis, paragraphe 4, de la directive 1999/32 précitée au regard du critère des « services réguliers », tel qu'énoncé à son article 2, point 3 octies, à condition qu'il effectue des croisières, avec ou sans escales, s'achevant dans le port de départ ou dans un autre port, pour autant que ces croisières sont organisées à une fréquence déterminée, à des dates précises et, en principe, à des heures de départ et d'arrivée précises, les intéressés pouvant librement choisir entre les différentes croisières offertes, est rédigé en termes suffisamment clairs et précis pour que son interprétation se fasse sans risque d'arbitraire, de sorte qu'il ne méconnaît pas l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme.
11. Par ailleurs, comme le souligne la directive 2012/33/UE du Parlement Européen et du Conseil du 21 novembre 2012 modifiant la directive 1999/32 précitée, la circonstance que les navires à passagers opèrent principalement dans les ports ou à proximité des zones côtières et ont une incidence notable sur la santé humaine et sur l'environnement est de nature à justifier que, pour améliorer la qualité de l'air à proximité des ports et des côtes, ces navires soient tenus d'utiliser des combustibles marins présentant une teneur maximale en soufre de 1,50 %, jusqu'à ce que des normes plus strictes pour le soufre s'appliquent à tous les navires présents dans les eaux territoriales, zones économiques exclusives et zones de contrôle de la pollution des États membres, de sorte que l'article L. 218-2, II, du code de l'environnement ne méconnaît pas non plus l'article 14 de la Convention précitée.
12. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Sur le cinquième moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [O] coupable de faits d'utilisation par un navire en mer territoriale de combustible dont la teneur en soufre est supérieure aux normes autorisées et a prononcé sur la peine, alors :
« 1°/ que s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que la personne poursuivie ait été en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée ; que M. [O] a été poursuivi pour avoir, sur la ligne [Localité 1] et [Localité 4], dans les eaux territoriales françaises, entre le 28 et le 29 mars 2018, commis l'infraction d'utilisation par un navire en mer territoriale de combustible dont la teneur en soufre est supérieure aux normes autorisées, pollution de l'air, en l'espèce avoir utilisé un carburant pour assurer la liaison entre [Localité 1] et [Localité 4] dont la teneur en soufre est de 1,68 % alors que la norme autorisée ne doit pas dépasser 1,50 %, faits prévus par les articles L. 218-15, II, L. 218-2, I, II et III, L. 218-16, L. 218-18 du code de l'environnement et réprimés par les articles L. 218-15, II, L. 218-23 et L. 173-7 du même code ; que pour déclarer M. [O] coupable des faits qui lui étaient reprochés, la cour d'appel s'est fondée sur l'article L. 218-19, II, du code de l'environnement non visé à la prévention ; qu'en statuant ainsi, sans avoir invité M. [O] à s'expliquer sur cette nouvelle qualification, non visée à la prévention, la cour d'appel a méconnu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 388 du code de procédure pénale ;
2°/ que saisi in rem, le juge répressif ne peut statuer que sur les faits visés à l'acte qui le saisit, sauf accord exprès du prévenu d'être jugé sur les faits non compris dans les poursuites ; qu'en l'espèce, M. [O] a été poursuivi pour avoir sur la ligne [Localité 1] et [Localité 4], dans les eaux territoriales françaises, entre le 28 et le 29 mars 2018, commis l'infraction d'utilisation, par un navire en mer territoriale de combustible dont la teneur en soufre est supérieure aux normes autorisées, pollution de l'air, en l'espèce avoir utilisé un carburant pour assurer la liaison entre [Localité 1] et [Localité 4] dont la teneur en soufre est de 1,68 % alors que la norme autorisée ne doit pas dépasser 1,50 %, faits prévus par les articles L. 218-15, II, L. 218-2, I, II et III, L. 218-16, L. 218-18 du code de l'environnement et réprimés par les articles L. 218-15, II, L. 218-23 et L. 173-7 du même code ; que pour déclarer M. [O] coupable des faits qui lui étaient reprochés, la cour d'appel a énoncé que celui-ci avait commis une faute caractérisée exposant l'environnement à un risque d'une particulière gravité sur laquelle il n'avait pas accepté d'être jugé ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine en violation de l'article 388 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6, § 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ; que le délit d'utilisation par un navire en mer territoriale de combustible dont la teneur en soufre est supérieure aux normes autorisées prévu par l'article L. 218-15 du code de l'environnement constitue un délit intentionnel distinct tant en ses éléments matériel que moral du délit non-intentionnel de l'article L. 218-19, II, du code de l'environnement lequel incrimine le rejet d'hydrocarbure non intentionnel ; que pour déclarer M. [O] coupable des faits qui lui étaient reprochés, la cour d'appel a énoncé qu'en ne s'assurant pas des règles relatives à la pollution par les rejets des navires dans les eaux territoriales françaises et en ne faisant pas respecter ces règles, le taux de soufre du carburant utilisé par le navire étant de 1,75 % au lieu de la limite légale de 1,50 %, celui-ci a commis une faute caractérisée exposant l'environnement à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer, les effets du soufre sur la santé humaine étant connus ; qu'en déclarant ainsi M. [O] coupable du délit intentionnel de l'article L. 218-15 du code de l'environnement en retenant la faute caractérisée prévue à l'article L. 218-19, II, du même code incriminant un délit non-intentionnel distinct de rejet d'hydrocarbure involontaire, la cour d'appel a méconnu les articles L. 218-15 du code de l'environnement, ensemble, par fausse application, l'article L. 218-19 II du même code ;
6°/ que, même à supposer l'article L. 218-19, II, du code de l'environnement applicable, suivant l'article 121-3 du code pénal, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ; que l'article L. 218-19, II, du code de l'environnement vise la commission par le capitaine du navire d'une faute caractérisée qui a exposé l'environnement à un risque d'une particulière gravité que son auteur ne pouvait ignorer ; que, pour retenir la responsabilité pénale de M. [O], la cour d'appel a énoncé que, même si c'était un service spécialisé de la compagnie maritime qui prenait les décisions d'approvisionnement en carburant, le choix du carburant lui était, in fine, soumis pour validation ; qu'elle a encore énoncé que, même si les données ISM établies par la compagnie faisaient état de ce que dans les eaux territoriales françaises, un fioul avec un taux de soufre inférieur à 3,5 % pouvait être utilisé, le capitaine, garant de la protection de l'environnement et de la sûreté, était tenu personnellement de connaître, sans pouvoir évoquer son ignorance de la loi, et de faire respecter les règles relatives à la pollution par les rejets des navires, et devait s'assurer de la conformité à la législation du combustible utilisé ; qu'elle a ajouté qu'avait été fait usage du système de nettoyage des gaz d'échappement, permettant de diminuer le taux de soufre démontrait sa connaissance de ce qu'il était nécessaire d'abaisser dans les eaux territoriales françaises le taux de soufre du carburant utilisé par le navire dont la teneur en soufre était de 1,75 % en masse ; qu'enfin, elle a précisé qu'un combustible avec un taux de soufre > 1,50 % est plus onéreux qu'un combustible avec un taux de soufre inférieur à 1,50 % ; qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à établir que le capitaine aurait commis une faute caractérisée exposant l'environnement à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer, la cour d'appel a violé les articles L. 218-19, II, du code de l'environnement et 121-3 du code pénal. »
Réponse de la Cour
14. Pour confirmer le jugement, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé que le navire avait navigué de [Localité 1] à [Localité 4] avec un combustible dont la teneur en soufre s'élevait à 1,68 %, supérieur au seuil de 1,50 % défini au II de l'article L. 218-2 du code de l'environnement, énonce qu'aux termes de l'article 121-3 du code pénal, repris au dernier alinéa de l'article L. 218-19 du code de l'environnement, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée qui exposait l'environnement à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.
15. Les juges ajoutent que, lors d'une audition par les enquêteurs, M. [O] a admis être informé de l'obligation d'utiliser un combustible présentant un taux de soufre inférieur à 1,50 %, tout en considérant que le carburant utilisé était conforme aux exigences de la compagnie et du système International safety management (ISM) basé sur des lois internationales et les lois et accords concernant les eaux territoriales du pays de destination, dans la mesure où l'utilisation du système de nettoyage des gaz d'échappement (EGCS) devait permettre de remplir les critères requis.
16. Ils relèvent qu'il n'est pas contesté que le bon de soutage découvert à bord du navire, concernant le carburant chargé à [Localité 1] et utilisé lors du contrôle, indiquait une teneur en soufre de 1,75 % en masse.
17. Ils soulignent que les éléments produits par la défense et l'audition d'un témoin à l'audience établissent que les décisions d'approvisionnement en carburant sont prises par un service spécialisé de la compagnie basé à [Localité 3] qui détermine quel navire va s'approvisionner avec quel type de fioul, en quelle quantité et dans quel port, en fonction notamment des disponibilités dans les futures escales, des prix variables d'un port à l'autre, du nombre de miles nautiques à parcourir et des législations environnementales applicables dans les ports concernés.
18. Ils retiennent que, s'il est concevable que des règles générales concernant les décisions d'approvisionnement en carburant soient prises par un service spécialisé de la compagnie, afin notamment de mettre en place une organisation optimisée et d'obtenir à grande échelle les prix les plus favorables, il n'en demeure pas moins que M. [O] a convenu, en cours de procédure et lors de l'audience, qu'à l'occasion de chacun des trajets du navire, le choix du carburant est fait sur le navire par le premier officier de navigation, le chef mécanicien et l'officier chargé de la conformité environnementale, en fonction certes des instructions ISM émanant de la compagnie, mais qu'in fine ce choix lui est soumis pour validation.
19. Les juges précisent que l'audition par les premiers juges du représentant du centre de sécurité des navires PACA-Corse a confirmé que le capitaine peut à tout moment intervenir sur le combustible à consommer et que si les données ISM établies par la société [2] faisaient état de ce que dans les eaux territoriales françaises, un fioul avec un taux de soufre inférieur à 3,50 % pouvait être utilisé, cet argument ne peut être retenu comme exonératoire de responsabilité, alors que le capitaine, garant de la sécurité du navire et de son équipage, de la protection de l'environnement et de la sûreté, est tenu personnellement, à ce titre, de connaître et faire respecter, sans pouvoir évoquer son ignorance de la loi, les règles relatives à la pollution par les rejets des navires, et doit s'assurer de la conformité du combustible utilisé à la législation applicable.
20. Ils constatent encore que, tout en soutenant avoir utilisé un carburant conforme aux consignes de la compagnie faisant état de ce que les navires pouvaient circuler dans les eaux territoriales françaises avec un fioul avec un taux de soufre inférieur à 3,50 %, M. [O] a cependant déclaré aux enquêteurs avoir fait usage du système de nettoyage des gaz d'échappement, qui a pour objet de diminuer le taux de soufre, dès l'entrée sur les eaux territoriales françaises ou au moins sur une partie de celles-ci, et pas seulement lors de son arrivée à quai à [Localité 4], ce qui démontre bien qu'il avait connaissance de la nécessité d'abaisser en ces lieux le taux de soufre du carburant utilisé.
21. C'est à tort que la cour d'appel s'est référée, s'agissant de l'élément moral de l'infraction, à l'article L. 218-19 du code de l'environnement.
22. En effet, cet article, d'une part, n'est pas visé dans la prévention, d'autre part, concerne l'infraction distincte de pollution involontaire des eaux marines par rejet des navires, enfin, précise que son élément moral réside dans une faute d'imprudence, de négligence ou d'inobservation des lois et règlements, dût-elle, lorsque la personne poursuivie n'a pas causé directement le dommage, revêtir l'un des caractères particuliers de gravité définis dans son IV.
23. Or, l'article L. 218-15 du même code, qui incrimine la pollution de l'air commise par un navire et constitue le fondement des poursuites, ne comporte pas une telle précision quant à son élément moral, de sorte qu'il s'agit d'une infraction intentionnelle par application du premier alinéa de l'article 121-3 du code pénal.
24. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure.
25. En effet, il résulte des autres énonciations de l'arrêt rappelées aux paragraphes 15, 16, 18 et 20 que c'est en connaissance de cause que le prévenu a méconnu l'obligation d'utiliser un combustible présentant un taux de soufre inférieur à 1,50 %.
26. Ainsi, le moyen, devenu inopérant en sa sixième branche, doit être écarté.
27. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six décembre deux mille vingt-deux.
Le Rapporteur Le Président
Le Greffier de chambre
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CASS/JURITEXT000046727159.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° T 22-85.388 F-B
29 NOVEMBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 29 NOVEMBRE 2022
M. [L] [T] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 31 août 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants, infractions à la législation sur les stupéfiants, associations de malfaiteurs, contrebande de marchandises prohibées, en récidive, et blanchiment, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [L] [T], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [L] [T] a fait l'objet, dans le cadre d'une enquête sur un trafic international de stupéfiants, d'un mandat d'arrêt délivré le 9 juin 2022 par le juge d'instruction. Il a été interpellé aux Emirats arabes unis et remis aux autorités françaises le 5 août 2022.
3. Le 8 août suivant, lors de son interrogatoire de première comparution, au cours duquel il était assisté de Mme Sophie Tesson, collaboratrice de M. Raphaël Chiche, M. [T] a désigné ce dernier comme avocat choisi et a été mis en examen des chefs susvisés.
4. Le juge d'instruction a délivré un permis de communiquer à M. Chiche le même jour.
5. M. [T] a sollicité un report du débat contradictoire, lequel a été fixé au 11 août 2022, à 14 heures.
6. Par courriel du 8 août à 20 heures 44, adressé au cabinet d'instruction n° 4, M. Chiche a demandé un permis de communiquer pour Mme Tesson et M. [R] [V], avocats collaborateurs.
7. Le 11 août, à 13 heures 31, M. Chiche a adressé une télécopie au juge des libertés et de la détention, indiquant que, le permis de communiquer sollicité pour Mme Tesson n'ayant pas été délivré alors qu'il avait été demandé, M. [T] n'avait pas été en mesure de préparer sa défense, et sollicitait en conséquence un renvoi.
8. En réponse aux questions du greffe du juge des libertés et de la détention puis du parquet général, la greffière du cabinet d'instruction a indiqué dans deux soit-transmis des 8 et 30 août 2022, d'une part, avoir remis en mains propres à la collaboratrice de M. Chiche un permis de communiquer au nom de celui-ci et, d'autre part, lui avoir précisé qu'elle devait envoyer ses demandes concernant ce dossier à l'adresse structurelle du service de l'instruction, durant l'absence du greffier du cabinet en charge du dossier, un message d'absence sur l'adresse structurelle dudit cabinet étant mis en place.
9. Par ordonnance du 11 août 2022, le juge des libertés et de la détention a rejeté la demande de renvoi aux motifs que M. [T] avait refusé d'être assisté par l'avocat de permanence et que les délais ne permettaient pas un nouveau renvoi. Il a placé l'intéressé en détention provisoire.
10. Celui-ci a interjeté appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bordeaux JIRS rendue le 11 août 2022 ordonnant le placement en détention provisoire de M. [T], alors :
« 1°/ que les droits de la défense, au premier rang desquels figure le droit de communiquer avec son avocat, qui inclut celui de recevoir ses visites et de s'entretenir avec lui, supposent qu'un permis de communiquer soit délivré non seulement à l'avocat désigné par la personne mise en examen, mais encore, lorsque celui-ci en fait la demande, à ses collaborateurs, avant la tenue du débat contradictoire différé relatif à la détention ; qu'au cas d'espèce, il résulte des propres constations de la Chambre de l'instruction que Maître Raphaël Chiche, avocat désigné par Monsieur [T], a, dès la mise en examen de l'exposant, sollicité la délivrance d'un permis de communiquer au nom de ses collaborateurs par courriel adressé à la boîte structurelle du cabinet d'instruction en charge de l'affaire ; qu'il appartenait dès lors au juge d'instruction ou, en cas d'empêchement de celui-ci, à un juge désigné pour le substituer, de délivrer ce permis de communiquer en temps utile ; qu'en retenant, pour écarter l'atteinte aux droits de la défense et confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention plaçant Monsieur [T] en détention, qu'il appartenait à l'avocat de Monsieur [T] de s'adresser à un autre juge d'instruction afin de solliciter ce permis de communiquer, le juge en charge du dossier étant en vacances, quand une telle circonstance résultait de la seule organisation du service de la justice et ne pouvait être opposée à l'avocat de Monsieur [T], qui avait sollicité le permis de communiquer de ses collaborateurs dans les formes légales, la Chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, R. 313-14, R. 313-15 et R. 313-16 du Code pénitentiaire, préliminaire, D. 32-1-2, D. 591, D. 592, R. 57-6-5, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ que les droits de la défense, au premier rang desquels figure le droit de communiquer avec son avocat, qui inclut celui de recevoir ses visites et de s'entretenir avec lui, supposent qu'un permis de communiquer soit délivré non seulement à l'avocat désigné par la personne mise en examen, mais encore, lorsque celui-ci en fait la demande, à ses collaborateurs, avant la tenue du débat contradictoire différé relatif à la détention ; qu'en retenant, pour écarter l'atteinte aux droits de la défense et confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention plaçant Monsieur [T] en détention, que ni l'avocat désigné par ce dernier ni ses collaborateurs n'avaient émis d'observation au moment de la délivrance d'un permis de communiquer au seul nom de Maître Raphaël Chiche, quand il résultait de ses propres constatations que dès le soir de cette délivrance, l'avocat de l'exposant avait sollicité, par courriel adressé à la boîte structurelle du cabinet d'instruction en charge de l'affaire, la délivrance d'un permis de communiquer au nom de ses collaborateurs, la Chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, R. 313-14, R. 313-15 et R. 313-16 du Code pénitentiaire, préliminaire, D. 32-1-2, D. 591, D. 592, R. 57-6-5, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
3°/ que dans le cas où le demandeur fait valoir que ne figure pas en procédure la décision de remise des autorités judiciaires requises, il appartient à la chambre de l'instruction d'en demander le versement au dossier, une telle demande constituant une vérification au sens de l'article 194, alinéa 4, du code de procédure pénale, puis de rechercher si la personne mise en examen avait été placée en détention provisoire pour des chefs d'accusation pour lesquels ces autorités avaient ordonné, au moins pour partie, sa remise ; que s'il apparaît d'emblée que le versement de cette décision est impossible, la Chambre de l'instruction, qui ne peut procéder au contrôle du respect du principe de spécialité, est tenue d'ordonner la remise en liberté de la personne extradée ; qu'en écartant le moyen tiré de l'irrégularité de la détention de Monsieur [T] après avoir elle-même constaté que la décision de remise des autorités émiraties ne figurait pas en procédure et ne pouvait pas y figurer, les services du Bureau de l'Entraide Pénale Internationale ayant cherché en vain à obtenir cette décision pendant plusieurs mois, la Chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé les articles 696-6, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 12 de la Convention d'extradition conclue le 2 mai 2007 entre la France et les Emirats Arabes Unis ;
4°/ que seule la lecture de la décision de remise des autorités judiciaires requises permet à la Chambre de l'instruction de s'assurer du respect du principe de spécialité ; qu'en écartant le moyen tiré de l'irrégularité de la détention de Monsieur [T] après avoir elle-même constaté que la décision de remise des autorités émiraties ne figurait pas en procédure et ne pouvait pas y figurer, les services du Bureau de l'Entraide Pénale Internationale ayant cherché en vain à obtenir cette décision pendant plusieurs mois, au seul motif que le placement en détention provisoire de Monsieur [T] « a été prononcé des mêmes chefs que ceux qui ont été visés au mandat d'arrêt sur lequel les autorités judiciaires des Emirats Arabes Unis se sont nécessairement fondées pour prononcer la remise de l'intéressé », la Chambre de l'instruction a statué par un motif inopérant à justifier légalement sa décision au regard des articles 696-6, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 12 de la Convention d'extradition conclue le 2 mai 2007 entre la France et les Emirats Arabes Unis. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
12. Pour écarter le moyen de nullité selon lequel le permis de communiquer pour les collaborateurs de l'avocat désigné n'aurait pas été délivré en temps utile, l'arrêt attaqué énonce notamment que ce permis a été demandé dans la soirée de l'interrogatoire de première comparution du 8 août 2022 et qu'il ressort d'un soit-transmis de la greffière que la collaboratrice qui a reçu, en mains propres, un permis au seul nom de l'avocat désigné, n'a présenté aucune observation.
13. Les juges ajoutent qu'il ressort de ce même soit-transmis que l'adresse électronique structurelle du service de l'instruction permettant une communication a également été remise à la collaboratrice concernée.
14. Ils relèvent que l'avocat ne s'est ému d'un éventuel défaut de délivrance du permis de communiquer à ses deux collaborateurs auprès du juge des libertés et de la détention que le 11 août 2022, à 13 heures 31, alors que le débat différé était fixé le même jour à 14 heures, et ce, pour réclamer un renvoi du débat que les délais de procédure ne permettaient pourtant pas.
15. Ils observent encore que l'avocat du demandeur n'a pas produit le message automatique d'absence qu'il a reçu en réponse et qui l'invitait à saisir le secrétariat commun de sa demande.
16. Ils en déduisent que la nullité n'est pas encourue.
17. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu les droits de la défense.
18. En toute hypothèse, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que la demande de permis de communiquer pour les deux collaborateurs de M. Chiche a été envoyée à une adresse électronique ne répondant pas au format « [Courriel 1] », seul éligible à la communication électronique pénale en application de la convention signée le 5 février 2021 avec le Conseil national des barreaux, qui a pour objet de garantir notamment la sécurité des échanges entre les avocats et les juridictions, l'intégrité des actes transmis et l'identification des acteurs de la communication électronique. Elle était dès lors irrecevable en application de l'article D. 591 du code de procédure pénale, dans sa version issue du décret n° 2022-546 du 13 avril 2022.
19. Ainsi, les griefs doivent être écartés.
Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches
20. Pour écarter le moyen tiré du non-respect du principe de spécialité, l'arrêt attaqué énonce notamment que, si le bureau de l'entraide pénale internationale (BEPI) du ministère de la justice a adressé plusieurs demandes aux autorités émiriennes aux fins de transmission de la décision d'extradition, celles-ci ont transmis un message du 18 juillet 2022 émanant du ministère de l'intérieur fédéral des Emirats arabes unis indiquant en anglais : « Nous vous informons que la décision d'extradition urgente a été émise par notre autorité judiciaire. De plus, nous vous avisons que la personne concernée consent à l'extradition. »
21. Les juges relèvent que des demandes postérieures du BEPI des 3 et 4 août suivants n'ont pas abouti à la transmission d'éléments complémentaires et que l'attaché de sécurité intérieure en poste à Dubaï n'est pas davantage parvenu, dans le cadre de ses échanges avec les autorités émiriennes, à obtenir les documents sollicités.
22. Ils ajoutent que, même si aucun élément ne permet de déterminer que la personne mise en examen aurait renoncé au bénéfice du principe de spécialité, il doit être retenu que son placement en détention a été prononcé des mêmes chefs que ceux qui ont été visés au mandat d'arrêt sur lequel les autorités judiciaires des Emirats arabes unis se sont nécessairement fondées pour prononcer la remise de l'intéressé, la référence française visée par les autorités émiriennes dans la suite des messages échangés avec le BEPI étant celle de la présente procédure.
23. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
24. D'une part, les éléments transmis par les autorités émiriennes compétentes se référaient à une décision de justice autorisant la remise, ainsi qu'au fait que la personne remise consentait à son extradition, sans mentionner une quelconque réserve.
25. D'autre part, les autorités des Emirats arabes unis, qui ont été mises en mesure de fournir les éléments nécessaires à la vérification du respect du principe de spécialité, lequel protège également la souveraineté de l'Etat requis, n'ont, à aucun moment, indiqué que la remise avait été assortie de réserves.
26. Ainsi, le moyen doit être écarté.
27. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-neuf novembre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000046651888.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° N 22-83.221 F-B
22 NOVEMBRE 2022
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 22 NOVEMBRE 2022
M. [O] [U] et M. [K] [L] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Colmar, en date du 28 avril 2022, qui, dans l'information suivie contre eux des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, infractions à la législation sur les armes et importation de produits stupéfiants, en récidive, a prononcé sur leur demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance en date du 6 juillet 2022, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.
Un mémoire, commun aux demandeurs, et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [O] [U] et de M. [K] [L], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 27 janvier 2019 a été ouverte une information judiciaire, dans le cadre de laquelle MM. [K] [L] et [O] [U] ont été mis en examen des chefs susvisés.
3. Les 13 décembre 2021 et 17 février 2022, leurs avocats respectifs ont présenté devant la chambre de l'instruction des requêtes en nullité qui ont été examinées conjointement par cette juridiction.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens
4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les moyens de nullité et les demandes présentées par les exposants, alors :
« 1°/ qu'en retenant, pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'inconventionnalité, au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, des mesures d'obtention, exploitation et conservation des données dont les exposants ont fait l'objet, que ces mesures ne pouvaient être contestées sur le fondement de leur inconstitutionnalité, la chambre de l'instruction a statué par un motif inopérant, impropre à répondre aux conclusions de l'exposant et par conséquent insuffisant, et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en retenant, pour rejeter le moyen de nullité tiré de l'inconventionnalité, au regard de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, des mesures d'obtention, exploitation et conservation des données dont les exposants ont fait l'objet, que « les deux requêtes des mis en examen, de même que le mémoire en réplique aux réquisitions du ministère public, ne précisent pas quels actes ou quelles pièces de procédure seraient frappés de nullité parce que réalisés sur le fondement de l'article L. 34-2 du CPCE », quand les requêtes présentées par Messieurs [U] et [L] visaient de manière générale tous les actes par lesquels les enquêteurs avaient requis les « opérateurs téléphoniques français », « afin d'obtenir le détail géolocalisé » des puces qui leur étaient attribuées et l'exploitation subséquente de ces données par les agents de police dans le cadre d' « analyses techniques » et, de manière plus spécifique, les cotes D. 1462, D. 1512, D. 1513, D. 1514, D. 1531, D. 1593, D. 1610, D. 1611 et D. 1612, de sorte que les exposants visaient précisément les actes et les pièces dont ils contestaient la régularité, la chambre de l'instruction a statué par un motif erroné, impropre à répondre aux conclusions de l'exposant, et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que la chambre de l'instruction saisie d'une contestation relative à l'accès aux données de trafic et de localisation d'une personne mise en examen doit s'assurer d'une part que la procédure visait à la lutte contre la criminalité grave et d'autre part que les réquisitions étaient tout à la fois nécessaires et proportionnées à la poursuite des infractions objet de la procédure dont elle est saisie ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [U] et Monsieur [L] contestaient la conventionnalité des mesures aux cours desquelles les enquêteurs avaient eu accès à leurs données de trafic et de localisation ; qu'en se contentant d'énoncer, pour dire régulier l'accès aux données de connexion de Monsieur [U] et Monsieur [L], que les enquêteurs agissaient sur commission rogatoire, sans s'assurer de la gravité des faits reprochés aux exposants ni de la nécessité et de la proportionnalité de l'accès à ces données, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
6. Pour écarter les moyens de nullité et les demandes présentées par les requérants, pris de la non-conformité du droit français aux exigences européennes en matière de conservation des données de connexion, l'arrêt attaqué retient que ni les deux requêtes des personnes mises en examen, ni le mémoire en réplique aux réquisitions du ministère public, ne précisent quels actes ou quelles pièces de procédure seraient frappés de nullité parce que réalisés sur le fondement de l'article L. 34-2 du code de postes et des communications électroniques.
7. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
8. En effet le grief pris de la violation des exigences européennes en matière de conservation et d'accès aux données de connexion ainsi que de celles énoncées à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui n'est pas d'ordre public, n'affecte qu'un intérêt privé.
9. Il s'en déduit que le demandeur, lorsqu'il présente une requête en nullité d'actes de la procédure, doit indiquer précisément à la chambre de l'instruction chacun des actes dont il sollicite l'annulation.
10. Dès lors, le moyen, inopérant en sa première branche en ce qu'elle critique un motif surabondant, doit être écarté.
11. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-deux novembre deux mille vingt-deux.
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CASS/JURITEXT000046683051.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 novembre 2022
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 720 F-B
Pourvoi n° C 21-16.071
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 NOVEMBRE 2022
1°/ L'association foncière urbaine libre Franc de Cahuzac, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ M. [K] [M], domicilié [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° C 21-16.071 contre une ordonnance rendue le 1er octobre 2019 et un arrêt rendu le 4 mars 2021 par la cour d'appel de Dijon (2e chambre civile), dans le litige les opposant à la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 3]-[Localité 5], société civile coopérative, dont le siège est [Adresse 4], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'association foncière urbaine libre Franc de Cahuzac et de M. [M], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 3]-[Localité 5], après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Gillis, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Déchéance du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'ordonnance du 1er octobre 2019
Vu l'article 978 du code de procédure civile :
1. Il résulte de ce texte qu'à peine de déchéance, le demandeur en cassation doit, au plus tard dans le délai de quatre mois à compter du pourvoi, remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.
2. Le mémoire en demande de l'association foncière urbaine libre Franc de Cahuzac (l'AFUL) et de M. [M] ne contenant aucun moyen de droit contre l'ordonnance rendue le 1er octobre 2019 par le conseiller de la mise en état, il y a lieu de constater la déchéance de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre cette décision ;
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 4 mars 2021), l'AFUL était titulaire d'un compte bancaire dans les livres de la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 3]-[Localité 5] (la banque), lequel devait fonctionner sous la signature du président de l'association, M. [M], et d'un représentant de la société Historia prestige, à laquelle avait été confiée une mission d'assistance du président. Invoquant des ordres de virement irrégulièrement passés à partir de son compte bancaire, l'AFUL a assigné la banque en indemnisation pour avoir manqué à son obligation de vigilance à l'occasion de l'exécution de ces opérations.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. L'AFUL et M. [M] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes à l'encontre de la banque, alors « que le président d'une association foncière urbaine libre a seul le pouvoir d'assurer la gestion, autonome et interne, de ses comptes bancaires ; que ces principes d'organisation imposés par la loi ne peuvent échapper à la connaissance de la banque ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a admis qu'en application de l'article L. 322-4-1 du code de l'urbanisme, la gestion des comptes de l'AFUL est nécessairement autonome et interne ; qu'en retenant néanmoins que la SARL Historia prestige pouvait avoir mandat d'ouvrir le compte bancaire au nom de l'AFUL et que ce compte pouvait fonctionner sous la double signature du représentant de cette société et du président de l'AFUL, au motif impropre que la SARL Historia prestige avait une mission d'assistance du président pour exercer tous les pouvoirs administratifs, pour en déduire l'absence de faute de la banque dans l'ouverture et le fonctionnement du compte, la cour d'appel a violé l'article L. 322-4-1 du code de l'urbanisme, ensemble l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 322-4-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004, le président de l'association foncière urbaine exécute les décisions du conseil des syndics et de l'assemblée générale, prépare le budget et le compte administratif des opérations de l'association et assure le paiement des dépenses. Il peut se faire assister par une personne, physique ou morale, agissant en qualité de prestataire de services, à laquelle peuvent être confiées toutes autres missions concernant la réalisation de l'objet de l'association.
7. Il résulte de ce texte qu'aucun paiement ou retrait ne peut être effectué à partir des comptes bancaires d'une association foncière urbaine s'il n'a pas été ordonné par son président, ce qui n'interdit pas qu'il soit donné mandat à un tiers d'ouvrir un compte bancaire au nom et pour le compte de l'association foncière urbaine et que la convention d'ouverture prévoie que les comptes fonctionneront sous la double signature du président et du prestataire auquel est confié, par contrat, une mission d'assistance du président.
8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CONSTATE la déchéance du pourvoi en tant qu'il est dirigé contre l'ordonnance du 1er octobre 2019 ;
REJETTE le pourvoi en tant qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu le 4 mars 2021 ;
Condamne l'association foncière urbaine libre Franc de Cahuzac et M. [M] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'association foncière urbaine libre Franc de Cahuzac et M. [M] et les condamne à payer à la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 3]-[Localité 5] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux et signé par lui, M. Ponsot, conseiller, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile, et Mme Fornarelli, greffier présent lors du prononcé. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour l'association foncière urbaine libre Franc de Cahuzac et M. [M].
L'AFUL Franc de Cahuzac et M. [M] font grief à l'arrêt attaqué du 4 mars 2021 de les avoir déboutés de toutes leurs demandes à l'encontre de la caisse de crédit mutuel de [Localité 3] [Localité 5],
1) ALORS QUE le président d'une AFUL a seul le pouvoir d'assurer la gestion, autonome et interne, de ses comptes bancaires ; que ces principes d'organisation imposés par la loi ne peuvent échapper à la connaissance de la banque ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a admis qu'en application de l'article L.322-4-1 du code de l'urbanisme, la gestion des comptes de l'AFUL est nécessairement autonome et interne ; qu'en retenant néanmoins que la SARL Historia prestige pouvait avoir mandat d'ouvrir le compte bancaire au nom de l'AFUL et que ce compte pouvait fonctionner sous la double signature du représentant de cette société et du président de l'AFUL, au motif impropre que la SARL Historia prestige avait une mission d'assistance du président pour exercer tous les pouvoirs administratifs, pour en déduire l'absence de faute de la banque dans l'ouverture et le fonctionnement du compte, la cour d'appel a violé l'article L. 322-4-1 du code de l'urbanisme, ensemble l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil.
2) ALORS QUE la banque est tenue d'un devoir de vigilance quant à l'ouverture et au fonctionnement du compte bancaire, en vertu duquel elle est tenue de détecter les anomalies apparentes ; qu'en affirmant en l'espèce qu'il ne pouvait être tiré aucune conséquence légale du constat que le formulaire d'ouverture de compte avait été signé avant même la tenue de l'assemblée générale constitutive de l'AFUL, quand il s'agissait d'une anomalie apparente nécessitant des vérifications de la banque, la cour d'appel a violé l'article L. 561-6 du code monétaire et financier, ensemble l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil.
3) ALORS QU'en vertu de son devoir de vigilance, la banque est tenue de vérifier la régularité des ordres de virement et d'en détecter les anomalies apparentes ; qu'en l'espèce, en retenant que la présence de la signature de Mme [P] sur les ordres de virement du 21 décembre 2007 pour la société Historia prestige était sans incidence, dès lors que son nom avait été barré, pour en déduire que ces ordres ne présentaient aucune anomalie, quand elle venait pourtant de constater que la démission de Mme [P] de la direction de la société Historia prestige avait été actée le 29 décembre 2006, la cour d'appel a violé l'article L. 561-6 du code monétaire et financier et l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil.
4) ALORS QUE le juge est tenu de répondre aux conclusions des parties ; qu'en l'espèce, l'AFUL Franc de Cahuzac faisait valoir dans ses conclusions d'appel (page 30) que l'ordre de virement du 11 juillet 2008 (cf. production n°4, avant-dernière page) comportait des anomalies apparentes puisqu'y figurait la signature de Mme [P], laquelle n'était plus gérante de la SARL Historia prestige depuis 2006, sans que son nom ne soit rayé, ainsi qu'une autre signature d'une personne non identifiée, de surcroit différente avec celle figurant sur la lettre d'accompagnement ; qu'en s'abstenant de se prononcer sur les anomalies de cet ordre de virement du 11 juillet 2008, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
5) ALORS QUE les services bancaires de base comprennent l'envoi mensuel d'un relevé des opérations effectuées sur le compte ; que la banque est tenue de respecter cette obligation envers son client, afin de lui permettre de s'assurer du bon fonctionnement de son compte ; qu'en l'espèce, en affirmant qu'il ne pouvait être tiré aucune conséquence de l'absence de justification par la caisse de crédit mutuel de [Localité 3] [Localité 5] du respect de son obligation d'envoi des relevés de compte, au motif impropre que ni l'AFUL ni M. [M] ne justifiaient avoir demandé la communication de ces relevés, quand l'initiative de la communication des relevés de compte doit reposer sur la banque et non sur le client, la cour d'appel a violé l'article D. 312-5 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable au litige, ensemble l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil.
Sur la responsabilité d'une banque en présence d'un mandataire d'une association foncière urbaine, à rapprocher :Com., 7 avril 1998, pourvoi n° 9513.413, Bull. 1990, IV, n° 124
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CASS/JURITEXT000046683047.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 novembre 2022
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 717 F-B
Pourvoi n° T 20-22.383
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 NOVEMBRE 2022
1°/ M. [I] [U],
2°/ Mme [X] [P], épouse [U],
tous deux domiciliés [Adresse 3]),
ont formé le pourvoi n° T 20-22.383 contre l'arrêt rendu le 28 septembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 - chambre 10), dans le litige les opposant au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Tostain, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. et Mme [U], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris, agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Tostain, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 septembre 2020), M. et Mme [U] ont procédé à des déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) au titre des années 2004 à 2012.
2. Le 30 novembre 2010, l'administration fiscale a déposé à leur encontre une plainte ayant entraîné l'ouverture d'une enquête judiciaire pour des faits de fraude fiscale commis entre 2007 et 2009.
3. Le 23 octobre 2013, considérant que M. et Mme [U] avaient omis de déclarer au titre de l'ISF des avoirs détenus à l'étranger et les parts sociales d'une société, l'administration fiscale leur a notifié une proposition de rectification portant rappel de cet impôt pour les années 2004 à 2012.
4. Après le rejet de leur réclamation contentieuse, M. et Mme [U] ont assigné l'administration en annulation de la décision de rejet et en décharge des impositions supplémentaires et pénalités mises en recouvrement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. M. et Mme [U] font grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté toutes leurs demandes tendant à voir prononcer le dégrèvement total des sommes mises en recouvrement à leur encontre pour un montant total de 236 243 euros au titre de l'ISF pour les années 2004 à 2012, alors « que, selon les dispositions prévues à l'article L. 188 B du livre des procédures fiscales, lorsque l'administration a, dans le délai de reprise, déposé une plainte ayant abouti à l'ouverture d'une enquête judiciaire pour fraude fiscale dans les cas visés aux 1° à 3° de l'article L. 228 du même livre, les omissions ou insuffisances d'imposition afférentes à la période couverte par le délai de reprise peuvent, même si celui-ci est écoulé, être réparées jusqu'à la fin de l'année qui suit la décision qui met fin à la procédure et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ; que le délai spécial de reprise prévu à l'article L. 188 B du livre des procédures fiscales ne s'applique qu'au titre des années visées par la plainte de l'administration ; qu'en décidant que le droit de reprise de l'administration s'exerçait pendant dix ans à partir du jour du fait générateur de l'impôt, cependant qu'elle avait relevé que, suivant la proposition de rectification, la plainte pénale visait exclusivement les années 2007, 2008 et 2009, de sorte que seules ces années pouvaient donner lieu à redressement, la cour d'appel a violé les articles L. 180, L. 186 et L. 188 B du livre des procédures fiscales. »
Réponse de la Cour
7. Selon l'article L. 188 B du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, lorsque l'administration a, dans le délai de reprise, déposé une plainte ayant abouti à l'ouverture d'une enquête judiciaire pour fraude fiscale dans les cas visés aux 1° à 3° de l'article L. 228 du même livre, les omissions ou insuffisances d'imposition afférentes à la période couverte par le délai de reprise peuvent, même si celui-ci est écoulé, être réparées jusqu'à la fin de l'année qui suit la décision qui met fin à la procédure et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due.
8. Il en résulte que le délai spécial de reprise prévu à l'article L. 188 B du livre des procédures fiscales ne s'applique pas aux seules impositions dues au titre des années visées par la plainte de l'administration fiscale, mais à toutes les impositions comprises dans le délai initial de reprise non expiré à la date du dépôt de ladite plainte.
9. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme [U] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [U] et les condamne à payer au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de [Localité 1], agissant sous l'autorité du directeur général des finances publiques, la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Fornarelli, greffier présent lors du prononcé.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [U].
M. [I] [U] et Mme [X] [P], épouse [U] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il les a déboutés de toutes leurs demandes tendant à prononcer le dégrèvement total des sommes mises en recouvrement à leur encontre pour un montant total de 236 243 euros au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune pour les années 2004 à 2012 ;
1° ALORS QUE selon les dispositions prévues à l'article L. 188 B du livre des procédures fiscales, lorsque l'administration a, dans le délai de reprise, déposé une plainte ayant abouti à l'ouverture d'une enquête judiciaire pour fraude fiscale dans les cas visés aux 1° à 3° de l'article L. 228, les omissions ou insuffisances d'imposition afférentes à la période couverte par le délai de reprise peuvent, même si celui-ci est écoulé, être réparées jusqu'à la fin de l'année qui suit la décision qui met fin à la procédure et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ; que le délai spécial de reprise prévu à l'article L. 188 B du livre des procédures fiscales ne s'applique qu'aux titres des années visées par la plainte de l'administration ; qu'en décidant que le droit de reprise de l'administration s'exerçait pendant dix ans à partir du jour du fait générateur de l'impôt, cependant qu'elle avait relevé que suivant la proposition de rectification, la plainte pénale visait exclusivement les années 2007, 2008 et 2009, de sorte que seules ces années pouvaient donner lieu à redressement, la cour d'appel a violé les articles L. 180, L. 186 et L. 188 B du livre des procédures fiscales ;
2° ALORS QUE le juge ne peut retenir dans sa décision les moyens, les explications et les documents invoqués ou fournis par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ; qu'en énonçant, pour rejeter la contestation des époux [U], qu'en ce qui concernait les documents fondant les poursuites, ils avaient omis de présenter devant la cour les décisions qui avaient reconnu la validité des éléments de preuve les concernant, et notamment l'arrêt de la Cour de cassation du 28 septembre 2016, la cour d'appel, qui s'est manifestement fondée sur des pièces étrangères aux débats comme ne figurant pas au bordereau de communication de pièces, a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3° ALORS QUE sauf disposition expresse contraire, le principe de loyauté de la preuve a vocation à s'appliquer à tout contentieux soumis aux dispositions du code de procédure civile ; qu'en se fondant, pour rejeter la contestation des époux [U], sur les décisions qui avaient reconnu la validité des éléments de preuve concernant les époux [U], et notamment l'arrêt de la Cour de cassation du 28 septembre 2016, sans même vérifier si les éléments de preuve produits aux débats dans le cadre de la procédure pénale satisfaisaient aux principes de loyauté et de licéité de la preuve, la cour d'appel a violé les articles 9 du code de procédure civile, 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le principe de loyauté dans l'administration de la preuve ;
4° ALORS QUE toute décision doit être motivée ; qu'en se bornant à rejeter l'étude produite par M. et Mme [U] pour évaluer les titres de la société Villette Viandes Argonne en se fondant sur les seules indications figurant dans le liminaire de cette étude sans même expliquer les raisons pour lesquelles il convenait de retenir l'évaluation de la commission de conciliation du 15 septembre 2015 sur les parts sociales de la société Villette Viandes Argonne au titre des années 2004 à 2012, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5° ALORS QUE la pénalité pour manoeuvres frauduleuses prévue à l'article 1729 du code général des impôts suppose, d'une part, la conscience de la part du contribuable d'éluder l'impôt, élément intentionnel et d'autre part, la création d'apparences de nature à égarer l'administration dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle ; qu'en énonçant que « M. et Mme [I] [U] ont délibérément occulté leurs avoirs détenus sur un compte étranger situé en Suisse solde de 1 341 625 euros en 2007, sous le profil « Emeth 55 » puis « Maclom 55 », y compris par les déclarations ultérieures de M. [U] devant les services de police en 2011 « l'existence de ce profil client est mensonger»; « oui je nie » et par la minoration prolongée de leur actif imposable, justifiant l'application des dispositions de l'article 1729 C du CGI, totalement distinctes de celles prévoyant l'application d'une amende pour défaut de déclaration d'un compte étranger article 1736 IV du CGI » sans caractériser la conscience de la part du contribuable d'éluder l'impôt et la création d'apparences de nature à égarer l'administration dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle, la cour d'appel a violé l'article 1729 du code général des impôts.
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CASS/JURITEXT000046683053.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 novembre 2022
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 722 F-B
Pourvoi n° R 20-19.184
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 NOVEMBRE 2022
1°/ [W] [B], ayant été domicilié [Adresse 9], décédé,
2°/ la société Risa, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ Mme [F] [B], domiciliée [Adresse 5],
4°/ M. [T] [B], domicilié [Adresse 6],
5°/ M. [Y] [B], domicilié [Adresse 1],
tous trois agissant en qualité d'héritiers de [W] [B],
ont formé le pourvoi n° R 20-19.184 contre l'arrêt rendu le 27 janvier 2020 par la cour d'appel de Basse-Terre (2e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Soredom, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Société financière des Antilles-Guyane (Sofiag), venant aux droits de la Société de crédit pour le développement de la Guadeloupe (Sodega), elle-même venant aux droits de la Société de développement de la Guadeloupe (Soderag),
2°/ à la société Bred-Banque populaire, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de MM. [T] et [Y] [B], de Mme [F] [B] et de la société Risa, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Soredom et de la société Bred-Banque Populaire, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 27 janvier 2020), suivant un protocole d'accord signé le 15 décembre 1992, [W] [B], aujourd'hui décédé, s'est engagé, en son nom propre et en sa qualité de caution de deux sociétés, à payer certaines sommes à la Banque régionale d'escompte et de dépôt (la Bred).
2. Le 20 janvier 1993, la Société de développement régional Antilles-Guyane (la Soderag), aux droits de laquelle est venue la Société de crédit pour le développement de la Guadeloupe (la Sodega), a consenti un prêt à la société Risa, dont [W] [B] s'est rendu caution.
3. La Sodega a fait l'objet, le 23 décembre 2004, d'une fusion-absorption par la Société financière des Antilles-Guyane (la Sofiag). Cette dernière a, le 22 février 2010, fait délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière à [W] [B].
4. [W] [B] et la société Risa ont assigné la Sofiag et la Bred, principalement en annulation du protocole d'accord du 15 décembre 1992, et subsidiairement en responsabilité.
5. [W] [B] est décédé le 28 février 2021, laissant pour lui succéder MM. [T] et [Y] [B] et Mme [F] [B], qui ont repris l'instance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et sur le second moyen, ci-après annexés
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches
Enoncé du moyen
7. MM. [T] et [Y] [B], Mme [F] [B] et la société Risa font grief à l'arrêt de rejeter les demandes de [W] [B] et de la société Risa, alors :
« 2°/ que dans le cadre d'une opération de fusion-absorption, les droits et les obligations de la société absorbée ne sont régulièrement transmis à la société absorbante que si le projet de fusion a été publié, peu important que la fusion ait ensuite été publiée au registre du commerce et des sociétés ; qu'en relevant, pour dire que la fusion-absorption de la société Sodega par la Sofiag était opposable à M. [B] et à la société Risa que, même si le projet de fusion n'avait pas été publié, la fusion avait par la suite fait l'objet d'une publication régulière au registre du commerce et des sociétés, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a violé l'article L. 236-6 du code de commerce ;
3°/ qu'en cas de fusion-absorption, la dissolution de la société absorbée n'est opposable aux tiers que par sa mention au registre du commerce et de sociétés avec l'indication de sa cause, ainsi que celle de la raison sociale ou dénomination, de la forme juridique et du siège des personnes morales ayant participé à l'opération ; qu'en se bornant à relever, pour dire que l'opération de fusion-absorption était opposable à M. [B] et la société Risa qu'il résultait de l'extrait Kbis de la Sofiag que suivant mention du 31 janvier 2005, plusieurs sociétés avaient participé à une opération de fusion avec la Sofiag : la Sodega, la Sodema et la Sofideg, sans constater qu'étaient également indiquées les autres mentions exigées par l'article R. 123-69 du code de commerce, à savoir, la forme juridique et le siège social de toutes les sociétés ayant participé à l'opération, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 123-9, alinéa 1, L. 237-2 et R. 123-9 du code de commerce ;
4°/ qu'en cas de fusion-absorption, la dissolution de la société absorbée n'est opposable aux tiers que par sa mention au registre du commerce et de sociétés avec l'indication de sa cause, ainsi que celle de la raison sociale ou dénomination, de la forme juridique et du siège des personnes morales ayant participé à l'opération ; qu'en jugeant quel'opération de fusion-absorption était opposable à M. [B] et la société Risa, cependant qu'elle a relevé que l'extrait Kbis de la Sodega mentionnait que la société avait été radiée à la suite de son absorption par la SAS Antilles Guyane participations, immatriculée à [Localité 8] et non au profit de la Sofiag immatriculée à [Localité 7], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 123-9, alinéa 1, L. 237-2 et R. 123-9 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
8. Il résulte des articles L. 236-3, I, et L. 236-4, 2°, du code de commerce qu'en cas de fusion, sans création d'une société nouvelle, la transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à la société bénéficiaire confère de plein droit à cette dernière, à la date de la dernière assemblée générale ayant approuvé l'opération, qualité pour agir contre les débiteurs de la société absorbée.
9. L'arrêt retient, par des motifs vainement critiqués par le premier moyen, pris en sa première branche, que la réalité de la fusion-absorption, le 23 décembre 2004, de la Sodega par la Sofiag est établie.
10. La Sofiag ayant, par l'effet de cette fusion-absorption, recueilli l'intégralité du patrimoine de la Sodega, elle avait qualité pour agir en exécution forcée contre [W] [B], indépendamment de l'accomplissement des formalités de publicité applicables à cette opération.
11. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1, du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée de ce chef.
12. Le moyen ne peut donc être accueilli.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne MM. [T] et [Y] [B], Mme [F] [B] et la société Risa aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par MM. [T] et [Y] [B], Mme [F] [B] et la société Risa et les condamne à payer à la société Soredom, anciennement dénommée Société financière des Antilles-Guyane, et à la société Bred-Banque populaire la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Fornarelli, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour MM. [T] et [Y] [B], Mme [F] [B] et la société Risa.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [B] et la société Risa font grief à l'arrêt attaqué de les AVOIR déboutés de l'intégralité de leurs demandes ;
1°) ALORS QUE le juge est tenu de répondre aux conclusions des parties ; qu'en relevant, pour dire que la fusion-absorption de la société Sodega par la Sofiag était opposable à M. [B] et à la société Risa que, même si le projet de fusion n'avait pas été publié, la fusion avait par la suite fait l'objet d'une publication régulière au registre du commerce et des sociétés, sans répondre aux conclusions de M. [B] et de la société Risa selon lesquelles la Sofiag ne démontrait pas la réalité même de l'opération, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE dans le cadre d'une opération de fusion-absorption, les droits et les obligations de la société absorbée ne sont régulièrement transmis à la société absorbante que si le projet de fusion a été publié, peu important que la fusion ait ensuite été publiée au registre du commerce et des sociétés ; qu'en relevant, pour dire que la fusion-absorption de la société Sodega par la Sofiag était opposable à M. [B] et à la société Risa que, même si le projet de fusion n'avait pas été publié, la fusion avait par la suite fait l'objet d'une publication régulière au registre du commerce et des sociétés, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a violé l'article L. 236-6 du code de commerce ;
3°) ALORS QU'en cas de fusion-absorption, la dissolution de la société absorbée n'est opposable aux tiers que par sa mention au registre du commerce et de sociétés avec l'indication de sa cause, ainsi que celle de la raison sociale ou dénomination, de la forme juridique et du siège des personnes morales ayant participé à l'opération ; qu'en se bornant à relever, pour dire que l'opération de fusion-absorption était opposable à M. [B] et la société Risa qu'il résultait de l'extrait Kbis de la Sofiag que suivant mention du 31 janvier 2005, plusieurs sociétés avaient participé à une opération de fusion avec la Sofiag : la Sodega, la Sodema et la Sofideg, sans constater qu'étaient également indiquées les autres mentions exigées par l'article R. 123-69 du code de commerce, à savoir, la forme juridique et le siège social de toutes les sociétés ayant participé à l'opération, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 123-9, alinéa 1er, L. 237-2 et R. 123-9 du code de commerce.
4°) ALORS QU'en cas de fusion-absorption, la dissolution de la société absorbée n'est opposable aux tiers que par sa mention au registre du commerce et de sociétés avec l'indication de sa cause, ainsi que celle de la raison sociale ou dénomination, de la forme juridique et du siège des personnes morales ayant participé à l'opération ; qu'en jugeant que l'opération de fusion-absorption était opposable à M. [B] et la société Risa, cependant qu'elle a relevé que l'extrait Kbis de la Sodega mentionnait que la société avait été radiée à la suite de son absorption par la SAS Antilles Guyane Participations, immatriculée à [Localité 8] et non au profit de la Sofiag immatriculée à [Localité 7], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 123-9, alinéa 1er, L. 237-2 et R. 123-9 du code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [B] et la société Risa font grief à l'arrêt attaqué de les AVOIR déboutés de leurs demandes ;
ALORS QUE commet une faute l'établissement financier qui octroie un crédit dont il ne peut légitimement ignorer qu'il excède les capacités de remboursement du débiteur et qui ne peut que provoquer une croissance continue de ses charges financières insupportables pour l'équilibre de sa trésorerie ou incompatible avec toute rentabilité ; qu'en relevant, pour dire que le crédit de 4 300 0000 francs, accordé à la société Risa n'était pas ruineux et rejeté la responsabilité de la Sofiag et de la BRED, en sa qualité d'ancien administrateur de la société Soderag, que la société Risa avait disposé jusqu'en février 1994 de la trésorerie suffisante pour le rembourser, sans constater que la société Soderag et la BRED, avant d'octroyer le prêt, s'étaient enquises des pièces comptables de la société et s'étaient assurées, malgré son absence d'activité, que la société Risa était en mesure de faire face de façon pérenne aux charges de remboursement au regard de ses résultats, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.
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CASS/JURITEXT000046683057.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 novembre 2022
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 729 F-B
Pourvoi n° E 21-17.614
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 NOVEMBRE 2022
M. [P] [Z], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-17.614 contre le jugement rendu le 7 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Paris (pôle civil de proximité), dans le litige l'opposant à la société Crédit lyonnais, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Gillis, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de M. [Z], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Crédit lyonnais, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Gillis, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Paris, 7 mai 2021), rendu en dernier ressort, M. [Z], faisant valoir qu'après que lui-même avait introduit sa carte bancaire dans un distributeur automatique de billets d'une agence de la société Crédit lyonnais (la banque) pour procéder à un retrait et composé son code confidentiel, un tiers avait saisi un montant de retrait de 900 euros et s'était emparé des billets, a demandé à la banque le remboursement de cette somme.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. M. [Z] fait grief au jugement de rejeter ses demandes, alors « qu'en cas d'opération de paiement non autorisée, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse au payeur le montant de l'opération non autorisée immédiatement après avoir pris connaissance de l'opération ou après en avoir été informé, et en tout état de cause au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant, sauf s'il a de bonnes raisons de soupçonner une fraude de l'utilisateur du service de paiement et s'il communique ces raisons par écrit à la Banque de France ; qu'en considérant, pour écarter l'application de ces règles, que M. [Z] n'avait pas été victime d'un retrait frauduleux, mais d'un vol d'espèces, après avoir pourtant relevé que le malfaiteur avait lui-même composé sur le clavier du distributeur à billets le montant du retrait, ce dont il découlait que l'opération de retrait d'espèces était en cours lorsque le malfaiteur en avait pris la direction, le tribunal judiciaire, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 133-18 et L. 133-19 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 133-3, L. 133-6, L. 133-18 et L. 133-19 du code monétaire et financier :
3. Il résulte des deux premiers de ces textes qu'une opération de paiement initiée par le payeur, qui donne un ordre de paiement à son prestataire de services de paiement, est réputée autorisée uniquement si le payeur a également consenti au montant de l'opération.
4. Il résulte des deux derniers textes qu'en cas d'opération de paiement non autorisée, réalisée au moyen d'un instrument de paiement doté de données de sécurité personnalisées, et signalée par l'utilisateur dans les conditions prévues à l'article L. 133-24 du code monétaire et financier, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse au payeur le montant de l'opération non autorisée, sauf si la responsabilité du payeur est engagée en application de l'article L. 133-19.
5. Pour rejeter la demande de remboursement formée par M. [Z], le jugement énonce que le fait qu'après que le titulaire d'une carte de paiement a introduit celle-ci dans un distributeur automatique de billets et a composé son code secret, un tiers compose à son insu le montant du retrait et s'empare des billets de banque, ne constitue pas un cas d'exemption de la responsabilité du payeur prévu par l'article L. 133-19 du code monétaire et financier.
6. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi que cela lui était demandé, si l'opération de paiement avait été autorisée par M. [Z], en particulier quant à son montant, et, dans la négative, sans constater que la responsabilité du payeur était engagée en application du I ou du IV de l'article L. 133-19 du code monétaire et financier, le tribunal a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 7 mai 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris autrement composé ;
Condamne la société Crédit lyonnais aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Crédit lyonnais et la condamne à payer à M. [Z] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux et signé par lui, M. Ponsot, conseiller, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile, et Mme Fornarelli, greffier présent lors du prononcé.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Haas, avocat aux Conseils, pour M. [Z].
M. [Z] fait grief au jugement attaqué DE L'AVOIR débouté de l'ensemble de ses demandes ;
ALORS, 1°), QU'en cas d'opération de paiement non autorisée, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse au payeur le montant de l'opération non autorisée immédiatement après avoir pris connaissance de l'opération ou après en avoir été informé, et en tout état de cause au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant, sauf s'il a de bonnes raisons de soupçonner une fraude de l'utilisateur du service de paiement et s'il communique ces raisons par écrit à la Banque de France ; qu'en considérant, pour écarter l'application de ces règles, que M. [Z] n'avait pas été victime d'un retrait frauduleux, mais d'un vol d'espèces, après avoir pourtant relevé que le malfaiteur avait lui-même composé sur le clavier du distributeur à billets le montant du retrait, ce dont il découlait que l'opération de retrait d'espèces était en cours lorsque le malfaiteur en avait pris la direction, le tribunal judiciaire, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 133-18 et L. 133-19 du code monétaire et financier ;
ALORS, 2°), QUE le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui ; qu'en retenant la qualification de vol d'espèces, exclusive de celle de retrait frauduleux, cependant qu'il ressortait de ses propres constatations que M. [Z] n'avait jamais eu la propriété des espèces que le malfaiteur avait appréhendées, le tribunal judiciaire a violé l'article 311-1 du code pénal, ensemble les articles L. 133-18 et L. 133-19 du code monétaire et financier ;
ALORS, 3°), QU'une décision de classement sans suite est dépourvue de l'autorité de la chose jugée ; que, dès lors, en se fondant sur les mentions de l'avis de classement sans suite pour retenir la qualification de vol plutôt que celle de retrait frauduleux, le tribunal judiciaire a violé le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.
Sur la responsabilité du titulaire d'un utilisateur de services de paiement, à rapprocher :Com., 18 janvier 2017, pourvoi n° 15-18.102, Bull. 2017, IV, n° 6
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COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 novembre 2022
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 724 F-B
Pourvoi n° R 20-23.554
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 NOVEMBRE 2022
M. [X] [J], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 20-23.554 contre l'arrêt rendu le 22 octobre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige l'opposant à la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Graff-Daudret, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [J], de la SCP Marc Lévis, avocat de la société BNP Paribas, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Graff-Daudret, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 22 octobre 2020) et les productions, par un acte du 26 mars 2008, la société BNP Paribas (la banque) a consenti à la société Du Levant un prêt in fine d'un montant de 10 500 000 euros, outre intérêts, remboursable le 26 mars 2013. Ce prêt, destiné à financer partiellement l'acquisition de 360 000 actions de la société Sea Tankers, était garanti par le nantissement des titres, objet du prêt, et par la cession de toutes les créances nées ou à naître au titre d'une promesse d'achat consentie par des sociétés tierces, débitrices cédées, dans le cadre d'un pacte d'actionnaires du 14 décembre 2007, portant sur les actions de la société Sea Tankers que la société Du Levant détiendrait.
2. Par un acte du 7 septembre 2011, M. [J] s'est rendu caution envers la banque du remboursement de ce prêt dans la limite de 10 500 000 euros.
3. La société Du Levant ayant été condamnée à payer à la banque une somme de 9 822 280,85 euros, outre intérêts, la banque a assigné en paiement la caution, qui a demandé sa décharge sur le fondement de l'article 2314 du code civil, en soutenant que la banque avait laissé perdre ses autres garanties, dont elle aurait pu bénéficier par subrogation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. M. [J] fait grief à l'arrêt de le condamner en sa qualité de caution au paiement au profit de la banque en deniers ou quittances de la somme de 9 822 280,82 euros, outre intérêts, avec capitalisation, alors :
« 1°/ que l'absence de radiation du nantissement résultant de la première
déclaration de nantissement du 26 mars 2008 par le teneur du compte qui
aurait reconnu l'existence de ce nantissement, n'était pas de nature à autoriser le créancier et partant la caution subrogée dans les droits de ce dernier, à mettre en oeuvre ce nantissement, dès lors qu'il avait été annulé par les parties au contrat ; qu'il résultait des conclusions de la banque que le 23 mars 2013, à l'occasion de la régularisation de l'avenant n° 2 à l'acte de prêt, la déclaration de gage de compte d'instruments financiers du 26 mars 2008 avait été annulée et remplacée par la déclaration de nantissement de compte de titres financiers souscrite le 26 mars 2013 par la société Du Levant ; que la déclaration du 26 mars 2013 précise expressément qu'elle annule et remplace la déclaration du 26 mars 2008 ; qu'en refusant de constater la perte du nantissement résultant de la première déclaration du 26 mars 2008 en raison de l'opinion du teneur de compte sur son existence et de la prétendue absence de radiation de ce nantissement par ce dernier, la cour d'appel a violé les articles L. 431-4 du code monétaire et financier et 2314 du code civil ;
2°/ que la déclaration de nantissement de compte de titres financiers ne réalise le gage qu'à la condition d'être portée à la connaissance du teneur de compte ; que, comme le constate la cour d'appel, la société Sea Tankers avait déclaré par courrier du 2 mai 2018 qu'à sa connaissance, la banque ne disposerait que du nantissement inscrit le 26 mars 2008, ce dont il résulte que la déclaration de nantissement du 26 mars 2013 n'avait pas été portée à sa connaissance ; qu'en considérant cependant que le nantissement avait été réalisé par la déclaration précitée, la cour d'appel a violé les articles L. 211-20 du code monétaire et financier et 2314 du code civil ;
3°/ qu'en ne recherchant pas comme elle y était invitée, si l'inscription des titres financiers nantis dans les livres de la société Sea Tankers ne constituait pas en l'espèce une condition contractuelle de validité de la constitution du nantissement et si, dès lors, en l'absence d'inscription du nantissement du compte financier issu de la déclaration du 26 mars 2013 dans les livres de la société Sea Tankers, ce nantissement n'était pas dépourvu de validité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure au 10 février 2016 et 2314 du code civil ;
4°/ que si l'attestation de constitution de gage ne constitue pas une condition de validité du gage, l'absence de cette attestation interdit à la caution de mettre en oeuvre le nantissement, lorsque la société émettrice nie avoir été
destinataire de la déclaration constitutive du gage ; qu'en refusant de prononcer la décharge de la caution à raison de la négligence de la banque, qui n'a pas sollicité la délivrance d'une attestation de constitution de gage, tout en constatant que la société Sea Tankers avait prétendu qu'à sa connaissance la banque ne disposerait que d'un unique nantissement inscrit le 26 mars 2008, ce dont il résulte qu'elle niait avoir reçu la déclaration de nantissement du 26 mars 2013 laquelle annulait et remplaçait celle du 26 mars 2008, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations au regard des articles L. 211-20 du code monétaire et financier et 2314 du code civil qu'elle a violé. »
Réponse de la Cour
5. Selon l'article L. 211-20, I, du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2009-15 du 8 janvier 2009, qui a succédé à l'article L. 431-4, I, du même code, rédigé en des termes similaires, le nantissement d'un compte-titres est réalisé, tant entre les parties qu'à l'égard de la personne morale émettrice et des tiers, par une déclaration signée par le titulaire du compte, comportant les énonciations fixées par l'article D. 211-10 de ce code.
6. Il résulte de ces dispositions que, nonobstant toute clause contraire du contrat de nantissement, le nantissement est valable et opposable aux tiers, par le seul effet de cette déclaration, sans qu'aucune notification au teneur du compte-titres nanti ne soit requise.
7. Après avoir exactement énoncé qu'en application des dispositions de l'article L. 211-20 du code monétaire et financier, le nantissement est réalisé, tant entre les parties qu'à l'égard de la personne émettrice et des tiers, par une déclaration signée par le titulaire du compte et que la délivrance d'une attestation de nantissement, qui constitue une simple faculté offerte au créancier gagiste, ne constitue pas une condition de validité du nantissement, et constaté que la déclaration du 26 mars 2013 signée par la société Du Levant est conforme aux exigences légales, l'arrêt retient à juste titre que cette déclaration est valable, sans qu'il soit nécessaire d'exiger sa notification à la société Sea Tankers.
8. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, dont il se déduit que le nantissement était opposable aux tiers, y compris la société Sea Tankers, société émettrice des titres nantis et teneur du compte-titres, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche invoquée par la troisième branche, dès lors qu'il était constant que les titres nantis étaient bien inscrits au compte-titres tenu par la société Sea Tankers, ni d'entrer dans le détail de l'argumentation des parties, a, à bon droit, statué comme elle l'a fait.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
10. M. [J] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la caution est déchargée, lorsque la subrogation à un droit exclusif à être payé au titre d'une cession de créance professionnelle ne peut s'opérer en sa faveur par le fait du créancier ; que tel est le cas lorsque, en l'absence dans le bordereau de cession de créances des mentions exigées par l'article L 313-23 du code monétaire et financier, les cessions de créances ne sont pas opposables aux débiteur cédés ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 2314 du code civil. »
Réponse de la Cour
11. Après avoir énoncé que l'article 2314 du code civil n'est applicable qu'en présence de droits qui comportent un droit préférentiel conférant au créancier un avantage particulier pour le recouvrement de sa créance et qu'est ainsi qualifié tout droit susceptible de conférer à son titulaire une facilité plus grande dans la perception de sa créance ou une véritable position privilégiée, l'arrêt retient exactement que M. [J], qui invoque la perte du bénéfice de la subrogation dans les droits du cessionnaire, ne justifie pas de la perte d'un tel droit préférentiel, puisque la banque ne dispose pas d'un droit qui lui permette d'éviter le concours avec les autres créanciers chirographaires.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
13. M. [J] fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher comme elle y était invitée, si en s'abstenant d'exercer son droit de gage sur le compte d'instruments financiers à la date de la défaillance du débiteur principal, à laquelle la valeur des actions gagées était très supérieure au montant de la créance garantie, la banque n'avait pas compromis la subrogation de la caution dans ses droits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2314 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2314 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 :
14. Aux termes de ce texte, la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution.
15. Pour condamner M. [J], en qualité de caution, à payer à la banque diverses sommes, l'arrêt retient que celui-ci a eu nécessairement connaissance des conditions stipulées dans l'acte de prêt, et notamment de l'obligation de maintien de la valeur des actions nanties, laquelle n'a pas été respectée eu égard à la procédure de liquidation judiciaire dont a fait l'objet la société Sea Tankers. Il retient encore que l'engagement de préservation de la valeur des actions à la hauteur du prêt souscrit incombe à l'emprunteur, titulaire de ces actions, qui les offre en garantie du prêt souscrit, et non à la banque, et qu'il appartenait donc à la société Du Levant, titulaire des actions nanties, de veiller à la préservation de leur valeur et de surveiller toutes modifications éventuelles. L'arrêt ajoute que, de surcroît, il n'est nullement établi que la banque a eu connaissance des difficultés économiques de la société Sea Tankers et de la perte de valeur des actions, dans la mesure où il n'est pas démontré qu'elle était la banque teneuse des comptes de cette société. Il en déduit que M. [J] ne peut se prévaloir du non-respect par la banque d'un éventuel devoir de vigilance de nature à justifier l'application de l'article 2314 du code civil.
16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si, en s'abstenant d'exercer son droit de gage sur le compte-titres à la date de la défaillance de la société Du Levant, débitrice principale, alors que la caution prétendait qu'à cette date, la valeur des actions nanties était très supérieure au montant du capital fixé dans l'acte de prêt, le créancier n'avait pas fait perdre à la caution un droit dont elle aurait pu bénéficier par subrogation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société BNP Paribas aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BNP Paribas et la condamne à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Fornarelli, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [J].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [J] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamné en sa qualité de caution de la société Du Levant au paiement au profit de la BNP en deniers ou quittances des sommes de 9.822.280,82 euros en principal, 714.287,89 euros au titre des intérêts échus au 22 janvier 2016 outre les intérêts contractuels sur la somme de 9.822.280,85 euros à compter du 23 janvier 2016 et jusqu'à parfait paiement au taux de l'Euribor 3 mois +1,30% majoré de 2% et ce avec capitalisation annuelle des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil dans la limite de 10.500.000 euros ;
1°- Alors que l'absence de radiation du nantissement résultant de la première déclaration de nantissement du 26 mars 2008 par le teneur du compte qui aurait reconnu l'existence de ce nantissement, n'était pas de nature à autoriser le créancier et partant la caution subrogée dans les droits de ce dernier, à mettre en oeuvre ce nantissement, dès lors qu'il avait été annulé par les parties au contrat ; qu'il résultait des conclusions de la BNP Paribas (p.7) que le 23 mars 2013 à l'occasion de la régularisation de l'avenant n° 2 à l'acte de prêt, la déclaration de gage de compte d'instruments financiers du 26 mars 2008 avait été annulée et remplacée par la déclaration de nantissement de compte de titres financiers souscrite le 26 mars 2013 par la SARL Du Levant ; que la déclaration du 26 mars 2013 précise expressément qu'elle annule et remplace la déclaration du 26 mars 2008 ; qu'en refusant de constater la perte du nantissement résultant de la première déclaration du 26 mars 2008 en raison de l'opinion du teneur de compte sur son existence et de la prétendue absence de radiation de ce nantissement par ce dernier, la Cour d'appel a violé les articles L 431-4 du code monétaire et financier et 2314 du code civil ;
2°- Alors que la déclaration de nantissement de compte de titres financiers ne réalise le gage qu'à la condition d'être portée à la connaissance du teneur de compte ; que comme le constate la Cour d'appel, la société Sea Tankers avait déclaré par courrier du 2 mai 2018 qu'à sa connaissance la BNP ne disposerait que du nantissement inscrit le 26 mars 2008, ce dont il résulte que la déclaration de nantissement du 26 mars 2013 n'avait pas été portée à sa connaissance ; qu'en considérant cependant que le nantissement avait été réalisé par la déclaration précitée, la Cour d'appel a violé les articles L 211-20 du code monétaire et financier et 2314 du code civil ;
3°- Alors qu'en ne recherchant pas comme elle y était invitée, si l'inscription des titres financiers nantis dans les livres de la société Sea Tankers ne constituait pas en l'espèce une condition contractuelle de validité de la constitution du nantissement et si dès lors en l'absence d'inscription du nantissement du compte financier issu de la déclaration du 26 mars 2013 dans les livres de la société Sea Tankers, ce nantissement n'était pas dépourvu de validité, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure au 10 février 2016 et 2314 du code civil ;
4°- Alors que si l'attestation de constitution de gage ne constitue pas une condition de validité du gage, l'absence de cette attestation interdit à la caution de mettre en oeuvre le nantissement, lorsque la société émettrice nie avoir été destinataire de la déclaration constitutive du gage ; qu'en refusant de prononcer la décharge de la caution à raison de la négligence de la banque qui n'a pas sollicité la délivrance d'une attestation de constitution de gage, tout en constatant que la société Sea Tankers avait prétendu qu'à sa connaissance la BNP ne disposerait que d'un unique nantissement inscrit le 26 mars 2008 ce dont il résulte qu'elle niait avoir reçu la déclaration de nantissement du 26 mars 2013 laquelle annulait et remplaçait celle du 26 mars 2008, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations au regard des articles L 211-20 du code monétaire et financier et 2314 du code civil qu'elle a violé ;
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
M. [J] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamné en sa qualité de caution de la société Du Levant au paiement au profit de la BNP en deniers ou quittances des sommes de 9.822.280,82 euros en principal, 714.287,89 euros au titre des intérêts échus au 22 janvier 2016 outre les intérêts contractuels sur la somme de 9.822.280,85 euros à compter du 23 janvier 2016 et jusqu'à parfait paiement au taux de l'Euribor 3 mois +1,30% majoré de 2% et ce avec capitalisation annuelle des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil dans la limite de 10.500.000 euros ;
1°- Alors que la caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher comme elle y était invitée, si en s'abstenant d'exercer son droit de gage sur le compte d'instruments financiers à la date de la défaillance du débiteur principal, à laquelle la valeur des actions gagées était très supérieure au montant de la créance garantie, la banque n'avait pas compromis la subrogation de la caution dans ses droits, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2314 du code civil ;
2°- Alors que la banque bénéficiaire d'un nantissement de compte de titres financiers est tenu de surveiller l'évolution des titres gagés et d'une obligation d'information et de conseil sur le suivi de ces titres ; qu'en énonçant que seul l'emprunteur titulaire des actions qu'il offre en garantie s'engage à en préserver la valeur et qu'il n'incombait pas à la BNP de veiller à la préservation de la valeur des actions nanties et de surveiller toutes modifications éventuelles et que M. [J] ne pourrait se prévaloir du non-respect par la banque d'un devoir de vigilance de nature à justifier l'application de l'article 2314 du code civil, la Cour d'appel a violé la convention du cautionnement, les articles 2314 du code civil, 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure au 10 février 2016.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
M. [J] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamné en sa qualité de caution de la société Du Levant au paiement au profit de la BNP en deniers ou quittances des sommes de 9.822.280,82 euros en principal, 714.287,89 euros au titre des intérêts échus au 22 janvier 2016 outre les intérêts contractuels sur la somme de 9.822.280,85 euros à compter du 23 janvier 2016 et jusqu'à parfait paiement au taux de l'Euribor 3 mois +1,30% majoré de 2% et ce avec capitalisation annuelle des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil dans la limite de 10.500.000 euros ;
Alors que la caution est déchargée, lorsque la subrogation à un droit exclusif à être payé au titre d'une cession de créance professionnelle ne peut s'opérer en sa faveur par le fait du créancier ; que tel est le cas lorsque en l'absence dans le bordereau de cession de créances des mentions exigées par l'article L 313-23 du code monétaire et financier, les cessions de créances ne sont pas opposables aux débiteur cédés ; qu'en décidant le contraire, la Cour d'appel a violé l'article 2314 du code civil.
N1 >Sur les conditions de validité et d'opposabilité d'un gage sur instruments financiers, à rapprocher :Com., 20 juin 2018, pourvoi n° 17-12.559, Bull. 2018, IV, n° 73
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CASS/JURITEXT000046683059.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 30 novembre 2022
Cassation sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 732 FS-B
Pourvoi n° Q 20-18.884
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 NOVEMBRE 2022
La société [F] participations, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 20-18.884 contre l'arrêt rendu le 29 juin 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 - chambre 10), dans le litige l'opposant au directeur général des finances publiques chargé de la direction nationale des vérifications de situations fiscales, domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Tostain, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société [F] participations, de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur général des finances publiques chargé de la direction nationale des vérifications de situations fiscales, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Tostain, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mmes Fèvre, Ducloz, M. Alt, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Lefeuvre, MM. Boutié, Gillis, Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 juin 2020) et les productions, par acte des 7, 15 et 22 mars 2012, enregistré le 26 avril 2012 au service des impôts des entreprises, Mmes [H] [F] [R], [O] [F] et [G] [F] et MM. [T] [F], [D] [F], [W] [F] et [S] [F] (les consorts [F]), associés dans la société civile immobilière NSG, ont cédé l'usufruit temporaire des parts qu'ils détenaient dans cette société à la société [F] participations, qui a acquitté le droit fixe prévu à l'article 680 du code général des impôts.
2. Le 23 janvier 2015, soutenant que cet acte devait être soumis au droit d'enregistrement proportionnel de 5 % prévu à l'article 726, I, 2°, du code général des impôts, applicable aux cessions de participations dans des personnes morales à prépondérance immobilière, l'administration fiscale a notifié à la société [F] participations une proposition de rectification des droits d'enregistrement pour l'année 2012.
3. Après le rejet partiel de sa réclamation contentieuse, la société [F] participations a assigné l'administration fiscale en décharge des droits supplémentaires mis en recouvrement.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société [F] participations fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à la décharge totale des droits supplémentaires d'enregistrement auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2012, alors « que seules les cessions de participations dans les personnes morales à prépondérance immobilière sont soumises à un droit d'enregistrement dont le taux est fixé à 5 % ; que la cession temporaire de l'usufruit de droits sociaux, dès lors qu'elle ne confère pas au titulaire une part du capital, mais seulement le droit temporaire de jouir et de percevoir les fruits de tels droits, n'est pas incluse dans le champ d'application de la taxe ; qu'en l'espèce, il résulte de l'acte de cession d'usufruit temporaire de parts sociales des 7, 15 et 20 mars 2012 que la société civile immobilière NSG, au capital de 49 300 000 euros, a été créée entre les consorts [F], lesquels ont cédé pour une durée de vingt ans l'usufruit de leurs parts à la société [F] participations ; que cette dernière n'est devenue propriétaire, avec la jouissance qui y est attachée, que de l'usufruit temporaire des parts sociales, les consorts [F] demeurant propriétaires des parts et assumant le risque capitalistique qui s'y attache ; qu'en jugeant qu'une telle cession devait être regardée comme une cession de participations, la cour d'appel a violé l'article 726 du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 726 du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, et l'article 578 du code civil :
5. Selon le premier de ces textes, les cessions de droits sociaux sont soumises à un droit d'enregistrement proportionnel.
6. Aux termes du second, l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance. Il en résulte que l'usufruitier de parts sociales ne peut se voir reconnaître la qualité d'associé, qui n'appartient qu'au nu-propriétaire, de sorte que la cession de l'usufruit de droits sociaux ne peut être qualifiée de cession de droits sociaux.
7. Pour retenir que la cession de l'usufruit des parts sociales de la société civile immobilière NSG, conclue entre les consorts [F] et la société [F] participations, entrait dans le champ d'application de l'article 726 du code général des impôts et rejeter la demande de décharge des droits d'enregistrement supplémentaires réclamés, l'arrêt énonce que le terme « cession », au sens de cet article, n'est pas uniquement limité à l'acte définitif de la cession de l'intégralité d'une ou plusieurs parts sociales, mais s'entend de toute transmission temporaire ou définitive de la part sociale elle-même ou de son démembrement, telle la cession de l'usufruit ou de la nue-propriété, le texte ne distinguant pas selon que la cession porte sur la pleine propriété ou sur un démembrement de celle-ci, même si d'autres dispositions du code général des impôts procèdent à une telle différenciation. Il retient encore que la cession litigieuse a entraîné le transfert d'éléments de participation dès lors qu'en se dépossédant de l'usufruit des titres, les associés de la société civile immobilière NSG, qui ont perdu leur droit au bénéfice des dividendes, ont également perdu leur droit de vote afférent aux parts sociales cédées.
8. En statuant ainsi, alors que la cession de l'usufruit de droits sociaux, qui n'emporte pas mutation de la propriété des droits sociaux, n'est pas soumise au droit d'enregistrement applicable aux cessions de droits sociaux, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
11. Il résulte de ce qui précède que l'acte des 7, 15 et 22 mars 2012, enregistré le 26 avril 2012 au service des impôts des entreprises, portant cession, par les consorts [F] à la société [F] participations, de l'usufruit des parts sociales de la société civile immobilière NSG, n'est pas soumis au droit d'enregistrement proportionnel de 5 % prévu à l'article 726, I, 2°, du code général des impôts.
12. En conséquence, il y a lieu d'infirmer le jugement, d'annuler la décision du 16 mars 2015 ayant rejeté partiellement la réclamation de la société [F] participations et de prononcer la décharge des droits d'enregistrement supplémentaires mis en recouvrement contre cette société.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Infirme le jugement ;
Annule la décision du 16 mars 2015 rejetant partiellement la réclamation de la société [F] participations ;
Prononce la décharge des droits d'enregistrement supplémentaires mis en recouvrement ;
Condamne le directeur général des finances publiques chargé de la direction nationale des vérifications de situations fiscales aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le directeur général des finances publiques chargé de la direction nationale des vérifications de situations fiscales et le condamne à payer à la société [F] participations la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Fornarelli, greffier présent lors du prononcé.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société [F] participations.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société [F] Participations de ses demandes tendant à la décharge totale des droits supplémentaires d'enregistrement auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2012 ;
AUX MOTIFS QUE contrairement à ce que soutient la société appelante le terme « cession » n'est pas uniquement limité à l'acte définitif de la cession de l'intégralité d'une ou plusieurs parts sociales mais s'entend de toute transmission temporaire ou définitive de la part sociale elle-même ou son démembrement telle la cession d'usufruit ou de la nue-propriété ; que les premiers juges ont justement relevé que l'article 726, I, 2° du code général des impôts ne distingue pas selon que la cession porte sur la pleine propriété ou sur un démembrement, peu important que d'autres dispositions du code général des impôts procèdent à cette différenciation ; que les dispositions de l'article 726, I, 2° du code général des impôts étant claires donc exclusives d'interprétation, la société appelante est mal fondée à soutenir qu'il conviendrait de procéder à une interprétation stricte de la loi fiscale ; que la société appelante est également mal fondée à soutenir que, au sens de l'article précité, la cession en litige ne porterait sur aucune participation dès lors que la société cédante conserverait la nue-propriété des titres ; qu'en effet, en se dépossédant de l'usufruit des titres, les associés de SCI NSG ont perdu leur droit de dividendes ainsi que leur droit de vote afférents aux parts sociales cédées ; que des éléments de participation ont été ainsi transférés et qu'il s'en déduit que la « cession d'usufruit temporaire de parts sociales » conclue les 7, 15 et 20 mars 2012 entre les consorts [F] et la société [F] participations de parts sociales de la SCI NSG entre dans le champ d'application de l'article 726, I, 2° du code général des impôts ;
ALORS QUE seules les cessions de participations dans les personnes morales à prépondérance immobilière sont soumises à un droit d'enregistrement dont le taux est fixé à 5% ; que la cession temporaire de l'usufruit de droits sociaux, dès lors qu'elle ne confère pas au titulaire une part du capital, mais seulement le droit temporaire de jouir et de percevoir les fruits de tels droits, n'est pas incluse dans le champ d'application de la taxe ; qu'en l'espèce, il résulte de l'acte de cession d'usufruit temporaire de parts sociales des 7,15 et 20 mars 2012 que la SCI NSG, au capital de 49 300 000 euros, a été créée entre les consorts [F], lesquels ont cédé pour une durée de 20 ans l'usufruit de leurs parts à la société [F] Participation ; que cette dernière n'est devenue propriétaire avec la jouissance qui y est attachée que de l'usufruit temporaire des parts sociales, les consorts [F] demeurant propriétaires des parts et assumant le risque capitalistique qui s'y attache ; qu'en jugeant qu'une telle cession devait être regardée comme une cession de participation, la cour d'appel a violé l'article 726 du code général des impôts.
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CASS/JURITEXT000046683049.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 novembre 2022
Cassation partielle
M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 718 F-B
Pourvoi n° B 21-17.703
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 30 NOVEMBRE 2022
La société DSL Distribution, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° B 21-17.703 contre l'arrêt rendu le 8 avril 2021 par la cour d'appel de Bourges (chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Crédit du Nord, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La société Crédit du Nord a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société DSL Distribution, de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société Crédit du Nord, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 8 avril 2021), la société Crédit du Nord (la banque) a consenti divers concours à la société DSL Distribution. Le 13 février 2014, la banque a dénoncé ces concours.
2. Ayant vainement mis en demeure la société DSL Distribution de régler la somme de 24 616,87 euros, la banque l'a assignée en paiement le 3 avril 2018. La société DSL Distribution a sollicité reconventionnellement la condamnation de la banque en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive des concours bancaires.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal et le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi incident, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société DSL Distribution la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture, sans explication, des concours bancaires, alors « que l'obligation mise à la charge des établissements de crédit par l'article L. 313-12 du code monétaire et financier de fournir à l'entreprise concernée qui en fait la demande les raisons de la réduction ou de l'interruption d'un concours à durée indéterminée décidée à leur initiative ne s'applique que pour autant que cette décision ne soit pas encore effective ; qu'au cas présent, pour condamner la banque à payer à la société DSL Distribution la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que la banque "n'a[vait] fourni aucune explication à sa décision de rompre l'ensemble des concours accordés à la SASU DSL Distribution alors que cette dernière lui en a[vait] fait la demande à plusieurs reprises" et qu'"aucune des preuves qu'elle produi[sait] aux débats ne constitu[ait] la preuve qu'elle aurait fourni une explication à la SASU DSL Distribution directement ou à ses conseils avant la présente instance" ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, ainsi que cela lui était pourtant expressément demandé par la banque si la société DSL Distribution n'avait pas interrogé celle-ci pour la première fois sur les raisons de l'interruption des concours postérieurement à l'expiration du délai de soixante jours ayant précédé la mise en oeuvre effective de cette décision, de sorte qu'à supposer même que l'établissement de crédit n'ait pas fourni à l'entreprise concernée la raison de l'interruption des concours à durée indéterminée qu'elle lui avait consentis, cette abstention n'était pas de nature à engager sa responsabilité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier que l'entreprise qui subit la réduction ou l'interruption d'un concours bancaire peut, même après l'expiration du délai de préavis, en demander les raisons à la banque et qu'à défaut de réponse, la banque est susceptible de voir sa responsabilité engagée.
6. Le moyen, qui postule le contraire, doit donc être rejeté.
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal et le moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
7. La société DSL Distribution fait grief à l'arrêt de ne condamner la banque qu'à lui payer la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture sans explication, des concours bancaires, alors « que si les juges du fond apprécient souverainement l'importance du dommage et le montant de l'indemnité destinée à le réparer, c'est à la condition de respecter le principe de réparation intégrale du préjudice ; que le juge ne peut procéder à une évaluation forfaitaire de l'indemnisation ; qu'en procédant, pour condamner la société Crédit du Nord à payer une somme de 40 000 euros, à une évaluation forfaitaire du préjudice subi par la société DSL Distribution en raison de la rupture, sans explication, des concours bancaires accordés par la banque, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles L. 313-12 du code monétaire et financier et 1147 du code civil alors applicable. »
8. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société DSL Distribution la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts, alors « que la réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier et ne saurait être forfaitaire ; qu'en fixant à un montant forfaitaire de 40 000 euros l'indemnisation du préjudice prétendument subi par la société DSL Distribution en raison de la rupture des concours bancaires consentis par la banque, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, et L. 313-12 du code monétaire et financier. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime :
9. Il résulte de ce principe que la réparation du dommage doit correspondre au préjudice subi et ne peut être appréciée de manière forfaitaire.
10. Pour condamner la banque à payer à la société DSL Distribution la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts, l'arrêt retient que compte tenu de l'impossibilité de discerner entre les conséquences directes de la rupture des concours et la poursuite d'une baisse des résultats de l'entreprise déjà constatée au cours des exercices précédents, il ne peut être procédé qu'à une évaluation forfaitaire du préjudice subi.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
Portée et conséquence de la cassation
12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt condamnant la banque à payer à la société DSL Distribution la somme forfaitaire de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts entraîne la cassation du chef de dispositif rejetant la demande d'expertise présentée par la société DSL Distribution, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande d'expertise et, l'infirmant partiellement, il condamne la société Crédit du Nord à payer à la société DSL Distribution la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts, condamne la société Crédit du Nord à payer à la société DSL Distribution la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et condamne la société Crédit du Nord aux entiers dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 8 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Fornarelli, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la société DSL Distribution.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société DSL Distribution reproche à l'arrêt attaqué,
DE L'AVOIR condamnée à payer la somme de 24 201,75 euros à la société Crédit du Nord avec intérêts au taux légal à compter du 6 décembre 2017 ;
1°) ALORS QUE le décompte produit par la société Crédit du Nord (pièce d'appel n° 27) est illisible et inintelligible, sauf à mentionner un solde débiteur de 24 201,75 euros, ne permettant pas d'établir à quelles factures correspondent les sommes mentionnées en « débit », ni si ces sommes correspondent à des sommes qui seraient dues par la société DSL Distribution au titre de cessions Dailly impayées ; qu'en affirmant, pour condamner la société DSL Distribution à payer la somme de 24 201,75 euros à la société Crédit du Nord, que l'établissement bancaire produirait un décompte (pièce n° 27) qui ferait apparaitre les créances litigieuses ainsi que les encaissements réalisés pour in fine un solde débiteur de 24 201,75 euros, la cour d'appel a violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2°) ALORS QUE, subsidiairement, la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en condamnant la société DSL Distribution au paiement de la somme de 24 201, 75 euros, après avoir constaté que le décompte justifiant cette condamnation faisait apparaitre un solde dû de 24 616,87 euros, la cour d'appel qui s'est contredite a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La société DSL Distribution reproche à l'arrêt attaqué,
D'AVOIR condamné la société Crédit du Nord à lui payer la seule somme de 40 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture, sans explication, des concours bancaires ;
ALORS QUE si les juges du fond apprécient souverainement l'importance du dommage et le montant de l'indemnité destinée à le réparer, c'est à la condition de respecter le principe de réparation intégrale du préjudice ; que le juge ne peut procéder à une évaluation forfaitaire de l'indemnisation ; qu'en procédant, pour condamner la société Crédit du Nord à payer une somme de 40 000 euros, à une évaluation forfaitaire du préjudice subi par la société DSL Distribution en raison de la rupture, sans explication, des concours bancaires accordés par la banque, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles L. 313-12 du code monétaire et financier et 1147 du code civil alors applicable.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société DSL Distribution reproche à l'arrêt attaqué
DE L'AVOIR déboutée de sa demande d'expertise ;
ALORS QUE les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d'éléments suffisants pour statuer, la demande ne pouvant être rejetée qu'autant que la mesure est dépourvue d'utilité ; que la société DSL Distribution sollicitait que soit ordonnée une expertise pour chiffrer le son préjudice dû à la rupture sans explication, des concours bancaires si les juges s'estimaient insuffisamment informés ; qu'en se bornant à énoncer qu'il n'y avait pas « lieu d'envisager l'organisation d'une expertise », après avoir évalué forfaitairement le préjudice subi par la société DSL Distribution sur le constat de « l'impossibilité de discerner entre les conséquences directes de la rupture des concours et la poursuite d'une baisse des résultats de l'entreprise déjà constateur au cours des exercices précédents », la cour d'appel qui s'est prononcée par un motif d'ordre général et abstrait a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. Moyen produit au pourvoi incident par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour la société Crédit du Nord.
La société Crédit du Nord fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à la société DSL Distribution la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la rupture, sans explication, des concours bancaires ;
1° Alors que l'obligation mise à la charge des établissements de crédit par l'article L. 313-12 du code monétaire et financier de fournir à l'entreprise concernée qui en fait la demande les raisons de la réduction ou de l'interruption d'un concours à durée indéterminée décidée à leur initiative ne s'applique que pour autant cette décision ne soit pas encore effective ; qu'au cas présent, pour condamner la société Crédit du Nord à payer à la société DSL Distribution la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que la banque « n'a[vait] fourni aucune explication à sa décision de rompre l'ensemble des concours accordés à la SASU DSL DISTRIBUTION alors que cette dernière lui en a[vait] fait la demande à plusieurs reprises » et qu' « aucune des preuves qu'elle produi[sait] aux débats ne constitu[ait] la preuve qu'elle aurait fourni une explication à la SASU DSL DISTRIBUTION directement ou à ses conseils avant la présente instance » (arrêt, p. 6 , § 1) ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, ainsi que cela lui était pourtant expressément demandé par l'exposante (conclusions d'appel, p. 7) si la société DSL Distribution n'avait pas interrogé la banque pour la première fois sur les raisons de l'interruption des concours postérieurement à l'expiration du délai de soixante jours ayant précédé la mise en oeuvre effective de cette décision, de sorte qu'à supposer même que l'établissement de crédit n'ait pas fourni à l'entreprise concernée la raison de l'interruption des concours à durée indéterminée qu'elle lui avait consentis, cette abstention n'était pas de nature à engager sa responsabilité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier ;
2° Alors que le dommage réparable est celui qui est en relation directe et certaine avec la faute ; qu'au cas présent, après avoir relevé « l'impossibilité de discerner entre les conséquences directes de la rupture des concours et la poursuite d'une baisse des résultats de l'entreprise déjà constatée au cours des exercices précédents » (arrêt, p. 7, § 1), la cour d'appel a condamné la société Crédit du Nord au paiement de la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice subi par la société DSL Distribution ; qu'en statuant de la sorte, quand il s'évinçait de ses propres constatations, selon lesquelles la démonstration d'un préjudice causé par la faute de la banque était impossible, que toute réparation était exclue, la cour d'appel a violé les articles L. 313-12 du code monétaire et financier et 1147 du code civil (dans sa rédaction applicable au litige) ;
3° Alors, en toute hypothèse, que la réparation du préjudice doit correspondre à ce dernier et ne saurait être forfaitaire ; qu'en fixant à un montant forfaitaire de 40 000 euros l'indemnisation du préjudice prétendument subi par la société DSL Distribution en raison de la rupture des concours bancaires consentis par la banque, la cour d'appel a violé le principe de réparation intégrale du préjudice, ensemble les articles 1147 du code civil (dans sa rédaction applicable au litige) et L. 313-12 du code monétaire et financier.
Article L 313-12 du code monétaire et financier
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CASS/JURITEXT000046727190.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 décembre 2022
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 735 F-B
Pourvoi n° W 21-19.860
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
La société Foncia Marne-la-Vallée, anciennement dénommée Foncia GIEP, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 21-19.860 contre l'arrêt rendu le 25 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l'opposant à la société Valhestia, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Blanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Foncia Marne-la-Vallée, de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société Valhestia, après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Blanc, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 mai 2021), la société Foncia GIEP, devenue Foncia Marne-la-Vallée, qui exerce une activité d'administration d'immeubles, a assigné la société Valhestia en concurrence déloyale, reprochant à cette société, créée par deux de ses anciens salariés, MM. [I] et [W], d'avoir illicitement démarché sa clientèle.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
2. La société Foncia Marne-la-Vallée fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que la réalisation d'actes d'exploitation d'une société concurrente par un salarié avant la fin de son contrat de travail constitue une violation de son obligation de loyauté ; qu'en l'espèce, la société Foncia Marne-la-Vallée, anciennement Foncia GIEP, a fait valoir qu'il résultait notamment de deux courriers du 24 février 2017, produits en pièce n° 76, que la société Valhestia avait illicitement démarché sa clientèle avant la fin du contrat de travail de M. [I], salarié de la société Foncia GIEP qui avait contribué à la création et à l'activité de la société Valhestia, contrat se terminant le 24 février 2017 à minuit ; qu'en retenant que "l'activité concurrente incriminée de la société Valhestia n'a effectivement démarré qu'après la fin de leurs contrats de travail", sans s'expliquer, comme elle y avait pourtant été invitée par les conclusions de la société Foncia Marne-la-Vallée, sur le fait que la société Valhestia avait transmis une offre commerciale à l'un des membres d'une copropriété cliente de la société Foncia GIEP avant la fin du contrat de travail de M. [I], acte qui ne saurait compter parmi les "actes préparatoires à la constitution de la société" visés par ailleurs par l'arrêt attaqué, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
3. Constitue un acte de concurrence déloyale le fait, pour une société à la création de laquelle a participé le salarié d'une société concurrente, de débuter son activité avant le terme du contrat de travail liant ceux-ci.
4. Pour rejeter les demandes d'indemnisation formées par la société Foncia GIEP sur le fondement de la concurrence déloyale, après avoir constaté que M. [I], dont le contrat de travail conclu avec la société Foncia GIEP avait pris fin le 24 février 2017, avait créé en octobre 2016 une société civile immobilière, laquelle avait ensuite acquis un local commercial puis loué ce local à la société Valhestia, que celle-ci, dont l'activité était similaire à celle de la société Foncia GIEP, avait été constituée par la soeur de la compagne de M. [I] et immatriculée le 16 janvier 2017, qu'un nom de domaine et des adresses de messagerie au nom de la société Valhestia et de M. [I] avaient été créés le 29 janvier 2017 et que M. [I] était devenu le président de la société Valhestia à compter de juillet 2017, l'arrêt retient que la désignation de la société Valhestia par des copropriétés alors clientes de la société Foncia GIEP n'a été mise au vote que lors d'assemblées générales organisées à compter du 18 avril 2017 et que le comptable de la société Valhestia a précisé que les premiers encaissements pour celle-ci n'ont débuté qu'en juin 2017, ce qui confirmait un début d'activité effectif après la fin du contrat de travail du salarié mis en cause. L'arrêt en déduit que, le contrat de travail ne stipulant pas de clause de non-concurrence, il n'existe pas de faute imputable à l'ancien salarié dont la société Valhestia se serait rendue complice.
5. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'envoi par la société Valhestia, le 24 février 2017, d'une proposition de contrat de syndic à un membre d'une copropriété cliente de la société Foncia GIEP ne constituait pas un acte d'exploitation commis antérieurement au terme du contrat de travail liant M. [I] et la société Foncia GIEP, constitutif d'une faute, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société Foncia Marne-la-Vallée fait le même grief à l'arrêt, alors « que le seul détournement du fichier clientèle d'un concurrent pour démarcher sa clientèle constitue un procédé déloyal ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que si M. [W] et M. [I] avaient transféré sur leur boîte mail personnelle, la liste des e-mails des membres des conseils syndicaux des résidences gérées et la liste des résidences gérées, ce transfert "ne saurait être jugé comme fautif en l'absence de preuve de leur exploitation par un moyen fautif de la part des anciens salariés de la société Foncia" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté à tort une condition à la caractérisation d'un procédé déloyal rendant le démarchage fautif, s'agissant de l'exigence d'une exploitation des informations détournées par un moyen fautif, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu l'article 1240, du code civil :
7. Le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l'ancien salarié d'un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l'activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l'exécution de son contrat de travail, constitue un acte de concurrence déloyale.
8. Pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que le transfert par MM. [I] et [W] à la société Valhestia de listes de résidences gérées par la société Foncia GIEP et de listes des adresses de messagerie électronique des conseils syndicaux de résidences également gérées par cette société, obtenues alors qu'ils en étaient salariés, n'est pas fautif en l'absence de preuve de l'exploitation de ces informations par un moyen fautif de la part de ces anciens salariés de la société Foncia GIEP.
9. En statuant ainsi, alors que la seule détention par la société Valhestia d'informations confidentielles relatives à l'activité de la société Foncia GIEP, obtenues par d'anciens salariés de cette dernière en cours d'exécution de leurs contrats de travail et qui avaient contribué à sa création, constituait un acte de concurrence déloyale, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne la société Valhestia aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Valhestia et la condamne à payer à la société Foncia Marne-la-Vallée la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Foncia Marne-la-Vallée.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté la société Foncia Marne-la-Vallée (anciennement Foncia GIEP) de l'ensemble de ses demandes ;
1°/ ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis ; qu'en l'espèce, la société Foncia Marne-la-Vallée (anciennement Foncia GIEP) a fait valoir qu'il résultait de deux courriers du 24 février 2017, produits en pièce n°76, que la société Valhestia avait illicitement démarché sa clientèle avant la fin du contrat de travail de M. [I], salarié de la société Foncia GIEP qui avait contribué à la création et à l'activité de la société Valhestia, contrat se terminant le 24 février 2017 à minuit (conclusions du 22 janvier 2021, p. 17 et 18 ; prod. n° 4) ; qu'elle a ajouté que le fait qu'une demande de mise en concurrence, produite en pièce n°24, lui ait été adressée dès le lendemain, le 25 février 2017, confirmait que l'activité de démarchage avait bien débuté avant la fin du contrat de travail de M. [I] (conclusions du 22 janvier 2021, p. 18 ; prod. n° 5) ; que la cour d'appel, pour écarter ce moyen, a retenu que, s'agissant de la pièce produite n°24, « le seul courrier émanant d'un copropriétaire daté du 24 février 2017 demandant la mise au vote, pour une assemblée générale ultérieure, de la désignation de la société VALHESTIA est insuffisant à prouver que MM. [I] ou [W] l'aient personnellement démarché au préalable » (arrêt p. 7) ; qu'elle a ainsi dénaturé cette pièce qui, contrairement aux deux autres, n'était pas datée du 24 février 2017, mais du 25 février 2015, et ce alors que la date de ce document était essentielle à l'argumentation des parties ; la Cour d'appel a ainsi méconnu l'obligation précitée ;
2°/ ALORS QUE la réalisation d'actes d'exploitation d'une société concurrente par un salarié avant la fin de son contrat de travail constitue une violation de son obligation de loyauté ; qu'en l'espèce, la société Foncia Marne-la-Vallée (anciennement Foncia GIEP) a fait valoir qu'il résultait notamment de deux courriers du 24 février 2017, produits en pièce n°76, que la société Valhestia avait illicitement démarché sa clientèle avant la fin du contrat de travail de M. [I], salarié de la société Foncia GIEP qui avait contribué à la création et à l'activité de la société Valhestia, contrat se terminant le 24 février 2017 à minuit (conclusions du 22 janvier 2021, p. 17 et 18 ; prod. n° 4) ; qu'en retenant que « l'activité concurrente incriminée de la société VALHESTIA n'a effectivement démarré qu'après la fin de leurs contrats de travail» (arrêt p. 7), sans s'expliquer, comme elle y avait pourtant été invitée par les conclusions de la société Foncia Marne-la-Vallée, sur le fait que la société Valhestia avait transmis une offre commerciale à l'un des membres d'une copropriété cliente de la société Foncia GIEP avant la fin du contrat de travail de M. [I], acte qui ne saurait compter parmi les « actes préparatoires à la constitution de la société » visés par ailleurs par l'arrêt attaqué (arrêt p. 7), la cour d'appel a privé sa décision de base légale, au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté la société Foncia Marne-la-Vallée (anciennement Foncia GIEP) de l'ensemble de ses demandes ;
1°/ ALORS QUE le seul détournement du fichier clientèle d'un concurrent pour démarcher sa clientèle constitue un procédé déloyal ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que si M. [W] et M. [I] avaient transféré sur leur boîte mail personnelle, la liste des e-mails des membres des conseils syndicaux des résidences gérées et la liste des résidences gérées, ce transfert « ne saurait être jugé comme fautif en l'absence de preuve de leur exploitation par un moyen fautif de la part des anciens salariés de la société FONCIA » (arrêt p. 7) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté à tort une condition à la caractérisation d'un procédé déloyal rendant le démarchage fautif, s'agissant de l'exigence d'une exploitation des informations détournées par un moyen fautif, a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;
2°/ ALORS QUE le seul détournement du fichier clientèle d'un concurrent pour démarcher sa clientèle constitue un procédé déloyal ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que si M. [W] et M. [I] avaient transféré sur leur boîte mail personnelle la liste des e-mails des membres des conseils syndicaux des résidences gérées et la liste des résidences gérées, ce transfert « ne saurait être jugé comme fautif en l'absence de preuve de leur exploitation par un moyen fautif de la part des anciens salariés de la société FONCIA » (arrêt p. 7) ; que cependant elle a relevé que ne permettait pas de caractériser « un démarchage illicite », « le seul courrier isolé de M. [S] [client de la société Foncia] faisant état d'une démarche de M. [W] le 27 juin 2017 pour lui faire signer un courrier visant à inscrire à l'ordre du jour la désignation de la société Valhestia comme nouveau syndic » (arrêt p. 8) ; qu'en statuant ainsi, par des motifs dont il ressortait que les informations détournées avaient fait l'objet d'au moins une exploitation, s'agissant du démarchage de M. [S] par M. [W], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil.
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CASS/JURITEXT000046727192.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 décembre 2022
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 740 F-B
Pourvoi n° R 19-22.538
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
La société Concurrence, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 19-22.538 contre l'arrêt rendu le 5 juin 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant à la société Samsung Electronics France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les neuf moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champalaune, conseiller, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de la société Concurrence, de la SCP Richard, avocat de la société Samsung Electronics France, après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Champalaune, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 juin 2019), la société Concurrence est un distributeur indépendant de produits électroniques grand public. Elle exploitait à ce titre un point de vente physique et un site de vente en ligne sous le nom de domaine concurrence.fr. La société Samsung Electronics France (la société Samsung) est spécialisée dans la distribution de produits dits bruns, sur le marché français.
2. La société Concurrence a distribué, à compter des années 2000, des produits de la marque Samsung. Les relations entre les deux sociétés se sont ensuite détériorées. Par lettre du 20 mars 2012, la société Samsung a notifié à la société Concurrence la rupture de la relation commerciale avec effet au 30 juin 2013.
3. Soutenant que la société Samsung avait rompu de manière abusive et infondée leurs relations contractuelles et sans respecter le préavis accordé, la société Concurrence l'a assignée en réparation de son préjudice.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses quatrième, cinquième, et sixième branches, et les cinquième, sixième, septième, huitième et neuvième moyens, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, septième et huitième branches, et les troisième et quatrième moyens, réunis
Enoncé du moyen
5. Par le deuxième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, septième et huitième branches, la société Concurrence fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie sans respect du préavis, alors :
« 1°/ qu'en énonçant que la société Concurrence ne démontre pas que ces engagements (les entretiens courants réguliers avec le PDG, l'autorisation de vente sur "market places", la non-signature du contrat sélectif, l'autorisation de vente sans mise en service dans toute l'Europe, l'autorisation de vente sans démonstration à domicile dans toute l'Europe, les remises de gré à gré de 21 % réduites entre 3 % et 0 %, la remise de 3 % pour ventes internet, la prévision de commandes, la reprise des invendus et les ventes ordinateurs et appareils photos) étaient la pratique entre les parties avant la rupture, quand elle a visé les lettres de la société Samsung du 15 janvier 2010 et du 9 décembre 2011 établissant la réalité de ces engagements, la société Samsung ayant au surplus reconnu dans ses conclusions que "Samsung a fonctionné avec Concurrence en 2011 et 2012 et continue de fonctionner sur les conditions commerciales de 2011 qui ne sont autres que celles de 2010", la cour d'appel a violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
2°) qu'en énonçant que la société Concurrence ne démontre pas plus que ces conditions particulières lui ont été supprimées par la société Samsung pendant l'exécution du préavis, aucune pièce n'étant produite en ce sens, quand la société Samsung avait reconnu dans ses conclusions que "Samsung a fonctionné avec Concurrence en 2011 et 2012 et continue de fonctionner sur les conditions commerciales de 2011 qui ne sont autres que celles de 2010", et soutenait précisément ne pas être tenue par de tels engagements au-delà d'un an, et qu'ainsi il ressort de ses propres constatations que la société Samsung avait reconnu ne pas devoir reconduire ces conditions durant le préavis ni les avoir maintenues et avait même mis en demeure la société Concurrence le 22 novembre 2012 de cesser toute commercialisation de produits Elite sur la « market place Amazon » sous 48 heures, la cour d'appel a violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
3°) que si les conditions commerciales sont négociées annuellement, rien n'y oblige si cela n'a pas été expressément prévu, et tel n'est plus le cas une fois la rupture décidée, les conditions commerciales devant demeurer inchangées ; qu'en retenant que les parties ayant négocié en 2011 et 2012 notamment les conditions particulières les liant, de sorte que la société Concurrence ne peut prétendre à l'application illimitée dans le temps de conditions commerciales favorables temporaires accordées pour une année et nécessairement remises en cause par le principe de la négociation annuelle entre les parties, la cour d'appel n'a pas justifié ce prétendu principe de négociation annuelle et a validé une rupture brutale partielle des relations en violation de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce ;
7°) que le fait d'imposer sans préavis les réductions des remises de gré à gré de 21,85 % à 3 %, la suppression de la remise de classement de 3 %, annoncés les 20 et 24 février 2012, et appliqués à compter du 1er mars 2012, constitue une rupture brutale partielle des relations commerciales entre les parties en application de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce ;
8°) que l'obligation de passer les commandes par des grossistes (circuit long) au lieu d'acheter en direct au fabriquant (circuit court) constitue un changement de condition commerciale qui ne peut être imposé pour la première fois durant le préavis accordé, à supposer même que les conditions d'achat demeurent stables, ce qui n'a d'ailleurs pas été constaté par la cour d'appel ; qu'en ne condamnant pas cette obligation imposée dès la rupture la cour d'appel a validé une rupture brutale partielle des relations en violation de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce. »
6. Par son troisième moyen, la société Concurrence fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°) que le principe d'une négociation annuelle n'interdit pas des accords de plus d'une année ; que des accords ne peuvent être brutalement dénoncés sans préavis ; qu'en ne sanctionnant pas l'abandon immédiat des conditions antérieures à la rupture, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce ;
2°) que la lettre du directeur du 15 janvier 2010 qui annonce l'octroi d'une remise supplémentaire de 3 %, implique une durée supérieure à une année, puisqu'elle est décidée pour tenir compte de relations de qualité anciennes, de la volonté d'aller en avant, et de l'axe stratégique pris par la société Concurrence ; qu'en ne sanctionnant pas l'abandon de cette remise imposé sans préavis, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce ;
3°) que la société Samsung a reconnu que "Samsung a fonctionné avec Concurrence en 2011 et 2012 et continue de fonctionner sur les conditions commerciales de 2011 qui ne sont autres que celles de 2010" ; qu'en ne sanctionnant pas l'abandon brutal et sans préavis de ces conditions commerciales à compter de la rupture décidée le 20 mars 2012, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce. »
7. Par son quatrième moyen, la société Concurrence fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°) que la société Concurrence avait démontré que la société Samsung lui avait antérieurement à l'année 2012 vendu des ordinateurs ou appareils photos ; que la cour d'appel ne pouvait d'autant moins ignorer ces factures, qu'elle les avait consultées à l'occasion du problème des remises ; qu'en retenant que la société Concurrence ne démontre pas que la société Samsung lui avait antérieurement à l'année 2012 vendu des ordinateurs ou appareils photos, la cour d'appel a méconnu l'obligation imposée au juge de ne pas dénaturer les conclusions ;
2°) que la société Samsung avait créé chez Concurrence une confiance légitime dans la pérennité des relations commerciales entretenues, en proposant un plan d'achats et surtout des remises supplémentaires "aux fins d'encouragement au développement de l'activité Samsung" ; que la modification immédiate des conditions commerciales, dès l'annonce de la rupture et au cours de préavis, constitue une violation de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce ; que la cour d'appel, qui a refusé de sanctionner une modification des relations commerciales établies dès l'annonce de la rupture, a statué en violation de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce ;
3°) que l'obligation de devoir passer commande auprès des grossistes est constitutive d'un refus de vente en direct et donc d'une modification des relations commerciales en cours qui ne peut être imposée durant le préavis ; qu'en retenant que la société Concurrence ne démontre pas que la société Samsung a refusé de lui vendre des ordinateurs portables et appareils photos après la rupture, quand il était constant que la société Samsung avait imposé sans préavis dès l'annonce de la rupture l'obligation de passer désormais les commandes auprès des grossistes, la cour d'appel, qui a refusé de sanctionner une modification des relations commerciales établies, a statué en violation de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce. »
Réponse de la Cour
8. Lorsque les conditions de la relation commerciale établie entre les parties font l'objet d'une négociation annuelle, ne constituent pas une rupture brutale de cette relation les modifications apportées durant l'exécution du préavis qui ne sont pas substantielles au point de porter atteinte à l'effectivité de ce dernier.
9. Après avoir relevé que la société Samsung négociait annuellement les conditions commerciales avec ses distributeurs, l'arrêt énonce qu'il est normal que celles-ci puissent évoluer, dans la mesure où un accord annuel n'est, par principe, pas immuable, l'existence de négociations annuelles permettant une évolution des conditions commerciales, y compris pendant l'exécution du délai de préavis. Il retient, ensuite, que les parties ont négocié, en 2011 et 2012, les conditions particulières les liant, de sorte que la société Concurrence ne peut prétendre à l'application illimitée dans le temps de conditions commerciales favorables accordées pour une année et nécessairement remises en cause par le principe de la négociation annuelle entre les parties. Il retient, en outre, qu'elle ne démontre ni que les engagements dont elle fait état, qui n'auraient pas été exécutés durant le préavis, étaient la pratique entre les parties avant la rupture, ni que la société Samsung s'était engagée à lui garantir ces conditions particulières concernant notamment les entretiens courants réguliers avec le président et directeur général, l'autorisation de vente sur une place de marché, l'autorisation de vente sans mise en service et sans démonstration à domicile dans toute l'Europe, l'autorisation de vente dans toute l'Europe, la prévision de commandes et la reprise des invendus.
10. Il retient, encore, que la société Concurrence ne démontre pas que la société Samsung ait supprimé ces conditions particulières pendant l'exécution du préavis et qu'elle lui ait, antérieurement à l'année 2012, vendu des ordinateurs ou appareils photos ni qu'elle ait refusé de les lui vendre, les courriels des 24 février et 1er mars 2012 de cette société ne faisant aucune référence au passé, et que l'achat de produits par des grossistes n'est pas, en soi, un changement de condition commerciale, si les conditions d'achat demeurent stables.
11. En l'état de ces énonciations et appréciations, faisant ressortir que le changement de mode d'approvisionnement aux mêmes conditions tarifaires ne caractérisait pas une modification substantielle de la relation commerciale interdite durant le préavis, c'est à bon droit, et sans dénaturer les écritures de la cause, qu'au terme d'une appréciation souveraine des éléments de preuve versés au débat, dont elle a déduit que la preuve d'un changement, en cours de préavis, des autres conditions commerciales existant, le cas échéant, entre les parties avant la rupture, n'avait pas été rapportée, la cour d'appel a rejeté la demande formée par la société Concurrence au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie sans respect du préavis.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Concurrence aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Concurrence et la condamne à payer à la société Samsung Electronics France la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat aux Conseils, pour la société Concurrence.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
(Sur la rupture brutale)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté les demandes de la société Concurrence au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies sans respect du préavis
AUX MOTIFS QUE
Sur la brutalité de la rupture
Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé avec l'auteur de la rupture, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables dédiées à la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent.
La société Concurrence ne précise pas quel était son chiffre d'affaires global les années précédant l'annonce de la rupture ni quelle était la part de la société Samsung dans son chiffre d'affaires.
Eu égard à la durée de la relation commerciale établie de 12 années, du secteur d'activité et du temps nécessaire pour que la société Concurrence puisse se réorganiser et re-déployer son activité, il apparaît que le préavis de 15 mois qui lui a été accordé par la société Samsung est suffisant, de sorte que la rupture n'est pas brutale.
ALORS QUE la société Concurrence avait justifié de son chiffre d'affaires total en 2011 et de la part réalisée avec la société Samsung (pièce n° 86) ; que la société Samsung dans ses conclusions (Pages 42/53 et 43/53), pièces visées et produites à l'appui, avait justifié du chiffre d'affaires de la société Concurrence et de la part réalisée avec les produits Samsung en 2010 et 2011 ; qu'ainsi la cour d'appel en lisant les conclusions échangées et les pièces produites avait tous les éléments pour juger ; qu'en s'en abstenant la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
(Sur la rupture brutale)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté les demandes de la société Concurrence au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies sans respect du préavis
Sur l'effectivité du préavis
La société Concurrence reproche à la société Samsung de ne pas avoir respecté les accords dits « Mollet », ce que conteste cette dernière.
Par courrier du 15 janvier 2010, M. Mollet, alors directeur de la société Samsung France, indique à la société Concurrence qu'en raison du différend les opposant, il propose de « solder ce malentendu en acceptant de régler une somme de 200.000 euros en considération de quoi vos factures seront annulées et nous reprenons une relation commerciale fondée sur nos tarifs nets envoyés début novembre 2009 avec 3 % supplémentaires, compte-tenu de l'axe stratégique pris pour votre société sur le commerce électronique ».
Par courriel du 9 décembre 2011, la société Samsung écrit à la société Concurrence :
« Lors de nos rendez-vous tenus en début d'année [2011], je vous ai exposé les conditions commerciales pour l'année 2011 et vous ai confirmé les montants et les conditions des ristournes et des remises qui seraient applicables à Concurrence. Je vous les ai confirmées par email.
Vous me contraignez donc à vous répondre, mais pour la dernière fois.
Ristournes :
En 2009, Concurrence bénéficiait de 6 % (3 % + 3 %).
En 2010, Concurrence bénéficiait de 7 % (1 % + 6 %, ces derniers étaient la consolidation des 3 + 3 de l'année précédente).
En 2011, Concurrence bénéficie de 7 % (1 % + 6 %).
Remise de base :
En 2009, Concurrence bénéficiait de la remise de base de 21 %.
En 2010, Concurrence bénéficiait de la remise de base de 21 %.
En 2011, Concurrence bénéficie de la remise de base de 25 %.
Dans le même temps, les remises de gré à gré sont restées appliquées. Leur montant a varié parce que, pour la première fois et ce depuis 2011, les baisses de nos tarifs sont, désormais, régulièrement enregistrées dans nos systèmes et répercutées à nos clients. La remise de gré à gré est donc maintenue. Simplement, elle baisse en montant, car les tarifs de base baissent.
Il y a donc là une adéquation qui fait qu'au final, la proportion de la remise de gré à gré par rapport au tarif de base est restée la même.
Cette manière de procéder en faisant bénéficier à tous nos clients des baisses de tarif, régulièrement, a été saluée par tous ; sauf par vous, évidemment.
J'en tire deux enseignements :
- les conditions commerciales 2011 vous sont appliquées, avec des taux clairement définis, au moins équivalents à celui de 2010,
- vous bénéficiez de la remise de base de 25 %, alors que vous ne devriez bénéficier que de celle de 21 %. Concurrence est en effet un VADiste. Vous le reconnaissez d'ailleurs (cf. votre mail du 24 novembre 2011), puisque vous réalisez plus de 95 % de vos ventes sur Internet, à distance ».
Par ailleurs, il ressort des éléments du dossier que la société Samsung négocie annuellement les conditions commerciales avec ses fournisseurs, y compris nécessairement la société Concurrence, de sorte qu'il est normal que celles-ci puissent évoluer, y compris pendant l'exécution du délai de préavis.
La société Concurrence explique que les entretiens courants réguliers avec le PDG, l'autorisation de vente sur marketplace, la non-signature du contrat sélectif, l'autorisation de vente sans mise en service dans toute l'Europe, l'autorisation de vente sans démonstration à domicile dans toute l'Europe, les remises de gré à gré de 21 % réduites entre 3 % et 0 %, la remise de 3 % pour ventes internet, la prévision de commandes, la reprise des invendus et les ventes ordinateurs et appareils photos ont été supprimées pendant l'exécution du préavis.
Toutefois, la société Concurrence ne démontre pas que ces engagements étaient la pratique entre les parties avant la rupture ni que la société Samsung s'était engagée auprès de la société Concurrence à lui garantir ces conditions particulières, notamment concernant les entretiens courants réguliers avec le PDG, l'autorisation de vente sur marketplace, l'autorisation de vente sans mise en service dans toute l'Europe, l'autorisation de vente sans démonstration à domicile dans toute l'Europe, la prévision de commandes et la reprise des invendus. Elle ne démontre pas plus que ces conditions particulières lui ont été supprimées par la société Samsung pendant l'exécution du préavis, aucune pièce n'étant produite en ce sens. Il ne peut être tiré aucune conséquence des courriels des 24 février et 1er mars 2012 de la société Samsung relatifs à la vente de produits photo et notebook ; celui-ci ne faisait en effet aucune référence au passé et ne mentionnait que les conditions commerciales sur l'année 2012 quant à ces produits. Par ailleurs, l'achat de produits par des grossistes n'est pas en soi un changement de condition commerciale, si les conditions d'achat demeurent stables. De même, le refus de signer un contrat de distribution sélective avec la société Concurrence ne peut être une condition commerciale acquise, alors que ces contrats sont conclus pour une durée d'un an et que la société Concurrence ne démontre pas avoir signé un tel contrat au jour de l'envoi de la lettre de rupture, alors que la société Samsung lui a indiqué par courriel du 8 novembre 2011 qu'elle constatait que cette dernière refusait toute régularisation d'un contrat de distribution sélective concernant les produits Elite. Enfin, il n'est pas démontré que pendant l'exécution du préavis les remises ont été réduites, étant relevé que les factures communiquées en pièce 90 démontrent au contraire que le taux de remise était au minimum de 31 %.
En outre, il convient de relever que la société Samsung n'est pas obligée d'appliquer à la société Concurrence les conditions tarifaires les plus favorables qu'elle applique à certains de ses fournisseurs. Dès lors, si la société Concurrence refuse les conditions tarifaires de la société Samsung, dont il n'est pas démontré qu'elles sont discriminatoires, abusives ou moins avantageuses que précédemment, elle ne peut demander l'application pour l'avenir d'un accord ponctuel intervenu entre les parties pour solutionner un conflit les opposant. Il convient d'ailleurs de relever que la teneur et le ton des courriels envoyés par la société Concurrence à la société Samsung entre 2009 et 2012 démontrent que la société Concurrence est très agressive et menaçante avec son interlocuteur, ce qui empêche toute négociation annuelle sereine entre les parties (pièces 7, 11, 12, 13, 57, 60, 62, 64, 91, 114, 127, 126, 128, 129, 130, 131, 132, 133).
Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la demande de la société Concurrence pour rupture brutale des relations commerciales établies et pour défaut d'effectivité du préavis.
1°) ALORS QUE en énonçant que la société Concurrence ne démontre pas que ces engagements (les entretiens courants réguliers avec le PDG, l'autorisation de vente sur market places, la non-signature du contrat sélectif, l'autorisation de vente sans mise en service dans toute l'Europe, l'autorisation de vente sans démonstration à domicile dans toute l'Europe, les remises de gré à gré de 21 % réduites entre 3 % et 0 %, la remise de 3 % pour ventes internet, la prévision de commandes, la reprise des invendus et les ventes ordinateurs et appareils photos) étaient la pratique entre les parties avant la rupture, quand elle a visé les courriers de la société Samsung du 15 janvier 2010 et du 9 décembre 2011 établissant la réalité de ces engagements, la société Samsung ayant au surplus reconnu dans ses conclusions que « Samsung a fonctionné avec Concurrence en 2011 et 2012 et continue de fonctionner sur les conditions commerciales de 2011 qui ne sont autres que celles de 2010 » (conclusions Samsung page 21/53), la cour d'appel a violé le l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
2°) ALORS QUE en énonçant que la société Concurrence ne démontre pas plus que ces conditions particulières lui ont été supprimées par la société Samsung pendant l'exécution du préavis, aucune pièce n'étant produite en ce sens, quand la société Samsung avait reconnu dans ses conclusions que « Samsung a fonctionné avec Concurrence en 2011 et 2012 et continue de fonctionner sur les conditions commerciales de 2011 qui ne sont autres que celles de 2010 » (conclusions Samsung page 21/53), et soutenait précisément ne pas être tenue par de tels engagements au-delà d'un an, et qu'ainsi il ressort de ses propres constatations que la société Samsung avait reconnues de pas devoir reconduire ces conditions durant le préavis ni les avoir maintenues et avait même mis en demeure Concurrence le 22 novembre 2012 de cesser toute commercialisation de Produits Elite sur la market place Amazon sous 48 heures, la cour d'appel a violé le l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
3°) ALORS QUE si les conditions commerciales sont négociées annuellement, rien n'y oblige si cela n'a pas été expressément prévu, et tel n'est plus le cas une fois la rupture décidée, les conditions commerciales devant demeurer inchangées ; qu'en retenant que les parties ayant négocié en 2011 et 2012 notamment les conditions particulières les liant, de sorte que la société Concurrence ne peut prétendre à l'application illimitée dans le temps de conditions commerciales favorables temporaires accordées pour une année et nécessairement remises en cause par le principe de la négociation annuelle entre les parties, la cour d'appel n'a pas justifié ce prétendu principe de négociation annuelle et a validé une rupture brutale partielle des relations en violation de l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de Commerce ;
4°) ALORS QUE l'annonce brutale, sans préavis, de l'obligation de signer un contrat sélectif, quand les produits de ce contrat étaient livrés jusqu'alors sans signature de ce contrat, constitue une rupture brutale des relations en violation de l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de Commerce ; qu'en ne sanctionnant pas cette obligation imposée sans préavis, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de Commerce ;
5°) ALORS QUE Concurrence vendait sur market places en 2010, en 2011, 2012, ce qui était proscrit par SAMSUNG dans ses contrats sélectifs ; qu'au demeurant, la cour d'appel qui a reproduit une lettre de Samsung décrivant les conditions au 9 décembre 2011, a omis d'en retranscrire la partie démontrant que Samsung était au courant et approuvait le fait que Concurrence utilise le market place, Samsung l'y encourageant pour développer son activité en accordant une remise de 3 % ; que l'interdiction de vendre sur les market places a été imposée par l'obligation de signer un contrat sélectif dès la rupture sans respect d'un préavis ; qu'en ne sanctionnant pas cette obligation imposée sans préavis, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de Commerce ;
6°) ALORS QUE en retenant qu'il n'est pas démontré que pendant l'exécution du préavis les remises ont été réduites, les factures communiquées en pièce 90 démontrant au contraire que le taux de remise était au minimum de 31 %, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et donc privé de motifs sa décision, lesdites factures étant relatives aux années 2011 et 2012, donc antérieures à la période du préavis ; qu'elle a ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile ;
7°) ALORS QUE le fait d'imposer sans préavis les réductions des remises de gré à gré de 21,85 % à 3 %, la suppression de la remise de classement de 3 %, annoncés le 20 et 24 février 2012, et appliqués à compter du 1er mars 2012, constitue une rupture brutale partielle des relations commerciales entre les parties en application de l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de Commerce
8°) ALORS QUE l'obligation de passer les commandes par des grossistes (circuit long) au lieu d'acheter en direct au fabriquant (circuit court) constitue un changement de condition commerciale qui ne peut être imposé pour la première fois durant le préavis accordé, à supposer même que les conditions d'achat demeurent stables, ce qui n'a d'ailleurs pas été constaté par la cour d'appel ; qu'en ne condamnant pas cette obligation imposée dès la rupture la cour d'appel a validé une rupture brutale partielle des relations en violation de l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de Commerce.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
(Sur la rupture brutale)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté les demandes de la société Concurrence au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies sans respect du préavis
AUX MOTIFS QUE
Sur les conditions commerciales appliquées à la société Concurrence et les accords dits « Mollet »
La société Concurrence soutient que les accords 2010, dit « accords Mollet », qu'elle estimait privilégiés puisque comprenant des remises de gré à gré, la livraison de produits Elite, les ventes sur Internet et market place, avaient vocation à être maintenus.
Elle estime que leur remise en cause au début de l'année 2012 a été brutale et doit être sanctionnée au regard de l'article L. 442-6, IV du code de commerce. S'agissant des remises de gré à gré, elle fait valoir que la société Samsung n'apporte aucune preuve afin d'étayer ses affirmations, ni facture, ni document comptable, ni barème de prix. Elle explique que la société Samsung ne pouvait limiter les remises consenties à son égard en violation des accords « Mollet ». En tout état de cause, elle demande à ce que soit constatée la nullité des conditions de vente de la société Samsung et que lui soit remboursée la différence entre les conditions appliquées à la société Concurrence et les conditions consenties aux autres revendeurs. Elle allègue que la demande de nullité des conditions de vente ne constitue aucunement une demande nouvelle.
La société Samsung affirme que les « accords Mollet » n'ont jamais existé et ne correspondent à aucun engagement spécifique de sa part et relève qu'en tout état de cause aucun accord ne peut résister à l'obligation de négociation annuelle. Elle explique que cette obligation telle qu'elle ressort des dispositions des articles L. 441-6, I, alinéa 1 et L. 441-7, alinéas 1 et 3 du code de commerce, s'oppose au caractère immuable allégué de ces accords, dont, au surplus, elle estime que la société Concurrence n'apporte pas la preuve. Elle ajoute que la société Concurrence a systématiquement refusé toute négociation commerciale, de sorte qu'elle ne saurait se plaindre de ce qu'elle n'aurait pas obtenu à cette occasion certaines conditions commerciales. Elle précise que le courrier du 15 janvier 2010 visait à régler un différend en octroyant à la société Concurrence une indemnité transactionnelle et une remise supplémentaire de 3 % prenant en compte le développement de la société Concurrence sur la distribution par Internet (et non sur marketplace) et que le courrier de M. [Y] [X] à M. [B] [H] du 1er juin 2011, ne faisait que réaffirmer le principe de l'octroi de remises de gré à gré en application de la politique commerciale uniforme de la société Samsung. Elle ajoute qu'en tout état de cause la société Samsung n'a aucune obligation de communiquer les informations produites devant l'Autorité de la concurrence en 2014.
Il convient d'abord de relever avec la société Samsung que des conventions annuelles sont signées entre cette dernière et ses distributeurs, de sorte qu'aucun accord annuel n'est par principe immuable, le principe des négociations annuelles supposant une évolution des conditions commerciales et un accord entre elles sur ces conditions commerciales. Il apparaît que les parties ont négocié en 2011 et 2012 notamment les conditions particulières les liant, de sorte que la société Concurrence ne peut prétendre à l'application illimitée dans le temps de conditions commerciales favorables temporaires accordées pour une année et nécessairement remises en cause par le principe de la négociation annuelle entre les parties.
En outre, la société Samsung n'a aucune obligation de communiquer l'ensemble des pièces soumises à l'Autorité de la concurrence, la présente instance étant indépendante de l'instruction menée par cette Autorité.
Enfin, il a déjà été relevé ci-dessus que la preuve de la remise en cause des pratiques antérieures entre les parties n'est pas démontrée, de sorte qu'il y a lieu de rejeter la demande de la société Concurrence de ce chef.
ET AUX MOTIFS QUE
Sur la demande relative à la remise supplémentaire internet de 3 %
La société Concurrence soutient que la société Samsung ne lui a pas versé la remise supplémentaire internet de 3 % sur les années 2011 et 2012 en vertu des accords dits Mollet, alors qu'il a été jugé ci-dessus que les accords Mollet n'avaient pas vocation à s'appliquer sur plusieurs années, alors que les parties négocient chaque année les conditions commerciales de leurs relations, de sorte que la société Concurrence n'est pas bien fondée à solliciter le paiement de la remise de 3 % sur les années 2011 et 2012, les accords invoqués n'étant valable que pour une année.
Il y a donc lieu de rejeter la demande de la société Concurrence de ce chef.
1°) ALORS QUE le principe d'une négociation annuelle n'interdit pas des accords de plus d'une année ; que des accords ne peuvent être brutalement dénoncés sans préavis ; qu'en ne sanctionnant pas l'abandon immédiat des conditions antérieures à la rupture, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de Commerce ;
2°) ALORS QUE la lettre du Directeur du 15 janvier 2010 qui annonce l'octroi d'une remise supplémentaire de 3 %, implique une durée supérieure à une année, puisqu'elle est décidée pour tenir compte de relations de qualité anciennes, de la volonté d'aller en avant, et de l'axe stratégique pris par Concurrence ; qu'en ne sanctionnant pas l'abandon de cette remise imposé sans préavis, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de Commerce ;
3°) ALORS QUE la société Samsung a reconnu que « Samsung a fonctionné avec Concurrence en 2011 et 2012 et continue de fonctionner sur les conditions commerciales de 2011 qui ne sont autres que celles de 2010 » (conclusions de Samsung du 2 avril 2019 p. 21/53) ; qu'en ne sanctionnant pas l'abandon brutal et sans préavis de ces conditions commerciales à compter de la rupture décidée le 20 mars 2012, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de Commerce.
QUATRIÈME MOYEN DE CASSATION
(Sur la rupture brutale)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté les demandes de la société Concurrence au titre du refus de vente brutal des ordinateurs et appareils photos sans respect du préavis
ET AUX MOTIFS QUE
Sur le refus de vente brutal des ordinateurs et appareils photos
Il a déjà été indiqué ci-dessus que la société Concurrence ne démontre pas que la société Samsung lui avait antérieurement à l'année 2012 vendu des ordinateurs ou appareils photos, qu'elle a refusé de les lui vendre, la circonstance de devoir les commander auprès d'un grossiste ne pouvant caractériser un refus de vente. Dès lors, la société Concurrence ne justifie ni de l'antériorité de ces échanges ni de l'arrêt des commandes ni de la brutalité de cet arrêt.
Il y a donc lieu de rejeter la demande de ce chef.
1°) ALORS QUE société Concurrence avait démontré que la société Samsung lui avait antérieurement à l'année 2012 vendu des ordinateurs ou appareils photos (Conclusions, page 17 et 18) ; que la Cour d'appel ne pouvait d'autant moins ignorer ces factures, qu'elle les avait consultées à l'occasion du problème des remises ; qu'en retenant que la société Concurrence ne démontre pas que la société Samsung lui avait antérieurement à l'année 2012 vendu des ordinateurs ou appareils photos la cour d'appel a méconnu l'obligation imposée au juge de ne pas dénaturer les conclusions
2°) ALORS QUE la société Samsung avait créé chez Concurrence une confiance légitime dans la pérennité des relations commerciales entretenues, en proposant un plan d'achats et surtout des remises supplémentaires « aux fins d'encouragement au développement de l'activité Samsung » ; que la modification immédiate des conditions commerciales, dès l'annonce de la rupture et au cours de préavis, constitue une violation de l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de Commerce ; que la cour d'appel, qui a refusé de sanctionner une modification des relations commerciales établies dès l'annonce de la rupture, a statué en violation de l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de Commerce
3°) ALORS QUE l'obligation de devoir passer commande auprès des grossistes est constitutive d'un refus de vente en direct et donc d'une modification des relations commerciales en cours qui ne peut être imposée durant le préavis ; qu'en retenant que la société Concurrence ne démontre pas que la société Samsung a refusé de lui vendre des ordinateurs portables et appareils photos après la rupture quand il était constant que Samsung avait imposé sans préavis dès l'annonce de la rupture l'obligation de passer désormais les commandes auprès des grossistes, la cour d'appel, qui a refusé de sanctionner une modification des relations commerciales établies, a statué en violation de l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de Commerce.
CINQUIÈME MOYEN DE CASSATION
(Sur le refus de vente des produits Elite comme standards)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de la société Concurrence tendant à la réparation du préjudice subi suite au refus de livraison des téléviseurs Elite
AUX MOTIFS QUE
Sur le refus de vente des produits Elite comme standards par la société Samsung
La société Concurrence reproche à la société Samsung de refuser de lui livrer les téléviseurs Elite à compter du 1er juillet 2013, alors que son magasin répond aux exigences du contrat de distribution sélective, comme l'a constaté cette dernière lors d'une visite des locaux du 30 septembre 2015, un contrat de distribution sélective ayant d'ailleurs été signé le 15 octobre 2015 concernant ce site entre les parties. Elle indique que malgré des demandes répétées, la société Samsung a refusé de lui livrer les téléviseurs Elite, de sorte que son magasin n'a jamais pu fonctionner. Elle se fonde sur la motivation de l'arrêt du 3 décembre 2015 de la cour d'appel de Paris.
La société Samsung réplique que la rupture au 30 juin 2013 est définitivement acquise et qu'elle est libre de contracter ou non avec la société Concurrence et donc de cesser de livrer la société Concurrence en produits Elite comme standard. Elle relève que la rupture étant licite, elle n'a aucune obligation de contracter à nouveau avec la société Concurrence. Elle rappelle que la preuve du refus de vente de ses produits n'est pas rapportée.
Il a été jugé ci-dessus que la rupture des relations commerciales au 30 juin 2013 était licite, de sorte que la société Concurrence ne peut prétendre à la poursuite des relations commerciales avec la société Samsung, celle-ci étant libre de choisir ses partenaires commerciaux et de cesser les relations commerciales avec la société Concurrence, sous réserve de respecter un délai de préavis suffisant, comme en l'espèce.
Dans ces conditions, aucune obligation ne pesait à compter du 1er juillet 2013 sur la société Samsung de livrer la société Concurrence en produits standards comme Elite.
Par ailleurs, il a été relevé supra que la société Concurrence a toujours refusé de signer un contrat de distribution sélective concernant les produits Elite, ce que la société Samsung lui avait pourtant proposé le 14 mars 2011 par courriel, alors que cette dernière distribue justement ces produits au travers d'un réseau de distribution sélective.
Dès lors, la société Concurrence ne peut faire grief à la société Samsung de ne pas lui avoir livré de produits Elite, n'ayant pas signé de contrat de distribution sélective.
En outre, la société Concurrence ne peut tirer argument de la motivation de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 3 décembre 2015, pour en déduire que la seule condition à lever, pour être livrée en produits Samsung, était l'ouverture d'un magasin aux normes du contrat de distribution sélective et que donc, cette condition ayant depuis été levée par elle, la société Samsung est tenue de la livrer. Ce litige opposait alors les parties concernant le recours de la décision de l'Autorité de la concurrence des 23 juillet et 6 octobre 2014, qui ne peut s'imposer dans le cadre de cette instance pour en déduire qu'il a été déjà jugé dans le sens invoqué par la société Concurrence.
Enfin, si les parties ont signé le 15 octobre 2015 un contrat de distribution sélective concernant la vente de produits Elite, la société Concurrence ne démontre pas que son magasin était ouvert à compter de cette date pour proposer à la vente ses différents produits dont les téléviseurs Samsung de la gamme Elite et que donc il était en mesure de commercialiser dans des conditions normales les produits, ce que relève la société Samsung dans sa réponse à la société Concurrence par courriel du 24 mars 2016, le site internet indiquant « magasin et site fermé » alors que le contrat impose la commercialisation dans un magasin de vente au détail. En effet, elle ne peut utilement relever que le refus de livraison par la société Samsung des produits Elite est la cause de l'impossibilité d'ouverture de son magasin, étant aussi relevé que la preuve de commande passées à la société Samsung par la société Concurrence en produits Elite comme standards à compter du 15 octobre 2015 jusqu'au 29 février 2016, date de la fin du contrat de distribution sélective, n'est pas rapportée. Ainsi, aucune faute de la société Samsung n'est établie à cet égard, aucun refus de vente n'étant prouvé.
En conséquence, la société Concurrence ne démontre aucune faute de la société Samsung de ce chef. Il y a lieu de la débouter de sa demande sur ce point.
1°) ALORS QU'ont été produits aux débats les accords de distribution 2012, 2013, 2014 et 2015 dont il est constant qu'ils ont tous été signés ; qu'en retenant successivement que les parties n'ont pas signé un accord de distribution, puis que les parties ont signé un accord de distribution le 15 octobre 2015, la cour d'appel s'est au moins contredite sur ce dernier point, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE la société Concurrence a justifié devant la cour d'appel qu'après visite du nouveau point de vente le 30 septembre 2015, la société Samsung a constaté sans avoir besoin de demander des modifications, le respect des critères, ce qui a abouti à la signature d'un nouveau contrat sélectif le 15 octobre 2015 et quelques jours plus tard le site internet a lui aussi été agréé sans problème ; que cependant en dépit de l'agrément du magasin et du site, la société Samsung a toujours refusé de vendre les produits ELITE objets du contrat sélectif ; que pour justifier ce refus de livraison, la cour d'appel s'est fondée sur le courriel du 24 mars 2016 de la société Samsung faisant état de ce que le site internet indique « magasin et site fermé » ; que cependant un magasin ne peut être ouvert s'il n'a pas de stocks, ce qui nécessite au préalable d'être livré ; que par suite, les refus de vente des produits Samsung à compter de la signature du contrat sélectif le 15 octobre 2015 sont bien à l'origine de l'impossibilité d'ouverture du magasin, et la société Samsung est en faute de ne pas avoir livré ainsi qu'elle s'y était engagée ; qu'en rejetant la demande en réparation du préjudice subi par la société Concurrence, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil devenu 1231-1.
3°) ALORS QUE le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ; qu'en retenant que « la preuve de commande passées à la société Samsung par la société Concurrence en produits Elite comme standards à compter du 15 octobre 2015 jusqu'au 29 février 2016, date de la fin du contrat de distribution sélective, n'est pas rapportée » quand dans ses conclusions la société concurrence avait justifié avoir demandé à nouveau d'être livrée par courriel du 7 décembre 2015 (pièce n° 9), puis par un rappel du 15 décembre 2015 (pièce n° 10), la cour d'appel a statué en violation de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause, ensemble les articles 1103, 1104 et 1193 du code civil.
SIXIÈME MOYEN DE CASSATION
(Sur la distribution sélective)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de la société Concurrence tendant à voir prononcer la nullité du système de distribution sélective mis en place par la Société Samsung pour les téléviseurs de la gamme Elite et à la réparation du préjudice qu'elle a subi
AUX MOTIFS QUE
Sur la distribution sélective
Les parties s'accordent à reconnaître que le réseau, mis en place par la société Samsung, qui consiste à agréer des distributeurs selon des critères de sélection objectifs, est un système de distribution sélective qualitative. Elles ne contestent pas l'application du droit européen de la concurrence.
La société Concurrence n'apporte aucun élément permettant de remettre en cause les conditions d'application par la société Samsung de son contrat de distribution sélective des produits de la gamme Elite.
Il est constant que la distribution sélective limite nécessairement la concurrence entre les différents acteurs économiques en entravant l'accès au marché des revendeurs non-membres du réseau.
Mais un système de distribution sélective qualitative peut être considéré comme licite au regard des prévisions du 1° de l'article 101 du TFUE ou de l'article L. 420-1 du code de commerce, si trois conditions sont réunies cumulativement :
1. la nature du produit en question doit requérir un système de distribution sélective, c'est-à-dire qu'un tel système doit constituer une exigence légitime eu égard à la nature du produit concerné afin d'en préserver la qualité et d'en assurer l'usage,
2. les revendeurs doivent être choisis sur la base de critères objectifs de caractère qualitatif, qui sont fixés de manière uniforme pour tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire,
3. les critères définis ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire.
La question de l'exemption individuelle de l'article 101, § 3, du TFUE ne se pose que si le réseau de distribution sélective n'est pas considéré comme licite en vertu de l'article 101, § 1, de sorte que la licéité de ce réseau au regard du § 1 doit d'abord être examinée, comme le souligne la société Samsung.
Il ressort des éléments du dossier que :
- le contrat de distribution sélective contesté ne porte que sur les produits de la gamme Elite de la société Samsung, doté de la technologie « smart interaction » permettant à l'utilisateur d'interagir avec le téléviseur. Il n'est pas contesté que ces produits sont des téléviseurs haut de gamme. Ces produits contiennent des innovations techniques telles que le contrôle vocal du produit, un contrôle gestuel, ce qui permet de remplacer la télécommande, ou encore la reconnaissance faciale, fonctionnalités qui nécessitent d'être présentées et expliquées par un vendeur « formé et qualifié » selon les termes du contrat, les autres téléviseurs ne proposant pas ce type d'options dont l'utilisation est donc inconnue par le consommateur. La nature de ces produits dits « dernière génération » justifie donc le recours à un système de distribution sélective.
- les différents critères fixés pour choisir les revendeurs sont objectifs, de caractère qualitatif, sont fixés de manière uniforme pour tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire. En effet, la société Samsung liste en annexe 2 de son contrat ses critères d'agrément, à savoir : l'exploitation d'un magasin de vente au détail spécialiste de l'électronique grand public, ou la possession d'un département spécialisé, le point de vente physique devant être perçu comme étant professionnel et de qualité ; la vente et la promotion pourra se faire via un site internet qui doit être préalablement agréé par la société Samsung ; les techniques de vente de nature à nuire à l'image des produits sont prohibées ; la présentation des produits dans le point de vente physique doit permettre une identification des produits Elite aisée, dans une espace à la superficie suffisante ; les produits présentés doivent être en nombre suffisant et la mise en exergue de la technologie « smart interaction » suffisante, le personnel doit être formé et le service de qualité.
Ces critères sont tous objectifs, ceux-ci étant clairement détaillés et explicité dans ladite annexe 3.
- ces critères ne vont pas au-delà du nécessaire, ceux-ci étant justifiés au regard de la nature et de la qualité technologique des produits visés et adaptés à ces produits sans disproportion. En effet, au regard de la nature des produits, il est justifié que la société Samsung demande à ses détaillants Elite d'avoir un point de vente physique, de sorte que les produits puissent être exposés et expliqués au regard des technologies innovantes qu'ils contiennent, permettant ainsi au consommateur de se voir expliqué physiquement lesdites fonctionnalités, un site internet isolé ne permettant pas une présentation complète et un échange global du consommateur au vendeur, qui recherchera d'abord plutôt des explications par un vendeur dans un point de vente physique. En outre, la vente par internet des produits Samsung par le détaillant agréé étant autorisée, la clause est donc proportionnée.
Dans ces conditions, le réseau de distribution sélective de la société Samsung de ses produits de la gamme Elite est licite au regard de l'article 101, § 1, du TFUE et en droit national il n'est pas contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce.
Le contrat de distribution sélectif étant licite au regard de l'article 101, § 1, du TFUE, il n'y a pas lieu d'examiner les règles d'exemption définies par l'article 101, § 3, du TFUE ou de l'article 3 du Règlement CA n° 330-2010, ces dispositions n'ayant vocation à s'appliquer que dans l'hypothèse d'un réseau déclaré illicite au regard de l'article 101, § 1, du TFUE, afin de l'exempter de l'application des dispositions de cet article et donc examiner son éventuelle licéité au regard de ces textes d'exemption, étant relevé que la société Concurrence n'invoque pas les dispositions des articles 4 et 5 dudit Règlement.
Enfin, le réseau étant déclaré licite, la condition de commercialisation par le détaillant des produits Elite dans un point de vente physique aux côtés d'un site internet n'est pas en soit discriminatoire à son égard, alors qu'il souhaite commercialiser les produits Elite uniquement par l'intermédiaire de son site internet, et ne répondant donc pas, dans ces conditions, aux critères objectifs posés par la société Samsung pour être agréé.
Les demandes de la société Concurrence sur ce point doivent être rejetées.
1°) ALORS QUE les téléviseurs produits de la gamme Elite de la société Samsung, dotés de la technologie « smart interaction » permettant à l'utilisateur d'interagir avec le téléviseur ne présentent pas un degré de technicité tel qu'un système de distribution sélective soit justifié pour en préserver la qualité ou en assurer le bon usage ; que la société Samsumg vend en dehors de tout système de distribution sélective des produits au moins aussi sophistiqués que des téléviseurs, tels des ordinateurs et des smartphones que le consommateur moyen parvient à maîtriser sans l'assistance d'un vendeur ; qu'en jugeant licite le système de distribution sélective mis en place par la société Samsung la cour d'appel a violé les articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
2°) ALORS QUE la clause imposant la détention d'un magasin physique pour la vente de téléviseurs haut de gamme a pour objet de restreindre la concurrence, et constitue un critère qui va bien au-delà de ce qui serait nécessaire au bon fonctionnement du réseau, qu'elle présente donc un caractère discriminatoire ; que le critère de détention d'un magasin physique est en effet doublement anticoncurrentiel, en ce qu'il génère d'une part un risque d'éviction des opérateurs « pure players », non seulement de la distribution de ces téléviseurs haut de gamme, mais aussi de la distribution de tous autres téléviseurs et en ce que l'éviction des opérateurs « pure players » risque d'autre part de limiter considérablement la concurrence par les prix sur le marché de la vente de téléviseurs ; qu'en jugeant licite le système de distribution sélective mis en place par la société Samsung la cour d'appel a violé les articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce ;
3°) ALORS QUE la société Samsung ne peut bénéficier d'une exemption au titre du Règlement (UE) n° 330/2010 relatif à des catégories d'accords verticaux et au titre des articles 101, § 3, TFUE ou L. 420-4 du code de commerce, dès lors qu'elle dispose d'une position prépondérante sur le marché de la vente de téléviseurs, avec une part de marché en valeur supérieure à 30 % depuis plus de 3 ans et de 36 % en 2013, que si un marché distinct était identifié pour la vente de téléviseurs haut de gamme, la part de marché de Samsung s'élèverait à environ 50 %, et Samsung serait ainsi en position dominante sur ce marché ; qu'un réseau de distribution sélective n'est susceptible de bénéficier d'une exemption individuelle au titre des articles 101, § 3, TFUE du code de commerce, que si il améliore la distribution des produits et les restrictions qu'il emporte sont indispensables pour atteindre ces améliorations ; que tel n'étant pas le cas, en jugeant licite le système de distribution sélective mis en place par la société Samsung la cour d'appel a violé le Règlement (UE) n° 330/2010 relatif à des catégories d'accords verticaux et les articles 101, § 3, TFUE et L. 420-4 du code de commerce.
SEPTIÈME MOYEN DE CASSATION
(Sur la nullité de 3 clauses du contrat de distribution sélective)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de la société Concurrence tendant à la nullité de trois clauses du contrat de distribution sélective déclarées illicites par la Commission Européenne, à savoir, la mise en service dans toute l'Europe, la démonstration à domicile pour les ventes internet, et un délai de rétractation de 30 jours, et à la réparation du préjudice subi
AUX MOTIFS QUE
Sur la nullité de 3 clauses du contrat de distribution sélective et le refus de livraison du 1er mars au 27 septembre 2012
La société Concurrence reproche à la société Samsung d'avoir inséré en 2012 trois clauses nulles dans le contrat de distribution sélective, qui imposaient la mise en service et l'installation dans toute l'Europe pour les ventes en magasin, la démonstration à domicile avant un éventuel achat pour les internautes habitant à plus de 100 kms du magasin, et un délai de rétractation porté à 30 jours. Elle en déduit qu'elle a subi un préjudice relatif au refus de livraison par la société Samsung des produits Elite du fait de la nullité de ces clauses du 1er mars au 27 septembre 2012.
La société Samsung réplique que son contrat de distribution est licite et que la seule cause du défaut de livraison des produits Elite à la société Concurrence durant cette période est le refus de signature du contrat de distribution sélective en raison de la contestation par celle-ci de très nombreuses clauses de ce contrat et non spécialement ces 3 clauses. Elle en conclut que seule la société Concurrence est responsable de cette suspension des livraisons jusqu'à la signature par elle du contrat de distribution sélective et son agrément par elle au mois de septembre 2012.
La cour constate d'abord que les clauses dont la validité est contestée par la société Concurrence ne sont pas reproduites et leur désignation par un numéro dans le contrat n'est pas reprise, de sorte que la cour ne sait pas quelle clause spécifique est remise en cause dans le cadre de cette instance, ces clauses n'étant pas identifiable, la seule référence générale à son objet ne pouvant suffire à saisir la cour d'une demande en nullité d'une clause contractuelle.
En tout état de cause, la société Concurrence demande la réparation de son préjudice du fait du refus de vente de la société Samsung du fait de la nullité de trois clauses du contrat de distribution sélective, alors qu'il ressort clairement des différents échanges entre les parties à compter du 28 février 2012 (pièces Samsung 93 à 102) que les négociations entre les parties portaient sur de très nombreux points contractuels de tous ordres et que la société Concurrence contestait l'application de différentes clauses la concernant, de sorte qu'il ne peut être soutenu que le délai pour qu'elle ait été agréée uniquement le 20 septembre 2012 par la société Samsung soit la conséquence de la nullité de 3 clauses contractuelles. Le lien de causalité entre la faute alléguée, à la supposer établie, et le préjudice invoqué, n'est pas démontré par la société Concurrence.
Il y a donc lieu de rejeter la demande de la société Concurrence de ce chef.
1°) ALORS QUE la cour d'appel était parfaitement en mesure d'identifier les trois clauses contractuelles litigieuses, dès lors qu'elle disposait des contrats de distribution sélective ; qu'en prétextant que les clauses dont la validité est contestée par la société Concurrence ne sont pas reproduites et leur désignation par un numéro dans le contrat n'est pas reprise, de sorte que la cour ne sait pas quelle clause spécifique est remise en cause dans le cadre de cette instance, la cour d'appel a manqué à son office, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en retenant qu'il ne peut être soutenu que le délai pour qu'elle (la société Concurrence) ait été agréée uniquement le 20 septembre 2012 par la société Samsung soit la conséquence de la nullité de 3 clauses contractuelles, la cour d'appel s'est nécessairement référée à ces trois clauses contractuelles et a ainsi entaché sa décision d'une contradiction de motifs ;
3°) ALORS QU'il résulte de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 14-D-07 du 23 juillet 2014 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la distribution des produits bruns, en particulier des téléviseurs, qui a été versée aux débats, que la société Concurrence a allégué le caractère illicite des contrats de distribution sélective de Samsung et leur application discriminatoire, et versé plusieurs modèles ou extraits de contrats de son fournisseur, notamment ceux de 2012 et 2014 auxquels elle a adhéré ; que concernant la licéité de cette convention, la Commission européenne a sollicité la suppression de la clause de démonstration à domicile pour les achats en ligne et de celle d'augmentation à 30 jours du délai de rétractation, ainsi que la modification de celle d'installation dans toute l'Europe ; qu'il apparaît que la clause 5.2, b) du contrat de 2012 prévoyant l'installation et la mise en service des produits ELITE dans toute l'Europe a été maintenue en des termes identiques dans la nouvelle version de septembre 2012, et que si le contrat de distribution sélective 2014 de Samsung adopte une formulation plus prudente, l'acte renvoie cependant à la notion de « Zone d'Installation » dont le périmètre n'est pas défini ; qu'ainsi la cour d'appel était parfaitement en mesure d'identifier les trois clauses contractuelles litigieuses, dès lors qu'elle disposait des contrats de distribution sélective et de la décision précitée de l'Autorité de la concurrence ; qu'en se refusant à constater leur illicéité la cour d'appel a violé les articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce.
HUITIÈME MOYEN DE CASSATION
(Sur l'interdiction de vente sur « market place »)
ll est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de la société Concurrence tendant à la nullité de l'interdiction de vente sur les market place
AUX MOTIFS QUE
Sur l'interdiction de vente sur des market place
La société Concurrence considère également que l'interdiction de revente des téléviseurs Elite sur market place constitue une restriction caractérisée de concurrence.
Elle demande à ce que soit prononcée la nullité de cette clause. Elle indique d'ailleurs que cette question est soumise à l'examen de la Commission européenne et de l'Autorité de la concurrence. Elle soutient qu'il ressort de la décision de l'Autorité de la concurrence du 24 octobre 2018, que l'interdiction de la vente sur market place pouvait être autorisée sous certaines conditions, notamment que les produits interdits justifient l'usage d'un contrat de distribution sélective. Or elle estime que tel n'est pas le cas en l'espèce, les téléviseurs Elite ne nécessitant pas le recours à un réseau de distribution sélective. Elle estime que cette clause est en outre mise en oeuvre de manière discriminatoire, ce qui justifie également sa nullité.
Elle soutient avoir bénéficié depuis 2010 de dérogations, tel que cela ressort notamment d'un courrier du président de la société Samsung du 9 décembre 2011, de sorte qu'elle a pu développer son activité par ce biais, laquelle représentait 50 % de son activité.
Or en 2012 elle explique que la société Samsung a mis fin à ces dérogations de manière brutale, sans le moindre préavis, la contraignant à cesser la commercialisation des produits Elite pas ce biais.
Elle demande à la cour de prononcer la nullité de la clause et autoriser la société Concurrence à vendre sur marketplaces.
La société Samsung estime que la société Concurrence ne peut réclamer réparation d'un préjudice qu'elle aurait subi ni du fait de la stipulation d'une clause portant définition d'un périmètre de zone d'installation pour le service d'installation à proposer au consommateur, dès lors que cette clause a fait l'objet d'un accord entre les parties, ni en raison de la clause d'interdiction de revente sur market place, cette clause n'étant pas prohibée dans une distribution sélective dès lors qu'elle ne constitue pas per se une restriction caractérisée, la Commission et l'Autorité de la concurrence n'ayant d'ailleurs pas invalidé cette clause. Elle ajoute n'avoir jamais accepté que la société Concurrence procède à la vente de ses produits sur le site de market place Amazon, puisque par courrier de mise en demeure elle lui demandait de « cesser toute commercialisation de Produits Elite sur la marketplace Amazon sous 48 heures) à réception de la présente lettre ».
Là encore, la cour constate d'abord que la clause, dont la validité est contestée par la société Concurrence, n'est pas reproduite et sa désignation par un numéro dans le contrat n'est pas reprise, de sorte que la cour ne sait pas quelle clause spécifique est remise en cause dans le cadre de cette instance, cette clause n'étant pas identifiable, la seule référence générale à son objet ne pouvant suffire à saisir la cour d'une demande en nullité d'une clause contractuelle.
En tout état de cause, la société Concurrence explique que son préjudice est né du fait de la nullité de cette clause, qui seule peut désormais être constatée en l'absence d'un contrat de distribution sélective, alors qu'il a été jugé ci-dessus que le contrat de distribution sélective des produits Elite de la société Samsung est licite, de sorte qu'aucun préjudice ne peut être réclamé par la société Concurrence à ce titre.
ALORS QUE la cour d'appel était parfaitement en mesure d'identifier la clause d'interdiction du market place qui figure à l'annexe 2 article 1.3 du contrat de distribution sélective des produits Samsung 2012 et qui est inchangé pour 2013 et 2014 et 2015 dès lors qu'elle disposait des contrats de distribution sélective ; qu'en jugeant que la cour ne sait pas quelle clause spécifique est remise en cause dans le cadre de cette instance, cette clause n'étant pas identifiable, la seule référence générale à son objet ne pouvant suffire à saisir la cour d'une demande en nullité d'une clause contractuelle, la cour d'appel a manqué à son office, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile.
NEUVIEME MOYEN DE CASSATION
(Sur la nullité de l'article 4 du contrat de distribution sélective)
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Concurrence de sa demande relative à la nullité de l'article 4 du contrat de distribution sélective version 2013
AUX MOTIFS QUE
Sur la nullité de l'article 4 du contrat de distribution sélective version 2013
L'article 4 du contrat sélectif 2013 article 4 était rédigé comme suit :
« L'agrément suppose que le Détaillant Elite ait convenu par ailleurs de conditions d'achats-vente par écrit (convention annuelle) avec l'entité l'approvisionnant en produits ELITE, à savoir (i) Samsung, et/ou (ii) tout Détaillant Elite ou grossiste Elite. Le Détaillant Elite s'engage à respecter cette condition en permanence pendant l'exécution du présent Contrat ».
La société Concurrence demande la nullité de l'article 4 du contrat de distribution sélective dans sa version 2013, en raison de son inapplication dans les faits.
Mais, la société Samsung réplique à juste titre qu'elle a mis fin à ses relations commerciales avec la société Concurrence au 30 juin 2013 et qu'il lui appartenait de rechercher des solutions alternatives. Elle ne peut reprocher à la société Samsung que les autres détaillants ou grossistes n'aient pas signé avec elle des conditions d'achats-vente.
En outre, après la fin licite de la relation commerciale avec la société Concurrence par la société Samsung au 30 juin 2013, la société Concurrence ne peut reprocher à la société Samsung de ne pas signer de contrat d'achats-vente avec elle en produits Samsung.
Il convient par ailleurs de relever que le défaut d'application d'une clause, à le supposer établi, ne peut constituer une cause de nullité d'une clause contractuelle.
Il y a donc lieu de rejeter la demande de la société Concurrence de ce chef.
ALORS QUE il appartient au fournisseur de faire respecter le contrat sélectif qu'il a signé avec les distributeurs agréés ; qu'en l'espèce la clause 4 du contrat de distribution sélective détaillant consiste à veiller à ce que le détaillant soit en mesure de s'approvisionner en Produits Elite auprès d'un fournisseur agréé pour vendre ces produits, ce qui suppose qu'il lui soit proposé des conditions d'achat-vente ; que la société Concurrence, détaillant agréé puisqu'ayant signé avec Samsung le contrat de distribution sélective, était donc fondée à se plaindre auprès de Samsung de ce que l'article 4 du contrat n'était pas appliqué par les grossistes, les centrales d'achats et les revendeurs, qui ont refusé par principe de répondre à ses demandes, ce qui lui a interdit de pouvoir acheter des produits ELITE ; qu'en rejetant sa demande la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
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CASS/JURITEXT000046651896.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 23 novembre 2022
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 679 FS-B
Pourvoi n° W 21-10.614
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 23 NOVEMBRE 2022
La société Vacama, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° W 21-10.614 contre l'arrêt rendu le 27 octobre 2020 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Pastificio Service SL, société de droit espagnol, dont le siège est [Adresse 2] (Espagne),
2°/ à la société La Tagliatella, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Vacama, de la SCP Didier et Pinet, avocat des sociétés Pastificio Service SL et La Tagliatella, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, MM. Bedouet, Alt, conseillers, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 27 octobre 2020), le 6 juillet 2012, la société Vacama, exploitant un restaurant, a conclu un contrat de franchise avec la société de droit espagnol Pastificio Service SL, contenant une clause compromissoire. La société Pastificio Service SL a cédé le contrat de franchise à la société La Tagliatella, en demeurant néanmoins le fournisseur exclusif de toutes les denrées alimentaires utilisées par les restaurants du réseau.
2. Estimant avoir été abusée du fait d'un concept déficitaire en France comme en Allemagne, la société Vacama a engagé une procédure d'arbitrage en saisissant, en 2016, la Chambre de commerce internationale (la CCI), désignée par les parties dans le contrat de franchise pour régler leurs différends, aux fins d'annulation de ce contrat. Le 22 mars 2018, la CCI s'est dessaisie, faute d'avoir reçu des parties l'intégralité de la provision à valoir sur les frais d'arbitrage.
3. Un jugement du 9 avril 2018 a mis la société Vacama en procédure de sauvegarde, M. [L] étant désigné administrateur et la société Etude Balincourt étant désignée mandataire judiciaire.
4. Le 5 juin 2018, M. [L], ès qualités, a été mis en demeure par la société La Tagliatella de prendre parti sur la continuation du contrat de franchise. Le 26 juin suivant, estimant que le contrat comprenait deux conventions autonomes, le contrat de franchise stricto sensu et la clause compromissoire, l'administrateur a répondu qu'il résiliait avec effet immédiat la clause compromissoire, ce qui avait pour conséquence, selon lui, de permettre la saisine du tribunal de commerce du litige initié devant le tribunal arbitral, et qu'il demandait au juge-commissaire une prolongation du délai de réponse pour le contrat de franchise stricto sensu, laquelle a été accordée, pour une durée de deux mois, par une ordonnance du 6 juillet 2018. Aucune réponse n'a été apportée par l'administrateur dans le délai ainsi prorogé.
5. La société La Tagliatella a formé un recours contre l'ordonnance. Par un jugement du 19 octobre 2018, le tribunal, retenant que le débat sur la dissociation ou non du contrat de franchise et de la clause compromissoire relevait du juge du fond, s'est déclaré incompétent au titre de la demande de clause compromissoire, a invité les parties à saisir la juridiction compétente, a rejeté toutes les demandes de la société La Tagliatella, confirmé l'ordonnance du juge-commissaire et constaté la résiliation du contrat de franchise.
6. Le 18 septembre 2018, la société Vacama et son mandataire judiciaire ont assigné les sociétés La Tagliatella et Pastificio Service SL devant le tribunal aux fins d'annulation du contrat de franchise, pour dol et pour absence de transmission par le franchiseur d'un savoir-faire économiquement exploitable, et d'indemnisation du préjudice subi.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. La société Vacama fait grief à l'arrêt de dire le tribunal incompétent pour connaître du litige en vertu de la clause compromissoire attachée au contrat de franchise du 6 juillet 2012 et de rejeter ses demandes, alors :
« 1°/ que le contrat en cours est résilié de plein droit après une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le cocontractant à l'administrateur et restée plus d'un mois sans réponse, ou lorsque l'administrateur répond à la mise en demeure, dans le délai d'un mois, en décidant expressément de résilier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'administrateur avait été mis en demeure par la société La Tagliatella de se prononcer sur la poursuite du contrat de franchise, sur le fondement de l'article L. 622-13 du code de commerce, ledit contrat comportant une clause compromissoire ; qu'elle a également constaté que l'administrateur avait répondu au franchiseur dans le délai d'un mois, en opérant à juste titre une distinction entre le contrat de franchise stricto sensu et la convention d'arbitrage autonome stipulée dans le même instrumentum, la cour d'appel constatant enfin la décision expresse de l'administrateur consistant à résilier la clause compromissoire avec effet immédiat ; qu'en refusant néanmoins de constater la résiliation de la convention d'arbitrage, et dire la juridiction étatique incompétente au profit de la juridiction arbitrale, à défaut de mise en demeure adressée par la société La Tagliatella à M. [L] lui demandant de prendre parti sur la continuation de la convention d'arbitrage, et faute de saisine par l'administrateur du juge-commissaire pour ordonner une telle résiliation sur le fondement de l'article L. 622-13, IV, du code de commerce, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé, par refus d'application, l'article L. 622-13, III, du code de commerce et, par fausse application, l'article L. 622-13, IV, du même code ;
2°/ que dans ses conclusions d'appel, la société Vacama faisait valoir que la décision de l'administrateur concernant la résiliation de la convention d'arbitrage était devenue définitive, faute de recours formé par le franchiseur contre cette décision devant le juge-commissaire sur le fondement de l'article R. 621-21 du code de commerce ; qu'en omettant de répondre à ce moyen déterminant de nature à établir le caractère définitif de la résiliation décidée par l'administrateur, pour se borner à énoncer, de manière générale, abstraite et inopérante, qu'en présence d'une clause d'arbitrage le juge-commissaire doit se déclarer incompétent au profit de l'arbitre en vertu du principe dit de "compétence-compétence", à moins que la convention d'arbitrage ne soit manifestement inapplicable ou nulle, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
8. Il résulte de l'article 1447 du code de procédure civile que la convention d'arbitrage, qui est indépendante du contrat auquel elle se rapporte, a pour objet le droit d'action attaché aux obligations découlant du contrat et non la création, la modification, la transmission ou l'extinction de ces obligations. Il se déduit de cet objet qu'elle n'est pas un contrat en cours, au sens de l'article L. 622-13 du code de commerce, dont l'exécution pourrait être ou non exigée par l'administrateur.
9. La réponse de l'administrateur de la société Vacama à la mise en demeure délivrée, le 5 juin 2018, par la société La Tagliatella, selon laquelle il résiliait avec effet immédiat la seule clause compromissoire, ne pouvait donc produire aucun effet.
10. L'arrêt constate qu'il n'est pas allégué en l'espèce que la clause compromissoire était manifestement nulle et retient, sans être critiqué, qu'elle n'était pas manifestement inapplicable.
11. Il en résulte que le litige, qui opposait la société Vacama aux franchiseurs, relevait de la convention d'arbitrage et que les juridictions étatiques étaient incompétentes pour en connaître.
12. Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société Vacama aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Vacama.
La société Vacama fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit le tribunal de commerce de Montpellier incompétent pour connaître du litige au profit d'un tribunal arbitral constitué sous l'égide de la Chambre du Commerce International de Paris (CCI) en vertu de la clause compromissoire attachée au contrat de franchise du 6 juillet 2012, et d'avoir débouté la société Vacama de ses demandes ;
1°) ALORS QUE le contrat en cours est résilié de plein droit après une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le cocontractant à l'administrateur et restée plus d'un mois sans réponse, ou lorsque l'administrateur répond à la mise en demeure, dans le délai d'un mois, en décidant expressément de résilier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'administrateur avait été mis en demeure par la société La Tagliatella de se prononcer sur la poursuite du contrat de franchise, sur le fondement de l'article L. 622-13 du code de commerce, ledit contrat comportant une clause compromissoire (arrêt p. 2, 3 et 7) ; qu'elle a également constaté que l'administrateur avait répondu au franchiseur dans le délai d'un mois, en opérant à juste titre une distinction entre le contrat de franchise stricto sensu et la convention d'arbitrage autonome stipulée dans le même instrumentum, la cour d'appel constatant enfin la décision expresse de l'administrateur consistant à résilier la clause compromissoire avec effet immédiat (arrêt attaqué, p. 7) ; qu'en refusant néanmoins de constater la résiliation de la convention d'arbitrage, et dire la juridiction étatique incompétente au profit de la juridiction arbitrale, à défaut de mise en demeure adressée par la société Tagliatelle à M. [L] lui demandant de prendre parti sur la continuation de la convention d'arbitrage, et faute de saisine par l'administrateur du juge-commissaire pour ordonner une telle résiliation sur le fondement de l'article L. 622-13 IV du code de commerce (arrêt attaqué, p. 7), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé, par refus d'application, l'article L. 622-13 III du code de commerce et, par fausse application, l'article L. 622-13 IV du même code ;
2°) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, la société Vacama faisait valoir que la décision de l'administrateur concernant la résiliation de la convention d'arbitrage était devenue définitive, faute de recours formé par le franchiseur contre cette décision devant le juge-commissaire sur le fondement de l'article R. 621-21 du code de commerce (conclusions p. 11 et 12) ; qu'en omettant de répondre à ce moyen déterminant de nature à établir le caractère définitif de la résiliation décidée par l'administrateur, pour se borner à énoncer, de manière générale, abstraite et inopérante, qu'en présence d'une clause d'arbitrage le juge-commissaire doit se déclarer incompétent au profit de l'arbitre en vertu du principe dit de « compétence-compétence », à moins que la convention d'arbitrage ne soit manifestement inapplicable ou nulle, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
Sur la portée d'une clause compromissoire en présence d'une procédure collective, à rapprocher :1re Civ., 1 avril 2015, pourvoi n° 14-14.552, Bull. 2015, I, n° 76
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CASS/JURITEXT000046651911.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 23 novembre 2022
Mme VAISSETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 696 F-B
Pourvoi n° Y 20-18.593
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 23 NOVEMBRE 2022
La société Ziegler France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 3], a formé le pourvoi n° Y 20-18.593 contre l'arrêt rendu le 17 octobre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [E] [U], domicilié [Adresse 7], [Localité 2] (Suisse),
2°/ à la société Transafos, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8], [Localité 6],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kass-Danno, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Ziegler France, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Transafos, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présentes Mme Vaissette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Kass-Danno, conseiller référendaire rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 octobre 2019), M. [U] a fait l'acquisition auprès de la société Tradimpex d'un navire dont le transport entre [Localité 5] (Emirats Arabes Unis) et [Localité 4] (France) a été confié à la société Ami International, suivant un connaissement du 20 mai 2012. A l'arrivée du navire, le 24 juin 2012, la société Ziegler France (la société Ziegler), mandatée par M. [U], l'a reçu sans réserve et l'a acheminé jusqu'à l'entrepôt de la société Transafos, à [Localité 6], laquelle l'a également reçu sans réserve, le 11 juillet 2012, et l'a entreposé sur son parking extérieur clôturé. Le 30 octobre 2012, M. [U] s'est présenté dans les locaux de la société Transafos et a établi avec cette dernière la constatation écrite de divers dégâts et manquants.
2. Le 28 octobre 2013, la société Ziegler a assigné la société Transafos afin de voir juger qu'elle était responsable des dommages causés au navire, qu'elle serait tenue de la relever et garantir de toutes demandes que M. [U] serait susceptible de former contre elle et de lui payer une certaine somme au titre des réparations. Les 10 et 13 mars 2015, M. [U] a assigné respectivement la société Transafos et la société Ziegler en indemnisation de son préjudice. Les deux instances ont été jointes.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société Ziegler fait grief à l'arrêt rectifié de rejeter sa demande en condamnation de la société Transafos à la relever et garantir de toutes condamnations en principal, intérêts, frais et dépens qui pourraient être mises à sa charge au profit de M. [U], alors :
« 1°/ que le commissionnaire de transport a qualité à agir en garantie contre son substitué s'il est assigné par la victime du dommage, sans avoir à dédommager cette dernière ni à s'engager à le faire ; que le défaut de qualité à agir du commissionnaire de transport contre son substitué est régularisable tant qu'il n'a pas été statué sur cette action, peu important que cette régularisation intervienne après l'échéance du délai de prescription de cette action ; qu'en retenant que l'action en garantie engagée par la société Ziegler contre la société Transafos dans le délai de prescription était irrecevable comme prescrite, au seul constat qu'elle n'avait pas désintéressé M. [U] ni ne s'était engagée à le faire avant l'expiration de ce délai, tout en relevant que celui-ci l'avait assignée en responsabilité avant qu'il n'ait été statué sur cette action en garantie, ce qui suffisait à régulariser son défaut de qualité à agir initial, la cour d'appel a violé les articles 31 et 126 du code de procédure civile ;
2°/ que le commissionnaire de transport est recevable à agir contre son substitué à fin déclaratoire tant qu'il n'a pas été assigné par la victime du dommage ; que le juge doit alors statuer sur cette demande et déclarer irrecevables les demandes en paiement éventuellement formulées contre ce substitué, qui sont divisibles de la demande formulée à titre déclaratoire ; qu'ayant constaté que, dans son assignation contre la société Transafos, la société Ziegler demandait à être "relevée et garantie de toutes demandes que M. [U] serait susceptible de former contre elle", la cour d'appel, en déclarant irrecevable cette demande formulée à titre déclaratoire au motif que l'assignation comportait également une demande en paiement pour laquelle la société Ziegler n'avait pas encore qualité à agir, a violé l'article 31 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Le commissionnaire de transport dont la responsabilité est recherchée en tant qu'il est garant de ses substitués, ne justifie d'un intérêt à exercer à l'encontre de ces derniers une action principale en garantie que s'il a désintéressé le créancier d'indemnité ou s'est obligé à dédommager ce créancier qui a accepté d'attendre le résultat de la procédure engagée par le commissionnaire contre ses substitués ou leurs assureurs. La régularisation, jusqu'à ce que le juge statue, de la situation donnant lieu à la fin de non-recevoir d'une telle action en garantie, exercée à titre principal, ne peut résulter que de l'indemnisation du créancier ou de l'engagement d'indemniser pris par le commissionnaire de transport.
5. Après avoir relevé que le délai de prescription convenu entre les sociétés Transafos et Ziegler était d'un an à compter de l'exécution de la prestation litigieuse du contrat, soit le 30 octobre 2012, jour du constat contradictoire des dommages, établi par M. [U] et la société Transafos, l'arrêt relève que la société Ziegler a assigné cette dernière le 28 octobre 2013 en paiement d'une somme de 13 613 euros au titre des réparations sur le navire de M. [U] mais qu'elle n'a ni désintéressé ce dernier ni pris l'engagement de le faire.
6. En l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a déduit à bon droit que l'action engagée par la société Ziegler n'était pas une action déclaratoire mais une action principale en garantie et que la situation donnant lieu à la fin de non-recevoir de cette action n'avait pas été régularisée, la cour d'appel a exactement retenu que l'assignation en garantie délivrée par la société Ziegler à la société Transafos n'avait pas interrompu le délai de prescription.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société Ziegler France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Ziegler France et la condamne à payer à la société Transafos la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Ziegler France.
La société Ziegler France fait grief à l'arrêt attaqué (arrêt n°2019/344 du 17 octobre 2019, tel que rectifié par l'arrêt r n°2020/84 du 1er juillet 2020) D'AVOIR rejeté sa demande en condamnation de la société SAS Transafos à la relever et garantir de toutes condamnations en principal, intérêts, frais et dépens qui pourraient être mises à sa charge au profit de M. [E] [U] ;
1°) ALORS QUE le commissionnaire de transport a qualité à agir en garantie contre son substitué s'il est assigné par la victime du dommage, sans avoir à dédommager cette dernière ni à s'engager à le faire ; que le défaut de qualité à agir du commissionnaire de transport contre son substitué est régularisable tant qu'il n'a pas été statué sur cette action, peu important que cette régularisation intervienne après l'échéance du délai de prescription de cette action ; qu'en retenant que l'action en garantie engagée par la société Ziegler contre la société Transafos dans le délai de prescription était irrecevable comme prescrite, au seul constat qu'elle n'avait pas désintéressé M. [U] ni ne s'était engagée à le faire avant l'expiration de ce délai, tout en relevant que celui-ci l'avait assignée en responsabilité avant qu'il n'ait été statué sur cette action en garantie, ce qui suffisait à régulariser son défaut de qualité à agir initial, la cour d'appel a violé les articles 31 et 126 du code de procédure civile ;
2°) ALORS en toute hypothèse QUE le commissionnaire de transport est recevable à agir contre son substitué à fin déclaratoire tant qu'il n'a pas été assigné par la victime du dommage ; que le juge doit alors statuer sur cette demande et déclarer irrecevables les demandes en paiement éventuellement formulées contre ce substitué, qui sont divisibles de la demande formulée à titre déclaratoire ; qu'ayant constaté que, dans son assignation contre la société Transafos, la société Ziegler demandait à être « relevée et garantie de toutes demandes que M. [U] serait susceptible de former contre elle », la cour d'appel, en déclarant irrecevable cette demande formulée à titre déclaratoire au motif que l'assignation comportait également une demande en paiement pour laquelle la société Ziegler n'avait pas encore qualité à agir, a violé l'article 31 du code de procédure civile.
Sur la régularisation du défaut d'intérêt à agir du commissionnaire de transport, à rapprocher : Com., 11 décembre 2019, pourvoi n° 18-11.195, Bull., (cassation partielle).
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CASS/JURITEXT000046683153.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er décembre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1191 FS-B+R
Pourvoi n° G 21-19.342
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER DÉCEMBRE 2022
La société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 21-19.342 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3), dans le litige l'opposant à la société Alpilles events, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Besson, conseiller, les observations écrites et orales de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Alpilles events, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Besson, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Martin, Mmes Chauve, Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 mai 2021), la société Alpilles events, exploitant un fonds de commerce de restauration, a souscrit le 19 décembre 2019 auprès de la société Axa France IARD (l'assureur) un contrat d'assurance « multirisque professionnelle » incluant une garantie « protection financière ».
2. A la suite d'un arrêté, publié au Journal officiel le 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, qui a édicté notamment l'interdiction pour les restaurants et débits de boissons d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret du 14 avril 2020, la société Alpilles events a effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur afin d'être indemnisée de ses pertes d'exploitation en application d'une clause du contrat stipulant que : « La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même. 2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication ».
3. L'assureur a refusé de garantir le sinistre en faisant valoir que l'extension de garantie ne pouvait pas être mise en oeuvre en raison de la clause excluant : «... les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ».
4. La société Alpilles events a effectué une seconde déclaration de sinistre à la suite d'une nouvelle fermeture administrative ordonnée à compter du 30 octobre 2020, par décret du 29 octobre 2020.
5. Elle a assigné l'assureur devant un tribunal de commerce à fin de garantie.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa neuvième branche
Enoncé du moyen
6. L'assureur fait grief à l'arrêt de déclarer non écrite la clause d'exclusion de garantie dont il se prévaut, de dire qu'en vertu du contrat d'assurance conclu entre eux, il doit garantir la société Alpilles events des pertes d'exploitation subies à la suite des fermetures administratives ordonnées en raison de l'épidémie de Covid-19, et de le condamner à payer diverses provisions à l'assuré, alors « qu'en jugeant que la clause d'exclusion litigieuse devait être réputée non écrite en application de l'article 1170 du code civil, quand la validité de cette clause était régie par un texte spécial, à savoir l'article L. 113-1 du code des assurances, la cour d'appel a violé l'article 1170 du code civil par fausse application ».
Réponse de la Cour
7. L'assureur ne saurait faire grief à la cour d'appel d'avoir retenu que la clause d'exclusion devait être réputée non écrite sur le fondement de l'article 1170 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige, dès lors qu'elle a également jugé que la clause d'exclusion litigieuse ne satisfaisait pas aux conditions de l'article L.113-1 du code des assurances prévoyant que les exclusions de garantie doivent être formelles et limitées.
8. Le moyen est, dès lors, inopérant.
Mais sur le moyen, pris en ses trois premières branches
Enoncé du moyen
9. L'assureur fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors :
« 1°/ que l'absence de définition contractuelle des termes « épidémie », « maladie contagieuse » et « intoxication » ne rend pas la clause d'exclusion imprécise dès lors que ces termes ne figurent pas dans cette clause et que ladite clause s'applique en cas de fermeture administrative d'au moins un autre établissement sur le même territoire départemental pour une « cause identique », de sorte qu'il suffit de rapprocher la cause de fermeture des établissements, ce qui est suffisamment clair et précis, chacun étant à même de connaître la cause ayant justifié, selon l'autorité administrative tenue de motiver ses décisions en fait et en droit, ces fermetures et leur nombre ; qu'ainsi, à supposer même – ce qui est contesté – que les contours de la cause de fermeture (l'épidémie) soient flous du fait que le terme « épidémie » ne soit pas défini dans le contrat, cela n'affecte aucunement la précision de la clause d'exclusion, dont l'application dépend uniquement de savoir si les fermetures administratives ont une « cause identique », soit en l'occurrence si elles sont fondées sur la même épidémie, quelle que soit la nature, l'origine ou l'étendue de cette épidémie ; qu'en jugeant que la clause d'exclusion n'était pas formelle du fait de l'absence de définition contractuelle du terme « épidémie » et de la prétendue nécessité d'interpréter ce terme, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;
2°/ que si une clause d'exclusion n'est valable qu'à la condition d'être formelle et limitée, en revanche, le degré de précision dans les termes employés pour définir le risque couvert n'est pas encadré par la loi et relève de la liberté contractuelle ; qu'en énonçant que « la nature et la portée des garanties incluses dans le contrat d'assurance doivent être claires, limitées et compréhensibles pour celui qui contracte [?] de façon à permettre à l'assuré de connaître exactement l'étendue de la garantie », pour en déduire l'absence de caractère formel de la clause d'exclusion litigieuse du fait de la prétendue nécessité d'interpréter le terme « épidémie », qui ne figure pourtant pas dans cette clause mais dans la clause relative à l'objet de la garantie, la cour d'appel, qui a étendu le régime des exclusions de garantie à la clause définissant l'objet de la garantie, a violé l'article L. 113-1 du code des assurances par fausse application ;
3°/ qu'en énonçant que « la clause d'exclusion qui fait référence à la clause de garantie en ce qu'elle vise une cause identique, ne peut être dissociée de cette dernière, et, même si elle ne figure pas dans la clause d'exclusion, la notion d'épidémie, dont l'ambiguïté est soulevée par l'assuré et qui est employée dans la clause de garantie, affecte nécessairement le caractère formel de cette clause puisqu'elle est un élément constitutif de l'exclusion de garantie dont l'application est revendiquée par l'assureur », pour en déduire que l'imprécision de la notion d'« épidémie » rendait la clause d'exclusion litigieuse non formelle, quand cette notion relève de la clause relative à l'objet de la garantie, et non pas de la clause d'exclusion litigieuse, dont le critère d'application repose sur l'identité de cause à la fermeture des établissements, ce qui est précis, quel que soit le sens retenu pour telle ou telle cause, notamment pour l'épidémie, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :
10. Il résulte de ce texte que seules les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.
11. Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.
12. Pour réputer non écrite la clause d'exclusion de garantie dont l'assureur se prévaut, l'arrêt, après avoir rappelé les termes de l'extension de garantie et ceux de la clause d'exclusion, retient, d'abord, que cette clause qui fait référence à la clause de garantie en ce qu'elle vise « une cause identique », ne peut être dissociée de cette dernière, et que, même si elle ne figure pas dans la clause d'exclusion, la notion d'épidémie, dont l'ambiguïté est invoquée par l'assuré et qui est employée dans la clause de garantie, affecte nécessairement le caractère formel de la clause litigieuse puisqu'elle est un élément constitutif de l'exclusion de garantie dont l'application est revendiquée par l'assureur.
13. Il énonce, ensuite, que la « cause identique » visée par la clause d'exclusion renvoie au même événement qui a conduit à la décision de fermeture administrative, défini par la clause de garantie, à savoir une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication, et qu'aucune définition n'est donnée dans le contrat des termes « maladie contagieuse », « épidémie » ou « intoxication ».
14. L'arrêt retient, enfin, qu'il s'infère, tant de l'étymologie du terme que des définitions qui en sont données en langue française et en vocabulaire médical, que l'épidémie est la propagation d'une maladie infectieuse à transmission interhumaine, contagieuse, à une population, c'est-à-dire à un grand nombre de personnes, et que rechercher d'autres définitions scientifiques auprès d'épidémiologistes, d'infectiologues et de l'Organisation mondiale de la santé, comme le fait l'assureur, pour démontrer qu'une épidémie peut se manifester auprès d'un petit nombre de personnes dans un espace donné comme un lieu scolaire, de travail ou de vie, démontre la nécessité d'interpréter ce terme, et en déduit l'absence de caractère formel de la clause litigieuse.
15. En statuant ainsi, alors que la circonstance particulière de réalisation du risque privant l'assuré du bénéfice de la garantie n'était pas l'épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique à l'une de celles énumérées par la clause d'extension de garantie, de sorte que l'ambiguïté alléguée du terme « épidémie » était sans incidence sur la compréhension, par l'assuré, des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa dixième branche
Enoncé du moyen
16. L'assureur fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « que la clause d'exclusion litigieuse est limitée dès lors que seules sont exclues de la garantie les pertes d'exploitation subies par l'assurée du fait de la fermeture administrative de son établissement ordonnée pour une « cause identique » – soit la même épidémie, la même maladie contagieuse, le même meurtre, le même suicide ou la même intoxication – à celle qui a motivé la fermeture administrative – mesure qui demeure une décision exceptionnelle ne pouvant être prise que lorsqu'elle est strictement indispensable à la préservation de l'ordre public – d'au moins un autre établissement dans « le même territoire départemental », ce qui est un champ géographique suffisamment limité puisque la superficie du plus vaste des départements métropolitains (la Gironde) est inférieure à 10 000 kilomètres carrés, soit moins de 2 % de la superficie du territoire métropolitain ; que le seul fait que la clause d'exclusion se réfère à un autre établissement, « quelle que soit sa nature et son activité », ne suffit pas à la rendre illimitée et à justifier que son application soit écartée ; qu'en affirmant au contraire que l'exclusion ainsi définie n'était pas limitée, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 113-1 du code des assurances :
17. Il résulte de ce texte que les clauses d'exclusion de garantie, qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque, doivent être formelles et limitées.
18. Une clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.
19. Pour statuer comme il le fait, l'arrêt retient que les risques épidémiques évoqués par l'assureur, susceptibles de ne toucher qu'un seul établissement au sein d'un département et ainsi mobiliser la garantie, comme la listériose, la salmonellose ou la légionellose, qui ne sont pas des maladies transmissibles interhumaines, à l'inverse de la peste, du choléra, de la variole ou de la Covid-19, n'entrent pas dans le champ de la définition de l'épidémie et que d'autres risques épidémiques comme la fièvre typhoïde et la gastro-entérite constituent des événements garantis, par ailleurs, en cas de fermeture de l'établissement pour cause de maladies contagieuses.
20. Il ajoute que le cas théorique d'un éventuel « cluster » de l'épidémie de Covid-19 isolé et limité à un seul établissement dans un même territoire départemental, évoqué par l'assureur et qui permettrait l'application de la garantie, est purement fictif et n'est pas avéré à ce jour.
21. Il en déduit qu'au regard de l'absence de risque couvert par la garantie des pertes d'exploitation en cas d'épidémie, la clause d'exclusion litigieuse vide de sa substance la garantie souscrite et n'apparaît pas limitée.
22. En statuant ainsi, alors que la garantie couvrait le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, n'avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
23. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt constatant que les critères d'indemnisation de la société Alpilles events concernant les pertes d'exploitation qu'elle a subies sont réunis, déclarant non écrite la clause d'exclusion de garantie, et condamnant l'assureur à un paiement provisionnel entraîne la cassation du chef de dispositif ordonnant une expertise, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne la société Alpilles events aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier décembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Axa France IARD
La société AXA France IARD fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté que les critères d'indemnisation de la société Alpilles Events concernant les pertes d'exploitation subies par celle-ci, garanties par un contrat d'assurance multirisque professionnelle souscrit auprès de cette compagnie, étaient réunis, d'avoir déclaré non écrite la clause d'exclusion de garantie dont se prévalait ladite compagnie, d'avoir dit qu'en vertu du contrat d'assurance conclu entre elles, la société AXA devait garantir la société Alpilles Events des pertes d'exploitation subies à la suite de la fermeture administrative ordonnée en raison de l'épidémie de Covid-19 et de l'avoir condamnée à payer à l'assurée une somme provisionnelle de 85.000 euros pour la période du 15 mars 2020 au 2 juin 2020, ainsi qu'une provision complémentaire de 60.000 euros à valoir sur l'indemnisation des pertes d'exploitation subies lors de la fermeture de son établissement du 30 octobre 2020 au 31 décembre 2020 ;
1) ALORS QUE l'absence de définition contractuelle des termes « épidémie », « maladie contagieuse » et « intoxication » ne rend pas la clause d'exclusion imprécise dès lors que ces termes ne figurent pas dans cette clause et que ladite clause s'applique en cas de fermeture administrative d'au moins un autre établissement sur le même territoire départemental pour une « cause identique », de sorte qu'il suffit de rapprocher la cause de fermeture des établissements, ce qui est suffisamment clair et précis, chacun étant à même de connaître la cause ayant justifié, selon l'autorité administrative tenue de motiver ses décisions en fait et en droit, ces fermetures et leur nombre ; qu'ainsi, à supposer même – ce qui est contesté – que les contours de la cause de fermeture (l'épidémie) soient flous du fait que le terme « épidémie » ne soit pas défini dans le contrat, cela n'affecte aucunement la précision de la clause d'exclusion, dont l'application dépend uniquement de savoir si les fermetures administratives ont une « cause identique », soit en l'occurrence si elles sont fondées sur la même épidémie, quelle que soit la nature, l'origine ou l'étendue de cette épidémie ; qu'en jugeant que la clause d'exclusion n'était pas formelle du fait de l'absence de définition contractuelle du terme « épidémie » et de la prétendue nécessité d'interpréter ce terme (arrêt p. 6 §§ 4-12), la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;
2) ALORS QUE si une clause d'exclusion n'est valable qu'à la condition d'être formelle et limitée, en revanche, le degré de précision dans les termes employés pour définir le risque couvert n'est pas encadré par la loi et relève de la liberté contractuelle ; qu'en énonçant que « la nature et la portée des garanties incluses dans le contrat d'assurance doivent être claires, limitées et compréhensibles pour celui qui contracte [?] de façon à permettre à l'assuré de connaître exactement l'étendue de la garantie » (arrêt p. 5 dernier §), pour en déduire l'absence de caractère formel de la clause d'exclusion litigieuse du fait de la prétendue nécessité d'interpréter le terme « épidémie », qui ne figure pourtant pas dans cette clause mais dans la clause relative à l'objet de la garantie, la cour d'appel, qui a étendu le régime des exclusions de garantie à la clause définissant l'objet de la garantie, a violé l'article L. 113-1 du code des assurances par fausse application ;
3) ALORS QU'en énonçant que « la clause d'exclusion qui fait référence à la clause de garantie en ce qu'elle vise une cause identique, ne peut être dissociée de cette dernière, et, même si elle ne figure pas dans la clause d'exclusion, la notion d'épidémie, dont l'ambiguïté est soulevée par l'assuré et qui est employée dans la clause de garantie, affecte nécessairement le caractère formel de cette clause puisqu'elle est un élément constitutif de l'exclusion de garantie dont l'application est revendiquée par l'assureur » (arrêt p. 6 § 2), pour en déduire que l'imprécision de la notion d'« épidémie » rendait la clause d'exclusion litigieuse non formelle, quand cette notion relève de la clause relative à l'objet de la garantie, et non pas de la clause d'exclusion litigieuse, dont le critère d'application repose sur l'identité de cause à la fermeture des établissements, ce qui est précis, quel que soit le sens retenu pour telle ou telle cause, notamment pour l'épidémie, la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances ;
4) ALORS QUE l'étendue de la garantie et le caractère formel et limité d'une clause d'exclusion de garantie s'apprécient au regard de la rédaction du contrat à la date du sinistre ; que la cour d'appel ne pouvait se fonder sur le fait qu'à la suite de l'épidémie de Covid-19, AXA avait formalisé un avenant au contrat proposé à ses assurés aux termes duquel figurait une clause d'exclusion de pertes d'exploitation pour causes d'épidémie, de pandémie et d'épizootie, en définissant clairement ces trois termes, pour en déduire que la notion d'épidémie n'était pas jusque-là suffisamment claire et précise (arrêt p. 7 § 1), quand, d'une part, cet avenant ne remettait pas en cause la clarté et la précision de la clause d'exclusion figurant dans le contrat à la date du sinistre et, d'autre part, le fait de ne plus couvrir pour l'avenir toutes les pertes d'exploitation consécutives à une épidémie ou une pandémie ne signifiait pas pour autant qu'avant cet avenant, la garantie couvrait toutes les pertes d'exploitation consécutives à une épidémie puisque, précisément, le contrat d'assurance prévoyait uniquement l'indemnisation par AXA des conséquences de fermetures administratives « individuelles » causées par une épidémie ; qu'en statuant par un tel motif inopérant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 113-1 du code des assurances ;
5) ALORS QUE l'objet même d'une clause d'exclusion de garantie étant d'exclure des pertes et dommages de la garantie, le juge ne peut affirmer qu'elle prive de substance la garantie en se bornant à constater qu'elle exclut de la garantie les pertes dont l'assuré demande l'indemnisation ; qu'en l'espèce, en déduisant que la clause d'exclusion litigieuse vidait la garantie de sa substance des seules considérations inopérantes tirées de l'absence de garantie d'un sinistre particulier (à savoir, des pertes d'exploitation subies par l'assurée du fait de mesures administratives affectant son établissement en raison de l'épidémie de Covid-19) et de ce que « le cas théorique d'un éventuel ‘cluster' de l'épidémie de Covid-19 isolé et limité à un seul établissement dans un même territoire départemental, évoqué par l'assureur et qui permettrait l'application de la garantie, est purement fictif et n'est pas avéré à ce jour » (arrêt p. 7 § 3), se livrant ainsi à une appréciation in concreto du caractère non limité de l'exclusion, au lieu de l'apprécier in abstracto, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 113-1 du code des assurances ;
6) ALORS, subsidiairement, QU'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'à l'appui de ses conclusions (p. 40), AXA produisait des exemples de fermetures administratives liées à un cluster de l'épidémie de Covid-19 et limitées à un seul établissement dans un même territoire départemental, à savoir d'une école dans le département de l'Ille-et-Villaine et d'un abattoir dans le département de l'Aveyron (ses pièces n° 32.a, 32.b et 32.b.bis en appel) ; qu'en énonçant que « le cas théorique d'un éventuel ‘cluster' de l'épidémie de Covid-19 isolé et limité à un seul établissement dans un même territoire départemental, évoqué par l'assureur et qui permettrait l'application de la garantie, est purement fictif et n'est pas avéré à ce jour » (arrêt p. 7 § 3), la cour d'appel a dénaturé les pièces précitées et ainsi violé le principe susvisé ;
7) ALORS, en tout état de cause, QUE pour apprécier si une clause d'exclusion vide la garantie de sa substance, le juge doit rechercher quelle serait l'étendue de la garantie subsistante si la clause d'exclusion était appliquée ; qu'à supposer même qu'il soit jugé que la cour d'appel s'est livrée à une appréciation in abstracto du caractère non limité de l'exclusion en énonçant que « les risques épidémiques évoqués par la SA Axa France IARD susceptibles de ne toucher qu'un seul établissement au sein d'un département et ainsi mobiliser la garantie, comme la listériose, la salmonellose ou la légionellose, qui ne sont pas des maladies transmissibles interhumaines, à l'inverse de la peste, du choléra, de la variole ou de la Covid-19, ne rentrent pas dans le cadre de la définition de l'épidémie ci-dessus ; d'autres risques épidémiques comme la fièvre typhoïde et la gastro-entérite encore évoqués par l'assureur entrent dans le cadre d'un événement déjà garanti en cas de fermeture de l'établissement pour cause de maladies contagieuses » (arrêt p. 7 § 2), la cour d'appel n'a pas recherché s'il demeurait possible, en l'état de la clause d'exclusion litigieuse, que des pertes d'exploitation subies par l'assurée du fait de la fermeture administrative de son établissement en raison d'une épidémie demeurent garanties, ainsi que le faisait valoir AXA dans ses conclusions en produisant des définitions et des consultations scientifiques – que la cour d'appel a refusé d'examiner (arrêt p. 6 dernier §) – qui établissaient qu'il était possible qu'une épidémie ne touche qu'un petit nombre de personnes dans un espace donné comme un lieu scolaire, de travail ou de vie ; que, partant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 113-1 du code des assurances ;
8) ALORS QUE le constat, par la cour d'appel, qu'un cluster de l'épidémie de Covid-19 limité à un seul établissement dans un même territoire départemental soit théorique et non avéré à ce jour (arrêt p. 7 § 3) est impropre à caractériser la privation de substance de l'obligation essentielle de l'assureur, dès lors que la garantie porte sur les fermetures d'établissement en cas d'épidémie en général et pas seulement d'épidémie de coronavirus ; que, partant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1170 du code civil ;
9) ALORS QU'en jugeant que la clause d'exclusion litigieuse devait être réputée non écrite en application de l'article 1170 du code civil (arrêt p. 7 12 § 6), quand la validité de cette clause était régie par un texte spécial, à savoir l'article L. 113-1 du code des assurances, la cour d'appel a violé l'article 1170 du code civil par fausse application ;
10) ALORS QUE la clause d'exclusion litigieuse est limitée dès lors que seules sont exclues de la garantie les pertes d'exploitation subies par l'assurée du fait de la fermeture administrative de son établissement ordonnée pour une « cause identique » – soit la même épidémie, la même maladie contagieuse, le même meurtre, le même suicide ou la même intoxication – à celle qui a motivé la fermeture administrative – mesure qui demeure une décision exceptionnelle ne pouvant être prise que lorsqu'elle est strictement indispensable à la préservation de l'ordre public – d'au moins un autre établissement dans « le même territoire départemental », ce qui est un champ géographique suffisamment limité puisque la superficie du plus vaste des départements métropolitains (la Gironde) est inférieure à 10.000 kilomètres carrés, soit moins de 2% de la superficie du territoire métropolitain ; que le seul fait que la clause d'exclusion se réfère à un autre établissement, « quelle que soit sa nature et son activité », ne suffit pas à la rendre illimitée et à justifier que son application soit écartée ; qu'en affirmant au contraire que l'exclusion ainsi définie n'était pas limitée (arrêt p. 7 § 5), la cour d'appel a violé l'article L. 113-1 du code des assurances.
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CASS/JURITEXT000046683045.xml | LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 30 novembre 2022
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 825 FS-B
Pourvoi n° Q 21-16.404
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 30 NOVEMBRE 2022
1°/ la société EDF Renouvelables France, société par actions simplifiée unipersonnelle,
2°/ la société du Parc Eolien [Localité 4],
3°/ la société Plein Vent [Localité 2],
4°/ la société du Parc Eolien [Localité 6],
5°/ la société du Parc Eolien [Localité 9],
6°/ la société du Parc Eolien [Localité 8],
7°/ la société du Parc Eolien [Localité 5],
8°/ la société du Parc Eolien [Localité 7],
ayant toutes leur siège [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° Q 21-16.404 contre l'arrêt rendu le 2 mars 2021 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige les opposant à l'association France Nature Environnement, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Farrenq-Nési, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat des sociétés EDF Renouvelables France, Parc Eolien de la Conque, Plein Vent [Localité 2], Parc Eolien [Localité 6], Parc Eolien [Localité 9], Parc Eolien [Localité 8], Parc Eolien [Localité 5] et Parc Eolien [Localité 7], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de l'association France Nature Environnement, et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Farrenq-Nési, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, Mme Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 mars 2021), les sociétés Parc éolien [Localité 4], Plein vent [Localité 2], Parc éolien [Localité 6], Parc éolien [Localité 9], Parc éolien [Localité 5], Parc éolien [Localité 8] et Parc éolien [Localité 7] (les propriétaires exploitants) détiennent chacune un parc éolien construit et mis en service entre 2006 et 2013, pour un total de trente et une éoliennes réparties sur plusieurs communes du département de l'Hérault.
2. La supervision de l'exploitation et la gestion de ces parcs ont été confiées à la société EDF renouvelables France (EDF) selon un contrat de gestion d'actifs.
3. Les sites du Causse d'[Localité 2], de la plaine de [Localité 13]-[Localité 11] et de la plaine de [Localité 10]-[Localité 12], sur lesquels sont implantées les éoliennes, sont classés en zone de protection spéciale en application de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 sur la protection des oiseaux sauvages (directive "oiseaux"), dont relève le faucon crécerellette (falco naumanni).
4. La Ligue pour la protection des oiseaux, chargée de la mise en oeuvre du plan national d'action en faveur du faucon crécerellette et du suivi de l'impact de ces parcs éoliens sur cet oiseau, a signalé, en 2011 et 2012, la découverte de plusieurs cadavres au pied des installations.
5. En juillet 2014, des arrêtés préfectoraux ont prescrit la pose, sur toutes les éoliennes, d'un système de détection et d'effarouchement des oiseaux, dit « DT-Bird », testé depuis 2013 sur deux appareils.
6. De nouveaux cadavres de faucons crécerellettes ayant été découverts malgré ce dispositif, l'association France nature environnement (l'association) a assigné les propriétaires exploitants et EDF en indemnisation du préjudice moral causé par la destruction de spécimens d'une espèce protégée.
7. Les défendeurs ont soulevé l'irrecevabilité à agir de l'association.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Les propriétaires exploitants et EDF font grief à l'arrêt de déclarer l'association recevable en ses demandes, alors « que la commission d'une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement constitue une condition de recevabilité de l'action d'une association agréée de protection de l'environnement exercée sur le fondement de l'article L. 142-2 du code de l'environnement ; qu'au cas présent, pour écarter la fin de non-recevoir soulevée par les sociétés exposantes, la cour d'appel a énoncé que la recevabilité de l'action de l'association France Nature Environnement en raison d'une infraction seulement « alléguée » aux dispositions de l'article L. 415-3 du code de l'environnement n'était pas conditionnée par « la constitution préalable de l'infraction » ; qu'en statuant de la sorte, quand l'habilitation législative spéciale dont bénéficient les associations agréées mentionnées à l'article L. 141-2 du code de l'environnement subordonne expressément la recevabilité de leur action à la commission de faits « constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement », ce qui exclut, par hypothèse, que leur action puisse être déclarée recevable lorsque l'infraction pénale liée à l'environnement en cause n'est qu' « alléguée » et qu'un doute existe sur le point de savoir si elle a été commise, la cour d'appel a violé l'article L. 142-2 du code de l'environnement, ensemble l'article 1240 du code civil et les articles 122 et 31 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. L'article L. 142-2 du code de l'environnement permet aux associations de protection de l'environnement agréées au titre de l'article L. 141-1 du même code d'agir en réparation tant devant le juge pénal que le juge civil, en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement ainsi qu'aux textes pris pour leur application.
10. La recevabilité de l'action est subordonnée à l'existence de faits susceptibles de revêtir une qualification pénale entrant dans le champ des dispositions susmentionnées.
11. La cour d'appel a relevé, par motifs propres et adoptés, que l'action de l'association de protection de l'environnement agréée avait pour objet la réparation de son préjudice moral résultant de la destruction alléguée, entre 2012 et 2016, de nombreux spécimens de faucons crécerellettes, espèce protégée, en violation des interdictions prévues par les dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement et par les règlements pris en application de l'article L. 411-2, constitutive du délit prévu et réprimé par l'article L. 415-3 du même code.
12. Elle en a déduit, à bon droit, que la recevabilité de l'action en responsabilité civile de droit commun exercée par l'association en raison du délit environnemental invoqué n'était pas conditionnée par la constatation ou la constitution préalable de l'infraction, la recevabilité d'une action ne pouvant être subordonnée à la démonstration préalable de son bien-fondé.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
14. Les propriétaires exploitants et EDF font grief à l'arrêt de les déclarer responsables du préjudice moral de l'association et de les condamner à lui verser une certaine somme, alors :
« 1°/ que le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires s'oppose à ce que le juge judiciaire substitue sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a portée, dans l'exercice de ses pouvoirs de police spéciale, sur les dangers ou inconvénients que peuvent présenter des installations classées pour la protection de l'environnement pour l'un des intérêts visés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, notamment au regard du risque de destructions accidentelles d'individus d'une espèce protégée susceptible de résulter de leur fonctionnement ; qu'en jugeant, au cas d'espèce, que le seul fait pour le juge judiciaire, saisi sur le fondement de l'article 1240 du code civil, de constater l'existence d'une violation de l'article L. 411-1,1°, du code de l'environnement, sans justification par les contrevenants d'une dérogation accordée par l'autorité administrative, ne constituait pas une atteinte au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ni une immixtion du juge judiciaire dans l'exercice des pouvoirs reconnus à l'autorité administrative, cependant qu'elle avait par ailleurs constaté que, par arrêtés du 9 juillet 2014, le Préfet de l'Hérault, spécialement informé des collisions survenues entre les éoliennes et des individus de l'espèce protégée faucon crécerellette, avait autorisé la poursuite de l'exploitation des parcs éoliens concernés sans la conditionner à l'octroi préalable d'une dérogation, sous réserve de la mise en oeuvre de prescriptions spéciales auxquelles les sociétés exploitantes s'étaient strictement conformées, la cour d'appel a violé le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
2°/ que le principe de séparation des autorités judiciaires et administratives s'oppose à ce que le juge judiciaire puisse substituer sa propre appréciation à celle que l'administration a porté, dans l'exercice de ses pouvoirs de police spéciale, sur le caractère approprié et suffisant de mesures de réduction destinées à réduire la probabilité de réalisation d'un risque de destructions accidentelles d'individus d'une espèce protégée à raison du fonctionnement d'installations classées pour la protection de l'environnement ; qu'au cas présent, les prescriptions spéciales prises par le Préfet de l'Hérault à l'occasion des arrêtés du 9 juillet 2014 avaient pour objet de « réduire l'impact sur la biodiversité présenté par les installations », c'est-à-dire à dire de minimiser le risque de mortalité par collisions avec les éoliennes des individus de l'espèce faucon crécerellette ; que pour faire droit à l'action de l'association France Nature Environnement, la cour d'appel a estimé que les collisions accidentelles survenues entre les éoliennes et les individus de l'espèce faucon crécerellette avaient perduré malgré la mise en place du système « DT-BIRD », de sorte qu'en l'absence de toute dérogation sollicitée et obtenue par les sociétés exploitantes, tant l'élément matériel que l'élément moral du délit prévu par l'article L. 415-3 apparaissaient constitués ; que ce faisant, la cour a, implicitement mais nécessairement, porté une appréciation sur l'opportunité et l'efficacité des prescriptions spéciales qui avaient été adoptées par le Préfet de l'Hérault à l'occasion des arrêtés du 9 juillet 2014, lesquelles tendaient à la généralisation de l'installation du dispositif « DT-BIRD » sur toutes les éoliennes des parcs concernés, selon un calendrier déterminé en fonction de son efficacité constatée ; qu'en substituant ainsi sa propre appréciation à celle que l'administration avait porté sur l'opportunité et l'efficacité des mesures de réduction qu'il convenait d'adopter pour réduire la probabilité de réalisation du risque de collisions accidentelles entre des éoliennes et des individus de l'espèce faucon crécerellette dûment identifié, la cour d'appel a encore violé le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an II ;
3°/ qu'en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, sous réserve des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître des recours tendant à l'annulation ou à la réformation des décisions prises par l'administration dans l'exercice de ses prérogatives de puissance publique ; que de même, le juge administratif est en principe seul compétent pour statuer, le cas échéant par voie de question préjudicielle, sur toute contestation de la légalité de telles décisions, soulevée à l'occasion d'un litige relevant à titre principal de l'autorité judiciaire ; qu'il ressort enfin de l'article 49, alinéa 2, du code de procédure civile, que lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente et sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle ; qu'au cas présent, pour apprécier le bien-fondé de l'action indemnitaire de l'association France Nature Environnement, la cour d'appel a constaté que 26 spécimens de faucon crécerellette ont été tués entre 2011 et 2016 à la suite d'une collision avec des éoliennes des Parcs [Localité 2] et que les sociétés exploitantes ne justifiaient d'aucune dérogation à cet effet, ce dont elle a déduit qu'une violation de l'article L. 411-1 du code de l'environnement était caractérisée ; qu'en statuant de la sorte, cependant qu'il résultait des arrêtés du 9 juillet 2014 ayant expressément autorisé la poursuite de l'exploitation des installations sans la subordonner à l'octroi préalable d'une dérogation ni à l'absence de réalisation du risque de collisions accidentelles dûment identifié, que l'autorité administrative compétente avait admis la légalité au regard de l'article L. 411-1 du code de l'environnement des destructions accidentelles susceptibles de se produire à l'occasion du fonctionnement des installations selon les modalités qu'elle avait elle-même définies en vue, précisément, de palier au risque qu'elles se réalisent, la cour d'appel, qui aurait dû en déduire que la résolution du litige était subordonnée à la question, préalable et qu'il lui appartenait de soumettre au juge administratif par une question préjudicielle, de la légalité desdits arrêtés laquelle présentait une difficulté sérieuse, a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé le principe de séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III et l'article 49, alinéa 2, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
15. D'une part, les éoliennes sont soumises à la législation spéciale applicable aux installations classées pour la protection de l'environnement figurant aux articles L. 514-44 et suivants du code de l'environnement, selon laquelle les installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent doivent être exploitées dans le respect des prescriptions édictées par l'autorisation administrative d'exploitation.
16. D'autre part, la législation spéciale, autonome, relative à la protection du patrimoine naturel interdit, par les dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, la destruction d'animaux d'espèces non domestiques protégées, l'article L. 411-2, 4°, réservant toutefois la possibilité de délivrance, par l'autorité administrative compétente, de dérogations à cette interdiction.
17. La cour d'appel a exactement retenu que les arrêtés du 9 juillet 2014 pris par le préfet, dont les propriétaires exploitants prétendaient avoir strictement respecté les mesures spécifiques imposées pour la protection des faucons crécerellettes, n'avaient pas été pris en application des dispositions de l'article L. 411-2 relatif aux espèces protégées.
18. Elle a également constaté qu'il n'était pas justifié d'une demande de dérogation ni d'une décision de l'administration autorisant la destruction de ces spécimens protégés.
19. La cour d'appel, qui n'a pas substitué son appréciation à celle de l'administration quant aux prescriptions assortissant les autorisations de poursuite d'exploitation délivrées en 2014 au titre de la police spéciale des installations classées applicable aux éoliennes, a retenu à bon droit que ne constituait pas une atteinte au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ni une immixtion du juge judiciaire dans l'exercice des pouvoirs reconnus à l'autorité administrative le fait, pour le juge judiciaire, saisi, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, d'une action en responsabilité fondée sur la destruction d'une espèce sauvage protégée, de constater la violation des dispositions de l'article L. 411-2, 1°, du code de l'environnement sans justification, par les contrevenants, d'une dérogation accordée par l'autorité administrative.
20. Le moyen, inopérant en sa troisième branche dès lors que la légalité des arrêtés préfectoraux de juillet 2014 est sans incidence sur la solution du présent litige, n'est donc pas fondé pour le surplus.
Sur le troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches Enoncé du moyen
21. Les propriétaires exploitants font grief à l'arrêt de les déclarer responsables du préjudice subi par l'association et de les condamner à lui payer des sommes en réparation de son préjudice moral, alors :
« 1°/ que le délit prévu et réprimé par l'article L. 415-3 du code de l'environnement suppose la réunion d'un élément matériel et d'un élément moral constitué par une faute d'imprudence ; que pour caractériser une telle faute, le juge doit rechercher si une imprudence ou une négligence a été commise par l'intéressé en se référant au comportement d'un individu normalement prudent et diligent ; qu'au cas présent, pour faire droit à l'action indemnitaire de l'association France Nature Environnement, la cour d'appel a estimé, d'une part, qu'il n'était pas contesté que 28 spécimens de faucons crécerellettes, espèce animale non domestique protégée au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, avaient péri à la suite d'une collision avec les éoliennes des parcs concernés alors que les dispositions du code de l'environnement l'interdisent, et, d'autre part, que les sociétés exploitantes ne justifiaient « ni d'une autorisation administrative à cette destruction de spécimens protégés, ni d'une dérogation administrative au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement », de sorte que la preuve tant de l'élément matériel que de l'élément moral, de la faute d'imprudence du délit d'atteinte à la conservation d'espèces animales non domestiques protégées, prévu par l'article L. 415-3 du code de l'environnement, était rapportée ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, comme cela lui était pourtant expressément demandé par les sociétés demanderesses si les sociétés exploitantes n'avaient pas adopté un comportement prudent et accompli les diligences normales qui leur incombaient compte tenu de leur mission, de leurs compétences, de leurs pouvoirs et des moyens dont elles disposaient, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 415-3 du code de l'environnement ;
2°/ que si l'article L. 411-1, 1°, du code de l'environnement prohibe toute destruction d'individus d'espèces animales non domestiques, la sanction pénale attachée à la violation de cette interdiction, instituée par l'article L. 415-3 du même code, ne trouve, elle, à s'appliquer que pour autant qu'une atteinte ait été portée à la conservation de l'espèce concernée ; qu'ainsi, les conditions de l'interdiction administrative prévue par le premier de ces textes, à laquelle seule une dérogation octroyée en application de l'article L. 411-2, 4°, du code de l'environnement permet de déroger, ne se confondent pas avec celles auxquelles le législateur a entendu subordonner l'application de la sanction pénale attachée à la violation de l'interdiction administrative précitée, laquelle implique, non seulement que l'article L. 411-1, 1°, du code de l'environnement ait été violé, mais également qu'une atteinte ait été portée à la « conservation » de l'espèce ; qu'au cas présent, pour juger que l'élément matériel du délit prévu et réprimé par l'article L. 415-3 du code de l'environnement était constitué, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que « 28 faucons crécerellettes, espèce animale non domestique protégée au titre de l'article L. 411-2,1°, du code de l'environnement, ont été tués entre 2011 et 2016 à la suite d'une collision avec des éoliennes des Parcs [Localité 2] alors que les dispositions du code de l'environnement l'interdisent » et que « les intimés ne justifient ni d'une autorisation administrative à cette destruction de spécimens protégés, ni d'une dérogation administrative au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement » ; qu'en statuant de la sorte, quand il lui appartenait également de caractériser l'atteinte qui avait été portée à « la conservation » de l'espèce protégée concernée par l'effet desdites destructions, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 415-3 du code de l'environnement. »
Réponse de la Cour
22. D'une part, il résulte des articles L. 411-1 et L. 415-3 du code de l'environnement que constitue le délit d'atteinte à la conservation d'espèces animales non domestiques la violation des interdictions prévues par les dispositions de l'article L. 411-1 et par les règlements pris en application de l'article L. 411-2 du même code (Crim., 5 avril 2011, pourvoi n° 10-86.248).
23. La cour d'appel n'était donc pas tenue de caractériser l'atteinte portée à la conservation de l'espèce protégée en cause, dès lors que celle-ci résultait de la constatation de la destruction d'un spécimen appartenant à l'espèce faucon crécerellette, en violation de l'interdiction édictée par l'article L. 411-1, 1°, du code de l'environnement.
24. D'autre part, il est jugé qu'une faute d'imprudence suffit à caractériser l'élément moral du délit d'atteinte à la conservation d'espèces animales non domestiques protégées, prévu par l'article L. 415-3 du code de l'environnement (Crim, 1er juin 2010, pourvoi n° 09-87.159, Bull. crim. 2010, n° 96).
25. La cour d'appel a constaté que vingt-huit faucons crécerellettes, espèce animale non domestique protégée au titre de l'article L. 411-1, 1°, du code de l'environnement, avaient été tués entre 2011 et 2016 par collision avec les éoliennes des parcs [Localité 2], que cette destruction perdurait malgré la mise en place du système DT- BIRD, et que les propriétaires exploitants n'avaient pas sollicité la dérogation aux interdictions édictées par cet article, constitutive d'un fait justificatif exonératoire de responsabilité.
26. Elle en a exactement déduit, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation sur le comportement des propriétaires exploitants, que le délit d'atteinte à la conservation d'espèce animale non domestique protégée, prévu par l'article L. 415-3 du code de l'environnement, était caractérisé tant dans son élément matériel que son élément moral.
27. La cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision.
Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
28. Les propriétaires exploitants font le même grief à l'arrêt, alors « qu'à supposer même que les conditions de l'interdiction administrative posée par l'article L. 411-1, 1°, du code de l'environnement se confondent avec celles qui déterminent l'application de la sanction pénale prévue par l'article L. 415-3 du même code, de sorte qu'une atteinte à la conservation de l'espèce ne serait pas requise pour permettre la qualification du délit prévu et réprimé par le second de ces textes, un doute existe sur l'interprétation à conférer à la portée de l'interdiction posée par le législateur aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, lorsque la destruction d'un ou plusieurs spécimens d'une espèce protégée d'oiseau a été causée par une activité humaine licite dont l'objet est manifestement autre que la mise à mort ou la perturbation d'espèces animales ; qu'il appartient, en conséquence, à la Cour de cassation pour lever ce doute, conformément à l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : « L'article 5, §§ a) à d), de la directive "oiseaux" doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une pratique nationale selon laquelle, lorsque l'objet d'une activité humaine licite, telle qu'une activité d'exploitation forestière ou d'occupation des sols, comme celle relative à l'exploitation d'un parc éolien, est manifestement autre que la mise à mort ou la perturbation d'espèces animales, les interdictions prévues à cette disposition ne s'appliquent qu'en cas de risque d'incidence négative sur l'état de conservation des espèces concernées et, d'autre part, la protection offerte par ladite disposition cesse de s'appliquer aux espèces ayant atteint un état de conservation favorable ? »
Réponse de la Cour
29. A l'instar de ce que prévoit l'article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et la flore sauvage (directive « habitats »), l'article 5 de directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 (directive « oiseaux ») exige que les Etats membres adoptent un cadre législatif complet et efficace par la mise en oeuvre de mesures concrètes et spécifiques de protection de toutes les espèces d'oiseaux sauvages qui doivent permettre d'assurer le respect effectif des interdictions mentionnées à cet article, notamment l'interdiction de les tuer intentionnellement, l'article 14 autorisant les Etats membres à prendre des mesures plus strictes que celles prévues par cette directive.
30. Les articles L. 411-1 et L. 411-2, 4°, du code de l'environnement interdisent, pour toutes les espèces animales non domestiques protégées, y compris les oiseaux, leur destruction et appliquent les conditions et les motifs de dérogation à ces interdictions posés par l'article 16 de la directive « habitats ».
31. L'arrêté du 29 octobre 2009 qui, en application de cette législation, fixe la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire national et les modalités de leur protection y inclut, dans son article 3, le faucon crécerellette, dont la destruction intentionnelle est interdite.
32. La législation nationale a ainsi étendu aux oiseaux sauvages protégés les mesures nécessaires à un système de protection stricte édictées par l'article 12, § 1, sous a), de la directive « habitats ».
33. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article précité doit être interprété en ce sens que, d'une part, il s'oppose à une pratique nationale selon laquelle, lorsque l'objet d'une activité humaine, telle qu'une activité d'exploitation forestière ou d'occupation des sols, est manifestement autre que la mise à mort ou la perturbation d'espèces animales, les interdictions prévues à cette disposition ne s'appliquent qu'en cas de risque d'incidence négative sur l'état de conservation des espèces concernées, et, d'autre part, la protection offerte par ladite disposition ne cesse pas de s'appliquer aux espèces ayant atteint un état de conservation favorable (CJUE, arrêt du 4 mars 2021, Skydda Skogen, C-473/19 et C-474/19).
34. Il s'ensuit qu'en l'absence d'un doute raisonnable sur l'interprétation à donner à la portée de l'interdiction posée par le législateur aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement en cas de destruction de spécimens d'une espèce protégée d'oiseau causée par des éoliennes, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle soulevée par le moyen.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT n'y avoir lieu à question préjudicielle ;
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Parc éolien [Localité 4], Plein vent [Localité 2], Parc éolien [Localité 6], Parc éolien [Localité 9], Parc éolien [Localité 5], Parc éolien [Localité 8], Parc éolien [Localité 7] et EDF renouvelables France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Parc éolien de la Conque, Plein vent [Localité 2], Parc éolien [Localité 6], Parc éolien [Localité 9], Parc éolien [Localité 5], Parc éolien [Localité 8], Parc éolien [Localité 7] et EDF renouvelables France et les condamne à payer à l'association France Nature Environnement la somme de 3 000 euros.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour les sociétés EDF Renouvelables France, Parc éolien de la Conque, Plein vent [Localité 2], Parc éolien [Localité 6], Parc éolien [Localité 9], Parc éolien [Localité 5], Parc éolien [Localité 8] et le Parc éolien [Localité 7]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Les sociétés Plein vent [Localité 2], Parc éolien [Localité 4], Parc éolien [Localité 6], Parc éolien [Localité 9], Parc éolien [Localité 8], Parc éolien [Localité 5], Parc éolien [Localité 7] et EDF Renouvelables France font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré l'association France Nature Environnement recevable en ses demandes ;
Alors que la commission d'une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement constitue une condition de recevabilité de l'action d'une association agréée de protection de l'environnement exercée sur le fondement de l'article L. 142-2 du code de l'environnement ; qu'au cas présent, pour écarter la fin de non-recevoir soulevée par les sociétés exposantes, la cour d'appel a énoncé que la recevabilité de l'action de l'association France Nature Environnement en raison d'une infraction seulement « alléguée » aux dispositions de l'article L. 415-3 du code de l'environnement n'était pas conditionnée par « la constitution préalable de l'infraction » (arrêt, p. 10, in fine) ; qu'en statuant de la sorte, quand l'habilitation législative spéciale dont bénéficient les associations agréées mentionnées à l'article L. 141-2 du code de l'environnement subordonne expressément la recevabilité de leur action à la commission de faits « constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement », ce qui exclut, par hypothèse, que leur action puisse être déclarée recevable lorsque l'infraction pénale liée à l'environnement en cause n'est qu' « alléguée » et qu'un doute existe sur le point de savoir si elle a été commise, la cour d'appel a violé l'article L. 142-2 du code de l'environnement, ensemble l'article 1240 du code civil et les articles 122 et 31 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Les sociétés Plein vent [Localité 2] Clitourps, Parc éolien [Localité 4], Parc éolien [Localité 6], Parc éolien [Localité 9], Parc éolien [Localité 8], Parc éolien [Localité 5], Parc éolien [Localité 7] et EDF Renouvelables France font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré l'association France Nature Environnement recevable en ses demandes, d'avoir déclaré les sociétés exploitantes responsables sur le fondement de l'article 1240 du code civil, du préjudice moral subi par l'association France Nature Environnement et de les avoir condamnées à lui verser la somme de 500 euros chacune (soit au total la somme de 3.500 euros) en réparation de ce préjudice ;
1° Alors que le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires s'oppose à ce que le juge judiciaire substitue sa propre appréciation à celle que l'autorité administrative a portée, dans l'exercice de ses pouvoirs de police spéciale, sur les dangers ou inconvénients que peuvent présenter des installations classées pour la protection de l'environnement pour l'un des intérêts visés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, notamment au regard du risque de destructions accidentelles d'individus d'une espèce protégée susceptible de résulter de leur fonctionnement ; qu'en jugeant, au cas d'espèce, que le seul fait pour le juge judiciaire, saisi sur le fondement de l'article 1240 du code civil, de constater l'existence d'une violation de l'article L. 411-1,1° du code de l'environnement, sans justification par les contrevenants d'une dérogation accordée par l'autorité administrative, ne constituait pas une atteinte au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ni une immixtion du juge judiciaire dans l'exercice des pouvoirs reconnus à l'autorité administrative, cependant qu'elle avait par ailleurs constaté que, par arrêtés du 9 juillet 2014, le Préfet de l'Hérault, spécialement informé des collisions survenues entre les éoliennes et des individus de l'espèce protégée faucon crécerellette, avait autorisé la poursuite de l'exploitation des parcs éoliens concernés sans la conditionner à l'octroi préalable d'une dérogation, sous réserve de la mise en oeuvre de prescriptions spéciales auxquelles les sociétés exploitantes s'étaient strictement conformées, la cour d'appel a violé le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
2° Alors, encore, que le principe de séparation des autorités judiciaires et administratives s'oppose à ce que le juge judiciaire puisse substituer sa propre appréciation à celle que l'administration a porté, dans l'exercice de ses pouvoirs de police spéciale, sur le caractère approprié et suffisant de mesures de réduction destinées à réduire la probabilité de réalisation d'un risque de destructions accidentelles d'individus d'une espèce protégée à raison du fonctionnement d'installations classées pour la protection de l'environnement ; qu'au cas présent, les prescriptions spéciales prises par le Préfet de l'Hérault à l'occasion des arrêtés du 9 juillet 2014 avaient pour objet de « réduire l'impact sur la biodiversité présenté par les installations », c'est-à-dire à dire de minimiser le risque de mortalité par collisions avec les éoliennes des individus de l'espèce faucon crécerellette ; que pour faire droit à l'action de l'association France Nature Environnement, la cour d'appel a estimé que les collisions accidentelles survenues entre les éoliennes et les individus de l'espèce faucon crécerellette avaient perduré malgré la mise en place du système « DT-BIRD », de sorte qu'en l'absence de toute dérogation sollicitée et obtenue par les sociétés exploitantes, tant l'élément matériel que l'élément moral du délit prévu par l'article L. 415-3 apparaissaient constitués ; que ce faisant, la cour a, implicitement mais nécessairement, porté une appréciation sur l'opportunité et l'efficacité des prescriptions spéciales qui avaient été adoptées par le Préfet de l'Hérault à l'occasion des arrêtés du 9 juillet 2014, lesquelles tendaient à la généralisation de l'installation du dispositif « DT-BIRD » sur toutes les éoliennes des parcs concernés, selon un calendrier déterminé en fonction de son efficacité constatée ; qu'en substituant ainsi sa propre appréciation à celle que l'administration avait porté sur l'opportunité et l'efficacité des mesures de réduction qu'il convenait d'adopter pour réduire la probabilité de réalisation du risque de collisions accidentelles entre des éoliennes et des individus de l'espèce faucon crécerellette dûment identifié, la cour d'appel a encore violé le principe de séparation des pouvoirs, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
3° Alors, en tout état de cause, qu'en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires posé par l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et par le décret du 16 fructidor an III, sous réserve des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître des recours tendant à l'annulation ou à la réformation des décisions prises par l'administration dans l'exercice de ses prérogatives de puissance publique ; que de même, le juge administratif est en principe seul compétent pour statuer, le cas échéant par voie de question préjudicielle, sur toute contestation de la légalité de telles décisions, soulevée à l'occasion d'un litige relevant à titre principal de l'autorité judiciaire ; qu'il ressort enfin de l'article 49, alinéa 2, du code de procédure civile, que lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente et sursoit à statuer jusqu'à la décision sur la question préjudicielle ; qu'au cas présent, pour apprécier le bien-fondé de l'action indemnitaire de l'association France Nature Environnement, la cour d'appel a constaté que 26 spécimens de faucon crécerellette ont été tués entre 2011 et 2016 à la suite d'une collision avec des éoliennes des Parcs [Localité 2] et que les sociétés exploitantes ne justifiaient d'aucune dérogation à cet effet, ce dont elle a déduit qu'une violation de l'article L. 411-1 du code de l'environnement était caractérisée ; qu'en statuant de la sorte, cependant qu'il résultait des arrêtés du 9 juillet 2014 ayant expressément autorisé la poursuite de l'exploitation des installations sans la subordonner à l'octroi préalable d'une dérogation ni à l'absence de réalisation du risque de collisions accidentelles dûment identifié, que l'autorité administrative compétente avait admis la légalité au regard de l'article L. 411-1 du code de l'environnement des destructions accidentelles susceptibles de se produire à l'occasion du fonctionnement des installations selon les modalités qu'elle avait elle-même définies en vue, précisément, de palier au risque qu'elles se réalisent, la cour d'appel, qui aurait dû en déduire que la résolution du litige était subordonnée à la question, préalable et qu'il lui appartenait de soumettre au juge administratif par une question préjudicielle, de la légalité desdits arrêtés laquelle présentait une difficulté sérieuse, a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé le principe de séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III et l'article 49, alinéa 2, du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
Les sociétés Plein vent [Localité 2], Parc éolien [Localité 4], Parc éolien [Localité 6], Parc éolien [Localité 9], Parc éolien [Localité 8], Parc éolien [Localité 5] et Parc éolien [Localité 7] font grief à l'arrêt attaqué de les avoir déclarées responsables sur le fondement de l'article 1240 du code civil, du préjudice moral subi par l'association France Nature Environnement et de les avoir condamnées à lui verser la somme de 500 euros chacune en réparation de son préjudice moral ;
1° Alors que le délit prévu et réprimé par l'article L. 415-3 du code de l'environnement suppose la réunion d'un élément matériel et d'un élément moral constitué par une faute d'imprudence ; que pour caractériser une telle faute, le juge doit rechercher si une imprudence ou une négligence a été commise par l'intéressé en se référant au comportement d'un individu normalement prudent et diligent ; qu'au cas présent, pour faire droit à l'action indemnitaire de l'association France Nature Environnement, la cour d'appel a estimé, d'une part, qu'il n'était pas contesté que 28 spécimens de faucons crécerellettes, espèce animale non domestique protégée au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, avaient péri à la suite d'une collision avec les éoliennes des parcs concernés alors que les dispositions du code de l'environnement l'interdisent, et, d'autre part, que les sociétés exploitantes ne justifiaient « ni d'une autorisation administrative à cette destruction de spécimens protégés, ni d'une dérogation administrative au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement » (arrêt attaqué, p. 17, § 3), de sorte que la preuve tant de l'élément matériel que de l'élément moral, de la faute d'imprudence du délit d'atteinte à la conservation d'espèces animales non domestiques protégées, prévu par l'article L. 415-3 du code de l'environnement, était rapportée ; qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, comme cela lui était pourtant expressément demandé par les sociétés demanderesses (conclusions d'appel, p. 25 à 26) si les sociétés exploitantes n'avaient pas adopté un comportement prudent et accompli les diligences normales qui leur incombaient compte tenu de leur mission, de leurs compétences, de leurs pouvoirs et des moyens dont elles disposaient, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 415-3 du code de l'environnement ;
2° Alors, encore, que si l'article L. 411-1, 1° du code de l'environnement prohibe toute destruction d'individus d'espèces animales non domestiques, la sanction pénale attachée à la violation de cette interdiction, instituée par l'article L. 415-3 du même code, ne trouve, elle, à s'appliquer que pour autant qu'une atteinte ait été portée à la conservation de l'espèce concernée ; qu'ainsi, les conditions de l'interdiction administrative prévue par le premier de ces textes, à laquelle seule une dérogation octroyée en application de l'article L. 411-2, 4° du code de l'environnement permet de déroger, ne se confondent pas avec celles auxquelles le législateur a entendu subordonner l'application de la sanction pénale attachée à la violation de l'interdiction administrative précitée, laquelle implique, non seulement que l'article L. 411-1, 1° du code de l'environnement ait été violé, mais également qu'une atteinte ait été portée à la « conservation » de l'espèce ; qu'au cas présent, pour juger que l'élément matériel du délit prévu et réprimé par l'article L. 415-3 du code de l'environnement était constitué, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que « 28 faucons crécerellettes, espèce animale non domestique protégée au titre de l'article L. 411-2,1° du code de l'environnement, ont été tués entre 2011 et 2016 à la suite d'une collision avec des éoliennes des Parcs [Localité 2] alors que les dispositions du code de l'environnement l'interdisent » et que « les intimés ne justifient ni d'une autorisation administrative à cette destruction de spécimens protégés, ni d'une dérogation administrative au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement » (arrêt attaqué, p. 17, § 1 et 3) ; qu'en statuant de la sorte, quand il lui appartenait également de caractériser l'atteinte qui avait été portée à « la conservation » de l'espèce protégée concernée par l'effet desdites destructions, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 415-3 du code de l'environnement ;
3° Alors, subsidiairement, enfin, qu'à supposer même que les conditions de l'interdiction administrative posée par l'article L. 411-1,1° du code de l'environnement se confondent avec celles qui déterminent l'application de la sanction pénale prévue par l'article L. 415-3 du même code, de sorte qu'une atteinte à la conservation de l'espèce ne serait pas requise pour permettre la qualification du délit prévu et réprimé par le second de ces textes, un doute existe sur l'interprétation à conférer à la portée de l'interdiction posée par le législateur aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, lorsque la destruction d'un ou plusieurs spécimens d'une espèce protégée d'oiseau a été causée par une activité humaine licite dont l'objet est manifestement autre que la mise à mort ou la perturbation d'espèces animales ; qu'il appartient, en conséquence, à la Cour de cassation pour lever ce doute, conformément à l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : « L'article 5, §§ a) à d), de la directive "oiseaux" doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une pratique nationale selon laquelle, lorsque l'objet d'une activité humaine licite, telle qu'une activité d'exploitation forestière ou d'occupation des sols, comme celle relative à l'exploitation d'un parc éolien, est manifestement autre que la mise à mort ou la perturbation d'espèces animales, les interdictions prévues à cette disposition ne s'appliquent qu'en cas de risque d'incidence négative sur l'état de conservation des espèces concernées et, d'autre part, la protection offerte par ladite disposition cesse de s'appliquer aux espèces ayant atteint un état de conservation favorable ? »
N 1 > 3e Civ., 1er juillet 2009, pourvoi n° 07-21.954, Bull. 2009, III, n° 166 (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Crim., 1er juin 2010, pourvoi n° 09-87.159, Bull. crim. 2010, n° 96 (rejet) (3) ; 3e Civ., 8 juin 2011, pourvoi n° 10-15.500, Bull. 2011, III, n° 101 (rejet), et l'arrêt cité.N 2 > TC, 13 octobre 2014, pourvoi n° 14-03.964, Bull. 2014, T. conflits, n° 13 ;1re Civ., 14 février 2018, pourvoi n° 17-14.703, Bull. 2018, I, n° 32 (cassation).N 3 > Crim., 18 octobre 2022, pourvoi n° 21-86.965 (cassation partielle), et l'arrêt cité (2)
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CASS/JURITEXT000046583048.xml | LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 novembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 797 FS-B
Pourvoi n° G 21-23.505
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022
La société Giovellina, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], chez Madame [U] [P], [Localité 4], a formé le pourvoi n° G 21-23.505 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2021 par la cour d'appel de Bastia (Chambre civile - Section 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Bastia charpentes armatures, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Mutuelle du bâtiment des travaux publics (SMABTP), dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Giovellina, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société Mutuelle du bâtiment des travaux publics, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, MM. Jacques, Boyer, Mme Grandjean, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 15 septembre 2021), la société Giovellina a confié la réalisation de la charpente métallique et du revêtement d'un bâtiment à usage commercial à la société Bastia charpentes armatures (la société BCA), assurée auprès de la SMABTP.
2. La société Giovellina a formé opposition à une ordonnance portant injonction de payer le solde du prix du marché à la société BCA et elle a formé des demandes reconventionnelles aux fins d'indemnisation de ses préjudices.
3. La société BCA a appelé la SMABTP en intervention forcée.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. La société Giovellina fait grief à l'arrêt de refuser d'homologuer le rapport de l'expert sur les préjudices subis, de la renvoyer à assigner si elle l'estime nécessaire, concernant le montant de ces préjudices, de la condamner à payer à la société BCA une certaine somme au titre du solde du marché et de rejeter l'ensemble de ses demandes dirigées contre la société BCA et la SMABTP, alors « que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en énonçant que la société Giovellina, usufruitière, serait sans qualité pour agir en garantie décennale, tout en constatant qu'elle était liée à la société BCA par un contrat de louage d'ouvrage et qu'elle avait fait construire l'immeuble litigieux en qualité de maitresse d'ouvrage, la Cour d'appel a violé les articles 578 et 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
6. L'usufruitier, quoique titulaire du droit de jouir de la chose comme le propriétaire, n'en est pas le propriétaire et ne peut donc exercer, en sa seule qualité d'usufruitier, l'action en garantie décennale que la loi attache à la propriété de l'ouvrage et non à sa jouissance.
7. C'est, dès lors, à bon droit que la cour d'appel, qui a relevé que la société Giovellina reconnaissait être usufruitière de l'ouvrage et devant laquelle elle ne prétendait pas avoir été mandatée par le nu-propriétaire, a retenu que cette société ne pouvait agir contre le constructeur et son assureur sur le fondement de la garantie décennale.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
9. La société Giovellina fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'à le supposer sans qualité pour agir en garantie décennale, l'usufruitier lié par un contrat de louage d'ouvrage au constructeur, a en tout état de cause qualité pour agir en réparation de l'ensemble des désordres y compris de nature décennale, affectant l'ouvrage, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun ; qu'en l'espèce, comme le constate l'arrêt attaqué, la société Giovellina fondait expressément ses demandes sur la responsabilité contractuelle de droit commun de l'article 1147 ancien du code civil ; qu'en la déclarant sans qualité pour agir contre sa cocontractante, la Cour d'appel a violé les articles 578 du code civil, 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
10. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
11. Aux termes du second, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
12. Il en résulte que l'usufruitier, qui n'a pas qualité pour agir sur le fondement de la garantie décennale, peut néanmoins agir, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, en réparation des dommages que lui cause la mauvaise exécution des contrats qu'il a conclus pour la construction de l'ouvrage, y compris les dommages affectant l'ouvrage.
13. Pour rejeter les demandes de la société Giovellina, l'arrêt retient que les demandes reconventionnelles présentées par cette société, sous couvert d'être fondées sur la responsabilité contractuelle de la société BCA, s'avèrent être la conséquence des désordres allégués pour lesquels, sur le fondement de l'article 1792 du code civil, est recherchée la garantie décennale du constructeur.
14. Il retient que l'usufruitière n'a pas qualité pour agir en garantie décennale contre le constructeur, pas plus que pour les dommages immatériels en découlant, à charge pour elle d'assumer son intervention en qualité de maître de l'ouvrage dans une construction sans préexistant pour laquelle elle s'est substituée à la nue-propriétaire.
15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les travaux avaient été exécutés pour le compte de la société Giovellina, qui avait conclu le contrat d'entreprise et qui demandait la réparation des dommages résultant de la mauvaise exécution de ce contrat sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. La cassation prononcée porte sur le rejet des demandes formées tant contre la société BCA que contre la SMABTP, dont la responsabilité était recherchée, notamment, sur le fondement d'une assurance de responsabilité civile.
17. Il n'est pas nécessaire, dès lors, de statuer sur le troisième moyen.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Giovellina à payer à la société Bastia charpentes armatures la somme de 30 113,81 euros au titre du solde du marché avec intérêts au taux légal à compter du jugement, en ce qu'il renvoie la société Giovellina à assigner si elle l'estime nécessaire concernant les préjudices subis et en ce qu'il rejette l'ensemble des demandes de la société Giovellina, l'arrêt rendu le 15 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.
Condamne la société Bastia charpentes armatures et la société Mutuelle du bâtiment des travaux publics laux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne in solidum la société Bastia charpentes armatures et la société Mutuelle du bâtiment des travaux publics à payer à la société Giovellina la somme de 3 000 euros et rejette la demande formée par la société Mutuelle du bâtiment des travaux publics ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Giovellina
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Giovellina fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à payer à la société BCA la somme de 30.113,81 euros, montant du solde restant dû au titre du marché avec intérêts de droit à compter de la présente décision ;
1°- Alors que la facture du 30 juillet 2015 faisant apparaitre l'application d'une TVA de 20% au lieu de 10%, invoquée par la société Giovellina dans ses conclusions (p14) figurait à la page 46 du rapport d'expertise produit (en pièce n° 37) aux débats par cette dernière, qui faisait valoir que l'expert n'avait pas tenu compte de l'erreur qui affecte cette facture, en invitant ainsi la Cour d'appel à vérifier le rapport d'expertise dans lequel figurait cette facture ; qu'en énonçant que cette facture n'aurait pas été produite aux débats par la société Giovelllina, la Cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise versé aux débats, comportant cette facture en page 46, en violation du principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2°- Alors en tout état de cause, que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; que c'est à la société BCA qui réclamait le paiement des sommes facturées le 30 juillet 2015 qu'il incombait de justifier du calcul de sa créance et partant de produire la facture en cause pour démontrer le montant de la TVA qu'elle avait appliquée et qui était contesté ; qu'en faisant peser le risque de cette preuve sur la société Giovellina, la Cour d'appel a violé l'article 1315 ancien devenu 1353 du code civil.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La société Giovellina fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir refusé d'homologuer le rapport de l'expert, sur les préjudices subis, de l'avoir renvoyée à assigner si elle l'estime nécessaire, concernant le montant de ces préjudices, de l'avoir condamnée à payer à la société BCA la somme de 30.113,81 euros, montant du solde restant dû au titre du marché avec intérêts de droit à compter de la présente décision, et de l'avoir déboutée de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la société BCA et la SMABTP ;
1°- Alors que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en énonçant que l'usufruitier bien que cocontractant du constructeur n'aurait pas qualité pour agir en garantie décennale contre le constructeur, sans avoir invité préalablement les parties à s'expliquer sur ce moyen qu'elle relevait d'office, la Cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°- Alors que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'en énonçant que la société Giovellina, usufruitière, serait sans qualité pour agir en garantie décennale, tout en constatant qu'elle était liée à la société BCA par un contrat de louage d'ouvrage et qu'elle avait fait construire l'immeuble litigieux en qualité de maitresse d'ouvrage, la Cour d'appel a violé les articles 578 et 1792 du code civil ;
3°- Alors qu'à le supposer sans qualité pour agir en garantie décennale, l'usufruitier lié par un contrat de louage d'ouvrage au constructeur, a en tout état de cause qualité pour agir en réparation de l'ensemble des désordres y compris de nature décennale, affectant l'ouvrage, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun ; qu'en l'espèce, comme le constate l'arrêt attaqué, la société Giovellina fondait expressément ses demandes sur la responsabilité contractuelle de droit commun de l'article 1147 ancien du code civil ; qu'en la déclarant sans qualité pour agir contre sa cocontractante, la Cour d'appel a violé les articles 578 du code civil, 1134 et 1147 du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
4°- Alors qu'en énonçant que la réparation des désordres serait recherchée par la société Giovellina sur le fondement de la garantie décennale, quand ainsi qu'elle l'admet elle-même, les conclusions de la société Giovellina étaient fondées sur la responsabilité contractuelle de droit commun, la Cour d'appel a dénaturé ces conclusions en violation du principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis ;
5°- Alors que les désordres apparents qui font l'objet de réserves dans le procès-verbal de réception ne relèvent pas de la garantie décennale ; qu'en énonçant que sous couvert de responsabilité contractuelle de droit commun, la société Giovellina invoquerait des désordres relevant de la garantie décennale quand cette dernière se prévalait notamment de désordres qui avaient fait l'objet de réserves dans le procès-verbal de réception, listés et examinés par l'expert judiciaire, la Cour d'appel a violé les articles 1792 du code civil et 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
6°- Alors qu'en se bornant à écarter la réparation du préjudice financier engendré par les désordres, sans s'expliquer comme elle était invitée, sur le préjudice financier résultant du retard dans l'exécution des travaux et du non respect de la date de livraison, sans relation avec les désordres affectant l'immeuble, dont la réparation ne pouvait relever que de la responsabilité contractuelle de droit commun, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
7°- Alors que commet un déni de justice, le juge qui refuse d'évaluer un préjudice dont il admet l'existence dans son principe ; qu'à supposer que pour rejeter la réparation du préjudice financier résultant du retard dans la livraison de l'ouvrage, elle ait entendu s'approprier les motifs du jugement selon lesquels le préjudice financier résultant des retards dans les travaux qui sont démontrés et qui ont nécessairement généré un préjudice, ne peut être chiffré objectivement en l'état des sommes retenues par l'expert, s'agissant essentiellement d'estimations, ce dernier ayant renvoyé à l'appréciation des tribunaux, en refusant ainsi d'évaluer le préjudice dont elle constatait l'existence dans son principe, la Cour d'appel a violé l'article 4 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société Giovellina fait grief à l'arrêt attaqué l'avoir déboutée de l'ensemble de ses demandes dirigée contre la SMABTP ;
Alors que la société Giovellina faisait valoir que le contrat d'assurance de la société BCA couvre aussi bien les désordres relevant de la garantie décennale que les désordres relevant de la responsabilité civile en cours ou après travaux, et demandait la condamnation de la SMABTP à garantir la responsabilité contractuelle de droit commun de son assurée ; qu'en énonçant que l'assureur de la société BCA serait recherché en sa qualité d'assureur en responsabilité décennale sur le fondement de l'article 1792 du code civil que seule la nupropriétaire pourrait actionner, la Cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société Giovellina en violation du principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis.
3e Civ., 1 juillet 2009, pourvoi n° 08-14.714, Bull. 2009, III, n° 162 (rejet).
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CASS/JURITEXT000046583042.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 novembre 2022
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 790 FS-B
Pourvoi n° S 21-15.095
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022
M. [O] [W], domicilié chez Mme [B] [W], [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-15.095 contre l'arrêt rendu le 11 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 3 - chambre 4), dans le litige l'opposant à Mme [H] [L] [M], épouse [W], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Duval, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [W], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 septembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Duval, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, Dard, Beauvois, M. Fulchiron, conseillers, Mme Azar, M. Buat-Ménard conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 février 2021) et les productions, par requête du 8 juin 2020, Mme [L] [M] a saisi un juge aux affaires familiales afin d'obtenir, sur le fondement des articles 515-9 et suivants du code civil, une ordonnance de protection à l'égard de son époux, M. [W].
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. M. [W] fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception de nullité de la requête, alors « que, dans les cas prévus aux articles 515-9 et 515-13 du code civil, le juge est saisi par une requête remise ou adressée au greffe ; que la requête doit contenir un exposé sommaire des motifs de la demande et, en annexe, les pièces sur lesquelles celle-ci est fondée, à peine de nullité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a reconnu que la requête initiale comportait quinze pièces, mais que d'autres avaient été ultérieurement communiquées ; qu'en jugeant néanmoins la requête valable, alors qu'elle ne comportait pas toutes les pièces sur lesquelles elle était fondée, la cour d'appel a violé l'article 1136-3 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des articles 114 et 1136-3, alinéas 1 et 2, du code de procédure civile que la nullité sanctionnant l'absence d'annexion, à la requête aux fins de délivrance d'une ordonnance de protection, des pièces sur lesquelles la demande est fondée est une nullité de forme qui ne peut être prononcée qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver le grief que lui cause une telle irrégularité.
6. La cour d'appel a constaté que la requête déposée par Mme [L] [M] aux fins de délivrance d'une ordonnance de protection comportait quinze pièces en annexe et que celle-ci avait communiqué par la suite à M. [W] cinq autres pièces, sans que celui-ci ait précisé en quoi consistait le grief tiré de la communication de ces nouvelles pièces postérieurement au dépôt de la requête.
4. Il en résulte que l'exception de nullité n'était pas fondée.
5. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne M. [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour M. [W]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [W] fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté l'exception de nullité de la requête en date du 15 juin 2020 de Mme [L] [M] ;
Alors que, dans les cas prévus aux articles 515-9 et 515-13 du code civil, le juge est saisi par une requête remise ou adressée au greffe ; que la requête doit contenir un exposé sommaire des motifs de la demande et, en annexe, les pièces sur lesquelles celle-ci est fondée, à peine de nullité ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a reconnu que la requête initiale comportait 15 pièces, mais que d'autres avaient été ultérieurement communiquées ; qu'en jugeant néanmoins la requête valable, alors qu'elle ne comportait pas toutes les pièces sur lesquelles elle était fondée, la cour d'appel a violé l'article 1136-3 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [W] fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé l'ordonnance entreprise en toute ses dispositions ;
Alors que lorsque les violences exercées au sein du couple, y compris lorsqu'il n'y a pas de cohabitation, ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin, y compris lorsqu'il n'y a jamais eu de cohabitation, mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection ; que l'ordonnance de protection est délivrée, par le juge aux affaires familiales, dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l'audience, s'il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés ; que la cour d'appel doit apprécier la situation de danger actuel pour le conjoint ou les enfants à la date où elle statue ; qu'en l'espèce, si la cour d'appel a souverainement considéré comme vraisemblable la commission de faits de violences commis début mai 2020, elle n'a, en revanche, pas constaté que ces violences constituaient une situation de danger au jour où elle a statué, c'est-à-dire le 11 février 2021 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a donc privé sa décision de base légale au regard des articles 515-9 et 515-11 du code civil.
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CASS/JURITEXT000046583052.xml | LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 16 novembre 2022
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 800 FS-B
Pourvoi n° X 21-18.527
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022
1°/ Mme [K] [Y], veuve [O], domiciliée [Adresse 2],
2°/ M. [H] [O], domicilié [Adresse 6],
3°/ Mme [S] [O], épouse [B], domiciliée [Adresse 1],
4°/ Mme [A] [O], épouse [V], domiciliée [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° X 21-18.527 contre l'arrêt rendu le 6 mai 2021 par la cour d'appel de Montpellier (2ème chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [M] [W], veuve [O],
2°/ à M. [P] [O], domicilié [Adresse 3],
3°/ à M. [R] [O], mineur représenté par sa mère Mme [M] [W],
domiciliés tous trois [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [K] [Y], de M. [H] [O], et de Mmes [S] et [A] [O], de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [M] [O], et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents M. Maunand, conseiller doyen rapporteur, MM. Jacques, Boyer, Mme Grandjean, conseillers, Mme Djikpa, Mmes Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte à Mme [K] [Y], veuve [O], M. [H] [O], Mme [S] [O] et Mme [A] [O] (les consorts [O]) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre MM. [P] et [R] [O].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 6 mai 2021), par acte du 28 mars 1991, les consorts [O] ont, en leur qualité respective d'usufruitière et de nus-propriétaires, donné à bail rural à [J] [O], des bâtiments à usage d'exploitation et d'habitation, ainsi que diverses parcelles.
3. [J] [O] est décédé le 10 février 2018, laissant pour lui succéder son épouse, Mme [M] [W], veuve [O], et leurs deux enfants, [P] et [R] [O], ce dernier étant mineur.
4. Par requête du 11 juillet 2018, les consorts [O] ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux aux fins de voir constater leur refus de la continuation du bail par les ayants droit du preneur et obtenir leur expulsion, et ont, par exploit du 12 juillet 2018, notifié à Mme [M] [W], veuve [O] et à ses enfants, une résiliation du bail en application de l'article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime.
5. Après une mise en demeure infructueuse, les consorts [O], ont, par une seconde requête du 16 novembre 2018, saisi le tribunal d'une demande de résiliation du bail pour défaut de paiement des fermages.
6. Par requête du 23 août 2018, Mme [M] [W], veuve [O] et MM. [P] et [R] [O] ont saisi le tribunal en contestation de la résiliation du bail notifiée le 12 juillet précédent.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Les consorts [O] font grief à l'arrêt de dire que Mme [M] [W], veuve [O] peut bénéficier du statut de preneur du bail dont son conjoint était titulaire et de rejeter leur demande de résiliation du bail, alors « qu'au décès du preneur, le bail rural se poursuit au profit de la personne ayant participé à l'exploitation pendant un temps suffisant, en qualité de conjoint, de partenaire d'un pacte civil de solidarité, d'ascendant ou de descendant ; que la participation qui peut être prise en compte est exclusivement celle réalisée en qualité de conjoint, de partenaire, d'ascendant ou de descendant, à l'exclusion de toute participation antérieure à l'acquisition d'une telle qualité ; que dès lors, les juges du fond, qui avaient constaté que Mme [M] [W] n'avait épousé le preneur que 49 jours avant son décès, ne pouvaient refuser de rechercher si cette durée était suffisante et prendre en considération une participation à l'exploitation antérieure au mariage ; qu'ils ont ainsi violé l'article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime. »
Réponse de la Cour
9. La cour d'appel a énoncé que, selon l'article L. 411-34, alinéa 1, du code rural et de la pêche maritime, en cas de décès du preneur, le bail continue au profit de son conjoint, du partenaire avec lequel il est lié par un pacte de solidarité, de ses ascendants et de ses descendants participant à l'exploitation ou y ayant participé effectivement au cours des cinq années antérieures au décès.
10. Ayant constaté que Mme [M] [W], veuve [O] était l'épouse de [J] [O] au jour de son décès et souverainement retenu qu'elle avait participé de manière régulière et effective aux travaux de l'exploitation depuis plus de cinq ans avant celui-ci, elle en a exactement déduit qu'elle pouvait bénéficier, à compter du 10 février 2018, du statut de preneur du bail dont son conjoint était titulaire, peu important qu'elle n'ait acquis la qualité de conjoint que peu de temps avant son décès.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne Mme [K] [Y], veuve [O], M. [H] [O], Mme [S] [O] et Mme [A] [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [K] [Y], veuve [O], M. [H] [O], Mme [S] [O] et Mme [A] [O] et les condamne à payer à Mme [M] [W], veuve [O] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour les consorts [O]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [K] [Y], M. [H] [O], Mme [S] [O] et Mme [A] [O] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir dit que Mme [M] [W] veuve [O] pouvait bénéficier du statut de preneur du bail dont son conjoint était titulaire et ce, à compter du 10 février 2018, et d'avoir rejeté leur demande de résiliation du bail ;
ALORS QU'au décès du preneur, le bail rural se poursuit au profit de la personne ayant participé à l'exploitation pendant un temps suffisant, en qualité de conjoint, de partenaire d'un pacte civil de solidarité, d'ascendant ou de descendant ; que la participation qui peut être prise en compte est exclusivement celle réalisée en qualité de conjoint, de partenaire, d'ascendant ou de descendant, à l'exclusion de toute participation antérieure à l'acquisition d'une telle qualité ; que dès lors, les juges du fond, qui avaient constaté que Mme [M] [W] n'avait épousé le preneur que 49 jours avant son décès, ne pouvaient refuser de rechercher si cette durée était suffisante et prendre en considération une participation à l'exploitation antérieure au mariage ; qu'ils ont ainsi violé l'article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Mme [K] [Y], M. [H] [O], Mme [S] [O] et Mme [A] [O] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté leur demande de résiliation du bail ;
1- ALORS QUE le juge doit respecter et faire respecter le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office, sans inviter les parties à présenter leurs observations, le moyen tiré de l'existence de raisons sérieuses et légitimes justifiaient le non-paiement des fermages, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.
2- ALORS QU'il revient à celui qui invoque des raisons sérieuses et légitimes de ne pas s'acquitter des fermages d'en démontrer la réalité ; qu'en retenant néanmoins qu'il n'était pas démontré que les propriétaires bailleurs aient jamais réclamé à [J] [O] de son vivant les fermages, la cour d'appel a mis à la charge des bailleurs la démonstration de l'absence de raison sérieuse et légitime de ne pas s'acquitter des fermages et a ainsi violé les articles 1353 du code civil et L. 411-31 du code rural.
3e Civ., 24 novembre 2004, pourvoi n° 03-14.570, Bull., 2004, III, n° 213 (cassation), et l'arrêt cité.
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COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 novembre 2022
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 798 FS-B
Pourvoi n° K 21-24.473
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022
1°/ M. [I] [Z],
2°/ Mme [V] [X], épouse [Z],
domiciliés tous deux [Adresse 2]
ont formé le pourvoi n° K 21-24.473 contre l'arrêt rendu le 28 octobre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [K] [C] [B],
2°/ à Mme [M] [O], épouse [C]
domiciliés tous deux [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. et Mme [Z], de la SCP Richard, avocat de M. et Mme [C], et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Boyer, Mme Grandjean conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 octobre 2021), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 23 mars 2017, pourvoi n° 16-11.081, Bull. 2017, III, n° 43), le 8 mars 2008, M. et Mme [C]-[B], propriétaires d'une maison et d'un terrain attenant, ont obtenu un permis de construire pour la réalisation d'une pergola avec abri voiture et toiture terrasse destinée à accueillir des panneaux solaires.
2. M. et Mme [Z], propriétaires du fonds voisin, ont formé un recours contre ce permis, qui a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative.
3. Ils ont demandé la démolition de la construction sur le fondement de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme et, subsidiairement, l'allocation de dommages-intérêts sur le fondement des troubles anormaux du voisinage.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche Enoncé du moyen
5. M. et Mme [Z] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de démolition de la construction édifiée par M. et Mme [C]-[B], alors « que, en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu'elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, postule que la construction soit située dans l'un des périmètres spécialement protégés, mentionnés au 1° dudit article ; que parmi ces périmètres, figurent « m) les abords des monuments historiques prévus aux articles L. 621-30 et L. 621-31 du [code du patrimoine] » ; que selon ces textes, ces abords s'entendent, en l'absence de périmètre délimité par l'autorité administrative, de la zone située à moins de cinq cent mètres du monument historique ; que la condition, qu'ils posent, tenant à ce que la construction soit visible du monument historique ou visible en même temps que lui ne vise qu'à déterminer les constructions qui, au sein de cette zone, bénéficient de la protection ; qu'en subordonnant la démolition, pour la refuser, à ce que la construction litigieuse soit visible du monument historique ou visible en même temps que lui, quand cette condition est étrangère à la définition du périmètre protégé, les juges du fond ont violé l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, ensemble les articles L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et, sauf si le tribunal est saisi par le représentant de l'Etat dans le département sur le fondement du second alinéa de l'article L. 600-6, si la construction est située dans l'une des zones limitativement énumérées par ce texte, dont les abords des monuments historiques prévus aux articles L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine.
7. La condamnation à démolir la construction édifiée en méconnaissance d'une règle d'urbanisme ou d'une servitude d'utilité publique et dont le permis de construire a été annulé est donc subordonnée à la seule localisation géographique de la construction à l'intérieur d'une zone soumise à un régime particulier de protection.
8. En vertu de l'article L. 621-30, II, du code du patrimoine, en l'absence de périmètre délimité, la protection au titre des abords des monuments historiques s'applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument ou visible en même temps que lui et situé à moins de cinq cents mètres de celui-ci.
9. La zone dans laquelle la protection au titre des abords est susceptible de s'appliquer aux immeubles visibles du monument historique ou visibles en même temps que lui étant celle qui est située à moins de cinq cents mètres du monument, toute construction édifiée dans cette zone peut être démolie dans les conditions prévues à l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme.
10. Ayant relevé qu'aucun périmètre de protection n'était délimité et que M. et Mme [Z] ne rapportaient pas la preuve que la construction était située à moins de cinq cents mètres d'un monument historique, la cour d'appel, abstraction faite de motifs erronés mais surabondants subordonnant la démolition à ce que la construction fût visible du monument historique ou visible en même temps que lui, en a déduit, à bon droit, qu'elle ne se situait pas aux abords d'un monument historique.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
12. M. et Mme [Z] font le même grief à l'arrêt, alors « que, en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu'elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, postule que la construction soit située dans l'un des périmètres spécialement protégés, mentionnés au 1° dudit article ; que parmi ces périmètres, se trouvent « i) les zones qui figurent dans les plans de prévention des risques technologiques mentionnées au 1° de l'article L. 515-16 [du code de l'environnement], celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l'article L. 562-1 du même code ainsi que celles qui figurent dans les plans de prévention des risques miniers prévus à l'article L. 174-5 du code minier, lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé » ; qu'en refusant la démolition, quand ils constataient pourtant que la construction litigieuse se situe dans une zone mentionnée comme à risque, fût-il faible, dans le Plan de Prévention des Risques Incendie de Forêt (PPRIF), où le droit de réaliser des constructions nouvelles est limité, au motif inopérant que la construction litigieuse pouvait être édifiée sans condition selon le PPRIF, les juges du fond ont violé L. 480-13 du code de l'urbanisme, ensemble l'article L. 562-1 du code de l'environnement. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 480-13, 1°, i), du code de l'urbanisme et L. 562-1, II, 1° et 2°, du code de l'environnement :
13. Selon le premier de ces textes, lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et, sauf si le tribunal est saisi par le représentant de l'Etat dans le département sur le fondement du second alinéa de l'article L. 600-6, si la construction est située dans l'une des zones limitativement énumérées par cet article, dont celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l'article L. 562-1 du code de l'environnement, lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé.
14. Aux termes du second, les plans de prévention des risques naturels prévisibles ont pour objet, en tant que de besoin :
1° De délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de la nature et de l'intensité du risque encouru, d'y interdire tout type de construction, d'ouvrage, d'aménagement ou d'exploitation agricole, forestière, artisanale, commerciale ou industrielle, notamment afin de ne pas aggraver le risque pour les vies humaines ou, dans le cas où des constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles, pourraient y être autorisés, prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités ;
2° De délimiter les zones qui ne sont pas directement exposées aux risques mais où des constructions, des ouvrages, des aménagements ou des exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux et y prévoir des mesures d'interdiction ou des prescriptions telles que prévues au 1°.
15. S'il en résulte que la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire ultérieurement annulé pour excès de pouvoir ne peut être ordonnée, lorsque la construction est située dans une zone figurant dans un plan de prévention des risques naturels prévisibles, que lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé en application des 1° ou 2° du II de l'article L. 562-1 du code de l'urbanisme, il suffit que la construction soit située dans une zone comportant de telles limitations ou interdictions, sans qu'il soit nécessaire qu'elle contrevienne elle-même à ces prescriptions.
16. Pour rejeter la demande de démolition présentée par M. et Mme [Z], la cour d'appel, qui constate que la commune de Vence est soumise à un plan de prévention des risques incendie de forêt, retient que ce plan autorise sans condition les annexes dans la section B2 et que, la construction de M. et Mme [C]-[B], située dans cette section, ayant été qualifiée d'annexe par la juridiction administrative, elle ne fait pas l'objet d'une limitation ou d'une suppression du droit d'implantation au titre du plan de prévention.
17. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts présentée par M. et Mme [Z], l'arrêt rendu le 28 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.
Condamne M. et Mme [C]-[B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [C]-[B] et les condamne à payer à M. et Mme [Z] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [Z]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par M. et Mme [Z], encourt la censure ;
EN CE QU' il a, infirmant le jugement, débouté M. et Mme [Z] de leur demande de démolition de la construction édifiée par M. et Mme [C] [B] ;
ALORS QUE, premièrement, en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu'elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, postule que la construction soit située dans l'un des périmètres spécialement protégés, mentionnés au 1° dudit article ; que parmi ces périmètres, figurent « m) les abords des monuments historiques prévus aux articles L. 621-30 et L. 621-31 du [code du patrimoine] » ; que selon ces textes, ces abords s'entendent, en l'absence de périmètre délimité par l'autorité administrative, de la zone située à moins de cinq cent mètres du monument historique ; que la condition, qu'ils posent, tenant à ce que la construction soit visible du monument historique ou visible en même temps que lui ne vise qu'à déterminer les constructions qui, au sein de cette zone, bénéficie de la protection ; qu'en subordonnant la démolition, pour la refuser, à ce que la construction litigieuse soit visible du monument historique ou visible en même temps que lui, quand cette condition est étrangère à la définition du périmètre protégé, les juges du fond ont violé l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, ensemble les articles L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine ;
ALORS QUE, deuxièmement, en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu'elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, postule que la construction soit située dans l'un des périmètres spécialement protégés, mentionnés au 1° dudit article ; que parmi ces périmètres, se trouvent « i) les zones qui figurent dans les plans de prévention des risques technologiques mentionnées au 1° de l'article L. 515-16 [du code de l'environnement], celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l'article L. 562-1 du même code ainsi que celles qui figurent dans les plans de prévention des risques miniers prévus à l'article L. 174-5 du code minier, lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé » ; qu'en refusant la démolition, quand ils constataient pourtant que la construction litigieuse se situe dans une zone mentionnée comme à risque, fût-il faible, dans le Plan de Prévention des Risques Incendie de Forêt (PPRIF), où le droit de réaliser des constructions nouvelles est limité, au motif inopérant que la construction litigieuse pouvait être édifiée sans condition selon le PPRIF, les juges du fond ont violé L. 480-13 du code de l'urbanisme, ensemble l'article L. 562-1 du code de l'environnement.
SECOND MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par M. et Mme [Z], encourt la censure ;
EN CE QU' il a débouté M. et Mme [Z] de leur demande subsidiaire de dommages et intérêts ;
ALORS QUE, premièrement, nul ne peut causer à autrui un trouble dépassant les inconvénients ordinaires du voisinage ; qu'en retenant, pour écarter tout trouble anormal de voisinage, qu'il n'y avait pas eu aggravation des vues dès lors qu'il existait déjà une vue sur la propriété de M. et Mme [Z] depuis l'emplacement de la construction litigieuse, sans s'expliquer, comme il y était invités, sur le fait qu'il existait une haie de près de trois mètres de hauteur qui obérait toute vue sur la propriété de M. et Mme [Z] depuis ledit emplacement avant qu'elle n'ait été arrachée pour les besoins des travaux, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage, ensemble les articles 544 et 651 du code civil ;
ALORS QUE, deuxièmement, le trouble anormal de voisinage peut être d'ordre purement esthétique ; qu'en décidant que le caractère inesthétique de la construction ne pouvait à lui seul justifier de l'existence d'un trouble anormal, les juges du fond ont violé le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage, ensemble les articles 544 et 651 du code civil ;
ALORS QUE, troisièmement, le juge ne peut refuser de statuer sur une contestation qui lui est soumise, sous peine de commettre un déni de justice ; qu'en objectant, pour refuser de se prononcer, que le caractère inesthétique de la construction relève de la pure subjectivité, les juges du fond ont violé l'article 4 du code civil.
3e Civ., 21 mars 2019, pourvoi n° 18-13.288, Bull., (cassation partielle).
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CASS/JURITEXT000046727356.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 décembre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1261 F-B
Pourvoi n° F 20-20.233
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2022
M. [M] [N], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 20-20.233 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2020 par la cour d'appel de Lyon (6e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Finatrans, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ghestin, avocat de M. [N], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Finatrans, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 7 juillet 2020), par ordonnance de référé en date du 8 juin 1993, M. [N] a été condamné, en sa qualité de caution solidaire de la société JP Dara, placée en liquidation judiciaire par jugement du 17 mai 1993, à payer une certaine somme à la société Finatrans (la société), laquelle a fait pratiquer une saisie-attribution sur le fondement de cette décision.
2. M. [N] a saisi un juge de l'exécution d'une contestation.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [N] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 15 mars 2019 à la requête de la société entre les mains de la Banque populaire, agence d'[Localité 3], alors « que le juge de l'exécution a compétence exclusive pour connaître des contestations élevées à l'occasion de l'exécution forcée et ce même si elles portent sur le fond du droit, telle l'extinction de la créance postérieurement au titre exécutoire qui l'a constatée ; qu'à l'appui de sa décision, la cour d'appel a estimé que le juge de l'exécution n'était pas compétent pour apprécier les causes d'extinction de la créance postérieure à la décision valant titre de créance, le juge de l'exécution ne pouvait remettre en cause le dispositif de cette décision définitive ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu ses pouvoirs, violant l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2313 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, 53, alinéa 4, de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, alors en vigueur, L. 213-6, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution :
4. ll résulte de la combinaison de ces textes que les dispositions de l'article R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution, aux termes desquelles le juge de l'exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l'exécution, ne font pas obstacle à ce qu'une caution, à l'encontre de laquelle a été pratiquée une mesure d'exécution forcée sur le fondement d'une décision l'ayant condamnée à exécuter son engagement, puisse invoquer devant le juge de l'exécution l'extinction de la créance garantie pour une cause postérieure à cette décision.
5. Pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt relève, d'abord, que le juge de l'exécution a dit qu'il ne lui appartenait pas de modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, que M. [N] critique cette motivation en faisant valoir que le juge de l'exécution doit prendre en compte les faits postérieurs à la délivrance de la décision, dès lors qu'ils auraient modifié le montant de la dette, que, se prévalant des dispositions de l'article 2313 du code civil qui autorisent la caution à se prévaloir de toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal et sont inhérentes à la dette, M. [N] soutient que sa dette est éteinte comme celle du débiteur principal à défaut de déclaration de la créance à la procédure collective en vertu de l'article L. 621-46 ancien du code de commerce, que l'ordonnance de référé du 8 juin 1993 a été rendue avant l'expiration du délai de deux mois dont bénéficiait le créancier pour déclarer sa créance et que le défaut de déclaration de celle-ci est bien un fait postérieur à la décision qui fonde les poursuites. Il retient, ensuite, que le moyen ainsi soutenu par M. [N] procède d'une analyse erronée de la compétence du juge de l'exécution pour apprécier les causes d'extinction de la créance postérieures à la décision valant titre de créance et qu'à supposer que la créance à l'encontre du débiteur principal soit éteinte à défaut de déclaration à la procédure collective de la société JP Dara, il appartenait à M. [N] de le faire valoir dans le cadre d'un appel contre l'ordonnance de référé ou d'une instance devant le juge du fond et que le juge de l'exécution ne saurait remettre en cause le dispositif de cette décision définitive.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement rendu le 28 novembre 2019 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse, il a débouté M. [N] de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution, l'arrêt rendu le 7 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne la société Finatrans aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Finatrans et la condamne à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Ghestin, avocat aux Conseils, pour M. [N]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [M] [N] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 15 mars 2019 à la requête de la société Finatrans entre les mains de la Banque Populaire, agence d'[Localité 3] ;
1°) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, M. [M] [N] soutenait que l'acte ne pouvait être signifié à domicile que si la signification à personne s'avérait impossible, l'huissier instrumentaire devant relater les diligences qu'il a accomplies pour effectuer la signification à personne et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une telle signification à personne, la simple apposition d'une croix devant une ligne préimprimée indiquant que l'huissier instrumentaire n'a « pu avoir les précisions suffisantes sur le lieu où se trouvait le destinataire » ne satisfaisant pas à ces exigences ; qu'à l'appui de sa décision, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que rien n'établit que l'huissier instrumentaire n'a pas délivré l'acte à l'adresse du domicile de M. [M] [N], cet huissier non informé de la nouvelle adresse de M. [N] ayant délivré l'acte à la dernière adresse connue de ce dernier ; qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. [N] sur l'insuffisance des mentions de l'acte permettant de caractériser l'impossibilité de le signifier à personne, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE l'acte ne peut être signifié à domicile que si la signification à personne s'avère impossible, l'huissier instrumentaire devant préciser dans l'acte les diligences qu'il a accomplies pour signifier à personne et les circonstances rendant impossible une telle signification ; qu'en déclarant valable la signification faite à domicile de l'ordonnance du 8 juin 1993 en dépit de l'absence de mentions dans l'acte des diligences accomplies par l'huissier pour signifier à personne et des circonstances rendant une telle signification impossible, la cour d'appel a violé l'article 655 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005, ensemble les articles L. 111-3 du code des procédures civiles d'exécution et 503 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE le motif hypothétique ou dubitatif équivaut à un défaut de motif ; que pour estimer que l'irrégularité de la signification de l'ordonnance du 8 juin 1993 n'aurait pas fait grief à M. [M] [N], la cour d'appel a énoncé « qu'on imagine mal que M. [N] n'ait pas réclamé cette décision » ou encore que « son avocat n'a pas dû manquer d'informer son client de la décision rendue » ; qu'en se fondant ainsi sur de tels motifs hypothétiques, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [M] [N] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 15 mars 2019 à la requête de la société Finatrans entre les mains de la Banque Populaire, agence d'[Localité 3] ;
1°) ALORS QUE le juge de l'exécution a compétence exclusive pour connaître des contestations élevées à l'occasion de l'exécution forcée et ce même si elles portent sur le fond du droit, telle l'extinction de la créance postérieurement au titre exécutoire qui l'a constatée ; qu'à l'appui de sa décision, la cour d'appel a estimé que le juge de l'exécution n'était pas compétent pour apprécier les causes d'extinction de la créance postérieure à la décision valant titre de créance, le juge de l'exécution ne pouvait remettre en cause le dispositif de cette décision définitive ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu ses pouvoirs, violant l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire ;
2°) ALORS QUE le juge ne peut, sans excéder ses pouvoirs, statuer au fond sur un moyen de défense après avoir jugé qu'elle n'avait pas de pouvoir juridictionnel pour statuer sur ce moyen ; que la cour d'appel a tout d'abord jugé que le juge de l'exécution n'avait pas le pouvoir juridictionnel pour statuer sur l'extinction de la créance du créancier saisissant avant d'estimer que le défendeur n'apportait pas la preuve du fait, ou de l'abstention du créancier, justifiant de l'extinction de sa créance ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs, violant les articles L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire et 562 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, la société Finatrans n'a non seulement pas contesté qu'elle n'avait pas produit sa créance dans la procédure collective du débiteur principal mais a même admis son défaut de déclaration de créance (concl. p. 14 point 2) ; qu'en énonçant que la société Finatrans n'avait pas « expressément reconnu » ne pas avoir déclaré sa créance à la procédure collective du débiteur principal mais qu'elle n'était pas en mesure de justifier de sa déclaration compte tenu de l'ancienneté de cette procédure, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile, ensemble le principe de l'interdiction de dénaturer les actes clairs ;
4°) ALORS EN TOUTE HYPOTHESE QUE nul ne peut être contraint de rapporter une preuve impossible d'un fait négatif ; qu'en mettant à la charge de M. [N] la preuve de ce que la société Finatrans n'avait pas produit sa créance dans la procédure collective du débiteur principal à laquelle M. [N] était tiers, outre que, selon l'arrêt attaqué lui-même, cette preuve ne pouvait pas être rapportée compte tenu de l'ancienneté de cette procédure, la cour d'appel a mis à la charge de M. [N] la preuve d'un fait négatif impossible à rapporter, violant l'article 1353 du code civil ;
5°) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, M. [N] avait fait valoir que, outre le défaut de déclaration de sa créance à la procédure collective du débiteur principal, rendant impossible sa subrogation en tant que caution de ce dernier, la société Finatrans avait omis d'exercer son action en revendication du matériel financé par le contrat de crédit-bail conclu avec ce débiteur principal et pour lequel M. [N] avait donné son cautionnement, rendant ainsi, par le fait de ce créancier, impossible la subrogation de la caution dans les droits de ce dernier, ce qui devait entraîner la décharge de cette caution, en application de l'article 2314 du code civil ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
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COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 décembre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1283 F-B
Pourvois n°
V 21-10.590
F 21-10.623 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2022
1°/ M. [S] [F],
2°/ Mme [R] [N], épouse [F],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
ont formé les pourvois n° V 21-10.590 et F 21-10.623 contre le même arrêt rendu le 15 octobre 2020 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige les opposant à la société Boursorama, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leurs pourvois, les deux moyens identiques de cassation annexés au présent arrêt.
Les dossiers on été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de M. et Mme [F], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Boursorama, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° V 21-10.590 et F 21-10.623 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 15 octobre 2020), la société Caixabank CGIB, aux droits de laquelle vient la société Caixabank France puis la société Boursorama, a, par acte notarié du 25 juillet 1989, consenti un prêt à la société Paris Ouest santé, devenue la société Centre chirurgical de [Localité 3].
3. En garantie de la créance de la banque, M. [F], selon le cas, seul ou avec Mme [F], son épouse, a consenti des cautionnements hypothécaires et un cautionnement solidaire pour le remboursement de ce prêt.
4. La société Centre chirurgical de [Localité 3] ayant été mise en redressement judiciaire, un arrêt irrévocable du 22 mars 2007 a admis la créance de la banque au passif de la procédure collective.
5. Le 19 octobre 2011, la société Boursorama a fait délivrer à M. [F] un commandement de payer valant saisie des biens immobiliers lui appartenant en vertu de la sûreté qu'il avait consentie dans l'acte de prêt.
6. Cette procédure de saisie immobilière a fait l'objet de plusieurs arrêts irrévocables, dont l'un en date du 21 novembre 2013, sur appel d'un jugement d'orientation du 28 février 2013, qui a déclaré irrecevables les demandes de M. [F] relatives au défaut de qualité à agir de la société Boursorama et a confirmé le jugement d'orientation en toutes ses dispositions.
7. Le 25 août 2016, la société Boursorama a fait procéder à une saisie-attribution sur les comptes ouverts par M. [F] dans les livres de la banque BNP Paribas.
8. M. [F] a saisi un juge de l'exécution en mainlevée de cette mesure.
Examen des moyens
Sur le moyen relevé d'office
9. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu l'article R. 311-5 du code des procédures civiles d'exécution :
10. Selon ce texte, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, aucune contestation ni aucune demande incidente ne peut, sauf dispositions contraires, être formée après l'audience d'orientation prévue à l'article R. 322-15 à moins qu'elle porte sur les actes de procédure postérieurs à celle-ci.
11. Lorsque les fins de non-recevoir soulevées à l'occasion d'une procédure de saisie immobilière ont été déclarées irrecevables sur le fondement de ce texte, cette irrecevabilité ne fait pas obstacle à ce que les mêmes fins de non-recevoir soient invoquées dans le cadre d'une autre instance.
12. Pour déclarer M. [F] irrecevable en toutes ses demandes tendant à juger la société Boursorama dépourvue de qualité et d'intérêt à agir à son encontre, l'arrêt retient que M. [F] a déjà contesté la qualité à agir de la société Boursorama en vertu de l'acte de prêt notarié du 25 juillet 1989 à l'occasion de la procédure de saisie immobilière et que ces contestations ont été irrévocablement déclarées irrecevables, en application de l'article 122 du code de procédure civile et des articles 1354, 1355 du code civil, comme se « heurtant à la force de chose jugée » attachée aux arrêts des 21 novembre 2013 et 23 juillet 2015 par la cour d'appel de Versailles, à l'arrêt du 15 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris et à l'arrêt rendu le 13 février 2020 par la Cour de cassation, qui ont tous les quatre confirmé la qualité à agir de la société Boursorama en vertu de l'acte de prêt notarié du 25 juillet 1989.
13. L'arrêt en déduit que les prétentions de M. [F] tendant à contester la qualité et l'intérêt à agir de la société Boursorama en vertu de l'acte de prêt notarié du 25 juillet 1989 dans le cadre de la saisie-attribution sont irrecevables, comme « se heurtant à la force de chose jugée. »
14. En statuant ainsi, alors que la demande tendant à juger la société Boursorama dépourvue de qualité et d'intérêt à agir à l'encontre de M. [F], en vertu de la créance de la banque au titre du prêt notarié du 25 juillet 1989, avait été déclarée irrecevable à l'occasion de la procédure de saisie immobilière au motif qu'elle avait été invoquée postérieurement à l'audience d'orientation, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déclarant M. [F] irrecevable ou mal fondé en toutes ses demandes tendant à juger la société Boursorama dépourvue de qualité et d'intérêt à agir à son encontre, entraîne par voie de conséquence la cassation des autres dispositions, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare admis aux débats les conclusions en réponse de la société Boursorama du 26 février 2020 et l'arrêt de la Cour de cassation du 13 février 2020, déclare recevables les « conclusions d'intimé n° 1 aux fins de confirmation comportant demande additionnelle » signifiées par M. et Mme [F] le 28 février 2019, et par voie de conséquence celles « d'intimé n° 2 aux fins de confirmation comportant demande additionnelle »,signifiées en février 2020, confirme le jugement entrepris en ce qu'il déclare Mme [F] irrecevable pour défaut de qualité à agir en ses prétentions concernant la régularité et le bien-fondé de la saisie-attribution pratiquée le 25 août 2016 au préjudice du seul M. [F], l'arrêt rendu le 15 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Boursorama aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Boursorama et la condamne à payer à M. [F] et à Mme [F] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens identiques produits aux pourvois n° V 21-10.590 et F 21-10.623 par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [F]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. et Mme [F] font grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré M. [S] [F] irrecevable ou mal fondé en toutes ses demandes tendant à voir juger la société Boursorama dépourvue de qualité et d'intérêt à agir à son encontre, sur le fondement de la créance de la banque au titre du prêt notarié du 25 juillet 1989 ;
1. ALORS QUE l'autorité de ce qui a été jugé dans le cadre d'une procédure de saisie immobilière ne peut être opposée dans le cadre d'une procédure de saisie-attribution distincte ; qu'en ayant déclaré M. [S] [F] irrecevable ou mal fondé en ses demandes tendant à voir juger la société Boursorama dépourvue de qualité et d'intérêt à agir à son encontre, en se fondant sur l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 21 novembre 2013 et l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 novembre 2018, pourtant rendus dans le cadre d'une procédure de saisie immobilière opposant les mêmes parties, mais totalement étrangère à la saisie-attribution en litige, la cour d'appel a violé l'article 1351 ancien, devenu l'article 1355, du code civil ;
2. ALORS QUE la chose jugée ne peut être opposée dans une seconde instance que si l'objet des demandes est identique ; qu'en ayant déclaré M. [S] [F] irrecevable ou mal fondé en ses demandes tendant à voir juger la société Boursorama dépourvue de qualité et d'intérêt à agir à son encontre, en se fondant sur l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 21 novembre 2013 et l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 novembre 2018, pourtant rendus dans le cadre d'une procédure de saisie immobilière, étrangère à la saisie attribution en cause, peu important que les parties soient les mêmes et que les deux voies d'exécution aient eu la même cause, soit aient été fondées sur l'acte de prêt du 25 juillet 1989, la cour d'appel a violé l'article 1351 ancien, devenu l'article 1355, du code civil ;
3. ALORS QU'excède ses pouvoirs le juge qui déclare une demande tout à la fois irrecevable et mal fondée ; qu'en ayant déclaré M. [S] [F] irrecevable ou mal fondé en ses demandes tendant à voir juger la société Boursorama dépourvue de qualité et d'intérêt à agir à son encontre, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs au regard de l'article 122 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. et Mme [F] font grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré M. [S] [F] irrecevable ou mal fondé en toutes ses demandes tendant à voir juger la société Boursorama dépourvue de qualité et d'intérêt à agir à son encontre, sur le fondement de la créance de la banque au titre du prêt notarié du 25 juillet 1989, D'AVOIR déclaré la saisie-attribution pratiquée le 25 août 2016 à la demande de la société Boursorama, entre les mains de la BNP Paribas, au préjudice de M. [S] [F], pris en sa qualité de caution solidaire de la SARL Centre Chirurgical de [Localité 3], ainsi que sa dénonciation du 1er septembre 2016, valables et régulières et D'AVOIR validé la mesure de saisie à hauteur de 1.752,24 € ;
1. ALORS QUE l'autorité de chose jugée de décisions rendues dans le cadre d'une procédure de saisie immobilière ne peut être invoquée dans le cadre d'un litige afférent à une saisie-attribution, même si les parties sont les mêmes et que la même créance est en jeu ; qu'en ayant jugé que les prétentions de M. [S] [F] relatives à l'annulation, la résiliation et l'extinction de son cautionnement seraient irrecevables, comme se heurtant à l'autorité de chose jugée attachée à un arrêt d'appel du 15 novembre 2018 et à un arrêt de la Cour de cassation du 13 février 2020, qui s'étaient pourtant prononcés dans le cadre d'une saisie immobilière totalement étrangère à la saisie-attribution litigieuse, la cour d'appel a violé l'article 1351 ancien, devenu l'article 1355, du code civil ;
2. ALORS QUE l'autorité de chose jugée de décisions rendues dans le cadre d'une procédure de saisie immobilière ne peut être invoquée dans le cadre d'un litige afférent à une saisie-attribution, même si les parties sont les mêmes et que la même créance est en jeu ; qu'en ayant jugé que les prétentions de M. [S] [F] relatives à l'annulation, la résiliation et l'extinction de son cautionnement seraient irrecevables, comme se heurtant à l'autorité de chose jugée des arrêts rendus les 21 novembre 2013 et 23 juillet 2015 par la cour d'appel de Versailles, le 15 novembre 2018 par la cour d'appel de Paris et le 13 février 2020 par la Cour de cassation, ayant tous confirmé la qualité à agir de la société Boursorama sur le fondement du prêt du 25 juillet 1989, quand ces décisions avaient toutes été rendues dans le cadre de la saisie immobilière diligentée contre les exposants, la cour d'appel a violé l'article 1351 ancien, devenu l'article 1355, du code civil ;
3. ALORS QUE l'autorité de chose jugée attachée à une décision d'admission de créance ne met pas obstacle à ce que la caution de l'entreprise en difficulté oppose au créancier du débiteur principal les exceptions qui lui sont propres ; qu'en ayant écarté toutes les prétentions de M. [S] [F] relatives à l'extinction de son cautionnement, en se fondant sur les décisions définitives d'admission de la créance de la banque issue du prêt du 25 juillet 1989, la cour d'appel a violé les articles 2288 et 2298 du code civil ;
4. ALORS QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les termes des actes ; qu'en ayant jugé que la résiliation de plein droit de l'acte de prêt du 25 juillet 1989 supposait l'envoi par la banque d'un courrier de déchéance du terme, quand l'article V des conditions générales du prêt stipulait clairement que le prêt serait résilié, par suite d'un seul manquement de l'emprunteur, sans aucune mise en demeure préalable, la cour d'appel a dénaturé ces conditions générales du prêt du 25 juillet 1989, en méconnaissance du principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ;
5. ALORS QUE le prononcé de la déchéance du terme d'un prêt ne suppose pas forcément une notification du prêteur ; qu'en ayant jugé le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil ;
6. ALORS QUE le réaménagement d'un prêt par avenant fait le plus souvent suite à un incident de paiement ; qu'en ayant énoncé que M. [S] [F] n'établissait pas d'incident de paiement qui aurait entraîné la déchéance du terme et la résiliation du prêt du 25 juillet 1989, quand ce fait découlait de la rédaction des avenants postérieurs de 1997 et 1999, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce ;
7. ALORS QUE le cautionnement ne peut être étendu au-delà de la dette pour la garantie de laquelle il a été souscrit ; qu'en ayant jugé que M. [S] [F] devait garantir les dettes nées des avenants de 1997 et 1999, au seul motif que la preuve n'était pas faite que la somme due par lui aurait été augmentée, quand son consentement de caution aurait dû être recueilli lors de ces avenants, la cour d'appel a violé l'article 2292 du code civil ;
8. ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; qu'en ayant considéré que M. [F] était tenu de cautionner les dettes nées des avenants de 1997 et 1999, motif pris de ce que son engagement financier n'aurait pas été aggravé par rapport au prêt initial, sans répondre aux conclusions de l'exposant (p. 27) ayant fait valoir que son engagement avait été allongé, et surtout que l'emprunt avait augmenté par incorporation au capital des échéances impayées (conclusions, p. 24), la cour d'appel a méconnu les prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile.
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CASS/JURITEXT000046727354.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 décembre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1256 FS-B+R
Pourvoi n° N 19-20.143
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2022
La société Rafy, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 19-20.143 contre l'arrêt rendu le 23 mai 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 8), dans le litige l'opposant à la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société civile immobilière Rafy, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société BNP Paribas, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Kermina, M. Delbano, Mme Vendryes, conseillers, M. Blanc, conseiller référendaire de la chambre commerciale, financière et économique, Mmes Jollec, Bohnert, Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Adida-Canac, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 mai 2019) et les productions, le 27 mai 2015, la société civile immobilière Rafy (la SCI) a fait pratiquer, en exécution de l'arrêt d'une cour d'appel, une saisie de droits d'associé et de valeurs mobilières entre les mains de la société BNP Paribas (la banque) à l'encontre de l'association Église du christianisme céleste paroisse Saint-Esprit (l'association).
2. La banque a déclaré détenir un portefeuille-titres de parts de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI).
3. Par jugement du 19 février 2016, un juge de l'exécution a débouté l'association de sa contestation de la saisie.
4. Le 17 mars 2016, la SCI a signifié ce jugement à la banque et lui a donné ordre de procéder à la vente forcée des droits d'associé et valeurs mobilières appartenant à l'association et de payer les fonds saisis.
5. La banque a indiqué à l'huissier de justice qu'en raison de leur nature, elle ne pouvait faire procéder à la vente des parts de la SCPI.
6. La SCI a établi un cahier des charges en vue de la vente par adjudication des parts de la SCPI, qu'elle a fait signifier à la banque, laquelle lui a indiqué que, s'agissant de parts de la SCPI, la vente devait être effectuée entre les mains de la société de gestion, la société BNP Reim.
7. Ayant appris, après avoir signifié le cahier des charges à la société BNP Reim, que des parts de la SCPI avaient été vendues, l'huissier de justice n'a pas donné suite à la procédure de vente forcée.
8.La SCI a assigné la banque devant un juge de l'exécution en paiement d'une certaine somme en raison de l'absence de versement du prix de la vente des titres saisis.
Examen du moyen
9. Il est statué sur ce moyen après avis de la chambre commerciale du 30 mars 2022, sollicité en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile.
Enoncé du moyen
10. La SCI fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à voir condamner la banque à lui verser les sommes de 55 060,55 euros en raison de l'absence de versement du prix de la vente des titres saisis avec intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2017 et capitalisation des intérêts et de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors :
« 1°/ que si le titulaire de valeurs nominatives a chargé un intermédiaire habilité de gérer son compte, la saisie est opérée auprès de ce dernier ; que l'acte de saisie rend indisponibles les droits pécuniaires du débiteur ; qu'en retenant que la société Bnp Paribas, en sa qualité d'intermédiaire habilité pour l'ensemble des valeurs mobilières inscrites en compte au nom du débiteur auprès duquel a été opérée la saisie n'avait pas l'obligation d'informer la société émettrice des droits d'associés et valeurs mobilières saisis de leur indisponibilité, quand l'intermédiaire habilité est tenu d'informer le mandataire de la société émettrice de la saisie pratiquée et de l'indisponibilité en résultant, la cour d'appel a méconnu les articles R. 232-3 et R. 232-8 du code des procédures civiles d'exécution ;
2°/ que l'acte de saisie rend indisponibles les droits pécuniaires du débiteur ; qu'en retenant qu'il ne peut pas être reproché à la banque le fait que le produit de la vente des droits d'associés et valeurs mobilières saisis n'ait pas été versé au créancier poursuivant, quand le produit de la vente est indisponible entre les mains de l'intermédiaire habilité pour être affecté spécialement au paiement du créancier, la cour d'appel a méconnu l'article R. 232-8 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
11. S'il résulte des dispositions des articles L. 211-14, L. 211-15, L. 211-17 et R. 211-1 du code monétaire et financier que les titres financiers sont négociables, qu'ils se transmettent par virement de compte à compte, que le transfert de leur propriété résulte de leur inscription au compte-titres de l'acquéreur et qu'ils ne sont matérialisés que par cette inscription, il ressort en revanche de l'article L. 211-14 du code monétaire et financier que les parts de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) ne sont pas négociables, et de l'article L. 214-93 du même code que le transfert de leur propriété résulte d'une inscription, non au compte-titres de l'acquéreur, mais sur le registre des associés, cette inscription étant réputée constituer l'acte de cession écrit prévu par l'article 1865 du code civil.
12. Il s'en déduit que les parts de la SCPI ne sont pas des valeurs mobilières, de sorte que les dispositions de l'article R. 232-3, alinéa 2, du code des procédures civiles d'exécution, qui s'appliquent aux seules valeurs mobilières nominatives, ne leur sont pas applicables.
13. La saisie des parts de la SCPI devant, dès lors, être effectuée, conformément aux dispositions de l'article R. 232-1 du code des procédures civiles d'exécution, entre les mains de la société émettrice de ces parts, la signification de l'acte de saisie à un intermédiaire chargé de gérer un compte-titres dans lequel ces parts ont été inscrites est dépourvue d'effet et ne rend pas indisponibles les droits pécuniaires du débiteur.
14. Aucune obligation légale ou réglementaire n'impose à cet intermédiaire d'aviser la société émettrice de cette saisie ni de représenter les fonds issus d'une vente de ces titres.
15. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt, qui a constaté que la saisie portait sur des parts de sociétés civiles de placement immobilier, se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société civile immobilière Rafy aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière Rafy et la condamne à payer à la société BNP Paribas la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour la société civile immobilière (SCI) Rafy
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté la société civile immobilière Rafy de ses demandes tendant à voir condamner la SA BNP Paribas à lui verser les sommes de 55.060,55 euros tenant à l'absence de versement du prix de la vente des titres saisis avec intérêts au taux légal à compter du 30 novembre 2017 et capitalisation des intérêts et de 5.000 à titre de dommages intérêts ;
AUX MOTIFS QUE
Cependant, comme le soutient, à bon droit l'intimée, il ne résulte pas de l'article R. 232-8 du code des procédures civiles d'exécution que la société Bnp Paribas, en sa qualité d'intermédiaire habilité pour l'ensemble des valeurs mobilières inscrites en compte au nom du débiteur auprès duquel a été opérée la saisie comme le permet l'article R. 232-4, a l'obligation d'informer la société émettrice des droits d'associés et valeurs mobilières saisis de leur indisponibilité, étant ajouté qu'il n'est pas contesté que la société Bnp Paribas a déclaré exactement à l'huissier de justice instrumentaire qu'elle détenait pour le compte du débiteur des parts des Scpi Accimo Pierre et Pierre Sélection.
Il ne peut donc lui être reproché le fait que le produit de la vente faite par la société gestionnaire des Scpi à la demande du débiteur, sans qu'il soit établi que l'intimée en ait été informée, n'a pas été versé au créancier poursuivant, étant rappelé que l'article R. 233-3 est inapplicable aux saisies de parts de la SCPi. Il sera ajouté que l'appelante n'établit pas que la société gestionnaire ait versé directement le produit de la vente à la société Bnp Paribas pour le compte de la débitrice et admet qu'il a été versé sur le compte ouvert au nom de la débitrice auprès de la banque et non directement à celle-ci.
Dès lors que la saisie portait sur des droits d'associés et valeurs mobilières non admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de gestion et que le débiteur n'avait pas informé l'huissier de justice instrumentaire, dans le délai d'un mois à compter de la saisie, conformément à l'article L. 221-3 du code des procédures civiles d'exécution, de son intention d'user de la faculté de vendre volontairement les parts saisies, il appartenait au créancier poursuivant de procéder dans les formes prévues aux articles R. 233-5 et suivants du même code et de faire établir un cahier des charges en vue de la vente des parts sur adjudication.
En l'espèce, ce n'est que le 5 octobre 2017, soit plus de seize mois après la saisie, que le cahier des charges a été signifié à la société gestionnaire des Scpi laquelle a indiqué à l'huissier les dates auxquelles les parts avaient été vendues et le nombre des parts vendues.
Il convient donc de confirmer le jugement attaqué, sans qu'il y a ait lieu de procéder aux injonctions sollicitées à titre subsidiaire, dont l'exécution ne serait pas de nature à modifier la présente décision.
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE
L'article L. 123-1 dispose que « Les tiers ne peuvent faire obstacle aux procédures engagées en vue de l'exécution ou de la conservation des créances. Ils y apportent leur concours lorsqu'ils en sont légalement requis. Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à ces obligations peut être contraint d'y satisfaire, au besoin à peine d'astreinte, sans préjudice de dommages-intérêts.
Dans les mêmes conditions, le tiers entre les mains duquel est pratiquée une saisie peut aussi être condamné au paiement des causes de la saisie, sauf recours contre le débiteur ».
En l'espèce, sont versés aux débats à l'appui de la demande
- le titre exécutoire détenu par le créancier saisissant à l'encontre de l'association Eglise du christianisme céleste, paroisse Saint Esprit, à savoir un arrêt du 19 mars 2015, par lequel ladite association a été condamnée à verser à la SCI Rafy les sommes de 72.140,74 euros, 3.000 euros au titre des frais irrépétibles, signifié le 16 avril 2015 au débiteur,
- le procès-verbal de saisie-attribution dressé le 27 mai 2015,
- la dénonciation faite à l'association Eglise du christianisme céleste, paroisse Saint Esprit, par acte du 1er juin 2015,
- le jugement rejetant la contestation du débiteur,
- la signification de ce jugement au tiers saisi.
Il apparaît ainsi que la procédure de saisie est régulière.
Cependant, il ressort, par ailleurs, des explications et pièces mêmes de la demanderesse que ce n'est nullement le tiers saisi qui a été informé par le débiteur de son souhait de vendre les parts de la SCPI et les a vendues mais la société de gestion, établissement autonome, aucun manquement à ses obligations ne pouvant ainsi être retenu de la part de la défenderesse qui a précisé au créancier ne pouvoir les vendre elle-même et quelle société le pouvait en lui donnant ses coordonnées, son courrier du 28 septembre 2017 démontrant qu'elle n'a pas été tenue informée par la société de gestion des ventes et versements successifs.
ALORS DE PREMIERE PART QUE si le titulaire de valeurs nominatives a chargé un intermédiaire habilité de gérer son compte, la saisie est opérée auprès de ce dernier ; que l'acte de saisie rend indisponibles les droits pécuniaires du débiteur ; qu'en retenant que la société Bnp Paribas, en sa qualité d'intermédiaire habilité pour l'ensemble des valeurs mobilières inscrites en compte au nom du débiteur auprès duquel a été opérée la saisie n'avait pas l'obligation d'informer la société émettrice des droits d'associés et valeurs mobilières saisis de leur indisponibilité, quand l'intermédiaire habilité est tenu d'informer le mandataire de la société émettrice de la saisie pratiquée et de l'indisponibilité en résultant, la cour d'appel a méconnu les articles R. 232-3 et R. 232-8 du code des procédures civiles d'exécution ;
ALORS DE SECONDE PART QUE l'acte de saisie rend indisponibles les droits pécuniaires du débiteur ; qu'en retenant qu'il ne peut pas être reproché à la banque le fait que le produit de la vente des droits d'associés et valeurs mobilières saisis n'ait pas été versé au créancier poursuivant, quand le produit de la vente est indisponible entre les mains de l'intermédiaire habilité pour être affecté spécialement au paiement du créancier, la cour d'appel a méconnu l'article R. 232-8 du code des procédures civiles d'exécution.
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CASS/JURITEXT000046727350.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 décembre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1253 FS-B+R
Pourvoi n° C 21-16.186
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2022
Mme [V] [C], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 21-16.186 contre l'arrêt rendu le 4 février 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 5), dans le litige l'opposant à l'association Coordination des oeuvres sociales et médicales, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de l'association Centre dentaire Nord [Localité 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [C], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de l'association Coordination des oeuvres sociales et médicales, venant aux droits de l'association Centre dentaire Nord [Localité 3], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, M. Delbano, Mme Vendryes, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 février 2021), Mme [C], représentée par un défenseur syndical, a relevé appel, le 5 avril 2019, d'un jugement d'un conseil de prud'hommes la déboutant de ses demandes dans un litige l'opposant à l'association Centre dentaire Nord [Localité 3] aux droits de laquelle se trouve l'association Coordination des oeuvres sociales et médicales (l'association).
2. L'association intimée a soulevé l'absence d'effet dévolutif de l'acte d'appel qui ne mentionnait pas les chefs critiqués du jugement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Mme [C] fait grief à l'arrêt de constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel interjeté le 5 avril 2019 et l'absence de saisine de la cour, alors « que les limitations apportées au droit d'accès au juge doivent être proportionnées à l'objectif visé ; qu'en l'espèce, pour considérer qu'elle n'était saisie d'aucune demande en l'absence d'effet dévolutif de l'appel, la cour d'appel a retenu que la déclaration d'appel effectuée par le représentant syndical de Mme [C] ne mentionnait pas les chefs de jugement critiqués et que dès lors, elle ne permettait pas à l'effet dévolutif de jouer, en l'absence de régularisation ultérieure par une nouvelle déclaration d'appel dans la mesure où elle ne pouvait être regardée comme emportant la critique de l'intégralité des chefs du jugement ni être régularisée par des conclusions au fond prises dans le délai requis énonçant les chefs critiqués du jugement ; qu'elle a ensuite écarté le caractère indivisible de l'objet du litige ainsi que l'existence d'une demande d'annulation du jugement ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, si, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'application des règles de l'effet dévolutif de l'appel ne portait pas atteinte à la substance du droit d'accès au juge au sens de l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme, dès lors qu'elle constatait que l'appelante n'était pas représentée par un professionnel du droit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 901, 562 du code de procédure civile ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. L'association soulève l'irrecevabilité du moyen, le défenseur syndical ne s'étant pas prévalu de ce que, faute de représentation de l'appelant par un professionnel du droit, il y aurait atteinte à son droit d'accès au juge à priver la déclaration d'appel, méconnaissant l'article 901, alinéa 1er, 4°, du code de procédure civile, d'effet dévolutif.
5. Cependant, le moyen, qui est de pur droit, est recevable.
Bien-fondé du moyen
6. Il résulte des articles R. 1461-2 et R. 1461-1, alinéas 2 et 3, du code du travail, dans leur version issue du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 applicable aux instances d'appel introduites depuis le 1er août 2016, que dans la procédure d'appel du jugement des conseils de prud'hommes, soumise aux règles de la représentation obligatoire, les parties peuvent être représentées par un avocat ou par un défenseur syndical.
7. Selon l'article L. 1453-4, alinéa 2, du code du travail, le défenseur syndical est inscrit sur une liste arrêtée par l'autorité administrative sur proposition des organisations d'employeurs et de salariés. Selon l'article D. 1453-2-1 du même code, il est sélectionné en fonction de son expérience des relations professionnelles et de ses connaissances du droit social.
8. Il résulte de l'article L. 1453-7 de ce code que le défenseur syndical reçoit une formation obligatoire qui donne lieu à autorisation d'absence pour l'exercice de son mandat. En application de l'article D. 1453-2-5, alinéa 3, du même code, sauf à justifier d'un motif légitime, le défenseur syndical, qui n'exerce pas sa mission pendant un an, est retiré d'office de la liste des défenseurs syndicaux.
9. Selon l'article L. 1453-8 de ce code, le défenseur syndical est tenu à une obligation de discrétion à l'égard des informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par la personne qu'il assiste ou représente ou par la partie adverse dans le cadre d'une négociation. La méconnaissance de cette obligation peut entraîner la radiation de la liste.
10. Selon l'article L. 1453-9 du même code, lorsqu'il est salarié, le défenseur syndical bénéficie du statut de salarié protégé.
11. Ces dispositions qui concernent le défenseur syndical sont destinées à offrir au justiciable représenté par celui-ci des garanties équivalentes à celles du justiciable représenté par un avocat quant au respect des droits de la défense et de l'équilibre des droits des parties.
12. Sous réserve des dispositions des articles 930-2 et 930-3 du code de procédure civile, il résulte de l'article R. 1461-2, alinéa 3, du code du travail que le défenseur syndical accomplit valablement les actes mis à la charge de l'avocat, de même que ceux destinés à l'avocat sont valablement accomplis auprès du défenseur syndical.
13. Il s'ensuit que le défenseur syndical, que choisit l'appelant pour le représenter, s'il n'est pas un professionnel du droit, n'en est pas moins à même d'accomplir les formalités requises par la procédure d'appel avec représentation obligatoire sans que la charge procédurale en résultant présente un caractère excessif de nature à porter atteinte au droit d'accès au juge garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
15. Mme [C] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la régularisation de la déclaration d'appel ne peut pas intervenir après l'expiration du délai imparti à l'appelant pour conclure conformément aux articles 910-4, alinéa 1, et 954, alinéa 1, du code de procédure civile ; que l'exposante faisait valoir dans sa note en délibéré du 19 novembre 2020 que le Centre dentaire [Localité 3] n'avait invoqué l'absence d'effet dévolutif de l'appel que très tardivement, ses premières conclusions du 12 septembre 2019 ne mentionnant pas cette irrecevabilité ; qu'en se bornant à relever l'absence de régularisation ultérieure par une nouvelle déclaration d'appel sans rechercher, ainsi qu'il y était invitée, si l'absence d'effet dévolutif de l'appel avait été opposée à l'appelante à une date où une régularisation par le dépôt d'une nouvelle déclaration d'appel était devenue impossible et partant, s'il était porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 901, 562 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
16. L'association soulève l'irrecevabilité du moyen, le défenseur syndical ne s'étant pas prévalu de ce qu'il y aurait atteinte au droit d'accès au juge de l'appelant à soulever l'absence d'effet dévolutif lorsque la régularisation de la déclaration d'appel n'est plus possible.
17. Cependant, le moyen, qui est de pur droit, est recevable.
Bien-fondé du moyen
18. Il ne résulte d'aucun texte que l'absence d'effet dévolutif consécutif à l'inobservation des dispositions de l'article 901, alinéa 1er, 4°, du code de procédure civile doive être soulevée par la partie intimée avant l'expiration du délai imparti à l'appelant pour conclure, durant lequel la possibilité lui est ouverte de régulariser la déclaration d'appel.
19. Cette règle ne prive pas l'appelant du droit d'accès au juge dès lors il a été mis en mesure d'effectuer cette régularisation indépendamment de tout incident soulevé par l'intimé.
20. Il s'ensuit qu'il ne saurait être reproché à la cour d'appel de s'être abstenue d'effectuer une recherche inopérante.
21. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [C] et la condamne à payer à l'association Coordination des oeuvres sociales et médicales la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme [C]
Mme [C] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR constaté l'absence d'effet dévolutif de l'appel qu'elle a interjeté le 5 avril 2019 et l'absence de saisine de la cour.
1° ALORS QUE les limitations apportées au droit d'accès au juge doivent être proportionnées à l'objectif visé ; qu'en l'espèce, pour considérer qu'elle n'était saisie d'aucune demande en l'absence d'effet dévolutif de l'appel, la cour d'appel a retenu que la déclaration d'appel effectuée par le représentant syndical de Mme [C] ne mentionnait pas les chefs de jugement critiqués et que dès lors, elle ne permettait pas à l'effet dévolutif de jouer, en l'absence de régularisation ultérieure par une nouvelle déclaration d'appel dans la mesure où elle ne pouvait être regardée comme emportant la critique de l'intégralité des chefs du jugement ni être régularisée par des conclusions au fond prises dans le délai requis énonçant les chefs critiqués du jugement ; qu'elle a ensuite écarté le caractère indivisible de l'objet du litige ainsi que l'existence d'une demande d'annulation du jugement ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, si, dans les circonstances particulières de l'espèce, l'application des règles de l'effet dévolutif de l'appel ne portait pas atteinte à la substance du droit d'accès au juge au sens de l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme, dès lors qu'elle constatait que l'appelante n'était pas représentée par un professionnel du droit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 901, 562 du code de procédure civile ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
2° ALORS QUE la régularisation de la déclaration d'appel ne peut pas intervenir après l'expiration du délai imparti à l'appelant pour conclure conformément aux articles 910-4, alinéa 1, et 954, alinéa 1, du code de procédure civile ; que l'exposante faisait valoir dans sa note en délibéré du 19 novembre 2020 que le Centre dentaire [Localité 3] n'avait invoqué l'absence d'effet dévolutif de l'appel que très tardivement, ses premières conclusions du 12 septembre 2019 ne mentionnant pas cette irrecevabilité ; qu'en se bornant à relever l'absence de régularisation ultérieure par une nouvelle déclaration d'appel sans rechercher, ainsi qu'il y était invitée, si l'absence d'effet dévolutif de l'appel avait été opposée à l'appelante à une date où une régularisation par le dépôt d'une nouvelle déclaration d'appel était devenue impossible et partant, s'il était porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 901, 562 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
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COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 décembre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1254 FS-B
Pourvoi n° E 21-16.487
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2022
M. [D] [H], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-16.487 contre l'arrêt rendu le 16 mars 2021 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale - section A civile), dans le litige l'opposant à la société EDF, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de Me Bertrand, avocat de M. [H], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société EDF, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, M. Delbano, Mme Vendryes, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 16 mars 2021), M. [H], représenté par un défenseur syndical, a interjeté appel, le 1er juillet 2020, d'une ordonnance de référé rendue par le président d'un conseil de prud'hommes dans un litige l'opposant à la société EDF.
2. M. [H] a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du président de la chambre saisie ayant prononcé la caducité de la déclaration d'appel sur le fondement de l'article 905-2 du code de procédure civile.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [H] fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance ayant prononcé la caducité de la déclaration d'appel et de le débouter de l'intégralité de ses demandes, alors « que le principe de l'égalité des armes, tel qu'il résulte du droit à un procès équitable, interdit qu'une partie au procès soit placée dans une situation plus avantageuse que la situation occupée par son adversaire ; qu'en retenant que, « par sa simplicité et son caractère peu onéreux », la remise par les défenseurs syndicaux de leurs actes de procédure au moyen d'un dépôt au greffe ou d'une lettre recommandée ne les place pas « dans une situation de net désavantage par rapport aux avocats », lesquels peuvent adresser leurs actes par voie électronique, quand le désavantage réside, non pas dans la complexité ou le coût du procédé, mais dans la rapidité de transmission qui bénéficie aux avocats, la cour d'appel, qui n'a pas pris en considération ce désavantage, a violé le principe d'égalité des armes entre les défenseurs syndicaux et les avocats, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
5. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH, 24 avril 2003, Yvon c. France, n° 44962/98, § 31), le principe de l'égalité des armes est l'un des éléments de la notion plus large de procès équitable, au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il exige un juste équilibre entre les parties, chacune d'elles devant se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires.
6. L'obligation impartie aux défenseurs syndicaux, en matière prud'homale, de remettre au greffe les actes de procédure, notamment les premières conclusions d'appelant, ou de les lui adresser par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ne crée pas de rupture dans l'égalité des armes, dès lors qu'il n'en ressort aucun net désavantage au détriment des défenseurs syndicaux auxquels sont offerts, afin de pallier l'impossibilité de leur permettre de communiquer les actes de procédure par voie électronique dans des conditions conformes aux exigences posées par le code de procédure civile, des moyens adaptés de remise de ces actes dans les délais requis.
7. La cour d'appel, qui a exactement retenu que l'obligation pour les défenseurs syndicaux de remettre au greffe leurs actes de procédure ou de les lui adresser par lettre recommandée avec accusé de réception, excluant ainsi leur envoi par télécopie ou courriel, ne faisait que tirer les conséquences de l'impossibilité pour eux d'accéder au RPVA, en a à juste titre déduit que ces modalités de remise des actes de procédure, par leur simplicité et leur caractère peu onéreux, ne plaçait pas les défenseurs syndicaux dans une situation de net désavantage par rapport aux avocats.
8. Ayant constaté que M. [H] avait reçu l'avis de fixation de l'affaire à bref délai le 22 août 2020 et que, dans le délai prévu par l'article 905-2 du code de procédure civile expirant le 22 septembre 2020, il n'avait remis aucune conclusion au greffe et qu'il ne rapportait pas la preuve d'un envoi postal ou d'un cas de force majeure de nature à l'exonérer de son obligation, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [H] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [H] et le condamne à payer à la société EDF la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Bertrand, avocat aux Conseils, pour M. [H]
M. [D] [H] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance du 1er octobre 2020 du conseiller chargé de la mise en état ayant prononcé la caducité de son appel et de l'avoir débouté de l'intégralité de ses demandes,
ALORS, d'une part, QUE le principe de l'égalité des armes, tel qu'il résulte du droit à un procès équitable, interdit qu'une partie au procès soit placée dans une situation plus avantageuse que la situation occupée par son adversaire ; qu'en retenant que, « par sa simplicité et son caractère peu onéreux », la remise par les défenseurs syndicaux de leurs actes de procédure au moyen d'un dépôt au greffe ou d'une lettre recommandée ne les place pas « dans une situation de net désavantage par rapport aux avocats », lesquels peuvent adresser leurs actes par voie électronique, quand le désavantage réside, non pas dans la complexité ou le coût du procédé, mais dans la rapidité de transmission qui bénéficie aux avocats, la cour d'appel, qui n'a pas pris en considération ce désavantage, a violé le principe d'égalité des armes entre les défenseurs syndicaux et les avocats, ensemble l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
ALORS, d'autre part, QUE dans ses écritures d'appel (p. 4), M. [H] mettait en cause une carence imputable au service Chronopost, qui n'avait pas assumé ses obligations contractuelles ; qu'en affirmant que M. [H] ne rapportait pas la preuve d'une défaillance du service postal, sans répondre à ces écritures, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
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COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 décembre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1270 F-B
Pourvoi n° K 20-22.468
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2022
La société Demander justice, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° K 20-22.468 contre l'arrêt rendu le 20 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ au Conseil national des barreaux, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à l'ordre des avocats du barreau de Paris, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de la société Demander justice, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat du Conseil national des barreaux, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 octobre 2020), la société Demander justice (la société) exploite deux sites Internet qui mettent à la disposition des internautes, moyennant rémunération, des déclarations de saisine d'un tribunal d'instance, d'une juridiction de proximité ou d'un conseil de prud'hommes, pouvant être complétées en ligne avec les informations utiles et étant ensuite adressées par la société en format papier au greffe de la juridiction.
2. Le Conseil national des barreaux (le CNB), auquel s'est ultérieurement joint le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Paris, a assigné la société aux fins d'obtenir sa condamnation sous astreinte à cesser toute activité d'assistance et de représentation en justice, de consultation juridique et de rédaction d'actes sous seing privé, et à cesser l'exploitation des sites Internet litigieux.
3. Par arrêt du 6 novembre 2018, la cour d'appel de Paris a pour partie confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 11 janvier 2017 les ayant déboutés de ces demandes et, infirmant partiellement ce jugement, elle a enjoint à la société de faire disparaître de son site, dans le mois de la signification de l'arrêt, les mentions relatives aux taux de réussite, sauf à en mentionner précisément les modalités de calcul et lui a fait interdiction d'utiliser ensemble sur son site les trois couleurs du drapeau français, ces deux injonctions étant assorties d'une astreinte de 5 000 euros par jour de retard, passé un délai d'un mois après la signification de la décision.
4. Par décision du 29 janvier 2020, le juge de l'exécution a liquidé l'astreinte pour la période du 14 mars au 6 novembre 2019.
5. La société a fait appel de cette décision et, par requête du 4 février 2020, elle a saisi la cour d'appel d'une demande tendant à voir retrancher de l'arrêt du 6 novembre 2018 les deux dispositions d'injonction et interdiction assorties des astreintes liquidées par le juge de l'exécution, pour lesquelles elle estimait que la cour d'appel avait statué au-delà de ce qui lui était demandé.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'arrêt de dire irrecevable comme tardive sa requête en retranchement et en annulation du 4 février 2020, alors :
« 1°/ que le droit au recours effectif implique qu'aucun délai ne saurait courir contre un justiciable pour former un recours contre une décision avant que cette décision ait été portée à sa connaissance ; que la société Demander Justice faisait valoir que l'arrêt du 6 novembre 2018 ne lui avait été signifié que le 5 février 2019, de sorte que sa requête en retranchement formée le 4 février 2020 l'avait été dans le délai d'un an à compter de la signification ; qu'en retenant néanmoins, pour juger sa requête irrecevable comme tardive, qu'elle avait été formée plus d'un an après le prononcé de la décision, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que le délai pour exercer le recours prévu par l'article 464 du code de procédure civile contre une décision ayant prononcé une astreinte ne peut courir qu'à compter de la date de signification qui rend cette décision exécutoire ; qu'en jugeant irrecevable comme tardive la requête en retranchement formée par la société Demander Justice au motif qu'elle avait été formée plus d'un an après le prononcé de la décision concernée, bien que les condamnations que celle-ci prononçait aient été assorties d'astreintes ne commençant par conséquent à courir que postérieurement à la signification, la cour d'appel a violé l'article 464 du code de procédure civile, ensemble l'article R. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
7. Le CNB conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que celui-ci est nouveau et mélangé de fait et de droit.
8. Toutefois, le moyen est de pur droit dès lors qu'il invoque une atteinte à la substance même du droit d'accès au juge et ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.
9. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
10. En application des articles 463 et 464 du code de procédure civile, la demande tendant à faire rectifier la décision par laquelle le juge s'est prononcé sur des choses non demandées ou a accordé plus qu'il n'a été demandé, doit être présentée un an au plus tard après que la décision est passée en force de chose jugée ou en cas de pourvoi en cassation de ce chef, à compter de l'arrêt d'irrecevabilité.
11. Cependant la force de chose jugée attachée à une décision judiciaire dès son prononcé ne peut avoir pour effet de priver une partie d'un droit tant que cette décision ne lui a pas été notifiée.
12. L'arrêt relève que l'arrêt du 6 novembre 2018 a été porté à la connaissance de la société par la signification du 5 février 2019. Il en résulte que celle-ci disposait d'un délai de 9 mois, courant jusqu'au 6 novembre 2019 pour agir en rectification de la décision.
13. Par ce motif de pur droit, substitué d'office à ceux critiqués par le moyen, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve, dès lors que la société a disposé d'un recours effectif, légalement justifié.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Demander justice aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Demander justice et la condamne à payer au Conseil national des barreaux la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour la société Demander justice
La société Demander Justice fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit irrecevable comme tardive sa requête en retranchement et en annulation du 4 février 2020 ;
1°- ALORS QUE le droit au recours effectif implique qu'aucun ne saurait courir contre un justiciable pour former un recours contre une décision avant que cette décision ait été portée à sa connaissance ; que la société Demander Justice faisait valoir que l'arrêt du 6 novembre 2018 ne lui avait été signifié que le 5 février 2019, de sorte que sa requête en retranchement formée le 4 février 2020 l'avait été dans le délai d'un an à compter de la signification ; qu'en retenant néanmoins, pour juger sa requête irrecevable comme tardive, qu'elle avait été formée plus d'un an après le prononcé de la décision, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°- ALORS QUE le délai pour exercer le recours prévu par l'article 464 du code de procédure civile contre une décision ayant prononcé une astreinte ne peut courir qu'à compter de la date de signification qui rend cette décision exécutoire ; qu'en jugeant irrecevable comme tardive la requête en retranchement formée par la société Demander Justice au motif qu'elle avait été formée plus d'un an après le prononcé de la décision concernée, bien que les condamnations que celle-ci prononçait aient été assorties d'astreintes ne commençant par conséquent à courir que postérieurement à la signification, la cour d'appel a violé l'article 464 du code de procédure civile, ensemble l'article R. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution.
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COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 décembre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1269 F-B
Pourvoi n° J 21-14.145
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2022
M. [K] [C], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 21-14.145 contre l'arrêt rendu le 26 juin 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre civile TGI), dans le litige l'opposant au procureur général près la cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion, domicilié en son parquet général [Adresse 1], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [C], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 26 juin 2020), par jugement réputé contradictoire du 5 septembre 2018, sur assignation délivrée par le procureur de la république, un tribunal de grande instance a annulé l'enregistrement de la déclaration de nationalité française de M. [C] et dit qu'il n'est pas de nationalité française.
2. M. [C] a relevé appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [C] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de nullité de l'assignation et d'annuler l'enregistrement n°00235/16 intervenu le 6 janvier 2016, de la déclaration de nationalité française auprès de la préfecture, souscrite le 23 avril 2015, et de dire qu'il n'est pas de nationalité française, alors « que lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte ; qu'en se bornant à énoncer que « à ce jour, aucune personne répondant à l'identification du destinataire de l'acte n'y a son domicile. À l'adresse indiquée dans l'acte, l'intéressé n'y demeure plus. La boîte à lettres est pleine de courrier et le voisinage m'indique que l'intéressé a quitté les lieux. Ne figure pas sur les Pages Blanches de l'annuaire électronique sur internet » et que ces diligences devaient être jugées suffisantes, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. [C] n'avait pas un lieu de travail connu, la cour d'appel, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 659 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 654, 655 et 659, aliéna 1er, du code de procédure civile :
5. Il résulte des deux premiers de ces textes que lorsqu'il n'a pu s'assurer de la réalité du domicile du destinataire de l'acte et que celui-ci est absent, l'huissier de justice est tenu de tenter une signification à personne sur son lieu de travail.
6. Il résulte du troisième que lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte.
7. Pour rejeter la demande d'annulation de l'assignation, l'arrêt retient que l'huissier de justice a pu constater qu'aucune personne répondant à l'identification du destinataire de l'acte n'a son domicile à l'adresse indiquée dans l'acte, que l'intéressé n'y demeure plus, que la boîte à lettres est pleine de courrier, que le voisinage lui indique que l'intéressé a quitté les lieux et qu'il ne figure pas sur les pages blanches de l'annuaire électronique sur internet.
8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le destinataire de l'acte avait un lieu de travail connu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le deuxième moyen, pris en sa septième branche
Enoncé du moyen
9. M. [C] fait le même grief à l'arrêt, alors « que nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ; qu'en se bornant à affirmer que M. [C] n'a pu concevoir aucun grief sur la remise de l'assignation suivant cette forme puisque l'acte mentionnait qu'une copie avait été envoyée au destinataire à cette adresse par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ainsi qu'un avis par lettre simple, cette dernière formalité étant requise dans l'hypothèse d'un dépôt de l'acte à l'étude de l'huissier en cas d'impossibilité de remise à domicile, conformément aux dispositions des articles 655, alinéa 5, et 656, alinéa 1er , du code de procédure civile, sans rechercher si M. [C], qui ne s'était pas défendu en première instance, avait effectivement reçu ces documents de sorte qu'il aurait été en mesure de connaître la procédure engagée par le ministère public à son encontre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 14, 114 et 659 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 114 et 659, alinéa 2 et 3, du code de procédure civile :
10. L'insuffisance de mention des diligences de l'huissier de justice constitue un vice de forme qui n'entraîne la nullité de la signification que sur la démonstration par celui qui l'invoque d'un grief.
11. Selon l'article 659, alinéa 2 et 3, du code de procédure civile, le jour de la signification ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l'huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l'acte objet de la signification. Le jour même, l'huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l'accomplissement de cette formalité.
12. Pour rejeter la demande de nullité de l'assignation, l'arrêt retient que M. [C] n'a pu concevoir aucun grief sur la remise de l'assignation suivant cette forme puisque l'acte mentionne qu'une copie a été envoyée au destinataire à cette adresse par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ainsi qu'un avis par lettre simple, cette dernière formalité étant requise dans l'hypothèse d'un dépôt de l'acte à l'étude de l'huissier de justice en cas d'impossibilité de remise à domicile, conformément aux dispositions des articles 655, alinéa 5, et 656, alinéa 1er, du code de procédure civile.
13. En se déterminant ainsi, sans rechercher si le dépôt de l'avis de passage et l'envoi de la lettre simple avaient été réceptionnés par leur destinataire, la cour d'appel, qui ne pouvait ainsi en déduire que M. [C], qui n'avait pas comparu devant le tribunal de grande instance, avait été avisé de la signification effectuée en application des alinéas 2 et 3 de l'article 659 du code de procédure civile et, partant, l'absence de grief, n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion autrement composée ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Zribi et Texier, avocat aux Conseils, pour M. [C]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Monsieur [K] [W] [C] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté Monsieur [K] [W] [C] de sa demande de nullité de l'assignation et d'Avoir, en conséquence, annulé l'enregistrement n°00235/16 intervenu le 6 janvier 2016, de la déclaration de nationalité française auprès de la préfecture, souscrite le 23 avril 2015, par Monsieur [K] [W] [C] et dit que Monsieur [K] [W] [C] n'est pas de nationalité française,
ALORS QUE lorsqu'il est partie principale, le ministère public doit être présent à l'audience ; qu'il ne résulte ni des mentions de la décision ni des pièces du dossier que le ministère public aurait été présent lors de l'audience ; qu'en statuant dans ces conditions, la cour d'appel a violé l'article 431 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
Monsieur [K] [W] [C] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté Monsieur [K] [W] [C] de sa demande de nullité de l'assignation et d'Avoir, en conséquence, annulé l'enregistrement n°00235/16 intervenu le 6 janvier 2016, de la déclaration de nationalité française auprès de la préfecture, souscrite le 23 avril 2015, par Monsieur [K] [W] [C] et dit que Monsieur [K] [W] [C] n'est pas de nationalité française,
1°) ALORS QUE lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte ; qu'en se bornant à énoncer que « à ce jour, aucune personne répondant à l'identification du destinataire de l'acte n'y a son domicile. À l'adresse indiquée dans l'acte, l'intéressé n'y demeure plus. La boîte à lettres est pleine de courrier et le voisinage m'indique que l'intéressé a quitté les lieux. Ne figure pas sur les Pages Blanches de l'annuaire électronique sur internet » et que ces diligences devaient être jugées suffisantes, sans rechercher, comme elle y était invitée, si Monsieur [C] n'avait pas un lieu de travail connu (conclusions, p. 7 et 11), la cour d'appel, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 659 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en tout état de cause, en considérant que les diligences de l'huissier étaient suffisantes, alors qu'il résultait de ses propres constatations que l'acte de signification ne comportait aucune mention relatant les diligences accomplies par l'huissier de justice pour rechercher le lieu de travail de la destinataire de l'acte, la cour d'appel a violé l'article 659 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'en se bornant à énoncer que « à ce jour, aucune personne répondant à l'identification du destinataire de l'acte n'y a son domicile, à l'adresse indiquée dans l'acte, l'intéressé n'y demeure plus, la boîte à lettres est pleine de courrier et le voisinage m'indique que l'intéressé a quitté les lieux, ne figure pas sur les pages blanches de l'annuaire électronique sur internet » et que ces diligences devaient être jugées suffisantes, motifs impropres à justifier de ce que l'huissier aurait accompli des diligences suffisantes pour rechercher le destinataire de l'acte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 659 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE lorsque la personne à qui l'acte doit être signifié n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l'huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu'il a accomplies pour rechercher le destinataire de l'acte ; qu'en se bornant à citer, en tant que diligences accomplies par l'huissier, le fait que M. [C] ne figure pas dans les pages blanches, sans préciser en quoi ces diligences seraient suffisantes, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 659 du code de procédure civile ;
5°) ALORS QU'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si l'huissier n'aurait pas pu solliciter les services de police ou de gendarmerie, les services de la mairie, les opérateurs téléphoniques, ou le moteur de recherche google pour s'assurer du domicile de Monsieur [C] (conclusions, p. 10) la cour d'appel, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 659 du code de procédure civile ;
6°) ALORS QU'en retenant que le ministère public devait être réputé n'avoir pas conclu, en l'absence de dépôt de ses conclusions par voie électronique, et en relevant d'office le moyen tiré de ce que Monsieur [C] n'a pu concevoir aucun grief sur la remise de l'assignation suivant la forme de la signification puisque l'acte mentionnait qu'une copie avait été envoyée au destinataire à cette adresse par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ainsi qu'un avis par lettre simple, cette dernière formalité étant requise dans l'hypothèse d'un dépôt de l'acte à l'étude de l'huissier en cas d'impossibilité de remise à domicile, conformément aux dispositions des articles 655 alinéa 5 et 656 alinéa 1er du code de procédure civile, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu'elle envisageait de relever d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
En tout état de cause,
7°) ALORS QUE nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ; qu'en se bornant à affirmer que Monsieur [C] n'a pu concevoir aucun grief sur la remise de l'assignation suivant cette forme puisque l'acte mentionnait qu'une copie avait été envoyée au destinataire à cette adresse par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ainsi qu'un avis par lettre simple, cette dernière formalité étant requise dans l'hypothèse d'un dépôt de l'acte à l'étude de l'huissier en cas d'impossibilité de remise à domicile, conformément aux dispositions des articles 655 alinéa 5 et 656 alinéa 1er du code de procédure civile, sans rechercher si Monsieur [C], qui ne s'était pas défendu en première instance, avait effectivement reçu ces documents de sorte qu'il aurait été en mesure de connaître la procédure engagée par le ministère public à son encontre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 14, 114 et 659 du code de procédure civile ;
8°) ALORS QUE nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée ; qu'en énonçant que Monsieur [C] n'a pu concevoir aucun grief sur la remise de l'assignation suivant cette forme puisque l'acte mentionnait qu'une copie avait été envoyée au destinataire à cette adresse par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ainsi qu'un avis par lettre simple, cette dernière formalité étant requise dans l'hypothèse d'un dépôt de l'acte à l'étude de l'huissier en cas d'impossibilité de remise à domicile, conformément aux dispositions des articles 655 alinéa 5 et 656 alinéa 1er du code de procédure civile, et en statuant ainsi par des motifs tirés d'une réception théorique de l'assignation, impropres à exclure tout grief, la cour d'appel a violé les articles 14, 114 et 659 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
Monsieur [K] [W] [C] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR annulé l'enregistrement n° 00235/16, intervenu le 6 janvier 2016, de la déclaration de nationalité française auprès de la Préfecture de la Réunion, souscrite le 23 avril 2015 par Monsieur [K] [W] [C], dit que Monsieur [K] [W] [C] n'est pas de nationalité française et ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil ;
1°) ALORS QUE l'irrecevabilité des conclusions emporte celle des pièces produites à leur appui ; qu'en considérant que le ministère public devait être regardé comme n'ayant pas conclu, ses conclusions n'ayant pas été transmises à la juridiction par voie électronique, en méconnaissance de l'article 930-1 du code de procédure civile, tout en tenant compte des pièces qu'il avait produites devant elle, la cour d'appel a violé les articles 906 et 930-1 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en considérant que le ministère public devait être regardé comme n'ayant pas conclu, ses conclusions n'ayant pas été déposées par voie électronique, tout en se fondant sur l'argumentation développée dans ces dernières, la cour d'appel a violé l'article 930-1 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'en tout état de cause, une interruption de la vie commune suivie de sa reprise ne fait pas perdre à l'étranger le droit d'acquérir la nationalité française de son conjoint ; qu'en estimant que si Monsieur [K] [W] [C] établit qu'il n'a jamais quitté le domicile conjugal dont son épouse a été chassée en 2013, en témoignent les factures des divers abonnements et les avis d'imposition, pour autant la preuve de la reprise effective de la vie commune au sens des dispositions de l'article 215 du Code civil, c'est-à-dire dans ses aspects matériels, moraux et affectifs, n'est pas rapportée, l'échéance d'un crédit commun au 7 avril 2016 sans autre indication de la date de souscription ne pouvant à cet égard avoir une portée significative, sans viser ni analyser, fut ce sommairement, l'attestation de communauté de vie signée par les époux, et produite devant elle, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
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CASS/JURITEXT000046727348.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 décembre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1252 FS-B
Pourvoi n° N 21-10.744
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2022
1°/ la société Leader Menton, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ la société Suand, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° N 21-10.744 contre l'arrêt rendu le 19 novembre 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-9), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Heir invest, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée société Sarjel immo,
2°/ au syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier Les Camélias, dont le siège est [Adresse 5], représenté par son syndic le Cabinet Clarus, [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat des sociétés Leader Menton et Suand, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat du syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier Les Camélias, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Kermina, M. Delbano, Mme Vendryes, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Gaillardot, premier avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 19 novembre 2020) le syndicat des copropriétaires de la résidence Les Camélias (le syndicat des copropriétaires) a assigné devant un juge de l'exécution les sociétés Leader Menton, Suand et Sarjel Immo, désormais dénommée Heir invest, qui avaient été condamnées sous astreinte à effectuer des travaux de remise en état, en liquidation de l'astreinte.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Les sociétés Leader Menton et Suand (les sociétés) font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les pièces et conclusions par elles notifiées le 10 décembre 2019, et, en conséquence de les condamner in solidum à payer la somme de 135 500 euros au syndicat des copropriétaires au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire pour la période comprise entre le 25 septembre 2015 et le 20 mars 2017, et de fixer une nouvelle astreinte provisoire, sans durée limitée, d'un montant de 500 euros par jour passé le délai de deux mois de la signification du jugement, à défaut pour elles d'avoir procédé à la remise en état des lieux en leur état initial, alors « que les conclusions déposées le jour de l'ordonnance de clôture sont réputées signifiées avant celle-ci ; qu'elles sont donc recevables, les juges du fond devant simplement s'assurer que leur dépôt ne porte pas atteinte à l'exercice des droits de la défense ; qu'en retenant pourtant, pour dire irrecevables les conclusions et pièces déposées par les exposants le jour de l'ordonnance de clôture, que « les dernières conclusions et les pièces 9, 10 et 11 ont été notifiées par les sociétés Leader Menton et Suand le 10 décembre 2019 à 09h59, après que l'ordonnance de clôture, dont la révocation n'a pas été sollicitée, ait été rendue le même jour et notifiée par RPVA à 8 h 49 », quand aucune violation du contradictoire n'était alléguée par les autres parties, et que les conclusions et pièces devaient être réputées signifiées avant l'ordonnance de clôture, la cour d'appel a violé les articles 16, 135 et 783 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 783, devenu 802, du code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office. Aux termes de l'article 748-1 du même code, les envois, remises et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles peuvent être effectués par voie électronique dans les conditions et selon les modalités fixées par le présent titre, sans préjudice des dispositions spéciales imposant l'usage de ce mode de communication. Selon l'article 748-3 du même code, les envois, remises et notifications mentionnés à l'article 748-1 font l'objet d'un avis électronique de réception adressé par le destinataire, qui indique la date et, le cas échéant, l'heure de celle-ci. Selon l'article 930-1 du même code, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique.
5. Il résulte de la combinaison de ces textes que lorsqu'il est recouru, dans la procédure d'appel avec représentation obligatoire, à la communication par voie électronique, les conclusions sont déposées aux jour et heure mentionnés dans le dossier du réseau privé virtuel des avocats (RPVA).
6. Ayant relevé que les dernières conclusions et les pièces 9,10 et 11 avaient été remises par les sociétés le 10 décembre 2019 à 9h59, après que l'ordonnance de clôture avait été rendue le même jour et que la copie en avait été portée à la connaissance des parties par le RPVA à 8h49, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel, qui a fait ressortir que ces conclusions avaient été déposées après l'ordonnance de clôture, a statué comme elle l'a fait.
7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. Les sociétés font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les pièces et conclusions par elles notifiées le 10 décembre 2019, et, en conséquence de les condamner in solidum à payer la somme de 135 500 euros au syndicat des copropriétaires au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire pour la période comprise entre le 25 septembre 2015 et le 20 mars 2017, et de fixer une nouvelle astreinte provisoire, sans durée limitée, d'un montant de 500 euros par jour passé le délai de deux mois de la signification du jugement, à défaut pour elles d'avoir procédé à la remise en état des lieux en leur état initial, alors « qu'à supposer même que les conclusions déposées le jour de l'ordonnance de clôture puissent ne pas être réputées antérieures à celle-ci, l'irrecevabilité des dernières pièces et écritures déposées est subordonnée à la condition que les parties aient été averties, avec un délai de prévenance suffisant, de la date de l'ordonnance de clôture à intervenir ; qu'en retenant pourtant, pour dire irrecevables les conclusions et pièces déposées par les exposants le jour de l'ordonnance de clôture, que « les dernières conclusions et les pièces 9, 10 et 11 ont été notifiées par les sociétés Leader Menton et Suand le 10 décembre 2019 à 09h59, après que l'ordonnance de clôture, dont la révocation n'a pas été sollicitée, ait été rendue le même jour et notifiée par RPVA à 8 h 49 » sans constater que les parties auraient été avisées de la date de l'ordonnance de clôture avec un délai de prévenance suffisant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 783 du code de procédure civile, et 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
9. Selon l'article 783, devenu 802, du code de procédure civile, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office.
10. Il résulte de ce texte, interprété à la lumière de l'article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que des conclusions déposées après l'ordonnance de clôture ne peuvent être déclarées irrecevables lorsque leur auteur n'a pas été préalablement informé de la date à laquelle celle-ci devait être rendue.
11. Toutefois, le juge n'est pas tenu de vérifier d'office que les parties ont été avisées de la date de l'ordonnance de clôture. Il appartient à la partie qui, ayant remis ses conclusions après l'ordonnance de clôture, soutient ne pas avoir été préalablement avisée de la date de son prononcé, d'en solliciter la révocation.
12. Ayant relevé que les dernières conclusions et les pièces 9,10 et 11 avaient été remises par les sociétés le 10 décembre 2019 à 9h59, après que l'ordonnance de clôture, dont la révocation n'avait pas été sollicitée, avait été rendue le même jour et que la copie en avait été portée à la connaissance des parties par le RPVA à 8h49, la cour d'appel en a exactement déduit que ces conclusions et pièces étaient irrecevables.
13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Leader Menton et Suand aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Leader Menton et Suand et les condamne à payer au syndicat des copropriétaires de l'ensemble immobilier Les Camélias, représenté par son syndic, le Cabinet Clarus, la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour les sociétés Leader Menton et Suand
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Leader Menton et la SCI Suand font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevables les pièces et conclusions par elles notifiées le 10 décembre 2019, et, en conséquence d'avoir condamné in solidum les sociétés Leader Menton, Suand et Sarjel Immo à payer une somme de 135 500 euros au syndicat des copropriétaires de la résidence Les Camélias au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire pour la période comprise entre le 25 septembre 2015 et le 20 mars 2017, et d'avoir fixé une nouvelle astreinte provisoire, sans durée limitée, d'un montant de 500 euros par jour passé le délai de deux mois de la signification du jugement, à défaut pour les sociétés Leader Menton, Suand et Sarjel Immo d'avoir procédé à la remise en état des lieux en leur état initial ;
1/ ALORS QUE les conclusions déposées le jour de l'ordonnance de clôture sont réputées signifiées avant celle-ci ; qu'elles sont donc recevables, les juges du fond devant simplement s'assurer que leur dépôt ne porte pas atteinte à l'exercice des droits de la défense ; qu'en retenant pourtant, pour dire irrecevables les conclusions et pièces déposées par les exposants le jour de l'ordonnance de clôture, que « les dernières conclusions et les pièces 9, 10 et 11 ont été notifiées par les sociétés Leader Menton et Suand le 10 décembre 2019 à 09h59, après que l'ordonnance de clôture, dont la révocation n'a pas été sollicitée, ait été rendue le même jour et notifiée par RPVA à 8 h 49 » (arrêt, p. 6, alinéa 3), quand aucune violation du contradictoire n'était alléguée par les autres parties, et que les conclusions et pièces devaient être réputées signifiées avant l'ordonnance de clôture, la cour d'appel a violé les articles 16, 135 et 783 du code de procédure civile ;
2/ ALORS ET SUBSIDIAIREMENT QU'à supposer même que les conclusions déposées le jour de l'ordonnance de clôture puissent ne pas être réputées antérieures à celle-ci, l'irrecevabilité des dernières pièces et écritures déposées est subordonnée à la condition que les parties aient été averties, avec un délai de prévenance suffisant, de la date de l'ordonnance de clôture à intervenir ; qu'en retenant pourtant, pour dire irrecevables les conclusions et pièces déposées par les exposants le jour de l'ordonnance de clôture, que « les dernières conclusions et les pièces 9, 10 et 11 ont été notifiées par les sociétés Leader Menton et Suand le 10 décembre 2019 à 09h59, après que l'ordonnance de clôture, dont la révocation n'a pas été sollicitée, ait été rendue le même jour et notifiée par RPVA à 8 h 49 » (arrêt, p. 6, alinéa 3) sans constater que les parties auraient été avisées de la date de l'ordonnance de clôture avec un délai de prévenance suffisant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 783 du code de procédure civile, et 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société Leader Menton et la SCI Suand font grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné in solidum les sociétés Leader Menton, Suand et Sarjel Immo à payer une somme de 135 500 euros au syndicat des copropriétaires de la résidence Les Camélias au titre de la liquidation de l'astreinte provisoire pour la période comprise entre le 25 septembre 2015 et le 20 mars 2017 ;
1/ ALORS QUE saisi d'une demande de liquidation d'une astreinte prononcée par une décision irrévocable, le juge de l'exécution a la seule mission de vérifier l'exécution de l'obligation sans pouvoir modifier celle-ci ; qu'en conséquence, lorsque la décision irrévocable prononçant l'astreinte ne précise ni dans son dispositif, ni même dans ses motifs, l'obligation assortie de l'astreinte, le juge de l'exécution ne peut que rejeter la demande de liquidation, faute d'obligation inexécutée ; qu'en l'espèce, l'arrêt du 4 septembre 2015 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence se bornait à indiquer dans son dispositif : « fixe une nouvelle astreinte provisoire de 250 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente décision » ; que ses motifs ne permettaient pas d'identifier l'obligation dont aurait été assortie l'astreinte puisqu'ils énonçaient simplement : « il y a lieu de fixer une nouvelle astreinte provisoire d'un même montant de 250 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente décision et sans limitation de durée » ; qu'il en résultait que l'astreinte ne garantissait l'exécution d'aucune obligation, en sorte que faute d'obligation inexécutée, elle ne pouvait être liquidée ; qu'en retenant pourtant, en se référant aux décisions rendues les 8 janvier 2009 et 9 décembre 2009, que les sociétés Leader Menton et Suand ne seraient pas fondées à se prévaloir du caractère indéterminé de l'obligation assortie d'astreinte, quand ces décisions n'étaient pas celles qui avaient fixé l'astreinte dont la liquidation était demandée, l'arrêt du 4 septembre 2015 ne fixant en revanche pas l'obligation à exécuter, la cour d'appel a violé les articles L. 131-4 et R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution ;
2/ ALORS QUE saisi d'une demande de liquidation d'une astreinte prononcée par une décision irrévocable, le juge de l'exécution a la seule mission de vérifier l'exécution de l'obligation sans pouvoir modifier celle-ci ; qu'en conséquence, lorsque la décision irrévocable prononçant l'astreinte ne précise ni dans son dispositif, ni même dans ses motifs, l'obligation assortie de l'astreinte, le juge de l'exécution ne peut que rejeter la demande de liquidation, faute d'obligation inexécutée ; qu'en l'espèce, l'arrêt du 4 septembre 2015 de la cour d'appel d'Aix-en-Provence se bornait à indiquer dans son dispositif : « fixe une nouvelle astreinte provisoire de 250 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente décision » ; que ses motifs ne permettaient pas d'identifier l'obligation dont aurait été assortie l'astreinte puisqu'ils énonçaient simplement : « il y a lieu de fixer une nouvelle astreinte provisoire d'un même montant de 250 euros par jour de retard à compter de la notification de la présente décision et sans limitation de durée » ; qu'il en résultait que l'astreinte ne garantissait l'exécution d'aucune obligation, en sorte que faute d'obligation inexécutée, elle ne pouvait être liquidée ; que le juge de l'exécution a pourtant retenu que les exposantes « ne peuvent faire valoir l'existence d'une obligation indéterminée, compte tenu de l'absence de complexité de l'obligation qui leur est imposée, aucune des parties n'ayant d'ailleurs entendu déposer une quelconque requête en interprétation » (jugement, p. 7) ; qu'en statuant ainsi, quand il n'y avait pas lieu à interpréter la décision du 4 septembre 2015 laquelle ne précisait pas l'obligation assortie de l'astreinte, la cour d'appel, à supposer ce motif adopté, a violé les articles L. 131-4 et R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution.
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CASS/JURITEXT000046727364.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 décembre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1272 F-B
Pourvoi n° J 20-14.302
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2022
1°/ M. [X] [K], domicilié [Adresse 3],
2°/ Mme [M] [K], épouse [W], domiciliée [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° J 20-14.302 contre l'arrêt rendu le 27 février 2020 par la cour d'appel de Montpellier (2e chambre civile), dans le litige les opposant à M. [S] [K], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de M. [X] [K] et Mme [M] [K], épouse [W], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [S] [K], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 27 février 2020) et les productions, le 10 août 2018, agissant sur le fondement de décisions de justice lui attribuant diverses sommes dans un partage de succession, M. [S] [K] a fait délivrer un commandement de payer valant saisie immobilière à M. [X] [K], débiteur principal, et à Mme [M] [K], épouse [W], tiers détentrice de l'immeuble saisi, précédemment acquis par M. [X] [K] et son épouse commune en biens, Mme [G] [F], qui en avaient fait donation à leur fille [M] en 2005, puis les a assignés devant un juge de l'exécution.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
2. La première chambre civile de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, sur l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats à l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Auroy, conseiller doyen, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, et Mme Berthomier, greffier de chambre.
Énoncé du moyen
3. M. [X] [K] et Mme [M] [K] épouse [W] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à voir juger que la saisie ne pouvait pas porter sur le bien immobilier situé à [Localité 4], s'agissant d'un bien commun ne pouvant être appréhendé par un créancier personnel de M. [X] [K], et de valider la procédure de saisie immobilière engagée à leur encontre par M. [S] [K], alors :
« 1°/ que le créancier d'un époux débiteur d'une dette personnelle ne peut inscrire une hypothèque sur un bien commun, même si celle-ci ne porte que sur les parts et portions de ce bien dont le débiteur est propriétaire ; qu'au cas présent, la cour d'appel a relevé, par motifs adoptés, que la dette due par M. [X] [K] à M. [S] [K] était une dette personnelle et que le bien saisi était un bien commun pour avoir été acheté par M. [X] [K] et son épouse ; qu'elle a constaté, par motifs propres, que l'hypothèque inscrite le 1er mars 2004 en garantie de la dette personnelle de M. [X] [K] ne portait que sur les seules parts et portions dont celui-ci était propriétaire sur ce bien commun ; qu'en permettant au créancier hypothécaire de poursuivre l'exécution de sa créance sur l'immeuble donné en garantie, cependant que l'hypothèque garantissant une dette personnelle de l'époux ne pouvait porter que sur les biens propres de celui-ci et en aucun cas sur ses parts et portions d'un bien commun, la cour d'appel a violé l'article 1411 du code civil ;
2°/ qu'est nulle une saisie immobilière pratiquée sur un bien commun en vertu d'une hypothèque dont l'inscription n'était pas autorisée ; qu'au cas présent, la cour d'appel a relevé, par motifs propres et adoptés, que l'immeuble hypothéqué en garantie d'une dette personnelle de M. [X] [K] était un bien commun, et que l'hypothèque inscrite le 1er mars 2004 ne portait que sur les seules parts et portions dont celui-ci était propriétaire sur ce bien ; qu'en jugeant valable la saisie immobilière diligentée par M. [S] [K] entre les mains de Mme [W] à laquelle l'immeuble hypothéqué avait été donné par M. [X] [K] et son épouse, sans préciser en quoi l'inscription de l'hypothèque, même limitée aux parts et portions dont M. [X] [K] était propriétaire sur ce bien commun, aurait été autorisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1411 du code civil. »
Réponse de la Cour
4. Aux termes de l'article 1413 du code civil, le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu'il n'y ait eu fraude de l'époux débiteur et mauvaise foi du créancier.
5. S'il résulte de la combinaison des articles 1410 et 1411 du code civil que le paiement des dettes dont se trouvent grevées les successions qui échoient aux époux durant le mariage, lesquelles leur demeurent personnelles, tant en capitaux qu'en arrérages ou intérêts, ne peut être poursuivi que sur les biens propres et les revenus de l'époux débiteur, la condamnation d'un époux au paiement d'une somme au titre d'un recel successoral, de nature délictuelle, ne grève pas la succession au sens de ces dispositions.
6. La cour d'appel a relevé que l'inscription d'hypothèque avait été prise au profit de M. [S] [K] pour garantie de la somme due à la suite d'une condamnation pour recel successoral.
7. Il en résulte que son paiement pouvait être poursuivi sur les biens communs.
8. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1er, du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. M. [X] [K] et Mme [M] [K] font grief à l'arrêt de les débouter de leur demande de voir juger que la mesure de saisie immobilière ne pouvait concerner que la seule créance visée dans l'hypothèque pour un montant de 13 378,98 euros, et de décider que la créance poursuivie sera admise pour le montant de 242 218,38 euros arrêtée au 12 juin 2018, alors :
« 1°/ que si le droit de suite du créancier hypothécaire peut être exercé sur le bien hypothéqué en quelque main qu'il se trouve, son exercice est toutefois limité au montant de la dette garantie par l'hypothèque ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que l'hypothèque portant sur le bien immobilier de Torreilles, donné par les époux [K]-[F] à Madame [W], avait été inscrite pour garantir le paiement de la dette due par Monsieur [X] [K] à Monsieur [S] [K] au titre du recel successoral (arrêt attaqué, p. 5) ; que cette dette qui s'élevait à l'origine à la somme de 68.602,06 euros n'était plus que de 13.378,98 euros au jour du commandement (jugement entrepris, p. 2), de sorte que la saisie de l'immeuble hypothéqué, à la supposer valable, ne pouvait permettre au créancier poursuivant de n'exercer son droit de préférence qu'à hauteur de cette somme ; qu'en fixant néanmoins à la somme de 242.218,38 euros le montant de la créance à recouvrer grâce à la procédure de saisie immobilière, ajoutant à la dette hypothécaire de 13.378,98 euros due au titre du recel successoral, une autre dette non garantie par l'hypothèque de 228.839,40 euros relative à la soulte due par Monsieur [X] [K], la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations ; qu'elle a violé, par-là, les articles 2461 et 2462 du code civil ;
2°/ que lorsqu'un bien hypothéqué a été donné, la saisie de l'immeuble entre les mains du donataire, suivie de sa vente, ne permet au créancier hypothécaire d'obtenir sur le prix de vente que le montant de sa créance garantie par l'hypothèque ; que le solde du prix de vente revenant au tiers détenteur, le créancier poursuivant ne saurait adjoindre à sa créance garantie par l'hypothèque d'autres créances non garanties qu'il détiendrait contre le donateur ; qu'au cas présent, pour fixer à la somme de 242.218,38 euros le montant de la créance à recouvrer grâce à la procédure de saisie immobilière, la cour d'appel a jugé que le créancier poursuivant pouvait adjoindre à sa créance garantie par l'hypothèque une autre créance issue d'une décision définitive valant titre exécutoire, car il était partie à la phase de distribution de deniers et pouvait à ce titre prétendre au remboursement de cette seconde créance chirographaire, après désintéressement des créanciers privilégiés, sur le solde qui reviendrait en toute hypothèse non au tiers détenteur évincé mais à son débiteur (arrêt attaqué, p. 5-6) ; qu'en statuant ainsi, cependant que le solde du prix de vente ne revient qu'au tiers détenteur, propriétaire du bien hypothéqué avant la saisie suivie de vente, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 331-1 et R. 334-2 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen :
10. M. [S] [K] conteste la recevabilité du moyen en faisant valoir que la Cour de cassation déclare irrecevables, au visa de l'article 605 du code de procédure civile, les moyens dirigés contre un chef de dispositif contenant non une décision consacrant la reconnaissance d'un droit, mais une simple constatation équivalent à un donné acte qui ne donne pas ouverture à cassation et relève que, contrairement à la rédaction du moyen, la cour d'appel n'a pas « admis » la créance du poursuivant pour le montant de 242 218,38 euros mais a « constat(é) que la créance dont le recouvrement (était) poursuivi par M. [S] [K] à l'encontre de M. [K], s'élev(ait) à la somme totale de 242 218,38 euros, arrêtée au 12 juin 2018 », chef de dispositif qui est purement déclaratif et qui se borne au simple constat des prétentions du poursuivant sans lui reconnaître le droit au paiement de cette somme à titre privilégié sur le prix de la vente à venir.
11. Cependant, en application de l'article R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution, la mention de la créance dans le dispositif du jugement d'orientation a autorité de la chose jugée, peu important les termes employés par le juge de l'exécution.
12. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen :
Vu les articles 2432, alinéa 1er, 2461, 2462, 2463 et 2464 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, R. 321-4 et R. 321-5 du code des procédures civiles d'exécution, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, et R. 322-18 du même code :
13. Selon le deuxième de ces textes, les créanciers ayant privilège ou hypothèque inscrits sur un immeuble, le suivent en quelques mains qu'il passe, pour être payés suivant l'ordre de leurs créances ou inscriptions.
Aux termes du premier, le créancier privilégié dont le titre a été inscrit, ou le créancier hypothécaire inscrit pour un capital produisant intérêt et arrérages, a le droit d'être colloqué, pour trois années seulement, au même rang que le principal, sans préjudice des inscriptions particulières à prendre, portant hypothèque à compter de leur date, pour les intérêts et arrérages autres que ceux conservés par l'inscription primitive.
Aux termes du troisième, si le tiers détenteur ne remplit pas les formalités qui seront ci-après établies pour purger sa propriété, il demeure, par l'effet seul des inscriptions, obligé comme détenteur, à toutes les dettes hypothécaires, et jouit des termes et délais accordés au débiteur originaire.
Aux termes du quatrième, le tiers détenteur est tenu, dans le même cas, ou de payer tous les intérêts et capitaux exigibles, à quelque somme qu'ils puissent monter, ou de délaisser l'immeuble hypothéqué, sans aucune réserve.
Selon le cinquième, faute par le tiers détenteur de satisfaire à l'une de ces obligations, chaque créancier titulaire d'un droit de suite sur l'immeuble a le droit de poursuivre la saisie et la vente de l'immeuble dans les conditions prévues par le livre III du code des procédures civiles d'exécution.
Aux termes du sixième, la saisie immobilière diligentée par les créanciers titulaires d'un droit de suite est poursuivie contre le tiers acquéreur du bien. Selon le septième, le créancier poursuivant fait signifier un commandement de payer au débiteur principal. L'acte comporte la mention que le commandement de payer valant saisie est délivré au tiers acquéreur. Le commandement de payer valant saisie est signifié à la diligence du créancier poursuivant au tiers détenteur. Il comporte les mentions énumérées à l'article R. 321-3. Toutefois, l'avertissement prévu au 4° est remplacé par la sommation d'avoir à satisfaire à l'une des obligations énoncées à l'article 2463 du code civil dans un délai d'un mois et la mention du débiteur aux 6°, 7°, 8°, 12° et 13° s'entend de celle du tiers détenteur. Le commandement rappelle les dispositions de l'article 2464 du code civil.
Aux termes du dernier de ces textes, le jugement d'orientation mentionne le montant retenu pour la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires.
14. Il résulte de la combinaison de ces textes, en premier lieu, que le tiers acquéreur qui n'est pas personnellement obligé à la dette n'est tenu au paiement que des seules dettes hypothécaires, à l'exclusion des dettes chirographaires pour lesquelles le créancier poursuivant, qui poursuit la saisie en exécution de son droit de suite, ne peut être colloqué lors de la distribution du prix, en second lieu, que si le prix de vente excède la dette hypothécaire, la différence est pour le tiers acquéreur, sauf les droits de ses créanciers inscrits sur l'immeuble.
15. Il s'ensuit que le juge de l'exécution ne doit mentionner, dans le dispositif du jugement d'orientation, que le montant retenu pour la créance hypothécaire du poursuivant.
16. Pour confirmer le jugement en toutes ses dispositions, l'arrêt retient, d'une part, que M. [S] [K] se prévaut dans son commandement, outre la somme de 68 602,06 euros, majorée des intérêts, de l'article 700 du code de procédure civile et des frais, correspondant en réalité à une condamnation pour recel successoral, d'un arrêt du 9 février 2015 fixant, dans le cadre d'une première procédure immobilière, sa créance à la somme précitée, mais également à la somme de 194 466 euros, majorée des intérêts et frais au titre de la soulte due à l'issue du partage successoral et, d'autre part, que, bien que l'hypothèque n'ait pour objet, quelle que soit la dénomination donnée lors de l'inscription, que de garantir le paiement privilégié de la somme de 68 602,06 euros et ses accessoires, le créancier poursuivant garde la possibilité, en cette seule qualité, d'adjoindre dans le cadre de la saisie immobilière une autre créance issue d'une décision définitive valant titre exécutoire, le créancier qui a entrepris la saisie immobilière étant, en application des articles L. 331-1 et R. 334-2 du code des procédures civiles d'exécution, partie à la phase de distribution de deniers et pouvant à ce titre prétendre au remboursement de cette seconde créance chirographaire, après désintéressement des créanciers privilégiés, sur le solde qui reviendrait en toute hypothèse non au tiers détenteur évincé mais à son débiteur.
17. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement entrepris, il constate que la créance s'élève à la somme totale de 242 218,38 euros, arrêtée au 12 juin 2018, dont le détail est fourni dans les deux décomptes annexés au commandement de payer valant saisie du 10 août 2018, l'arrêt rendu le 27 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne M. [S] [K] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat aux Conseils, pour M. [X] [K] et Mme [M] [K], épouse [W]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR débouté Monsieur [X] [K] et Madame [W] de leur demande de voir juger que la saisie ne pouvait pas porter sur le bien immobilier situé à [Localité 4], s'agissant d'un bien commun qui ne pouvait être appréhendé par un créancier personnel de Monsieur [X] [K], et d'avoir dit bonne et valable la procédure de saisie immobilière engagée à leur encontre par Monsieur [S] [K] ;
AUX MOTIFS, propres, QUE, Monsieur [X] [K] et Madame [M] [W], sa fille, soutiennent que Monsieur [S] [K] ne pouvait faire saisir un bien immobilier dépendant de la communauté pour une dette personnelle à l'un des époux ; que cependant, en l'occurrence, l'hypothèque inscrite le 1er mars 2004 pour les seules parts et portions dont Monsieur [X] [K] était propriétaire sur le bien situé à [Localité 4] dépendant anciennement de la communauté des époux [X] [K]-[G] [F] concerne désormais un bien devenu la propriété personnelle de leur fille en vertu d'une donation qu'ils lui ont consentie en 2005, soit postérieurement à l'inscription d'hypothèque ; que l'article 2461 du code civil dispose que les créanciers ayant privilèges ou hypothèques inscrits sur un immeuble, le suivent en quelques mains qu'il passe, pour être colloqués et payés suivant l'ordre de leurs créances ou inscriptions ; qu'en application de ce texte, l'hypothèque inscrite le 1er mars 2004 et régulièrement renouvelée le 27 janvier 2014 permet au créancier garanti hypothécairement à hauteur de ses droits de suivre le bien en quelques mains qu'il passe et rend la sûreté opposable à l'acquéreur, en l'absence de purge préalable de l'hypothèque lors de la cession en l'espèce effectuée à titre gratuit par les époux [K] à leur fille [M] ; que le créancier hypothécaire est alors admis à poursuivre l'exécution de sa créance sur l'immeuble donné en garantie, sans avoir à provoquer au préalable la licitation partage de la communauté ni à dénoncer la saisie à l'épouse commune en biens dès lors que le bien ne dépend plus de cette communauté ; qu'en conséquence, la prise d'hypothèque sur les parts et portions dont Monsieur [X] [K] a été propriétaire sur le bien saisi en vertu d'une créance dont il reste personnellement débiteur vis-à-vis de son frère n'intéresse plus éventuellement que la procédure de distribution de deniers issus de la vente mais n'affecte en aucune façon la régularité de la procédure de saisie immobilière du dit bien directement entre les mains de la donataire qui s'est vue transmettre un immeuble spécialement affecté à la garantie du créancier de son père et s'est exposée ainsi au droit de suite du créancier ; que la procédure de saisie immobilière n'est donc pas en elle-même critiquable et la demande de nullité de ces différents chefs sera donc rejetée (arrêt attaqué, p. 4-5) ; ET AUX MOTIFS, éventuellement adoptés, QUE, la créance invoquée par Monsieur [S] [K] consiste en une soulte due par Monsieur [X] [K] dans le cadre d'un partage successoral et en une indemnité due au titre d'un recel successoral ; que cette créance est due personnellement par Monsieur [X] [K] ; qu'il n'est pas contesté que le bien saisi avait été acquis par la communauté constituée par Monsieur [X] [K] et son épouse [G] [F], le 15 mai 1981 ; que ceux-ci par acte notarié en date du 9 décembre 2005 ont fait donation de l'immeuble de [Localité 4], objet de la présente saisie, à leur fille [M] [W] ; que Monsieur [X] [K] soutient que ce bien est un bien de la communauté et que la saisie immobilière aurait dû être faite à l'encontre de Madame [G] [F] son épouse ; que toutefois l'immeuble saisi n'appartient ni à Monsieur [X] [K], ni à son épouse, puisqu'ils en ont fait donation à leur fille ; qu'ainsi le créancier saisissant n'était pas tenu (même s'il l'a fait) de dénoncer le commandement de payer valant saisie à Madame [G] [F] épouse [K], qui ne détient plus aucun droit réel sur ce bien ; que la saisie est faite entre les mains de Madame [M] [W], en sa qualité de tiers détenteur, en vertu du droit de suite attaché à une inscription d'hypothèque prise le 8 mars 2004 au profit de Monsieur [S] [K], renouvelée le 27 janvier 2014, pour garantie de la somme due en vertu du recel successoral ; que l'article 2461 du code civil dispose : « Les créanciers ayant privilège ou hypothèque inscrits sur un immeuble, le suivent en quelques mains qu'il passe, pour être colloqués et payés suivant l'ordre de leurs créances ou inscriptions » ; qu'en l'espèce Monsieur [S] [K] s'est conformé aux articles R 321-4 et R 321-5 du code des procédures civiles d'exécution, qui prévoient la délivrance du commandement de payer valant saisie au tiers détenteur ; que la procédure suivie apparaît donc régulière (jugement entrepris, p. 4-5) ;
1°) ALORS, d'une part, QUE le créancier d'un époux débiteur d'une dette personnelle ne peut inscrire une hypothèque sur un bien commun, même si celle-ci ne porte que sur les parts et portions de ce bien dont le débiteur est propriétaire ; qu'au cas présent, la cour d'appel a relevé, par motifs adoptés, que la dette due par Monsieur [X] [K] à Monsieur [S] [K] était une dette personnelle et que le bien saisi était un bien commun pour avoir été acheté par Monsieur [X] [K] et son épouse (jugement entrepris, p.4 § 3 à 5) ; qu'elle a constaté, par motifs propres, que l'hypothèque inscrite le 1er mars 2004 en garantie de la dette personnelle de Monsieur [X] [K] ne portait que sur les seules parts et portions dont celui-ci était propriétaire sur ce bien commun (arrêt attaqué, p. 4 § 3) ; qu'en permettant au créancier hypothécaire de poursuivre l'exécution de sa créance sur l'immeuble donné en garantie, cependant que l'hypothèque garantissant une dette personnelle de l'époux ne pouvait porter que sur les biens propres de celui-ci et en aucun cas sur ses parts et portions d'un bien commun, la cour d'appel a violé l'article 1411 du code civil ;
2°) ALORS, d'autre part, QU' est nulle une saisie immobilière pratiquée sur un bien commun en vertu d'une hypothèque dont l'inscription n'était pas autorisée ; qu'au cas présent, la cour d'appel a relevé, par motifs propres et adoptés, que l'immeuble hypothéqué en garantie d'une dette personnelle de Monsieur [X] [K] était un bien commun, et que l'hypothèque inscrite le 1er mars 2004 ne portait que sur les seules parts et portions dont celui-ci était propriétaire sur ce bien ; qu'en jugeant valable la saisie immobilière diligentée par Monsieur [S] [K] entre les mains de Madame [W] à laquelle l'immeuble hypothéqué avait été donné par Monsieur [X] [K] et son épouse, sans préciser en quoi l'inscription de l'hypothèque, même limitée aux parts et portions dont Monsieur [X] [K] était propriétaire sur ce bien commun, aurait été autorisée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1411 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION SUBSIDIAIRE
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR débouté Monsieur [X] [K] et Madame [W] de leur demande de voir juger que la mesure de saisie immobilière ne pouvait concerner que la seule créance visée dans l'hypothèque pour un montant de 13.378,98 €, et d'avoir décidé que la créance poursuivie sera admise pour le montant de 242.218,38 € arrêtée au 12 juin 2018 ;
AUX MOTIFS, propres, QUE, en l'espèce, l'inscription hypothécaire précise qu'elle est affectée, en vertu d'un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nancy le 28 janvier 2004, à la garantie de : - principal représentant la soulte prévue par l'acte de partage : 68.602,06 €, - intérêts afférents à cette somme à compter du 28 janvier 2004, - article 700 du code de procédure civile : 2.000 €, - frais et accessoires évalués à 6.000 € ; que ce jugement valant titre exécutoire a été déclaré définitif par ordonnance du 3 juillet 2009 constatant l'acquisition de la péremption d'instance d'appel dont Monsieur [X] [K] avait pris l'initiative ; que Monsieur [S] [K], en tant que créancier poursuivant, se prévaut dans son commandement du 10 août 2018 en sus de la somme de 68.602,06 € majorée des intérêts, de l'article 700 du code de procédure civile et des frais correspondant en réalité à une condamnation pour recel successoral, d'un arrêt de la cour d'appel de Nancy du 9 février 2015 fixant dans le cadre d'une première procédure immobilière la créance du créancier poursuivant à la somme précitée, mais également à la somme de 194.466 €, majoré des intérêts et frais au titre de la soulte due à l'issue du partage successoral ; que bien que l'hypothèque n'ait pour objet, quelle que soit la dénomination donnée lors de l'inscription, que de garantir le paiement privilégié de la somme de 68.602,06 € et ses accessoires, le créancier poursuivant garde la possibilité, en cette seule qualité, d'adjoindre dans le cadre de la saisie immobilière une autre créance issue d'une décision définitive valant titre exécutoire, le créancier qui a entrepris la saisie immobilière étant, en application des articles L 331-1 et R 334-2 du code des procédures civiles d'exécution, partie à la phase de distribution de deniers et pouvant à ce titre prétendre au remboursement de cette seconde créance chirographaire, après désintéressement des créanciers privilégiés, sur le solde qui reviendrait en toute hypothèse non au tiers détenteur évincé mais à son débiteur ; que le jugement sera confirmé, par ajout de motifs, en ce qu'il a retenu les sommes issues des deux décisions judiciaires pour fixer la créance du créancier poursuivant (arrêt attaqué, p.5-6) ; ET AUX MOTIFS, éventuellement adoptés, QUE, la créance invoquée par Monsieur [S] [K] consiste en une soulte due par Monsieur [X] [K] dans le cadre d'un partage successoral et en une indemnité due au titre d'un recel successoral ; que cette créance est due personnellement par Monsieur [X] [K] ; qu'il n'est pas contesté que le bien saisi avait été acquis par la communauté constituée par Monsieur [X] [K] et son épouse [G] [F], le 15 mai 1981 ; que ceux-ci par acte notarié en date du 9 décembre 2005 ont fait donation de l'immeuble de [Localité 4], objet de la présente saisie, à leur fille [M] [W] ; que Monsieur [X] [K] soutient que ce bien est un bien de la communauté et que la saisie immobilière aurait dû être faite à l'encontre de Madame [G] [F] son épouse ; que toutefois l'immeuble saisi n'appartient ni à Monsieur [X] [K], ni à son épouse, puisqu'ils en ont fait donation à leur fille ; qu'ainsi le créancier saisissant n'était pas tenu (même s'il l'a fait) de dénoncer le commandement de payer valant saisie à Madame [G] [F] épouse [K], qui ne détient plus aucun droit réel sur ce bien ; que la saisie est faite entre les mains de Madame [M] [W], en sa qualité de tiers détenteur, en vertu du droit de suite attaché à une inscription d'hypothèque prise le 8 mars 2004 au profit de Monsieur [S] [K], renouvelée le 27 janvier 2014, pour garantie de la somme due en vertu du recel successoral ; que l'article 2461 du code civil dispose : « Les créanciers ayant privilège ou hypothèque inscrits sur un immeuble, le suivent en quelques mains qu'il passe, pour être colloqués et payés suivant l'ordre de leurs créances ou inscriptions » ; qu'en l'espèce Monsieur [S] [K] s'est conformé aux articles R 321-4 et R 321-5 du code des procédures civiles d'exécution, qui prévoient la délivrance du commandement de payer valant saisie au tiers détenteur ; que la procédure suivie apparaît donc régulière (jugement entrepris, p. 4-5) ;
1°) ALORS, d'une part, QUE si le droit de suite du créancier hypothécaire peut être exercé sur le bien hypothéqué en quelque main qu'il se trouve, son exercice est toutefois limité au montant de la dette garantie par l'hypothèque ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que l'hypothèque portant sur le bien immobilier de Torreilles, donné par les époux [K]-[F] à Madame [W], avait été inscrite pour garantir le paiement de la dette due par Monsieur [X] [K] à Monsieur [S] [K] au titre du recel successoral (arrêt attaqué, p. 5) ; que cette dette qui s'élevait à l'origine à la somme de 68.602,06 € n'était plus que de 13.378,98 € au jour du commandement (jugement entrepris, p. 2), de sorte que la saisie de l'immeuble hypothéqué, à la supposer valable, ne pouvait permettre au créancier poursuivant de n'exercer son droit de préférence qu'à hauteur de cette somme ; qu'en fixant néanmoins à la somme de 242.218,38 € le montant de la créance à recouvrer grâce à la procédure de saisie immobilière, ajoutant à la dette hypothécaire de 13.378,98 € due au titre du recel successoral, une autre dette non garantie par l'hypothèque de 228.839,40 € relative à la soulte due par Monsieur [X] [K], la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales qui s'évinçaient de ses constatations ; qu'elle a violé, par-là, les articles 2461 et 2462 du code civil ;
2°) ALORS, d'autre part, QUE lorsqu'un bien hypothéqué a été donné, la saisie de l'immeuble entre les mains du donataire, suivie de sa vente, ne permet au créancier hypothécaire d'obtenir sur le prix de vente que le montant de sa créance garantie par l'hypothèque ; que le solde du prix de vente revenant au tiers détenteur, le créancier poursuivant ne saurait adjoindre à sa créance garantie par l'hypothèque d'autres créances non garanties qu'il détiendrait contre le donateur ; qu'au cas présent, pour fixer à la somme de 242.218,38 € le montant de la créance à recouvrer grâce à la procédure de saisie immobilière, la cour d'appel a jugé que le créancier poursuivant pouvait adjoindre à sa créance garantie par l'hypothèque une autre créance issue d'une décision définitive valant titre exécutoire, car il était partie à la phase de distribution de deniers et pouvait à ce titre prétendre au remboursement de cette seconde créance chirographaire, après désintéressement des créanciers privilégiés, sur le solde qui reviendrait en toute hypothèse non au tiers détenteur évincé mais à son débiteur (arrêt attaqué, p. 5-6) ; qu'en statuant ainsi, cependant que le solde du prix de vente ne revient qu'au tiers détenteur, propriétaire du bien hypothéqué avant la saisie suivie de vente, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 331-1 et R. 334-2 du code des procédures civiles d'exécution.
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CASS/JURITEXT000046727358.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 décembre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1265 F-B
Pourvoi n° A 21-15.425
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2022
1°/ Mme [N] [I], épouse [F],
2°/ M. [H] [F],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° A 21-15.425 contre l'arrêt n° RG : 19/04259 rendu le 18 février 2021, rectifié par l'arrêt n° RG : 21/03663 rendu le 25 mars 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-9), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [R] [X], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société Carpentier [X] Claudot, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [I], épouse [F] et M. [F], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [X] et la société Carpentier [X] Claudot, de la SCP Marc Lévis, avocat de la société BNP Paribas, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 18 février 2021 et 25 mars 2021), par acte notarié reçu le 24 juin 2008 par la société [X] Carpentier Mancy, la société BNP Paribas (la banque) a consenti à la société Brise marine un prêt pour l'acquisition d'un bien immobilier, garanti par la caution de M. [F] et de Mme [I].
2. A la suite de la cessation du remboursement du prêt par la société Brise marine, la banque a prononcé l'exigibilité anticipée du solde du prêt et inscrit une hypothèque judiciaire provisoire sur les droits et portions d'un bien immobilier appartenant à M. [F] et à Mme [I].
3. Le 19 novembre 2015, M. [F] et Mme [I] ont assigné la banque devant un juge de l'exécution en mainlevée de l'hypothèque judiciaire provisoire et en condamnation de la banque au paiement de dommages-intérêts.
4. Par jugement du 11 octobre 2016, un juge de l'exécution a constaté la nullité de l'engagement de caution contenu dans l'acte notarié du 24 juin 2008 en raison du vice du consentement de cet engagement, ordonné la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire et condamné la banque au paiement de dommages-intérêts.
5. La banque a interjeté appel de ce jugement. Par arrêt du 24 mai 2018, une cour d'appel a infirmé le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de l'engagement de caution et condamné la banque à payer des dommages-intérêts, et, statuant de nouveau, a jugé que M. [F] et Mme [I], cautions du prêt consenti à la société Brise marine par acte notarié du 24 juin 2008, étaient déchargés de leur obligation de garantie.
6. Le 28 février 2019, M. [X], notaire associé, et la société Carpentier [X] Claudot, notaires associés (l'office notarial), ont formé tierce opposition à l'encontre de l'arrêt du 24 mai 2018.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. M. [F] et Mme [I] font grief à l'arrêt du 18 février 2021, rectifié par l'arrêt du 25 mars 2021, de déclarer recevable la tierce opposition formée par M. [X] et l'office notarial à l'encontre de l'arrêt du 24 mai 2018, de rétracter cet arrêt et statuant à nouveau de dire que, cautions du prêt consenti à la société Brise Marine, ils restaient tenus par leur obligation de garantie, alors « que la tierce opposition n'est ouverte que contre le dispositif des décisions de justice, faisant directement grief à son auteur, et non contre les motifs ; que, pour déclarer recevable la tierce opposition du notaire et de la SCP notariale, la cour d'appel, après avoir relevé leur assignation en responsabilité par la banque, a énoncé que, dans l'arrêt attaqué du 24 mai 2018, elle avait « dit et jugé que les époux [F] sont déchargés de leur obligation de garantie au motif que l'acte authentique de prêt du 24 juin 2008 n'a pas pu donner naissance au privilège de prêteur de dernier dans la mesure où il n'a pas été publié » ; qu'en se fondant ainsi, pour apprécier la recevabilité de la tierce opposition, sur les motifs de l'arrêt attaqué, cependant que son dispositif ne comportait, suivant ses propres constatations, aucun chef faisant directement grief au notaire et la SCP notariale, qui n'y étaient pas même visés, la cour d'appel a violé l'article 583, alinéa 1, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. M. [X] et la SCP notariale contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau, mélangé de fait et de droit, et par conséquent irrecevable.
9. Cependant, le moyen, ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait pas été constaté par les juges du fond, peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation.
10. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 583, alinéa 1er, du code de procédure civile :
11. Aux termes de cet article, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.
12. L'autorité de la chose jugée étant limitée au dispositif des décisions, la tierce opposition n'est, dès lors, pas ouverte contre les motifs des décisions.
13. Pour déclarer recevable la tierce opposition de M. [X], notaire, et de l'office notarial, l'arrêt retient que l'arrêt du 24 mai 2018 a dit et jugé que M. [F] et Mme [I] sont déchargés de leur obligation de garantie au motif que l'acte authentique de prêt du 24 juin 2008 n'a pas pu donner naissance au privilège de prêteur de denier dans la mesure où il n'a pas été publié et que le 25 septembre 2015, la banque a mis en cause la responsabilité de M. [X] et de l'office notarial devant un tribunal de grande instance au motif que M. [X] a omis de préserver sa créance par la prise de garanties hypothécaires conformément aux instructions reçues et n'a jamais porté à sa connaissance l'impossibilité à laquelle il aurait pu être confronté.
14. L'arrêt en déduit que M. [X] et l'office notarial, qui n'ont pas été attraits dans la procédure ayant donné lieu à l'arrêt du 24 mai 2018, ont un intérêt légitime, actuel, direct et personnel à agir en contestation de cette disposition de l'arrêt qui leur fait grief.
15. En statuant ainsi, en se fondant, pour apprécier la recevabilité de la tierce opposition, sur des motifs de l'arrêt du 24 mai 2018 caractérisant un intérêt direct et personnel des demandeurs à celle-ci, quand le dispositif de l'arrêt du 24 mai 2018 se bornait à décharger les cautions de leur obligation de garantie et ne comportait aucun chef de dispositif faisant grief au notaire et à l'office notarial, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 février 2021, rectifié par arrêt du 25 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne M. [X], la société Carpentier [X] Claudot et la société BNP Paribas aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [X] et la société Carpentier [X] Claudot et celle formée par la société BNP Paribas et condamne M. [X] et la société Carpentier [X] Claudot à payer à M. [F] et à Mme [I] la somme globale de 1 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts cassé et rectifié ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [N] [I], épouse [F] et M. [H] [F]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [H] [F] et Mme [N] [F] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré recevable la tierce opposition formée par Me [R] [X] et la SCP Carpentier [X] Claudot à l'encontre de l'arrêt du 24 mai 2018, d'avoir retracté cet arrêt et statuant à nouveau d'avoir dit que, cautions du prêt consenti à la SARL Brise Marine, ils restaient tenus par leur obligation de garantie ;
1°) Alors que la tierce opposition n'est ouverte que contre le dispositif des décisions de justice, faisant directement grief à son auteur, et non contre les motifs ; que, pour déclarer recevable la tierce opposition du notaire et de la SCP notariale, la cour d'appel, après avoir relevé leur assignation en responsabilité par la banque, a énoncé que, dans l'arrêt attaqué du 24 mai 2018, elle avait « dit et jugé que les époux [F] sont déchargés de leur obligation de garantie au motif que l'acte authentique de prêt du 24 juin 2008 n'a pas pu donner naissance au privilège de prêteur de dernier dans la mesure où il n'a pas été publié » ; qu'en se fondant ainsi, pour apprécier la recevabilité de la tierce opposition, sur les motifs de l'arrêt attaqué, cependant que son dispositif ne comportait, suivant ses propres constatations, aucun chef faisant directement grief au notaire et la SCP notariale, qui n'y étaient pas même visés, la cour d'appel a violé l'article 583, alinéa 1, du code de procédure civile ;
2°) Alors que l'auteur de la tierce opposition doit justifier d'un intérêt à agir qui lui soit propre ; que la cour d'appel a elle-même constaté que l'arrêt attaqué par le notaire et la SCP notariale avait seulement dit et jugé que les époux [F], cautions du prêt consenti à la société Brise Marine par acte notarié en date du 24 juin 2008, sont déchargés de leur obligation de garantie ; qu'en décidant cependant que ces derniers avaient « un intérêt légitime, actuel, direct et personnel à agir en contestation de cette disposition dudit arrêt qui leur fait en effet grief », cependant que, au regard de la décharge des cautions prononcée par l'arrêt attaqué du 24 mai 2018, l'intérêt à agir du notaire et de la SCP notariale se confondait avec celui de la banque, privée de sa garantie, ce dont il résultait leur absence d'intérêt propre à agir, la cour d'appel a encore violé l'article 583, alinéa 1, du code de procédure civile ;
3°) Alors que nul ne plaide par procureur ; que le notaire ne pouvait demander au lieu et place de la BNP PARIBAS qui ne formulait aucune demande en ce sens, de dire et juger que les époux [F] ne sont pas déchargés de leur obligation de caution ; qu'en faisant droit à cette demande du notaire l'arrêt attaqué a violé la règle nul ne plaide par procureur.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
M. [H] [F] et Mme [N] [F] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir rétracté l'arrêt du 24 mai 2018 en ce qu'il a dit et jugé que, cautions du prêt consenti à la SARL Brise Marine par acte notarié en date du 24 juin 2008, ils sont déchargés de leur obligation de garantie, et, en conséquence, d'avoir dit qu'ils restent tenus par leur obligation de garantie ;
1°) Alors que dans leurs écritures, pour s'opposer à la remise en question du chef les ayant déchargés de leur obligation de garantie, les époux [F] ont invoqué la disproportion de leur engagement de caution, sur le fondement de l'article L. 341-4 du code de la consommation (concl., p. 16-17), la nullité de la clause d'intérêts, l'absence de déchéance du terme et l'absence de créance exigible au profit de la BNP (concl., p. 17 s.) ; que l'arrêt attaqué ne se prononce sur aucun de ces moyens en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) Alors que la tierce opposition remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit ; que le défendeur est recevable à présenter toutes prétentions tendant à faire écarter celles du tiers opposant ; qu'à supposer que la cour d'appel ait considéré n'avoir pas à répondre aux moyens des conclusions des époux [F], défendeurs à la tierce opposition, de nature, à faire écarter au fond les prétentions du tiers opposant, elle a méconnu l'effet dévolutif de la tierce opposition et a violé l'article 582 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
M. [H] [F] et Mme [N] [F] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir rétracté l'arrêt du 24 mai 2018 en ce qu'il a dit et jugé que, cautions du prêt consenti à la SARL Brise Marine par acte notarié en date du 24 juin 2008, ils sont déchargés de leur obligation de garantie, et, en conséquence, d'avoir dit qu'ils restent tenus par leur obligation de garantie ;
1°) Alors que les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; que, pour décider que le notaire disposait d'un pouvoir de représentation « donné dès l'origine » par la société Quo Vadis, vendeur, pour établir le 9 octobre 2015 un acte rectificatif de l'acte de vente du 24 juin 2008, la cour d'appel s'est fondée sur une clause stipulée à l'acte de prêt du 24 juin 2008 passé entre la banque et l'acquéreur, suivant laquelle, « pour l'accomplissement des formalités de publicité foncière, les parties (?) donnent tous pouvoirs nécessaires à tout clerc habilité (....) à l'effet de faire dresser et signer tous actes complémentaires ou rectificatifs (?) », étant relevé que « l'acte rectificatif du 9 octobre 2015 renvoie bien à l'acte de prêt du 24 juin 2008 » ; qu'en statuant ainsi, cependant que la société Quo Vadis, venderesse, suivant ses propres constatations (arrêt, p. 3), n'était pas partie à l'acte de prêt du 24 juin 2008, la cour d'appel a violé l'article 1165, devenu 1199, du code civil ;
2°) Alors que dans leurs écritures, les époux [F] ont invoqué l'autorité de chose jugée attachée à un jugement du 28 mai 2018 rendu par le tribunal de commerce de Toulon (concl., p. 23), publié au service de la publicité foncière, ayant dit que le défaut de consentement de la part des sociétés SARL Brise Marine et SA Quo Vadis dans la signature de l'acte rectificatif du 9 octobre 2015 a pour conséquence la nullité dudit acte, déclaré ledit acte nul pour défaut de consentement de la part de la SARL Brise Marine et de la SA Quo Vadis et prononcé sa nullité dudit acte ; qu'en donnant effet à l'acte rectificatif du 9 octobre 2015, sans se prononcer sur l'autorité de chose jugée du jugement du 28 mai 2018, qui en avait constaté la nullité, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
M. [H] [F] et Mme [N] [F] font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que sa décision de rétractation de l'arrêt du 24 mai 2018, par laquelle la cour d'appel a dit que, cautions du prêt consenti à la SARL Brise Marine par acte notarié du 24 juin 2008, ils restent tenus par leur obligation de garantie, a autorité de chose jugée à l'égard de toutes les parties appelées à l'instance en application de l'article 584 du code de procédure civile ;
Alors qu'il résulte de la combinaison des articles 584 et 591 du code de procédure civile qu'en cas de tierce opposition le jugement primitif conserve ses effets entre parties même sur les chefs annulés ; qu'il n'en est autrement qu'en cas d'indivisibilité absolue lorsqu'il est impossible d'exécuter en même temps les deux décisions ; que, pour décider que sa décision de rétractation de l'arrêt du 24 mai 2018, par laquelle elle a dit que les époux [F], cautions du prêt consenti à la société Brise Marine par acte notarié du 24 juin 2008, restaient tenus par leur obligation de garantie, a chose jugée à l'égard de toutes les parties appelées à l'instance, la cour d'appel a énoncé que conformément à l'article 591 du code de procédure civile sa décision a autorité de chose jugée à l'égard de toutes les parties appelées à l'instance en application de l'article 584 du même code ; que toutefois l'inexécution des engagements de caution envers la banque n'emporte aucune impossibilité d'exécution d'une éventuelle condamnation ou exonération du notaire au titre de sa responsabilité professionnelle à l'égard de la banque ; que l'arrêt attaqué a ainsi violé les textes susvisés.
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CASS/JURITEXT000046727366.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 décembre 2022
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1282 F-B
Pourvoi n° X 21-17.446
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 DÉCEMBRE 2022
M. [M] [P], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° X 21-17.446 contre l'arrêt rendu le 5 mai 2021 par la chambre civile de la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [O] [J],
2°/ à Mme [T] [L],
tous deux domiciliés [Adresse 4],
3°/ à la société Maif assurances, dont le siège est [Adresse 2],
4°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Gers, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Delbano, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [P], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de M. [J], Mme [L] et la société Maif assurances, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Delbano, conseiller rapporteur, Mme Kermina, conseiller, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 5 mai 2021) et les productions, courant 2008, lors d'une séance d'entraînement au sein d'un club de motocyclisme, M. [P] a été percuté par la motocyclette pilotée par M. [J], alors mineur, ce qui a entraîné une atteinte à son intégrité physique et psychique.
2. M. [J] a été déclaré entièrement responsable du préjudice corporel subi par M. [P] et tenu, en la personne de sa mère Mme [L], d'indemniser l'entier préjudice de la victime, une expertise médicale étant ordonnée.
3. M. [P] a fait construire une maison d'habitation d'une surface adaptée à son handicap, dont l'édification s'est achevée en juillet 2014.
4. Par arrêt confirmatif du 19 décembre 2018, M. [J] et la société Maif (l'assureur) ont été condamnés in solidum à payer diverses sommes à M. [P] en réparation de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux, à l'exception du poste relatif à l'adaptation du logement pour lequel une mesure d'instruction a été ordonnée.
5. M. [P] a interjeté appel du jugement ayant condamné in solidum M. [J] et l'assureur à lui payer la somme de 105 170,94 euros au titre des frais de logement adapté.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, troisième et cinquième branches, ci-après annexé
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. M. [P] fait grief à l'arrêt de fixer le préjudice qu'il a subi du fait de la nécessité dans laquelle il se trouve de vivre dans un logement adapté à son handicap à la somme de 68 488,72 euros de surface supplémentaires et 24 817,20 euros d'équipements et matériels spécifiques, alors « que l'aveu ne peut porter que sur un point de fait et non de droit tel que la définition d'un chef de préjudice ; que, dès lors, en retenant l'existence d'un « aveu judiciaire de M. [P] » par lequel il aurait « admis à plusieurs reprises [?] que l'indemnisation doit correspondre au surcoût résultant des surfaces complémentaires et des aménagements spécifiques », qui lui interdirait de demander, devant la cour d'appel, une indemnisation au titre des frais de logement adapté, incluant le coût de la construction de son logement adapté, la cour d'appel, qui a retenu un aveu portant sur une qualification juridique, a violé l'article 1356 du code civil ».
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. M. [J], Mme [L] et l'assureur contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau, M. [P] n'ayant jamais soutenu que l'aveu portait sur une qualification juridique.
9. Cependant, M. [P] a fait valoir, devant la cour d'appel, que son indemnisation par rapport au coût de son logement était une question de droit, et non de fait.
10. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 1383 et 1383-2 du code civil :
11. Il résulte de ces textes que l'aveu, qu'il soit judiciaire ou extra-judiciaire, exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques.
12. Pour fixer le préjudice résultant pour M. [P] de l'accident dont il a été victime, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'il a admis à plusieurs reprises dans ses conclusions que son indemnisation doit correspondre au surcoût résultant des surfaces complémentaires et des aménagements spécifiques, ce qui constitue un aveu judiciaire et qu'il a reconnu, pour définir quel était ce surcoût, que l'expert devait le comparer au coût qu'aurait représenté pour lui, hors handicap, la construction d'une maison ou l'acquisition d'un appartement, cette reconnaissance étant bien faite judiciairement.
13. En statuant ainsi, alors que les conclusions de M. [P] portaient sur une appréciation en droit du contenu du préjudice indemnisable et ne constituaient pas l'aveu d'un fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 mai 2021, entre les parties, par la chambre civile de la cour d'appel d'Agen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne M. [J], Mme [L] et la société Maif assurances aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [P] en ce qu'elle est dirigée contre la caisse primaire d'assurance maladie du Gers, rejette la demande formée par M. [J], Mme [L] et la société Maif assurances et les condamne à payer à M. [P] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille vingt-deux et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [P]
M. [P] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR fixé le préjudice qu'il a subi du fait de la nécessité dans laquelle il se trouve de vivre dans un logement adapté à son handicap à la somme de 68 488,72 euros de surface supplémentaires et 24 817,20 euros d'équipements et matériels spécifiques et de l'AVOIR débouté du surplus de ses demandes à ce titre ;
1°) ALORS QUE l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel et il est statué à nouveau en fait et en droit ; que la victime est recevable à solliciter en appel une indemnisation nouvelle qui présente un lien d'accessoire ou de complément avec les prétentions émises précédemment ; qu'en refusant d'indemniser M. [P] du coût d'acquisition d'un logement, rendu nécessaire par l'accident dont il a été victime le 11 mai 2008, au motif qu'il aurait « reconn[u] dans ses conclusions du 22 mai 2017, que « pour définir quel était le surcoût l'expert devait le comparer au coût qu'aurait représenté pour lui, hors handicap, la construction d'une maison ou l'acquisition d'un appartement » », quand la victime pouvait valablement modifier sa demande d'indemnisation devant la cour d'appel, qui était saisie de l'entier litige, la cour d'appel a violé les articles 561 et 566 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE l'aveu ne peut porter que sur un point de fait et non de droit tel que la définition d'un chef de préjudice ; que, dès lors, en retenant l'existence d'un « aveu judiciaire [de M. [P]] » par lequel il aurait « admis à plusieurs reprises [?] que l'indemnisation doit correspondre au surcoût résultant des surfaces complémentaires et des aménagements spécifiques » (jugement p. 6, al. 2), qui lui interdirait de demander, devant la cour d'appel, une indemnisation au titre des frais de logement adapté, incluant le coût de la construction de son logement adapté, la cour d'appel, qui a retenu un aveu portant sur une qualification juridique, a violé l'article 1356 du code civil ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, en retenant que « M. [P] est déjà propriétaire » (arrêt p. 5, al. 8) au moment de l'accident survenu le 11 mai 2008 quand il n'a jamais été contesté qu'en 2008 il vivait chez ses parents et quand l'expert [Z] a constaté que le permis de construire a été déposé le 24 septembre 2012, accordé le 25 octobre 2012 et que la déclaration d'ouverture de chantier a été déposée le 11 février 2013 (rapport de l'expert [Z] p. 7), la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QU'en toute hypothèse, le débiteur d'indemnisation doit être condamné au paiement des frais d'acquisition d'un terrain et de construction d'un logement adapté au handicap de la victime, dès lors que ces frais sont directement imputables aux séquelles provoquées par l'accident ; qu'en se fondant sur la circonstance que « M. [P] est déjà propriétaire » (arrêt p. 5, al. 8) à la date de l'arrêt pour le débouter de sa demande tendant à l'indemnisation du coût de construction de son logement sans rechercher si la construction d'un logement adapté était en relation avec l'accident pour avoir été rendue nécessaire à raison du handicap de la victime et du mode de vie qu'il lui impose, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
5°) ALORS QU'en toute hypothèse, le juge tenu de respecter et faire respecter le principe du contradictoire, ne peut se fonder sur des éléments de preuve qui n'ont pas été régulièrement produits aux débats ; qu'en se fondant dès lors sur une « facture récapitulative du 18 juillet 2014 de [H] Construction » (arrêt p. 6, al. 8) qui n'avait pas été régulièrement produite et soumise au débat contradictoire, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.
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CASS/JURITEXT000046727182.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 décembre 2022
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 887 F-B
Pourvoi n° X 21-17.492
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
M. [T] [K], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° X 21-17.492 contre l'arrêt rendu le 23 mars 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [U] [O], domiciliée [Adresse 1] (Luxembourg), prise en qualité de liquidateur de la société Landsbanki, société anonyme de droit luxembourgeois, dont le siège est [Adresse 4] Luxembourg,
2°/ au procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié en son parquet général, [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [K], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [O], ès qualités, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 mars 2021), M. [K] (l'emprunteur) a formé un recours contre la décision d'un directeur des services de greffe judiciaires constatant la force exécutoire en France d'un arrêt de la cour d'appel du Grand-Duché du Luxembourg qui a rejeté sa demande d'admission au passif de la société luxembourgeoise Landsbanski Luxembourg, représentée par Mme [O], liquidatrice (la banque), et l'a condamné à payer à celle-ci diverses sommes.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
2. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions et de constater la force exécutoire, en France, de l'arrêt de la cour d'appel du Grand-Duché du Luxembourg, alors :
« 1°/ que l'action intentée contre un consommateur ne peut être portée que devant les tribunaux de l'État membre sur le territoire duquel est domicilié ledit consommateur, sauf à ce que cette demande soit formée à titre reconventionnel devant le tribunal saisi par le consommateur d'une demande originaire ; qu'en l'espèce, en retenant, pour en déduire que les juridictions luxembourgeoises étaient compétentes, que la banque avait formé une demande reconventionnelle contre l'emprunteur, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si la demande en remboursement du prêt formée par la banque était connexe à la demande originaire d'admission d'une créance au passif d'une procédure collective, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles 15, 16, 35 et 45 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 (dit Bruxelles I) ;
2°/ que si le juge d'un État membre devant lequel le défendeur comparaît est compétent, c'est à la condition que le défendeur ait été informé de son droit de contester la compétence de la juridiction et des conséquences d'une comparution ou d'une absence de comparution ; qu'en l'espèce, en retenant que l'emprunteur n'a pas contesté la compétence de la juridiction de Luxembourg pour statuer sur la demande reconventionnelle de la banque, sans rechercher si celui-ci avait été informé de son droit de contester la compétence de cette juridiction, ce qui n'était pas le cas, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 24 du règlement n° 44/2001, ensemble l'article 26 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (dit Bruxelles I bis) et l'article 38 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
3. En premier lieu, il résulte de l'article 66 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit Bruxelles I bis) que le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 (dit Bruxelles I) continue à s'appliquer aux décisions rendues dans les actions judiciaires intentées avant le 10 janvier 2015.
4. Ayant relevé que l'action devant les juridictions luxembourgeoises avait été engagée le 31 mars 2010, la cour d'appel en a exactement déduit que la reconnaissance de la décision rendue par elles était régie par le règlement Bruxelles I, lequel ne prévoyait pas qu'avant de se déclarer compétente, la juridiction devait s'assurer que le consommateur défendeur était informé de son droit de contester cette compétence et des conséquences d'une comparution ou d'une absence de comparution.
5. En second lieu, il résulte de l'arrêt de la CJCE, arrêt du 20 mai 2010, Česká podnikatelská pojišťovna as, Vienna Insurance Group/Michal Bilas, C-111/09 que l'article 24 du règlement Bruxelles I doit être interprété en ce sens que le juge saisi, sans que les règles relatives au contrat de consommation aient été respectées, doit se déclarer compétent lorsque le défendeur comparaît et ne soulève pas d'exception d'incompétence, une telle comparution constituant une prorogation tacite de compétence.
6. Ayant constaté que l'emprunteur n'avait pas contesté la compétence de la cour d'appel de Luxembourg pour statuer sur la demande reconventionnelle de la banque, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
7. L'emprunteur fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'une décision n'est pas reconnue si la reconnaissance est manifestement contraire à l'ordre public de l'État membre requis ; que la nullité d'une clause potestative a un caractère d'ordre public ; qu'en l'espèce, est potestative la clause autorisant la banque à exiger le remboursement du prêt dans l'hypothèse, selon une procédure de calcul laissée par le contrat à l' « entière discrétion » de la banque, le ratio de gagerie se monte à 90 % du montant du prêt ; qu'en jugeant néanmoins que le moyen relatif à l'existence d'une éventuelle clause potestative relève de l'appréciation du juge du fond et qu'une clause potestative n'est en tout état de cause pas contraire à l'ordre public français, lorsque la nullité d'une clause potestative a un caractère d'ordre public, de sorte qu'une décision de condamnation fondée sur une telle clause ne peut être reconnue, la cour d'appel a violé l'article 34 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 (dit Bruxelles I), ensemble l'article 1304-2 du code civil. »
Réponse de la Cour
8. Selon les articles 34 et 36 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 (dit Bruxelles I), la reconnaissance n'est refusée que si elle est manifestement contraire à l'ordre public de l'Etat requis et, en aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l'objet d'une révision au fond.
9. La contrariété à l'ordre public international s'entend d'une violation manifeste d'une règle de droit considérée comme essentielle dans l'ordre juridique de l'Union et donc dans celui de l'État membre requis ou d'un droit reconnu comme fondamental dans ces ordres juridiques (CJUE, arrêt du 6 juillet 2015, Diageo Brands BV/Simiramida-04 EOOD, C-681/13).
10. En retenant que ne satisfaisait pas à ces conditions la violation alléguée de l'article 1174 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qui prohibait les clauses potestatives, la cour d'appel a justifié sa décision.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
12. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 16, 3° de la section 4 du règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [K] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [K] et le condamne à payer à la société Landsbanski Luxembourg, représentée par Mme [O], liquidateur la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour M. [K]
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé la décision déférée en toutes ses dispositions et, partant, d'avoir constaté la force exécutoire, en France, de l'arrêt en date du 27 avril 2016 de la cour d'appel du Grand-Duché du Luxembourg dans l'instance opposant la société anonyme Landsbanki Luxembourg à Monsieur [T] [K] ;
1°) Alors que, d'une part, l'action intentée contre un consommateur ne peut être portée que devant les tribunaux de l'État membre sur le territoire duquel est domicilié ledit consommateur, sauf à ce que cette demande soit formée à titre reconventionnel devant le tribunal saisi par le consommateur d'une demande originaire ; qu'en l'espèce, en retenant, pour en déduire que les juridictions luxembourgeoises étaient compétentes, que la société Landsbanki avait formé une demande reconventionnelle contre Monsieur [K], sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée (conclusions d'appel, p. 10), si la demande en remboursement du prêt formée par la banque était connexe à la demande originaire d'admission d'une créance au passif d'une procédure collective, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles 15, 16, 35 et 45 du Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;
2°) Alors que, d'autre part, si le juge d'un État membre devant lequel le défendeur comparaît est compétent, c'est à la condition que le défendeur ait été informé de son droit de contester la compétence de la juridiction et des conséquences d'une comparution ou d'une absence de comparution ; qu'en l'espèce, en retenant que Monsieur [K] n'a pas contesté la compétence de la cour d'appel de Luxembourg pour statuer sur la demande reconventionnelle de la société Landsbanki, sans rechercher si celui-ci avait été informé de son droit de contester la compétence de cette juridiction, ce qui n'était pas le cas, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 24 du Règlement n° 44/2001, ensemble l'article 26 du Règlement (UE) n° 1215/2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et l'article 38 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
3°) Alors que, de troisième part, une décision n'est pas reconnue si la reconnaissance est manifestement contraire à l'ordre public de l'État membre requis ; que la nullité d'une clause potestative a un caractère d'ordre public ; qu'en l'espèce, est potestative la clause autorisant la banque à exiger le remboursement du prêt dans l'hypothèse, selon une procédure de calcul laissée par le contrat à l' « entière discrétion » de la banque, le ratio de gagerie se monte à 90 % du montant du prêt ; qu'en jugeant néanmoins que le moyen relatif à l'existence d'une éventuelle clause potestative relève de l'appréciation du juge du fond et qu'une clause potestative n'est en tout état de cause pas contraire à l'ordre public français, lorsque la nullité d'une clause potestative a un caractère d'ordre public, de sorte qu'une décision de condamnation fondée sur une telle clause ne peut être reconnue, la cour d'appel a violé l'article 34 du Règlement 44/2001, ensemble l'article 1304-2 du code civil.
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