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CASS/JURITEXT000047096628.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er février 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 95 FS-B+R
Pourvoi n° S 21-22.225
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER FÉVRIER 2023
La société Laboratoires Vivacy, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° S 21-22.225 contre l'arrêt rendu le 25 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l'opposant à la société Teoxane, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1] (Suisse), société de droit suisse, défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Laboratoires Vivacy, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Teoxane, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Champalaune, Michel-Amsellem, conseillers, Mmes Comte, Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, M. Debacq, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 juin 2021), la société Teoxane est titulaire du brevet européen EP 3027186 (EP 186), issu d'une demande internationale WO 2015/0154A7 déposée le 29 juillet 2014 et publiée le 5 février 2015. Ce brevet, portant sur un procédé de préparation d'une composition stérile et injectable comprenant un gel d'acide hyaluronique et un anesthésiant local, le chlorhydrate de mépivacaïne, a été délivré le 19 juin 2019.
2. Le 9 octobre 2019, la société Laboratoires Vivacy (la société Vivacy) a assigné la société Teoxane en annulation des revendications 1 à 4 de la partie française du brevet européen EP 186 devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire, de Paris.
3. Au soutien de cette action, la société Vivacy exposait commercialiser une composition constituée notamment d'un gel associant de l'acide hyaluronique et de la mépivacaïne mettant en oeuvre son brevet EP 3049091 déposé le 23 décembre 2014 et délivré le 4 janvier 2017. Soutenant que ce produit contrefaisait son brevet EP 186, la société Teoxane a obtenu, sur requêtes, deux ordonnances du 7 janvier 2020, l'autorisant à faire procéder à des opérations de saisie-contrefaçon au siège de la société Vivacy à [Localité 4] et dans une unité de production de cette société en Haute-Savoie.
4. Le 6 février 2020, la société Vivacy a assigné la société Teoxane devant le juge ayant autorisé les opérations de saisie-contrefaçon en rétractation des deux ordonnances rendues le 7 janvier 2020 et, subsidiairement, afin que soient déterminées les modalités de divulgation des pièces saisies.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et cinquième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société Vivacy fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de rétractation des ordonnances RG 20/00009 et 20/00010 du 7 janvier 2020, alors « qu'aux termes de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, les requêtes afférentes à une instance en cours sont présentées au président de la chambre saisie ou à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi ; qu'est afférente à une instance en cours, la requête qui porte sur des faits concluants pour cette instance ; que l'action en nullité d'un brevet n'est pas réservée à une partie suspectée de contrefaçon ; qu'une requête aux fins d'être autorisée, sur le fondement d'un brevet, à procéder à une saisie-contrefaçon afin de rechercher chez un concurrent la matérialité, l'origine, la consistance et l'étendue de la contrefaçon d'un brevet, alléguée à son encontre, qui reste sans influence sur la validité dudit brevet, n'est pas afférente à l'instance en annulation de celui-ci engagée par ce concurrent ; qu'en retenant, en l'espèce, que "quand bien même la procédure dont se trouvait saisie la 3ème section de la 3ème chambre avait pour objet la seule contestation de la validité du brevet" EP 186 de la société Teoxane et "qu'aucune demande reconventionnelle n'avait été formée en contrefaçon dudit brevet à la date du 6 janvier 2020", "les requêtes présentées par la société Teoxane aux fins d'établir l'existence des faits argués de contrefaçon de ce même brevet, intéressant les mêmes parties et les mêmes produits [que ceux en raison de la commercialisation desquelles la société Vivacy justifiait de son intérêt à agir en nullité du brevet] sont bien afférentes à la procédure en cours en nullité du brevet EP 186", quand les requêtes aux fins de saisie-contrefaçon, qui avaient pour objet d'établir des faits de contrefaçon du brevet EP 186 allégués à l'encontre de la société Vivacy, n'avaient pas le même objet que l'instance en nullité dudit brevet engagée par celle-ci et portaient sur des faits qui, ne conditionnant ni l'intérêt à agir de la société Vivacy en nullité du brevet ni la validité de celui-ci, n'étaient pas concluants pour cette instance, la cour d'appel a violé l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, que les requêtes afférentes à une instance en cours relèvent de la seule compétence du président de la chambre saisie ou à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi.
8. Selon l'article 74 du même code, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.
9. Il ressort de l'arrêt attaqué que, dans ses conclusions, la société Vivacy a soulevé une fin de non-recevoir, tirée du défaut de pouvoir du président de la chambre à laquelle l'affaire avait été distribuée, avant de développer une défense au fond.
10. Il s'en déduit qu'elle n'est pas recevable à soulever, pour la première fois, devant la Cour de cassation, sous le couvert d'une violation de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, l'incompétence de ce magistrat.
11. Le moyen ne peut être accueilli.
Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
12. La société Vivacy fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en application de l'article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle, le président qui ordonne une saisie-contrefaçon peut, afin d'assurer la protection du secret des affaires, "ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues à l'article R. 153-1 du code de commerce" ; que si le recours à une telle procédure est facultative pour le juge, celui-ci ne peut en revanche, afin d'assurer la protection du secret des affaires, recourir à une autre procédure que celle ainsi légalement prévue ; qu'en retenant en l'espèce que le magistrat ayant rendu les deux ordonnances sur requête avait pu faire le choix, afin d'assurer la protection du secret des affaires, de ne pas recourir à la procédure de séquestre provisoire légalement prévue mais à celle différente de placement sous scellés, la cour d'appel a violé l'article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle. »
Réponse de la cour
Vu les articles R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle et R. 153-1 du code de commerce :
13. Il ressort du premier de ces textes, qu'afin d'assurer la protection du secret des affaires, le président, qui autorise une mesure de saisie-contrefaçon, peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues au second de ces textes, lequel dispose :
« Lorsqu'il est saisi sur requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ou au cours d'une mesure d'instruction ordonnée sur ce fondement, le juge peut ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces demandées afin d'assurer la protection du secret des affaires.
Si le juge n'est pas saisi d'une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l'article 497 du code de procédure civile dans un délai d'un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l'alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant.
Le juge saisi en référé d'une demande de modification ou de rétractation de l'ordonnance est compétent pour statuer sur la levée totale ou partielle de la mesure de séquestre dans les conditions prévues par les articles R. 153-3 à R. 153-10. »
14. Pour rejeter la demande de rétractation des ordonnances ayant autorisé la saisie réelle ou par voie de photocopie ou de photographie de documents « sous réserve de placement sous scellés en cas d'atteinte au secret des affaires », l'arrêt, après avoir considéré que si une procédure spécifique de placement sous séquestre provisoire est prévue aux articles R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle et R. 153-1 du code de commerce, une telle procédure était facultative et le juge n'était pas tenu d'y recourir, relève que c'est le choix fait par le magistrat, qui a décidé de prononcer la mesure, différente et plus protectrice du saisi, de placement sous scellés des pièces de nature à violer le secret des affaires.
15. En statuant ainsi, alors qu'afin d'assurer la protection du secret des affaires de la partie saisie, le président, statuant sur une demande de saisie-contrefaçon, ne peut que recourir, au besoin d'office, à la procédure spéciale de placement sous séquestre provisoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
18. La cassation porte sur le chef de dispositif qui confirme l'ordonnance du 12 juin 2020 en toutes ses dispositions.
19. En vertu de l'article R. 615-2, dernier alinéa, du code de la propriété intellectuelle, le président qui autorise une mesure de saisie-contrefaçon peut prononcer le placement sous séquestre provisoire des documents saisis pour assurer le respect du secret des affaires.
20. Il ressort des ordonnances n° 20/00009 et 20/00010 du 7 janvier 2020 que le juge a autorisé la saisie réelle ou par voie de photocopie ou de photographie de documents « sous réserve de placement sous scellés en cas d'atteinte au secret des affaires », cependant qu'à compter de l'entrée en vigueur du décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018, le placement sous séquestre provisoire était la seule mesure pouvant être prononcée pour garantir le secret des affaires du saisi.
21. Il y a donc lieu d'ordonner la rétractation partielle de ces ordonnances, en ce qu'elles ont ordonné le placement sous scellés des documents saisis en cas d'atteintes au secret des affaires.
22. Les demandes de levée des scellés et d'aménagement des modalités de divulgation des pièces saisies, formées à titre subsidiaire par la société Vivacy et à titre reconventionnel par la société Teoxane, s'avèrent dès lors sans objet.
23. Il convient, par conséquent, d'infirmer l'ordonnance entreprise de ces chefs et de la confirmer pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant l'ordonnance de référé-rétractation du 12 juin 2020 en toutes ses dispositions, il rejette la demande de rétractation, ordonne la levée des scellés portés sur les documents 1 à 5 appréhendés par M. [O], huissier de justice à [Localité 3], ainsi que la levée des scellés de l'enveloppe constituée par M. [T], huissier de justice à [Localité 5], à l'occasion des saisies-contrefaçons du 8 janvier 2020, rejette la demande de restitution formée par la société Laboratoires Vivacy du document n° 2 appréhendé par Me [O] et ordonne la remise à la société Teoxane des documents n° 1 à 5 par Me [O] et des documents saisis par Me [T] selon certaines modalités, l'arrêt rendu le 25 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Ordonne la rétractation des ordonnances n° RG 20/00009 et 20/00010 du 7 janvier 2020 en ce qu'elles ont ordonné le placement sous scellés des documents saisis en cas d'atteintes au secret des affaires et ordonne la remise en intégralité des pièces saisies par Me [O] et Me [T] à la société Teoxane ;
Déclare les demandes de levée des scellés et d'aménagement des modalités de divulgation des pièces saisies, formées à titre subsidiaire par la société Laboratoires Vivacy et à titre reconventionnel par la société Teoxane, sans objet ;
Confirme l'ordonnance du 12 juin 2020 pour le surplus ;
Condamne la société Laboratoires Vivacy aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat aux Conseils, pour la société Laboratoires Vivacy.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance du 12 juin 2020 l'ayant déboutée de sa demande de rétractation des ordonnances RG 20/00009 et 20/00010 du 7 janvier 2020 ;
1°/ ALORS QU' aux termes de l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile, les requêtes afférentes à une instance en cours sont présentées au président de la chambre saisie ou à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi ; qu'est afférente à une instance en cours, la requête qui porte sur des faits concluants pour cette instance ; que l'action en nullité d'un brevet n'est pas réservée à une partie suspectée de contrefaçon ; qu'une requête aux fins d'être autorisée, sur le fondement d'un brevet, à procéder à une saisie-contrefaçon afin de rechercher chez un concurrent la matérialité, l'origine, la consistance et l'étendue de la contrefaçon d'un brevet, alléguée à son encontre, qui reste sans influence sur la validité dudit brevet, n'est pas afférente à l'instance en annulation de celui-ci engagée par ce concurrent ; qu'en retenant, en l'espèce, que « quand bien même la procédure dont se trouvait saisie la 3ème section de la 3ème chambre avait pour objet la seule contestation de la validité du brevet » EP 186 de la société Teoxane et « qu'aucune demande reconventionnelle n'avait été formée en contrefaçon dudit brevet à la date du 6 janvier 2020 », « les requêtes présentées par la société Teoxane aux fins d'établir l'existence des faits argués de contrefaçon de ce même brevet, intéressant les mêmes parties et les mêmes produits [que ceux en raison de la commercialisation desquelles la société Laboratoires Vivacy justifiait de son intérêt à agir en nullité du brevet] sont bien afférentes à la procédure en cours en nullité du brevet EP 186 », quand les requêtes aux fins de saisie-contrefaçon, qui avaient pour objet d'établir des faits de contrefaçon du brevet EP 186 allégués à l'encontre de la société Laboratoires Vivacy, n'avaient pas le même objet que l'instance en nullité dudit brevet engagée par celle-ci et portaient sur des faits qui, ne conditionnant ni l'intérêt à agir de la société Laboratoires Vivacy en nullité du brevet ni la validité de celui-ci, n'étaient pas concluants pour cette instance, la cour d'appel a violé l'article 845, alinéa 3, du code de procédure civile ;
2°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE le juge ne doit pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que les requêtes aux fins de saisie-contrefaçon présentées par la société Teoxane sur le fondement de son brevet EP186, qui n'indiquaient pas être afférentes à une instance en cours, se contentant de faire état, incidemment dans l'exposé des faits, d'une assignation délivrée par la société Laboratoires Vivacy à la société Teoxane devant le tribunal de grande instance de Paris en nullité de la partie française du brevet EP 86 sans même mentionner son enrôlement au sein de ce tribunal et de viser par un ajout manuscrit l'article 845 alinéa 3 du code de procédure civile, s'adressaient dans leur en tête « Au Président du tribunal judiciaire de Paris » ; que c'est à l'encontre des mentions dactylographiées des projets d'ordonnances prévoyant que celles-ci seraient rendues « par délégation du Président du Tribunal judiciaire de Paris », que la présidente de la 3ème section de la 3ème chambre du tribunal judiciaire de Paris a, par une mention manuscrite de sa main, précisé rendre celles-ci « es qualités de Pdt de la 3ème section de la 3ème chambre à laquelle l'affaire au fond intéressant les mêmes parties a été distribuée » ; qu'en retenant néanmoins que les requêtes avaient été régulièrement présentées, conformément aux exigences de l'article 845 alinéa 3 du code de procédure civile, à la présidente de la 3ème section de la 3ème chambre du tribunal judiciaire de Paris saisie de l'action en nullité du brevet, la cour d'appel a dénaturé lesdites requêtes et violé le principe susvisé ;
3°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT ENCORE QU'en retenant que les ordonnances rendues par la présidente de la 3ème section de la 3ème chambre, non par délégation du président du tribunal judiciaire de Paris mais en qualité de présidente « de la chambre à laquelle l'affaire au fond intéressant les mêmes parties a été distribuée » n'étaient pas entachées d'excès de pouvoir quand cette magistrate n'avait pas été saisie des requêtes en cette dernière qualité, la cour d'appel a violé ensemble les articles 1 et 845 du code de procédure civile ;
4°/ ALORS QU'en application de l'article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle, le président qui ordonne une saisie-contrefaçon peut, afin d'assurer la protection du secret des affaires, « ordonner d'office le placement sous séquestre provisoire des pièces saisies, dans les conditions prévues à l'article R. 153-1 du code de commerce » ; que si le recours à une telle procédure est facultative pour le juge, celui-ci ne peut en revanche, afin d'assurer la protection du secret des affaires, recourir à une autre procédure que celle ainsi légalement prévue ; qu'en retenant en l'espèce que le magistrat ayant rendu les deux ordonnances sur requête avait pu faire le choix, afin d'assurer la protection du secret des affaires, de ne pas recourir à la procédure de séquestre provisoire légalement prévue mais à celle différente de placement sous scellés, la cour d'appel a violé l'article R. 615-2 du code de la propriété intellectuelle ;
5°/ ALORS QU'aux termes de l'article 496 du code de procédure civile « s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance » ; qu'en retenant en l'espèce que chacune des ordonnances avait pu valablement mentionner sans autre référence aux prescriptions de l'article susvisé, qu'elle « sera exécutoire sur minute nonobstant toute opposition de la partie saisie, la société requérante offrant de nous en référer en cas de difficulté », la cour d'appel a violé ensemble les articles 496 et 16 du code de procédure civile ainsi que l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
N1 >Sur la nécessité de présenter la requête en saisie-contrefaçon au président de la chambre à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi, à rapprocher : Com., 26 mars 2008, pourvoi n° 05-19.782, Bull. 2008, IV, n° 70 (rejet).
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CASS/JURITEXT000047096626.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er février 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 94 FS-B
Pourvoi n° H 20-21.844
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER FÉVRIER 2023
L'ordre des architectes, dont le siège est [Adresse 4], domicilié en cette qualité au Conseil national de l'ordre des architectes, a formé le pourvoi n° H 20-21.844 contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 7), dans le litige l'opposant :
1°/ à l'Autorité de la concurrence, dont le siège est [Adresse 1], représentée par sa présidente, en exercice, domiciliée audit siège,
2°/ à M. [Z] [B], domicilié [Adresse 3],
3°/ au ministre de l'économie, des finances et de la relance, domicilié [Adresse 2], représentant la direction générale de la concurrence, de la consommation et la répression des fraudes,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Michel-Amsellem, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de l'ordre des architectes, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de l'Autorité de la concurrence, représentée par sa présidente, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Michel-Amsellem, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Poillot-Peruzzetto, Champalaune, conseillers, Mmes Comte, Bessaud, Bellino, M. Regis, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 octobre 2020), par une décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019, l'Autorité de la concurrence, qui s'était saisie d'office de pratiques mises en oeuvre dans le secteur d'activité des architectes, a sanctionné, sur le fondement des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), l'ordre des architectes, six sociétés d'architectes et quatre architectes pour avoir mis en oeuvre des décisions d'association d'entreprises constitutives d'ententes anticoncurrentielles. Ces décisions consistaient, pour la première, à diffuser et à imposer une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes de plusieurs régions, la seconde, à diffuser un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d'allégation de concurrence déloyale contre les architectes pratiquant des prix bas, ces saisines ayant vocation à être déposées et défendues par les conseils régionaux de l'ordre (CROA).
Examen des moyens
Sur le troisième moyen
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. L'ordre des architectes fait grief à l'arrêt de n'annuler la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des prestations d'architecte qu'en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros, de prononcer une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros contre lui au titre des pratiques visées aux articles 1 à 5 de la décision et de rejeter pour le surplus ses autres moyens en annulation et réformation, alors :
« 1°/ qu'en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, le juge administratif est seul compétent pour se prononcer sur la conformité au droit de la concurrence d'actes ou de pratiques résultant de l'exercice de prérogatives de puissance publique, y compris lorsqu'un tel exercice apparaît manifestement inapproprié ; qu'en retenant, au contraire, pour justifier la compétence de l'Autorité de la concurrence, que celle-ci pouvait connaître, notamment, des pratiques relevant de l'exercice de prérogatives de puissance publique lorsqu'elles ont été mises en oeuvre de manière manifestement inappropriée et, par conséquent, détachable de la mission de service public, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce ;
2°/ qu'à supposer que l'usage manifestement inapproprié de prérogatives de puissance publique puisse conférer à l'Autorité de la concurrence une compétence résiduelle pour apprécier si cet usage est constitutif de pratiques anticoncurrentielles, aucun des faits reprochés en l'espèce à l'ordre des architectes ne relève d'un usage de ses prérogatives de puissance publique qui, avec l'évidence requise, peut être qualifié de manifestement inapproprié, de sorte que l'appréciation des pratiques en cause pourrait échapper à la compétence de principe du juge administratif ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce ;
3°/ que le caractère manifestement inapproprié de l'usage de prérogatives de puissance publique ne saurait se déduire de la seule constatation du caractère anticoncurrentiel des pratiques reprochées ; qu'en l'espèce, pour estimer que l'Autorité de la concurrence avait, à juste titre, retenu sa compétence, la cour d'appel s'est bornée à relever, d'une part, que la procédure avait pour objet de déterminer si l'ordre des architectes avait mis en oeuvre des pratiques qui, sous couvert d'usage de son pouvoir disciplinaire, tendaient à unifier et à contrôler les prix pratiqués par ses membres, d'autre part, que de telles pratiques constituaient un usage manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique confiées à l'ordre des architectes ; qu'en se prononçant de la sorte, par un motif général impropre à établir le caractère manifestement inapproprié de l'exercice de ses prérogatives de puissance publique par l'ordre des architectes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
4. L'article 106, § 2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dispose :
« Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général (...) sont soumises aux règles (...) de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ».
5. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, si une activité, qui, par sa nature, les règles auxquelles elle est soumise et son objet, est étrangère à la sphère des échanges économiques ou se rattache à l'exercice de prérogatives de puissance publique, échappe à l'application des règles de concurrence du Traité, lorsqu'une organisation comme un ordre professionnel n'exerce pas de prérogatives typiques de puissance publique, elle apparaît comme l'organe de régulation d'une profession dont l'exercice constitue, par ailleurs, une activité économique entrant dans le champ d'application du TFUE (CJUE, 19 février 2002, Wouters e.a., C-309/99, §§ 57 et 58).
6. L'article L. 410-1 du code de commerce dispose :
« Les règles définies au présent livre s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public. »
7. Par une décision du 18 octobre 1999 (Tribunal des conflits, 18 octobre 1999, Bull. 1999, T. conflits, n° 29), le Tribunal des conflits a retenu que, « si dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services les personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la Concurrence agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique, relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques. »
8. Il s'ensuit que les personnes publiques qui effectuent des activités de production, de distribution ou de services peuvent être sanctionnées par l'Autorité de la concurrence, sous le contrôle de la cour d'appel de Paris, sauf lorsque les pratiques s'inscrivent dans l'accomplissement de la mission de service public et/ou mettent en oeuvre des prérogatives de puissance publique pour effectuer les activités en cause.
9. Par une décision du 4 mai 2009 (Tribunal des conflits, 4 mai 2009, Bull. 2009, T. conflits, n° 12), ce même Tribunal a jugé que si les règles définies au livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et à la concurrence s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public, l'Autorité de la concurrence n'est pas, pour autant, compétente pour sanctionner la méconnaissance des règles prohibant les pratiques anticoncurrentielles en ce qui concerne les décisions ou actes portant sur l'organisation du service public ou mettant en oeuvre des prérogatives de puissance publique. Il a ensuite retenu que la pratique imputée au Centre des monuments nationaux, établissement public administratif qui exerce une activité de production, de distribution et de services, et consistant, au profit de son propre centre éditorial, à réduire, voire supprimer, les commandes et, partant, les ventes des ouvrages édités et diffusés par la société Jean-Paul Gisserot, objet d'un marché public liant les parties, et susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle, étrangère à l'organisation du service public géré par l'établissement public, ne constitue pas la mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique.
10. Il en résulte que si les décisions par lesquelles les personnes publiques ou les personnes privées chargées d'un service public exercent la mission qui leur est confiée et mettent en oeuvre des prérogatives de puissance publique et qui peuvent constituer des actes de production, de distribution ou de services au sens de l'article L. 410-1 du code de commerce, entrant dans son champ d'application, ne relèvent pas de la compétence de l'Autorité de la concurrence, il en est autrement lorsque ces organismes interviennent par leur décision hors de cette mission ou ne mettent en oeuvre aucune prérogative de puissance publique.
11. Après avoir relevé que les pratiques reprochées à l'ordre des architectes d'avoir, d'une part, diffusé et imposé une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes de plusieurs régions via ses CROA, d'autre part, diffusé, au plan national, un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d'allégation de concurrence déloyale fondée sur le niveau, jugé trop faible, des honoraires pratiqués par un architecte, interviennent dans un secteur, celui des prestations d'architecte, régi par le principe de liberté des prix et dans un cadre, celui des marchés publics, soumis aux règles de la libre concurrence, l'arrêt retient que la procédure a eu pour objet de déterminer si et dans quelle mesure l'ordre des architectes avait concouru à la diffusion de tarifs et de méthodes de calcul des prix et mis en place un système de contrôle des prix généralisé, par des mesures de contrainte et menaces de procédures disciplinaires ayant pour finalité d'encadrer tant l'offre que la demande en matière de maîtrise d'ouvrage pour la construction d'ouvrages publics dans le sens de consignes tarifaires.
12. De ces énonciations, constatations et appréciations, faisant ressortir que les pratiques en cause ne relevaient pas de la mission de service public confiée à l'ordre des architectes ni des prérogatives de puissance publique qui lui étaient conférées pour cette mission, la cour d'appel, abstraction faite du motif erroné, critiqué par la première branche du moyen, a exactement déduit que l'Autorité de la concurrence était compétente pour les poursuivre et les sanctionner.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
14. L'ordre des architectes fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que le CNOA et les CROA, qui disposent de tous les attributs de la personnalité juridique, sont dotés chacun, individuellement et indépendamment de l'ordre des architectes, de la personnalité juridique ; qu'en retenant que seul l'ordre des architectes disposait de la personnalité morale pour en déduire que l'Autorité de la concurrence avait pu légalement imputer les pratiques litigieuses à l'ordre des architectes lui-même, la cour d'appel a violé les articles 26 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977, 36 et 37 du décret n° 77-1481 du 28 décembre 1977, ensemble les articles L. 420-1 et L. 464-2 du code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ;
2°/ que les infractions au droit de la concurrence doivent être imputées à l'entité juridique responsable au sens du droit de la concurrence et susceptible de se voir infliger une sanction ; que la cour d'appel s'est bornée, en l'espèce, à relever que l'ordre des architectes avait la personnalité morale et que le CNOA et les CROA n'en étaient que des démembrements pour imputer à l'ordre des architectes lui-même les pratiques litigeuses, dont il n'est pourtant pas contesté qu'elles auraient été matériellement mises en oeuvre respectivement par le CNOA et par chacun des quatre CROA en cause ; qu'en se prononçant de la sorte, par des motifs impropres à justifier en quoi le CNOA et les CROA en cause ne pouvaient être tenus pour responsables des pratiques litigieuses au sens du droit de la concurrence ni comme étant aptes à se voir infliger une sanction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 et L. 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
3°/ que si l'Autorité de la concurrence peut choisir de ne poursuivre que certaines des différentes personnes responsables d'une même infraction, il résulte du principe de responsabilité personnelle, qu'elle ne peut imputer de griefs qu'à une entité qui en est responsable, au sens du droit de la concurrence, sans marge d'appréciation ; qu'en retenant, au contraire, que l'Autorité de la concurrence disposait d'une marge d'appréciation qui lui permettait en l'espèce de choisir, en opportunité, qui de l'ordre des architectes ou du CNOA et des CROA mis en cause elle souhaitait poursuivre pour les pratiques prétendument mises en oeuvre par ces derniers, la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L. 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
4°/ qu'en relevant que l'Autorité de la concurrence pouvait choisir la personne morale qu'elle entendait poursuivre et qu'elle avait pu, en l'espèce, choisir d'imputer les faits au seul ordre des architectes, la cour d'appel a, implicitement mais nécessairement, admis que le CNOA et les CROA pouvaient, au même titre que l'ordre des architectes, être des personnes juridiques responsables ; qu'en se prononçant ainsi tout en énonçant par ailleurs que seul l'ordre des architectes disposait de la personnalité morale de sorte que les infractions devaient lui être imputées, la cour d'appel s'est contredite et a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
15. Selon l'article 21 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture, l'ordre des architectes, constitué par les architectes remplissant les conditions fixées par cette loi, a la personnalité morale et l'autonomie financière.
16. Il résulte des articles 22, 23, 25 et 26 de cette même loi qu'il est institué, dans chaque région, un conseil régional de l'ordre des architectes (CROA), qui assure la tenue du tableau régional des architectes, et un conseil national de l'ordre des architectes (CNOA), qui coordonne l'action des CROA.
17. Selon l'article 26, le CNOA et les CROA concourent à la représentation de la profession auprès des pouvoirs publics. Ils ont qualité pour agir en justice en vue notamment de la protection du titre d'architecte et du respect des droits conférés et des obligations imposées aux architectes par la présente loi. Ils peuvent concourir à l'organisation de la formation permanente et de la promotion sociale et au financement d'organismes intéressant la profession.
18. En premier lieu, c'est à bon droit que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a déduit de la combinaison de ces textes que l'ordre des architectes était la seule entité dotée en l'espèce de la personnalité morale, tandis que le CNOA et les CROA ne sont ni totalement indépendants de cet ordre ni totalement autonomes entre eux, mais sont des organes décisionnels et opérationnels de celui-ci.
19. En second lieu, ayant énoncé à bon droit que l'Autorité de la concurrence dispose d'une marge d'appréciation quant à l'entité qu'elle entend poursuivre, c'est sans se contredire que la cour d'appel a exactement retenu, par motifs propres et adoptés, que l'Autorité pouvait décider de ne retenir que la seule responsabilité de l'ordre, unique entité dotée en l'espèce de la personnalité morale, en raison de la dimension nationale des pratiques et du fait que ces dernières avaient été mises en oeuvre par ses composantes que sont le CNOA et les CROA, de sorte qu'il devait être tenu pour responsable de I'infraction en cause en sa qualité d'auteur.
20. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'ordre des architectes aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'ordre des architectes et le condamne à payer à la présidente de l'Autorité de la concurrence la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour l'ordre des architectes.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
(Sur l'incompétence de l'Autorité de la concurrence)
L'Ordre des architectes fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir annulé la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des prestations d'architecte qu'en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros, d'avoir prononcé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros à l'encontre de l'Ordre des architectes au titre des pratiques visées aux articles 1er à 5 de la décision précitée et d'avoir rejeté pour le surplus les autres moyens en annulation et réformation présentés par l'Ordre des architectes ;
1° Alors qu'en vertu du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, le juge administratif est seul compétent pour se prononcer sur la conformité au droit de la concurrence d'actes ou de pratiques résultant de l'exercice de prérogatives de puissance publique, y compris lorsqu'un tel exercice apparaît manifestement inapproprié ; qu'en retenant, au contraire, pour justifier la compétence de l'Autorité de la concurrence, que celle-ci pouvait connaître, notamment, des pratiques relevant de l'exercice de prérogatives de puissance publique lorsqu'elles ont été mises en oeuvre de manière manifestement inappropriée et, par conséquent, détachable de la mission de service public (arrêt, p. 10 § 29), la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce ;
2° Alors, subsidiairement, qu'à supposer que l'usage manifestement inapproprié de prérogatives de puissance publique puisse conférer à l'Autorité de la concurrence une compétence résiduelle pour apprécier si cet usage est constitutif de pratiques anticoncurrentielles, aucun des faits reprochés en l'espèce à l'Ordre des architectes ne relève d'un usage de ses prérogatives de puissance publique qui, avec l'évidence requise, peut être qualifié de manifestement inapproprié, de sorte que l'appréciation des pratiques en cause pourrait échapper à la compétence de principe du juge administratif ; qu'en retenant le contraire (arrêt, p. 10 §§ 32-35), la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce ;
3° Alors, en tout état de cause, que le caractère manifestement inapproprié de l'usage de prérogatives de puissance publique ne saurait se déduire de la seule constatation du caractère anticoncurrentiel des pratiques reprochées ; qu'en l'espèce, pour estimer que l'Autorité de la concurrence avait, à juste titre, retenu sa compétence, la cour d'appel s'est bornée à relever, d'une part, que la procédure avait pour objet de déterminer si l'Ordre des architectes avait mis en oeuvre des pratiques qui, sous couvert d'usage de son pouvoir disciplinaire, tendaient à unifier et à contrôler les prix pratiqués par ses membres, d'autre part, que de telles pratiques constituaient un usage manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique confiées à l'Ordre des architectes ; qu'en se prononçant de la sorte, par un motif général impropre à établir le caractère manifestement inapproprié de l'exercice de ses prérogatives de puissance publique par l'Ordre des architectes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ensemble les articles L. 410-1 et L. 464-8 du code de commerce.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
(sur l'imputation des pratiques à l'Ordre des architectes)
L'Ordre des architectes fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir annulé la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des prestations d'architecte qu'en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros, d'avoir prononcé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros à l'encontre de l'Ordre des architectes au titre des pratiques visées aux articles 1er à 5 de la décision précitée et d'avoir rejeté pour le surplus les autres moyens en annulation et réformation présentés par l'Ordre des architectes ;
1° Alors que le CNOA et les CROA, qui disposent des tous les attributs de la personnalité juridique, sont dotés chacun, individuellement et indépendamment de l'Ordre des architectes, de la personnalité juridique ; qu'en retenant que seul l'Ordre des architectes disposait de la personnalité morale pour en déduire que l'Autorité de la concurrence avait pu légalement imputer les pratiques litigieuses à l'Ordre des architectes lui-même, la cour d'appel a violé les articles 26 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 et 36 et 37 du décret n° 77-1481 du 28 décembre 1977, ensemble les articles L. 420-1 et L 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
2° Alors, en tout état de cause, que les infractions au droit de la concurrence doivent être imputées à l'entité juridique responsable au sens du droit de la concurrence et susceptible de se voir infliger une sanction ; que la cour d'appel s'est bornée, en l'espèce, à relever que l'Ordre des architectes avait la personnalité morale et que le CNOA et les CROA n'en étaient que des démembrements pour imputer à l'Ordre des architectes lui-même les pratiques litigeuses, dont il n'est pourtant pas contesté qu'elles auraient été matériellement mises en oeuvre respectivement par le CNOA et par chacun des quatre CROA en cause (arrêt, pp. 12-13) ; qu'en se prononçant de la sorte, par des motifs impropres à justifier en quoi le CNOA et les CROA en cause ne pouvaient être tenus pour responsables des pratiques litigieuses au sens du droit de la concurrence ni comme étant aptes à se voir infliger une sanction, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 et L 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
3° Alors encore que si l'Autorité de la concurrence peut choisir de ne poursuivre que certaines des différentes personnes responsables d'une même infraction, il résulte du principe de responsabilité personnelle, qu'elle ne peut imputer de griefs qu'à une entité qui en est responsable, au sens du droit de la concurrence, sans marge d'appréciation ; qu'en retenant, au contraire, que l'Autorité de la concurrence disposait d'une marge d'appréciation qui lui permettait en l'espèce de choisir, en opportunité, qui de l'Ordre des architectes ou du CNOA et des CROA mis en cause elle souhaitait poursuivre pour les pratiques prétendument mises en oeuvre par ces derniers (arrêt, p. 13), la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE ;
4° Alors, enfin, qu'en relevant que l'Autorité de la concurrence pouvait choisir la personne morale qu'elle entendait poursuivre et qu'elle avait pu, en l'espèce, choisir d'imputer les faits au seul Ordre des architectes (arrêt, p. 13, § 57), la cour d'appel a, implicitement mais nécessairement, admis que le CNOA et les CROA pouvaient, au même titre que l'Ordre des architectes, être des personnes juridiques responsables ; qu'en se prononçant ainsi tout en énonçant par ailleurs que seul l'Ordre des architectes disposait de la personnalité morale de sorte que les infractions devaient lui être imputées (ibid., p. 12 § 50), la cour d'appel s'est contredite et a violé l'article 455 du code de procédure civile.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
(Sur les pratiques reprochées à l'Ordre des architectes)
L'Ordre des architectes fait grief à l'arrêt attaqué de n'avoir annulé la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des prestations d'architecte qu'en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros, d'avoir prononcé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros à l'encontre de l'Ordre des architectes au titre des pratiques visées aux articles 1er à 5 de la décision précitée et d'avoir rejeté pour le surplus les autres moyens en annulation et réformation présentés par l'Ordre des architectes ;
1° Alors d'abord qu'il ressort du compte rendu de la réunion du groupe de travail Juriet du 27 novembre 2015, adressé le 18 avril 2016 aux différents CROA, que les travaux du « Cotech concurrence déloyale » se poursuivront « une fois tirées les conclusions par la DIRECCTE des actions menées par les CROA en matière de concurrence déloyale » (p. 29) ; que la cour d'appel a retenu que la suspension des travaux mentionnée dans ce document était sans portée s'agissant de la plainte type, dès lors qu'il n'était pas fait spécifiquement référence à cette plainte (arrêt, pp. 34-35, § 221) ; qu'en se prononçant ainsi cependant que, précisément, la mention litigieuse visait de manière générale et sans exclusion aucune, l'ensemble des travaux du « Cotech concurrence déloyale », dont relève le modèle de plainte type présenté lors de la réunion du 27 novembre 2015, la cour d'appel a dénaturé le document susvisé et violé le principe interdisant au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2° Alors ensuite qu'en l'absence de diffusion du modèle de saisine disciplinaire litigieux en dehors des instances ordinales et de toute utilisation par ces dernières du modèle, la seule présentation du document aux CROA ne pouvait avoir aucun effet anticoncurrentiel ; qu'en retenant, au contraire, pour estimer qu'un tel effet s'attachait à la présentation aux CROA du modèle de plainte type, que ce document avait par nature vocation à être utilisé par les CROA de sorte qu'il importait peu qu'il n'ait été ni diffusé auprès des membres de la profession ou de tiers, ni utilisé (arrêt, p. 35, § 228), la cour d'appel a violé les articles L. 420-1 et L du code de commerce et 101 du TFUE ;
3° Alors, enfin, que pour juger que la diffusion du modèle de saisine disciplinaire constituait une restriction de concurrence par objet, la cour d'appel s'est bornée à relever que la plainte type, en ce qu'elle comprenait deux propositions alternatives de calcul des honoraires, était destinée à faciliter les actions disciplinaires lorsqu'un architecte ne respecte pas un barème prédéterminé (arrêt, p. 35, §§ 223-225) ; qu'en se prononçant de la sorte, sans rechercher, ainsi qu'elle y était expressément invitée (exposé des moyens récapitulatif, p. 68, § 155), s'il ne résultait pas des autres mentions de la plainte type que celle-ci, loin de se référer à une détermination mécanique de la sous-estimation des honoraires, invitait au contraire les CROA, avant tout dépôt de plainte, à instruire de manière complète le dossier en appréciant les honoraires pratiqués par un architecte, ainsi que son comportement, en fonction d'un faisceau d'indices, et à recueillir auprès de l'architecte concerné toute justification utile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 420-1 et L 464-2 du code de commerce et 101 du TFUE.
Sur la compétence du Conseil de la concurrence, à rapprocher : Com., 16 mai 2000, pourvoi n° 98-11.800, Bull. Civ. 2000, IV, n° 99 (rejet).
|
CASS/JURITEXT000047096644.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er février 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 101 FP-B
Pourvoi n° D 21-15.221
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER FÉVRIER 2023
La société Halozyme Inc., société de droit américain "corporation", dont le siège est [Localité 1]), a formé le pourvoi n° D 21-15.221 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l'opposant au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Halozyme Inc., de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen de la chambre, Mme Vaissette, conseiller doyen de section,
M. Mollard, conseiller doyen de section, Mmes Vallansan, Poillot-Peruzzetto, Graff-Daudret, Bélaval, Champalaune, Daubigney, conseillers, M. Guerlot, Mme Barbot, conseillers référendaires, M. Douvreleur, avocat général, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 décembre 2020), le 20 juillet 2015, la société Halozyme Inc., laboratoire américain de biotechnologie qui développe des thérapies innovantes contre le cancer, a déposé une demande de certificat complémentaire de protection n° 15C0053 (CCP n° 053) pour le produit « trastuzumab et hyaluronidase humaine recombinante ». Cette demande mentionne la partie française du brevet européen déposé le 5 mars 2004, publié sous le n° EP 2163643 (EP 643) sous le titre « Glycoprotéine d'hyaluronidase soluble, son procédé de préparation, utilisations et compositions pharmaceutiques le comportant », délivré le 21 janvier 2015, dont la revendication n° 18 couvre une combinaison de polypeptide hyaluronidase substantiellement purifié et d'un agent anti-cancéreux et dont la revendication n° 21 couvre une telle composition pour une utilisation dans le traitement du cancer du sein, dans laquelle l'anti-cancéreux est un anticorps monoclonal.
2. Le 20 juillet 2015, sur le fondement de la partie française du brevet EP 643 et d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) communautaire délivrée le 26 août 2013 à la société Roche Registration Limited (la société Roche) pour la formulation sous-cutanée d'un médicament anti-cancéreux dénommé « Herceptin », constituée de la combinaison de trastuzumab, anticorps monoclonal présenté dans l'AMM comme le « principe actif », et de hyaluronidase humaine recombinante, présentée comme un « excipient », la société Halozyme a déposé une demande de certificat complémentaire de protection (CCP) pour le produit « trastuzumab et hyaluronidase humaine recombinante. »
3. La société Roche avait déjà obtenu, le 28 août 2000, une AMM communautaire pour la formulation intraveineuse de « Herceptin », laquelle ne contient pas de hyaluronidase humaine recombinante.
4. Par décision du 7 mars 2018, le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) a rejeté la demande de CCP aux motifs que la hyaluronidase humaine recombinante n'est pas un principe actif ayant un effet thérapeutique propre mais constitue un excipient, ainsi qu'il résulte du résumé des caractéristiques du produit se rapportant à l'AMM du 26 août 2013, et que le produit, objet du CCP demandé, ne peut être que le principe actif apparaissant dans l'AMM, soit le trastuzumab, lequel fait l'objet d'une AMM antérieure du 28 août 2000.
5. La société Halozyme a formé un recours contre cette décision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
7. La société Halozyme fait grief à l'arrêt de rejeter son recours formé contre la décision du directeur général de l'INPI du 7 mars 2018, rejetant la demande de CCP n° 053, portant sur la partie française du brevet EP 643, pour le produit « trastuzumab et hyaluronidase humaine recombinante », alors :
« 1°/ qu'une substance présentée dans l'AMM comme un excipient, mais dont il est démontré qu'elle a un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre sur l'organisme des patients lorsqu'elle est associée à une autre substance présentée comme un principe actif, doit elle-même être considérée comme un "principe actif" au sens de l'article 1, b), du règlement (CE) n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 ; qu'en l'espèce, comme le soutenait l'exposante et ainsi que le relevait la décision du directeur de l'INPI entreprise, la hyaluronidase, présentée comme un excipient dans l'AMM, agit directement sur l'organisme des patients atteints d'un cancer du sein en modifiant leurs tissus cellulaires pour permettre une meilleure assimilation du trastuzumab, anticorps monoclonal, et son administration plus ciblée, par voie sous-cutanée plutôt qu'intraveineuse ; qu'il en résulte que l'interaction des deux composants chimiques produit des effets spécifiques propres à la hyaluronidase et que, conjuguée au trastuzumab, cette substance est dotée d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre justifiant de l'assimiler à un "principe actif" au sens de l'article 1, b), du règlement (CE) n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 ; qu'en jugeant cependant que la hyaluronidase, seule ou combinée avec le trastuzumab, était dépourvue d'effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre, sans se prononcer sur l'effet physiologique propre de la hyaluronidase, agissant directement sur les tissus cellulaires des patients auxquels elle était administrée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1, 2, 3 et 4 de ce règlement ;
2°/ qu'il appartient aux juges du fond de vérifier, au regard de l'ensemble des circonstances de fait caractérisant le litige, si un composant présenté comme un excipient dans une AMM est doté d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre lorsqu'il est conjugué avec un autre principe actif, peu important que l'AMM ne mentionne pas expressément les effets propres de la substance ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer que la société Halozyme produisait uniquement des pièces rédigées en anglais ne permettant pas d'identifier l'effet pharmacologique, immunologique et métabolique propre de la hyaluronidase pour le traitement du cancer du sein, ce qui ne révélait rien sur les effets de l'enzyme lorsqu'elle est combinée au trastuzumab, et que l'AMM, assimilant la hyaluronidase à un excipient, ne concluait pas à l'existence d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre à ce composant "dans son association avec le trastuzumab", la cour d'appel a donc statué par des motifs tout à la fois insuffisants et impropres pour retenir, au regard de l'ensemble des circonstances de fait du litige, que la hyaluronidase n'avait pas un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre dans son association avec le trastuzumab, violant ainsi les articles 1, 2, 3 et 4 du règlement (CE) n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 . »
Réponse de la Cour
8. Dans l'arrêt CJUE, arrêt du 15 janvier 2015, Forsgren, C-631/13, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que « l'article 1, sous b), du règlement (CE) n° 469/2009 du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 doit être interprété en ce sens qu'une protéine vectrice conjuguée à un antigène polysaccharidique au moyen d'une liaison covalente ne peut être qualifiée de "principe actif", au sens de cette disposition, que s'il est établi que celle-ci produit un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre couvert par les indications thérapeutiques de l'autorisation de mise sur le marché, ce qu'il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier au regard de l'ensemble des circonstances de fait caractérisant le litige au principal. »
9. Il en résulte que lorsque l'AMM ne qualifie pas une substance de « principe actif », il est présumé de façon réfragable que cette substance ne produit pas d'effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre couvert par les indications thérapeutiques visées par cette AMM.
10. Après avoir exactement énoncé que l'appréciation de l'effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre couvert par les indications thérapeutiques de la hyalorunidase humaine recombinante devait s'effectuer au regard du contenu de l'AMM, l'arrêt relève que celle-ci ne vise comme principe actif que le seul trastuzumab et ne cite la hyalorunidase humaine recombinante que comme l'un des excipients de la composition, et retient qu'aucun élément contenu dans l'AMM ni dans un document externe ne justifie d'un effet propre à la hyarolunidase seule, ou dans son association avec le trastuzumab, pour les indications thérapeutiques de l'AMM.
11. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a fait ressortir que la hyaluronidase recombinante humaine était présumée être un excipient au regard des mentions de l'AMM et de ses documents préparatoires, et a retenu qu'aucune preuve contraire n'était rapportée a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Halozyme Inc. aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Halozyme Inc. à payer au directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat aux Conseils, pour la société Halozyme Inc.
La société Halozyme fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté son recours formé contre la décision du directeur général de l'Inpi du 7 mars 2018, refusant de faire droit à sa demande de certificat complémentaire de protection n° 16C0053 (« la CCP 053 »), portant sur la partie française du brevet EP 643, pour le produit « trastuzumab et hyaluronidase humaine recombinante » ;
1°) ALORS QU' une substance présentée dans l'autorisation de mise sur le marché comme un excipient, mais dont il est démontré qu'elle a un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre sur l'organisme des patients lorsqu'elle est associée à une autre substance présentée comme un principe actif, doit elle-même être considérée comme un « principe actif » au sens de l'article 1er b) du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 ; qu'en l'espèce, comme le soutenait l'exposante et ainsi que le relevait la décision du directeur de l'INPI entreprise (p. 4 § 1), la hyaluronidase, présentée comme un excipient dans l'autorisation de mise sur le marché, agit directement sur l'organisme des patients atteints d'un cancer du sein en modifiant leurs tissus cellulaires pour permettre une meilleure assimilation du trastuzumab, anticorps monoclonal, et son administration plus ciblée, par voie sous-cutanée plutôt qu'intraveineuse ; qu'il en résulte que l'interaction des deux composants chimiques produit des effets spécifiques propres à la hyaluronidase et que, conjugué au trastuzumab, cette substance est dotée d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre justifiant de l'assimiler à un « principe actif » au sens de l'article 1er b) du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 ; qu'en jugeant cependant que la hyaluronidase, seule ou combinée avec le trastuzumab, était dépourvue d'effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre (arrêt, p. 8 § 6), sans se prononcer sur l'effet physiologique propre de la hyaluronidase, agissant directement sur les tissus cellulaires des patients auxquels elle était administrée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1, 2, 3 et 4 de ce règlement ;
2°) ALORS, en toute hypothèse, QU' il appartient aux juges du fond de vérifier, au regard de l'ensemble des circonstances de fait caractérisant le litige, si un composant présenté comme un excipient dans une autorisation de mise sur le marché est doté d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre lorsqu'il est conjugué avec un autre principe actif, peu important que l'autorisation de mise sur le marché ne mentionne pas expressément les effets propres de la substance ; qu'en se bornant néanmoins à affirmer que la société Halozyme produisait uniquement des pièces rédigées en anglais ne permettant pas d'identifier l'effet pharmacologique, immunologique et métabolique propre de la hyaluronidase pour le traitement du cancer du sein (arrêt, p. 8 § 3 et 4), ce qui ne révélait rien sur les effets de l'enzyme lorsqu'elle est combinée au trastuzumab, et que l'autorisation de mise sur le marché, assimilant la hyaluronidase à un excipient, ne concluait pas à l'existence d'un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre à ce composant « dans son association avec le trastuzumab » (arrêt, p. 8 § 5), la cour d'appel a donc statué par des motifs tout à la fois insuffisants et impropres pour retenir, au regard de l'ensemble des circonstances de fait du litige, que la hyaluronidase n'avait pas un effet pharmacologique, immunologique ou métabolique propre dans son association avec le trastuzumab, violant ainsi les articles 1, 2, 3 et 4 du règlement (CE) n° 469/2009 du 6 mai 2009 ;
3°) ALORS, enfin, QU' en jugeant que la hyaluronidase ne pouvait être assimilée à un « principe actif », sans répondre aux conclusions de la société Halozyme faisant valoir que la longueur des études cliniques ayant précédé l'autorisation de mise sur le marché de la composition trastuzumab/hyaluronidase « ne [pouvait] s'expliquer que par l'ajout de la hyaluronidase au trastuzumab », dès lors que le trastuzumab avait déjà fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché (concl., p. 33 § 67), et que « si l'ajout de la hyaluronidase avait été si neutre, et alors même qu'elle permet un traitement plus efficace et une injection par voie sous cutanée, l'obtention d'une AMM aurait été beaucoup plus rapide » (concl., p. 33, in fine), ce dont il résultait pourtant que la longueur de la phase de tests cliniques relatives aux effets spécifiques attachés à la combinaison de la hyaluronidase au trastuzumab révélait l'effet pharmacologique, immunologique et métabolique propre attribué à la hyaluronidase combinée avec le trastuzumab, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
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CASS/JURITEXT000047128339.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 128 FS-B
Pourvoi n° X 21-13.536
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
La société Kirow Adelt GmbH, dont le siège est [Adresse 6] (Allemagne), a formé le pourvoi n° X 21-13.536 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2020 par la cour d'appel de Nancy (5e chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Travaux ferroviaires français, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Deutsche Leasing France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Kirow Adelt GmbH, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Travaux ferroviaires français, de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Deutsche Leasing France, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Bélaval, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, M. Bedouet, conseillers, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 18 novembre 2020), par une offre du 14 avril 2015 acceptée le 30 juin 2015, la société Travaux ferroviaires français (la société TFF) a commandé à la société de droit allemand Kirow Adelt GmbH (la société Kirow) une grue ferroviaire.
2. Par une lettre du 7 juillet 2015, la société Kirow a accepté les termes de cette commande. Cette « confirmation de commande » comportait la mention suivante : « Conditions de livraison : les prix indiqués ci-avant s'entendent sur la base de livraison EXW Leipzig suivant les conditions Incoterms 2010, hors TVA. »
3. Pour financer l'achat de la grue, la société TFF a souscrit, le 23 septembre 2016, un contrat de crédit-bail auprès de la société Deutsche Leasing France (la société Deutsche LF), lequel se référait à cette « confirmation de commande. »
4. Le 22 décembre 2016, la société Deutsche LF (le crédit-bailleur) a adressé une « confirmation de commande » au vendeur, la société Kirow. Y figuraient les mentions suivantes : « Nous vous passons ainsi commande de ce matériel en vue de sa livraison à notre locataire conformément aux dispositions et aux conditions ci-après. L'acceptation sans réserve de ces conditions nonobstant toutes clauses contraires de vente conditionne la validité de la présente commande. » et « Délai de livraison : la livraison du matériel s'entend de sa réception par le locataire dans ses locaux. Sauf dérogation expresse et écrite, la date limite de livraison prévue est impérative. »
5. La grue a été livrée en mars 2017 et la société Kirow a établi une facture à l'ordre de la société Deutsche LF le 30 mars 2017.
6. Alléguant un défaut de conformité aux normes de sécurité constaté après le basculement de la grue lors de son utilisation sur un chantier, la société TFF, bénéficiant contractuellement d'un mandat conféré par le crédit-bailleur, a assigné la société Kirow, en présence de la société Deutsche LF, devant le tribunal de commerce de Val de Briey, aux fins de prononcer la résolution judiciaire de la vente et de condamner la société Kirow au remboursement intégral du prix, au paiement de l'indemnité forfaitaire de 10 % du prix d'achat prévue au contrat de crédit-bail et de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.
7. La société Kirow a soulevé l'incompétence de la juridiction saisie au profit des juridictions allemandes.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche, ci-après annexé
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur ce moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
9. La société Kirow fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence du tribunal de commerce de Val de Briey pour connaître du litige l'opposant aux sociétés Deutsche LF et TFF et de confirmer la compétence de ce tribunal pour en connaître, alors « qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre, en matière contractuelle, s'agissant d'une vente de marchandises, devant le tribunal du lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées ; que si ce lieu est en principe celui stipulé au contrat liant les parties, en cas de divergence avec le lieu matériel effectif de livraison, ce dernier doit prévaloir ; qu'en l'espèce, en estimant que le lieu de livraison du contrat de vente entre la société Kirow et la société Deutsche Leasing France était le siège social de la société TFF dans la mesure où la confirmation de commande définissait "la livraison comme la réception par le locataire en ses locaux, ce qui implique que le lieu de livraison "en vertu du contrat" est situé au siège de la société TFF", tout en constatant que la "livraison [av]ait été matériellement réalisée en un autre lieu, la grue ayant en effet été acheminée à [Localité 3], puis à [Localité 5] et enfin à [Localité 4]" (op. cit. loc. cit.), la cour d'appel a violé l'article 7, 1, b), du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. »
Réponse de la Cour
10. Selon l'article 7, 1, b), du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, en matière de vente de marchandises, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite devant le tribunal du lieu où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées.
11. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'en cas de vente à distance, le lieu où les marchandises ont été ou auraient dû être livrées en vertu du contrat doit être déterminé sur la base des dispositions de ce contrat, qu'afin de vérifier si le lieu de livraison est déterminé « en vertu du contrat », la juridiction nationale saisie doit prendre en compte tous les termes et toutes les clauses pertinents de ce contrat qui sont de nature à désigner de manière claire ce lieu, y compris les termes et les clauses généralement reconnus et consacrés par les usages du commerce international, tels que les Incoterms (« international commercial terms »), élaborés par la Chambre de commerce internationale (CCI), que s'il est impossible de déterminer le lieu de livraison sur cette base sans se référer au droit matériel applicable au contrat, ce lieu est alors celui de la remise matérielle des marchandises par laquelle l'acheteur a acquis ou aurait dû acquérir le pouvoir de disposer effectivement de ces marchandises à la destination finale de l'opération de vente. (CJUE, arrêt du 25 février 2010, Car Trim, C-381/08 et CJUE, arrêt du 9 juin 2011, Europe, C-87/10).
12. En conséquence, le moyen, qui repose sur le postulat erroné selon lequel, en cas de divergence entre le lieu de livraison stipulé au contrat liant les parties et le lieu matériel effectif de livraison, ce dernier doit prévaloir, n'est pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
13. La société Kirow fait le même grief à l'arrêt, alors « que le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager ; qu'en l'espèce, dans ses écritures d'appel, la société Kirow contestait être liée par la "confirmation de commande" du 22 décembre 2016 invoquée par la société Deutsche Leasing, dès lors qu'elle ne l'avait pas signée ; en outre, elle rappelait que le contrat de crédit-bail faisait expressément référence à la commande initiale passée entre la société TFF et la société Kirow et stipulait que le crédit-preneur choisissait librement notamment les conditions de livraison et enfin, elle faisait valoir que la facture adressée à la société Deutsche Leasing France comportait l'incoterm EXW Leipzig ; qu'en décidant néanmoins que la société Kirow était liée par les termes de la "confirmation de commande" du 22 décembre 2016 relatifs au "délai de livraison", énonçant que "la livraison du matériel s'entend de sa réception par le locataire dans ses locaux" et comportant uniquement la signature de la société Deutsche Leasing France, aux seuls motifs qu'elle aurait "expressément accepté la substitution de débiteur, en signant, le 30 mars 2017, avec les sociétés intimées la délégation imparfaite de paiement, en application de l'article 1275 ancien du code civil, jointe à cette confirmation de commande, aux termes de laquelle elle a notamment accepté la substitution de la société Deutsche Leasing France à la société TFF dans son obligation de paiement du prix, et d'autre part, elle a exécuté le contrat en livrant le matériel et en adressant, le 30 mars 2017, sa facture à la société Deutsche Leasing France", la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser le consentement de la société Kirow à une fixation du lieu de livraison de la grue au siège social de la société TFF, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1113 du code civil dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1113 du code civil :
14. Aux termes de ce texte, le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager. Cette volonté peut résulter d'une déclaration ou d'un comportement non équivoque de son auteur.
15. Pour rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la société Kirow, l'arrêt relève qu'à la suite de l'offre de vente du 14 avril 2015 ayant fait l'objet d'une commande émise par la société TFF le 30 juin 2015 et acceptée par la société Kirow le 7 juillet 2015, la société TFF a ensuite souscrit auprès de la société Deutsche LF un contrat de crédit-bail faisant expressément référence à cette commande C/15.06/SL/Kirov01 du 30 juin 2015.
16. Il constate encore que, par une lettre du 22 décembre 2016 intitulée « confirmation de commande », le crédit-bailleur a informé la société Kirow qu'il se substituait à la société TFF pour l'acquisition de la grue ferroviaire et lui a passé commande du matériel.
17. Il retient qu'aux termes de cette « confirmation de commande », qui stipulait expressément que sa validité était conditionnée à une acceptation sans réserve de ses conditions, y compris celles différant des conditions initialement convenues avec la société TFF, la livraison du matériel s'entendait de sa réception par le locataire dans ses locaux et que la société Kirow a expressément accepté la substitution de débiteur en signant, le 30 mars 2017, la délégation imparfaite de paiement jointe à cette « confirmation de commande » et en exécutant le contrat, par la livraison du matériel et l'envoi, le 30 mars 2017, de sa facture à la société Deutsche LF.
18. Il en déduit que toutes les dispositions et conditions de la commande du 22 décembre 2016 sont opposables à la société Kirow et qu'en conséquence le lieu de livraison « en vertu du contrat » est situé au siège de la société TFF.
19. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'acceptation par le vendeur de la clause intitulée « délai de livraison » figurant dans un document non signé par lui, tout en constatant que le contrat de crédit-bail se référait expressément à la commande initiale ayant lié le vendeur et la société TFF et que la facture de la société Kirow reprenait la mention de l'incoterm EXW figurant dans le document « acceptation de la commande » envoyé à la société TFF par la société Kirow le 7 juillet 2015, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy autrement composée ;
Condamne les sociétés Travaux ferroviaires français et Deutsche Leasing France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Travaux ferroviaires français et Deutsche Leasing France et les condamne in solidum à payer à la société Kirow Adelt GmbH la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour la société Kirow Adelt GmbH.
La société Kirow Ardelt GmbH reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence du tribunal de commerce de Val de Briey pour connaître du litige l'opposant aux sociétés Deutsche Leasing SAS et Travaux Ferroviaires Français et d'avoir confirmé la compétence de ce tribunal pour en connaître ;
1°) ALORS QUE le contrat est formé par la rencontre d'une offre et d'une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s'engager ; qu'en l'espèce, dans ses écritures d'appel, la société Kirow contestait être liée par la « confirmation de commande » du 22 décembre 2016 invoquée par la société Deutsche Leasing, dès lors qu'elle ne l'avait pas signée (cf conclusions, p. 16, § 1) ; en outre, elle rappelait que le contrat de crédit-bail faisait expressément référence à la commande initiale passée entre la société TFF et la société Kirow et stipulait que le crédit-preneur choisissait librement notamment les conditions de livraison (cf p. 15) et enfin, elle faisait valoir que la facture adressée à la société Deutsche Leasing France comportait l'incoterm EXW Leipzig ; qu'en décidant néanmoins que la société Kirow était liée par les termes de la « confirmation de commande » du 22 décembre 2016 relatifs au « délai de livraison », énonçant que « la livraison du matériel s'entend de sa réception par le locataire dans ses locaux » et comportant uniquement la signature de la société Deutsche Leasing France, aux seuls motifs qu'elle aurait « expressément accepté la substitution de débiteur, en signant, le 30 mars 2017, avec les sociétés intimées la délégation imparfaite de paiement, en application de l'article 1275 ancien du code civil, jointe à cette confirmation de commande, aux termes de laquelle elle a notamment accepté la substitution de la société Deutsche leasing France à la société TFF dans son obligation de paiement du prix, et d'autre part, elle a exécuté le contrat en livrant le matériel et en adressant, le 30 mars 2017, sa facture à la société Deutsche Leasing France » (cf arrêt, p. 10, § 5), la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser le consentement de la société Kirow à une fixation du lieu de livraison de la grue au siège social de la société TFF, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1113 du code civil dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
2°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le juge ne peut refuser d'interpréter, en recherchant la volonté des parties, une clause contractuelle ambigüe ; qu'est ambigüe la portée de la clause, insérée dans une « confirmation de commande » émanant du crédit-bailleur, intitulée « délai de livraison », stipulant que « la livraison du matériel s'entend de sa réception par le locataire dans ses locaux (?) la date limite de livraison prévue est impérative », en particulier lorsqu'une telle clause est contredite par d'autres éléments de la cause, comme la précédente commande émanant du crédit-preneur ainsi que la facture adressée par le vendeur au crédit-bailleur, mentionnant une vente « ex works » ; qu'en décidant, dans ce contexte, qu'en vertu de la clause « délai de livraison » dont elle a estimé qu'elle n'était pas sujette à interprétation, le lieu de livraison était situé au siège social de la société TFF, dès lors que cette clause définit la livraison comme la réception par le locataire en ses locaux, la cour d'appel, qui a refusé d'interpréter une clause ambigüe, a violé l'article 1103 du code civil dans sa version issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3°) ALORS, TRES SUBSIDIAIREMENT, QU'une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre, en matière contractuelle, s'agissant d'une vente de marchandises, devant le tribunal du lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées ; que si ce lieu est en principe celui stipulé au contrat liant les parties, en cas de divergence avec le lieu matériel effectif de livraison, ce dernier doit prévaloir ; qu'en l'espèce, en estimant que le lieu de livraison du contrat de vente entre la société Kirow et la société Deutsche Leasing France était le siège social de la société TFF dans la mesure où la confirmation de commande définissait « la livraison comme la réception par le locataire en ses locaux, ce qui implique que le lieu de livraison "en vertu du contrat" est situé au siège de la société TFF » (arrêt, p. 11, § 1), tout en constatant que la « livraison [av]ait été matériellement réalisée en un autre lieu, la grue ayant en effet été acheminée à [Localité 3], puis à [Localité 5] et enfin à [Localité 4] » (op. cit. loc. cit.), la cour d'appel a violé l'article 7, 1), b) du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.
Sur la compétence en matière de vente de vente internationale de marchandises, cf :CJUE, Car Trim, 25 février 2010, C-381/08 et Electrosteel Europe, 9 juin 2011, C-87/10
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CASS/JURITEXT000047128327.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 125 F-B
Pourvoi n° A 21-16.874
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
La société H2A Télémarketing, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 21-16.874 contre l'arrêt rendu le 19 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société Otis, société en commandite simple, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société H2A Télémarketing, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Otis, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 mars 2021), le 28 octobre 2010, la société Otis, ascensoriste, a conclu avec la société H2A Télémarketing (la société H2A), qui gère des centres d'appels, un contrat portant sur la prise en charge, par cette dernière, des appels effectués sur la ligne mise en place par la première, dédiée aux cas de dysfonctionnement ou de pannes d'ascenseur.
2. Invoquant des écarts significatifs entre le nombre d'appels traités et ceux facturés, la société Otis a cessé de payer les factures à compter du mois de mai 2013.
3. La société H2A l'a assignée en paiement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. La société H2A fait grief à l'arrêt de prononcer la résolution du contrat du 28 octobre 2010 à ses torts, de la condamner à verser à la société Otis une somme de 269 096,06 euros après compensation et de rejeter sa demande de dommages et intérêts, alors « que la restitution en valeur d'une prestation accomplie sur le fondement d'un contrat résolu doit inclure la taxe sur la valeur ajoutée générée par cette prestation ; qu'au cas présent, pour calculer la valeur des prestations devant être restituées à la société H2A, la cour d'appel a évalué à 0,80 € par appel la gestion de chaque appel pris en charge ; qu'en statuant ainsi, en omettant la taxe sur la valeur ajoutée, qui aurait dû la conduire à appliquer une valeur de 0,96 € (0,80 + 20 %), la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil en sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
6. La société Otis conteste la recevabilité du moyen, comme étant nouveau et mélangé de fait et de droit.
7. Cependant, la société H2A, qui ne réclamait devant la cour d'appel que le paiement de ses factures impayées, n'envisageait ni la résolution du contrat ni, dès lors, l'éventualité de remboursements ou d'évaluation des services rendus.
8. La critique étant donc née de l'arrêt attaqué, le moyen est recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 256 du code général des impôts :
9. Il résulte du premier de ces textes qu'en cas de résolution du contrat les parties doivent être remises en l'état où elles se trouvaient antérieurement à sa conclusion.
10. Il résulte de la combinaison de ces deux textes que la restitution en valeur d'une prestation accomplie sur le fondement d'un contrat résolu doit inclure la taxe sur la valeur ajoutée à laquelle cette prestation est assujettie.
11. Pour condamner la société H2A à verser à la société Otis une certaine somme après compensation, l'arrêt évalue la contrepartie financière des prestations correctement accomplies par la société H2A en retenant, en premier lieu, le nombre d'appels facturables, en second lieu, le coût proposé par la société Otis pour chacun de ceux-ci, soit 0,80 euro par appel après exclusion des rémunérations forfaitaires et de la marge bénéficiaire à laquelle la société H2A aurait pu prétendre si la résolution du contrat ne l'en avait pas privée.
12. En se déterminant ainsi, alors que, constituant la contrepartie d'une prestation de services individualisée rendue à celui qui l'avait versée, cette indemnité était assujettie à la TVA, de sorte qu'il lui appartenait de préciser si ce coût de 0,80 euro par appel incluait la taxe sur la valeur ajoutée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société H2A Télémarketing à payer à la société Otis, après compensation, la somme de 269 096,06 euros, l'arrêt rendu le 19 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Otis aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Otis et la condamne à payer à la société H2A Télémarketing la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société H2A Télémarketing.
La société H2A Telemarketing fait grief à la décision attaquée d'avoir prononcé la résolution du contrat du 28 octobre 2010 à ses torts, de l'avoir condamnée à verser à la société Otis une somme de 269 096,06 € après compensation et de l'avoir déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;
alors 1/ que le juge ne peut faire droit à une demande en résolution judiciaire formée après que le contrat a pris fin entre les parties ; qu'au cas présent, la société H2A Telemarketing a, par lettre du 27 juin 2013, dénoncé le contrat du 28 octobre 2010 avec effet au 27 septembre 2013, ce dont la société Otis a pris acte par courrier du 16 septembre 2013 ; qu'en prononçant la résolution du contrat du 28 octobre 2010, qui n'était plus en vigueur entre les parties au jour où la demande a été formée, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil, en sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
alors 2/ que la résolution judiciaire d'un contrat de services à exécution successive n'a d'effet que pour l'avenir si les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat ; qu'au cas présent, le contrat du 28 octobre 2010 prévoyait que la société H2A Telemarketing traiterait les appels d'utilisateurs d'ascenseurs Otis moyennant une rémunération mensuelle ; qu'il s'en évince que les prestations échangées sur le fondement du contrat ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de leur exécution et que la résolution du contrat ne pouvait opérer que pour l'avenir ; qu'en conférant pourtant un effet rétroactif à la résolution du contrat du 28 octobre 2010, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil, en sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
alors 3/ que la restitution en valeur d'une prestation accomplie sur le fondement d'un contrat résolu doit inclure la taxe sur la valeur ajoutée générée par cette prestation ; qu'au cas présent, pour calculer la valeur des prestations devant être restituées à la société H2A Telemarketing, la cour d'appel a évalué à 0,80 € par appel la gestion de chaque appel pris en charge ; qu'en statuant ainsi, en omettant la taxe sur la valeur ajoutée, qui aurait dû la conduire à appliquer une valeur de 0,96 € (0,80 + 20 %), la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil en sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016.
Sur les effets de la résolution d'un contrat synallagmatique, à rapprocher :Com., 8 janvier 2020, pourovi n° 18-17.895, Bull. 2020, IV, ???
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CASS/JURITEXT000047128346.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 129 FS-B
Pourvoi n° S 21-17.763
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [T].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 1er avril 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
M. [I] [T], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° S 21-17.763 contre l'arrêt rendu le 3 décembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société BNP Paribas, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ au Trésor public, dont le siège est [Adresse 2], représenté par le service des impôts des particuliers de Saint-Quentin Est,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [T], de la SCP Marc Lévis, avocat de la société BNP Paribas, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Bélaval, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, M. Bedouet, conseillers, Mmes Brahic-Lambrey, Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 3 décembre 2020), par deux actes notariés du 30 juillet 2004, la société BNP Paribas (la banque) a consenti à M. [T] des prêts destinés à l'acquisition d'un immeuble constituant sa résidence principale et garantis par un privilège de prêteur de deniers ainsi qu'une hypothèque conventionnelle.
2. Par un acte notarié du 15 mai 2009, M. [T] a effectué une déclaration d'insaisissabilité de cet immeuble, qui a été publiée.
3. La banque a prononcé la déchéance du terme des prêts le 17 octobre 2011.
4. Les 10 mai et 7 juin 2012, M. [T] a été mis en redressement puis liquidation judiciaires. Le 12 juin 2012, la banque a déclaré au passif ses créances au titre des prêts. Ces créances ont été admises par des ordonnances du 7 novembre 2013.
5. La banque a délivré à M. [T] un commandement de payer valant saisie immobilière le 8 août 2014, puis l'a assigné à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution, afin que soit ordonnée la vente forcée de l'immeuble.
6. M. [T] s'est opposé à cette mesure d'exécution forcée en soulevant, à titre principal, la prescription de l'action de la banque et, subsidiairement, le caractère non exigible de la créance, en se prévalant, notamment, du caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée stipulée dans les prêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
7. M. [T] fait grief à l'arrêt de rejeter sa contestation relative à la prescription des créances de la banque et, en conséquence, de fixer le montant des créances de cette dernière aux sommes de 135 949,62 et 17 930,35 euros, outre les intérêts, et d'ordonner la poursuite de la procédure de saisie immobilière, alors :
« 1°/ que la déclaration d'une créance au passif d'une procédure collective qui a un effet interruptif de la prescription de l'action en paiement sur le gage commun, est sans effet sur la prescription applicable au créancier en ce qu'il entend exercer ses droits sur l'immeuble objet de la déclaration d'insaisissabilité qui ne lui est pas opposable, en marge de la procédure collective de l'entrepreneur individuel, selon la procédure de droit commun de la saisie immobilière ; qu'en jugeant au contraire que la déclaration de ses créances au passif de la procédure collective de M. [T], effectuée par la BNP Paribas le 12 juin 2012, avait interrompu la prescription de l'action que la banque pouvait engager, en marge de la procédure collective, selon la procédure de droit commun de la saisie immobilière, sur la résidence principale de M. [T], objet d'une déclaration d'insaisissabilité qui ne lui était pas opposable, la cour d'appel a violé les articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce ;
2°/ que dès lors qu'il peut agir sur l'immeuble objet de la déclaration d'insaisissabilité qui lui est inopposable, qu'il peut saisir en marge de la procédure collective, et que ses droits sur cet immeuble sont indépendants de ses droits dans la procédure collective, le créancier ne peut bénéficier d'aucune interruption et suspension de la prescription de son action sur cet immeuble du fait de sa déclaration de créance ; qu'en jugeant au contraire que la prescription de l'action de la BNP Paribas sur l'immeuble de M. [T] objet de la déclaration d'insaisissabilité qui lui était inopposable était interrompue par la déclaration de créances de la banque le 12 juin 2012 puis suspendue jusqu'à la décision d'admission des créances le 7 novembre 2013, de sorte que la prescription n'était pas acquise lors de la délivrance du commandement valant saisie le 8 août 2014, la cour d'appel a violé les articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce ;
3°/ dans un mémoire distinct et motivé, M. [T] a contesté la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la portée effective conférée aux articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce, par l'interprétation jurisprudentielle selon laquelle l'effet interruptif, attaché à la déclaration de créance, de la prescription de l'action du créancier à qui la déclaration d'insaisissabilité est inopposable sur l'immeuble objet de cette déclaration, se prolonge jusqu'à la date de la décision ayant statué sur la demande d'admission ou, lorsque aucune décision n'a statué sur cette demande d'admission, jusqu'à la clôture de la procédure collective, ce qui porte atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant la loi consacré par les dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que la déclaration d'inconstitutionnalité que prononcera le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, entraînera par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt attaqué pour perte de fondement juridique. »
Réponse de la Cour
8. En premier lieu, contrairement à ce que postule le moyen en ses première et deuxième branches, il résulte des articles L. 526-1, alinéa 1, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 juin 2010 applicable en la cause, et L. 622-24 de ce code que, si un créancier inscrit à qui est inopposable la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à son débiteur peut faire procéder à la vente sur saisie de cet immeuble et use de la faculté de déclarer sa créance au passif de la procédure collective du débiteur, il bénéficie de l'effet interruptif de prescription attaché à sa déclaration de créance, cet effet interruptif se prolongeant jusqu'à la date de la décision ayant statué sur la demande d'admission, dès lors que ce créancier n'est pas dans l'impossibilité d'agir sur l'immeuble au sens de l'article 2234 du code civil.
9. En second lieu, la Cour de cassation ayant, par la question prioritaire de constitutionnalité Com, 8 décembre 2021, QPC n° 21-17.763, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. [T], le moyen, pris en sa troisième branche, est sans portée.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. M. [T] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses contestations relatives aux créances de la banque et, en conséquence, de fixer le montant des créances de cette dernière aux sommes de 135 949,62 et 17 930,35 euros, outre les intérêts, et d'ordonner la poursuite de la procédure de saisie immobilière, alors « que les droits du créancier auquel une déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble est inopposable étant indépendants de ses droits dans la procédure collective du propriétaire de cet immeuble, la décision d'admission ou de rejet de la créance de ce créancier au passif de la procédure collective n'a pas autorité de la chose jugée dans la procédure de saisie immobilière conduite en marge de la procédure collective et dans le cadre de laquelle il appartient au juge de l'exécution de fixer le montant de la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires ; qu'en retenant néanmoins que M. [T] était irrecevable à contester le montant des créances de la banque au motif que "(l)es décisions (d'admission des créances de la BNP Paribas au passif de la procédure de liquidation judiciaire de M. [T]) (avaient) autorité de la chose jugée à l'égard de M. [T] relativement aux créances qu'elles fix(aient), la procédure de saisie immobilière ayant à cet égard le même objet de fixation de la créance du poursuivant", la cour d'appel a violé les articles L. 526-1 du code de commerce et L. 213-6, R. 322-15 et R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
12. La décision d'admission d'une créance au passif de la procédure collective d'un débiteur a, en principe, autorité de la chose jugée sur l'existence, la nature et le montant de la créance admise. Cette autorité s'impose en particulier au juge de l'exécution statuant à l'audience d'orientation qui se tient en cas de saisie immobilière initiée par un créancier auquel est inopposable la déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble appartenant à son débiteur et qui peut donc faire procéder à la vente sur saisie de cet immeuble, l'audience d'orientation ayant notamment pour objet, à l'instar de la procédure d'admission, de constater le principe de la créance du créancier poursuivant et d'en mentionner le montant retenu.
13. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
14. Il est statué sur ce moyen après avis de la deuxième chambre civile, sollicité en application de l'article 1015-1 du code de procédure civile.
Enoncé du moyen
15. M. [T] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en toute hypothèse, le juge est tenu d'examiner, au besoin d'office, les clauses dont le caractère abusif est allégué ; qu'en retenant que l'autorité de chose jugée attachée aux décisions d'admission des créances de la BNP Paribas au passif de la procédure collective de M. [T] l'empêchaient d'examiner le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée du contrat de prêt servant de fondement aux poursuites, quand elle était tenue d'examiner cette question sur laquelle le juge-commissaire ne s'était pas prononcé, la cour d'appel a violé les articles R. 632-1 du code de la consommation, issu de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, L. 132-1, alinéa 1, devenu L. 212-1, alinéa 1, du code de la consommation :
16. Aux termes du premier de ces textes, les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.
17. Selon le second de ces textes, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
18. Par un arrêt du 26 janvier 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que, dans l'hypothèse où, lors d'un précédent examen d'un contrat litigieux ayant abouti à l'adoption d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée, le juge national s'est limité à examiner d'office, au regard de la directive 93/13/CEE susvisée, une seule ou certaines des clauses de ce contrat, cette directive impose à un juge national d'apprécier, à la demande des parties ou d'office dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère éventuellement abusif des autres clauses dudit contrat (CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14).
19. En outre, par un arrêt du 4 juin 2020, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit qu'il appartient aux juridictions nationales, en tenant compte de l'ensemble des règles du droit national et en application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, de décider si et dans quelle mesure une disposition nationale est susceptible d'être interprétée en conformité avec la directive 93/13/CEE sans procéder à une interprétation contra legem de cette disposition nationale. À défaut de pouvoir procéder à une interprétation et à une application de la réglementation nationale conformes aux exigences de cette directive, les juridictions nationales ont l'obligation d'examiner d'office si les stipulations convenues entre les parties présentent un caractère abusif et, à cette fin, de prendre les mesures d'instruction nécessaires, en laissant au besoin inappliquées toutes dispositions ou jurisprudence nationales qui s'opposent à un tel examen (CJUE, arrêt du 4 juin 2020, Kancelaria Médius, C-495/19).
20. Il résulte d'un arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne en grande chambre le 17 mai 2022, que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation nationale qui, en raison de l'effet de l'autorité de la chose jugée et de la forclusion, ne permet ni au juge d'examiner d'office le caractère abusif de clauses contractuelles dans le cadre d'une procédure d'exécution hypothécaire ni au consommateur, après l'expiration du délai pour former opposition, d'invoquer le caractère abusif de ces clauses dans cette procédure ou dans une procédure déclarative subséquente, lorsque lesdites clauses ont déjà fait l'objet, lors de l'ouverture de la procédure d'exécution hypothécaire, d'un examen d'office par le juge de leur caractère éventuellement abusif, mais que la décision juridictionnelle autorisant l'exécution hypothécaire ne comporte aucun motif, même sommaire, attestant de l'existence de cet examen ni n'indique que l'appréciation portée par ce juge à l'issue dudit examen ne pourra plus être remise en cause en l'absence d'opposition formée dans ledit délai (CJUE, arrêt du 17 mai 2022, Ibercaja Banco, C-600/19 ).
21. Il résulte en outre d'un arrêt rendu le même jour que ces mêmes dispositions doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une réglementation nationale qui prévoit que, lorsqu'une injonction de payer prononcée par un juge à la demande d'un créancier n'a pas fait l'objet d'une opposition formée par le débiteur, le juge de l'exécution ne peut pas, au motif que l'autorité de la chose jugée dont cette injonction est revêtue couvre implicitement la validité de ces clauses, excluant tout examen de la validité de ces dernières, ultérieurement, contrôler l'éventuel caractère abusif des clauses du contrat qui ont servi de fondement à ladite injonction (CJUE, arrêt du 17 mai 2022, SPV Project 503 Srl et Banco di Desio e della Brianza e.a., C-693/19 et C-831/19 ).
22. Il s'en déduit que l'autorité de la chose jugée d'une décision du juge-commissaire admettant des créances au passif d'une procédure collective, résultant de l'article 1355 du code civil et de l'article 480 du code de procédure civile, ne doit pas être susceptible de vider de sa substance l'obligation incombant au juge national de procéder à un examen d'office du caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles.
23. Il en découle que le juge de l'exécution, statuant lors de l'audience d'orientation, à la demande d'une partie ou d'office, est tenu d'apprécier, y compris pour la première fois, le caractère éventuellement abusif des clauses contractuelles qui servent de fondement aux poursuites, sauf lorsqu'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge s'est livré à cet examen.
24. Il en résulte qu'un débiteur soumis à une procédure collective contre lequel a été rendue une décision, irrévocable, admettant à son passif une créance au titre d'un prêt immobilier, qu'il avait souscrit antérieurement en qualité de consommateur, peut, à l'occasion de la procédure de saisie immobilière d'un bien appartenant à ce débiteur, mise en oeuvre par le créancier auquel la déclaration d'insaisissabilité de l'immeuble constituant la résidence principale du débiteur est inopposable, nonobstant l'autorité de la chose jugée attachée à cette décision, soulever, à l'audience d'orientation devant le juge de l'exécution, une contestation portant sur le caractère abusif d'une ou plusieurs clauses de l'acte de prêt notarié dès lors qu'il ressort de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge ne s'est pas livré à cet examen.
25. Pour rejeter la contestation de M. [T], qui soutenait que la créance de la banque n'était pas liquide et exigible, au motif que la clause d'exigibilité anticipée stipulée dans chacun des prêts était abusive, au sens des articles L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation, l'arrêt retient que, les décisions d'admission des créances du 7 novembre 2013 ont autorité de la chose jugée à l'égard de M. [T] relativement aux créances qu'elles fixent, que celui-ci, débiteur convoqué à l'audience du juge-commissaire pour qu'il soit statué sur ses contestations, se présente en la même qualité devant le juge de l'exécution statuant en saisie immobilière que devant le juge-commissaire, et il relève que, devant ce juge, le débiteur n'a formulé aucune observation concernant la première créance et qu'il n'a pas davantage contesté la seconde. L'arrêt en déduit que les moyens développés par M. [T] pour contester la validité de certaines clauses des contrats de prêts, en particulier celle portant exigibilité anticipée de ceux-ci, sont inefficaces pour remettre en cause la procédure de saisie immobilière.
26. En statuant ainsi, après avoir constaté que, dans ses décisions d'admission, le juge-commissaire n'avait pas examiné, à la demande de M. [T] ou d'office, le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée des prêts notariés fondant la saisie immobilière litigieuse, de sorte qu'il appartenait au juge de l'exécution, saisi d'une contestation formée sur ce point pour la première fois devant lui par M. [T] lors de l'audience d'orientation, de procéder à cet examen, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société BNP Paribas aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société BNP Paribas à payer à la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui, par Mme Vaissette, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile, et par Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [T].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [I] [T] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR rejeté ses contestations et demandes incidentes, notamment celles tirée de la prescription de la créance de la BNP Paribas, d'AVOIR en conséquence fixé le montant des créances de la BNP Paribas, arrêtées au 30 juin 2014, aux sommes respectives de 135 949,62 euros, outre intérêts au taux de 7,60 % et de 17 930,35 euros, outre intérêts au taux de 6,30 % à compter de cette date, et d'AVOIR en conséquence ordonné la poursuite de la procédure de saisie-immobilière sur ses biens immobiliers situés à [Localité 4], par vente amiable ou, à défaut, vente forcée ;
1° ALORS QUE la déclaration d'une créance au passif d'une procédure collective qui a un effet interruptif de la prescription de l'action en paiement sur le gage commun, est sans effet sur la prescription applicable au créancier en ce qu'il entend exercer ses droits sur l'immeuble objet de la déclaration d'insaisissabilité qui ne lui est pas opposable, en marge de la procédure collective de l'entrepreneur individuel, selon la procédure de droit commun de la saisie immobilière ; qu'en jugeant au contraire que la déclaration de ses créances au passif de la procédure collective de M. [T], effectuée par la BNP Paribas le 12 juin 2012, avait interrompu la prescription de l'action que la banque pouvait engager, en marge de la procédure collective, selon la procédure de droit commun de la saisie immobilière, sur la résidence principale de M. [T], objet d'une déclaration d'insaisissabilité qui ne lui était pas opposable, la cour d'appel a violé les articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce ;
2° ALORS QUE dès lors qu'il peut agir sur l'immeuble objet de la déclaration d'insaisissabilité qui lui est inopposable, qu'il peut saisir en marge de la procédure collective, et que ses droits sur cet immeuble sont indépendants de ses droits dans la procédure collective, le créancier ne peut bénéficier d'aucune interruption et suspension de la prescription de son action sur cet immeuble du fait de sa déclaration de créance ; qu'en jugeant au contraire que la prescription de l'action de la BNP Paribas sur l'immeuble de M. [T] objet de la déclaration d'insaisissabilité qui lui était inopposable était interrompue par la déclaration de créances de la banque le 12 juin 2012 puis suspendue jusqu'à la décision d'admission des créances le 7 novembre 2013, de sorte que la prescription n'était pas acquise lors de la délivrance du commandement valant saisie le 8 août 2014, la cour d'appel a violé les articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce ;
3° ALORS QUE dans un mémoire distinct et motivé, M. [T] a contesté la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la portée effective conférée aux articles L. 137-2, devenu L. 281-2, du code de la consommation, 2234 et 2241 du code civil, et L. 526-1 et L. 622-24 du code de commerce, par l'interprétation jurisprudentielle selon laquelle l'effet interruptif, attaché à la déclaration de créance, de la prescription de l'action du créancier à qui la déclaration d'insaisissabilité est inopposable sur l'immeuble objet de cette déclaration, se prolonge jusqu'à la date de la décision ayant statué sur la demande d'admission ou, lorsque aucune décision n'a statué sur cette demande d'admission, jusqu'à la clôture de la procédure collective, ce qui porte atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant la loi consacré par les dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que la déclaration d'inconstitutionnalité que prononcera le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, entraînera par voie de conséquence, l'annulation de l'arrêt attaqué pour perte de fondement juridique.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
(subsidiaire)
M. [I] [T] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR déclaré irrecevables ses contestations relatives aux créances de la BNP Paribas, d'AVOIR en conséquence fixé le montant des créances de la BNP Paribas, arrêtées au 30 juin 2014, aux sommes respectives de 135 949,62 euros, outre intérêts au taux de 7,60 % et de 17 930,35 euros, outre intérêts au taux de 6,30 % à compter de cette date, et d'AVOIR en conséquence ordonné la poursuite de la procédure de saisie-immobilière sur ses biens immobiliers situés à [Localité 4], par vente amiable ou, à défaut, vente forcée ;
1° ALORS QUE les droits du créancier auquel une déclaration d'insaisissabilité d'un immeuble est inopposable étant indépendants de ses droits dans la procédure collective du propriétaire de cet immeuble, la décision d'admission ou de rejet de la créance de ce créancier au passif de la procédure collective n'a pas autorité de la chose jugée dans la procédure de saisie immobilière conduite en marge de la procédure collective et dans le cadre de laquelle il appartient au juge de l'exécution de fixer le montant de la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et autres accessoires ; qu'en retenant néanmoins que M. [T] était irrecevable à contester le montant des créances de la banque au motif que « (l)es décisions (d'admission des créances de la BNP Paribas au passif de la procédure de liquidation judiciaire de M. [T]) (avaient) autorité de la chose jugée à l'égard de M. [T] relativement aux créances qu'elles fix(aient), la procédure de saisie immobilière ayant à cet égard le même objet de fixation de la créance du poursuivant », la cour d'appel a violé les articles L. 526-1 du code de commerce et L. 213-6, R. 322-15 et R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution ;
2° ALORS QU'en toute hypothèse, le juge est tenu d'examiner, au besoin d'office, les clauses dont le caractère abusif est allégué ; qu'en retenant que l'autorité de chose jugée attachée aux décisions d'admission des créances de la BNP Paribas au passif de la procédure collective de M. [T] l'empêchaient d'examiner le caractère abusif de la clause d'exigibilité anticipée du contrat de prêt servant de fondement aux poursuites, quand elle était tenue d'examiner cette question sur laquelle le juge-commissaire ne s'était pas prononcé, la cour d'appel a violé les articles R. 632-1 du code de la consommation, issu de la directive 93/13 du 5 avril 1993, et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
(infiniment subsidiaire)
M. [I] [T] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR condamné à payer à la société BNP Paribas la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
ALORS QU'aucune condamnation à paiement ne peut être prononcée contre un débiteur en liquidation judiciaire au profit d'un créancier dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 du code de commerce ; qu'en condamnant M. [T] à payer à la société BNP Paribas la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, quand il faisait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire interdisant sa condamnation au paiement d'une somme d'argent, la cour d'appel a violé les articles L. 622-7, L. 622-21 et L. 641-3 du code de commerce.
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CASS/JURITEXT000047128275.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 113 F-B
Pourvoi n° A 21-17.932
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
1°/ La société Generali IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ la société Pierre Fabre médicament, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° A 21-17.932 contre l'arrêt rendu le 17 décembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société de droit étranger Royal Jordanian Airlines, dont le siège est [Adresse 1] (Jordanie),
2°/ à la société de droit étranger Helvetia compagnie suisse d'assurances, dont le siège est [Adresse 4] (Suisse), agissant poursuites et diligences en son établissement principal, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société Qualitair & Sea International, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 11],
4°/ à la société de droit étranger Salam Shipping & Forwarding Agency SL, dont le siège est [Adresse 10] (Jordanie),
5°/ à la société Kareem Logistics, dont le siège est [Adresse 10] (Jordanie),
6°/ à la société Al Muna Transport, dont le siège est [Adresse 10] (Jordanie),
défenderesses à la cassation.
Les sociétés Helvetia compagnie suisse d'assurances et Qualitair & Sea International ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les sociétés Salam Shipping & Forwarding Agency SL, Kareem Logistics et Al Muna Transport ont également formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les sociétés Helvetia compagnie suisse d'assurances et Qualitair & Sea International, demanderesses au pourvoi incident, invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les sociétés Salam Shipping & Forwarding Agency SL, Kareem Logistics et Al Muna Transport, demanderesses au pourvoi incident, invoquent, à l'appui de leur recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Generali IARD et de la société Pierre Fabre médicament, de Me Balat, avocat de la société de droit étranger Helvetia compagnie suisse d'assurances et de la société Qualitair & Sea International, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société de droit étranger Royal Jordanian Airlines, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société de droit étranger Salam Shipping & Forwarding Agency SL et des sociétés Kareem Logistics et Al Muna Transport, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré
conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 17 décembre 2020), en décembre 2013, la société Pierre Fabre médicament (la société PFM) a confié à la société Qualitair & Sea International (la société Qualitair), commissionnaire de transport, l'organisation du transport, depuis [Localité 9] jusqu'à [Localité 7] (Irak), de trois lots de produits pharmaceutiques vendus au ministère de la santé irakien.
2. La société Qualitair a confié le transport aérien entre [Localité 9] et [Localité 6] (Jordanie) à la société Royal Jordanian Airlines (la société RJA), laquelle s'est substituée la société jordanienne Salam Shipping & Forwarding Agency SL (la société Salam Shipping) pour l'organisation du transport terrestre d'[Localité 6] à [Localité 7].
3. Le dédouanement à l'arrivée à [Localité 6] a été confié à la société jordanienne Kareem Logistics et le transport terrestre d'[Localité 6] à [Localité 7] à la société jordanienne Al Muna Transport.
4. Les trois lots, qui devaient être transportés sous température dirigée, sont arrivés à [Localité 6] les 21, 22 et 29 décembre 2013 puis, en raison de la fermeture des frontières entre la Jordanie et l'Irak empêchant alors leur acheminement par voie terrestre, ont été conservés, à la demande de la société Kareem Logistics, dans les entrepôts frigorifiques de la société RJA.
5. Ils ont été pris en charge le 18 février 2014 par la société Al Muna Transport et livrés le 23 février 2014 au ministère irakien de la santé.
6. Ayant subi des dépassements de température, les marchandises ont été détruites par le ministère irakien et remplacées par la société PFM.
7. Celle-ci et son assureur dommages, la société Generali IARD (la société Generali), ont assigné en réparation de leur préjudice la société Qualitair et son assureur responsabilité, la société Helvetia compagnie suisse d'assurances (la société Helvetia), lesquelles ont assigné en garantie la société RJA et les sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport (les sociétés S-K-A), qui ont demandé à être garanties de toute condamnation par la société RJA.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et le second moyen du pourvoi principal, ci-après annexés
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
9. Les sociétés Generali et PFM font grief à l'arrêt de limiter la condamnation in solidum des sociétés Qualitair et Helvetia à la contre-valeur en euros de 9.538 DTS, alors « que, aux termes de son article 1.1, la convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à [Localité 8] le 28 mai 1999, ne s'applique qu'aux opérations de transport international de personnes, bagages ou marchandises effectués par aéronef ; que ce texte n'a pas vocation à s'appliquer lorsque le contrat de transport aérien a pris fin, après la livraison des marchandises ; que si l'article 18.3 de cette convention prévoit que la responsabilité de plein droit du transporteur aérien couvre le temps pendant lequel la marchandise est sous sa garde, cette disposition n'a pas pour effet d'étendre le champ d'application de la convention à des missions que le transporteur aérien aurait acceptées à la suite de l'opération de transport aérien ; qu'en jugeant néanmoins que cette convention était applicable à la responsabilité encourue par la société RJA au titre des dommages survenus lors de la marchandise à l'aéroport d'[Localité 6], en tant que la marchandise était toujours sous la garde de cette société au sens de l'article 18.3 de cette convention, après avoir pourtant constaté que la société RJA avait émis trois bons de livraisons pour les trois lots de marchandise, les 21, 22 et 29 décembre 2013 avant de stocker la marchandise dans ses entrepôts, ce qui avait donné lieu à des frais d'entreposage qui avait été facturés par la société RJA, ce dont il résultait que la livraison avait été effectuée et que le contrat de transport avait pris fin, de sorte que la convention de Montréal n'était pas applicable aux relations que les parties ont poursuivies ensuite pour la mission d'entreposage confiée ensuite à la société RJA, la cour d'appel a violé les articles 1.1, 18.3 et 22.3 de la Convention susvisée, par fausse application. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 18.1, 18.3 et 22.3 de la convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international du 28 mai 1999 (la convention de Montréal) :
10. Il résulte de la combinaison des deux premiers de ces textes que le transporteur aérien est de plein droit responsable du dommage si le fait qui l'a causé s'est produit pendant le transport aérien, celui-ci comprenant la période pendant laquelle la marchandise se trouve sous sa garde, seule la livraison marquant la fin de cette période.
11. Selon le troisième, dans le transport de marchandises, la responsabilité du transporteur, en cas de destruction, de perte, d'avarie ou de retard, est limitée à la somme de dix-sept droits de tirage spéciaux par kilogramme.
12. Pour limiter la condamnation des sociétés Qualitair et Helvetia à une certaine somme en application des limites de responsabilité prévues à l'article 22.3 de la convention de Montréal, l'arrêt retient que l'avarie de la marchandise résulte du non-respect des températures prévues contractuellement alors que les produits étaient, sous la garde du transporteur aérien, la société RJA, entreposés dans ses locaux frigorifiques à l'aéroport d'[Localité 6] jusqu'au 17 février 2014.
13. En statuant ainsi, tout en constatant que la société RJA avait émis des bons de livraison les 21, 22 et 29 décembre 2013 après avoir effectué le transport aérien des marchandises et avant de se les voir confier par le commissionnaire substitué, de sorte que le fait ayant causé le dommage ne s'était pas produit pendant le transport aérien, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé.
Sur le premier moyen du pourvoi incident relevé par les sociétés S-K-A
Enoncé du moyen
14. Les sociétés S-K-A font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'exception qu'elles avaient soulevée et de les condamner in solidum à garantir les sociétés Qualitair et Helvetia des condamnations mises à leur charge à hauteur de la contre-valeur en euros de 4.181,66 DTS, alors :
« 1°/ qu'en matière de procédure orale, seuls les prétentions et moyens développés à l'audience, ou ceux contenus dans les conclusions écrites auxquelles les parties ont déclaré se référer, saisissent le juge ; que si l'acte d'assignation en intervention forcée appelant un tiers en garantie constitue une défense au fond rendant irrecevable l'exception d'incompétence soulevée ultérieurement, cette règle ne s'applique pas, en matière de procédure orale, lorsque la partie concernée, loin d'assigner en garantie un tiers à la procédure, n'a fait que solliciter la garantie d'une autre partie à l'instance ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement entrepris que les sociétés S-K-A ont développé oralement à l'audience leurs dernières conclusions ; qu'en opposant que leurs premières conclusions de première instance, qui sollicitaient déjà la garantie de la société RJA, ne soulevaient pas d'exception d'incompétence, quand, en l'absence d'appel en garantie par voie d'intervention forcée, il lui revenait de se référer aux dernières conclusions qui avaient seules été développées à l'audience du tribunal, la cour d'appel a violé l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 446-1 et 860-1 du même code ;
2°/ subsidiairement, qu'avant de déclarer une exception d'incompétence irrecevable pour n'avoir pas été soulevée avant toute défense au fond, les juges du second degré sont tenus de rechercher si les premiers juges, devant lesquels la procédure était orale, n'ont pas organisé des échanges écrits entre les parties en application de l'article 446-2 du code de procédure civile et si, le cas échéant, l'exception d'incompétence n'a pas été soulevée dans les premières conclusions notifiées postérieurement à la mise en place de ce calendrier de procédure ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement entrepris que le tribunal avait organisé l'échange des écritures en application de l'article 446-2 du code de procédure civile ; qu'en se bornant à observer que les sociétés S-K-A n'avaient pas soulevé d'exception d'incompétence dans leurs premières conclusions déposées devant le tribunal de commerce le 9 septembre 2015, quand il lui appartenait d'examiner le contenu des conclusions déposées postérieurement à la mise en place du calendrier de procédure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 446-2, 446-4 et 861-3 du même code. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 74, 446-1, alinéa 1, 446-2, 446-4 et 861-3 du code de procédure civile :
15. Selon le deuxième de ces textes, qui régit la procédure orale, les parties présentent oralement à l'audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien. Elles peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu'elles auraient formulés par écrit.
16. En application des quatrième et cinquième de ces textes, lorsque des échanges ont été organisés entre les parties par le juge du tribunal de commerce chargé d'instruire l'affaire conformément au dispositif de mise en état de la procédure orale prévu par le troisième de ces textes, la date des prétentions et des moyens d'une partie régulièrement présentés par écrit est celle de leur communication entre parties.
17. Aux termes du premier, les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.
18. Il résulte de ces dispositions qu'en procédure orale, lorsque le dispositif de mise en état prévu à l'article 446-2 précité a été mis en oeuvre par le juge chargé d'instruire l'affaire, l'exception d'incompétence doit, pour être recevable, être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir dans les premières écritures communiquées par la partie qui s'en prévaut.
19. Pour dire irrecevable l'exception d'incompétence territoriale soulevée par les sociétés S-K-A, l'arrêt retient qu'elle ne figurait pas dans leurs conclusions d'appel en garantie déposées le 9 septembre 2015 devant le tribunal de commerce, lesquelles présentaient une défense au fond en appelant des tiers en garantie.
20. En premier lieu, en statuant ainsi, alors qu'était formée une demande de garantie à l'égard de la société RJA, déjà en la cause, et non un appel en garantie d'un tiers, constitutif en procédure orale d'une défense au fond, la cour d'appel a violé l'article 74 du code de procédure civile.
21. En second lieu, en se déterminant comme elle a fait, sans rechercher la date à laquelle le juge chargé d'instruire l'affaire avait organisé les échanges écrits entre les parties, conformément au dispositif de mise en état de la procédure orale prévu à l'article 446-2 du code de procédure civile, ce qui aurait rendu l'article 446-4 applicable, peu important que les parties aient été ou non dispensées de comparaître, la cour d'appel, qui devait déterminer si l'exception d'incompétence avait été soulevée dans les premières conclusions des sociétés S-K-A notifiées postérieurement à la mise en place de ce calendrier de procédure, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident des sociétés S-K-A et le moyen unique du pourvoi incident des sociétés Qualitair et Helvetia, rédigés en termes identiques
Enoncé du moyen
22. Ces sociétés font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'exception d'incompétence soulevée par la société RJA et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir sur les demandes la concernant, alors « qu'en application de l'article 333 du code de procédure civile, applicable dans l'ordre international en l'absence de clause attributive de juridiction, le transporteur ne peut décliner la compétence de la juridiction française saisie dans ses rapports avec l'appelant en garantie ; qu'en déniant sa compétence pour statuer sur le recours en garantie exercé contre la société RJA par les sociétés S-K-A, après avoir pourtant retenu sa compétence pour statuer sur les demandes dont celles-ci faisaient l'objet, la cour d'appel a violé l'article 333 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
23. La société RJA conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que ces quatre sociétés n'invoquaient pas devant la cour d'appel l'irrecevabilité de son exception d'incompétence en application de l'article 333 du code de procédure civile.
24. Cependant le moyen est recevable comme étant de pur droit.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 333 du code de procédure civile :
25. En l'absence d'une clause compromissoire ou d'une clause attributive de juridiction, l'article 333 du nouveau code de procédure civile, aux termes duquel le tiers mis en cause est tenu de procéder devant la juridiction saisie de la demande originaire, sans qu'il puisse décliner la compétence territoriale de cette juridiction, est applicable dans l'ordre international.
26. L'arrêt déclare recevable l'exception d'incompétence soulevée par la société RJA et renvoie les parties à mieux se pourvoir sur les demandes la concernant.
27. En statuant ainsi, alors que la société RJA, qui n'invoquait ni clause attributive de juridiction ni clause compromissoire, ne pouvait décliner la compétence de la juridiction française dans ses rapports avec les sociétés Qualitair et Helvetia, qui l'avaient appelée en garantie, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'exception des sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport, en ce qu'il infirme le jugement « s'agissant du montant des condamnations et de toutes les condamnations prononcées contre la société Royal Jordanian Airlines », en ce qu'il reçoit l'exception d'incompétence soulevée par la société Royal Jordanian Airlines et renvoie les parties à mieux se pourvoir sur les demandes la concernant, et en ce que, ajoutant au jugement, il condamne in solidum les sociétés Qualitair & Sea International et Helvetia compagnie suisse d'assurances à payer aux sociétés PFM et Generali la contre-valeur en euros de 9 538 DTS, l'arrêt rendu le 17 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Royal Jordanian Airlines aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits AU POURVOI PRINCIPAL par la SARL Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour les sociétés Generali IARD et Pierre Fabre médicament.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité la condamnation in solidum des sociétés Qualitair et Helvetia au bénéfice des sociétés Pierre Fabre Médicament et Generali à la contrevaleur en euros de 9 538 DTS ;
1°) Alors que, aux termes de son article 1.1, la convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à [Localité 8] le 28 mai 1999, ne s'applique qu'aux opérations de transport international de personnes, bagages ou marchandises effectués par aéronef ; que ce texte n'a pas vocation à s'appliquer lorsque le contrat de transport aérien a pris fin, après la livraison des marchandises ; que si l'article 18.3 de cette convention prévoit que la responsabilité de plein droit du transporteur aérien couvre le temps pendant lequel la marchandise est sous sa garde, cette disposition n'a pas pour effet d'étendre le champ d'application de la convention à des missions que le transporteur aérien aurait acceptées à la suite de l'opération de transport aérien ; qu'en jugeant néanmoins que cette convention était applicable à la responsabilité encourue par la société Royal Jordanian Airlines au titre des dommages survenus lors de la marchandise à l'aéroport d'[Localité 6], en tant que la marchandise était toujours sous la garde de cette société au sens de l'article 18.3 de cette convention, après avoir pourtant constaté que la société Royal Jordanian Airlines avait émis trois bons de livraisons pour les trois lots de marchandise, les 21, 22 et 29 décembre 2013 (arrêt, p. 12, § 6 ; 15, § 4 ; 17, § 9) avant de stocker la marchandise dans ses entrepôts, ce qui avait donné lieu à des frais d'entreposage qui avait été facturés par la société Royal Jordanian Airlines (arrêt, p. 17, § 13), ce dont il résultait que la livraison avait été effectuée et que le contrat de transport avait pris fin, de sorte que la convention de Montréal n'était pas applicable aux relations que les parties ont poursuivies ensuite pour la mission d'entreposage confiée ensuite à la société Royal Jordanian Airlines, la cour d'appel a violé les articles 1.1, 18.3 et 22.3 de la Convention susvisée, par fausse application ;
2°) Alors, en tout état de cause, qu'à supposer la référence faite par la cour d'appel aux reçus de livraison fût insuffisante à établir la livraison, en statuant comme elle l'a fait sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée (concl. d'appel des exposantes, spé. p. 15), si les marchandises n'avaient pas été livrées de sorte que le contrat de transport avait pris fin et que la convention de Montréal n'avait pas vocation à régir les dommages survenus aux marchandises par suite de cette livraison, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1. 1 de cette convention ;
3°) Alors, subsidiairement, qu'est équipollente au dol la faute inexcusable du transporteur, entendue comme la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ; qu'après avoir relevé que la convention conclue avec le commissionnaire de transport écartait l'application des plafonds d'indemnisation lorsque la responsabilité de celui-ci était engagée à raison d'une faute dolosive ou équipollente au dol du substitué, la cour d'appel a retenu que si la société Royal Jordanian Airlines avait commis une faute en ne s'assurant pas que la marchandise était stockée à la température de conservation qui lui avait été indiquée, cette faute n'avait pas le caractère d'une faute inexcusable en l'absence de tout élément révélant la conscience par la société Royal Jordanian de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire et sans raison valable ; qu'en statuant ainsi cependant qu'elle a relevé que la société Royal Jordanian Airlines était informée de la nature sensible de la marchandise, à savoir des médicaments et des températures à respecter pour sa conservation (arrêt, p. 17, § 8 et 9), ce dont il s'évince qu'en ne s'assurant pas d'une conservation de la marchandise à cette température, la société Royal Jordanian Airlines, transporteur professionnel, ne pouvait pas ne pas avoir conscience de la probabilité d'une perte de la marchandise résultant d'une mauvaise conservation et avait accepté de manière téméraire, sans raison valable, un tel dommage, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article L. 133-8 du code du commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité la condamnation in solidum des sociétés Qualitair et Helvetia au bénéfice des sociétés Pierre Fabre Médicament et Generali à la contrevaleur en euros de 9 538 DTS ;
1°) Alors, d'une part, qu'est équipollente au dol la faute inexcusable du transporteur, entendue comme la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ; que pour écarter l'existence d'une faute inexcusable du transporteur terrestre, la société Al Muna Transport, dont elle a retenu qu'elle avait assuré le transport des marchandises sans s'assurer du bon fonctionnement ou de la mise en route du système de réfrigération des camions (arrêt, p. 20, pénult. paragr.), la cour d'appel a relevé que n'était établie aucune faute délibérée de sa part, ni qu'elle avait conscience de la probabilité du dommage et l'avait acceptée sans raison valable ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant constaté que le transporteur avait été informé de la nature sensible de la marchandise et des températures à respecter pour sa conservation (arrêt, p. 20, § 5 et 6 et p. 17, § 12 et 13), ce dont il résultait qu'en transportant la marchandise sans s'être assurée du bon fonctionnement ou de la mise en route des systèmes de réfrigération, la société Al Muna Transport, transporteur professionnel, a commis une faute délibérée, dépassant la simple négligence, et qu'elle ne pouvait pas ne pas avoir conscience de la probabilité d'un dommage résultant de la perte des marchandises mal conservées, probabilité qu'elle avait acceptée de manière téméraire sans raison valable, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard de l'article L. 133-8 du code du commerce ;
2°) Alors, d'autre part, qu'est équipollente au dol la faute inexcusable du transporteur, entendue comme la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ; qu'en relevant, pour écarter l'existence d'une faute inexcusable de la société Al Muna Transport, d'une part, le refus du destinataire de prendre livraison de la marchandise un jour de fin de semaine et, d'autre part, le contexte politique difficile du pays de destination, sans expliquer en quoi ces deux éléments seraient de nature à exclure le caractère délibéré et la conscience que ne pouvait pas manquer d'avoir le transporteur du dommage qui résulterait probablement d'un transport de la marchandise sans s'être assuré du respect des températures de conservation de cette marchandise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 133-8 du code du commerce ;
3°) Alors, subsidiairement, qu'indépendamment de toute faute inexcusable du transporteur, la présomption de responsabilité de l'article 17 de la convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR) signée à Genève le 19 mai 1956 oblige le transporteur à réparer le préjudice subi du fait de la perte de la marchandise survenue entre la prise en charge et la livraison dans la limite du plafond d'indemnisation de l'article 23, soit 8,33 DTS par kilogramme de marchandise perdue ; que le montant de la condamnation prononcée contre le commissionnaire et son assureur, soit la contrevaleur en euros de 9 538 DTS, correspond à l'application du seul plafond de garantie prévu par l'article 22 convention de [Localité 8] au titre de la responsabilité du commissionnaire du fait du transporteur aérien, la société Royal Jordanian Airlines ; qu'en limitant ainsi le montant de la condamnation du commissionnaire, dont la responsabilité était également engagée du fait du de société Al Muna Transport, sans expliquer pourquoi elle écartait l'application cumulative du plafond d'indemnisation prévu par l'article 23 de la convention CMR, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés et de l'article L. 132-6 du code du commerce ;
4°) Alors, enfin, et toujours subsidiairement, qu'en cas de transports successifs, le commissionnaire de transport est tenu de répondre des faits commis par l'ensemble des personnes qu'il s'est substituées pour chacune des phases de transport ; qu'en jugeant que le plafond d'indemnisation prévu par l'article 22.3 de la Convention de Montréal était seul applicable puisque le dommage s'est produit en premier lieu à [Localité 6] dans la suite du transport aérien, sous la garde de la société Royal Jordanian Airlines, motif impropre à exclure la responsabilité du commissionnaire du fait du transporteur terrestre subséquent, dont la responsabilité a été pourtant retenue dans la limite du plafond prévu par l'article 23 de la convention CMR, la cour d'appel a violé les articles 17 et 23 de la convention CMR et l'article L. 132-6 du code du commerce. Moyen produit AU POURVOI INCIDENT par Me Balat, avocat aux Conseils, pour la société Qualitair & Sea International et la société de droit étranger Helvetia compagnie suisse d'assurances.
La société Qualitair & Sea International et la société Helvetia Compagnie suisse d'assurances reprochent à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir reçu l'exception d'incompétence soulevée par la société Royal Jordanian Airlines et renvoyé les parties à mieux se pourvoir sur les demandes la concernant ;
ALORS QU' en application de l'article 333 du code de procédure civile, applicable dans l'ordre international en l'absence de clause attributive de juridiction, le transporteur ne peut décliner la compétence de la juridiction française saisie dans ses rapports avec l'appelant en garantie ; qu'en déniant sa compétence pour statuer sur le recours en garantie exercé contre la société Royal Jordanian par les sociétés Qualitair & Sea International et Helvetia, après avoir pourtant retenu sa compétence pour statuer sur les demandes dont celles-ci faisaient l'objet, la cour d'appel a violé l'article 333 du code de procédure civile. Moyens produits AU POURVOI INCIDENT par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour la société de droit étranger Salam Shipping & Forwarding Agency SL et les sociétés Kareem Logistics et Al Muna Transport.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que l'exception des sociétés les sociétés Salam Shipping & Forwarding Agency SL, Kareem Logistics et Al Muna Transport est déclarée irrecevable, et de les AVOIR condamnées in solidum à garantir les sociétés Qualitair et Helvetia des condamnations mises à leur charge à hauteur de la contre-valeur en euros de 4.181,66 DTS ;
AUX MOTIFS QUE l'article 74 du code de procédure civile prévoit notamment que « les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. » ; qu'il ressort du jugement et il n'est pas contesté que les sociétés SKA ont déposé le 9 septembre 2015, devant le tribunal de commerce de Nanterre, des conclusions d'appel en garantie ne contenant pas cette exception d'incompétence ; qu'en ayant présenté une défense au fond en appelant des tiers en garantie, les sociétés SKA étaient irrecevables, en application de l'article 74 du code de procédure civile, à soulever ultérieurement une exception d'incompétence ; que dès lors, l'exception des sociétés SKA sera déclarée irrecevable, et le jugement sera réformé sur ce point ;
1) ALORS QU'en matière de procédure orale, seuls les prétentions et moyens développés à l'audience, ou ceux contenus dans les conclusions écrites auxquelles les parties ont déclaré se référer, saisissent le juge ; que si l'acte d'assignation en intervention forcée appelant un tiers en garantie constitue une défense au fond rendant irrecevable l'exception d'incompétence soulevée ultérieurement, cette règle ne s'applique pas, en matière de procédure orale, lorsque la partie concernée, loin d'assigner en garantie un tiers à la procédure, n'a fait que solliciter la garantie d'une autre partie à l'instance ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement entrepris que les sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport ont développé oralement à l'audience leurs dernières conclusions ; qu'en opposant que leurs premières conclusions de première instance, qui sollicitaient déjà la garantie de la société Royal Jordanian Airlines, ne soulevaient pas d'exception d'incompétence, quand, en l'absence d'appel en garantie par voie d'intervention forcée, il lui revenait de se référer aux dernières conclusions qui avaient seules été développées à l'audience du tribunal, la cour d'appel a violé l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 446-1 et 860-1 du même code ;
2) ALORS, subsidiairement, QU'avant de déclarer une exception d'incompétence irrecevable pour n'avoir pas été soulevée avant toute défense au fond, les juges du second degré sont tenus de rechercher si les premiers juges, devant lesquels la procédure était orale, n'ont pas organisé des échanges écrits entre les parties en application de l'article 446-2 du code de procédure civile et si, le cas échéant, l'exception d'incompétence n'a pas été soulevée dans les premières conclusions notifiées postérieurement à la mise en place de ce calendrier de procédure ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement entrepris que le tribunal avait organisé l'échange des écritures en application de l'article 446-2 du code de procédure civile (jugement, p. 7) ; qu'en se bornant à observer que les sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport n'avaient pas soulevé d'exception d'incompétence dans leurs premières conclusions déposées devant le tribunal de commerce le 9 septembre 2015, quand il lui appartenait d'examiner le contenu des conclusions déposées postérieurement à la mise en place du calendrier de procédure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 446-2, 446-4 et 861-3 du même code.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR reçu l'exception d'incompétence soulevée par la société Royal Jordanian Airlines, et renvoyé les parties à mieux se pourvoir sur les demandes la concernant ;
AUX MOTIFS QUE l'article 33 de la convention de Montréal prévoit en son point 1 que « l'action en responsabilité devra être portée, au choix du demandeur, dans le territoire d'un des États parties, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination » ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que le domicile de la RJA se situe à [Localité 6], en Jordanie, que le transport aérien avait pour destination [Localité 6], que les LTA mentionnent comme adresse de la RJA [Localité 6] en Jordanie ; qu'il n'est ni allégué ni établi l'intervention d'un établissement de la RJA qui serait situé en France lors de la conclusion du contrat ; que par conséquent, le tribunal de commerce de Nanterre n'était pas compétent territorialement pour connaître de la demande présentée à l'encontre de la RJA, et il sera infirmé sur ce point ; que la cour se déclare donc incompétente pour statuer sur les actions exercées à l'encontre de la société RJA et renvoie ainsi les parties à mieux se pourvoir ; que les recours exercés contre la société RJA ne seront donc pas examinés ;
1) ALORS QUE la convention pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à [Localité 8] le 28 mai 1999 ne s'applique qu'entre les parties au contrat de transport aérien ; que par suite, l'action en garantie exercée par un tiers à ce contrat de transport contre le transporteur aérien ne relève pas du champ d'application de cette convention ; qu'en faisant application en l'espèce des règles prévues par l'article 33 de la convention de Montréal afin de décliner sa compétence pour statuer sur les demandes que formaient les sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport, tiers au contrat de transport aérien, à l'encontre de la société Royal Jordanian Airlines, chargée de ce transport, la cour d'appel a violé les articles 1.1, 18.4, 33.1 et 38 de la convention de Montréal du 28 mai 1999, par fausse application ;
2) ALORS QU'en application de l'article 333 du code de procédure civile, applicable dans l'ordre international en l'absence de clause attributive de juridiction, le transporteur ne peut décliner la compétence de la juridiction française saisie dans ses rapports avec l'appelant en garantie ; qu'en déniant sa compétence pour statuer sur le recours en garantie exercé contre la société Royal Jordanian par les sociétés Salam Shipping, Kareem Logistics et Al Muna Transport, après avoir pourtant retenu sa compétence pour statuer sur les demandes dont celles-ci faisaient l'objet, la cour d'appel a violé l'article 333 du code de procédure civile.
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CASS/JURITEXT000047128277.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 117 F-B
Pourvois n°
S 21-11.415
D 21-17.705 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
I - 1°/ La société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7],
2°/ la société [I] - [K], mandataires judiciaires associés, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 9], anciennement dénommée [R] [I] - [K], en la personne de Mme [I], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société SE Transports Benoist,
ont formé le pourvoi n° S 21-11.415 contre un arrêt rendu le 8 décembre 2020 par la cour d'appel d'Angers (chambre A commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [H] [U],
2°/ à Mme [J] [E], épouse [U],
domiciliés tous deux [Adresse 6],
3°/ à M. [P] [G] [U], domicilié [Adresse 10] (Chine),
4°/ à Mme [V] [G] [U], domiciliée [Adresse 2],
5°/ à la société [U] International China, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4] (Chine),
6°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurance mutuelle à cotisations fixes,
7°/ à la société MMA IARD, société anonyme, venant aux droits de la société Covea Fleet,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 3],
8°/ à la société [T], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8],
9°/ à la société Logafret, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 13],
10°/ à la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF), dont le siège est [Adresse 5], venant aux droits de la société Compagnie Macifilia,
11°/ à la société Jet Speed Global Logistics Limited, dont le siège est [Adresse 1] (Chine),
défendeurs à la cassation.
II - 1°/ la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF), venant aux droits de la société Compagnie Macifilia,
2°/ la société Logafret, société par actions simplifiée,
ont formé le pourvoi n° D 21-17.705 contre le même arrêt rendu le 8 décembre 2020 par la cour d'appel d'Angers (chambre A commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à la société [T], société par actions simplifiée,
2°/ à la société [U] International China, société à responsabilité limitée,
3°/ à la société Jet Speed Global Logistics Limited,
4°/ à la société MMA IARD, société anonyme, venant aux droits de la société Covea Fleet,
5°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, société d'assurance mutuelle à cotisations fixes,
6°/ à Mme [V] [G] [U],
7°/ à M. [P] [G] [U],
8°/ à M. [H] [U],
9°/ à Mme [J] [E], épouse [U],
10°/ à la société Axa France IARD, société anonyme,
11°/ à la société [I] - [K], mandataires judiciaires associés, société civile professionnelle, anciennement dénommée [R] [I] - [K], en la personne de Mme [I], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société SE Transports Benoist,
défendeurs à la cassation.
Les sociétés MMA IARD assurances mutuelles, MMA IARD et [T] ont formé un pourvoi provoqué et incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi S 21-11.415 invoquent, à l'appui de leur recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les demanderesses au pourvoi provoqué et incident S 21-11.415 invoquent, à l'appui de leur recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les demanderesses au pourvoi D 21-17.705 invoquent, à l'appui de leur recours, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guillou, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF) et de la société Logafret, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD et de la société [I] - [K], ès qualités, de la SARL Corlay, avocat des sociétés MMA IARD, MMA IARD assurances mutuelles et [T], de Me Occhipinti, avocat de M. [U], de Mme [E], épouse [U], de M. et Mme [G] [U], après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Guillou, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° S 21-11.415 et D 21-17.705 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 8 décembre 2020), entre le 3 décembre 2007 et le 16 janvier 2008, la société Faurecia a commandé à la société Developpement ingenierie prototype plastique (la société DIPP) des machines et outillages que celle-ci a achetés à sa filiale chinoise, la société [U] International China (la société DIC). Les matériels, chargés selon les plans établis par la société DIC dans des containers, ont été transportés jusqu'au port chinois de Ningbo par la société Jet Speed Global Logistics Limited. Le 27 août 2008, la société [T] a adressé un ordre de transport à la société Logafret, assurée par la société Macifilia qui s'est substituée la société Transports Benoist pour le transport du [Localité 11] jusqu'à [Localité 12] (Bas-Rhin). Lors de ce trajet, le chauffeur a perdu le contrôle du camion qui s'est renversé, endommageant les outillages. Un expert judiciaire a été désigné en référé.
3. Le 20 août 2009, la société DIPP a assigné la société [T] et ses assureurs, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA), venant aux droits de la société Covea Fleet, ainsi que la société Logafret, la société Transports Benoist, puis, après liquidation judiciaire de cette dernière le 12 novembre 2009, la SCP [I]-[K] en qualité de liquidateur. Les sociétés DIC, Jet Speed Global Logistics Limited, la société Axa France IARD (la société Axa), assureur de la société Transports Benoist, et la société Macifilia, assureur de la société Logafret, ont été assignés en garantie.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal et du pourvoi provoqué n° S 21-11.415 rédigés en termes identiques et le premier moyen du pourvoi n° D 21-17.705, rédigé en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
4. Par le premier moyen du pourvoi n° S 21-11.415, la société Axa, la SCP [I]-[K], ès qualités, les sociétés MMA et la société [T] font grief à l'arrêt de dire que l'instance n'est pas éteinte par péremption et de déclarer les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, alors :
« 1°/ que le dépôt de conclusions sollicitant le rétablissement de l'affaire au rôle, et comportant des demandes au fond, ne peut avoir un effet interruptif du délai de péremption que s'il émane d'une partie à l'instance ; que pour dire que les conclusions déposées par les consorts [U] le 7 juin 2011, aux termes desquelles ces derniers prétendaient intervenir aux lieu et place de la société DIPP, qui avait engagée une action en responsabilité contre les acteurs d'une opération de transport, notamment la société Transports Benoist placée en liquidation judiciaire, et son assureur Axa, avaient interrompu le délai de péremption de l'instance, la cour d'appel a retenu que par ces conclusions, les consorts [U] n'agissaient pas en qualité d'intervenants volontaires selon la définition donnée aux articles 329 et 330 du code de procédure civile, mais de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, de sorte que la règle selon laquelle une intervention volontaire d'un tiers à l'instance ayant été radiée ne peut produire aucun effet sur la péremption de l'instance, ne trouvait pas à s'appliquer ; qu'en statuant de la sorte, quand l'acte par lequel les consorts [U], soutenant venir aux droits de la société DIPP en vertu d'une cession de créance conclue avec cette société, s'analysait en une intervention volontaire de sorte qu'à défaut d'avoir été pris conjointement au nom de la société cédante et des cessionnaires de la créance, il n'avait pu avoir un effet interruptif du délai de péremption, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble les articles 4 et 329 du même code ;
2°/ qu'aux termes de leurs conclusions déposées le 7 juin 2011, les consorts [U] avaient indiqué intervenir volontairement à l'instance devant le tribunal de commerce du Mans ; que dans leurs conclusions d'appel, ils faisaient valoir être "intervenus volontairement le 7 juin 2011, subrogés dans les droits de DIPP" ; qu'en retenant que les consorts [U] n'avaient pas agi en qualité d'intervenants volontaires selon la définition donnée aux articles 329 et 330 du code de procédure civile mais de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, de sorte que la règle selon laquelle une intervention volontaire d'un tiers à l'instance ayant été radiée ne peut produire aucun effet sur la péremption de l'instance, ne trouvait pas à s'appliquer, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en tout état de cause sous l'empire de l'article 1690 du code civil, applicable en la cause, la cession de créance n'était opposable aux tiers qu'à compter de la date de sa signification ou de son acceptation par acte authentique ; que pour infirmer le jugement entrepris ayant prononcé la péremption de l'instance engagée par la société DIPP par actes des 18 et 20 août 2009, la cour d'appel a retenu que par conclusions du 7 mai 2011, les consorts [U], agissant en qualité de subrogés dans les droits de la société DIPP, avaient manifesté leur volonté de poursuivre l'instance engagée par cette dernière ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait de ses constatations que la cession de créance en vertu de laquelle les consorts [U] déclaraient intervenir à la procédure n'avait été signifiée à la société [T] que par acte du 28 octobre 2013, et qu'avant cette date, les consorts [U] ne pouvaient prétendre agir à l'égard des tiers en qualité de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 1690 du code civil ;
4°/ que seules ont un effet interruptif du délai de péremption les diligences accomplies par les parties manifestant leur volonté de poursuivre la procédure ; que des conclusions par lesquelles une partie s'oppose à une demande de rétablissement d'une affaire au rôle ne manifeste pas la volonté de celle-ci de poursuivre l'instance, quand bien même elles comporteraient des demandes subsidiaires au fond ; que pour dire que les conclusions déposées par la société [T] et son assureur le 14 mai 2012, prises en réponse à l'intervention des consorts [U] pour la faire déclarer irrecevable, constituaient une diligence interruptive du délai de péremption, la cour d'appel a retenu que ces conclusions, qui portaient également, subsidiairement, sur le fond, manifestaient une volonté de leurs auteurs de poursuivre l'instance et de faire progresser l'affaire ; qu'en statuant de la sorte, quand la société [T] et son assureur avaient sollicité le prononcé de l'irrecevabilité de l'intervention des consorts [U], en faisant valoir que ces derniers n'étaient pas parties à l'instance et ne pouvaient dès lors solliciter le rétablissement de l'affaire, ce qui manifestait leur volonté de s'opposer au rétablissement de l'affaire, peu important qu'ils aient subsidiairement conclu sur le fond, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 4 du même code. »
5. Par le premier moyen du pourvoi n° D 21-17.705, la société Logafret et la société MACIF, venant aux droits de la société Macifilia, font grief à l'arrêt de déclarer les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, de condamner in solidum la société [T] et les sociétés MMA à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, de condamner in solidum la société Logafret, la MACIF et la société Axa (les assureurs), dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à garantir la société [T] et les sociétés MMA à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, de condamner la société Axa à garantir la société Logafret et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA, de la société Logafret et de son assureur la MACIF, à la somme de 89 221,25 euros correspondant à la somme restant due par la société Transports Benoist au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société Axa France IARD, au titre des préjudices subis par la société DIPP, de condamner in solidum la société DIC et la société Axa France IARD, cette dernière dans la limite de la somme de 13 622,76 euros, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA la somme de 14 372,76 euros HT, et de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 euros au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur, alors :
« 1°/ que seules les personnes qui ont pris l'initiative d'exercer l'action en élevant une prétention à leur profit, ou contre lesquelles l'acte introductif d'instance a été dirigé ont la qualité de parties à l'instance dont les diligences peuvent interrompre le délai de péremption ; qu'en jugeant, pour retenir que les conclusions des consorts [U] du 7 juin 2011 avaient interrompu le délai de péremption de l'instance introduite par la société DIPP, qu'ils agissaient en qualité de subrogés dans les droits et actions de celle-ci, cependant qu'ils n'avaient, pour autant, pas la qualité de partie à l'instance radiée mais étaient des tiers devant y intervenir volontairement, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 329 du même code ;
2°/ qu'aux termes de leurs conclusions du 7 juin 2011, les consorts [U] soutenaient intervenir à l'instance devant le tribunal de commerce aux lieu et place de la société DIPP et, dans leurs conclusions d'appel, rappelaient qu'ils étaient "intervenus volontairement le 7 juin 2011, subrogés dans les droits de DIPP" ; qu'en jugeant, cependant, que les consorts [U] n'agissaient pas en qualité d'intervenants volontaires, la cour d'appel a dénaturé leurs conclusions et, ainsi, violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ qu'en toute hypothèse, sous l'empire de l'ancien article 1690 du code civil la cession de créance n'était opposable aux tiers qu'à compter de la date de sa signification ou de son acceptation par acte authentique ; qu'en jugeant que les conclusions du 7 juin 2011 des consorts [U] avaient interrompu le délai de péremption, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que la cession de créance en vertu de laquelle ils prétendaient être subrogés dans les droits et actions de la société DIPP n'avait été signifiée à la société [T] que par acte du 28 octobre 2013, de sorte qu'ils n'avaient pas déposé leurs conclusions du 7 juin 2011 en cette qualité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'ancien article 1690 du code civil ;
4°/ que seules ont un effet interruptif du délai de péremption les diligences manifestant la volonté des parties de faire progresser l'affaire ; qu'en retenant, pour juger que les conclusions déposées par la société [T] et son assureur le 14 mai 2012 avaient également interrompu le délai de péremption, cependant qu'à titre principal, elles soulevaient l'irrecevabilité de l'intervention des consorts [U] en soutenant qu'ils ne pouvaient solliciter le rétablissement de l'affaire au rôle à défaut d'avoir la qualité de partie à l'instance, ce qui manifestait leur volonté qu'il soit mis fin à l'instance, peu important qu'elles aient conclu au fond, à titre subsidiaire, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. L'intervention volontaire dans une instance étant une demande en justice, son auteur devient, par cette seule intervention, partie à cette instance. Il peut, dès lors, en cette qualité, accomplir les diligences de nature à interrompre, à l'égard de tous, le délai de péremption de l'instance.
7. Ayant relevé que, le 7 juin 2011, M. [H] [U] et Mme [E], jusque-là tiers à l'instance, avaient déposé des conclusions dans lesquelles ils indiquaient intervenir aux lieu et place de la société DIPP en se prévalant d'une cession de créance de cette société, ce dont il résultait que le délai de péremption avait été interrompu par cette intervention volontaire, la cour d'appel, par ce seul motif, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen, et sans modifier l'objet du litige, a légalement justifié sa décision de ce chef.
8. Le moyen n'est pas fondé.
Sur le deuxième moyen des pourvois principal et provoqué n° S 21-11.415 et le deuxième moyen du pourvoi n° D 21-17.705, réunis
Enoncé du moyen
9. Par le deuxième moyen de leurs pourvois respectifs, la société Axa et la société [I]-[K], ès qualités, la société Logafret et la MACIF font grief à l'arrêt de déclarer les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, et de condamner in solidum la société [T] et les sociétés MMA à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, de condamner in solidum la société Logafret, la MACIF et la société Axa, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à garantir la société [T] et les sociétés MMA à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, de condamner la société Axa à relever et garantir la société Logafret et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA, de la société Logafret et de son assureur, la MACIF, à la somme de 89 221,25 euros correspondant à la somme restant due par la société Transports Benoist au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société Axa, au titre des préjudices subis par la société DIPP, de condamner in solidum la société DIC et la société Axa, cette dernière dans la limite de la somme de 13 622,76 euros, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA la somme de 14 372,76 euros HT, et de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 euros au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur, alors « que le droit de retrait d'une cession de créance litigieuse ne peut être exercé lorsque la cession a été faite à un créancier en payement de ce qui lui est dû ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que l'acte de cession du 6 septembre 2010 stipulait que le prix de la créance cédée serait payé par voie de compensation avec le compte courant d'associés de M. [H] [U] ; qu'en énonçant que le compte courant ouvert au nom de M. [H] [U] avait été alimenté par ce dernier et son épouse, et que la déclaration des consorts [U] selon laquelle le compte courant d'associés portant leur nom était un compte courant détenu indivisément avec M. [P] [G] [U] et Mme [V] [G] [U] suffisait sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers avaient également alimenté ce compte, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à établir que les consorts [U] étaient tous créanciers de la société DIPP, a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code. »
10. Par le deuxième moyen de leur pourvoi, la société [T] et ses assureurs, les sociétés MMA, font le même grief à l'arrêt alors « qu'il appartient à celui qui se prévaut du droit de retrait de démontrer que la créance cédée est litigieuse et à celui qui s'oppose au retrait de démontrer que la cession a été faite à un créancier en payement de ce qui lui est dû ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que l'acte de cession du 6 septembre 2010 stipulait que le prix de la créance cédée serait payé par voie de compensation avec le compte courant d'associés de M. [H] [U] ; qu'en énonçant que le compte courant ouvert au nom de M. [H] [U] avait été alimenté par ce dernier et son épouse, et que la déclaration des consorts [U] selon laquelle le compte courant d'associés portant leur nom était un compte courant détenu indivisément avec M. [P] [G] [U] et Mme [V] [G] [U] suffisait sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers avaient également alimenté ce compte, c'est-à-dire sans qu'il soit besoin pour chacun d'eux de démontrer qu'ils étaient titulaires d'une créance que la cession venait éteindre la cour d'appel a violé les articles 1134, devenu 1103, et 1315, devenu 1353, du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code. »
11. Par le deuxième moyen de leur pourvoi, les sociétés Logafret et MACIF font le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que le financement d'un compte courant d'associé ne confère pas la qualité de créancier de la société qui résulte de la qualité de titulaire du compte ; qu'en jugeant, pour retenir que tous les consorts [U] étaient créanciers de la société DIPP et refuser à la MACIF et la société Logafret la faculté d'exercer le droit de retrait litigieux, que la cession de créance était intervenue en paiement du solde d'un compte courant d'associé ouvert, pourtant, au seul nom de M. [H] [U], dès lors qu'il avait également été alimenté par son épouse, quand cela ne faisait pas d'elle la créancière de la société DIPP, la cour d'appel a violé l'article 1165, devenu 1199 du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code ;
2°/ que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'en jugeant, pour retenir que tous les consorts [U] étaient créanciers de la société DIPP et refuser à la MACIF et la société Logafret la faculté d'exercer le droit de retrait litigieux, que si la cession de créance était intervenue en paiement du solde d'un compte courant d'associé ouvert au seul nom de M. [H] [U], sa déclaration, avec son épouse, selon laquelle ce compte était indivis avec M. [P] et Mme [V] [G] [U] "suffis(ait)" sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers l'avaient également alimenté, la cour d'appel a, ce faisant, déchargé ces derniers de la charge de prouver leur qualité de créanciers de la société DIPP, a violé l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
12. Il n'y a pas lieu à retrait lorsque la cession a été faite à un créancier en paiement de ce qui lui était dû.
13. Après avoir relevé que l'acte de cession de créance du 6 septembre 2010 mentionnait que M. [H] [U], Mme [V] [G] [U] et M. [P] [G] [U] supportaient le coût des conséquences de l'accident par des apports permanents en compte courant qui s'élèvaient au jour de la rédaction de l'acte à la somme de 218 870 euros, et que l'acte stipulait que le prix de la créance cédée fixé à 172 938,72 euros serait payé par compensation avec le compte courant d'associé de M. [H] [U], l'arrêt retient souverainement que les documents comptables et bancaires produits par les consorts [U] établissent qu'ils alimentaient le compte courant d'associés et font la preuve du montant de son solde d'un montant de 218 870 euros au 31 août 2010.
14. De ces constatations et appréciations, dont il résulte que la cession de créance consentie par la société DIPP l'avait été pour rembourser une dette de cette dernière au profit des cessionnaires, la cour d'appel a déduit à bon droit que l'existence d'une créance antérieure à la cession, constituée par un compte courant d'associé, faisait obstacle à l'exercice du retrait litigieux par les sociétés MACIF et Logafret, peu important à cet égard que seuls certains titulaires du compte indivis y aient effectué des apports.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur les troisièmes moyens des pourvois n° S 21-11.415 et n° D 21-17.705, pris en leur première et deuxième branches, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
16. Par ce moyen de leur pourvoi, pris en ses première et deuxième branches, la société Axa et Mme [I], ès qualités, font le même grief à l'arrêt alors :
« 1°/ que le transporteur peut s'exonérer de la responsabilité qui pèse sur lui s'il démontre que le sinistre a pour cause un cas de force majeure, ou le fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en l'espèce, la société Axa et le liquidateur de la société Transports Benoist faisaient valoir qu'il résultait d'un rapport établi par M. [S], régulièrement produit aux débats, que la vitesse de l'ensemble routier n'était pas la cause de l'accident, des simulations et modélisations en 3D ayant permis d'établir que l'accident se serait produit en cas de freinage dès la vitesse de 75 km/h, compte tenu du mauvais positionnement du centre de gravité des charges transportées, imputable à une erreur commise par la société DIC ; qu'elles se prévalaient également d'un rapport établi à la demande de la société [T] par M. [D] ayant similairement conclu que la cause du renversement de l'ensemble routier résidait dans la position du centre de gravité des marchandises entreposées dans le conteneur ; qu'en retenant que la société Transports Benoist était responsable du sinistre dès lors que l'expert judiciaire avait retenu le rôle causal de l'excès de vitesse du chauffeur de cette société et du freinage qui en était suivi, peu important qu'une autre faute, relative à la mauvaise répartition des charges dans le conteneur, a concouru à la réalisation du dommage, sans examiner les pièces versées aux débats par les exposantes établissant que la vitesse du camion transportant la marchandise n'avait pas été à l'origine du sinistre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 133-1 du code de commerce ;
2°/ que la cour d'appel a retenu que sans la faute commise par la société DIC, qui assumait les opérations de chargement, pour avoir mal réparti les charges transportées à l'intérieur du conteneur, plaçant le centre de gravité de l'ensemble beaucoup trop à l'arrière, "l'accident ne serait pas survenu", ce dont il résultait que la faute de conduite du chauffeur de la société Transports Benoist n'avait en tout état de cause été qu'une cause indirecte du sinistre puisqu'aussi bien, l'accident ne se serait pas produit si les marchandises avaient ab initio été correctement entreposées dans l'ensemble routier ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 133-1 du code de commerce. »
17. Par leur troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches, la société Logafret et la MACIF font le même grief à l'arrêt alors :
« 1°/ que le transporteur est exonéré de toute responsabilité si le sinistre provient de la force majeure, ou du fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en jugeant que la société Transports Benoist était responsable du sinistre dès lors que l'expert judiciaire avait retenu le rôle causal de l'excès de vitesse du chauffeur de cette société et du freinage qui en était suivi, peu important qu'une autre faute, résultant de la mauvaise répartition des charges dans le conteneur, ait concouru à la réalisation du dommage, sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée par la MACIF et la société Logafret, qui reprenaient à leur compte l'argumentation de la société Axa et de Mme [I], s'il ne résultait pas du rapport de M. [S] versé aux débats, que la vitesse de l'ensemble routier n'était pas la cause de l'accident, des simulations et modélisations en 3D ayant permis d'établir que l'accident se serait produit en cas de freinage dès la vitesse de 75 km/h, compte tenu du mauvais positionnement du centre de gravité des charges transportées, imputable à une erreur commise par la société DIC, conclusion à laquelle était également parvenu M. [D], dans un rapport établi à la demande de M. [T], de sorte que le sinistre provenait de l'erreur de la société DIC qui revêtait les caractéristiques de la force majeure, exonérant donc la société Transport Benoist de toute responsabilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 133-1 du code de commerce ;
2°/ que le transporteur est exonéré de toute responsabilité si le sinistre provient de la force majeure, ou du fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'elle constatait elle-même que, sans la faute commise par la société DIC, qui assumait les opérations de chargement, pour avoir mal réparti les charges transportées à l'intérieur du conteneur, plaçant le centre de gravité de l'ensemble beaucoup trop à l'arrière "l'accident ne serait pas survenu", ce dont il résultait que la faute de conduite du chauffeur n'avait été qu'une cause indirecte du sinistre puisqu'aussi bien, l'accident ne se serait pas produit si les marchandises avaient été correctement entreposées dans le camion, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 133-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
18. Aux termes de l'article L. 133-1 du code de commerce, le voiturier est garant de la perte des objets à transporter, hors les cas de la force majeure. Il est garant des avaries autres que celles qui proviennent du vice propre de la chose ou de la force majeure.
19. Après avoir écarté la responsabilité personnelle de la société [T], l'arrêt retient que celle-ci doit répondre des fautes de ses substitués, les sociétés Logafret et Transports Benoist, transporteurs, dans l'exécution de la commission de transport. Il ajoute que, par des conclusions techniques non contestées, l'expert judiciaire a considéré que l'accident a eu pour facteurs déclencheurs la vitesse excessive du camion, le dépassement et le freinage du camion, et pour facteur générateur la mauvaise répartition du chargement à l'intérieur du conteneur, plaçant le centre de gravité beaucoup trop à l'arrière. Il retient encore que, sans l'excès de vitesse et les variations brutales de direction du camion à l'occasion du dépassement d'un autre véhicule, l'accident n'aurait pas eu lieu, l'expert ayant relevé que, depuis son transport de l'usine chinoise jusqu'à l'accident, sans que l'empotage ait été modifié, le chargement du conteneur n'avait posé aucune difficulté.
20. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à s'expliquer sur des éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter, a pu déduire que le comportement du transporteur avait eu un rôle causal dans l'accident, exclusif de toute force majeure, et décidé, à bon droit, qu'il ne pouvait dès lors s'exonérer de sa responsabilité.
Mais sur ces moyens, pris en leur troisième branche, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé du moyen
21. Par leur troisième moyen, pris en sa troisième branche, la société Axa et Mme [I], ès qualités, font le même grief à l'arrêt alors :
« 3°/ que la faute lourde suppose une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de sa mission contractuelle ; que pour dire que la société Transports Benoist avait commis une faute lourde excluant l'application des plafonds conventionnels de garantie, la cour d'appel a retenu que le chauffeur de la société Transports Benoist, qui "avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse. Au lieu de cela, non seulement il a roulé à une vitesse excessive, largement au-delà de la vitesse autorisée, mais a effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait ignorer la dangerosité" ; qu'en statuant par ces motifs, impropres à caractériser la commission par la société Transports Benoist d'une négligence grossière confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à accomplir la mission qu'il a contractuellement acceptée, la cour d'appel a violé l'article 1150 du code civil. »
22. Par leur troisième moyen, pris en sa troisième branche, la société Logafret et la MACIF font le même grief à l'arrêt alors :
« 3°/ que la faute lourde suppose une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de sa mission contractuelle ; qu'en retenant, pour juger que la société Transports Benoist avait commis une faute lourde excluant l'application des plafonds conventionnels de garantie, que le chauffeur, qui "avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse", au lieu de quoi, "non seulement il a(vait) roulé à une vitesse excessive, largement au-delà de la vitesse autorisée, mais a(vait) effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait ignorer la dangerosité", la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une faute lourde du chauffeur, a violé l'article 1150 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1150 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
23. Constitue une faute lourde la négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il a acceptée.
24. Pour retenir la faute lourde du voiturier et condamner in solidum la société [T] et les sociétés MMA à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, l'arrêt retient que le chauffeur, qui avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse et qu'au lieu de cela, il a roulé à une vitesse excessive largement au-delà de la vitesse autorisée et a effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait pas ignorer la dangerosité, la circonstance qu'il n'avait pas connaissance de la mauvaise répartition des charges à l'intérieur du conteneur ne diminuant pas la faute commise.
25. En se déterminant par de tels motifs, impropres à caractériser une faute lourde du transporteur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le troisième moyen du pourvoi provoqué, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
26. La société [T] et ses assureurs, les sociétés MMA, aux droits de la société Covea Fleet, font grief à l'arrêt attaqué de les condamner in solidum à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, avec intérêt légal à compter du présent arrêt, et de limiter la garantie due par la société DIC à la moitié de cette somme alors « que la responsabilité du commissionnaire de transport du fait de ses substitués ne peut être engagée que dans la mesure de leur propre responsabilité ; qu'en l'espèce la cour d'appel a constaté que la société [T] n'était responsable que du fait de ses substitués, les sociétés Logafret et Transports Benoist, et n'était pas commissionnaire de transport vis-à-vis de la société DIC ; que la société DIC était responsable du dommage causé à hauteur de la moitié, la société Transports Benoist n'étant responsable que de la moitié ; qu'en condamnant cependant la société [T] pour le tout, en ce compris la part de la société DIC, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et violé les articles L. 132-4 et L. 132-5 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 132-4 et L. 132-5 du code de commerce :
27. Il résulte de ces textes que lorsque sa responsabilité n'est pas engagée à raison de son fait personnel mais seulement du fait de ses substitués, le commissionnaire de transport ne peut être tenu que dans la limite de la responsabilité de ces derniers.
28. Pour condamner in solidum la société [T] et ses assureurs, les sociétés MMA, venant aux droits de la société Covea Fleet à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 euros, avec intérêt légal, l'arrêt retient que, dès lors que la faute lourde est établie, elle prive le transporteur de la possibilité de se prévaloir des limitations d'indemnités normalement applicables qu'elles soient légales ou conventionnelles et que la faute équipollente au dol de son substitué rejaillit sur le commissionnaire de transport et lui fait perdre le bénéfice des limitations de responsabilités. Il en déduit que la société [T] et ses assureurs sont donc tenus à l'indemnisation intégrale du préjudice.
29. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que la société DIC, qui avait assumé la responsabilité des opérations de chargement et avait mal réparti les charges dans le conteneur, devait répondre des conséquences dommageables de sa faute et qu'il y avait lieu d'opérer un partage de responsabilité par moitié entre la société DIC et la société Transports Benoist, la cour d'appel, qui ne pouvait condamner la société [T], commissionnaire de transport et ses assureurs au-delà de la responsabilité de son substitué, la société Transports Benoist, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que l'instance n'était pas éteinte par péremption et en ce qu'il déclare M. [U], Mme [E], M. [G] [U] et Mme [G] [U] recevables à agir au lieu et place de la société DIPP, l'arrêt rendu le 8 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;
Laisse à chaque partie la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le
présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal n° S 21-11.415 par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Axa France IARD et la société [I] - [K], mandataires judiciaires associés, en la personne de Mme [I], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société SE Transports Benoist.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La compagnie AXA FRANCE IARD et Me [Z] [I] font grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'AVOIR dit que l'instance n'était pas éteinte par péremption, et D'AVOIR déclaré les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP ;
1°) ALORS QUE le dépôt de conclusions sollicitant le rétablissement de l'affaire au rôle, et comportant des demandes au fond, ne peut avoir un effet interruptif du délai de péremption que s'il émane d'une partie à l'instance ; que pour dire que les conclusions déposées par les consorts [U] le 7 juin 2011, aux termes desquelles ces derniers prétendaient intervenir aux lieu et place de la société DIPP, qui avait engagée une action en responsabilité contre les acteurs d'une opération de transport, notamment la société TRANSPORTS BENOIST placée en liquidation judiciaire, et son assureur AXA FRANCE IARD, avaient interrompu le délai de péremption de l'instance, la cour d'appel a retenu que par ces conclusions, les consorts [U] n'agissaient pas en qualité d'intervenants volontaires selon la définition donnée aux articles 329 et 330 du code de procédure civile, mais de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, de sorte que la règle selon laquelle une intervention volontaire d'un tiers à l'instance ayant été radiée ne peut produire aucun effet sur la péremption de l'instance, ne trouvait pas à s'appliquer ; qu'en statuant de la sorte, quand l'acte par lequel les consorts [U], soutenant venir aux droits de la société DIPP en vertu d'une cession de créance conclue avec cette société, s'analysait en une intervention volontaire de sorte qu'à défaut d'avoir été pris conjointement au nom de la société cédante et des cessionnaires de la créance, il n'avait pu avoir un effet interruptif du délai de péremption, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble les articles 4 et 329 du même code ;
2°) ALORS, EN OUTRE, QU' aux termes de leurs conclusions déposées le 7 juin 2011, les consorts [U] avaient indiqué intervenir volontairement à l'instance devant le tribunal de commerce du MANS ; que dans leurs conclusions d'appel, ils faisaient valoir être « intervenus volontairement le 7 juin 2011, subrogés dans les droits de DIPP » (leurs conclusions d'appel, not. p. 11) ; qu'en retenant que les consorts [U] n'avaient pas agi en qualité d'intervenants volontaires selon la définition donnée aux articles 329 et 330 du code de procédure civile mais de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, de sorte que la règle selon laquelle une intervention volontaire d'un tiers à l'instance ayant été radiée ne peut produire aucun effet sur la péremption de l'instance, ne trouvait pas à s'appliquer, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE sous l'empire de l'article 1690 du code civil, applicable en la cause, la cession de créance n'était opposable aux tiers qu'à compter de la date de sa signification ou de son acceptation par acte authentique ; que pour infirmer le jugement entrepris ayant prononcé la péremption de l'instance engagée par la société DIPP par actes des 18 et 20 août 2009, la cour d'appel a retenu que par conclusions du 7 mai 2011, les consorts [U], agissant en qualité de subrogés dans les droits de la société DIPP, avaient manifesté leur volonté de poursuivre l'instance engagée par cette dernière ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait de ses constatations que la cession de créance en vertu de laquelle les consorts [U] déclaraient intervenir à la procédure n'avait été signifiée à la société [T] que par acte du 28 octobre 2013, et qu'avant cette date, les consorts [U] ne pouvaient prétendre agir à l'égard des tiers en qualité de subrogés dans les droits et actions de la société DIPP, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 1690 du code civil ;
4°) ALORS, ENFIN, QUE seules ont un effet interruptif du délai de péremption les diligences accomplies par les parties manifestant leur volonté de poursuivre la procédure ; que des conclusions par lesquelles une partie s'oppose à une demande de rétablissement d'une affaire au rôle ne manifeste pas la volonté de celle-ci de poursuivre l'instance, quand bien même elles comporteraient des demandes subsidiaires au fond ; que pour dire que les conclusions déposées par la société [T] et son assureur le 14 mai 2012, prises en réponse à l'intervention des consorts [U] pour la faire déclarer irrecevable, constituaient une diligence interruptive du délai de péremption, la cour d'appel a retenu que ces conclusions, qui portaient également, subsidiairement, sur le fond, manifestaient une volonté de leurs auteurs de poursuivre l'instance et de faire progresser l'affaire ; qu'en statuant de la sorte, quand la société [T] et son assureur avaient sollicité le prononcé de l'irrecevabilité de l'intervention des consorts [U], en faisant valoir que ces derniers n'étaient pas parties à l'instance et ne pouvaient dès lors solliciter le rétablissement de l'affaire, ce qui manifestait leur volonté de s'opposer au rétablissement de l'affaire, peu important qu'ils aient subsidiairement conclu sur le fond, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 4 du même code.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La compagnie AXA FRANCE IARD et Me [Z] [I] font grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'AVOIR déclaré les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, et d'AVOIR en conséquence condamné in solidum la société [T] et les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES à payer à Monsieur [H] [U], Madame [J] [E] épouse [U], Monsieur [P] [G] [U], Madame [V] [G] [U] la somme globale de 749.947,72 €, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, d'AVOIR condamné in solidum la société LOGAFRET, la MACIF et la société AXA FRANCE IARD, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à relever et garantir la société [T] et les sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, d'AVOIR condamné la société AXA FRANCE IARD à relever et garantir la société LOGAFRET et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société TRANSPORTS BENOIST la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA IARD ASSURANCES et MMA IARD, de la société LOGAFRET et de son assureur la MACIF, à la somme de 89.221,25 € correspondant à la somme restant due par la société TRANSPORTS BENOIST au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société AXA FRANCE IARD, au titre des préjudices subis par la société DIP, d'AVOIR condamné in solidum la société DIC et la société AXA FRANCE IARD, cette dernière dans la limite de la somme de 13.622,76 €, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA IARD ASSURANCES et MMA IARD la somme de 14.372,76 € HT, et d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société TRANSPORTS BENOIST la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 € au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur,
ALORS QUE le droit de retrait d'une cession de créance litigieuse ne peut être exercé lorsque la cession a été faite à un créancier en payement de ce qui lui est dû ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que l'acte de cession du 6 septembre 2010 stipulait que le prix de la créance cédée serait payé par voie de compensation avec le compte courant d'associés de Monsieur [H] [U] ; qu'en énonçant que le compte courant ouvert au nom de Monsieur [H] [U] avait été alimenté par ce dernier et son épouse, et que la déclaration des consorts [U] selon laquelle le compte courant d'associés portant leur nom était un compte courant détenu indivisément avec Monsieur [P] [G] [U] et Madame [V] [G] [U] suffisait sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers avaient également alimenté ce compte, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à établir que les consorts [U] étaient tous créanciers de la société DIPP, a violé l'article 1134 (devenu 1103) du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La compagnie AXA FRANCE IARD et Me [Z] [I] font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné in solidum la société LOGAFRET, la MACIF et la société AXA FRANCE IARD, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à relever et garantir la société [T] et les sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, d'AVOIR condamné la société AXA FRANCE IARD à relever et garantir la société LOGAFRET et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société TRANSPORTS BENOIST la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA IARD ASSURANCES et MMA IARD, de la société LOGAFRET et de son assureur la MACIF, à la somme de 89.221,25 € correspondant à la somme restant due par la société TRANSPORTS BENOIST au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société AXA FRANCE IARD, au titre des préjudices subis par la société DIP, d'AVOIR condamné in solidum la société DIC et la société AXA FRANCE IARD, cette dernière dans la limite de la somme de 13.622,76 €, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA IARD ASSURANCES et MMA IARD la somme de 14.372,76 € HT, et d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société TRANSPORTS BENOIST la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA IARD ASSURANCES et MMA IARD, à la somme de 750 € au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur,
1°) ALORS QUE le transporteur peut s'exonérer de la responsabilité qui pèse sur lui s'il démontre que le sinistre a pour cause un cas de force majeure, ou le fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en l'espèce, la société AXA FRANCE IARD et le liquidateur de la société TRANSPORTS BENOIST faisaient valoir qu'il résultait d'un rapport établi par Monsieur [S], régulièrement produit aux débats, que la vitesse de l'ensemble routier n'était pas la cause de l'accident, des simulations et modélisations en 3D ayant permis d'établir que l'accident se serait produit en cas de freinage dès la vitesse de 75 km/h, compte tenu du mauvais positionnement du centre de gravité des charges transportées, imputable à une erreur commise par la société DIC (leurs conclusions d'appel, p. 18-20) ; qu'elles se prévalaient également d'un rapport établi à la demande de la société [T] par Monsieur [D] ayant similairement conclu que la cause du renversement de l'ensemble routier résidait dans la position du centre de gravité des marchandises entreposées dans le conteneur (p. 19) ; qu'en retenant que la société TRANSPORTS BENOIST était responsable du sinistre dès lors que l'expert judiciaire avait retenu le rôle causal de l'excès de vitesse du chauffeur de cette société et du freinage qui en était suivi, peu important qu'une autre faute, relative à la mauvaise répartition des charges dans le conteneur, a concouru à la réalisation du dommage, sans examiner les pièces versées aux débats par les exposantes établissant que la vitesse du camion transportant la marchandise n'avait pas été à l'origine du sinistre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 133-1 du code de commerce ;
2°) ALORS, AU SURPLUS, QUE la cour d'appel a retenu (arrêt attaqué, p. 23, 5ème et 6ème §) que sans la faute commise par la société DIC, qui assumait les opérations de chargement, pour avoir mal réparti les charges transportées à l'intérieur du conteneur, plaçant le centre de gravité de l'ensemble beaucoup trop à l'arrière (arrêt, p. 18, 3ème §), « l'accident ne serait pas survenu », ce dont il résultait que la faute de conduite du chauffeur de la société TRANSPORTS BENOIST n'avait en tout état de cause été qu'une cause indirecte du sinistre puisqu'aussi bien, l'accident ne se serait pas produit si les marchandises avaient ab initio été correctement entreposées dans l'ensemble routier ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et violé l'article L. 133-1 du code de commerce ;
3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE la faute lourde suppose une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de sa mission contractuelle ; que pour dire que la société TRANSPORTS BENOIST avait commis une faute lourde excluant l'application des plafonds conventionnels de garantie, la cour d'appel a retenu que le chauffeur de la société TRANSPORTS BENOIST, qui « avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse. Au lieu de cela, non seulement il a roulé à une vitesse excessive, largement au-delà de la vitesse autorisée, mais a effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait ignorer la dangerosité » ; qu'en statuant par ces motifs, impropres à caractériser la commission par la société TRANSPORTS BENOIST d'une négligence grossière confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à accomplir la mission qu'il a contractuellement acceptée, la cour d'appel a violé l'article 1150 du code civil ;
4°) ALORS, EN OUTRE, QU'en retenant, pour retenir l'existence d'une faite lourde commise par le chauffeur de la société TRANSPORTS BENOIST, que ce dernier, qui « avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse. Au lieu de cela, non seulement il a roulé à une vitesse excessive, largement au-delà de la vitesse autorisée, mais a effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait ignorer la dangerosité », quand il résultait de ses propres constatations (arrêt, p. 20, 3ème §) que l'expert avait exclu le rôle causal dans la survenance de l'accident de la surcharge du conteneur, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la faute lourde qu'aurait commise la société TRANSPORTS BENOIST, a violé l'article 1150 du code civil. Moyens produits au pourvoi provoqué et incident n° S 21-11.415 par la SARL Corlay, avocat aux Conseils, pour les sociétés MMA IARD assurances mutuelles, MMA IARD, venant aux droits de la société Covea Fleet, et la société [T].
Premier moyen de cassation
La société [T] et ses assureurs, les sociétés Mma Iard Assurances Mutuelles Mma Iard Sa, aux droits de la société Covea Fleet, font grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir dit que l'instance n'était pas éteinte par péremption, et d'avoir déclaré les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société Dipp ;
Alors que 1°) le dépôt de conclusions sollicitant le rétablissement de l'affaire au rôle, et comportant des demandes au fond, ne peut avoir un effet interruptif du délai de péremption que s'il émane d'une partie à l'instance ; que pour dire que les conclusions déposées par les consorts [U] le 7 juin 2011, aux termes desquelles ces derniers prétendaient intervenir aux lieu et place de la société Dipp, qui avait engagé une action en responsabilité contre les acteurs d'une opération de transport, notamment la société Transports Benoist placée en liquidation judiciaire, et son assureur Axa France Iard, avaient interrompu le délai de péremption de l'instance, la cour d'appel a retenu que par ces conclusions, les consorts [U] n'agissaient pas en qualité d'intervenants volontaires selon la définition donnée aux articles 329 et 330 du code de procédure civile, mais de subrogés dans les droits et actions de la société Dipp, de sorte que la règle selon laquelle une intervention volontaire d'un tiers à l'instance ayant été radiée ne peut produire aucun effet sur la péremption de l'instance, ne trouvait pas à s'appliquer ; qu'en statuant de la sorte, quand l'acte par lequel les consorts [U], soutenant venir aux droits de la société Dipp en vertu d'une cession de créance conclue avec cette société, s'analysait en une intervention volontaire de sorte qu'à défaut d'avoir été pris conjointement au nom de la société cédante et des cessionnaires de la créance, il n'avait pu avoir un effet interruptif du délai de péremption, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble les articles 4 et 329 du même code ;
Alors que 2°) aux termes de leurs conclusions déposées le 7 juin 2011, les consorts [U] avaient indiqué intervenir volontairement à l'instance devant le tribunal de commerce du Mans ; que dans leurs conclusions d'appel, ils faisaient valoir être « intervenus volontairement le 7 juin 2011, subrogés dans les droits de Dipp » (leurs conclusions d'appel, not. p. 11) ; qu'en retenant que les consorts [U] n'avaient pas agi en qualité d'intervenants volontaires selon la définition donnée aux articles 329 et 330 du code de procédure civile mais de subrogés dans les droits et actions de la société Dipp, de sorte que la règle selon laquelle une intervention volontaire d'un tiers à l'instance ayant été radiée ne peut produire aucun effet sur la péremption de l'instance, ne trouvait pas à s'appliquer, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Alors que 3°) sous l'empire de l'article 1690 du code civil, applicable en la cause, la cession de créance n'était opposable aux tiers qu'à compter de la date de sa signification ou de son acceptation par acte authentique ; que pour infirmer le jugement entrepris ayant prononcé la péremption de l'instance engagée par la société Dipp par actes des 18 et 20 août 2009, la cour d'appel a retenu que par conclusions du 7 mai 2011, les consorts [U], agissant en qualité de subrogés dans les droits de la société Dipp, avaient manifesté leur volonté de poursuivre l'instance engagée par cette dernière ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait de ses constatations que la cession de créance en vertu de laquelle les consorts [U] déclaraient intervenir à la procédure n'avait été signifiée à la société [T] que par acte du 28 octobre 2013, et qu'avant cette date, les consorts [U] ne pouvaient prétendre agir à l'égard des tiers en qualité de subrogés dans les droits et actions de la société Dipp, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 1690 du code civil ;
Alors que 4°) seules ont un effet interruptif du délai de péremption les diligences accomplies par les parties manifestant leur volonté de poursuivre la procédure ; que des conclusions par lesquelles une partie s'oppose à une demande de rétablissement d'une affaire au rôle ne manifeste pas la volonté de celle-ci de poursuivre l'instance, quand bien même elles comporteraient des demandes subsidiaires au fond ; qu'en considérant que, quand bien même les conclusions déposées le 14 mai 2012 pour les sociétés [T] et Covea Fleet avaient été prises en réponse à l'intervention des consorts [U] pour la faire déclarer irrecevable, elles venaient interrompre la péremption dans la mesure où il était conclu, « subsidiairement sur le fond » la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile.
Deuxième moyen de cassation
La société [T] et ses assureurs, les sociétés Mma Iard Assurances Mutuelles Mma Iard Sa, aux droits de la société Covea Fleet, font grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, d'avoir déclaré les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société Dipp, et d'avoir en conséquence condamné in solidum la société [T] et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles à payer à Monsieur [H] [U], Madame [J] [E] épouse [U], Monsieur [P] [G] [U], Madame [V] [G] [U] la somme globale de 749.947,72 €, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, d'avoir condamné in solidum la société Logafret, la Macif et la société Axa France Iard, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à relever et garantir la société [T] et les sociétés Mma Iard Assurances Mutuelles et Mma Iard à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, d'avoir condamné la société Axa France Iard à relever et garantir la société Logafret et la Macif des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, d'avoir fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés Mma Iard Assurances et Mma Iard, de la société Logafret et de son assureur la Macif, à la somme de 89.221,25 € correspondant à la somme restant due par la société Transports Benoist au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société Axa France Iard, au titre des préjudices subis par la société DIP, d'avoir condamné in solidum la société Dic et la société Axa France Iard, cette dernière dans la limite de la somme de 13.622,76 €, à payer à la société [T] et aux sociétés Mma Iard Assurances et Mma Iard la somme de 14.372,76 € HT, et d'avoir fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 € au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur.
Alors que il appartient à celui qui se prévaut du droit de retrait de démontrer que la créance cédée est litigieuse et à celui qui s'oppose au retrait de démontrer que la cession a été faite à un créancier en payement de ce qui lui est dû ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que l'acte de cession du 6 septembre 2010 stipulait que le prix de la créance cédée serait payé par voie de compensation avec le compte courant d'associés de Monsieur [H] [U] ; qu'en énonçant que le compte courant ouvert au nom de Monsieur [H] [U] avait été alimenté par ce dernier et son épouse, et que la déclaration des consorts [U] selon laquelle le compte courant d'associés portant leur nom était un compte courant détenu indivisément avec Monsieur [P] [G] [U] et Madame [V] [G] [U] suffisait sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers avaient également alimenté ce compte, c'est-à-dire sans qu'il soit besoin pour chacun d'eux de démontrer qu'ils étaient titulaires d'une créance que la cession venait éteindre la cour d'appel a violé les articles 1134 (devenu 1103) et 1315 (devenu 1353) du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code.
Troisième moyen de cassation
La société [T] et ses assureurs, les sociétés Mma Iard Assurances Mutuelles Mma Iard Sa, aux droits de la société Covea Fleet, font grief à l'arrêt attaqué de les avoir condamnées in solidum à M. [H] [U], Mme [J] [E] épouse [U], M. [P] [G] [U] et Mme [V] [G] [U] la somme globale de 749 947,72 euros, avec intérêt légal à compter du présent arrêt, et en ce qu'il a limité la garantie due par la Société Dic à la moitié de cette somme ;
Alors que 1°) la cassation à intervenir sur le troisième moyen du pourvoi principal entraînera, par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt en ce que la société [T] a été condamnée à cette somme du fait de son substitué, la société Transport Benoist ;
Alors que 2°) en toute hypothèse, la responsabilité du commissionnaire de transport du fait de ses substitués ne peut être engagée que dans la mesure de leur propre responsabilité ; qu'en l'espèce la cour d'appel a constaté que la Société [T] n'était responsable que du fait de ses substitués, les sociétés Logafret et Transports Benoist, et n'était pas commissionnaire de transport vis-à-vis de Dic ; que la société Dic était responsable du dommage causé à hauteur de la moitié, la société Transports Benoist n'étant responsable que de la moitié ; qu'en condamnant cependant la Société [T] pour le tout, en ce compris la part de Dic, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et violé les articles L. 132-4 et L. 132-5 du code de commerce.
Pourvoi incident
Quatrième moyen de cassation
La société [T] et ses assureurs, les sociétés Mma Iard Assurances Mutuelles Mma Iard Sa, aux droits de la société Covea Fleet, font grief à l'arrêt attaqué d'avoir limité la condamnation in solidum de la société Logafret, la Macif et la société Axa France Iard, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à relever et garantir la société [T] et les sociétés Mma Iard Assurances Mutuelles et Mma Iard à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens,
Alors que la responsabilité du commissionnaire de transport du fait de ses substitués ne peut être engagée que dans la mesure de leur propre responsabilité et, sauf faute personnelle, le commissionnaire doit être garanti par les transporteurs substitués dont la faute est retenue pour l'ensemble des sommes auxquelles il a été condamné ; qu'en considérant que la société [T] et ses assureurs pouvaient être condamnés pour l'entier dommage subi du fait de la faute de la société Transport Benoist et de la Société Logafret qui l'a affrété, mais en limitant la garantie de ceux-ci à la moitié seulement des condamnations prononcées, la cour d'appel a violé les articles L. 132-4 et L. 132-5 du code de commerce ensemble l'article L. 133-1 du même code. Moyens produits au pourvoi principal n° D 21-17.705 par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF) et la société Logafret.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Logafret et la MACIF font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que l'instance n'était pas éteinte par péremption, et d'AVOIR déclaré les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, d'AVOIR en conséquence condamné in solidum la société [T] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 €, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, d'AVOIR condamné in solidum la société Logafret, la MACIF et la société AXA France Iard, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à relever et garantir la société [T] et les sociétés MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, d'AVOIR condamné la société AXA France Iard à relever et garantir la société Logafret et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, d'avoir fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA Iard Assurances et MMA Iard, de la société Logafret et de son assureur la MACIF, à la somme de 89 221,25 € correspondant à la somme restant due par la société Transports Benoist au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société AXA France Iard, au titre des préjudices subis par la société DIP, d'AVOIR condamné in solidum la société DIC et la société AXA France Iard, cette dernière dans la limite de la somme de 13 622,76 €, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA Iard Assurances et MMA Iard la somme de 14 372,76 € HT, et d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 € au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur ;
1°) ALORS QUE seules les personnes qui ont pris l'initiative d'exercer l'action en élevant une prétention à leur profit, ou contre lesquelles l'acte introductif d'instance a été dirigé ont la qualité de parties à l'instance dont les diligences peuvent interrompre le délai de péremption ; qu'en jugeant, pour retenir que les conclusions des consorts [U] du 7 juin 2011 avaient interrompu le délai de péremption de l'instance introduite par la société DIPP, qu'ils agissaient en qualité de subrogés dans les droits et actions de celle-ci (arrêt, p. 16, al. 5), cependant qu'ils n'avaient, pour autant, pas la qualité de partie à l'instance radiée mais étaient des tiers devant y intervenir volontairement, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'article 329 du même code ;
2°) ALORS QU'aux termes de leurs conclusions du 7 juin 2011, les consorts [U] soutenaient intervenir à l'instance devant le tribunal de commerce aux lieu et place de la société DIPP (ces conclusions, p. 8) et, dans leurs conclusions d'appel, rappelaient qu'ils étaient « intervenus volontairement le 7 juin 2011, subrogés dans les droits de DIPP » (ces conclusions, not. p. 11) ; qu'en jugeant, cependant, que les consorts [U] n'agissaient pas en qualité d'intervenants volontaires, la cour d'appel a dénaturé leurs conclusions et, ainsi, violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, sous l'empire de l'ancien article 1690 du code civil la cession de créance n'était opposable aux tiers qu'à compter de la date de sa signification ou de son acceptation par acte authentique ; qu'en jugeant que les conclusions du 7 juin 2011 des consorts [U] avaient interrompu le délai de péremption, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que la cession de créance en vertu de laquelle ils prétendaient être subrogés dans les droits et actions de la société DIPP n'avait été signifiée à la société [T] que par acte du 28 octobre 2013 (arrêt, p. 5, al. 8), de sorte qu'ils n'avaient pas déposé leurs conclusions du 7 juin 2011 en cette qualité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 386 du code de procédure civile, ensemble l'ancien article 1690 du code civil ;
4°) ALORS QUE seules ont un effet interruptif du délai de péremption les diligences manifestant la volonté des parties de faire progresser l'affaire ; qu'en retenant, pour juger que les conclusions déposées par la société [T] et son assureur le 14 mai 2012 avaient également interrompu le délai de péremption, cependant qu'à titre principal, elles soulevaient l'irrecevabilité de l'intervention des consorts [U] en soutenant qu'ils ne pouvaient solliciter le rétablissement de l'affaire au rôle à défaut d'avoir la qualité de partie à l'instance, ce qui manifestait leur volonté qu'il soit mis fin à l'instance, peu important qu'elles aient conclu au fond, à titre subsidiaire, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La société Logafret et la MACIF font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que l'instance n'était pas éteinte par péremption, et d'AVOIR déclaré les consorts [U] recevables à agir en lieu et place de la société DIPP, d'AVOIR en conséquence condamné in solidum la société [T] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 €, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, d'AVOIR condamné in solidum la société Logafret, la MACIF et la société AXA France Iard, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à relever et garantir la société [T] et les sociétés MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, d'AVOIR condamné la société AXA France Iard à relever et garantir la société Logafret et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA Iard Assurances et MMA Iard, de la société Logafret et de son assureur la MACIF, à la somme de 89 221,25 € correspondant à la somme restant due par la société Transports Benoist au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société AXA France Iard, au titre des préjudices subis par la société DIPP, d'AVOIR condamné in solidum la société DIC et la société AXA France Iard, cette dernière dans la limite de la somme de 13 622,76 €, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA Iard Assurances et MMA Iard la somme de 14 372,76 € HT, et d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 € au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur ;
1°) ALORS QUE le financement d'un compte courant d'associé ne confère pas la qualité de créancier de la société qui résulte de la qualité de titulaire du compte ; qu'en jugeant, pour retenir que tous les consorts [U] étaient créanciers de la société DIPP et refuser à la MACIF et la société Logafret la faculté d'exercer le droit de retrait litigieux, que la cession de créance était intervenue en paiement du solde d'un compte courant d'associé ouvert, pourtant, au seul nom de M. [H] [U], dès lors qu'il avait également été alimenté par son épouse, quand cela ne faisait pas d'elle la créancière de la société DIPP, la cour d'appel a violé l'article 1165, devenu 1199 du code civil, ensemble les articles 1699 et 1701 du même code.
2°) ALORS QUE celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; qu'en jugeant, pour retenir que tous les consorts [U] étaient créanciers de la société DIPP et refuser à la MACIF et la société Logafret la faculté d'exercer le droit de retrait litigieux, que si la cession de créance était intervenue en paiement du solde d'un compte courant d'associé ouvert au seul nom de M. [H] [U], sa déclaration, avec son épouse, selon laquelle ce compte était indivis avec M. [P] et Mme [V] [G] [U] « suffis(ait) » sans qu'il soit besoin d'exiger la preuve que ces derniers l'avaient également alimenté (arrêt, p. 18, al. 1er), la cour d'appel a, ce faisant, déchargé ces derniers de la charge de prouver leur qualité de créanciers de la société DIPP, a violé l'article 1353 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La société Logafret et la MACIF font grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné in solidum la société [T] et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer aux consorts [U] la somme globale de 749 947,72 €, avec intérêt légal à compter de l'arrêt, d'AVOIR condamné in solidum la société Logafret, la MACIF et la société AXA France Iard, les assureurs dans la limite de leurs plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, à relever et garantir la société [T] et les sociétés MMA Iard Assurances Mutuelles et MMA Iard à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elles en principal, intérêts, frais et dépens, d'AVOIR condamné la société AXA France Iard à relever et garantir la société Logafret et la MACIF des condamnations prononcées contre elles, dans la limite de ses plafonds de garantie et après application de la franchise contractuelle, d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs, les sociétés MMA Iard Assurances et MMA Iard, de la société Logafret et de son assureur la MACIF, à la somme de 89 221,25 € correspondant à la somme restant due par la société Transports Benoist au titre de la franchise et après mise en oeuvre des garanties de la société AXA France Iard, au titre des préjudices subis par la société DIPP, d'AVOIR condamné in solidum la société DIC et la société AXA France Iard, cette dernière dans la limite de la somme de 13 622,76 €, à payer à la société [T] et aux sociétés MMA Iard Assurances et MMA Iard la somme de 14 372,76 € HT, et d'AVOIR fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Transports Benoist la créance de la société [T] et de ses assureurs à la somme de 750 € au titre de la franchise correspondant à l'indemnisation du préjudice consécutif aux dommages causés au conteneur ;
1°) ALORS QUE le transporteur est exonéré de toute responsabilité si le sinistre provient de la force majeure, ou du fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en jugeant que la société Transports Benoist était responsable du sinistre dès lors que l'expert judiciaire avait retenu le rôle causal de l'excès de vitesse du chauffeur de cette société et du freinage qui en était suivi, peu important qu'une autre faute, résultant de la mauvaise répartition des charges dans le conteneur, ait concouru à la réalisation du dommage (arrêt, p. 21, al. 1 et 2), sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée par la MACIF et la société Logafret, qui reprenaient à leur compte l'argumentation de la société Axa et du Me [I] (leurs conclusions, p. 8 et 9), s'il ne résultait pas du rapport de M. [S] versé aux débats, que la vitesse de l'ensemble routier n'était pas la cause de l'accident, des simulations et modélisations en 3D ayant permis d'établir que l'accident se serait produit en cas de freinage dès la vitesse de 75 km/h, compte tenu du mauvais positionnement du centre de gravité des charges transportées, imputable à une erreur commise par la société DIC, conclusion à laquelle était également parvenu M. [D], dans un rapport établi à la demande de M. [T] (leurs conclusions, p. 18 à 20), de sorte que le sinistre provenait de l'erreur de la société DIC qui revêtait les caractéristiques de la force majeure, exonérant donc la société Transport Benoist de toute responsabilité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 133-1 du code de commerce ;
2°) ALORS QUE le transporteur est exonéré de toute responsabilité si le sinistre provient de la force majeure, ou du fait d'un tiers revêtant les caractéristiques de la force majeure ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'elle constatait elle-même que, sans la faute commise par la société DIC, qui assumait les opérations de chargement, pour avoir mal réparti les charges transportées à l'intérieur du conteneur, plaçant le centre de gravité de l'ensemble beaucoup trop à l'arrière (arrêt, p. 18, al. 3) « l'accident ne serait pas survenu » (p. 23, al. 5 et 6), ce dont il résultait que la faute de conduite du chauffeur n'avait été qu'une cause indirecte du sinistre puisqu'aussi bien, l'accident ne se serait pas produit si les marchandises avaient été correctement entreposées dans le camion, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 133-1 du code de commerce ;
3°) ALORS QUE la faute lourde suppose une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de sa mission contractuelle ; qu'en retenant, pour juger que la société Transports Benoist avait commis une faute lourde excluant l'application des plafonds conventionnels de garantie, que le chauffeur, qui « avait constaté que son chargement était plus lourd que celui annoncé par la lettre de voiture, aurait dû redoubler de vigilance et respecter scrupuleusement la réglementation de la vitesse », au lieu de quoi, « non seulement il a(vait) roulé à une vitesse excessive, largement au-delà de la vitesse autorisée, mais a(vait) effectué une opération de dépassement dont il ne pouvait ignorer la dangerosité » (arrêt, p. 22), la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une faute lourde du chauffeur, a violé l'article 1150 du code civil ;
4°) ALORS QUE la faute lourde suppose une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur à l'accomplissement de sa mission contractuelle ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'elle retenait, elle-même, que l'expert avait exclu le rôle causal dans la survenance de l'accident de la surcharge du conteneur (arrêt, p. 20, al. 3), de sorte qu'il ne pouvait être imputé à faute au chauffeur de ne pas avoir modifié sa conduite en raison du poids du chargement, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une faute lourde du chauffeur, a violé l'article 1150 du code civil.
Article 1701, 2° du code civil
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CASS/JURITEXT000047128263.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 112 F-B
Pourvoi n° B 21-15.771
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
La société Mirato SpA, société de droit italien, dont le siège est [Adresse 2] (Italie), a formé le pourvoi n° B 21-15.771 contre l'arrêt rendu le 15 septembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 16), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Sharmel France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à M. [X] [D], domicilié [Adresse 1], pris en qualité de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société Sharmel France,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Mirato SpA, de la SCP Gaschignard, Loiseau, Massignon, avocat de la société Sharmel France, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 septembre 2020), le 1er octobre 2010, la société Sharmel France (la société Sharmel) a conclu avec la société de droit italien Mirato deux contrats d'importation et de distribution de produits cosmétiques, stipulant une clause compromissoire. Le 26 septembre 2016, à la suite de la résiliation de ces contrats par la société Mirato, la société Sharmel a saisi la chambre de commerce internationale d'une demande d'arbitrage aux fins de voir condamner la société Mirato à lui payer des dommages et intérêts.
2. Par un jugement du 15 mai 2017, un tribunal français a ouvert le redressement judiciaire de la société Sharmel et désigné M. [D] en qualité de mandataire judiciaire.
3. Le 3 juillet 2017, l'acte de mission désignant l'arbitre unique a été signé par les parties et l'arbitre. Soutenant être créancière de la société Sharmel au titre d'un solde de factures impayé, la société Mirato a, le 5 juillet 2017, déclaré une créance à son passif, puis déposé le 29 septembre 2017 un mémoire devant l'arbitre contenant une demande reconventionnelle en condamnation de la société Sharmel à lui payer cette créance.
4. Par une sentence rendue le 17 septembre 2018, l'arbitre a rejeté la demande d'indemnisation de la société Sharmel et l'a condamnée à payer à la société Mirato la somme de 248 548,88 euros, majorée du remboursement des frais d'arbitrage, des frais juridiques et des dépens.
5. Le 15 novembre 2018, le tribunal a arrêté le plan de redressement de la société Sharmel, désignant M. [D] commissaire à l'exécution du plan et le maintenant à ses fonctions de mandataire judiciaire jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur le passif.
6. Par une ordonnance du 18 mars 2019, le président du tribunal de grande instance de Paris a conféré l'exequatur à la sentence arbitrale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. La société Mirato fait grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance du 18 mars 2019 et de rejeter sa demande d'exequatur alors « qu'en refusant l'exequatur à la sentence arbitrale du 17 septembre 2018 au motif qu'elle condamnait la société Sharmel France à payer la créance de la société Mirato SpA, quand cette circonstance n'empêchait nullement d'accorder l'exequatur à cette décision uniquement pour sa reconnaissance et son opposabilité en France et à l'effet de permettre à la société Mirato SpA de faire inscrire sa créance sur l'état des créances admises au passif de la société Sharmel France, comme prévu par le juge-commissaire dans son ordonnance du 23 juillet 2018, la cour d'appel a violé les articles 1525 et 1520 du code de procédure civile et L. 622-21 du code de commerce, ainsi que l'ordre public international. »
Réponse de la Cour
9. Le principe de l'arrêt des poursuites individuelles, qui relève de l'ordre public international, interdit, après l'ouverture de la procédure collective du débiteur, la saisine d'un tribunal arbitral par un créancier dont la créance a son origine antérieurement au jugement d'ouverture et impose à ce créancier de déclarer sa créance et de se soumettre, au préalable, à la procédure de vérification des créances.
10. Après avoir constaté que la demande reconventionnelle en paiement de sa créance avait été formulée par la société Mirato devant l'arbitre après le jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société débitrice, et qu'aux termes de sa sentence rendue le 17 septembre 2018, l'arbitre avait condamné la société Sharmel au paiement de diverses sommes au profit de la société Mirato, l'arrêt en déduit à bon droit que l'ordonnance accordant l'exequatur d'une telle sentence, au mépris du principe d'égalité des créanciers et d'arrêt des poursuites individuelles, ne pouvait être revêtue de l'exequatur sans méconnaître l'ordre public international.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Mirato SpA aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Mirato SpA et la condamne à payer à la société Sharmel France la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société Mirato SpA.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance du 18 mars 2019, le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris ayant conféré l'exequatur à la sentence arbitrale rendue sous l'égide de la Chambre de commerce internationale le 17 septembre 2018, et d'avoir rejeté la demande d'exequatur ;
alors qu'en vertu du principe de non-contradiction au détriment d'autrui, qu'invoquait la société Mirato spa (conclusions de la société Mirato spa, p. 10 et s.), la société Sharmel France, dont il est constant qu'elle avait elle-même initié la procédure arbitrale, était irrecevable à prétendre que la sentence arbitrale du 17 septembre 2018 rendue sur son initiative ne devait pas produire d'effets ni lui être opposable en France, ce qu'elle faisait en contestant l'ordonnance d'exequatur de cette décision arbitrale ; qu'en décidant le contraire, au motif que la société Sharmel France contestait l'exequatur et non la sentence arbitrale, la cour d'appel a violé le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance du 18 mars 2019, le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris ayant conféré l'exequatur à la sentence arbitrale rendue sous l'égide de la Chambre de commerce internationale le 17 septembre 2018, et d'avoir rejeté la demande d'exequatur ;
alors qu'en refusant l'exequatur à la sentence arbitrale du 17 septembre 2018 au motif qu'elle condamnait la société Sharmel France à payer la créance de la société Mirato spa, quand cette circonstance n'empêchait nullement d'accorder l'exequatur à cette décision uniquement pour sa reconnaissance et son opposabilité en France et à l'effet de permettre à la société Mirato spa de faire inscrire sa créance sur l'état des créances admises au passif de la société Sharmel France, comme prévu par le juge-commissaire dans son ordonnance du 23 juillet 2018, la cour d'appel a violé les articles 1525 et 1520 du code de procédure civile et L. 622-21 du code de commerce, ainsi que l'ordre public international.
Sur l'exequatur d'une sentence arbitrale étrangère dans le cadre d'une procédure collective, à rapprocher :Com., 12 novembre 2020, pourvoi n° 19-18.849
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CASS/JURITEXT000047128254.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 110 F-B
Pourvoi n° N 21-16.954
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
M. [S] [B], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° N 21-16.954 contre l'arrêt rendu le 18 mars 2021 par la cour d'appel de Douai (3e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [U] [F], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la société MMA IARD,
3°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vaissette, conseiller doyen, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [B], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [F], des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vaissette, conseiller doyen rapporteur, Mme Bélaval, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 18 mars 2021), M. [B] ayant été mis en redressement judiciaire le 7 septembre 2005, son plan de continuation, arrêté le 6 septembre 2006, a été résolu par un jugement du 29 mars 2011 qui a prononcé la liquidation judiciaire du débiteur. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 18 janvier 2012 cassé en toutes ses dispositions par un arrêt de la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation du 22 mai 2013 (pourvoi n° 12-16.641).
2. Le 10 octobre 2017, se prévalant d'une faute de M. [F], son avocat, consistant à ne pas avoir saisi la cour de renvoi dans le délai imparti après l'arrêt de cassation précité, M. [B] l'a assigné en paiement de dommages et intérêts pour compenser le préjudice résultant de la perte de chance d'éviter la liquidation judiciaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [B] fait grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état ayant « annulé » l'assignation du 10 octobre 2017 pour « défaut de capacité » à agir du débiteur en liquidation judiciaire dessaisi, alors « que le débiteur qui recherche la responsabilité civile professionnelle de son conseil ayant failli dans l'exécution du mandat qui lui avait été donné de contester la liquidation judiciaire prononcée à son encontre exerce un droit qui lui est propre ; qu'en énonçant que "l'action en responsabilité exercée par M. [B] à l'encontre de son avocat constitue une action patrimoniale" qui relève de l'article L. 641-9 du code de commerce, en ce qu' "elle ne porte sur aucun droit propre à ce débiteur", de sorte que ce dernier "n'a pas qualité à agir seul à l'encontre de M. [F], étant dessaisi de l'exercice de ses droits patrimoniaux" et que "(son) défaut de capacité à agir justifie la nullité de l'assignation qu'il a fait délivrer (?) à M. [F] pour engager (sa) responsabilité", cependant que le débiteur avait recherché la responsabilité civile professionnelle de M. [F] pour avoir, après l'arrêt de cassation du 22 mai 2013, qui avait censuré la cour d'appel de Douai ayant ouvert la liquidation de M. [B], omis de saisir la cour d'appel de renvoi dans le délai imparti, ce dont il résultait que le débiteur exerçait un droit propre, en relation avec le prononcé de sa liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9, I, du code de commerce ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme. »
Réponse de la Cour
5. Si le débiteur dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens, par l'effet du jugement prononçant la liquidation judiciaire, conserve le droit, pourvu qu'il l'exerce contre le liquidateur ou en sa présence, de former un appel, puis le cas échéant, un pourvoi en cassation, contre les décisions prononçant la résolution de son plan de redressement et sa liquidation judiciaire, il n'est, en revanche, pas recevable à agir en responsabilité contre l'avocat qu'il a mandaté pour le représenter et l'assister dans l'exercice de ce droit propre.
6. Une telle action n'ayant pas pour effet de faire valoir le point de vue du débiteur dans le déroulement de la procédure collective, mais poursuivant une finalité patrimoniale consistant en l'obtention de dommages et intérêts, elle ne peut se rattacher à l'exercice d'un droit propre et la fin de non-recevoir opposée au débiteur n'est pas contraire aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine, seuls atteints par le dessaisissement, sont exercés par le liquidateur pendant toute la durée de la procédure collective.
7. En conséquence, l'arrêt a exactement retenu que M. [B] exerçait contre son avocat une action en responsabilité de nature patrimoniale entrant dans le champ d'application de l'article L. 641-9 du code de commerce, de sorte qu'il n'avait pas qualité pour agir contre M. [F].
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. [B].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [S] [B] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir annulé l'assignation du 10 octobre 2017 pour défaut de capacité à agir du débiteur en liquidation judiciaire dessaisi ;
Alors que la règle du dessaisissement étant édictée dans l'intérêt des créanciers, seul le liquidateur judiciaire peut s'en prévaloir ; qu'en énonçant, pour juger du contraire, que « M. [F] a qualité à solliciter l'application de la fin de non-recevoir tirée du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire, dont l'invocation n'est pas réservée au seul liquidateur judiciaire », la cour d'appel a violé L. 641-9, I, du code de commerce, ensemble l'article 122 du code de procédure civile et l'article 6§ 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme.
SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
M. [S] [B] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir annulé l'assignation du 10 octobre 2017 pour défaut de capacité à agir du débiteur en liquidation judiciaire dessaisi ;
Alors 1°) que le débiteur qui recherche la responsabilité civile professionnelle de son conseil ayant failli dans l'exécution du mandat qui lui avait été donné de contester la liquidation judiciaire prononcée à son encontre exerce un droit qui lui est propre ; qu'en énonçant que « l'action en responsabilité exercée par M. [B] à l'encontre de son avocat constitue une action patrimoniale » qui relève de l'article L. 641-9 du code de commerce, en ce qu' « elle ne porte sur aucun droit propre à ce débiteur », de sorte que ce dernier « n'a pas qualité à agir seul à l'encontre de M. [F], étant dessaisi de l'exercice de ses droits patrimoniaux » et que « (son) défaut de capacité à agir justifie la nullité de l'assignation qu'il a fait délivrer (?) à M. [F] pour engager (sa) responsabilité », cependant que le débiteur avait recherché la responsabilité civile professionnelle de M. [F] pour avoir, après l'arrêt de cassation du 22 mai 2013, qui avait censuré la cour d'appel de Douai ayant ouvert la liquidation de M. [B], omis de saisir la cour d'appel de renvoi dans le délai imparti, ce dont il résultait que le débiteur exerçait un droit propre, en relation avec le prononcé de sa liquidation judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 641-9, I, du code de commerce ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
Alors 2°) que le débiteur accomplit également les actes et exerce les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur ; que, dans ses écritures d'appel (concl., p. 3), M. [B] a fait valoir que « l'action visant à engager la responsabilité d'un auxiliaire de justice, en l'occurrence (son) ancien avocat, ne relève nullement de la mission de Me [V] », liquidateur, étant précisé que ce dernier lui avait refusé son assistance et que, par ordonnance du 13 mars 2019, le président du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer avait, pour rejeter sa demande de désignation d'un mandataire ad hoc, retenu que « l'action à l'encontre de son ancien conseil n'entre indiscutablement pas dans la mission du liquidateur et qui est exclusivement personnelle au débiteur » et que « sa demande de réparation est consécutive à atteinte personnelle au droit de former un ultime recours à l'encontre du jugement prononçant sa liquidation judiciaire, droit qui lui a d'ailleurs été reconnu tant par la cour d'appel que la Cour de cassation », pour en conclure « le droit de M. [S] [B] tente de faire reconnaître est donc bien un droit propre, de sorte qu'il n'appartient pas au liquidateur judiciaire de substituer M. [S] [B], qui a toute capacité pour accomplir les actes et exercer les droits actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur » ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si la mise en cause de la responsabilité civile professionnelle du conseil du débiteur pour avoir failli à son mandat de contestation du prononcé de la liquidation judiciaire était comprise dans la mission du liquidateur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 641-9, I, du code de commerce.
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CASS/JURITEXT000047128296.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 124 F-B
Pourvoi n° R 20-22.496
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
La société BBL transport, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 20-22.496 contre l'arrêt rendu le 8 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 5), dans le litige l'opposant à la société Calsina carré France, société à responsabilité limitée, dont le siège est chez la société Aide inter entreprises, [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kass-Danno, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société BBL transport, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Calsina carré France, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Kass-Danno, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 octobre 2020), la société CNI a confié à la société BBL transport (la société BBL) le transport de machines de refroidissement au départ de la France et à destination du Maroc. Le 12 avril 2013, cette dernière en a confié le transport à la société Calsina carré France (la société Calsina). Le 30 avril 2013, faisant état d'un défaut de paiement de son donneur d'ordre, elle lui a donné l'instruction de retenir la marchandise, laquelle est ainsi restée dans les entrepôts de la société Sonatrans, transitaire, à Casablanca (Royaume du Maroc).
2. Par un jugement du 14 octobre 2014, le tribunal de commerce de Meaux a condamné la société CNI à régler à la société BBL les frais de transport d'un montant de 9 725,50 euros. Par un jugement du 26 janvier 2015, le tribunal de commerce de Casablanca a ordonné à la société Kay Logistics, agent commercial de la société Calsina, de remettre les marchandises à leur destinataire.
3. Ayant réglé par voie de compensation la facture du 17 juillet 2015 établie par la société Kay Logistics à hauteur de 53 527,26 euros, au titre des frais de magasinage de la marchandise, et ayant vainement, le 27 août 2015, mis en demeure la société BBL de lui rembourser cette somme, la société Calsina a assigné cette dernière en paiement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, et sur le second moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. La société BBL fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a agi en qualité de transporteur, de dire que la demande de la société Calsina en remboursement de la facture d'un montant de 56 527,56 euros n'est pas prescrite et de la condamner à lui payer cette somme, alors « que la demande de remboursement d'une créance résultant du paiement par le transporteur à son agent commercial des frais d'entreposage engendrés par un droit de rétention exercé par son donneur d'ordre une fois le transport de la marchandise terminé ne relève pas du domaine d'application de la CMR ; que dès lors, en faisant application des dispositions de la CMR à la prescription de l'action exercée par la société Calsina contre la société BBL, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 32 de la Convention de Genève du 19 mai 1956 sur le transport international de marchandises par route, dite CMR. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article 32-1 de la Convention de Genève du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR, la prescription des actions auxquelles peuvent donner lieu les transports soumis à la Convention est régie par les dispositions de celle-ci. Il s'ensuit que l'action en remboursement des frais d'entreposage de la marchandise, payés par un sous-traitant du transporteur à la suite du droit de rétention exercé sur les instructions du transporteur non réglé de ses frais de transport, se prescrit conformément aux dispositions de l'article 32 de la CMR.
7. Ayant relevé que la société BBL était assignée en qualité de transporteur, la cour d'appel a exactement retenu que l'action, exercée contre elle par la société Calsina, en paiement d'une somme correspondant au montant des frais qu'elle avait payés au titre du magasinage de la marchandise pendant toute la durée d'exercice du droit de rétention, mis en oeuvre sur les instructions de la société BBL, était soumise aux dispositions de l'article 32 de la CMR relatives à la prescription.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
9. La société BBL fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ que faute de préciser sur quel fondement le délai de prescription de l'article 32, § 1, de la Convention CMR, qui prévoit que la prescription annale court à partir de l'expiration d'un délai de trois mois à dater de la conclusion du contrat de transport, aurait été suspendu à l'égard de la société Calsina jusqu'au 17 juillet 2015, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a violé l'article 12, alinéa 1, du code de procédure civile ;
3°/ que selon l'article 2234 du code civil, la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure ; qu'à supposer que la cause de suspension résulte de cette disposition, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé les circonstances résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure qui auraient placé la société Calsina dans l'impossibilité absolue d'agir pour la préservation de ses droits dans le délai de prescription de l'article 32, § 1, de la CMR, a privé son arrêt de base légale au regard de l'article précité. »
Réponse de la Cour
10. La suspension de la prescription des actions relatives aux contrats de transports internationaux de marchandises par route est régie, en vertu de l'article 32 de la CMR, par la loi du tribunal saisi et donc en l'espèce par l'article 2234 du code civil.
11. Ayant constaté que la marchandise avait été transportée de la France vers le Maroc et retenu que la société Calsina, qui avait assigné, le 2 janvier 2017, la société BBL en remboursement de la somme payée au titre des frais de magasinage de la marchandise pendant la durée d'exercice du droit de rétention, a été dans l'impossibilité d'agir pour avoir, de manière légitime et raisonnable, ignoré la naissance de son droit jusqu'au 17 juillet 2015, date d'émission de la facture correspondant à ces frais, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Et sur le second moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
13. La société BBL fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'aux termes de l'article 32§2 de la CMR, "une réclamation écrite suspend la prescription jusqu'au jour où le transporteur repousse la réclamation par écrit et restitue les pièces qui y étaient jointes" ; qu'il résulte de cette disposition que l'effet suspensif d'une réclamation écrite ne concerne que l'action contre le transporteur et non l'action du transporteur contre son donneur d'ordre ; qu'en déclarant recevable l'action en paiement introduite par la société Calsina au motif que la réclamation écrite qu'elle avait adressée à la société BBL le 27 août 2015 avait suspendu la prescription, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 32, § 2, de la CMR. »
Réponse de la Cour
14. Aux termes de l'article 32-2 de la CMR, une réclamation écrite suspend la prescription jusqu'au jour où le transporteur repousse la réclamation par écrit et restitue les pièces qui y étaient jointes.
15. Après avoir relevé que la société BBL avait la qualité de transporteur et que la société Calsina lui avait adressé une réclamation écrite, le 27 août 2015, aux termes de laquelle elle lui réclamait le paiement des frais de magasinage, et retenu que les courriels des 8 septembre et 8 décembre 2015 par lesquels la société BBL lui indiquait qu'elle avait transféré le dossier à son assureur, son avocat et sa direction générale ne constituaient pas un rejet de la réclamation au sens de l'article 32-2 de la CMR, la cour d'appel en a exactement déduit que la prescription interrompue par la réclamation du 27 août 2015 n'avait pas repris son cours avant le 2 janvier 2017, date de délivrance de l'assignation, de sorte que l'action n'était pas prescrite.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société BBL transport aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BBL transport et la condamne à payer à la société Calsina carré France la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société BBL transport.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société BBL Transport fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit qu'elle avait agi en qualité de transporteur, d'avoir dit que la demande de la société Calsina Carré France en remboursement de la facture d'un montant de 56 527,56 € n'était pas prescrite, de l'avoir condamnée à payer cette somme à la société Calsina Carré France et d'avoir ordonné la capitalisation des intérêts ;
1°) ALORS QUE celui qui, sans effectuer lui-même aucune opération matérielle de transport, se charge d'organiser le transport en recourant librement au transporteur assumant effectivement le déplacement des marchandises, a la qualité de commissionnaire de transport ; qu'en cas d'incertitude, la qualité de la personne sollicitée par un expéditeur pour se charger d'une opération de transport et qui n'opère pas elle-même matériellement ce transport dépend de la commune intention des parties au moment de la conclusion du contrat sans qu'on puisse a priori présumer sa qualité de transporteur ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la société CNI a confié à la société BBL Transport, le transport de machines de refroidissement au départ de la France et à destination du Maroc et que la société BBL Transport, qui n'est pas intervenu dans le transport lui-même, a adressé, à son en-tête, à la société Calsina Carré France deux ordres de transport en date du 12 avril 2013 et son bon pour accord pour le chargement de deux camions depuis FR Lille vers Casablanca le 16 avril 2013 ; que l'arrêt attaqué relève encore que les opérations menées par la société BBL Transport pouvaient s'analyser comme un commissionnement de transport ; que dès lors, en retenant la qualité de transporteur, de préférence à celle de commissionnaire de transport, sans s'attacher à l'intention commune des parties au moment de la conclusion du contrat et bien qu'elle ait constaté que la société BBL Transport n'avait effectué aucune opération effective de transport et avait recouru librement à la société Calsina Carré France pour le faire, la cour d'appel s'est prononcée par une motivation inopérante à exclure la qualification de commissionnaire de transport et a violé les articles L. 132-3 et suivants, L. 133-1 et suivants du code de commerce, L. 1411-1 du code des transports et 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;
2°) ALORS QUE la qualité de la personne sollicitée par un expéditeur pour se charger d'une opération de transport et qui n'opère pas elle-même matériellement ce transport, dépend de la commune intention des parties au moment de la conclusion du contrat ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que devant le tribunal de commerce de Meaux ayant donné lieu au jugement du 14 octobre 2014, la société BBL transport s'était présentée comme commissionnaire de transport et avait indiqué avoir organisé à la demande de la société CNI le transport des marchandises sans que cette qualité ne lui ait été contestée par son donneur d'ordre, ni discutée devant le tribunal ; qu'en jugeant néanmoins que la société BBL Transport devait être qualifiée de transporteur dans la présente procédure, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 132-3 et suivants, L. 133-1 et suivants du code de commerce, L. 1411-1 du code des transports et 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause ;
3°) ALORS, en tout état de cause, QUE la demande de remboursement d'une créance résultant du paiement par le transporteur à son agent commercial des frais d'entreposage engendrés par un droit de rétention exercé par son donneur d'ordre une fois le transport de la marchandise terminé ne relève pas du domaine d'application de la convention CMR ; que dès lors, en faisant application des dispositions de la convention CMR à la prescription de l'action exercée par la société Calsina Carré France contre la société BBL Transport, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 32 de la Convention de Genève du 19 mai 1956 sur le transport international de marchandises par route, dite CMR.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société BBL Transport fait grief à l'arrêt infirmatif d'avoir dit que la demande de la société Calsina Carré France en remboursement de la facture d'un montant de 56 527,56 € n'était pas prescrite, de l'avoir condamnée à payer cette somme à la société Calsina Carré France et d'avoir ordonné la capitalisation des intérêts ;
1°) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que pour dire que l'action de la société Calsina Carré France n'était pas prescrite, l'arrêt attaqué retient que si l'article 32§1 de la CMR prévoit que la prescription court à partir de l'expiration d'un délai de trois mois à dater de la conclusion du contrat de transport, ce délai a été en l'espèce suspendu jusqu'au jour où la société Calsina a eu connaissance de la créance à régler soit le 17 juillet 2015, date à laquelle son agent, la société Kay Logistics, lui a refacturé ces frais après les avoir réglés à la société Sonotrans, en sorte que la prescription avait commencé à courir le 17 juillet 2015 ; qu'en statuant ainsi, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen tiré de la suspension de la prescription jusqu'au 17 juillet 2015, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE faute de préciser sur quel fondement le délai de prescription de l'article 32 §1 de la convention CMR, qui prévoit que la prescription annale court à partir de l'expiration d'un délai de trois mois à dater de la conclusion du contrat de transport, aurait été suspendu à l'égard de la société Calsina Carré France jusqu'au 17 juillet 2015, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a violé l'article 12, alinéa 1er du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE selon l'article 2234 du code civil, la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure ; qu'à supposer que la cause de suspension résulte de cette disposition, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé les circonstances résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure qui auraient placé la société Calsina Carré France dans l'impossibilité absolue d'agir pour la préservation de ses droits dans le délai de prescription de l'article 32§1 de la convention CMR, a privé son arrêt de base légale au regard de l'article précité ;
4°) ALORS en tout état de cause QU'aux termes de l'article 32§2 de la convention CMR, « une réclamation écrite suspend la prescription jusqu'au jour où le transporteur repousse la réclamation par écrit et restitue les pièces qui y étaient jointes » ; qu'il résulte de cette disposition que l'effet suspensif d'une réclamation écrite ne concerne que l'action contre le transporteur et non l'action du transporteur contre son donneur d'ordre ; qu'en déclarant recevable l'action en paiement introduite par la société Calsina Carré France au motif que la réclamation écrite qu'elle avait adressée à la société BBL Transport le 27 août 2015 avait suspendu la prescription , la cour d'appel a violé par fausse application l'article 32§2 de la convention CMR.
N2 >Article 32 de la Convention de Genève du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par routearticle 2234 du code civil
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CASS/JURITEXT000047128294.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 février 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 122 F-B
Pourvoi n° N 21-22.796
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
M. [E] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 21-22.796 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [O] [R], domicilié [Adresse 2], pris en qualité de mandataire liquidateur de la société Terra Marine France Trading,
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [P], après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Brahic-Lambrey, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Paris, 20 mai 2021), le 17 mai 2017, la société Terra marine France Trading, dirigée par M. [P], a été mise en liquidation judiciaire, M. [R] étant désigné liquidateur. Par requête du 4 octobre 2019, le ministère public a demandé la faillite personnelle ou l'interdiction de gérer de M. [P]. La liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif le 27 mai 2020. Par jugement du 2 septembre 2020, M. [P] a été condamné à une mesure de faillite personnelle.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. M. [P] fait grief à l'arrêt de le condamner à une faillite personnelle d'une durée de cinq ans, alors « qu'une sanction personnelle ou autre mesure d'interdiction ne peut être prononcée que lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte ; qu'en prononçant à l'encontre de M. [P] une faillite personnelle d'une durée de cinq ans, quand la clôture de la procédure de liquidation judiciaire de la société Terra marine France Trading, par jugement du 27 mai 2020, faisait obstacle à ce qu'une mesure de faillite personnelle soit ensuite prononcée contre son dirigeant, M. [P], par jugement du 2 septembre 2020, confirmé par l'arrêt du 20 mai 2021, la cour d'appel a violé l'article L. 653-1 code de commerce. »
Réponse de la Cour
4. La faillite personnelle ou l'interdiction de gérer pouvant être prononcée dès lors que le tribunal a été saisi en vue de l'application d'une sanction personnelle avant la clôture de la procédure collective par une décision passée en force de chose jugée et dans le délai de prescription prévu à l'article L. 653-1 du code de commerce, leur prononcé peut être postérieur à la clôture de cette procédure.
5. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [P] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [P] ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [P].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [P] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR condamné à une faillite personnelle d'une durée de 5 ans ;
ALORS QU'une sanction personnelle ou autre mesure d'interdiction ne peut être prononcée que lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte ; qu'en prononçant à l'encontre de M. [P] une faillite personnelle d'une durée de 5 ans, quand la clôture de la procédure de liquidation judiciaire de la société Terra Marine France Trading, par jugement du 27 mai 2020, faisait obstacle à ce qu'une mesure de faillite personnelle soit ensuite prononcée contre son dirigeant, M. [P], par jugement du 2 septembre 2020, confirmé par l'arrêt du 20 mai 2021, la cour d'appel a violé l'article L. 653-1 code de commerce.
SECOND MOYEN DE CASSATION
(Subsidiaire)
M. [P] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de l'AVOIR condamné à une faillite personnelle d'une durée de 5 ans ;
1° ALORS QUE peut voir prononcer à son encontre une faillite personnelle le dirigeant qui s'est abstenu volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, faisant obstacle à son bon déroulement ; qu'en se bornant à relever que le liquidateur judiciaire avait adressé un courrier de convocation à M. [P] et que l'accusé de réception de cette convocation, adressé au domicile de M. [P], avait été réceptionné et signé le 19 mai 2017, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la volonté de M. [P] ne pas coopérer avec les organes de la procédure collective et de faire obstacle à son bon déroulement, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 653-5 5° du code de commerce ;
2° ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, M. [P] faisait valoir que la société Terra Marine France Trading, qui, ainsi que l'avait relevé la cour d'appel, avait été créée en octobre 2014, n'avait plus d'activité et plus de compte bancaire depuis 2015 ; qu'en reprochant à M. [P] de ne pas avoir tenu de comptabilité, sans répondre à ce moyen de nature à expliquer le peu de documents comptables relatifs à la société, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
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CASS/JURITEXT000047128256.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 février 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 111 F-B
Pourvoi n° H 21-14.189
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
M. [D] [E], domicilié [Adresse 3] (Allemagne), a formé le pourvoi n° H 21-14.189 contre l'arrêt rendu le 26 novembre 2020 par la cour d'appel de Nîmes (4e chambre commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Spagnolo Stephan, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Les Parcs du Sud, nommée en remplacement de M. [M] [K],
2°/ à la société Les Parcs du Sud, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la société De Saint-Rapt et Bertholet, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Les Parcs du Sud,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [E], de la SCP Spinosi, avocat de la société Les Parcs du Sud et des sociétés Spagnolo Stephan, ès qualités, et De Saint-Rapt et Bertholet, ès qualités, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à la société SAS Les Parcs du Sud (la société LPS), la société De Saint-Rapt et Bertholet, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société LPS et la société Spagnolo Stephan, en qualité de mandataire judiciaire de la même société, de leur reprise d'instance.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 26 novembre 2020), le 17 mai 2017, la société LPS, dont le capital était détenu à 43,09 % par M. [E], a été mise en redressement judiciaire, la société De Saint-Rapt et Bertholet étant désignée administrateur avec la mission d'assurer seule et entièrement l'administration de l'entreprise.
3. Le 20 décembre 2017, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement de la société LPS, prévoyant l'apurement du passif selon deux options, dit que M. [J], autre actionnaire de la société LPS, était tenu d'exécuter le plan conformément à ses engagements écrits joints au plan de redressement et maintenu l'administrateur en fonction aux fins de régulariser la procédure visée aux articles L. 631-9-1 et R. 631-34-6 du code de commerce.
4. Par une ordonnance de référé du 23 janvier 2018, le président du tribunal a désigné l'étude Balincourt, en la personne de M. [F], avec la mission de convoquer l'assemblée compétente de la société LPS pour statuer au plus tard le 31 mai 2018 sur la décision à prendre conformément aux dispositions de l'article L. 225-248 du code de commerce à la suite de la constatation des capitaux propres devenus inférieurs à la moitié du capital social, la réduction du capital social à zéro, et une augmentation du capital en numéraire en deux temps réservée à M. [J] et à un autre actionnaire, la société M. Capital Partners.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. M. [E] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa tierce-opposition tendant à la rétractation du jugement du 20 décembre 2017 ayant arrêté le plan de redressement de la société LPS, alors « que la décision arrêtant le plan de redressement est susceptible de tierce-opposition ; que l'actionnaire d'une société est recevable à former tierce-opposition contre un jugement ayant adopté le plan de redressement judiciaire de cette société s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par M. [D] [E], la cour d'appel a retenu que celui-ci était représenté par le représentant légal de la société car il n'avait pas d'intérêt distinct de celui de la société dans le cadre du plan de redressement arrêté par le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017, quand M. [E] soutenait que le plan de redressement arrêté par ledit jugement portait atteinte à sa qualité d'associé et à son droit de vote qui y était attaché, de sorte qu'il invoquait un moyen qui lui était propre, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 661-3 du code du commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 583 du code de procédure civile :
6. Il résulte de ce texte que si l'associé est, en principe, représenté, dans les litiges opposant la société à des tiers, par le représentant légal de la société, il est néanmoins recevable à former tierce-opposition contre un jugement auquel celle-ci a été partie s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre.
7. Pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par M. [E], l'arrêt retient, d'abord, qu'il était représenté par le représentant légal de la société qui n'avait pas d'intérêt distinct de celui de la société, lors de l'examen du plan de redressement qui a été arrêté par le tribunal. Il retient ensuite que le jugement du 20 décembre 2017 a arrêté le plan de redressement de la société LPS suivant les modalités figurant dans le projet de plan et en a récapitulé les modalités essentielles, sans mentionner la recapitalisation et la nécessité de nommer un mandataire ad hoc, que la reconstitution des capitaux propres ne peut être imposée par le tribunal et qu'elle est décidée par l'assemblée générale extraordinaire de la société anonyme, que c'est par une décision différente, à savoir l'ordonnance du 26 septembre 2018, que le juge des référés a désigné un mandataire ad hoc avec la mission de convoquer cette assemblée générale. Il en déduit que M. [E], qui développe uniquement des moyens portant sur les modifications du capital social et la désignation d'un mandataire ad hoc, ne justifie d'aucune fraude ou d'un moyen qui lui serait propre concernant l'arrêté d'un plan qui ne porte sur aucun de ces sujets.
8. En statuant ainsi, alors que M. [E] soutenait que le plan de redressement prévoyait la désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission d'exercer ses droits de vote aux fins d'approuver une réduction à zéro du capital social suivie d'une augmentation de ce capital réservée à d'autres associés que lui, dont l'un, M. [J], tenu d'exécuter le plan conformément à ses engagements écrits joints au plan, devenait ainsi un associé presque unique, de sorte que M. [E] invoquait un moyen qui lui était propre, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;
Condamne la société Les Parcs du Sud, la société De Saint-Rapt et Bertholet, en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Les Parcs du Sud, et la société Spagnolo Stephan, en qualité de mandataire judiciaire de la même société, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. [E].
M. [D] [E] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement déféré en ce qu'il l'avait dit irrecevable en sa tierce-opposition tendant à la rétractation du jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017 ayant arrêté le plan de redressement judiciaire de la société Les Parcs du Sud ;
alors 1°/ que la décision arrêtant le plan de redressement est susceptible de tierce-opposition ; que l'actionnaire d'une société est recevable à former tierce-opposition contre un jugement ayant adopté le plan de redressement judiciaire de cette société s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par M. [D] [E], la cour d'appel a retenu que celui-ci était représenté par le représentant légal de la société car il n'avait pas d'intérêt distinct de celui de la société dans le cadre du plan de redressement arrêté par le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017, quand M. [E] soutenait que le plan de redressement arrêté par ledit jugement portait atteinte à sa qualité d'associé et à son droit de vote qui y était attaché, de sorte qu'il invoquait un moyen qui lui était propre, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 661-3 du code du commerce ;
alors 2°/ que la décision arrêtant le plan de redressement est susceptible de tierce-opposition ; que l'actionnaire d'une société est recevable à former tierce-opposition contre un jugement ayant adopté le plan de redressement judiciaire de cette société s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre ; qu'en l'espèce, M. [D] [E] soutenait que le plan de redressement arrêté par le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017 portait atteinte à sa qualité d'associé et à son droit de vote qui y était attaché ; que, pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par M. [E], la cour d'appel a retenu que celui-ci ne justifiait d'aucun moyen qui lui serait propre quand ledit jugement avait arrêté le plan de redressement judiciaire de la société Les Parcs du Sud suivant les modalités figurant dans le projet de plan et les conditions qu'il fixait pour sa mise en oeuvre, à savoir d'une part, la recapitalisation de la société Les Parcs du Sud, qui devait être approuvée en assemblée générale extraordinaire à une majorité renforcée, et, d'autre part, que les droits de vote de M. [D] [E], qui détenait une minorité de blocage, soient exercés par un mandataire ad hoc, de sorte que M. [E] invoquait un moyen qui lui était propre ; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, par des motifs inopérants tirés de ce que la recapitalisation et la nécessité de nommer un administrateur ad hoc n'étaient évoquées que dans la discussion de la décision et non dans son dispositif, que la reconstitution des capitaux ne pouvait être imposée par le tribunal mais décidée par l'assemblée générale de la société et que c'était par une décision différente que le juge des référés avait désigné, à la requête de l'administrateur judiciaire, un mandataire ad hoc avec la mission de convoquer cette assemblée générale, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 661-3 du code du commerce ;
alors 3°/ qu' il n'est pas permis au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017 avait arrêté un plan de redressement de la société Les Parcs du Sud dont la mise en oeuvre rendait « indispensable la recapitalisation qui sera approuvée en assemblée générale extraordinaire à une majorité renforcée ; les droits de vote de M. [D] [E] qui détient une minorité de blocage devront être exercés par un mandataire ad hoc ; dans cette perspective, l'administrateur judiciaire devra rester en fonction uniquement pour mettre en oeuvre la procédure visée par les dispositions de l'article R. 6 31-34·6 du code de commerce » (cf. p. 5) ; que, dans le dispositif de sa décision, le tribunal arrêtait le plan de redressement suivant les modalités figurant dans le projet de plan et les conditions fixées par le jugement et maintenait à cet effet l'administrateur judiciaire en fonction aux fins de régulariser la procédure visée aux articles L. 631-9-1 et R. 631-34-6 du code de commerce, donc pour désigner « un mandataire en justice chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à concurrence du montant proposé par l'administrateur, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à exécuter le plan » ; qu'il était ainsi clairement prévu, d'une part, la recapitalisation de la société Les Parcs du Sud, qui devait être approuvée en assemblée générale extraordinaire à une majorité renforcée, et, d'autre part, que les droits de vote de M. [D] [E], qui détenait une minorité de blocage, soient exercés par un mandataire ad hoc ; qu'en retenant que le jugement du 20 décembre 2017 ne portait ni sur les modifications du capital social ni sur la désignation d'un mandataire ad hoc, la cour d'appel a dénaturé le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017 ayant arrêté le plan de redressement de la société Les Parcs du Sud en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
alors 4°/ qu'en toute hypothèse, l'actionnaire d'une société est recevable à former tierce-opposition contre un jugement ayant adopté le plan de redressement judiciaire de cette société s'il invoque une fraude à ses droits ou un moyen qui lui est propre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que M. [D] [E] soutenait avoir un intérêt propre à agir dans la mesure où le jugement du tribunal de commerce d'Avignon du 20 décembre 2017, arrêtant le plan de redressement, prévoyait la désignation d'un mandataire ad hoc ayant pour mission d'exercer ses droits de vote, aux fins d'approuver une réduction suivie d'une augmentation de capital au profit d'un actionnaire presque unique et au détriment de l'actionnaire historique qu'il était ; que, pour déclarer irrecevable la tierce-opposition formée par celui-ci, elle a retenu qu'il ne justifiait d'aucun moyen qui lui était propre dans la mesure où le jugement du 20 décembre 2017 avait arrêté le plan de redressement de la société Les Parcs du Sud suivant les modalités figurant dans le projet de plan et en avait récapitulé les modalités essentielles, sans mentionner la recapitalisation et la nécessité de nommer un mandataire ad hoc, qui étaient seulement évoquées dans la discussion ; qu'en se déterminant de la sorte tout en relevant pourtant que, dans son dispositif, ledit jugement avait maintenu l'administrateur judiciaire en fonction aux fins de régulariser la procédure visée à l'article L. 631-9-1 du code de commerce, dispositions précisément relatives à la demande de l'administrateur judiciaire de « désignation d'un mandataire en justice chargé de convoquer l'assemblée compétente et de voter la reconstitution du capital, à concurrence du montant proposé par l'administrateur, à la place du ou des associés ou actionnaires opposants lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital en faveur d'une ou plusieurs personnes qui s'engagent à exécuter le plan », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 583 du code de procédure civile.
Sur la recevabilité d'un associé à former tierce opposition au jugement arrêtant un plan de redressement, à rapprocher :Com., 31 mars 2021, pourvoi n° 19-14.839, Bull.
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CASS/JURITEXT000047128287.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 120 F-B
Pourvoi n° V 21-19.330
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 FÉVRIER 2023
La société Coopérative Bourgogne, société civile agricole, dont le siège est [Adresse 2], pris en son établissement [Adresse 4], a formé le pourvoi n° V 21-19.330 contre l'arrêt rendu le 10 juin 2021 par la cour d'appel de Dijon (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ au GAEC du Petit Champ, groupement agricole d'exploitation en commun, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Jean-Jacques Deslorieux, société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 1], mandataire judiciaire, prise en qualité de commissaire à l'exécution du plan du GAEC du Petit Champ,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Barbot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société Coopérative Bourgogne, de la SARL Cabinet Briard, avocat du GAEC du Petit Champ, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Barbot, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 10 juin 2021), un jugement du 28 mars 2017, publié au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) le 12 avril suivant, a mis en sauvegarde le groupement agricole d'exploitation en commun du Petit Champ (le GAEC).
2. Conformément à l'article L. 622-6 du code de commerce, le GAEC a remis au mandataire judiciaire Ia liste de ses créanciers, sur laquelle figurait la société Coopérative Bourgogne (la coopérative).
3. La créance de la coopérative a été contestée par le GAEC, qui a fait valoir que le seul fait que ce créancier apparaisse sur la liste des créanciers ne valait pas déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier, au sens de l'alinéa 3 de l'article L. 622-24 du code de commerce.
4. Le GAEC a bénéficié d'un plan de sauvegarde, la société Jean-Jacques Deslorieux étant nommée en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. La coopérative fait grief à l'arrêt de dire qu'elle ne rapporte pas la preuve de la réception de sa déclaration de créance par le mandataire judiciaire, de dire que la liste des créanciers remise à ce mandataire par le GAEC ne vaut pas déclaration de créance faite pour son compte par le débiteur et de rejeter sa demande d'admission de créance, alors « que le débiteur qui a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, en précisant l'identité de son créancier et le montant de la créance, est présumé avoir déclaré cette créance pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance ; que pour considérer que la déclaration faite par le GAEC du Petit Champ ne pouvait valoir déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier, l'arrêt attaqué retient que la liste des créanciers remise à la SCP Deslorieux, datée du 28 mars 2017, ne comportait ni l'indication des sommes à échoir et la date de leur échéance, ni la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance était éventuellement assortie, ni les modalités de calcul des intérêts dont le cours n'était pas arrêté ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant constaté que la liste des créanciers remise par le débiteur au mandataire judiciaire comportait "dans la colonne des créanciers fournisseurs la mention de la Coopérative Bourgogne du Sud, de l'adresse de celle-ci et d'un montant dû estimé, échu et à échoir, de 422 493 euros", ce dont elle aurait dû déduire que les éléments essentiels de cette créance, à savoir son titulaire et son montant, avaient été portés à la connaissance du mandataire, ce qui valait déclaration de créance du GAEC du Petit Champ pour le compte de la Coopérative Bourgogne du Sud, la cour d'appel a violé les articles L. 622-24 et R. 622-5 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 622-24, alinéa 3, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014 :
6. Il résulte de ce texte que la créance portée à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur, dans le délai fixé à l'article R. 622-24 du code de commerce, fait présumer de la déclaration de sa créance par son titulaire, mais seulement dans la limite du contenu de l'information fournie au mandataire judiciaire par le débiteur.
7. Pour rejeter la demande d'admission de sa créance formée par la coopérative, l'arrêt énonce, d'abord, que, selon l'article R. 622-5, alinéa 3, du code de commerce, pour l'application du troisième alinéa de l'article L. 622-24 susvisé, toute déclaration faite par le débiteur, dans le délai fixé par le premier alinéa de l'article R. 622-24 du même code, doit comporter les éléments prévus aux deux premiers alinéas de l'article L. 622-25 du même code et, le cas échéant, ceux prévus par le 2° de l'article R. 622-23 de ce code. Ensuite, après avoir constaté que la liste des créanciers du 28 mars 2017 remise par le GAEC à son mandataire judiciaire comporte, dans la colonne des créanciers fournisseurs, la mention de la coopérative, de l'adresse de celle-ci et d'un montant dû estimé, échu et à échoir de 422 493 euros, l'arrêt retient que cette liste ne comporte l'indication ni des sommes à échoir et de la date de leur échéance, ni de la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie, ni des modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas arrêté, cependant qu'il n'est pas établi que le débiteur aurait fourni d'autres informations au mandataire judiciaire. L'arrêt en déduit que cette déclaration faite par le GAEC ne peut valoir déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier.
8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que la liste des créanciers remise par le GAEC à son mandataire judiciaire comportait le nom de la coopérative créancière ainsi que le montant de la créance de cette dernière, ce qui valait déclaration de créance effectuée par le débiteur pour le compte du créancier, dans la limite de ces informations, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevables l'appel principal formé par le GAEC du Petit Champ et l'appel incident formé par la société Coopérative Bourgogne, l'arrêt rendu le 10 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne le GAEC du Petit Champ aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Mamou, greffier présent lors du prononcé. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société coopérative Bourgogne.
La SCEA Coopérative Bourgogne du Sud fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit qu'elle ne rapporte pas la preuve de la réception de sa déclaration de créance par la SCP Deslorieux, ès qualité de mandataire judiciaire, d'AVOIR dit que la liste des créanciers remise à la SCP Deslorieux par le GAEC du Petit Champ ne vaut pas déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier et l'AVOIR déboutée de sa demande d'admission de créance ;
Alors que le débiteur qui a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, en précisant l'identité de son créancier et le montant de la créance, est présumé avoir déclaré cette créance pour le compte du créancier tant que celui-ci n'a pas adressé la déclaration de créance ; que pour considérer que la déclaration faite par le GAEC du Petit Champ ne pouvait valoir déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier, l'arrêt attaqué retient que la liste des créanciers remise à la SCP Deslorieux, datée du 28 mars 2017, ne comportait ni l'indication des sommes à échoir et la date de leur échéance, ni la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance était éventuellement assortie, ni les modalités de calcul des intérêts dont le cours n'était pas arrêté ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant constaté que la liste des créanciers remise par le débiteur au mandataire judiciaire comportait « dans la colonne des créanciers fournisseurs la mention de la Coopérative Bourgogne du Sud, de l'adresse de celle-ci et d'un montant dû estimé, échu et à échoir, de 422 493 euros », ce dont elle aurait dû déduire que les éléments essentiels de cette créance, à savoir son titulaire et son montant, avaient été portés à la connaissance du mandataire, ce qui valait déclaration de créance du GAEC du Petit Champ pour le compte de la Coopérative Bourgogne du Sud, la cour d'appel a violé les articles L. 622-24 et R. 622-5 du code de commerce.
Sur la portée des créances portées à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur, à rapprocher :Com., 5 septembre 2018, pourvoi n° 17-18.516, Bull. 2018, IV, n° 93
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CASS/JURITEXT000047023644.xml | LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION LM
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 20 janvier 2023
Cassation partielle
sans renvoi
M. SOULARD, premier président
Arrêt n° 664 B+R
Pourvoi n° S 22-82.535
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 20 JANVIER 2023
Mme [L] [P] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République (commission d'instruction) du 15 avril 2022 qui, dans l'information suivie contre elle des chefs de mise en danger d'autrui et abstention volontaire de combattre un sinistre, a rejeté sa requête en nullité d'actes de la procédure.
Le pourvoi est examiné par l'assemblée plénière en application de l'article 24 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
Par ordonnance du 10 juin 2022, la première présidente de la Cour de cassation a prescrit l'examen immédiat du pourvoi et fixé au 29 juillet 2022 l'expiration du délai imparti à la SCP Waquet, Farge et Hazan pour déposer un mémoire.
Mme [L] [P] invoque, devant l'assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation le 29 juillet 2022 par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [P].
Le rapport écrit de M. Samuel, conseiller, et l'avis écrit de M. Desportes, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties.
Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, assisté de M. Dureux, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, et l'avis de M. Desportes, premier avocat général, auquel la SCP Waquet, Farge et Hazan, invitée à le faire, n'a pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 9 décembre 2022 où étaient présents M. Soulard, premier président, MM. Chauvin, Pireyre, Sommer, Mme Teiller, MM. Bonnal, Vigneau, présidents, M. Samuel, conseiller rapporteur, MM. Huglo, Maunand, Mmes Duval-Arnould, Darbois, doyens de chambre, M. de Larosière de Champfeu, Mme Taillandier-Thomas, conseillers faisant fonction de doyens de chambre, M. Rinuy, Mme Durin-Karsenty, MM. Jacques, Riffaud, Mme Dard, conseillers, M. Desportes, premier avocat général, et Mme Dottori, greffier,
la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 3 juillet 2020, la commission des requêtes de la Cour de justice de la République a transmis au procureur général près la Cour de cassation, ministère public près la Cour de justice de la République, des plaintes émanant de médecins, de syndicats et de particuliers, relatives à la gestion gouvernementale de la pandémie de Covid-19, aux fins de saisine de la commission d'instruction du chef d'abstention de combattre un sinistre, à l'encontre de M. [F] [O], Premier ministre, de Mme [L] [P], ancienne ministre des solidarités et de la santé, et de M. [Z] [U], ministre des solidarités et de la santé.
3. Par réquisitoire du 7 juillet 2020, le procureur général a requis la commission d'instruction d'informer, à l'encontre de M. [O], de Mme [P] et de M. [U], du chef d'abstention de combattre un sinistre, délit prévu et réprimé à l'article 223-7 du code pénal, faits commis à [Localité 1], courant 2019 et 2020.
4. À la suite d'autres plaintes, notamment celle du compagnon de [S] [I] consécutive au décès de cette dernière, en raison, selon le plaignant, d'une infection par le virus SARS-CoV-2, des réquisitoires supplétifs ont été pris aux fins d'informer contre les mêmes personnes, du même chef.
5. Le 10 septembre 2021, Mme [P] a été mise en examen par la commission d'instruction du chef de mise en danger d'autrui et placée sous le statut de témoin assisté du chef d'abstention volontaire de combattre un sinistre.
6. Par ordonnance du 4 octobre 2021, la présidente de la commission d'instruction a commis des experts aux fins de procéder à l'examen du dossier médical de [S] [I] et répondre à diverses questions.
7. Le 9 mars 2022, Mme [P] a saisi la commission d'instruction, sur le fondement des articles 170 et suivants du code de procédure pénale auxquels renvoie l'article 18 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République, d'une requête en nullité d'actes de la procédure d'instruction portant notamment sur la mise en examen du chef de mise en danger d'autrui, le dépassement de la saisine temporelle et matérielle de la commission et les conditions d'audition de membres du Gouvernement.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de tous les actes de l'instruction accomplis hors de la saisine matérielle et temporelle de la commission d'instruction, notamment de sa mise en examen, des expertises médicales et des actes d'investigation effectués hors saisine, alors « que pour écarter les limites de sa saisine, la Commission d'instruction considère que, même en l'absence de réquisitoire supplétif, le juge d'instruction peut procéder à des vérifications, à l'exclusion de tout acte coercitif, ces vérifications fussent-elles éventuellement de nature à aboutir à caractériser des délits nouveaux, et qu'en procédant à de nombreuses auditions de témoins, les membres de la Commission d'instruction n'ont, à l'évidence, usé d'aucun moyen coercitif ; qu'en posant à Mme [P] des questions concernant des faits survenus après son départ du gouvernement, ils n'ont fait d'user des prérogatives que leur accorde la loi, la perspective d'une "comparaison internationale" devant de surcroît "faire l'objet de nouvelles investigations" ; que ces motifs traduisent le dépassement total de sa saisine par la juridiction d'instruction, celle-ci n'ayant le pouvoir, en cas d'élément nouveau, que d'effectuer des vérifications sommaires auxquelles ne peuvent être réduites les "nombreuses auditions de témoins" auxquelles il a été procédé, avant d'en référer au ministère public pour étendre éventuellement sa saisine ; en reconnaissant investiguer sur des faits extérieurs au réquisitoire introductif, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les textes précités. La cassation interviendra sans renvoi, l'ensemble des actes affectés par le vice d'excès de pouvoir devant être annulé par l'Assemblée plénière. »
Réponse de la Cour
9. Pour écarter le grief pris de la méconnaissance, par la commission d'instruction, des limites de sa saisine temporelle, l'arrêt attaqué énonce qu'un juge d'instruction peut procéder à des vérifications exclusives de tout acte coercitif éventuellement susceptibles d'aboutir à caractériser des délits nouveaux et que, de la même manière, les officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire d'un juge d'instruction, s'ils acquièrent la connaissance de faits nouveaux, peuvent, avant toute communication à ce magistrat des procès-verbaux qui les constatent, effectuer les vérifications sommaires qui s'imposent pour en apprécier la vraisemblance, pourvu qu'elles ne présentent pas un caractère coercitif exigeant la mise en mouvement préalable de l'action publique.
10. Les juges ajoutent qu'en procédant à de nombreuses auditions de témoins, la commission d'instruction n'a pas usé de moyens coercitifs.
11. Ils précisent qu'en posant à Mme [P] des questions portant sur les faits survenus après son départ du Gouvernement, dont les réponses étaient de nature à les éclairer sur une crise sanitaire complexe, sur les mesures prises dans les différents temps de cette crise et leur articulation et sur l'acquisition des connaissances nouvelles, y compris à ses différents stades, la commission d'instruction n'a fait qu'user des prérogatives que lui accorde la loi.
12. Ils relèvent que Mme [P] a inscrit ses explications dans la perspective d'une comparaison internationale, laquelle doit faire l'objet de nouvelles investigations.
13. C'est à tort que la commission d'instruction s'est référée, d'une part, à une jurisprudence applicable à la découverte de faits nouveaux, quand elle-même n'indiquait pas en avoir découverts, d'autre part, à des interrogatoires de Mme [P] non visés par la requête.
14. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure.
15. En effet, la Cour de cassation, exerçant sa pleine compétence pour statuer en fait et en droit sur la régularité des actes de l'information conduite par la commission d'instruction, est en mesure de s'assurer que les seules questions, portant sur les différents variants et vagues successives du virus, les mesures de couvre-feu, reconfinement et vaccination, dont la requête arguait qu'elles seraient de nature à entraîner l'annulation des auditions des témoins à qui elles ont été posées, ne constituent pas un dépassement de la saisine temporelle de la commission d'instruction.
16. Les vérifications en cause ne tendent pas à la recherche de nouvelles infractions susceptibles d'avoir été commises par des membres du Gouvernement. Elles sont en revanche de nature à contribuer à l'appréciation des moyens mis en oeuvre, en l'état des connaissances acquises au moment des faits, pour combattre le danger ou le sinistre, objet de l'information. Celle-ci est limitée aux seuls faits commis entre 2019 et le 7 juillet 2020, tels qu'ils résultent des différentes décisions de la commission des requêtes, reprises par les réquisitoires introductif et supplétifs, susceptibles d'être imputés aux trois membres du Gouvernement qu'ils visent.
17. Le moyen ne peut, dès lors, être accueilli.
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen
Enoncé des moyens
18. Le deuxième moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de tous les actes de l'instruction accomplis hors de la saisine matérielle et temporelle de la commission d'instruction, notamment de sa mise en examen, des expertises médicales et des actes d'investigation effectués hors saisine, alors « que la Commission d'instruction de la Cour de justice de la République n'est saisie que des faits qui lui sont soumis par le réquisitoire introductif ; en l'espèce, le réquisitoire aux fins d'informer pris le 7 juillet 2020 rappelle l'avis de la Commission des requêtes du 3 juillet 2020. Cet avis, repris par le Parquet, après avoir rappelé les plaintes déposées à la Cour de justice de la République cite expressément les faits susceptibles, aux yeux de la Commission des requêtes et du Parquet, de constituer une infraction, notamment le délit d'abstention volontaire de combattre un sinistre, les faits en cause étant précisés comme suit : "Il résulte des éléments de fait précités, s'ils étaient avérés, que l'absence de constitution de réserves de matériels de protection, notamment de masques, malgré les préconisations d'autorités de santé et l'avis d'experts de mai 2019, le défaut de commandes immédiates de matériels en nombre suffisant dès les premiers éléments annonciateurs de l'épidémie, les éventuels retards dans la prise de décisions en matière sanitaire et en ce qui concerne le confinement, ainsi que la tenue des élections municipales, seraient susceptibles de constituer l'élément matériel du délit d'abstention volontaire de combattre un sinistre", la commission des requêtes – reprise par le réquisitoire – ajoutant qu'elle "ne relève pas d'éléments de nature à justifier que les plaintes visant d'autres faits et d'autres qualifications pénales à l'encontre" d'autres ministres, soient transmises à la Commission d'instruction. L'ensemble des réquisitoires supplétifs des 22 octobre 2020, 17 décembre 2020, 9 juillet 2021, 12 juillet 2021 et 21 octobre 2021 a repris la même liste exhaustive de faits ; comme l'Assemblée plénière, juge de plein contentieux en l'espèce peut le constater, il résulte de ces éléments que loin d'être général et indistinct, le réquisitoire introductif a entendu préciser et limiter les faits dont le Parquet a saisi la Commission d'instruction ; en s'estimant saisi d'un "événement protéiforme se déroulant dans le temps qui contraint le juge d'instruction à informer sur l'ensemble du phénomène par nature indivisible, alors même que le réquisitoire ne vise qu'une partie de celui-ci" (arrêt § 3.1.2. al. 2), et en entendant instruire sur d'autres éléments factuels "résultant des diverses plaintes et des quelques documents versés aux débats à leur soutien" (arrêt p. 11 § 3.1.2. al. 7), la Commission d'instruction a excédé les limites de ses pouvoirs et violé les articles 80 du code de procédure pénale, 16, 17 et 19 de la loi organique du 23 novembre 1993. »
19. Le troisième moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [P] sollicitant l'annulation de sa mise en examen, et l'annulation d'expertises diligentées pour investiguer sur les circonstances du décès ou de la contamination de certaines personnes désignées, notamment l'expertise ordonnée à propos du décès de Mme [I] et de tous les actes subséquents, alors :
« 1°/ que la Commission d'instruction a privé sa décision de motifs en s'abstenant de répondre au moyen de nullité tiré de ce que la mission confiée aux experts excédait les limites de sa saisine, et en se bornant à affirmer que "la pertinence/des expertises/ne saurait être contestée", et que "le caractère lacunaire de certaines plaintes nécessite à l'évidence des investigations" ; la Commission d'instruction a ainsi violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;
2°/ que la mission confiée aux experts, notamment à propos du décès de Mme [I], les charges de déterminer les circonstances de sa prise en charge hospitalière, les causes de son décès, et de dire si les règles de l'art ont été respectées en ce qui la concerne ; tout ou partie de cette mission consiste donc à déterminer les circonstances et les responsabilités d'un décès particulier dont la Commission d'instruction n'est pas saisie ; en validant cette expertise et d'autres expertises formulées sans doute dans les mêmes termes, la Commission d'instruction a excédé les limites de sa saisine, excédé ses pouvoirs et violé l'article 80 du code de procédure pénale, les articles 16, 17 et 19 de la loi organique du 23 novembre 1993 ;
3°/ que les infractions autonomes de risques causés à autrui prévues et réprimées par les articles 223-1 et suivants du code pénal sont indifférentes aux éventuels résultats sur les personnes et les biens, les atteintes à ces derniers étant prévues et réprimées par d'autres textes ; tenue de préciser et de qualifier les faits qu'elle entend soumettre à la Commission d'instruction en vertu de l'article 16 de la loi organique du 23 novembre 1993, la Commission des requêtes dont la décision a été reprise intégralement par le réquisitoire aux fins d'informer, a choisi de ne retenir que des faits relatifs à un comportement de risque et une qualification d'abstention volontaire de combattre un sinistre, excluant ainsi de façon claire et délibérée tout fait susceptible de constituer une atteinte aux personnes et aux biens ; en se fondant sur le motif inopérant que le tribunal judiciaire de Paris est parallèlement saisi à propos du même "événement" d'infractions portant sur les personnes et les biens, pour lancer des investigations à propos de tels faits, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les articles 80 du code de procédure pénale, 16 de la loi organique du 23 novembre 1993, 223-1 et 223-7 du code pénal. La cassation interviendra sans renvoi, l'Assemblée plénière devant annuler les expertises concernées et tous les actes subséquents. »
Réponse de la Cour
20. Les moyens sont réunis.
21. Pour écarter le grief pris de la méconnaissance, par la commission d'instruction, des limites de sa saisine matérielle, l'arrêt attaqué énonce que, dans une information ouverte pour abstention de combattre un sinistre, le juge se trouve saisi de l'intégralité du sinistre, qui peut être d'origine naturelle et, s'agissant d'un problème sanitaire telle qu'une pandémie, ne se limite pas à un fait précis et déterminé dans sa matérialité, mais concerne un événement protéiforme se déroulant dans le temps, qui contraint le juge d'instruction à informer sur l'ensemble du phénomène par nature indivisible, alors même que le réquisitoire ne vise qu'une partie de celui-ci.
22. La commission d'instruction retient qu'il lui est permis de requalifier les faits soumis à son appréciation, en application de l'article 20 de la loi organique du 23 novembre 1993, et de procéder à tous les actes d'information utiles à la manifestation de la vérité, dans les limites des faits dont elle est régulièrement saisie.
23. Les juges précisent que les réquisitoires introductif et supplétifs, comme les décisions de la commission des requêtes, visent l'infraction d'abstention de combattre un sinistre prévue à l'article 223-7 du code pénal, et que, pour retenir cette qualification, la dite commission a évoqué l'absence de constitution de réserves de matériels de protection, notamment de masques, malgré les préconisations d'autorités de santé et l'avis d'experts de mai 2019, le défaut de commandes immédiates de matériels en nombre suffisant dès les premiers éléments annonciateurs de l'épidémie, les éventuels retards dans la prise de décisions en matière sanitaire et en ce qui concerne le confinement, ainsi que la tenue des élections municipales.
24. Ils relèvent encore que la commission des requêtes a évoqué de nombreux autres éléments factuels résultant de diverses plaintes et des documents versés à leur soutien, tels que la genèse et la chronologie du sinistre, la disparition de l'établissement de préparation aux réponses sanitaires urgentes, un changement de doctrine concernant les stocks stratégiques, notamment de masques, le fait que la constitution des stocks soit confiée aux établissements hospitaliers, l'inflexion de la politique de constitution des stocks, les modalités du port du masque et les refus d'hospitalisation.
25. Ils observent également que la commission des requêtes, qui a estimé nécessaire une enquête approfondie, n'a pas explicitement écarté la qualification de mise en danger visée par certains plaignants.
26. Ils ajoutent que la saisine matérielle s'entend de la possibilité d'instruire sur toutes les circonstances qui modifient ou aggravent le caractère pénal des faits dénoncés dans les plaintes, que le juge d'instruction a le devoir d'instruire sur l'ensemble des faits dont il est saisi et qu'en particulier la commission d'instruction doit, en cas de demande de réquisitoire supplétif, articuler des faits à l'encontre d'un ministre déterminé, ce qu'elle ne peut faire s'il lui est interdit d'instruire sur la totalité des faits dont elle a été saisie.
27. Ils retiennent, en outre, qu'ayant été saisis avant que ne soit ouverte l'information judiciaire suivie au pôle santé publique du tribunal judiciaire de Paris, qui ne concerne que des personnes autres que des ministres, des chefs d'abstention volontaire de combattre un sinistre, d'homicides et blessures involontaires et de mise en danger de la vie d'autrui, ils sont contraints de procéder à des investigations concernant d'autres intervenants que les ministres, lesquelles ne peuvent être analysées comme excédant leur saisine, étant de nature à permettre de retracer le contexte de l'adoption et de la mise en oeuvre des décisions ministérielles.
28. L'arrêt énonce, par ailleurs, que la demande d'annulation d'actes matériellement réalisés par l'un des membres de la commission d'instruction, délégué par elle, en particulier les expertises dont la pertinence ne saurait être contestée, ne peut qu'être rejetée dès lors que le caractère lacunaire de certaines plaintes, pourtant déclarées recevables par la commission des requêtes, nécessite des investigations, ne serait-ce que sur l'existence d'une contamination par le SARS-CoV2.
29. La commission d'instruction ne pouvait ériger en principe que son devoir d'instruire sur les faits dont elle est saisie l'autoriserait à informer sur l'ensemble d'une pandémie et à l'égard d'autres intervenants que les ministres visés par les différentes décisions de la commission des requêtes auxquelles se réfèrent les réquisitoires introductif et supplétifs.
30. Elle a, par ailleurs, omis de répondre par des motifs suffisants aux griefs articulés au soutien de la nullité de la mission d'expertise relative à [S] [I], comme excédant les limites matérielles de sa saisine.
31. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure.
32. En effet, la Cour de cassation, exerçant sa pleine compétence pour statuer en fait et en droit sur la régularité des actes de l'information, est en mesure de s'assurer que l'ordonnance définissant la mission d'expertise médicale relative aux conditions du décès de [S] [I], seule ordonnance de cette nature figurant au dossier de la procédure au moment où la commission a statué et seul type de décision sur lequel la requête fondait sa demande de nullité pour dépassement de la saisine matérielle, n'excède pas les limites de cette saisine.
33. En premier lieu, la mission d'expertise a pour objet de faire examiner l'ensemble des pièces du dossier médical de la défunte, afin de vérifier si la cause de son décès consiste en une infection par le virus SARS-CoV2, comme l'affirme son compagnon dont la plainte a déterminé la décision de la commission des requêtes du 28 juin 2021, suivie du réquisitoire supplétif du 12 juillet 2021.
34. En second lieu, cette mission tend à apprécier l'existence ou non d'un lien de causalité entre, d'une part, les faits dénoncés par le plaignant relatifs notamment à une préparation insuffisante à la lutte contre l'épidémie et l'absence de suite apportée aux lignes directrices de l'Organisation mondiale de la santé sur le dépistage et le port du masque dans certaines circonstances, d'autre part, le décès de [S] [I].
35. Il en découle que les investigations ainsi ordonnées sont en relation avec la recherche de la vérité quant aux faits dont la commission d'instruction est saisie, lesquels sont expressément limités à ceux qui résultent des différentes décisions de la commission des requêtes auxquelles se réfèrent les réquisitoires introductif et supplétifs, qui ne comprennent pas de faits d'atteinte à la vie ou à l'intégrité de la personne.
36. Ainsi, les moyens doivent être écartés.
Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
37. Il est fait grief l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de sa mise en examen du chef de mise en danger de la vie d'autrui, alors « que les articles L.1110-1 du code de la santé publique, L.1413-4 et L.3131-1 du même code, L.1141-1 et L.1142-8 du code de la défense ne caractérisent aucune obligation particulière de prudence ou de sécurité, et se bornent à rappeler de façon générale des principes de protection en matière de santé et de défense, et la participation du ministère de la santé aux objectifs de défense nationale ; le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé n'édicte pas davantage une obligation particulière de prudence ou de sécurité à sa charge, et se borne à définir le champ de compétence du ministre et les matières qui lui sont attribuées au sein du gouvernent ; aucun de ces textes n'édicte une obligation particulière de prudence ou de sécurité pesant sur le ministre des solidarités et de la santé ; la Commission d'instruction a encore excédé ses pouvoirs et violé les textes précités. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 223-1 du code pénal et 80-1 du code de procédure pénale :
38. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'une juridiction d'instruction ne peut procéder à une mise en examen du chef de mise en danger d'autrui sans avoir préalablement constaté l'existence de l'obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement dont la violation manifestement délibérée est susceptible de permettre la caractérisation du délit.
39. Pour rejeter la requête tendant à l'annulation de la mise en examen de Mme [P] du chef de mise en danger d'autrui, prise notamment de l'inexistence d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, l'arrêt attaqué se fonde sur les articles L. 1110-1, L. 1413-4 et L. 3131-1 du code de la santé publique, L. 1141-1 et L. 1142-8 du code de la défense ainsi que sur le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé.
40. En statuant ainsi, la commission d'instruction, qui s'est référée à des textes qui ne prévoient pas d'obligation de prudence ou de sécurité objective, immédiatement perceptible et clairement applicable sans faculté d'appréciation personnelle du sujet, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé, pour les motifs qui suivent.
41. En premier lieu, l'article L. 1110-1 du code de la santé publique se borne à fixer, pour l'ensemble des intervenants du système de santé, un simple objectif de mise en oeuvre du droit à la protection de la santé.
42. En deuxième lieu, l'article L. 1413-4 du même code prévoit, en termes généraux, que l'agence nationale de santé publique procède, à la demande du ministre chargé de la santé, à diverses opérations comme l'acquisition, le stockage et la distribution de produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves.
43. En troisième lieu, l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa version applicable aux faits objet de la mise en examen, ne fait qu'ouvrir au ministre chargé de la santé la possibilité, en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, de prescrire toute mesure proportionnée aux risques encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu.
44. En quatrième lieu, l'article L. 1141-1 du code de la défense se borne à confier à chaque ministre la responsabilité de la préparation et de l'exécution des mesures de défense dans le département dont il a la charge. Ainsi, l'article L. 1142-8 du même code attribue au ministre chargé de la santé la responsabilité de l'organisation et de la préparation du système de santé, de la prévention des menaces sanitaires graves et de la protection de la population contre ces dernières.
45. En cinquième et dernier lieu, le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé, qui dispose que ce dernier « est responsable de l'organisation de la prévention et des soins », et lui confie la charge d'élaborer, avec les autres ministres compétents, les règles relatives à la politique de la santé contre les divers risques susceptibles de l'affecter, n'a d'autre objet que de déterminer le champ de ses compétences.
46. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
47. Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] sollicitant l'annulation des auditions en qualité de témoin de membres du gouvernement effectuées par la commission d'instruction de la Cour de justice de la République non en formation collégiale mais seulement par un ou deux de ses membres, alors « que l'article 21 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 prescrit expressément que « les auditions et interrogatoires des membres du gouvernement sont effectués par la Commission d'instruction » ; ce texte attribue compétence à la seule formation collégiale de la Commission d'instruction en la matière, et comme toute règle de compétence, elle est d'ordre public, et sa sanction n'est pas subordonnée à la démonstration d'un grief ; en rejetant les demandes de nullité des auditions faites irrégulièrement en dehors de la formation collégiale, au motif erroné que l'article 21 ne serait pas d'ordre public ni prescrit à peine de nullité, et au motif inopérant que sa méconnaissance n'aurait pas bafoué un droit ou un intérêt propre à Mme [P], la Commission d'instruction a violé ledit texte et excédé ses pouvoirs ; la cassation sera prononcée sans renvoi, l'Assemblée plénière devant annuler l'ensemble des auditions concernées. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 11 et 21 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République :
48. Selon le premier de ces textes, la commission d'instruction se compose de trois membres.
49. Selon le second, les auditions et interrogatoires des membres du Gouvernement sont effectués par la commission d'instruction.
50. Cette dernière règle, relative à la composition de la juridiction, est d'ordre public. Sa méconnaissance peut être invoquée par toute partie à la procédure sans qu'il lui incombe d'établir un grief.
51. Pour rejeter la demande d'annulation des auditions de M. [M], Mme [N], Mme [V] et Mme [J], membres du Gouvernement en exercice, effectuées par un ou par deux des trois juges de la commission d'instruction, l'arrêt attaqué énonce que les dispositions de l'article 21 de la loi organique du 23 novembre 1993 ne sont ni édictées dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, ni prescrites à peine de nullité, ni revêtues d'un caractère d'ordre public.
52. Il ajoute que les conditions dans lesquelles ont été conduites ces auditions n'ont eu ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à un droit ou un intérêt propre à Mme [P] et qu'aucun grief n'est articulé au soutien de la demande d'annulation de ces actes.
53. En statuant ainsi, la commission d'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.
54. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
55. L'assemblée plénière de la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3, alinéa 3, du code de l'organisation judiciaire, la cassation aura lieu sans renvoi.
56. Elle prononcera donc la nullité de la mise en examen de Mme [L] [P] du chef de mise en danger d'autrui dans les conditions précisées au dispositif.
57. Elle prononcera également la nullité des auditions de M. [M] (CJR D 9829), Mme [N] (CJR D 3044), Mme [V] (CJR D 3054) et Mme [J] (CJR D 5693).
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la commission d'instruction de la Cour de justice de la République en date du 15 avril 2022, mais en ses seules dispositions rejetant la requête en nullité de la mise en examen de Mme [L] [P] et des auditions de M. [M], Mme [N], Mme [V] et Mme [J], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
PRONONCE la nullité de la mise en examen de Mme [L] [P] du chef de mise en danger d'autrui ;
DIT que, par l'effet de cette annulation, Mme [P] est considérée comme témoin assisté relativement à l'infraction de mise en danger d'autrui, à compter de son interrogatoire de première comparution, pour l'ensemble de ses interrogatoires ultérieurs et jusqu'à l'issue de l'information, sous réserve des dispositions des articles 113-6 et 113-8 du code de procédure pénale ;
DIT que cette annulation n'entraîne aucune cancellation ni retrait de pièces ;
PRONONCE la nullité des auditions de M. [M] (CJR D 9829), Mme [N] (CJR D 3044), Mme [V] (CJR D 3054) et Mme [J] (CJR D 5693) ;
DIT que ces actes annulés seront retirés du dossier d'information et classés au greffe de la Cour de justice de la République et qu'il sera interdit d'y puiser aucun renseignement contre les parties.
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour de justice de la République et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le vingt janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [L] [P]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de sa mise en examen du chef de mise en danger de la vie d'autrui ;
1/ ALORS QUE selon l'article 80-1 du code de procédure pénale « à peine de nullité, le juge d'instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi » ; l'appréciation de cette vraisemblance doit porter aussi bien sur l'élément légal de l'infraction que sur les éléments purement matériels ; s'agissant de l'infraction de mise en danger d'autrui, celle-ci suppose impérativement aux termes de l'article 223-1 du code pénal, la violation d'une « obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement » ; il incombe donc au magistrat instructeur, lorsqu'il est saisi de la question, de vérifier qu'une telle obligation de prudence ou de sécurité pesait réellement sur la personne mise en cause, à défaut de quoi sa mise en examen est nulle ; en affirmant qu'il lui appartient de rechercher si une telle obligation particulière existe (arrêt § 4.2.1.9 et 4.2.1.6), mais en omettant de la caractériser de façon suffisamment vraisemblable, et ainsi de vérifier si des indices graves ou concordants justifient la mise en examen de ce chef, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les articles 80-1 du code de procédure pénale et 223-1 du code pénal ;
2/ ALORS QUE les articles L.1110-1 du code de la santé publique, L.1413-4 et L.3131-1 du même code, L.1141-1 et L.1142-8 du code de la défense ne caractérisent aucune obligation particulière de prudence ou de sécurité, et se bornent à rappeler de façon générale des principes de protection en matière de santé et de défense, et la participation du ministère de la santé aux objectifs de défense nationale ; le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé n'édicte pas davantage une obligation particulière de prudence ou de sécurité à sa charge, et se borne à définir le champ de compétence du ministre et les matières qui lui sont attribuées au sein du gouvernement ; aucun de ces textes n'édicte une obligation particulière de prudence ou de sécurité pesant sur le ministre des solidarités et de la santé ; la Commission d'instruction a encore excédé ses pouvoirs et violé les textes précités ;
3/ ALORS QUE l'infraction de mise en danger d'autrui suppose un élément intentionnel consistant en la violation « manifestement délibérée » de l'obligation prétendument méconnue ; une mise en examen de ce chef ne peut être prononcée ou maintenue que dans la mesure où il est suffisamment vraisemblable que cet élément intentionnel existe, et qu'à ce stade, le caractère délibéré de la violation en cause soit considéré comme reposant sur des indices graves ou concordants ; en affirmant qu'il lui appartient de rechercher si le caractère délibéré de la violation existe (§ 4.2.1.6 et 4.2.1.9 de l'arrêt) sans en caractériser l'existence à ce stade de manière suffisamment vraisemblable, ni caractériser les indices de nature à justifier une mise en examen de ce chef, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les textes précités. La cassation interviendra sans renvoi après annulation par l'Assemblée plénière de la mise en examen et tous les actes subséquents.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l'annulation de tous les actes de l'instruction accomplis hors de la saisine matérielle et temporelle de la Commission d'instruction, notamment de sa mise en examen, des expertises médicales et des actes d'investigation effectués hors saisie ;
1/ ALORS QUE la Commission d'instruction de la Cour de Justice de la République n'est saisie que des faits qui lui sont soumis par le réquisitoire introductif ; en l'espèce, le réquisitoire aux fins d'informer pris le 7 juillet 2020 rappelle l'avis de la Commission des requêtes du 3 juillet 2020. Cet avis, repris par le Parquet, après avoir rappelé les plaintes déposées à la Cour de justice de la République, cite expressément les faits susceptibles, aux yeux de la Commission des requêtes et du Parquet, de constituer une infraction, notamment le délit d'abstention volontaire de combattre un sinistre, les faits en cause étant précisés comme suit : « Il résulte des éléments de fait précités, s'ils étaient avérés, que l'absence de constitution de réserves de matériels de protection, notamment de masques, malgré les préconisations d'autorités de santé et l'avis d'experts de mai 2019, le défaut de commandes immédiates de matériels en nombre suffisant dès les premiers éléments annonciateurs de l'épidémie, les éventuels retards dans la prise de décisions en matière sanitaire et en ce qui concerne le confinement, ainsi que la tenue des élections municipales, seraient susceptibles de constituer l'élément matériel du délit d'abstention volontaire de combattre un sinistre », la commission de requêtes – reprise par le réquisitoire – ajoutant qu'elle « ne relève pas d'éléments de nature à justifier que les plaintes visant d'autres faits et d'autres qualifications pénales à l'encontre » d'autres ministres, soient transmises à la Commission d'instruction. L'ensemble des réquisitoires supplétifs des 22 octobre 2020, 17 décembre 2020, 9 juillet 2021, 12 juillet 2021 et 21 octobre 2021 a repris la même liste exhaustive de faits ; comme l'Assemblée plénière, juge de plein contentieux en l'espèce peut le constater, il résulte de ces éléments que loin d'être général et indistinct, le réquisitoire introductif a entendu préciser et limiter les faits dont le Parquet a saisi la Commission d'instruction ; en s'estimant saisi d'un « évènement protéiforme se déroulant dans le temps qui contraint le juge d'instruction à informer sur l'ensemble du phénomène par nature indivisible, alors même que le réquisitoire ne vise qu'une partie de celui-ci » (arrêt § 3.1.2. al. 2), et en entendant instruire sur d'autres éléments factuels « résultant des diverses plaintes et des quelques documents versés aux débats à leur soutien » (arrêt p. 11 § 3.1.2. al. 7), la Commission d'instruction a excédé les limites de ses pouvoirs et violé les articles 80 du code de procédure pénale, 16, 17 et 19 de la loi organique du 23 novembre 1993 ;
2/ ALORS QUE pour écarter les limites de sa saisine, la Commission d'instruction considère que, même en l'absence de réquisitoire supplétif, le juge d'instruction peut procéder à des vérifications, à l'exclusion de tout acte coercitif, ces vérifications fussent-elles éventuellement de nature à aboutir à caractériser des délits nouveaux, et qu'en procédant à de nombreuses auditions de témoins, les membres de la Commission d'instruction n'ont, à l'évidence, usé d'aucun moyen coercitif ; qu'en posant à Mme [P] des questions concernant des faits survenus après son départ du gouvernement, ils n'ont fait d'user des prérogatives que leur accorde la loi, la perspective d'une « comparaison internationale » devant de surcroît « faire l'objet de nouvelles investigations » ; que ces motifs traduisent le dépassement total de sa saisine par la juridiction d'instruction, celle-ci n'ayant le pouvoir, en cas d'élément nouveau, que d'effectuer des vérifications sommaires auxquelles ne peuvent être réduites les « nombreuses auditions de témoins » auxquelles il a été procédé, avant d'en référer au ministère public pour étendre éventuellement sa saisine ; en reconnaissant investiguer sur des faits extérieurs au réquisitoire introductif, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les textes précités. La cassation interviendra sans renvoi, l'ensemble des actes affectés par le vice d'excès de pouvoir devant être annulés par l'Assemblée plénière.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [P] sollicitant l'annulation de sa mise en examen, et l'annulation d'expertises diligentées pour investiguer sur les circonstances du décès ou de la contamination de certaines personnes désignées, notamment l'expertise ordonnée à propos du décès de Mme [I] et de tous les actes subséquents ;
1/ ALORS D'UNE PART QUE la Commission d'instruction a privé sa décision de motifs en s'abstenant de répondre au moyen de nullité tiré de ce que la mission confiée aux experts excédait les limites de sa saisine, et en se bornant à affirmer que « la pertinence/des expertises/ne saurait être contestée », et que « le caractère lacunaire de certaines plaintes? nécessite à l'évidence des investigations » ; la Commission d'instruction a ainsi violé l'article 593 du Code de procédure pénale ;
2/ ALORS D'AUTRE PART QUE la mission confiée aux experts, notamment à propos du décès de Mme [I], les charges de déterminer les circonstances de sa prise en charge hospitalière, les causes de son décès, et de dire si les règles de l'art ont été respectées en ce qui la concerne ; tout ou partie de cette mission consiste donc à déterminer les circonstances et les responsabilités d'un décès particulier dont la Commission d'instruction n'est pas saisie ; en validant cette expertise et d'autres expertises formulées sans doute dans les mêmes termes, la Commission d'instruction a excédé les limites de sa saisine, excédé ses pouvoirs et violé l'article 80 du code de procédure pénale, les articles 16, 17 et 19 de la loi organique du 23 novembre 1993 ;
3/ ALORS QUE les infractions autonomes de risques causés à autrui prévues et réprimées par les articles 223-1 et suivants du code pénal sont indifférentes aux éventuels résultats sur les personnes et les biens, les atteintes à ces derniers étant prévues et réprimées par d'autres textes ; tenue de préciser et de qualifier les faits qu'elle entend soumettre à la Commission d'instruction en vertu de l'article 16 de la loi organique du 23 novembre 1993, la Commission des requêtes dont la décision a été reprise intégralement par le réquisitoire aux fins d'informer, a choisi de ne retenir que des faits relatifs à un comportement de risque et une qualification d'abstention volontaire de combattre un sinistre, excluant ainsi de façon claire et délibérée tout fait susceptible de constituer une atteinte aux personnes et aux biens ; en se fondant sur le motif inopérant que le tribunal judiciaire de Paris est parallèlement saisi à propos du même « évènement » d'infractions portant sur les personnes et les biens, pour lancer des investigations à propos de tels faits, la Commission d'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les articles 80 du code de procédure pénale, 16 de la loi organique du 23 novembre 1993, 223-1 et 223-7 du code pénal. La cassation interviendra sans renvoi, l'Assemblée plénière devant annuler les expertises concernées et tous les actes subséquents.
QUATRIEME MOYEN DE CASSATION
Il EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] sollicitant l'annulation des auditions en qualité de témoin de membres du gouvernement effectuées par la Commission d'instruction de la Cour de justice de la République non en formation collégiale mais seulement par un ou deux de ses membres ;
ALORS QUE l'article 21 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 prescrit expressément que « les auditions et interrogatoires des membres du gouvernement sont effectués par la Commission d'instruction » ; ce texte attribue compétence à la seule formation collégiale de la Commission d'instruction en la matière, et comme toute règle de compétence, elle est d'ordre public, et sa sanction n'est pas subordonnée à la démonstration d'un grief ; en rejetant les demandes de nullité des auditions faites irrégulièrement en dehors de la formation collégiale, au motif erroné que l'article 21 ne serait pas d'ordre public ni prescrit à peine de nullité, et au motif inopérant que sa méconnaissance n'aurait pas bafoué un droit ou un intérêt propre à Mme [P], la Commission d'instruction a violé ledit texte et excédé ses pouvoirs ; la cassation sera prononcée sans renvoi, l'Assemblée plénière devant annuler l'ensemble des auditions concernées.
N1>Sur l'obligation pour le juge de rechercher, même d'office, si une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement dont la violation est susceptible de permettre la caractérisation du délit de risques causés à autrui :Crim., 13 novembre 2019, pourvoi n° 18-82.718, Bull. crim. (irrecevabilité).N2>Sur les actes devant être accomplis par la commission d'instruction en formation collégiale et pouvant être accomplis par un des membres :Ass. plén., 26 avril 2022, pourvoi n° 21-86.158, Bull. crim., Ass. plén.
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CASS/JURITEXT000047023645.xml | LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION LM
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 20 janvier 2023
M. SOULARD, premier président
Arrêt n° 663 B+R
Pourvoi n° P 21-23.947
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE
PLÉNIÈRE, DU 20 JANVIER 2023
L'Agent judiciaire de l'Etat, domicilié ministères économiques et financiers, [Adresse 5], venant aux droits de l'établissement public industriel et commercial Charbonnages de France, a formé le pourvoi n° P 21-23.947 contre l'arrêt rendu le 7 septembre 2021 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [C] [V], domicilié [Adresse 2],
2°/ à M. [H] [V], domicilié [Adresse 3],
3°/ à Mme [G] [V], épouse [X], domiciliée [Adresse 4],
4°/ à Mme [P] [V], épouse [T], domiciliée [Adresse 6],
5°/ à M. [L] [I], domicilié [Adresse 1],
6°/ à M. [O] [V],
7°/ à M. [R] [V],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
8°/ à M. [B] [X],
9°/ à [U] [X], enfant mineure représentée par son représentant légal, Mme [G] [V], épouse [X],
tous deux domiciliés [Adresse 4],
10°/ à M. [A] [T],
11°/ à [M] [T], enfant mineure représentée par son représentant légal, Mme [P] [V], épouse [T],
tous deux domiciliés [Adresse 6],
12°/ à la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines, dont le siège est [Adresse 7], ayant pour mandataire de gestion la caisse primaire d'assurance maladie de Moselle,
défendeurs à la cassation.
Par ordonnance du 30 mai 2022, la première présidente de la Cour de cassation a ordonné le renvoi de l'examen du pourvoi devant l'assemblée plénière.
Le demandeur au pourvoi invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt.
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés.
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Leduc et Vigand.
Le rapport écrit de Mme Van Ruymbeke, conseiller, et l'avis écrit de M. Gaillardot, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties.
Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, assisté de M. Allain, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, de la SCP Leduc et Vigand, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 9 décembre 2022 où étaient présents M. Soulard, premier président, MM. Pireyre, Sommer, Mme Teiller, MM. Bonnal, Vigneau, présidents, Mme Duval-Arnould, doyen de chambre faisant fonction de président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, MM. Huglo, Maunand, Mmes Darbois, Martinel, doyens de chambre, M. de Larosière de Champfeu, Mme Auroy, conseillers faisant fonction de doyens de chambre, M. Jacques, Mme Coutou, M. Mornet, Mmes Goanvic, Guillou, conseillers, M. Gaillardot, premier avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,
la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 7 septembre 2021), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n° 19-13.126), la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (la caisse), par décision du 28 janvier 2013, a pris en charge, au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles, la pathologie et le décès d'[J] [V] (la victime), salarié des Houillères du Bassin de Lorraine, aux droits desquelles se sont successivement trouvés l'établissement public Charbonnages de France, puis l'Agent judiciaire de l'Etat.
2. Ses ayants droit ont saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. L'Agent judiciaire de l'Etat fait grief à l'arrêt de fixer l'indemnisation des préjudices personnels subis par [J] [V] aux sommes de 50 000 euros au titre du préjudice moral et 20 000 euros au titre du préjudice physique, alors :
« 1°/ que si l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, dispose qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, c'est à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ; qu'il résulte des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; que ne sont réparables, en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, que les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'espèce, pour fixer à la somme de 70 000 euros l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par [J] [V], la cour d'appel de renvoi a retenu que « l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ne saurait être subordonnée à une condition tirée de la date de consolidation ou encore de l'absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent qui n'est ni prévue par ce texte ni par les dispositions des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale, en sorte que se trouvent indemnisées à ce titre l'ensemble des souffrances physiques et morales causées et éprouvées depuis l'accident ou l'évènement qui lui est assimilé, au nombre desquelles figurent l'angoisse de mort imminente qui constitue une des composantes des souffrances morales pour autant qu'elle soit caractérisée » ; qu'en indemnisant les souffrances physiques et morales subies par [J] [V] sans tenir compte de l'indemnisation procédant de la rente qu'il avait perçue, la cour d'appel de renvoi a violé l'ensemble des textes susvisés.
2°/ qu'il résulte des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; que sont réparables, en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'espèce, pour fixer à la somme de 70 000 euros l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par [J] [V], la cour d'appel de renvoi a retenu que « Au cas présent, il convient de constater que l'intéressé s'est trouvé affecté à l'âge de 56 ans d'un cancer broncho pulmonaire, ce point n'étant pas contesté. Les pièces médicales produites permettent d'établir qu'après le diagnostic de la maladie, la victime a fait l'objet de traitements médicaux conséquents en particulier sous la forme de chimiothérapie inhérente à ce type de pathologie. Ces mêmes pièces ainsi que l'attestation produite aux débats du gendre de la victime établissent que les soins, traitements et diagnostics se sont poursuivis après la déclaration de la maladie le 29 avril 2012. En particulier la scintigraphie osseuse réalisée en juillet 2012 mettant en évidence une évolution osseuse secondaire du carcinome bronchique à petite cellules sous chimiothérapie, présentant un caractère diffus (rachis, gril costal, scapula droite et bassin) dont l'indication est caractéristique de douleurs. Tout comme le scanner du 24 août 2012 mettant en évidence des lésions secondaires sous forme d'hyperdensités focalisées, de prise de contraste aussi bien cérébrale que cérébelleuse. De même l'attestation de M. [T] permet de mettre en évidence des soins douloureux, entrecoupés de phases d'hospitalisations, jusqu'au décès de la victime. Il s'ensuit que ces traitements et l'évolution de la maladie constatée en particulier par les examens pratiqués au cours de l'état 2012 mettent en évidence des douleurs physiques s'étant continuées après la déclaration de la maladie qui ont été correctement évaluées par les premiers juges à la somme de 20 000 euros. En ce qui concerne les douleurs morales afférentes à la maladie, celles-ci résultent du caractère inéluctable, évolutif de la maladie affectant une personne relativement jeune, comme âgée de 56 ans lors de la déclaration de la maladie qui conduira à son décès moins de six mois après. Ces souffrances morales résultent également des conditions dégradées de vie qui étaient celles de la victime au cours de ces derniers mois se traduisant par l'impossibilité de réaliser seul les actes de la vie quotidienne, le regard de sa famille et de son épouse comme l'attestation de M. [T] permet de le mettre en évidence. Il s'ensuit que la fixation des souffrances morales à la somme de 50 000 euros comme opérée par les premiers juges apparaît justifiée. » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à démontrer en quoi les souffrances physiques et morales endurées par la victime étaient distinctes de celles réparées au titre du déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel de renvoi a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
4. Selon les articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle atteinte d'une incapacité permanente égale ou supérieure au taux de 10 % prévu à l'article R. 434-1 du même code est égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci.
5. Selon l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit en vertu de l'article L. 452-2 du même code, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
6. La Cour de cassation juge depuis 2009 que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent (Crim., 19 mai 2009, pourvois n° 08-86.050 et 08-86.485, Bull. crim. 2009, n° 97 ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155 ; pourvoi n° 07-21.768, Bull. 2009, II, n° 153 ; pourvoi n° 08-16.089, Bull. 2009, II, n° 154).
7. Elle n'admet que la victime percevant une rente d'accident du travail puisse obtenir une réparation distincte des souffrances physiques et morales qu'à la condition qu'il soit démontré que celles-ci n'ont pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent (2e Civ., 28 février 2013, pourvoi n° 11-21.015, Bull. 2013, II, n° 48).
8. Si cette jurisprudence est justifiée par le souhait d'éviter des situations de double indemnisation du préjudice, elle est de nature néanmoins, ainsi qu'une partie de la doctrine a pu le relever, à se concilier imparfaitement avec le caractère forfaitaire de la rente au regard du mode de calcul de celle-ci, tenant compte du salaire de référence et reposant sur le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.
9. Par ailleurs, il ressort des décisions des juges du fond que les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles éprouvent parfois des difficultés à administrer la preuve de ce que la rente n'indemnise pas le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.
10. Enfin, le Conseil d'Etat juge de façon constante qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée à l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, et que dès lors le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une telle rente ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice et non sur un poste de préjudice personnel (CE, section, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 23 décembre 2015, n° 374628 ; CE, 18 octobre 2017, n° 404065).
11. L'ensemble de ces considérations conduit la Cour à juger désormais que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.
12. Après avoir énoncé à bon droit que la rente versée à la victime, eu égard à son mode de calcul appliquant au salaire de référence de cette dernière le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, n'avait ni pour objet ni pour finalité l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue à l'article L. 452-3 du même code et qu'une telle indemnisation n'était pas subordonnée à une condition tirée de l'absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel a exactement décidé que les souffrances physiques et morales de la victime pouvaient être indemnisées.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'Agent judiciaire de l'Etat aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le vingt janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour l'Agent judiciaire de l'Etat, venant aux droits de l'établissement public industriel et commercial Charbonnages de France
L'Agent judiciaire de l'Etat fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir fixé l'indemnisation des préjudices personnels subis par [J] [V] de la manière suivante : 50 000 euros au titre du préjudice moral et 20 000 euros au titre du préjudice physique, alors :
1°/ que si l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, dispose qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, c'est à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ; qu'il résulte des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; que ne sont réparables, en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, que les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'espèce, pour fixer à la somme de 70 000 euros l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par [J] [V], la cour d'appel de renvoi a retenu que « l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue par l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale ne saurait être subordonnée à une condition tirée de la date de consolidation ou encore de l'absence de souffrances réparées par le déficit fonctionnel permanent qui n'est ni prévue par ce texte ni par les dispositions des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale, en sorte que se trouvent indemnisées à ce titre l'ensemble des souffrances physiques et morales causées et éprouvées depuis l'accident ou l'événement qui lui est assimilé, au nombre desquelles figurent l'angoisse de mort imminente qui constitue une des composantes des souffrances morales pour autant qu'elle soit caractérisée » ; qu'en indemnisant les souffrances physiques et morales subies par [J] [V] sans tenir compte de l'indemnisation procédant de la rente qu'il avait perçue, la cour d'appel de renvoi a violé l'ensemble des textes susvisés ;
2°/ qu'il résulte des articles L. 434-1, L. 434-2 et L. 452-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; que sont réparables, en application de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'espèce, pour fixer à la somme de 70 000 euros l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par [J] [V], la cour d'appel de renvoi a retenu que « Au cas présent, il convient de constater que l'intéressé s'est trouvé affecté à l'âge de 56 ans d'un cancer broncho pulmonaire, ce point n'étant pas contesté. Les pièces médicales produites permettent d'établir qu'après le diagnostic de la maladie, la victime a fait l'objet de traitements médicaux conséquents en particulier sous la forme de chimiothérapie inhérente à ce type de pathologie. Ces mêmes pièces ainsi que l'attestation produite aux débats du gendre de la victime établissent que les soins, traitements et diagnostics se sont poursuivis après la déclaration de la maladie le 29 avril 2012. En particulier la scintigraphie osseuse réalisée en juillet 2012 mettant en évidence une évolution osseuse secondaire du carcinome bronchique à petite cellules sous chimiothérapie, présentant un caractère diffus (rachis, gril costal, scapula droite et bassin) dont l'indication est caractéristique de douleurs. Tout comme le scanner du 24 août 2012 mettant en évidence des lésions secondaires sous forme d'hyperdensités focalisées, de prise de contraste aussi bien cérébrale que cérébelleuse. De même l'attestation de M. [T] permet de mettre en évidence des soins douloureux, entrecoupés de phases d'hospitalisations, jusqu'au décès de la victime. Il s'ensuit que ces traitements et l'évolution de la maladie constatée en particulier par les examens pratiqués au cours de l'état 2012 mettent en évidence des douleurs physiques s'étant continuées après la déclaration de la maladie qui ont été correctement évaluées par les premiers juges à la somme de 20 000 euros. En ce qui concerne les douleurs morales afférentes à la maladie, celles-ci résultent du caractère inéluctable, évolutif de la maladie affectant une personne relativement jeune, comme âgée de 56 ans lors de la déclaration de la maladie qui conduira à son décès moins de six mois après. Ces souffrances morales résultent également des conditions dégradées de vie qui étaient celles de la victime au cours de ces derniers mois se traduisant par l'impossibilité de réaliser seul les actes de la vie quotidienne, le regard de sa famille et de son épouse comme l'attestation de M. [T] permet de le mettre en évidence. Il s'ensuit que la fixation des souffrances morales à la somme de 50 000 euros comme opérée par les premiers juges apparaît justifiée. » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à démontrer en quoi les souffrances physiques et morales endurées par la victime étaient distinctes de celles réparées au titre du déficit fonctionnel permanent, la cour d'appel de renvoi a violé les textes susvisés.
Revirement: 2e Civ., 28 février 2013, pourvoi n° 11-21.015, Bull. 2013, II, n° 48 (cassation partielle)Egalement Crim., 19 mai 2009, pourvois n° 08-86.050 et 08-86.485 , Bull. crim. 2009, n° 97 (cassation); 2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155; pourvoi n° 07-21.768, Bull. 2009, II, n° 153 ; pourvoi n° 08-16.089, Bull. 2009, II, n° 154
A rapprocher de: Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673, publié (cassation); CE, section, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 23 décembre 2015, n° 374628 ; CE, 18 octobre 2017, n° 404065
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CASS/JURITEXT000047023646.xml | LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION FB
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 20 janvier 2023
Cassation partielle
M. SOULARD, premier président
Arrêt n° 662 B+R
Pourvoi n° V 20-23.673
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 20 JANVIER 2023
1°/ Mme [B] [C], domiciliée [Adresse 6], agissant en qualité d'ayant droit de [D] [C], décédé,
2°/ M. [X] [C], domicilié [Adresse 7], agissant en qualité d'ayant droit de [D] [C], décédé, et agissant également en faveur de ses enfants mineurs, [R] et [I],
ont formé le pourvoi n° V 20-23.673 contre l'arrêt rendu le 29 octobre 2020 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 3), dans le litige les opposant :
1°/ à la société [11], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], et ayant un établissement secondaire [Adresse 1],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche (CPAM), dont le siège est [Adresse 8],
3°/ à la société [5], société par actions simplifiée,
4°/ à la société [9], société par actions simplifiée,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 4],
5°/ au ministre chargé de la sécurité sociale, domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
Par arrêt du 23 juin 2022, la deuxième chambre civile a ordonné le renvoi de l'examen du pourvoi devant l'assemblée plénière.
Les demandeurs au pourvoi invoquent, devant l'assemblée plénière, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [B] [C] et de M. [X] [C].
Un mémoire distinct aux fins de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [B] [C] et de M. [X] [C].
Un mémoire en défense sur la question prioritaire de constitutionnalité a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [11].
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société [11].
Un mémoire en défense de mise hors de cause a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre.
Le rapport écrit de Mme Van Ruymbeke, conseiller, et l'avis écrit de M. Gaillardot, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties.
Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, assisté de M. Allain, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, et l'avis de M. Gaillardot, premier avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 9 décembre 2022 où étaient présents M. Soulard, premier président, MM. Pireyre, Sommer, Mme Teiller, MM. Bonnal, Vigneau, présidents, Mme Duval-Arnould, doyen de chambre faisant fonction de président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, MM. Huglo, Maunand, Mmes Darbois, Martinel, doyens de chambre, M. de Larosière de Champfeu, Mme Auroy, conseillers faisant fonction de doyens de chambre, M. Jacques, Mme Coutou, M. Mornet, Mmes Goanvic, Guillou, conseillers, M. Gaillardot, premier avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,
la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 29 octobre 2020), la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche (la caisse), par décision du 18 juin 2012, a pris en charge, au titre de la législation professionnelle, la pathologie déclarée par [D] [C] (la victime), salarié de la société [10] devenue la société [11] (l'employeur) puis, par décision du 22 août 2012, son décès.
2. Ses ayants droit ont saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Examen du moyen
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en ses trois dernières branches
Enoncé du moyen
4. Les ayants droit font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées par la victime, alors :
« 2°/ qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini par l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité (CE, 8 mars 2013, n° 361273, Lebon – CE, 5 mars 2008, n° 272447, Lebon) ; que l'évolution de la jurisprudence conduit à harmoniser les solutions et à délaisser l'interprétation selon laquelle « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126) ; que, pour infirmer le jugement en ce qu'il a alloué aux consorts [C] certaines sommes à titre d'indemnité pour les souffrances physiques et morales endurées, la cour d'appel a retenue « que, aux termes des articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente ou le capital versé à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent. Ainsi, en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent. Ce poste de préjudice correspond à la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques liées à l'atteinte séquellaire ainsi que les conséquences liées à cette atteinte dans la vie quotidienne » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;
3°/ que lorsqu'en conséquence de la maladie ou de l'accident, la victime souffre d'une incapacité permanente de travail, elle peut, sans avoir à démontrer une faute de son employeur, obtenir une indemnisation destinée à compenser la perte de salaire, constituée d'un capital quand le taux de l'incapacité est inférieur à 10 %, et d'une rente viagère lorsque le taux est égal ou supérieur à ce pourcentage – en contrepartie de la responsabilité sans faute de l'employeur, l'indemnité versée à la victime est forfaitaire et ne couvre pas les préjudices dits extrapatrimoniaux (CEDH, 5e sect., 12 janv. 2017, n° 74374/14, Saumier c/ France, § 54) ; que l'évolution de la jurisprudence conduit à harmoniser les solutions et à délaisser l'interprétation selon laquelle « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126) ; qu'en jugeant que la rente indemnise le déficit fonctionnel permanent et, partant, les souffrances physiques et morales endurées par la victime, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;
4°/ qu'indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ; qu'en jugeant que la rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent qui correspond aux souffrances physiques ou morales endurées par la victime, la cour d'appel a violé l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code la sécurité sociale :
5. Selon les deux premiers de ces textes, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle atteinte d'une incapacité permanente égale ou supérieure au taux de 10 % prévu par l'article R. 434-1 du même code est égale au salaire annuel multiplié par le taux d'incapacité qui peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité de celle-ci.
6. Selon le dernier de ces textes, indépendamment de la majoration de la rente qu'elle reçoit en vertu du troisième, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
7. La Cour de cassation juge depuis 2009 que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent (Crim., 19 mai 2009, pourvois n° 08-86.050 et 08-86.485, Bull. crim. 2009, n° 97 ; 2e Civ., 11 juin 2009, pourvois n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155 ; pourvoi n° 07-21.768, Bull 2009, II, n° 153 ; pourvoi n° 08-16.089, Bull. 2009, II, n° 154).
8. Elle n'admet que la victime percevant une rente d'accident du travail puisse obtenir une réparation distincte des souffrances physiques et morales qu'à la condition qu'il soit démontré que celles-ci n'ont pas été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent (2e Civ., 28 février 2013, pourvoi n° 11-21.015, Bull. 2013, II, n° 48).
9. Si cette jurisprudence est justifiée par le souhait d'éviter des situations de double indemnisation du préjudice, elle est de nature néanmoins, ainsi qu'une partie de la doctrine a pu le relever, à se concilier imparfaitement avec le caractère forfaitaire de la rente au regard du mode de calcul de celle-ci, tenant compte du salaire de référence et reposant sur le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.
10. Par ailleurs, il ressort des décisions des juges du fond que les victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles éprouvent parfois des difficultés à administrer la preuve de ce que la rente n'indemnise pas le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.
11. Enfin, le Conseil d'Etat juge de façon constante qu'eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée à l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini à l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et que dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale au titre d'une telle rente ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice et non sur un poste de préjudice personnel (CE, section, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 23 décembre 2015, n° 374628 ; CE, 18 oct. 2017, n° 404065).
12. L'ensemble de ces considérations conduit la Cour à juger désormais que la rente ne répare pas le déficit fonctionnel permanent.
13. Pour rejeter la demande des ayants droit en réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales endurées par la victime, l'arrêt retient que celle-ci était retraitée lors de la première constatation de la maladie prise en charge au titre du risque professionnel, de sorte qu'elle n'avait subi aucune perte de gains professionnels ni d'incidence professionnelle. Il en déduit que la rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées par [D] [C], l'arrêt rendu le 29 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne la société [11] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le vingt janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils pour Mme [B] [C] et M. [X] [C].
Les consorts [C] font grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR confirmé le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la société [5] à verser aux consorts [C] des sommes à titre d'indemnité pour les souffrances physiques endurées par la victime, et à titre d'indemnité pour les souffrances morales endurées par la victime, de l'AVOIR infirmé de ces chefs, et statuant à nouveau rejeté la demande d'indemnisation au titre des souffrances physiques et morales endurées ;
1) ALORS QUE, la décision du Conseil constitutionnel à intervenir déclarant non conformes à la Constitution, car contraires à l'article 6 de la Déclaration de 1789 et au principe d'égalité, les articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, interprétés en tant que « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126 Civ. 2, 20 décembre 2018, n° 17-29.023 Civ. 2, 25 janvier 2018, n° 17-10.299 Civ. 2, 19 janvier 2017, n° 15-29.437 Civ. 2, 16 juin 2016, n° 15-18.592 Civ. 2, 26 mai 2016, n° 15-18.591 Civ. 2, 31 mars 2016, n° 14-30.015, au Bull.) entraînera l'annulation de l'arrêt frappé de pourvoi ;
2) ALORS QUE, eu égard à sa finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée par l'article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, appliquant au salaire de référence de la victime le taux d'incapacité permanente défini par l'article L. 434-2 du même code, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité (CE, 8 mars 2013, n° 361273, Lebon – CE, 5 mars 2008, n° 272447, Lebon) ; que l'évolution de la jurisprudence conduit à harmoniser les solutions et à délaisser l'interprétation selon laquelle « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126) ; que, pour infirmer le jugement en ce qu'il a alloué aux consorts [C] certaines sommes à titre d'indemnité pour les souffrances physiques et morales endurées, la cour d'appel a retenue « que, aux termes des articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, la rente ou le capital versé à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent. Ainsi, en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent. Ce poste de préjudice correspond à la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques liées à l'atteinte séquellaire ainsi que les conséquences liées à cette atteinte dans la vie quotidienne » (arrêt p. 8 § 12-13) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;
3) ALORS QUE lorsqu'en conséquence de la maladie ou de l'accident, la victime souffre d'une incapacité permanente de travail, elle peut, sans avoir à démontrer une faute de son employeur, obtenir une indemnisation destinée à compenser la perte de salaire, constituée d'un capital quand le taux de l'incapacité est inférieur à 10 %, et d'une rente viagère lorsque le taux est égal ou supérieur à ce pourcentage – en contrepartie de la responsabilité sans faute de l'employeur, l'indemnité versée à la victime est forfaitaire et ne couvre pas les préjudices dits extrapatrimoniaux (CEDH, 5e sect., 12 janv. 2017, n° 74374/14, Saumier c/ France, § 54) ; que l'évolution de la jurisprudence conduit à harmoniser les solutions et à délaisser l'interprétation selon laquelle « la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent et que ne sont réparables les souffrances physiques et morales qu'à la condition de n'être pas indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent » (not. Civ. 2, 22 octobre 2020, n° 19-15.951 Civ. 2, 8 octobre 2020, n° 19-13.126) ; qu'en jugeant que la rente indemnise le déficit fonctionnel permanent et, partant, les souffrances physiques et morales endurées par la victime, la cour d'appel a violé les articles L. 434-1, L. 434-2, L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;
4) ALORS QUE, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ; qu'en jugeant que la rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent qui correspond aux souffrances physiques ou morales endurées par la victime, la cour d'appel a violé l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.
Revirement :2e Civ., 28 février 2013, pourvoi n° 11-21.015, Bull. 2013, II, n° 48 (cassation partielle) ;Crim., 19 mai 2009, pourvois n° 08-86.050 et 08-86.485 , Bull. crim. 2009, n° 97 (cassation) ;2e Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 08-17.581, Bull. 2009, II, n° 155 ; pourvoi n° 07-21.768, Bull. 2009, II, n° 153 ; pourvoi n° 08-16.089, Bull. 2009, II, n° 154A rapprocher de :Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.947, publié (rejet) ;CE, section, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ;CE, 23 décembre 2015, n° 374628 ;CE, 18 octobre 2017, n° 404065
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CASS/JURITEXT000046959991.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 janvier 2023
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 1 FS-B
Pourvoi n° Q 21-13.966
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 5 JANVIER 2023
Mme [I] [S], épouse [V], domiciliée [Adresse 5], a formé le pourvoi n° Q 21-13.966 contre l'arrêt rendu le 7 janvier 2021 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [E] [S], domicilié [Localité 4],
2°/ à Mme [L] [S], domiciliée [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mme [I] [S], de Me Balat, avocat de M. [E] [S], et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 novembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mmes Dard, Beauvois, Mme Agostini, conseillers, M. Duval, Mme Azar, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 7 janvier 2021), [F] [W] a consenti, le 19 octobre 1983, à Mmes [I], [L] et M. [E] [S], ses trois enfants, une donation portant sur la nue-propriété de ses droits sur deux immeubles dépendant de la communauté ayant existé avec [E] [S], son époux prédécédé, et, le 5 juillet 2013, à son fils [E], une donation portant sur l'usufruit de ces immeubles dont elle était titulaire, pour moitié, pour se l'être réservé à la suite de la première donation, et à concurrence de l'autre moitié, en qualité de donataire de la totalité de l'usufruit des biens dépendant de la succession de son époux.
2. [F] [W] est décédée le 13 juillet 2014, en laissant pour lui succéder ses trois enfants.
3. Des difficultés étant survenues au cours des opérations de partage des successions, Mmes [I] et [L] [S] ont assigné leur frère en partage de l'indivision successorale et en paiement d'une indemnité au titre de l'occupation des immeubles.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Mme [I] [S] fait grief à l'arrêt de dire que M. [E] [S], en sa qualité d'usufruitier des deux immeubles successoraux, n'est débiteur d'aucune indemnité d'occupation envers les successions de [E] [S] et [F] [W], et de rejeter en conséquence sa demande de fixation d'une indemnité d'occupation desdits immeubles, alors « que l'usufruit s'éteint par la mort de l'usufruitier ; qu'en cas de donation par l'usufruitier de son droit, l'usufruit s'éteint à la mort du donateur et non du donataire ; qu'il ressort de l'arrêt attaqué que [F] [W] était usufruitière de deux immeubles dépendant de la communauté conjugale formée avec feu [E] [S], d'une part, pour avoir opté au décès de ce dernier pour l'usufruit de l'universalité des biens de sa succession, d'autre part, pour avoir donné, par acte du 19 octobre 1983, la nue-propriété de ses droits sur ces deux immeubles à ses trois enfants ; que par acte du 5 juillet 2013, [F] [W] a ensuite fait donation de l'usufruit sur ces deux immeubles à son fils M. [E] [S] ; qu'il devait s'en déduire que [F] [W], qui n'avait pas pu transmettre plus de droits qu'elle n'en avait, avait fait donation de l'usufruit qui était constitué sur sa tête et qui avait vocation à s'éteindre à son décès et non à celui de M. [E] [S] ; qu'en jugeant au contraire que le décès de [F] [W] n'avait pas mis fin à l'usufruit qu'elle avait donné de son vivant à M. [E] [S], la cour d'appel a violé les articles 595 et 617 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 595, alinéa 1, et 617 du code civil :
5. Aux termes du premier de ces textes, l'usufruitier peut céder son droit à titre gratuit.
6. Selon le second, l'usufruit s'éteint notamment par la mort de l'usufruitier.
7. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'en cas de donation d'un usufruit déjà constitué à titre viager, l'usufruit s'éteint à la mort du donateur et non du donataire.
8. Pour rejeter la demande d'indemnité d'occupation formée par Mmes [I] et [L] [S] à l'encontre de M. [E] [S], l'arrêt retient que l'usufruit donné le 5 juillet 2013 se serait éteint à la mort de [F] [W] si celle-ci n'en avait pas fait donation à son fils de son vivant et que, si les trois enfants étaient nus-propriétaires des immeubles, M. [E] [S] disposait de la totalité de l'usufruit.
9. En statuant ainsi, alors que l'usufruit viager donné, qui avait été constitué au bénéfice de [F] [W], s'était éteint à son décès, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour:
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que M. [E] [S], en sa qualité d'usufruitier des deux immeubles successoraux sis à [Localité 4] (34) cadastrés [Cadastre 1] et [Cadastre 2], n'est débiteur envers les successions de [E] [S] et [F] [W] d'aucune indemnité d'occupation et, en conséquence, déboute Mmes [I] et [L] [S] de leur demande de fixation d'une indemnité au titre de l'occupation desdits immeubles, l'arrêt rendu le 7 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Condamne M. [E] [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [E] [S] et le condamne à payer à Mme [I] [S] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour Mme [I] [S].
Mme [I] [S] épouse [V] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que M. [E] [S], en sa qualité d'usufruitier des deux immeubles successoraux n'est débiteur d'aucune indemnité d'occupation envers les successions de [E] [S] et [F] [W], et de l'avoir en conséquence déboutée de sa demande de fixation d'une indemnité d'occupation desdits immeubles,
Alors que l'usufruit s'éteint par la mort de l'usufruitier ; qu'en cas de donation par l'usufruitier de son droit, l'usufruit s'éteint à la mort du donateur et non du donataire ; qu'il ressort de l'arrêt attaqué que [F] [W] était usufruitière de deux immeubles dépendant de la communauté conjugale formée avec feu [E] [S], d'une part, pour avoir opté au décès de ce dernier pour l'usufruit de l'universalité des biens de sa succession, d'autre part, pour avoir donné, par acte du 19 octobre 1983, la nue-propriété de ses droits sur ces deux immeubles à ses trois enfants (arrêt, pp. 3, 4 et 5) ; que par acte du 5 juillet 2013, [F] [W] a ensuite fait donation de l'usufruit sur ces deux immeubles à son fils M. [E] [S] (arrêt, p. 5) ; qu'il devait s'en déduire que [F] [W], qui n'avait pas pu transmettre plus de droits qu'elle n'en avait, avait fait donation de l'usufruit qui était constitué sur sa tête et qui avait vocation à s'éteindre à son décès et non à celui de M. [E] [S] ; qu'en jugeant au contraire que le décès de [F] [W] n'avait pas mis fin à l'usufruit qu'elle avait donné de son vivant à M. [E] [S], la cour d'appel a violé les articles 595 et 617 du code civil.
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CASS/JURITEXT000046990279.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 janvier 2023
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 38 F-B
Pourvoi n° C 21-18.762
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 JANVIER 2023
M. [O] [F], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 21-18.762 contre l'arrêt rendu le 23 avril 2021 par la cour d'appel de Douai (renvoi après cassation - prud'hommes), dans le litige l'opposant à la société Daw France, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Delbano, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de M. [F], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Daw France, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Delbano, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 23 avril 2021), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 8 janvier 2020, pourvoi n° 18-20.438) et les productions, M. [F], engagé par la société Daw France (la société) à compter du 2 janvier 2001 en qualité de directeur technique international grand public et de directeur technique de Caparol France au statut de cadre dirigeant, est parti à la retraite à effet au 1er janvier 2015.
2. Le 19 juin 2016, il a saisi la juridiction prud'homale aux fins de dire que son départ à la retraite, imputable à l'employeur, s'analysait en un licenciement nul et a réclamé le paiement de diverses sommes au titre de cette rupture du contrat de travail ainsi qu'au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence.
3. Par jugement du 6 décembre 2016, un conseil de prud'hommes a condamné la société à lui payer une certaine somme au titre de l'indemnité de départ à la retraite ainsi qu'à lui remettre les documents y afférents et l'a débouté de ses autres demandes.
4. Sur l'appel de M. [F], une cour d'appel a, par arrêt du 6 juin 2018, infirmé le jugement en toute ses dispositions et a condamné la société à lui payer diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité contractuelle, de dommages-intérêts pour licenciement nul ainsi qu'au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et des congés payés y afférents.
5. Par arrêt du 8 janvier 2020 (Soc., 8 janvier 2020, pourvoi n° 18-20.438), la Cour de cassation a cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il condamne la société Daw France à payer à M. [F] la somme de 244 810 euros au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la somme de 24 481 euros au titre des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 6 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens.
6. La cour d'appel saisie sur renvoi a déclaré la saisine recevable et, dans les limites de la cassation, a confirmé le jugement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
7. M. [F] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement rendu en formation de départage par le conseil des prud'hommes d'Amiens le 6 décembre 2016 section encadrement qui avait rejeté la demande relative à la condamnation de la société Daw France au paiement de la somme de 161 953,75 euros à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence due au 31 mars 2016, et chaque mois à compter de cette date à la somme de 11 047,75 euros, outre les congés payés afférents soit la somme de 1 104,75 euros, alors que :
« 1°/ la cour d'appel de renvoi doit statuer sur les dernières conclusions déposées par les parties ; que si dans ses premières conclusions en date du 5 juin 2020, M. [F] avait sollicité voir : « Réformer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [F] de sa demande de contrepartie financière à la clause de non-concurrence, - Donner acte à Monsieur [F] de ce qu'il accepte que les appointements mensuels à prendre en compte correspondent à son salaire de base, soit, la somme mensuelle brute de 10 165 euros - En conséquence, dire que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence qui lui est due, est d'un montant brut de 162 639,99 euros, outre les congés payés y afférents, soit 16 263,99 euros », il avait complété celles-ci par des conclusions n° 2, sur renvoi après cassation, notifiées par RPVA du 27 novembre 2020, et avait demandé à la cour de renvoi de : « Réformer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [F] de sa demande de contrepartie financière à la clause de non-concurrence, - Donner acte à Monsieur [F] de ce qu'il accepte que les appointements mensuels à prendre en compte correspondent à son salaire de base, soit, la somme mensuelle brute de 10 165 euros. - En conséquence, dire que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence qui lui est due, est d'un montant brut de 162 639,99 euros, outre les congés payés y afférents, soit 16 263,99 euros. - Condamner par voie de conséquences la société DAW France à payer à Monsieur [F] la somme de 162 639,99 euros, outre les congés payés y afférents, soit la somme de 16 263,99 euros » ; qu'en refusant de statuer au vu des dernières conclusions du 27 novembre 2020 sollicitant la condamnation de la société Daw France à payer M. [F] une somme au titre de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence, aux motifs que le salarié s'était borné dans le dispositif de ses premières conclusions à conclure à la réformation de la décision sans formuler de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu le 6 décembre 2016 par le conseil des prud'hommes d'Amiens, de sorte que la cour n'était pas saisie de prétentions relatives à ces demandes, la cour d'appel a violé l'article 954 du code de procédure civile ;
2°/ l'article 910-4 du code de procédure civile, qui dispose qu'« à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond », ne renvoie pas aux conclusions visées par l'article 1037-1 du même code concernant la procédure de renvoi après cassation ; qu'en conséquence, le demandeur peut, devant la cour d'appel de renvoi, compléter ses premières conclusions et formuler de nouvelles demandes ou prétentions dans des conclusions postérieures ; qu'en affirmant que « l'article 954 du code de procédure civile fait désormais obligation aux parties de récapituler leurs prétentions sous forme de dispositif dans les conclusions, la cour ne statuant que sur les prétentions visées dans le dispositif, lesquelles auront par ailleurs été toutes présentées, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, dès le premier jeu de conclusions notifiées devant la cour » et en décidant que l'obligation de concentration des prétentions dès les premières conclusions d'appel était applicable aux conclusions déposées devant la cour d'appel de renvoi, de sorte que les conclusions initiales de M. [F] ne formulant pas de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Amiens le 6 décembre 2016, il n'y avait pas lieu de tenir compte des demandes formulées à l'encontre de la société Daw France dans des conclusions ultérieures, la cour d'appel a violé les articles 910-4, 954 et 1037-1 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 910-4 et 954, alinéa 3 et 1037-1 du code de procédure civile :
8. Il résulte du premier de ces textes qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond, et du second, que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
9. Il résulte du dernier de ces textes que, lorsque la connaissance d'une affaire est renvoyée à une cour d'appel par la Cour de cassation, ce renvoi n'introduit pas une nouvelle instance, la cour d'appel de renvoi étant investie, dans les limites de la cassation intervenue, de l'entier litige tel que dévolu à la juridiction dont la décision a été cassée, l'instruction étant reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation.
10. Ainsi, la cassation de l'arrêt n'anéantit pas les actes et formalités de la procédure antérieure, et la cour d'appel demeure saisie des conclusions remises à la cour d'appel initialement saisie.
11. Il s'ensuit que le principe de concentration des prétentions résultant de l'article 910-4 s'applique devant la cour d'appel de renvoi, non pas au regard des premières conclusions remises devant elle par l'appelant, mais en considération des premières conclusions de celui-ci devant la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé.
12. Pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que le dispositif des premières conclusions remises devant elle par l'appelant ne comporte aucune demande à l'encontre de la société et que c'est dans les conclusions déposées dans un second temps qu'une demande en ce sens a été formulée. Il ajoute que M. [F] se borne, dans le dispositif de ses conclusions, à conclure à la réformation de la décision sans formuler de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu le 6 décembre 2016 par le conseil des prud'hommes d'Amiens.
13. En statuant ainsi, en prenant en compte, non le dispositif des premières conclusions de l'appelant remises à la cour d'appel dont la décision a été cassée, mais celui des premières conclusions de l'appelant devant elle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée.
Condamne la société Daw France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Daw France et la condamne à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour M. [F]
M. [F] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu en formation de départage par le conseil des prud'hommes d'Amiens le 6 décembre 2016 Section Encadrement qui avait rejeté la demande relative à la condamnation de la SASU Daw France au paiement de la somme de 161.953,75 € à titre de contrepartie financière de la clause de non concurrence due au 31 mars 2016, et chaque mois à compter de cette date à la somme de 11.047,75 €, outre les congés payés afférents soit la somme de 1.104,75 € ;
1°) ALORS QUE la cour d'appel de renvoi doit statuer sur les dernières conclusions déposées par les parties ; que si dans ses premières conclusions en date du 5 juin 2020 (cf. prod.), M. [F] avait sollicité voir : « Réformer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [F] de sa demande de contrepartie financière à la clause de non-concurrence, - Donner acte à Monsieur [F] de ce qu'il accepte que les appointements mensuels à prendre en compte correspondent à son salaire de base, soit, la somme mensuelle brute de 10.165 € - En conséquence, dire que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence qui lui est due, est d'un montant brut de 162.639,99 €, outre les congés payés y afférents, soit 16.263,99 € », il avait complété celles-ci par des conclusions n°2, sur renvoi après cassation, notifiées par RPVA du 27 novembre 2020 (cf. prod.), et avait demandé à la cour de renvoi de : « Réformer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [F] de sa demande de contrepartie financière à la clause de non-concurrence, - Donner acte à Monsieur [F] de ce qu'il accepte que les appointements mensuels à prendre en compte correspondent à son salaire de base, soit, la somme mensuelle brute de 10.165 €. - En conséquence, dire que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence qui lui est due, est d'un montant brut de 162.639,99 €, outre les congés payés y afférents, soit 16.263,99 €. - Condamner par voie de conséquences la société DAW France à payer à Monsieur [F] la somme de 162.639,99 €, outre les congés payés y afférents, soit la somme de 16.263,99 € » ; qu'en refusant de statuer aux vu des dernières conclusions du 27 novembre 2020 sollicitant la condamnation de la société Daw France à payer M. [F] une somme au titre de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence, aux motifs que le salarié s'était borné dans le dispositif de ses premières conclusions à conclure à la réformation de la décision sans formuler de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu le 6 décembre 2016 par le conseil des prud'hommes d'Amiens, de sorte que la cour n'était pas saisie de prétentions relatives à ces demandes, la cour d'appel a violé l'article 954 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE l'article 910-4 du code de procédure civile, qui dispose qu' « à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond », ne renvoie pas aux conclusions visées par l'article 1037-1 du même code concernant la procédure de renvoi après cassation ; qu'en conséquence, le demandeur peut, devant la cour d'appel de renvoi, compléter ses premières conclusions et formuler de nouvelles demandes ou prétentions dans des conclusions postérieures ; qu'en affirmant que « l'article 954 du code de procédure civile fait désormais obligation aux parties de récapituler leurs prétentions sous forme de dispositif dans les conclusions, la cour ne statuant que sur les prétentions visées dans le dispositif, lesquelles auront par ailleurs été toutes présentées, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, dès le premier jeu de conclusions notifiées devant la cour » et en décidant que l'obligation de concentration des prétentions dès les premières conclusions d'appel était applicable aux conclusions déposées devant la cour d'appel de renvoi, de sorte que les conclusions initiales de M. [F] ne formulant pas de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Amiens le 6 décembre 2016, il n'y avait pas lieu de tenir compte des demandes formulées à l'encontre de la société Daw France dans des conclusions ultérieures, la cour d'appel a violé les articles 910-4, 954 et 1037-1 du code de procédure civile ;
3°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QU'en application de l'article 634 du code de procédure civile, les parties qui ne formulent pas de moyens nouveaux ou de nouvelles prétentions sont réputées s'en tenir aux moyens et prétentions qu'elles avaient soumis à la juridiction dont la décision a été cassée ; qu'en décidant que les conclusions initiales de M. [F] ne formulant pas de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Amiens le 6 décembre 2016, il n'y avait pas lieu de tenir compte des demandes formulées à l'encontre de la société Daw France dans des conclusions ultérieures et de confirmer purement et simplement le jugement, la cour d'appel, qui était tenue de se référer aux conclusions d'appel prises dans l'intérêt de M. [F] devant la cour d'appel d'Amiens le 19 décembre 2017 (cf. Prod.) et qui demandaient la condamnation de la société Daw France au paiement d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence, outre les congés payés y afférents a violé l'article 634 du code de procédure civile ;
4°) ALORS, PLUS SUBSIDIAIREMENT, QUE si les parties doivent en principe présenter l'ensemble de leurs prétentions au fond dès les premières conclusions d'appel, demeurent néanmoins recevables les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ; qu'en écartant les conclusions n°2 sur renvoi après cassation de M. [F], notifiées par RPVA du 27 novembre 2020 (cf. prod.), sans rechercher, comme elle le devait, si ces conclusions ne tendaient pas à répliquer aux conclusions et pièces adverses et rendaient ainsi recevable la demande tendant à voir condamner la SASU Daw France à payer à M. [F] la somme de 162.639,99 € à titre de contrepartie financière de la clause de non concurrence, outre les congés payés afférents, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 910-4, alinéa 2, du code de procédure civile ;
5°) ALORS QUE la notion de procès équitable, laquelle suppose l'égalité des armes, doit offrir à chaque partie à un procès une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ; qu'en confirmant le jugement entrepris en ce qu'il avait débouté M. [F] de sa demande tendant à la condamnation de la société Daw France à lui payer la somme de 161.953,75 € à titre de contrepartie financière de la clause de non concurrence, outre les congés payés afférents, aux motifs que les premières conclusions déposées par M. [F] devant la cour de renvoi ne formulaient pas de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu le 6 décembre 2016 par le conseil de prud'hommes d'Amiens, la cour d'appel, qui a refusé de statuer au vu des dernières conclusions régulièrement notifiées le 27 novembre 2020 (cf. prod.) et au vu des conclusions d'appel prises dans l'intérêt de M. [F] devant la cour d'appel d'Amiens le 19 décembre 2017 (cf. prod.) et qui demandaient la condamnation de la société Daw France au paiement d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence, outre les congés payés y afférents, a méconnu le principe d'égalité des armes et a violé l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
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CASS/JURITEXT000046990285.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 janvier 2023
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 64 F-B
Pourvoi n° P 21-10.469
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 JANVIER 2023
La société Losur, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-10.469 contre l'arrêt rendu le 9 septembre 2020 par la cour d'appel de Nancy (5e chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société L'Eau reine traitement des eaux, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Losur, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société L'Eau reine traitement des eaux, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 9 septembre 2020), par requête du 18 mai 2015, la société Losur a saisi le président d'un tribunal de commerce, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, afin de faire constater par un huissier de justice la violation de l'obligation de confidentialité d'un ancien salarié au sein de la société L'Eau reine traitement des eaux (la société L'Eau reine).
2. Cette requête a été rejetée par ordonnance du 8 juin 2015, laquelle a été infirmée par un arrêt du 25 novembre 2015 rectifié le 9 mars 2016, qui a fait droit à la requête. Les mesures d'instruction ont été réalisées le 27 juin 2016.
3. La société L'Eau reine a sollicité la rétractation de cet arrêt, demande qui a été rejetée par un arrêt du 30 novembre 2016.
4. Ayant été assignée par la société Losur le 11 décembre 2017 en réparation du préjudice résultant des actes de concurrence déloyale, la société L'Eau reine a reconventionnellement demandé la nullité des procès-verbaux dressés par l'huissier de justice.
Examen des moyens
Sur le second moyen, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. La société Losur fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité des opérations de constat effectuées par M. [F], huissier de justice, le 27 juin 2016, au siège de la société L'Eau reine, alors :
« 1°/ que dans le cadre de l'exécution d'une ordonnance sur requête, copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée ; que cette formalité, prescrite à peine de nullité des opérations alors effectuées, peut être accomplie à tout moment pourvu que les droits de la défense ne s'en trouvent pas compromis, ce qui est le cas lorsque la personne qui subit la mesure est mise à même de former un recours en rétractation de cette ordonnance ; qu'en retenant, pour prononcer la nullité du procès-verbal de saisie, que la copie de la requête, de l'ordonnance de rejet ainsi que de l'arrêt infirmatif ayant finalement fait droit à la requête en mesure d'instruction in futurum, avaient été communiqués postérieurement aux opérations de constat, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition que celle-ci ne prévoit pas, violant ainsi l'article 495 alinéa 3 du code de procédure civile ;
2°/ que dans le cadre de l'exécution d'une ordonnance sur requête, ne doivent être remises que la copie de la requête initiale et celle de la décision accordant les mesures sollicitées ; qu'en prononçant la nullité du constat litigieux en relevant que l'huissier n'avait pas remis à la société L'Eau reine « l'ordonnance aux termes de laquelle [le tribunal] avait rejeté » la requête initiale à laquelle il n'avait été fait droit qu'en cause d'appel, la cour d'appel a violé l'article 495, alinéa 3, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Selon l'article 495, alinéa 3, du code de procédure civile, la copie de la requête et celle de la décision faisant droit à la requête sont laissées à la personne à laquelle elle est opposée.
8. Il en résulte que lorsqu'une cour d'appel infirme une ordonnance ayant rejeté la requête, seule la copie de cette requête et celle de l'arrêt tenant lieu d'ordonnance sur requête, à l'exclusion de la copie de l'ordonnance ayant rejeté la requête, sont laissées à la personne à laquelle cette décision est opposée. Cette exigence qui est fondée sur le respect du principe de la contradiction implique que cette remise ait lieu antérieurement à l'exécution des mesures d'instruction qu'elle ordonne, sauf si le juge des requêtes en a disposé autrement.
9. L'arrêt relève que l'huissier de justice n'a pas remis la copie de la requête, peu important que l'intimée en ait finalement été destinataire par un échange de pièces entre les conseils respectifs des parties intervenu préalablement à la saisine du juge de la rétractation par la société L'Eau reine.
10. De cette seule constatation, abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la seconde branche tenant à l'absence de remise de l'ordonnance ayant rejeté la requête, la cour d'appel en a exactement déduit que le procès-verbal de constat de l'huissier de justice du 27 juin 2016 était entaché de nullité.
11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société Losur aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Losur et la condamne à payer à la société L'Eau reine traitement des eaux la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille vingt-trois. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour la société Losur
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Losur fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la nullité des opérations de constat effectuées par Me [F], huissier de justice, le 27 juin 2016, au siège de la société L'eau reine ;
1°) Alors, d'une part, que dans le cadre de l'exécution d'une ordonnance sur requête, copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée ; que cette formalité, prescrite à peine de nullité des opérations alors effectuées, peut être accomplie à tout moment pourvu que les droits de la défense ne s'en trouvent pas compromis, ce qui est le cas lorsque la personne qui subit la mesure est mise à même de former un recours en rétractation de cette ordonnance ; qu'en retenant, pour prononcer la nullité du procès-verbal de saisie, que la copie de la requête, de l'ordonnance de rejet ainsi que de l'arrêt infirmatif ayant finalement fait droit à la requête en mesure d'instruction in futurum, avaient été communiqués postérieurement aux opérations de constat, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition que celle-ci ne prévoit pas, violant ainsi l'article 495 alinéa 3 du code de procédure civile ;
2°) Alors, d'autre part, que dans le cadre de l'exécution d'une ordonnance sur requête, ne doivent être remises que la copie de la requête initiale et celle de la décision accordant les mesures sollicitées ; qu'en prononçant la nullité du constat litigieux en relevant que l'huissier n'avait pas remis à la société L'eau reine « l'ordonnance aux termes de laquelle [le tribunal] avait rejeté » (arrêt, p. 6) la requête initiale à laquelle il n'avait été fait droit qu'en cause d'appel, la cour d'appel a violé l'article 495 alinéa 3 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
La société Losur fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Losur de sa demande de condamnation de la société L'eau reine pour des faits de concurrence déloyale ;
1°) Alors d'une part que le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, le bordereau de communication de pièces de la société Losur visait, d'une part, les éléments recueillis aux termes des opérations de constat réalisées au siège de la société L'eau reine destinées à mettre en évidence la commission d'actes de concurrence déloyale par la société L'eau reine et, d'autre part, d'autres documents (n° 1 à 25 ; voir prod.), ces éléments de preuve établissant également la commission de tels actes ; qu'en rejetant les demandes de la société Losur après avoir annulé le procès-verbal de constat en relevant que « les moyens de preuve produits par la plaignante au soutien de son action en concurrence déloyale [provenaient] de manière exclusive des constatations énoncées par le procès-verbal » (arrêt, p. 6), la cour d'appel a dénaturé ce bordereau et a violé le principe susvisé ;
2°) Alors, d'autre part, que le juge ne peut refuser d'examiner, même sommairement, les pièces versées aux débats par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en l'espèce, la société Losur produisait un compte-rendu d'un ancien salarié (pièce n° 15 ; voir prod.) ainsi qu'un devis de la société L'eau reine (pièce n° 16 ; voir prod.), dont il résultait que cette dernière avait commis des actes de concurrence déloyale à son encontre et sur la foi de laquelle elle avait alors sollicité la réalisation d'opérations de constat par voie d'huissier (voir conclusions d'appel, p. 9) ; qu'en se bornant toutefois à juger que « les moyens de preuve produits par la plaignante au soutien de son action en concurrence déloyale proven[aient] de manière exclusive des constatations énoncées par le procès-verbal » (arrêt, p. 6), sans examiner, serait-ce sommairement, ces pièces, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé et violé l'article 455 du code de procédure civile.
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CASS/JURITEXT000046990281.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 janvier 2023
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 49 F-B
Pourvoi n° W 20-20.063
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 JANVIER 2023
M. [F] [R], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 20-20.063 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2020 par la cour d'appel de Caen (première chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme [T] [W], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Latreille, conseiller référendaire, les observations de Me Ridoux, avocat de M. [R], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [W], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Latreille, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 7 juillet 2020), par arrêt du 7 septembre 2006, la cour d'appel de Caen a condamné M. [R] à payer à son épouse, Mme [W], une pension alimentaire mensuelle de 380 euros à compter du 28 novembre 2005.
2. Celle-ci a poursuivi son recouvrement par une procédure de paiement direct à compter du mois d'octobre 2006.
3. Le divorce des époux a été prononcé par jugement du 2 mars 2009, qui a condamné M. [R] à payer à son épouse une prestation compensatoire sous forme de rente viagère d'un montant mensuel de 400 euros.
4. Par arrêt du 23 septembre 2010, la cour d'appel de Caen a condamné M. [R] à payer à Mme [W] une prestation compensatoire sous la forme d'un capital de 40 000 euros.
5. Par acte du 23 août 2018, M. [R] a assigné Mme [W] devant un juge de l'exécution afin d'obtenir la mainlevée de la procédure de paiement direct et une condamnation à dommages-intérêts pour procédure abusive.
6. Par décision avant dire droit du 12 avril 2019, le juge de l'execution a dit que le prononcé du divorce était devenu irrévocable au 23 septembre 2012 et sollicité les observations des parties sur les conséquences qu'elles entendaient en tirer.
7. Par jugement du 29 novembre 2019, le juge de l'execution a débouté M. [R] de sa demande d'exonération de la majoration du taux d'intérêts légal, fixé le montant dû par lui au titre de la prestation compensatoire à la somme de 24 252,85 euros arrêtée au 30 juin 2019 et l'a débouté de ses demandes de délais de paiement et de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. M. [R] fait grief à l'arrêt de dire que sa dette au titre de la prestation compensatoire s'élevait à la somme de 24 252,85 euros, somme arrêtée au 30 juin 2019, alors « que le taux majoré d'intérêt légal ne court qu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification de la décision de condamnation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 23 septembre 2010 ayant condamné M. [R] à payer une prestation de 40 000 euros à Mme [W], n'avait été signifié à l'exposant que le 2 janvier 2018 ; que dès lors, en jugeant que M. [R] était devenu débiteur du taux d'intérêt légal majoré de cinq points deux mois après le 23 novembre 2012, la cour d'appel a violé l'article 503 du nouveau code de procédure civile, ensemble l'article 313-3 du code monétaire et financier. »
Recevabilité du moyen
10. Mme [W] conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est contraire aux conclusions de M. [R] devant la cour d'appel, et à tout le moins nouveau, mélangé de fait et de droit.
11. Cependant, dans ses conclusions d'appel, M. [R] contestait les calculs réalisés par Mme [W] et le bénéfice par cette dernière d'intérêts majorés aux motifs qu'il était impossible de considérer que les intérêts étaient acquis avant la décision du juge de l'exécution du 29 novembre 2019, et par ailleurs, sur le fondement des articles 502 et 503 du code de procédure civile, qu'il n'avait nullement connaissance de la décision fixant la prestation compensatoire en capital avant sa notification qui n'est intervenue qu'à compter du mois de mars 2018.
12. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 313-3, alinéa 1er, du code monétaire et financier, et 503 du code de procédure civile :
13. Selon le premier de ces textes, en cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision.
14. Il résulte du second de ces textes que les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu'après leur avoir été notifiés, à moins que l'exécution n'en soit volontaire.
15. Il s'en déduit que le taux de l'intérêt légal majoré n'est applicable qu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de condamnation a été notifiée.
16. Pour arrêter la somme restant due par M. [R] au 30 juin 2019 à 24 252,85 euros, l'arrêt retient que l'article L. 313-3 du code monétaire et financier dispose que le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points deux mois après que la décision de justice soit devenue exécutoire, soit en l'espèce, à compter du 23 novembre 2012.
17. En statuant ainsi, alors que le taux majoré de l'intérêt légal ne court qu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification de la décision, intervenue le 2 janvier 2018, soit le 2 mars 2018, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a arrêté la somme restant due par M. [R] au 30 juin 2019 à 24 252,85 euros, l'arrêt rendu le 7 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes.
Condamne Mme [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [W] et la condamne à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Ridoux, avocat aux Conseils, pour M. [R]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [F] [R] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué de L'AVOIR débouté de sa demande d'exonération de la majoration du taux d'intérêt légal, et D'AVOIR dit que la créance due par M. [F] [R] au titre de la prestation compensatoire s'élevait à la somme de 24 252,85 euros somme arrêtée au 30 juin 2019 ;
1°) ALORS, d'une part, QUE le juge de l'exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de la majoration ou en réduire le montant ; qu'en l'espèce, dans ses écritures d'appel, M. [R] demandait en tout état de cause à être exonéré de la majoration de cinq points de l'intérêt, en exposant sa situation patrimoniale et de santé (conclusions d'appel, p. 10-11) ; qu'il indiquait disposer d'une modeste retraite pour faire face à ses charges, aider sa fille, et devoir en outre affronter un cancer (ibid.) ; qu'à l'appui de sa démonstration, il produisait non seulement un relevé bancaire confirmant le montant de sa retraite, ainsi que plusieurs relevés bancaires établissant ses différentes charges, déjà communiqués en première instance (production n° 5), mais également des pièces nouvelles en appel, consistant dans de nouveaux relevés bancaires et dans un justificatif de son état de santé (productions n° 6 et 7) ; que dès lors, en se bornant à affirmer que M. [R] ne produisait pas « d'éléments justifiant qu'il soit fait application » des dispositions légales autorisant l'exonération de la majoration (arrêt attaqué, p. 4 ; jugement entrepris, p. 4), sans s'expliquer sur l'ensemble des éléments précités, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier ;
2°) ALORS, d'autre part, QUE dans ses écritures d'appel, pour demander l'exonération de la majoration des intérêts, M. [R] faisait valoir qu'il avait fait l'objet d'une procédure de paiement direct mise en place par Mme [W] jusqu'en 2018, au titre d'une pension alimentaire qui n'était plus due depuis de nombreuses années (conclusions d'appel, p. 8 à 10) ; qu'il ajoutait que Mme [W] avait d'abord elle-même affirmé que l'arrêt du 23 septembre 2010, ayant condamné M. [R] à lui payer une prestation compensatoire d'un montant de 40 000 euros, n'était devenu définitif que le 02 mars 2018, deux mois après sa signification, que les versements antérieurs se rapportaient à la pension alimentaire au titre du devoir de secours, pensant ainsi pouvoir lui réclamer le paiement de l'intégralité de la somme de 40 000 euros au titre de la prestation compensatoire en 2018 (conclusions d'appel, p. 1, et p. 8 à 10 ; productions n° 8 et 9) ; que dès lors, en rejetant la demande d'exonération de la majoration formée par l'exposant, sans répondre au moyen précité tiré du comportement blâmable et contradictoire de Mme [W], la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°) ALORS, en outre, QUE le jugement doit être motivé ; qu'en l'espèce, M. [R] faisait valoir qu'il n'avait eu connaissance de l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 23 septembre 2010 qu'avec la signification qui lui en avait été faite par Mme [W] le 02 janvier 2018 (conclusions d'appel, en partic. p. 6 dernier § et p. 7) ; qu'en se bornant à affirmer que M. [R] « ne pouvait ignorer la teneur » de cet arrêt (arrêt attaqué, p. 4 § 7), la cour d'appel, qui a statué par voie de pure affirmation, n'a pas motivé sa décision a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°) ET ALORS QUE l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier ne distingue pas selon que les intérêts sont dus pour la période antérieure ou postérieure à la décision du juge de l'exécution ; que le juge de l'exécution peut exonérer le débiteur de la majoration afférente aux intérêts dus pour la période antérieure à sa décision ; que dès lors, en décidant, à supposer ces motifs adoptés, que le juge de l'exécution ne pouvait accorder cette exonération « qu'à compter de la date de la décision et pour les intérêts à échoir, sans pouvoir remettre en cause rétroactivement les intérêts majorés déjà acquis au créancier de la condamnation prononcée » (jugement entrepris, p. 4 § 4), la cour d'appel a violé l'article L. 313-3, alinéa 2, du code monétaire et financier.
SECOND MOYEN DE CASSATION
M. [F] [R] FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR dit que la créance qu'il devait au titre de la prestation compensatoire s'élevait à la somme de 24 252,85 euros somme arrêtée au 30 juin 2019 ;
ALORS QUE le taux majoré d'intérêt légal ne court qu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification de la décision de condamnation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 23 septembre 2010 ayant condamné M. [R] à payer une prestation de 40 000 euros à Mme [W], n'avait été signifié à l'exposant que le 02 janvier 2018 (arrêt attaqué, p. 2) ; que dès lors, en jugeant que M. [R] était devenu débiteur du taux d'intérêt légal majoré de cinq points deux mois après le 23 novembre 2012 (arrêt attaqué, p. 4), la cour d'appel a violé l'article 503 du nouveau code de procédure civile, ensemble l'article 313-3 du code monétaire et financier.
2e Civ., 4 avril 2002, pourvoi n° 00-19.822, Bull. 2002, II, n° 69 (cassation).
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COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 janvier 2023
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 57 F-B
Pourvoi n° Z 20-16.800
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 JANVIER 2023
La société Strasbourg soixante, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Z 20-16.800 contre l'arrêt rendu le 21 avril 2020 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [L] [B], domicilié [Adresse 4], pris en qualité d'héritier de sa mère, [X] [Y], veuve [I], décédée le [Date décès 1] 2021,
2°/ à Mme [R] [H], domiciliée [Adresse 3], prise en qualité de mandataire successoral d'[U] [I],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Strasbourg soixante, de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [H], en qualité de mandataire successoral d'[U] [I], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Reprise d'instance
1. Par arrêt du 19 mai 2022 (2e Civ., 19 mai 2022, pourvoi n° 20-16.800), la Cour de cassation a constaté l'interruption de l'instance résultant du décès de [X] [Y], veuve [I], imparti aux parties un délai de quatre mois à compter de l'arrêt pour reprendre l'instance, dit qu'à défaut de l'accomplissement dans ce délai des diligences nécessaires, la radiation du pourvoi serait prononcée et dit que l'affaire serait à nouveau examinée à l'audience du 4 octobre 2022.
2. Il est justifié, par les productions, de la signification, par acte du 25 août 2022, du mémoire ampliatif à M. [L] [B], en qualité d'héritier de [X] [Y].
3. Il y a lieu de donner acte aux parties de la reprise d'instance.
Faits et procédure
4. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 avril 2020), statuant sur renvoi après cassation, Mme [H] a été désignée, par ordonnance du 21 janvier 2010, en qualité de mandataire « successoral » à la succession d'[U] [I].
5. Sur des poursuites de saisie immobilière, un immeuble appartenant en indivision à Mme [Y], veuve d'[U] [I], propriétaire à hauteur d'un quart en pleine propriété et trois quarts en usufruit, et M. [C] [I], son beau-fils, propriétaire à hauteur des trois quarts en nue-propriété, a été adjugé à la société Strasbourg soixante (la société).
6. Le 24 juin 2016, la société a fait pratiquer, sur le fondement d'une ordonnance de référé ayant condamné Mme [Y] à lui verser des indemnités d'occupation, une saisie-attribution entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats de [Localité 5], séquestre du prix de vente.
7. Par jugement du 15 novembre 2016, un juge de l'exécution a ordonné la mainlevée de la saisie.
8. Par ordonnance du 18 mai 2017, un juge des référé a ordonné au séquestre de remettre le solde du prix d'adjudication à Mme [H], ès qualités.
9. Le jugement du 15 novembre 2016 a été confirmé par l'arrêt d'une cour d'appel, rendu le 11 janvier 2018, qui a été cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 15 mai 2019 (1re Civ., 15 mai 2019, pourvoi n° 18-12.779).
Examen du moyen
Enoncé du moyen
10. La société fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée à sa requête, le 24 juin 2016, entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocats de [Localité 5] à l'encontre de Mme [Y], veuve [I], pour recouvrement de la somme de 16 340,01 euros mais de dire que cette saisie était privée de son effet attributif, alors « que l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit ; que si, en matière de mainlevée des mesures d'exécution forcée, l'appel n'a pas d'effet suspensif et si la décision emporte, dès sa notification suppression de tout effet d'indisponibilité, sauf sursis à exécution ordonné par le premier président de la cour d'appel, l'infirmation de la décision de main-levée fait retrouver à la saisie sa validité et autorise le débiteur à se voir remettre la chose objet de la saisie, le cas échéant, par le tiers saisi s'il l'a conservée, ou par le débiteur à qui elle a été remise si elle se retrouve ; que dès lors, l'infirmation de la décision de main-levée de la saisie pratiquée entre les mains du bâtonnier faisait retrouver à la saisie son effet attributif et autorisait la société Strasbourg soixante à se faire remettre les fonds saisis par le mandataire de la succession à qui le bâtonnier, tiers saisi, les avait remis ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 561 du code de procédure civile, R. 121-18 et R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
11. Aux termes de l'article R. 121-18 du code des procédures civiles d'exécution, la décision de mainlevée des mesures d'exécution forcée ou des mesures conservatoires emporte, dans la limite de son objet, suspension des poursuites dès son prononcé et suppression de tout effet d'indisponibilité dès sa notification. Il en résulte que la saisie-attribution perd son effet attributif dès la notification d'une décision de mainlevée de celle-ci au créancier.
12. Si, en application de l'article 561 du code de procédure civile, l'appel remet en question la chose jugée devant la cour d'appel, le délai d'appel et l'appel lui-même, conformément aux dispositions de l'article R. 121-18 du code des procédures civiles d'exécution, n'ont pas d'effet suspensif et il appartient à la cour d'appel de se prononcer en considération des circonstances de fait qui existent au jour où elle statue, le créancier pouvant, en application de l'article R. 121-22 de ce code, saisir le premier président de la cour d'appel d'une demande de sursis à exécution de la décision de mainlevée.
13. Ayant exactement retenu qu'en l'absence de décision de sursis à exécution, l'effet d'indisponibilité et d'attribution de la saisie-attribution avait cessé et constaté que, le jugement ayant été notifié, le tiers saisi s'était, en conséquence, dessaisi des fonds, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la saisie était privée de son effet attributif.
14. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société Strasbourg soixante aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Strasbourg soixante et la condamne à payer à Mme [H], en qualité de mandataire successoral d'[U] [I], la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société civile immobilière (SCI) Strasbourg soixante
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté la demande de main-levée de la saisie attribution pratiquée le 24 juin 2016 entre les mains du bâtonnier de l'ordre des avocat de Paris à l'encontre de Mme [X] [Y], veuve [I], à la requête de la SCI Strasbourg Soixante pour recouvrement de la somme de 16 340,01 euros mais dit que cette saisie était privée de son effet attributif ;
AUX MOTIFS QUE, par suite de la vente de l'immeuble, Mme [Y] a, sur le prix total, un droit propre à la portion correspondant à la valeur de son usufruit ; QU'une saisie peut donc, conformément aux articles 578, 621, alinéa 1er et 815-17 du code civil, être valablement pratiquée sur cette portion ; QUE le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a ordonné la mainlevée de cette saisie attribution ;
Mais QUE l'article R. 121-18 du code des procédures civiles d'exécution dispose que la décision de mainlevée des mesures d'exécution forcée ou des mesures conservatoires emporte, dans la limite de son objet, suspension des poursuites dès son prononcé et suppression de tout effet d'indisponibilité dès sa notification ;
QUE le jugement a été notifié ;
QU'en l'absence de décision de sursis à exécution, l'effet d'indisponibilité et d'attribution de la saisie attribution pratiquée- et contestée- a donc disparu ;
QUE le tiers saisi s'est, en conséquence, dessaisi des fonds ;
QUE la société Strasbourg Soixante ne peut donc demander utilement qu'il soit jugé que la saisie pratiquée a conservé son effet attributif ;
QU'elle ne peut pas davantage demander, au regard de l'objet de la procédure, que soit fixée, dans la présente procédure, une créance devant lui être payée par Maître [H] ès qualités ;
QUE sa demande de ce chef sera donc rejetée ;
QUE la demande tendant à ce que ses droits soient expressément réservés du chef de saisies attributions postérieures ne constitue pas une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile ;
ALORS QUE l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit ; que si, en matière de mainlevée des mesures d'exécution forcée, l'appel n'a pas d'effet suspensif et si la décision emporte, dès sa notification suppression de tout effet d'indisponibilité, sauf sursis à exécution ordonné par le premier président de la cour d'appel, l'infirmation de la décision de main-levée fait retrouver à la saisie sa validité et autorise le débiteur à se voir remettre la chose objet de la saisie, le cas échéant, par le tiers saisi s'il l'a conservée, ou par le débiteur à qui elle a été remise si elle se retrouve ; que dès lors, l'infirmation de la décision de main-levée de la saisie pratiquée entre les mains du bâtonnier faisait retrouver à la saisie son effet attributif et autorisait la société Strasbourg 60 à se faire remettre les fonds saisis par le mandataire de la succession à qui le bâtonnier, tiers saisi, les avait remis ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 561 du code de procédure civile, R. 121-18 et R. 121-22 du code des procédures civiles d'exécution.
2e Civ., 18 décembre 1996, pourvoi n° 95-12.602, Bull. 1996, II, n° 305 (cassation).
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COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 janvier 2023
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 34 F-B
Pourvoi n° A 20-20.941
Aide juridictionnelle partielle en demande
au profit de Mme [T].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 16 septembre 2020.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 JANVIER 2023
Mme [I] [T], veuve [U], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 20-20.941 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2019 par la cour d'appel de Pau (2e chambre, section 2), dans le litige l'opposant à M. [Z] [U], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Durin-Karsenty, conseiller, les observations de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de Mme [T], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [U], et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Durin-Karsenty, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 28 juin 2019), Mme [T] a interjeté appel d'un jugement d'un tribunal de grande instance dans un litige l'opposant à M. [U].
2. Par une ordonnance du 13 juin 2016, un conseiller de la mise en état a ordonné une médiation, précisé que la mission du médiateur prendra fin à l'expiration d'un délai initial de trois mois commençant à courir à compter de la première réunion et sursis à statuer sur toutes les demandes des parties, les délais prescrits étant interrompus. Par ordonnance du 13 décembre 2016, le conseiller de la mise en état a accordé au médiateur un délai supplémentaire jusqu'au 20 février 2017 pour mener à bien sa mission.
3. Le 26 décembre 2017, l'appelante a déposé des conclusions aux fins de reprise d'instance après médiation.
4. Saisi de conclusions d'incident par l'intimé, le conseiller de la mise en état a déclaré caduque la déclaration d'appel par ordonnance du 17 octobre 2018 que l'appelante a déférée à la cour d'appel.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Mme [T] fait grief à l'arrêt de déclarer caduque la déclaration d'appel, alors :
« 1°/ que la décision d'ordonner une médiation interrompt le délai de trois mois pour remettre les conclusions au greffe à compter de la déclaration d'appel prévu à l'article 908 du code de procédure civile ; que la date de l'expiration de la mission du médiateur est celle où l'affaire a été rappelée à une audience à laquelle les parties ont été convoquées à la diligence du greffe par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; qu'en décidant néanmoins que le délai de trois imparti à Mme [T] pour conclure avait commencé à courir le 20 février 2017, date de la fin de la mission du médiateur fixé par l'ordonnance du 13 décembre 2016, alors que l'affaire n'avait pas été préalablement rappelée à une audience, la cour d'appel a violé les articles 131-10, 908 et 910-2 du code de procédure civile ;
2°/ à titre subsidiaire, que la décision d'ordonner une médiation interrompt le délai de trois mois pour remettre les conclusions au greffe à compter de la déclaration d'appel ; que lorsque la médiation continue après la date de fin de mission fixée par l'ordonnance, le délai de trois mois ne recommence à courir qu'à la fin effective de la médiation ; qu'en décidant que les pourparlers qui s'étaient poursuivis après la date de fin de la mission fixée par le juge, n'étaient pas de nature à interrompre le délai de trois mois prévu par l'article 908 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé les articles 908 et 910-2 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article 910-2 du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la décision d'ordonner une médiation interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910 du même code. L'interruption de ces délais produit ses effets jusqu'à l'expiration de la mission du médiateur.
7. Ayant constaté que la mission du médiateur avait pris fin le 20 février 2017, c'est à bon droit que l'arrêt retient, en substance, que ce terme marque la reprise de l'instance, que doit être décompté à partir de cette date le délai de trois mois imparti à l'appelant pour conclure et que l'appelante ajoute au texte de l'article 910-2 du code précité lorsqu'elle soutient que l'instance n'a pas repris au motif que le médiateur n'a pas remis de note de fin de médiation au juge et que l'affaire n'a pas été fixée à une audience de mise en état.
8. L'arrêt ajoute enfin que les pourparlers poursuivis de façon informelle ne sont pas de nature à interrompre les délais pour conclure.
9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne Mme [T] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [T] et la condamne à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gouz-Fitoussi, avocat aux Conseils, pour Mme [T]
Mme [T] fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir déclaré caduque la déclaration d'appel ;
Alors 1°) que la décision d'ordonner une médiation interrompt le délai de trois mois pour remettre les conclusions au greffe à compter de la déclaration d'appel prévu à l'article 908 du code de procédure civile ; que la date de l'expiration de la mission du médiateur est celle où l'affaire a été rappelée à une audience à laquelle les parties ont été convoquées à la diligence du greffe par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ; qu'en décidant néanmoins que le délai de trois imparti à Mme [T] pour conclure avait commencé à courir le 20 février 2017, date de la fin de la mission du médiateur fixé par l'ordonnance du 13 décembre 2016, alors que l'affaire n'avait pas été préalablement rappelée à une audience, la cour d'appel a violé les articles 131-10, 908 et 910-2 du code de procédure civile ;
Alors 2°), à titre subsidiaire, que la décision d'ordonner une médiation interrompt le délai de trois mois pour remettre les conclusions au greffe à compter de la déclaration d'appel ; que lorsque la médiation continue après la date de fin de mission fixée par l'ordonnance, le délai de trois mois ne recommence à courir qu'à la fin effective de la médiation ; qu'en décidant que les pourparlers qui s'étaient poursuivis après la date de fin de la mission fixée par le juge, n'étaient pas de nature à interrompre le délai de trois mois prévu par l'article 908 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé les articles 908 et 910-2 du code de procédure civile.
2e Civ., 20 mai 2021, pourvoi n° 20-13.912, Bull. (rejet).
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CASS/JURITEXT000046990288.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 janvier 2023
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 66 FS-B
Pourvoi n° P 20-22.103
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 JANVIER 2023
M. [Z] [N], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 20-22.103 contre l'arrêt rendu le 24 septembre 2020 par la cour d'appel de Metz (3e chambre civile, droit local), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Aunilec, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Axdis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [N], de la SCP Delamarre et Jéhannin, avocat de la société Aunilec, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mmes Martinel et Leroy-Gissinger, conseillers doyens, Mmes Kermina, Durin-Karsenty, MM. Martin, Delbano, Mmes Vendryes, Isola, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Pradel, Mmes Brouzes, Latreille, Bonnet, Philippart, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 24 septembre 2020), M. [N], qui avait été désigné en qualité d'expert judiciaire dans un litige opposant les sociétés Axdis et Aunilec, a formé un recours à l'encontre d'une ordonnance de taxe ayant fixé sa rémunération au montant des sommes consignées, déduction faite des avances qui lui avaient été versées.
2. M. [N] a formé un pourvoi à l'encontre de l'arrêt ayant rejeté son recours.
3. Le président de la compagnie des experts de justice près la cour d'appel de Colmar, le président de la compagnie des experts de justice près la cour d'appel de Metz et le secrétaire général de l'Institut de droit local alsacien-mosellan ont, en application des articles L. 431-3-1 du code de l'organisation judiciaire et 1015-2 du code de procédure civile, déposé chacun une note écrite et été entendus à l'audience publique du 6 octobre 2022.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. [N] fait grief à l'arrêt de rejeter son recours formé contre l'ordonnance de taxe rendue le 19 juillet 2018 et de confirmer cette ordonnance lui allouant, au vu notamment du montant total de 31 300 euros consigné et des deux avances pour un montant de 10 000 euros qui lui avaient été versées, un montant forfaitaire de 21 300 euros, alors :
« 1°/ qu'en droit local alsacien-mosellan, la rémunération de l'expert est déterminée au regard de la perte de temps, de la difficulté de l'affaire, de la situation professionnelle de l'expert, outre des frais dépensés en vue de la confection de l'expertise et de la valeur des objets et des outils usés à cette occasion, peu important le montant des sommes consignées ; qu'en allouant à M. [N] un montant forfaitaire de 21 300 euros, compte tenu de la somme totale de 31 300 euros consignée et des deux avances pour un montant de 10 000 euros qui lui avaient été versées, sans déterminer le montant de sa rémunération au regard des diligences accomplies, du temps passé, de la difficulté de l'affaire, de la situation professionnelle de l'expert, et des frais exposés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de la loi n° 1257 du 30 juin 1878 relative aux indemnités accordées aux témoins et experts ;
2°/ qu'en droit local alsacien-mosellan, la rémunération de l'expert qui doit être déterminée au regard de la perte de temps, de la difficulté de l'affaire, de la situation professionnelle de l'expert, et des frais engagés, n'est pas limitée au montant des sommes consignées, le juge taxateur pouvant délivrer à l'expert un titre exécutoire pour recouvrer le solde de sa rémunération non couvert par la consignation ; qu'en jugeant au contraire qu'en droit local, la rémunération de l'expert était limitée à la somme consignée, dès lors qu'elle n'aurait pas le pouvoir de condamner une des parties à la procédure à payer à l'expert judiciaire le solde de sa rémunération non couvert par la consignation, pour réduire la rémunération de M. [N] à la somme consignée de 31 300 euros, la cour d'appel a violé, par fausse application, les dispositions de la loi n° 1257 du 30 juin 1878 relative aux indemnités accordées aux témoins et experts, l'article 32 du décret n° 76-899 du 29 septembre 1976 relatif à l'application du nouveau code de procédure civile dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, les articles 7 et 106 de la loi d'Alsace Lorraine sur les frais de justice du 6 décembre 1899, et les articles 79 et 84 de la loi d'Empire sur les frais de justice du 18 juin 1878. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La société Aunilec conteste la recevabilité du moyen en invoquant sa nouveauté.
6. Cependant, si, aux termes de ses conclusions d'appel, M. [N] n'invoquait pas les dispositions de l'article 3 de la loi du 30 juin 1878 relative aux indemnités accordées aux témoins et experts et précisant les critères de rémunérations de l'expert, celui-ci faisait néanmoins valoir qu'aucun élément ne semble limiter la rémunération de l'expert au montant des sommes consignées et que si seul le montant des sommes consignées peut naturellement être versé par la régie du tribunal à sa connaissance, la réglementation applicable n'interdit pas au juge en charge de la rémunération du technicien de fixer le montant de sa rémunération à une somme supérieure.
7. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
8. Aux termes de l'article 30 du décret n° 76-899 du 29 septembre 1976 relatif à l'application du nouveau code de procédure civile dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, les indemnités, frais et honoraires alloués aux témoins et aux experts demeurent régis par les dispositions du droit local.
9. En application de l'article 32 du même décret, lorsque le juge ordonne une enquête ou des mesures d'instruction exécutées par un technicien, ou toute autre mesure ayant pour but une opération entraînant des déboursés effectifs, fixe le montant de l'avance à consigner et désigne la ou les parties qui seront tenues de verser cette avance.
10. L'article 79, 4°, de la loi d'Empire sur les frais de justice du 18 juin 1878 énonce, dans ses dispositions maintenues en vigueur par l'article 1er du décret n° 78-63 du 20 janvier 1978, qu'il sera perçu à titre de déboursés effectifs les droits à payer aux témoins et aux experts.
11. L'article 84 de cette loi dispose, dans sa rédaction issue du décret précité du 20 janvier 1978, que le demandeur devra, pour toute demande ayant pour but une opération entraînant des déboursés effectifs, verser une avance suffisante pour couvrir ces déboursés.
12. Selon l'article 4, a, de la loi du 30 juin 1878 relative aux indemnités accordées aux témoins et experts, lorsque dans des instances civiles et commerciales les parties se sont déclarées d'accord devant le tribunal pour payer une somme déterminée pour les travaux de l'expert, cette indemnité sera allouée, à condition qu'une caution suffisante aura été déposée au Trésor public.
13. L'article 17 de cette loi énonce notamment que les indemnités à allouer à un témoin ou à un expert seront fixées par ordonnance du tribunal, si, soit le témoin ou l'expert, soit le Trésor public, en demandent la fixation ou si le tribunal le juge convenable. La taxe pourra être rectifiée d'office lorsqu'après avoir été payés par le Trésor public, les montants n'auront pas été remboursés.
14. Il résulte de la combinaison de ces textes que la rémunération de l'expert, fixée par le tribunal en application de l'article 17 de la loi du 30 juin 1878, ne peut être supérieure au montant total des sommes consignées par les parties.
15. Ayant retenu que la rémunération de l'expert prévue par les textes applicables en Alsace-Moselle repose sur la consignation préalable des montants dus à celui-ci et qu'il n'existe, en l'absence de disposition spécifique, aucune possibilité pour la juridiction saisie de condamner l'une des parties à verser une quelconque somme à l'expert, celui-ci ne pouvant se faire payer que par les comptables des impôts, en leur qualité de préposés de la Caisse des dépôts et consignations, sur les sommes consignées, la cour d'appel en a exactement déduit que, compte tenu des sommes consignées à hauteur de 31 300 euros, le montant total de la rémunération due à l'expert ne pouvait dépasser ce montant.
16. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne M. [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [N]
M. [N] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté son recours formé contre l'ordonnance de taxe rendue le 19 juillet 2018 et d'AVOIR confirmé cette ordonnance lui allouant, au vu notamment du montant total de 31 300 euros consigné et des deux avances pour un montant de 10 000 euros qui lui avaient été versées, un montant forfaitaire de 21 300 euros ;
1° ALORS QU'en droit local alsacien-mosellan, la rémunération de l'expert est déterminée au regard de la perte de temps, de la difficulté de l'affaire, de la situation professionnelle de l'expert, outre des frais dépensés en vue de la confection de l'expertise et de la valeur des objets et des outils usés à cette occasion, peu important le montant des sommes consignées ; qu'en allouant à M. [N] un montant forfaitaire de 21 300 euros, compte tenu de la somme totale de 31 300 euros consignée et des deux avances pour un montant de euros qui lui avaient été versées, sans déterminer le montant de sa rémunération au regard des diligences accomplies, du temps passé, de la difficulté de l'affaire, de la situation professionnelle de l'expert, et des frais exposés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de la loi n° 1257 du 30 juin 1878 relative aux indemnités accordées aux témoins et experts ;
2° ALORS QU'en droit local alsacien-mosellan, la rémunération de l'expert qui doit être déterminée au regard de la perte de temps, de la difficulté de l'affaire, de la situation professionnelle de l'expert, et des frais engagés, n'est pas limitée au montant des sommes consignées, le juge taxateur pouvant délivrer à l'expert un titre exécutoire pour recouvrer le solde de sa rémunération non couvert par la consignation ; qu'en jugeant au contraire qu'en droit local, la rémunération de l'expert était limitée à la somme consignée, dès lors qu'elle n'aurait pas le pouvoir de condamner une des parties à la procédure à payer à l'expert judiciaire le solde de sa rémunération non couvert par la consignation, pour réduire la rémunération de M. [N] à la somme consignée de 31 300 euros, la cour d'appel a violé, par fausse application, les dispositions de la loi n° 1257 du 30 juin 1878 relative aux indemnités accordées aux témoins et experts, l'article 32 du décret n° 76-899 du 29 septembre 1976 relatif à l'application du nouveau code de procédure civile dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, les articles 7 et 106 de la loi d'Alsace Lorraine sur les frais de justice du 6 décembre 1899, et les articles 79 et 84 de la loi d'Empire sur les frais de justice du 18 juin 1878.
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CASS/JURITEXT000046990275.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 janvier 2023
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 31 FS-B
Pourvoi n° Z 21-16.804
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 JANVIER 2023
La société Kontron Modular Computers, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 21-16.804 contre l'arrêt rendu le 5 mars 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-6), dans le litige l'opposant à Mme [P] [W], épouse [O], domiciliée chez Mme [I] [X] et M. [L] [O], [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Delbano, conseiller, les observations et les plaidoiries de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Kontron Modular Computers, de la SCP Richard, avocat de Mme [W], épouse [O], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Delbano, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mmes Kermina, Durin-Karsenty, Vendryes, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 mars 2021) et les productions, Mme [W] a contesté devant un conseil de prud'hommes son licenciement par la société Kontron Modular Computers (la société).
2. La société a fait appel du jugement ayant retenu l'existence d'une cause réelle et sérieuse et l'ayant condamnée au paiement de dommages-intérêts.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel, de constater l'absence d'appel incident dans le délai de l'appel principal, de dire n'y avoir lieu à statuer en l'absence d'effet dévolutif de l'appel principal et en l'absence d'appel incident recevable, alors :
« 1°/ que la déclaration d'appel est faite par acte contenant les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ; que selon l'article 3 de l'arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel, en vigueur du 31 mars 2011 au 22 mai 2020, « Pour les appels formés à compter du 1er septembre 2011, les envois et remises des déclarations d'appel et des actes de constitution ainsi que des pièces qui leur sont associées doivent être effectués par voie électronique », l'article 6 du même arrêté prévoyant expressément que « Lorsqu'un document doit être joint à un acte, le document est communiqué sous la forme d'un fichier séparé du fichier au format XML contenant l'acte sous forme de message de données. Le fichier contenant le document joint accompagnant l'acte est un fichier au format PDF » ; qu'il en résulte que les chefs du jugement critiqués peuvent être listés dans une pièce jointe annexée à la déclaration d'appel faisant corps avec elle, comme l'admet la circulaire du ministère de la Justice du 4 août 2017 et comme le prévoit désormais expressément l'article 8 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel ; qu'en l'espèce, l'appel a été interjeté le 26 septembre 2019 par voie électronique, en précisant dans le champ « Objet/Portée de l'appel : appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués exposés dans la pièce jointe faisant corps avec la déclaration d'appel », la pièce effectivement jointe désignant les chefs attaqués précisant expressément, elle aussi, qu'elle faisait corps avec la déclaration d'appel limité, ce conformément à la trame diffusée par le Conseil national des barreaux le 7 novembre 2017 ; qu'en jugeant que la déclaration d'appel était privée d'effet dévolutif faute de mention des chefs de jugement critiqués « dans la déclaration elle-même » sans que « l'appelante ne démontre avoir été dans l'impossibilité de faire figurer ces mentions dans la déclaration elle-même », et en affirmant que le document joint à la déclaration d'appel n'aurait « aucune valeur procédurale », et ne ferait « pas partie intégrale de cette déclaration au sens de l'article 10 de l'arrêté technique du 30 mars 2011 », la cour d'appel a violé l'article 962 du code de procédure civile, l'article 901 du même code dans sa version en vigueur du 1er septembre 2017 au 1er janvier 2020, et l'arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel tel qu'il était en vigueur le 26 septembre 2019 ;
2°/ qu'en tout état de cause, caractérise une violation de l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge ; que constitue une telle atteinte le fait de nier l'effet dévolutif d'un appel au seul prétexte que les chefs de dispositif du jugement critiqués ont été précisés dans une annexe, pourtant expressément désignée comme faisant corps avec la déclaration d'appel ; que cette atteinte est d'autant plus disproportionnée que l'absence d'effet dévolutif est relevée d'office par la juridiction d'appel postérieurement à la clôture des débats, privant ainsi l'appelant de toute possibilité de régularisation, laquelle est admise seulement dans le délai accordé pour conclure ; qu'en l'espèce, il ressort de la décision attaquée que l'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 décembre 2019 et qu'à l'audience postérieure du 15 décembre 2020, les parties ont été invitées à faire valoir leurs observations « quant à l'absence d'effet dévolutif de l'appel au vu de la déclaration d'appel qui ne contient aucun chef de jugement critiqué, lesquels sont repris dans une annexe ainsi que sur la recevabilité de l'appel incident » ; que la cour d'appel a refusé tout effet dévolutif à la déclaration d'appel, dont elle a constaté qu'elle était accompagnée d'un « document intitulé "pièce jointe faisant corps avec la déclaration d'appel" précisant que les chefs de jugement critiqués », en affirmant que « l'appelante ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité de faire figurer ces mentions dans la déclaration elle-même » et « que le document joint à la déclaration d'appel n'a aucune valeur procédurale et ne fait pas partie intégrale de cette déclaration, au sens de l'article 10 de l'arrêté technique du 30 mars 2011 » ; que la cour d'appel a en outre souligné l'impossibilité de régularisation en l'espèce puisqu'elle n'était possible que « par une nouvelle déclaration d'appel intervenue dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond, conformément aux dispositions de l'article 910-4 al.1 du code de procédure civile » ; qu'en portant ainsi une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge de l'appelante, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
4. Le décret du 25 février 2022, invoqué par la demanderesse au pourvoi, a modifié l'article 901, 4°, du code de procédure civile en tant qu'il prévoit que la déclaration d'appel est faite par acte contenant, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible, en ajoutant dans ce texte, après les mots : « faite par acte », les mots : « comportant le cas échéant une annexe ». L'article 6 du décret précise que cette disposition est applicable aux instances en cours. La demanderesse au pourvoi soutient que ces dispositions sont applicables au présent litige.
5. Par avis du 8 juillet 2022 (n° 22-70.005) la Cour de cassation a notamment dit que le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 et l'arrêté du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d'appel sont immédiatement applicables aux instances en cours pour les déclarations d'appel qui ont été formées antérieurement à l'entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires, pour autant qu'elles n'ont pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent qui n'a pas fait l'objet d'un déféré dans le délai requis, ou par l'arrêt d'une cour d'appel statuant sur déféré.
6. Pour autant, l'instance devant une cour d'appel, introduite par une déclaration d'appel, prend fin avec l'arrêt que rend cette juridiction. Elle ne se poursuit pas devant la Cour de cassation, devant laquelle est introduite une instance distincte.
7. Il en résulte que le décret du 25 février 2022 n'est pas applicable au présent litige.
8. La Cour de cassation a jugé le 13 janvier 2022 (2e Civ., 13 janvier 2022, pourvoi n° 20-17.516, publié) qu'il résulte de la combinaison des articles 562 et 901, 4°, du code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, ainsi que des articles 748-1 et 930-1 du même code, que la déclaration d'appel, dans laquelle doit figurer l'énonciation des chefs critiqués du jugement, est un acte de procédure se suffisant à lui seul ; que, cependant, en cas d'empêchement d'ordre technique, l'appelant peut compléter la déclaration d'appel par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer.
9. Pour constater l'absence d'effet dévolutif, l'arrêt retient que la déclaration d'appel de la société ne précise pas les chefs de jugement critiqués mais procède par renvoi à une annexe transmise le même jour par RPVA les mentionnant, ce dernier document n'ayant aucune valeur procédurale et ne faisant pas partie intégrante de cette déclaration.
10. Il relève en outre que l'appelante ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité de faire figurer ces mentions dans la déclaration elle-même, laquelle pouvait parfaitement contenir l'intégralité des chefs de jugement critiqués.
11. Par ces énonciations et constatations, la cour d'appel a fait une exacte application des textes précités, sans porter d'atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge.
12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société Kontron Modular Computers aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Kontron Modular Computers et la condamne à payer à Mme [W], épouse [O] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Kontron Modular Computers
La société Kontron Modular Computers fait grief à la décision attaquée d'AVOIR constaté l'absence d'effet dévolutif de l'appel, d'AVOIR constaté l'absence d'appel incident dans le délai de l'appel principal, d'AVOIR dit n'y avoir lieu à statuer en l'absence d'effet dévolutif de l'appel principal et en l'absence d'appel incident recevable,
1) ALORS QUE la déclaration d'appel est faite par acte contenant les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ; que selon l'article 3 de l'arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel, en vigueur du 31 mars 2011 au 22 mai 2020, « Pour les appels formés à compter du 1er septembre 2011, les envois et remises des déclarations d'appel et des actes de constitution ainsi que des pièces qui leur sont associées doivent être effectués par voie électronique », l'article 6 du même arrêté prévoyant expressément que « Lorsqu'un document doit être joint à un acte, le document est communiqué sous la forme d'un fichier séparé du fichier au format XML contenant l'acte sous forme de message de données. Le fichier contenant le document joint accompagnant l'acte est un fichier au format PDF » ; qu'il en résulte que les chefs du jugement critiqués peuvent être listés dans une pièce jointe annexée à la déclaration d'appel faisant corps avec elle, comme l'admet la circulaire du ministère de la Justice du 4 août 2017 et comme le prévoit désormais expressément l'article 8 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d'appel ; qu'en l'espèce, l'appel a été interjeté le 26 septembre 2019 par voie électronique, en précisant dans le champ « Objet/Portée de l'appel : appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués exposés dans la pièce jointe faisant corps avec la déclaration d'appel », la pièce effectivement jointe désignant les chefs attaqués précisant expressément, elle aussi, qu'elle faisait corps avec la déclaration d'appel limité, ce conformément à la trame diffusée par le Conseil national des barreaux le 7 novembre 2017 ; qu'en jugeant que la déclaration d'appel était privée d'effet dévolutif faute de mention des chefs de jugement critiqués « dans la déclaration elle-même » sans que « l'appelante ne démontre avoir été dans l'impossibilité de faire figurer ces mentions dans la déclaration elle-même », et en affirmant que le document joint à la déclaration d'appel n'aurait « aucune valeur procédurale », et ne ferait « pas partie intégrale de cette déclaration au sens de l'article 10 de l'arrêté technique du 30 mars 2011 », la cour d'appel a violé l'article 962 du code de procédure civile, l'article 901 du même code dans sa version en vigueur du 1er septembre 2017 au 1er janvier 2020, et l'arrêté du 30 mars 2011 relatif à la communication par voie électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d'appel tel qu'il était en vigueur le 26 septembre 2019 ;
2) ALORS QUE, en tout état de cause, caractérise une violation de l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge ; que constitue une telle atteinte le fait de nier l'effet dévolutif d'un appel au seul prétexte que les chefs de dispositif du jugement critiqués ont été précisés dans une annexe, pourtant expressément désignée comme faisant corps avec la déclaration d'appel ; que cette atteinte est d'autant plus disproportionnée que l'absence d'effet dévolutif est relevée d'office par la juridiction d'appel postérieurement à la clôture des débats, privant ainsi l'appelant de toute possibilité de régularisation, laquelle est admise seulement dans le délai accordé pour conclure ; qu'en l'espèce, il ressort de la décision attaquée que l'ordonnance de clôture a été prononcée le 19 décembre 2019 et qu'à l'audience postérieure du 15 décembre 2020, les parties ont été invitées à faire valoir leurs observations « quant à l'absence d'effet dévolutif de l'appel au vu de la déclaration d'appel qui ne contient aucun chef de jugement critiqué, lesquels sont repris dans une annexe ainsi que sur la recevabilité de l'appel incident » ; que la cour d'appel a refusé tout effet dévolutif à la déclaration d'appel, dont elle a constaté qu'elle était accompagnée d'un « document intitulé "pièce jointe faisant corps avec la déclaration d'appel" précisant que les chefs de jugement critiqués », en affirmant que « l'appelante ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité de faire figurer ces mentions dans la déclaration elle-même » et « que le document joint à la déclaration d'appel n'a aucune valeur procédurale et ne fait pas partie intégrale de cette déclaration, au sens de l'article 10 de l'arrêté technique du 30 mars 2011 » ; que la cour d'appel a en outre souligné l'impossibilité de régularisation en l'espèce puisqu'elle n'était possible que « par une nouvelle déclaration d'appel intervenue dans le délai imparti à l'appelant pour conclure au fond, conformément aux dispositions de l'article 910-4 al.1 du code de procédure civile » ; qu'en portant ainsi une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge de l'appelante, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
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CASS/JURITEXT000046990192.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 janvier 2023
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 73 FS-D
Pourvoi n° T 21-21.168
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 JANVIER 2023
M. [T] [C], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 21-21.168 contre l'arrêt rendu le 15 juin 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [E] [S], divorcée [R], domiciliée [Adresse 2] (Italie),
2°/ au procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié en son parquet général, cour d'appel d'Aix-en-Provence, 20 place de Verdun, 13100 Aix-en-Provence,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations écrites et orales de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. [C], de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [S], et l'avis de Mme Cazaux-Charles, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Hascher, conseiller le plus ancien faisant fonction de conseiller doyen rapporteur, MM. Bruyère, Ancel, conseillers, Mme Dumas, conseiller référendaire complétant la chambre avec voix délibérative en application de l'article L. 431-3 du code de l'organisation judiciaire, Mmes Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Cazaux-Charles, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
La première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 15 juin 2021), rendu sur renvoi après cassation (18 novembre 2020, pourvoi n° 19-12.857), Mme [S] a assigné M. [C] en exequatur d'un acte de défaut de biens délivré contre celui-ci le 14 novembre 2002 par l'Office des poursuites du district de Lausanne.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième à sixième branches, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [C] fait grief à l'arrêt d'accorder l'exequatur à l'acte de défaut de biens, alors « que l'article 47 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale subordonne l'exequatur d'une décision à la production, par la partie qui l'invoque, d'un document de nature à établir que, selon la loi de l'État d'origine, la décision a été signifiée ; qu'en jugeant néanmoins que l'acte de défaut de biens délivré le 14 novembre 2002 par l'Office des poursuites du district de Lausanne pouvait être exequaturé en France, par la considération que la loi fédérale suisse prévoirait l'envoi d'une copie de l'acte de défaut de biens au débiteur et que monsieur [C] n'aurait pas contesté un tel envoi - ce qui était au demeurant inexact (cf. conclusions de monsieur [C], p. 18) - et que ce dernier aurait pu s'expliquer sur la créance revendiquée par Mme [S] dans des procédures judiciaires antérieures à la délivrance de l'acte de défaut de biens le 14 novembre 2002 par l'Office des poursuites du district de Lausanne (arrêt, p. 7, §§ 2 et s.), cependant que cette considération était impropre à valoir constatation de la production par Mme [S], demanderesse à l'exequatur, d'un document de nature à établir que, selon la loi de l'État d'origine, l'acte de défaut de biens aurait été signifié à M. [C], la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 47, alinéa 1, de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, la partie qui demande l'exécution doit produire tout document de nature à établir que, selon la loi de l'Etat d'origine, la décision est exécutoire et a été signifiée.
5. Ayant retenu que la loi fédérale prévoyait l'envoi d'une copie de l'acte de défaut de biens au débiteur et que cette formalité avait été observée, la cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision.
Sur le moyen, pris en sa septième branche
Enoncé du moyen
6. M. [C] fait grief à l'arrêt d'accorder l'exequatur à l'acte de défaut de biens, alors « que l'exécution en France d'une décision étrangère est soumise à la loi française quant à la prescription ; qu'en retenant néanmoins, pour juger que pouvait être accueillie la demande d'exequatur, que le délai de prescription de la créance constatée par un acte de défaut de biens était, selon le droit suisse, de vingt ans à compter de la délivrance de l'acte de défaut de biens, la cour d'appel, qui a appliqué de manière erronée les règles du droit suisse relatives à la prescription et non celles du for, a violé l'article 3 du code civil. »
Réponse de la Cour
7. Si les règles de prescription de l'Etat d'origine sont susceptibles d'affecter le caractère exécutoire du jugement et, par conséquent, l'intérêt à agir du demandeur à l'exequatur et si celles de l'Etat requis sont susceptibles d'affecter l'exécution forcée du jugement déclaré exécutoire, en revanche, l'action en exequatur elle-même n'est soumise à aucune prescription.
8. La cour d'appel a constaté qu'elle était saisie, par Mme [S], d'une demande d'exequatur d'un acte de défaut de biens délivré contre M. [C] par l'Office des poursuites du district de Lausanne.
9. Il en résulte que cette action n'était soumise à aucune prescription.
10. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues aux articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [C] et le condamne à payer à Mme [S] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour M. [C]
Monsieur [C] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté ses demandes et confirmé l'ordonnance rendue par le président du tribunal de grande instance de Toulon le 18 janvier 2018 ayant prononcé l'exequatur de l'acte de défaut de biens délivré le 14 novembre 2002 par l'Office des poursuites du district de Lausanne ;
1/ alors que l'article 47 de la Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale conclue à Lugano le 16 septembre 1988 subordonne l'exequatur d'une décision à la production, par la partie qui l'invoque, d'un document de nature à établir que, selon la loi de l'État d'origine, la décision a été signifiée ; qu'en jugeant néanmoins que l'acte de défaut de biens délivré le 14 novembre 2002 par l'office des poursuites du district de Lausanne pouvait être exequaturé en France, par la considération que la loi fédérale suisse prévoirait l'envoi d'une copie de l'acte de défaut de biens au débiteur et que monsieur [C] n'aurait pas contesté un tel envoi – ce qui était au demeurant inexact (cf. conclusions de monsieur [C], p. 18) – et que ce dernier aurait pu s'expliquer sur la créance revendiquée par madame [S] dans des procédures judiciaires antérieures à la délivrance de l'acte de défaut de biens le 14 novembre 2002 par l'office des poursuites du district de Lausanne (arrêt, p. 7, §§ 2 et s.), cependant que cette considération était impropre à valoir constatation de la production par madame [S], demanderesse à l'exequatur, d'un document de nature à établir que, selon la loi de l'État d'origine, l'acte de défaut de biens aurait été signifié à monsieur [C], la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2/ alors que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer, fût-ce par omission, l'écrit qui lui est soumis ; qu'en retenant que l'acte de défaut de biens délivré le 14 novembre 2002 par l'office des poursuites du district de Lausanne serait de droit exécutoire, dès lors qu'il pourrait donner lieu à exécution immédiate de la part du créancier (arrêt, p. 6, in fine) et ce, sans considération du temps écoulé, cependant qu'il résultait au contraire très clairement des extraits de décisions de justice et de doctrine suisses produites aux débats par monsieur [C] que c'était uniquement « le commandement de payer dans la poursuite qui a(vait) abouti à la délivrance du premier acte de défaut de biens (qui) conservait son caractère exécutoire (et ce) pendant six mois, mais pas davantage » (conclusions de monsieur [C], p. 23, § 7 visant sa pièce d'appel n° 28), la cour d'appel a dénaturé, par omission, la pièce d'appel numérotée 28 produite par monsieur [C] et méconnu le principe susvisé ;
3/ alors, en tout état de cause, que les moyens pouvant être opposés dans l'État d'origine et, par suite, dans l'État requis, à l'exécution effective d'une décision de justice, peuvent être appréciés dans l'instance sur recours contre la décision d'exequatur, même si lesdits moyens ne sont pas de nature à remettre en cause le caractère exécutoire de la décision étrangère, apprécié formellement au stade de la requête en exequatur ; qu'en écartant cependant le moyen pertinent soulevé par monsieur [C] au soutien de son recours contre la décision d'exequatur de l'acte de défaut de biens délivré le 14 novembre 2002 par l'office des poursuites du district de Lausanne, pris de ce que les conditions d'efficacité et d'exécution d'un tel acte exigées par le droit suisse et notamment celle tenant à la réalisation d'un acte de continuation de la poursuite dans les six mois de la réception dudit acte de défaut de biens, n'avaient pas été respectées (conclusions de monsieur [C], pp. 22 à 26), par la considération que les règles du droit suisse invoquées par monsieur [C] auraient été relatives la procédure de mise en oeuvre d'une voie d'exécution en Suisse et n'ôteraient pas son caractère exécutoire à l'acte de défaut de biens (arrêt, p. 6, in fine), considération impropre à priver d'effet le moyen soulevé à l'encontre de la demande en exequatur, la cour d'appel a violé l'article 36 de la Convention concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale conclue à Lugano le 16 septembre 1988 ;
4/ alors que le juge, tenu en toutes circonstances de faire observer et d'observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut retenir, dans sa décision, les documents invoqués par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement ; qu'en affirmant, pour écarter tout doute sur l'authenticité du duplicata de l'acte de défaut de biens produit aux débats par madame [S] au soutien de sa demande en exequatur, qu'il n'était pas établi que la signature figurant sur cet acte serait tronquée, « vu la présentation complète de l'acte sur toute sa hauteur » (arrêt, p. 6, § 9), donc en se fondant sur la consultation d'un document présenté par le conseil de madame [S] à la juridiction au cours de l'audience et pourtant non versé aux débats ni soumis à la discussion contradictoire des parties, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et violé l'article 16 du code de procédure civile ;
5/ alors, en tout état de cause, qu'à supposer qu'en visant « la présentation complète de l'acte sur toute sa hauteur » (arrêt, p. 6, § 9), l'arrêt ait entendu se référer au seul acte de défaut de biens produit aux débats par madame [S] au soutien de sa demande en exequatur, savoir un simple duplicata revêtu en fin de première page d'une signature manuscrite tronquée et invisible en sa plus grande partie, la cour d'appel a dénaturé cette pièce et méconnu l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
6/ alors que dans la mesure où la Convention de Lugano ne prévoit aucune sanction de la violation des prescriptions de son article 33, dont il résulte que le requérant doit faire élection de domicile dans le ressort de la juridiction saisie, cette sanction doit être déterminée par la loi de l'État requis ; qu'en se bornant néanmoins à retenir, pour juger dépourvue de conséquence juridique l'absence d'élection de domicile de la demanderesse à l'exequatur dans le ressort de la juridiction saisie, que si la Convention de Lugano, en son article 33, imposait une telle obligation, elle ne prévoyait aucune sanction à sa méconnaissance (arrêt, p. 6, § 1), la cour d'appel a violé ce texte ;
7/ alors que l'exécution en France d'une décision étrangère est soumise à la loi française quant à la prescription ; qu'en retenant néanmoins, pour juger que pouvait être accueillie la demande d'exequatur, que le délai de prescription de la créance constatée par un acte de défaut de biens était, selon le droit suisse, de vingt ans à compter de la délivrance de l'acte de défaut de biens (arrêt, p. 7, in fine), la cour d'appel, qui a appliqué de manière erronée les règles du droit suisse relatives à la prescription et non celles du for, a violé l'article 3 du code civil.
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CASS/JURITEXT000046990190.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 janvier 2023
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 32 F-B
Pourvoi n° Z 21-23.957
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 JANVIER 2023
La société caisse de Crédit mutuel [Localité 3], dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 21-23.957 contre l'arrêt rendu le 7 septembre 2021 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant à Mme [O] [B], épouse [N], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la caisse de Crédit mutuel [Localité 3], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [B], après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 7 septembre 2021) et les productions, la caisse de Crédit mutuel [Localité 3] (la banque) a consenti à la SCI FDM (l'emprunteur) deux prêts immobiliers, garantis par Mme [B] (la caution), qui s'est portée caution solidaire.
2. Après avoir prononcé la déchéance du terme et obtenu la vente forcée de l'immeuble de l'emprunteur par un jugement d'adjudication du 17 décembre 2010, la banque a signifié à la caution un commandement de saisie-vente le 15 juin 2015.
3. Le 2 décembre 2016, la caution a assigné la banque en caducité de ses engagements et en paiement de dommages-intérêts. La banque a sollicité le paiement des sommes restant dues.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
4. La banque fait grief à l'arrêt de rejeter le surplus des moyens de procédure soulevés et notamment le moyen tiré de la prescription des demandes formées à son encontre par la caution sur le fondement des articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil, alors « que le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité pour défaut de mise en garde ou défaut d'information exercée par la caution contre la banque est fixé au jour où la caution a su, par la mise en demeure qui lui était adressée, que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal ; que la carence de la caution à réclamer le courrier recommandé contenant la mise en demeure n'a pas pour effet de différer le point de départ de la prescription à une date postérieure, ce d'autant plus lorsque ce courrier a été doublé d'une lettre simple ; qu'en énonçant que la banque, dès lors qu'elle n'était pas en mesure de communiquer l'accusé de réception de la mise en demeure du 9 décembre 2009 signé par la caution, mais seulement le retour du document muni de la mention "Non réclamé - retour à l'envoyeur", échouait à établir que le délai de prescription des demandes au titre d'un manquement au devoir de mise en garde et à l'obligation d'information, ainsi qu'au titre d'un cautionnement manifestement disproportionné, avait pu valablement courir à compter de cette date, la réception du courrier simple par la caution n'étant pas davantage établi, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1139 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 2224 du même code :
5. Aux termes du premier de ces textes, le débiteur est constitué en demeure, soit par une sommation ou par autre acte équivalent, telle une lettre missive lorsqu'il ressort de ses termes une interpellation suffisante, soit par l'effet de la convention, lorsqu'elle porte que, sans qu'il soit besoin d'acte et par la seule échéance du terme, le débiteur sera en demeure.
6. Il ressort du second que l'action en responsabilité de la caution contre la banque se prescrit par cinq ans à compter du jour où la mise en demeure de payer les sommes dues par l'emprunteur défaillant a permis à la caution d'appréhender l'existence éventuelle d'une disproportion de ses engagements ou de manquements de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde.
7. Il résulte de la combinaison de ces textes que le défaut de réception effective par la caution de la mise en demeure, adressée par lettre recommandée, n'affecte pas sa validité et que le point de départ de son action en responsabilité à l'encontre de la banque est fixé, au jour où elle a su que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal, soit à compter de la mise en demeure qui lui a été adressée.
8. Pour déclarer l'action en responsabilité initiée par la caution recevable, l'arrêt relève que la banque n'est pas en mesure de communiquer l'accusé de réception de la mise en demeure du 9 décembre 2009 signé par la caution, mais seulement le retour du document muni de la mention « Non réclamé - retour à l'envoyeur » et qu'elle succombe à établir que le délai de prescription des demandes a pu valablement courir à compter de cette date.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
10. La banque fait grief à l'arrêt de dire prescrites ses créances au titre des cautionnements consentis et de la déclarer irrecevable en ses demandes formées à l'encontre de la caution, alors « que l'interpellation faite au débiteur principal interrompt le délai de prescription contre la caution ; qu'en l'espèce, la caisse de Crédit mutuel d'[Localité 3] faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que la procédure d'exécution forcée diligentée à l'égard de la SCI FDM, en sa qualité de débiteur principal, avait eu pour effet d'interrompre la prescription de son action en paiement à l'égard de Mme [O] [B], en sa qualité de caution ; qu'en énonçant qu'aucune interruption utile de la prescription n'était démontrée à l'égard de Mme [O] [B], en ce que les paiements opérés par cette dernière étaient postérieurs à l'expiration du délai de cinq ans ayant couru à compter du 9 décembre 2009, date de la déchéance du terme, sans rechercher si un tel effet interruptif de la prescription n'était pas acquis au regard de la procédure d'exécution forcée qui avait été diligentée antérieurement par la caisse de Crédit mutuel [Localité 3] à l'encontre de la SCI FDM, ou du commandement de payer valant saisie-immobilière délivré antérieurement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2246, anciennement 2250, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2241 et 2246 du code civil :
11. Selon l'alinéa 1 du premier de ces textes, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
12. Selon le second, l'interpellation faite au débiteur principal ou sa reconnaissance interrompt le délai de prescription contre la caution.
13. Pour déclarer la banque irrecevable en sa demande en paiement à l'égard de la caution, l'arrêt relève qu'il est établi que, si la caution a procédé à plusieurs règlements au titre des deux engagements litigieux, aucun n'est antérieur au 10 décembre 2014, date à laquelle la prescription des créances de la banque était acquise, et qu'aucune interruption utile de cette prescription n'est démontrée.
14. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la procédure d'exécution forcée diligentée antérieurement par la banque à l'encontre de l'emprunteur n'avait pas eu un effet interruptif de la prescription, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.
Condamne Mme [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [B] et la condamne à payer à la caisse de Crédit mutuel [Localité 3] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la caisse de Crédit mutuel [Localité 3]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La Caisse de crédit mutuel [Localité 3] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté les moyens d'incompétence et de prescription soulevés par elle et D'AVOIR déclaré Mme [O] [B] recevable en ses demandes ;
ALORS QUE la contestation de mesures de saisie-attribution et de saisie-vente s'opère dans les conditions prévues aux articles R. 211-10 et suivants du code des procédures civiles d'exécution et R. 221-53 et suivants du même code ; qu'en l'espèce, ainsi que la cour d'appel l'a constaté, Mme [O] [B] avait fait l'objet de mesures de saisie-attribution et de saisie-vente ; qu'en déclarant recevables les demandes formées par Mme [O] [B] hors du cadre des articles R. 211-10 et suivants du code des procédures civiles d'exécution et R. 221-53 et suivants du même code, au motif impropre que Mme [O] [B] n'élevait pas de prétention quant au sort de l'acte d'exécution forcée quand, en ce qu'elles tendaient à voir déclarer prescrites les créances de la Caisse de crédit mutuel [Localité 3], subsidiairement à voir prononcer la déchéance ou la caducité de ses cautionnements, et très subsidiairement à voir dire que la Caisse de crédit mutuel sera privée des intérêts au taux conventionnel, elles relevaient des contestations des mesures de saisie, la cour d'appel a violé les articles R. 211-10 et suivants du code des procédures civiles d'exécution et R. 221-53 et suivants du même code dans leur version applicable.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
La Caisse de crédit mutuel [Localité 3] fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté le surplus des moyens de procédure soulevés par elle et notamment le moyen tiré de la prescription des demandes formées à son encontre par Mme [O] [B] sur le fondement des articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil ;
ALORS QUE le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité pour défaut de mise en garde ou défaut d'information exercée par la caution contre la banque est fixé au jour où la caution a su, par la mise en demeure qui lui était adressée, que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal ; que la carence de la caution à réclamer le courrier recommandé contenant la mise en demeure n'a pas pour effet de différer le point de départ de la prescription à une date postérieure, ce d'autant plus lorsque ce courrier a été doublé d'une lettre simple ; qu'en énonçant que la Caisse de crédit mutuel [Localité 3], dès lors qu'elle n'était pas en mesure de communiquer l'accusé de réception de la mise en demeure du 9 décembre 2009 signé par Mme [O] [B], mais seulement le retour du document muni de la mention "Non réclamé - retour à l'envoyeur", échouait à établir que le délai de prescription des demandes au titre d'un manquement au devoir de mise en garde et à l'obligation d'information, ainsi qu'au titre d'un cautionnement manifestement disproportionné, avait pu valablement courir à compter de cette date, la réception du courrier simple par Mme [O] [B] n'étant pas davantage établi, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce et 2224 du code civil.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
La Caisse de crédit mutuel [Localité 3] fait grief à l'arrêt sur ce point infirmatif attaqué D'AVOIR dit prescrites ses créances au titre des cautionnements consentis par Mme [O] [B] le 22 juin 2014 et le 23 juin 2015, et de l'AVOIR en conséquence déclarée irrecevable en ses demandes formées à l'encontre de Mme [O] [B] ;
ALORS QUE l'interpellation faite au débiteur principal interrompt le délai de prescription contre la caution ; qu'en l'espèce, la Caisse de crédit mutuel d'[Localité 3] faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que la procédure d'exécution forcée diligentée à l'égard de la SCI FDM, en sa qualité de débiteur principal, avait eu pour effet d'interrompre la prescription de son action en paiement à l'égard de Mme [O] [B], en sa qualité de caution ; qu'en énonçant qu'aucune interruption utile de la prescription n'était démontrée à l'égard de Mme [O] [B], en ce que les paiements opérés par cette dernière étaient postérieurs à l'expiration du délai de cinq ans ayant couru à compter du 9 décembre 2009, date de la déchéance du terme, sans rechercher si un tel effet interruptif de la prescription n'était pas acquis au regard de la procédure d'exécution forcée qui avait été diligentée antérieurement par la Caisse de crédit mutuel [Localité 3] à l'encontre de la SCI FDM, ou du commandement de payer valant saisie-immobilière délivré antérieurement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2246, anciennement 2250, du code civil.
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CASS/JURITEXT000046990182.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 janvier 2023
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 20 F-B
Pourvoi n° N 21-17.092
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 11 JANVIER 2023
M. [C] [B], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 21-17.092 contre l'arrêt rendu le 25 mars 2021 par la cour d'appel de Versailles (16e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [J] [E], épouse [B], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à la société Barclay Pharmaceuticals Limited, dont le siège est [Adresse 2] (Royaume-Uni), société de droit anglais,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [B], de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Barclay Pharmaceuticals Limited, et l'avis de Mme Cazaux-Charles, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 novembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 25 mars 2021), la société Barclay Pharmaceuticals a diligenté une saisie conservatoire de droits d'associés et de valeurs mobilières de la SCI Le Montfort, en vertu d'une ordonnance de la High Court of Justice du 22 juin 2018 désignant M. [B], son débiteur, comme le propriétaire réel de ces actifs, fictivement détenus par son épouse, Mme [E].
2. M. [B] et Mme [E] ont saisi le juge de l'exécution d'un tribunal de grande instance en contestation de cette saisie.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens et sur le troisième moyen, pris en seconde branche, ci-après annexés
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [B] fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes en contestation de la saisie de droits d'associés et de valeurs mobilières pratiquée le 1er février 2019 entre les mains de la société civile immobilière (SCI) Montfort, alors « qu'en application de l'article 45 du règlement (UE) du Parlement et du conseil n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis, la reconnaissance d'une décision est refusée si elle méconnaît la compétence exclusive des juridictions d'un autre État membre ; que l'article 24, alinéa 1, du même règlement dispose que "sont seules compétentes les juridictions ci-après d'un État membre, sans considération de domicile des parties" , [...] et l'alinéa 1, § 3, "en matière de validité des inscriptions sur les registres publics, les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel ces registres sont tenus" ; qu'en considérant, pour rejeter le moyen pris de ce que la titularité des parts d'une société civile faisant l'objet d'enregistrement au registre du commerce et des sociétés, la juridiction anglaise était incompétente pour dire que M. [B] était le véritable propriétaire des parts de la SCI Le Monfort en dépit de la mention de Mme [E], épouse [B], comme propriétaire de ces parts, que la demande formulée devant le juge anglais n'a pas trait à la validité des inscriptions sur les registres publics tout en constatant que le jugement anglais du 22 juin 2018 avait pour effet de transférer la propriété des parts de la SCI Le Monfort de leur titulaire apparent, Mm [E], épouse [B], à M. [B], jugé être leur propriétaire réel, de sorte que le jugement mettait en cause la validité des mentions du registre du commerce et des sociétés français, la cour d'appel a violé les articles 45 et 24 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. »
Réponse de la Cour
5. Si, en vertu de l'article 45 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, la reconnaissance est refusée aux décisions rendues en méconnaissance des compétences exclusives et si, selon l'article 24, § 3, sont exclusivement compétentes, en matière de validité des inscriptions sur les registres publics, les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel ces registres sont tenus, cette règle ne concerne que le contentieux de la validité formelle des inscriptions, liée au droit de l'État détenteur du registre.
6. Ayant retenu que la décision du juge anglais, portant sur la propriété réelle des parts sociales détenues en apparence par Mme [B], ne concernait pas la validité des inscriptions au registre du commerce et des sociétés, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [B] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. [B] et le condamne à payer à la société Barclay Pharmaceuticals Limited la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [B].
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [B] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de l'ensemble de ses demandes en contestation de la saisie de droits d'associés et de valeurs mobilières pratiquée le 1er février 2019 entre les mains de la SCI Montfort ;
ALORS QUE lorsque l'exécution d'une décision rendue dans un autre État membre est demandée sur le fondement du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, le certificat délivré conformément à l'article 53 de ce règlement doit être notifié ou signifié à la personne contre laquelle l'exécution est demandée dans un délai raisonnable avant la première mesure d'exécution ; qu'en rejetant la demande de M. [B] tendant à l'annulation de la saisie des droits d'associés et de valeurs mobilières pratiquée entre les mains de la SCI Le Montfort par la société Barclay Pharmaceuticals, au motif que le jugement du 22 juin 2018 accompagné du certificat prévu par l'article 53 du règlement Bruxelles I bis, ayant « été signifié par l'huissier de justice à M. [B] et à Mme [B] le 1er février 2019 à 14h55 », était « parfaitement exécutoire lorsque l'acte de saisie a été signifié postérieurement à 15h00 à la SCI Le Monfort représentée par sa gérante, Mme [J] [E], épouse [B] » (arrêt, p. 7, §§ 2 et 3), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations dont il résultait que le délai de 5 minutes séparant la signification du certificat accompagnant le jugement du 22 juin 2018 de la mesure d'exécution n'était pas raisonnable, et a ainsi violé l'article 43.1, tel qu'éclairé par le considérant 32, du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
M. [B] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de l'ensemble de ses demandes en contestation de la saisie de droits d'associés et de valeurs mobilières pratiquée le 1er février 2019 entre les mains de la SCI Montfort ;
1°) ALORS QU'il n'appartient pas à la juridiction de l'État requis de se prononcer sur la question de savoir si l'action ayant abouti à la décision dont l'exécution est recherchée relève du champ d'application du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 ; qu'en considérant, pour rejeter la demande de M. [B] tendant à ce qu'il soit jugé que la société Barclay Pharmaceuticals ne détenait aucun titre exécutoire, que le jugement rendu le 22 juin 2018 par la Haute cour de justice anglaise, étant l'aboutissement d'une nouvelle procédure introduite le 29 septembre 2017, postérieurement à l'entrée en vigueur du règlement Bruxelles I bis, était soumis aux dispositions de ce règlement et remplissait toutes les conditions requises pour être reconnu et recevoir exécution en France, sans qu'une déclaration constatant sa force exécutoire soit requise, la cour d'appel qui s'est elle-même prononcée sur l'applicabilité du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 à la reconnaissance et à l'exécution de la décision anglaise quand seule cette dernière en avait le pouvoir, a violé les articles 37, 39 et 53 de ce règlement ;
2°) ALORS QU'en toute hypothèse, la juridiction saisie de la demande de délivrance du certificat, prévu par l'article 53 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis, a l'obligation de vérifier si le litige à l'issue duquel la décision a été rendue relève du champ d'application du règlement lorsque la juridiction qui a rendu la décision à exécuter ne s'est pas prononcée, lors de l'adoption de celleci, sur son applicabilité ; qu'en considérant, pour rejeter la demande de M. [B] tendant à ce qu'il soit jugé que la société Barclay Pharmaceuticals ne détenait aucun titre exécutoire, que le jugement rendu le 22 juin 2018 par la Haute cour de justice anglaise est exécutoire en France pour être accompagné du certificat prévu par l'article 53 du règlement Bruxelles I bis qui précise qu'il n'a pas été rendu par défaut, que les défendeurs ont pu comparaître mais qu'ils ne l'ont pas fait, qu'il est exécutoire dans le pays d'origine et qu'il a été rendu par une juridiction matériellement compétence pour connaître de la matière, sans constater que le juge anglais avait, soit dans le jugement du 22 juin 2018 lui-même, soit à l'occasion de la délivrance du certificat l'accompagnant, effectivement vérifié si le litige relevait du champ d'application du règlement (UE) n° 1215 2012 du 12 décembre 2012, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 37, 39 et 53 de ce règlement.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
M. [B] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de l'ensemble de ses demandes en contestation de la saisie de droits d'associés et de valeurs mobilières pratiquée le 1er février 2019 entre les mains de la SCI Montfort ;
1°) ALORS QU'en application de l'article 45 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis, la reconnaissance d'une décision est refusée si elle méconnaît la compétence exclusive des juridictions d'un autre État membre ;
que l'article 24 du même règlement dispose que sont seules compétentes les juridictions ciaprès d'un État membre, sans considération de domicile des parties : [...] 3) en matière de validité des inscriptions sur les registres publics, les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel ces registres sont tenus ; qu'en considérant, pour rejeter le moyen pris de ce que la titularité des parts d'une société civile faisant l'objet d'enregistrement au registre du commerce et des sociétés, la juridiction anglaise était incompétente pour dire que M. [B] était le véritable propriétaire des parts de la SCI Le Monfort en dépit de la mention de Mme [E], épouse [B], comme propriétaire de ces parts, que la demande formulée devant le juge anglais n'a pas trait à la validité des inscriptions sur les registres publics tout en constatant que le jugement anglais du 22 juin 2018 avait pour effet de transférer la propriété des parts de la SCI Le Monfort de leur titulaire apparent, Mme [E], épouse [B], à M. [B], jugé être leur propriétaire réel, de sorte que le jugement mettait en cause la validité des mentions du registre du commerce et des sociétés français, la cour d'appel a violé les articles 45 et 24 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;
2°) ALORS QU'en application de l'article 45 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis, la reconnaissance d'une décision est refusée si elle est manifestement contraire à l'ordre public de l'État membre requis ; qu'est contraire à l'ordre public la décision étrangère qui ordonne le transfert de propriété d'un bien sans caractériser une fraude ni vérifier la proportionnalité d'une telle expropriation au but poursuivi ; qu'en retenant, pour considérer que le jugement anglais du 22 juin 2018 ayant pour effet de transférer la propriété des parts de la SCI Le Monfort de Mme [E], épouse [B], à M. [B], que la législation française connait des mécanismes similaires permettant de contester la propriété apparente d'un bien, de faire réintégrer des biens dans le patrimoine d'un débiteur, et de déjouer et sanctionner les tentatives d'organisation d'insolvabilité dans l'intérêt des créanciers sans constater qu'un tel transfert était justifié par une fraude et proportionné au but poursuivi, la cour d'appel a violé les articles 45 et 24 du règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ensemble l'article 1 du Protocole additionnel n° 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale.
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CASS/JURITEXT000047023445.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 janvier 2023
Cassation sans renvoi
Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 42 F-B
Pourvoi n° N 21-21.370
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [D] [M].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 22 juin 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2023
Mme [D] [M], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° N 21-21.370 contre l'ordonnance rendue le 30 avril 2021 par le premier président de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion (chambre des libertés individuelles), dans le litige l'opposant :
1°/ au groupe hospitalier [5] - pôle santé mentale unité Lagon, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, domicilié [Adresse 4],
3°/ à Mme [H] [M], domiciliée [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bacache-Gibeili, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [M], et l'avis de Mme Mallet-Bricout, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bacache-Gibeili, conseiller rapporteur, M. Chevalier, conseiller, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Saint-Denis, 30 avril 2021), le 8 avril 2021, Mme [M] a été admise en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète au groupe hospitalier [5], par décision du directeur d'établissement et à la demande d'un tiers, sur le fondement de l'article L. 3212-3 du code de la santé publique.
2. Le 14 avril 2021, le directeur d'établissement a saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande de poursuite de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du même code.
3. Mme [M] s'est prévalue de l'irrégularité de la décision de placement en l'absence de preuve d'une information de la commission départementale des soins psychiatriques (la commission) quant à sa situation.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. Mme [M] fait grief à l'ordonnance de maintenir la mesure d'hospitalisation complète, alors « que tout jugement doit comporter des motifs propres à justifier sa décision ; qu'en se fondant, pour rejeter le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure résultant du défaut de transmission sans délai à la commission de la décision d'hospitalisation sous contrainte de Mme [M], de son renouvellement et des certificats médicaux obligatoires en méconnaissance des prescriptions de l'article L. 3212-5 du code de la santé publique, sur les mentions, dans ces décisions, que cette commission en "ser(ait) avis(ée)" et "Copie par mail à : (...) CDSP", tout en "notant" que, dans les faits, une telle commission n'était pas "mise en oeuvre" à La Réunion et qu'il faudrait, sauf à priver à terme les malades d'un moyen de contrôle ou de recours, qu'elle soit "effecti(ve)" dans l'année, le premier président, qui a tenu pour établi l'envoi d'un courriel, tout en constatant l'inexistence de son destinataire, a violé l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
5. Aux termes de ce texte tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs équivaut à un défaut de motifs.
6. Pour maintenir la mesure d'hospitalisation complète et écarter le grief tenant au défaut d'information de la commission, l'ordonnance relève qu'il est mentionné sur les décisions d'admission que cet avis a été effectué et qu'aucun élément intrinsèque ou extrinsèque à la procédure ne permet de le remettre en cause, tout en constatant que cette commission n'est pas mise en oeuvre à La Réunion et correspond de fait à l'ARS qui s'auto-avise et qu'il est primordial de la mettre en oeuvre dans l'année en cours pour ne pas priver à terme le malade d'un moyen de contrôle ou de recours.
7. En statuant ainsi, le premier président, qui s'est contredit, a violé le texte suvsisé.
Et sur le moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
8. Mme [M] fait le même grief à l'ordonnance, alors « qu'en toute hypothèse, la commission peut saisir le représentant de l'Etat ou le procureur de la République de la situation des personnes faisant l'objet de soins sous contrainte au regard du respect des libertés individuelles et de la dignité des personnes, peut proposer au juge d'ordonner la levée des soins et, pour certaines procédures d'admission, l'imposer à la direction de l'hôpital ; qu'en jugeant, pour rejeter le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure résultant du défaut de transmission sans délai à cette commission de la décision d'hospitalisation sous contrainte de Mme [M], de son renouvellement et des certificats médicaux obligatoires, qu'elle ne lui aurait pas fait grief dès lors que cette commission n'aurait "que la possibilité d'interpeller ou de donner un avis sans pouvoir se saisir d'elle-même sans demande spécifique", cependant qu'informée de la situation de Mme [M], elle aurait pu intervenir en sa faveur, en dehors de toute réclamation de cette dernière et imposer à la direction de l'hôpital la levée de son hospitalisation, le premier président a violé les articles L. 3223-1, L. 3212-9 et L. 3216-1, alinéa 2, du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3223-1, L. 3212-9 et L. 3216-1, alinéa 2, du code de la santé publique :
9. Selon le premier de ces textes, la commission départementale des soins psychiatriques peut notamment proposer au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe l'établissement d'accueil d'une personne admise en soins psychiatriques en application des chapitres II à IV du titre I du livre II ou de l'article 706-135 du code de procédure pénale d'ordonner, dans les conditions définies à l'article L. 3211-12 du même code, la levée de la mesure de soins psychiatriques dont cette personne fait l'objet.
10. Selon le deuxième, elle peut demander au directeur de l'établissement de prononcer la levée de la mesure de soins psychiatriques, lequel doit accéder à sa demande.
11. Selon le troisième, l'irrégularité affectant une décision administrative prise en application des chapitres II à IV du titre précité n'entraîne la mainlevée de la mesure que s'il en est résulté une atteinte aux droits de la personne.
12. Il s'ensuit que le défaut d'information de la commission des décisions d'admission peut porter atteinte aux droits de la personne concernée et justifier une mainlevée de la mesure.
13. Pour maintenir la mesure d'hospitalisation complète et écarter le grief tenant au défaut d'information de la commission, l'ordonnance énonce encore que celle-ci a seulement la possibilité d'interpeller ou de donner un avis sans pouvoir se saisir d'elle-même en l'absence de demande spécifique.
14. En statuant ainsi, le premier président, qui a écarté par principe toute atteinte aux droit de la personne, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
PAR CES MOTIFS, la Cour, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 30 avril 2021, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour Mme [M]
Mme [M] fait grief à l'ordonnance confirmative attaquée d'AVOIR rejeté sa demande tendant à voir ordonner la mainlevée la mesure de soins psychiatriques sans consentement sous la forme de son hospitalisation complète ;
1°) ALORS QUE, celui qui se prétend libéré d'une obligation doit justifier le fait qui a produit son extinction ; qu'en jugeant, pour rejeter le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure résultant du défaut de transmission sans délai à la commission départementale des soins psychiatriques de la décision d'hospitalisation sous contrainte de Mme [M], de son renouvellement et des certificats médicaux obligatoires en méconnaissance des prescriptions de l'article L. 3212-5 du code de la santé publique, que si ce texte précise « ce qui doit être fait », il n'« impose(rait) pas qu'il soit justifié que cela a été effectivement fait » ou encore que ni la loi ni la jurisprudence n'imposeraient à la direction de l'hôpital de « rapporter la preuve de la transmission » de ces pièces, le Premier président a violé cet article, ensemble l'article 1353, alinéa 2, du code civil ;
2°) ALORS QUE, tout jugement doit comporter des motifs propres à justifier sa décision ; qu'en se fondant, pour rejeter le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure résultant du défaut de transmission sans délai à la commission départementale des soins psychiatriques de la décision d'hospitalisation sous contrainte de Mme [M], de son renouvellement et des certificats médicaux obligatoires en méconnaissance des prescriptions de l'article L. 3212-5 du code de la santé publique, sur les mentions, dans ces décisions, que cette commission en « ser(ait) avis(ée) » et « Copie par mail à : (?) CDSP », tout en « notant » que, dans les faits, une telle commission n'était pas « mise en oeuvre » à la Réunion et qu'il faudrait, sauf à priver à terme les malades d'un moyen de contrôle ou de recours, qu'elle soit « effecti(ve) » dans l'année, le Premier président, qui a tenu pour établi l'envoi d'un courriel, tout en constatant l'inexistence de son destinataire, a violé l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ;
3°) ALORS QU'en toute hypothèse, celui qui se prétend libéré d'une obligation doit justifier le fait qui a produit son extinction ; qu'en se fondant, pour rejeter le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure résultant du défaut de transmission sans délai à la commission départementale des soins psychiatriques de la décision d'hospitalisation sous contrainte de Mme [M], de son renouvellement et des certificats médicaux obligatoires, sur les seules mentions que cette commission en « ser(ait) avis(ée) » et « Copie par mail à : (?) CDSP », apposées par la direction de l'hôpital sur ses décisions, le Premier président s'est prononcé par des motifs impropres à justifier de la réalité, du contenu et de la date des courriels par lesquels ces pièces auraient été transmises, violant, ce faisant, l'article L. 3212-5 du code de la santé publique, ensemble l'article 1353, alinéa 2, du code civil ;
4°) ALORS QUE le défaut de transmission sans délai de la décision d'admission d'une personne en soins psychiatriques sous contrainte, de son renouvellement et des certificats médicaux obligatoires à la commission départementale des soins psychiatriques, chargée d'examiner sa situation au regard du respect des libertés individuelles et de la dignité des personnes, fait nécessairement grief à cette personne ; qu'en jugeant le contraire, pour rejeter le moyen tiré de cette irrégularité, le Premier président a violé les article L. 3222-5 et L. 3216-1 alinéa 2, du code de la santé publique ;
5°) ALORS QU'en toute hypothèse, la commission départementale des soins psychiatriques peut saisir le représentant de l'Etat ou le procureur de la République de la situation des personnes faisant l'objet de soins sous contrainte au regard du respect des libertés individuelles et de la dignité des personnes, peut proposer au juge d'ordonner la levée des soins et, pour certaines procédures d'admission, l'imposer à la direction de l'hôpital ; qu'en jugeant, pour rejeter le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure résultant du défaut de transmission sans délai à cette commission de la décision d'hospitalisation sous contrainte de Mme [M], de son renouvellement et des certificats médicaux obligatoires, qu'elle ne lui aurait pas fait grief dès lors que cette commission n'aurait « que la possibilité d'interpeller ou de donner un avis sans pouvoir se saisir d'elle-même sans demande spécifique », cependant qu'informée de la situation de Mme [M], elle aurait pu intervenir en sa faveur, en dehors de toute réclamation de cette dernière et imposer à la direction de l'hôpital la levée de son hospitalisation, le Premier président a violé les articles L. 3223-1, L. 3212-9 et L. 3216-1, alinéa 2, du code de la santé publique.
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CASS/JURITEXT000047073840.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 19 janvier 2023
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 76 F-B
Pourvoi n° C 21-17.221
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2023
La Société nationale des poudres et explosifs, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 21-17.221 contre l'arrêt rendu le 4 mars 2021 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l'opposant à la société Allianz global corporate & specialty SE, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations écrites et orales de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la Société nationale des poudres et explosifs, les observations écrites et orales de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Allianz global corporate & specialty SE, et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Grignon Dumoulin, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 4 mars 2021), une explosion survenue le 21 septembre 2001 sur le site toulousain de la société Grande Paroisse, filiale de la société Total, a occasionné des dégâts très importants sur celui-ci, ainsi que sur le site industriel voisin regroupant plusieurs usines chimiques mitoyennes, dont celle de la Société nationale des poudres et explosifs (la société Snpe).
2. L'une des activités principales de la société Snpe était la production chimique de phosgène, produit reconnu dangereux dont des quantités importantes étaient produites et stockées sur place et dont la société Bayer était l'une des principales utilisatrices. Par arrêté préfectoral d'urgence du 21 septembre 2001, la production de phosgène a été suspendue avant d'être définitivement interrompue, le 1er juillet 2002.
3. En mai 2004, la société Snpe et la société Bayer ont assigné les sociétés Grande Paroisse et Total en réparation des préjudices résultant de l'explosion du 21 septembre 2001, notamment du fait de l'impossibilité de reprendre l'activité de production de phosgène.
4. La société Grande Paroisse a assigné, le 10 février 2005, la société Snpe afin qu'elle soit déclarée entièrement responsable des conséquences dommageables de cet arrêt d'activité pour la société Bayer.
5. Le 13 septembre 2005, la société Snpe a souscrit auprès de la société Agf devenue Allianz global corporate & specialty SE (l'assureur) un contrat d'assurance de responsabilité civile à effet au 1er janvier 2005.
6. Les sociétés Snpe et Bayer, ainsi que l'assureur, par un arrêt du 9 septembre 2008, ont été partiellement déboutés de leurs actions en responsabilité et indemnisation formées contre les sociétés Grande Paroisse et Total. Par un arrêt du 17 juin 2010 (2e Civ., 17 juin 2010, pourvoi n° 09-13.583), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la société Bayer.
7. Le 26 décembre 2011, la société Bayer a assigné la société Snpe devant un tribunal de commerce en responsabilité et aux fins d'indemnisation de son préjudice consécutif à l'arrêt définitif de la production de phosgène sur le site toulousain.
8. A la suite du refus de garantie opposé par l'assureur à la société Snpe, cette dernière l'a assigné devant un tribunal de commerce aux fins de règlement d'une indemnité d'assurance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
9. La société Snpe fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ce que l'assureur soit condamné à lui verser une indemnité d'assurance d'un montant de 17 220 226,63 euros, au titre, d'une part, de la somme transactionnelle de 17 000 000 d'euros versée par la société Snpe à lal société Bayer et, d'autre part, de la somme de 220 226,63 euros HT qu'elle a réglée au titre de ses frais de défense, alors :
« 1°/ que l'assureur dont la garantie est déclenchée par la réclamation de l'assuré ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que ce dernier avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie ; qu'un fait dommageable n'est connu de l'assuré que lorsqu'il est certain que la victime se retournera contre l'assuré pour demander réparation de son dommage ; que, pour relever que le fait dommageable subi par la société Bayer aurait été connu de la société Snpe antérieurement à la souscription de la garantie le 13 septembre 2005, la cour d'appel a énoncé que « contrairement à ce que soutient la société Snpe, il n'est donc pas nécessaire, pour caractériser le passé connu, que, outre la connaissance par l'assuré du fait dommageable, la réclamation de la victime soit inéluctable [ ; qu'] il suffit que l'assuré ait eu connaissance, avant la souscription du contrat, d'un fait dommageable ou d'un fait susceptible d'engager sa responsabilité, peu important que la réclamation soit encore incertaine à ce stade » ; qu'en statuant ainsi sans relever qu'il était certain que la société Bayer demande à la société Snpe qu'elle l'indemnise de son préjudice résultant de la cessation de l'activité de phosgène en 2002, la cour d'appel a violé l'article L. 124-5 du code des assurances ;
2°/ que subsidiairement, l'assureur dont la garantie est déclenchée par la réclamation de l'assuré ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que ce dernier avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie ; qu'un fait connu n'est qualifié de dommageable que lorsque l'assuré peut raisonnablement considérer être à l'origine du dommage invoqué par la victime ; que pour juger que la société Snpe avait connaissance du fait dommageable à compter du 10 février 2005, la cour d'appel a relevé qu'elle avait été faite assigner en intervention forcée par la société Grande Paroisse qui sollicitait sa mise hors de cause quant aux conséquences préjudiciables de la cessation de l'activité de phosgène par la société Snpe ; qu'une telle assignation en intervention forcée ne donnait pourtant aucune indication quant à une action éventuelle de la société Bayer à l'encontre de la société Snpe, une telle action n'ayant été initiée que le 26 décembre 2011, après que la Cour de cassation a rejeté, le 17 juin 2010, le pourvoi de la société Bayer à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 9 septembre 2008 l'ayant déboutée de sa demande à l'encontre de la société Grande Paroisse au titre de préjudice résultant de la cessation de l'activité de phosgène par la société Snpe ; que la cour d'appel s'est dès lors prononcée par des motifs inopérants à établir que la société Snpe avait connaissance du fait dommageable le 10 février 2005 et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 124-5 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
10. Selon l'article L. 124-5, alinéa 4, du code des assurances, lorsque la garantie est déclenchée par la réclamation, l'assureur ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que l'assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie.
11. Pour rejeter la demande de la société Snpe en paiement d'une indemnité d'assurance, l'arrêt énonce que cette société avait connaissance, à compter du 10 février 2005 au moins, du caractère dommageable, pour la société Bayer, de l'arrêt de la production de phosgène et du fait que sa responsabilité pouvait être engagée à ce titre, ce dont elle a pris connaissance par l'assignation délivrée par la société Grande Paroisse en février 2005, soit antérieurement à la souscription du contrat d'assurance, en septembre 2005, et qu'il n'est pas nécessaire, pour caractériser le passé connu, qu'outre la connaissance par l'assuré du fait dommageable, la réclamation de la victime soit inéluctable et qu'il suffit que l'assuré ait eu connaissance, avant la souscription du contrat, d'un fait dommageable ou d'un fait susceptible d'engager sa responsabilité, peu important que la réclamation fût encore incertaine.
12. Ayant ainsi souverainement estimé que l'assureur établissait que la société SNPE avait eu connaissance du fait dommageable dès son assignation, le 10 février 2005, par la société Grande Paroisse, tendant à ce qu'elle soit déclarée responsable, à l'égard de la société Bayer, des conséquences dommageables de sa cessation d'activité de production de phosgène, soit antérieurement à la date de souscription du contrat garantissant sa responsabilité civile, la cour d'appel en a exactement déduit que l'assureur ne devait pas sa garantie.
13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la Société nationale des poudres et explosifs aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la Société nationale des poudres et explosifs
LA SOCIÉTÉ SNPE FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande que la société Allianz Global Coroporate & Speciality SE soit condamnée à lui verser une indemnité d'assurance d'un montant de 17 220 226,63 euros, au titre, d'une part, de la somme transactionnelle de 17 000 000 d'euros versée par la Snpe à Bayer et, d'autre part, de la somme de 220 226,63 euros HT qu'elle a réglée au titre de ses frais de défense ;
1°) ALORS QUE l'assureur dont la garantie est déclenchée par la réclamation de l'assuré ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que ce dernier avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie ; qu'un fait dommageable n'est connu de l'assuré que lorsqu'il est certain que la victime se retournera contre l'assuré pour demander réparation de son dommage ; que, pour relever que le fait dommageable subi par la société Bayer aurait été connu de la Snpe antérieurement à la souscription de la garantie le 13 septembre 2005, la cour d'appel a énoncé que « contrairement à ce que soutient la société SNPE, il n'est donc pas nécessaire, pour caractériser le passé connu, que, outre la connaissance par l'assuré du fait dommageable, la réclamation de la victime soit inéluctable [ ; qu'] il suffit que l'assuré ait eu connaissance, avant la souscription du contrat, d'un fait dommageable ou d'un fait susceptible d'engager sa responsabilité, peu important que la réclamation soit encore incertaine à ce stade » (p. 14 de l'arrêt) ; qu'en statuant ainsi sans relever qu'il était certain que la société Bayer demande à la société Snpe qu'elle l'indemnise de son préjudice résultant de la cessation de l'activité de phosgène en 2002, la cour d'appel a violé l'article L. 124-5 du code des assurances ;
2°) ALORS, subsidiairement, QUE l'assureur dont la garantie est déclenchée par la réclamation de l'assuré ne couvre pas l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s'il établit que ce dernier avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie ; qu'un fait connu n'est qualifié de dommageable que lorsque l'assuré peut raisonnablement considérer être à l'origine du dommage invoqué par la victime ; que pour juger que la société SNPE avait connaissance du fait dommageable à compter du 10 février 2005, la cour d'appel a relevé qu'elle avait été faite assigner en intervention forcée par la société Grande paroisse qui sollicitait sa mise hors de cause quant aux conséquences préjudiciables de la cessation de l'activité de phosgène par la société SNPE ; qu'une telle assignation en intervention forcée ne donnait pourtant aucune indication quant à une action éventuelle de la société Bayer à l'encontre de la société SNPE, une telle action n'ayant été initiée que le 26 décembre 2011, après que la Cour de cassation a rejeté, le 17 juin 2010, le pourvoi de la société Bayer à l'encontre de l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 9 septembre 2008 l'ayant déboutée de sa demande à l'encontre de la société Grande paroisse au titre de préjudice résultant de la cessation de l'activité de phosgène par la société SNPE ; que la cour d'appel s'est dès lors prononcée par des motifs inopérants à établir que la société SNPE avait connaissance du fait dommageable le 10 février 2005 et n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 124-5 du code des assurances.
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CASS/JURITEXT000047073950.xml | LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 96 FS-B
Pourvoi n° G 21-19.089
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 JANVIER 2023
1°/ Mme [O] [F], épouse [L], domiciliée [Adresse 1],
2°/ la société Archibald, dont le siège est [Adresse 2], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, en la personne de Mme [Z] [M], agissant en sa qualité de mandataire liquidateur de Mme [O] [L],
ont formé le pourvoi n° G 21-19.089 contre l'arrêt rendu le 16 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 chambre 3), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Span, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société de Paris, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [L] et de la société Archibald,ès qualité, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la société de Paris, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, MM. Jessel, David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, conseillers, M. Jariel, Mmes Schmitt, Aldigé, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 juin 2021), en 2005 et en 2007, deux baux commerciaux portant sur des locaux à usage d'hôtel, bar restaurant et organisation de réception, ont été consentis par la société civile immobilière Span (la bailleresse) à Mme [L] (la locataire).
2. En exécution d'un arrêt, rendu en référé le 1er octobre 2015, confirmant une ordonnance qui constatait la résiliation des baux par acquisition de la clause résolutoire, la locataire a été expulsée des locaux, qui ont été vendus à une société tierce, le 12 mai 2017.
3. Statuant par arrêt du 20 septembre 2018, après cassation de l'arrêt du 1er octobre 2015 (3e Civ., 30 mars 2017, pourvoi n° 16-10.366, Bull. 2017, III, n° 47), la cour d'appel de renvoi a infirmé l'ordonnance.
4. Au cours de la procédure en référé, la locataire avait assigné la bailleresse, en annulation des commandements et du procès-verbal d'expulsion, en réintégration et en indemnisation des préjudices subis en conséquence de son expulsion.
5. Par jugement du 10 juillet 2019, la procédure de redressement judiciaire de la locataire a été convertie en liquidation judiciaire et la société Archibald a été désignée en qualité de mandataire liquidateur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. La locataire représentée par son mandataire liquidateur fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de condamnation de la bailleresse et de l'acquéreur des locaux en réparation de la perte de son chiffre d'affaires depuis la date de l'expulsion, alors : « que le preneur qui n'a pu continuer son activité jusqu'à la date de paiement de l'indemnité d'éviction du fait du manquement du bailleur à ses obligations, est fondé à solliciter la réparation du préjudice qui en résulte ; qu'à supposer que, comme l'a retenu la cour d'appel, la restitution à laquelle avait droit Mme [L] devait être calculée comme l'indemnité d'éviction du preneur à bail commercial, elle devait inclure les pertes d'exploitation subies jusqu'au versement de l'indemnité d'éviction ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution, L. 145-14 du code de commerce et 1147, devenu 1231-1, du code civil.»
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution et les articles L. 145-14 et L. 145-28 du code de commerce :
8. Il résulte, du premier de ces textes, que si la décision de justice, titre en vertu duquel l'exécution est poursuivie aux risques du créancier, est ultérieurement modifiée, le créancier rétablit le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent et, des deux derniers, que le locataire évincé, qui peut prétendre au paiement d'une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail commercial, a droit jusqu'au paiement de cette indemnité, au maintien dans les lieux, aux conditions et clauses du contrat de bail expiré.
9. Pour rejeter la demande de condamnation au titre de la perte de chiffre d'affaires, l'arrêt retient que la locataire, indemnisée de la perte de son fonds de commerce, intervenue à la date de son expulsion, ne peut au surplus être indemnisée des gains qu'elle aurait obtenus si elle était restée en possession du fonds.
10. En statuant ainsi, alors que la privation de la possibilité de poursuivre, dans les locaux, une activité commerciale jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction, en méconnaissance du droit du locataire au maintien dans les lieux, occasionne à ce dernier un préjudice qu'il appartient au juge d'évaluer, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
11. La portée de la cassation est limitée au rejet de la demande en paiement de la somme de 2 430 000 euros, au titre de la perte de chiffre d'affaires, pour l'hôtel et le restaurant, pour les mois d'avril 2016 à la fin de l'année 2020, en ce qu'elle est dirigée contre la bailleresse.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande en paiement de la somme de 2 430 000 euros, au titre de la perte de chiffre d'affaires, pour l'hôtel et le restaurant, pour les mois d'avril 2016 à la fin de l'année 2020, en ce qu'elle est dirigée contre la société civile immobilière Span, l'arrêt rendu le 16 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société civile immobilière Span aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière Span et la condamne à payer à Mme [L] et à la société Archibald, agissant en qualité de mandataire liquidateur de celle-ci, la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour Mme [L] et de la société Archibald, ès qualités,
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Les demanderesses au pourvoi font grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme [L] de sa demande tendant à lui voir déclarer inopposable la vente immobilière intervenue entre la SCI Span et la SCI de Paris et d'avoir mis hors de cause la SCI de Paris
alors 1°) qu'il suffit, pour que l'action paulienne puisse être exercée, que la créance dont se prévaut le demandeur ait été certaine en son principe au moment de l'acte argué de fraude ; qu'en jugeant, pour rejeter l'action paulienne de Mme [L] visant la cession de l'immeuble de la SCI Span à la SCI de Paris, qu'au moment de la signature de la promesse de vente, le 24 janvier 2017, la créance de Mme [L] à l'égard de la SCI Span n'aurait pas été certaine en son principe quand elle intervenait pendant l'examen du pourvoi contre l'arrêt sur le fondement duquel avait été exécutée son expulsion des lieux et qu'ainsi la créance de restitution de Mme [L] existait en son principe, la cour d'appel a violé, par refus d'application l'article 1167 ancien, actuel 1341-2, du code civil ;
2°) que l'action paulienne peut avoir pour objet de rendre inopposable un acte commis par le débiteur dans le cadre d'une fraude organisée en vue de porter préjudice à un créancier futur ; qu'en considérant qu'il n'était pas établi que, lors de la signature de la promesse de vente de ses murs de l'hôtel et du restaurant à la SCI de Paris, la SCI Span avait eu conscience de diminuer son patrimoine pour empêcher Mme [L] de recouvrer la créance née de la mise à néant de son expulsion, en se bornant à rappeler les stipulations de la promesse de vente quant aux modalités de paiement du prix de cession, mais sans s'interroger sur leur signification quant à l'étroitesse des liens existant entre la SCI Span et la SCI de Paris et sans rechercher plus largement, comme il le lui était demandé, si, dès avant l'expulsion de Mme [L], ces deux sociétés ne s'étaient pas entendues pour rendre le départ de la locataire irréversible et le paiement impossible des créances de cette dernière à l'égard de la SCI Span, ce qu'avait permis le transfert des biens de l'une vers l'autre dès que cela avait été possible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 ancien, actuel 1341-2, du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Les demanderesses au pourvoi font grief à l'arrêt attaqué de débouter Mme [L] de sa demande tendant à voir condamner in solidum, les sociétés Span et de Paris à lui verser à titre de dommages-intérêts une somme de 2 430 000 euros pour réparer la perte de son chiffre d'affaires du mois d'avril 2016 jusqu'à la fin de l'année 2020 alors :
1°) que l'indemnisation de la privation de jouissance consécutive à l'exécution d'un arrêt ultérieurement cassé constitue une restitution indemnisable au titre de l'article L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution ; qu'en limitant pourtant l'indemnisation de Mme [L] due en conséquence de la cassation de l'arrêt ayant fondé son expulsion à la seule perte des fonds de commerce d'hôtel et de restaurant, excluant qu'elle puisse être indemnisée de la privation de jouissance de ces fonds au titre de son droit à restitution, la cour d'appel a violé le texte précité ;
2°) que le preneur qui n'a pu continuer son activité jusqu'à la date de paiement de l'indemnité d'éviction du fait du manquement du bailleur à ses obligations, est fondé à solliciter la réparation du préjudice qui en résulte ; qu'à supposer que, comme l'a retenu la cour d'appel, la restitution à laquelle avait droit Mme [L] devait être calculée comme l'indemnité d'éviction du preneur à bail commercial, elle devait inclure les pertes d'exploitation subies jusqu'au versement de l'indemnité d'éviction ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution, L. 145-14 du code de commerce et 1147, nouvellement 1231-1, du code civil,;
3°) à titre subsidiaire, que doit être réparée sur le fondement de la responsabilité civile toute faute indépendante de l'exécution de la décision cassée ; qu'en excluant toute réparation de la privation de jouissance des fonds de commerce exploités dans l'immeuble dont Mme [L] avait été expulsée en exécution d'une décision ultérieurement cassée au seul motif qu'elle ne relèverait pas de la restitution prévue à l'article L. 111-11 du code des procédures civiles d'exécution, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si cette réparation n'était pas due en réparation de la stratégie conduite de mauvaise foi par la société Span qui avait conduit à la liquidation judiciaire de Mme [L], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 nouvellement 1240 du code civil.
Le greffier de chambre
3e Civ., 30 novembre 2017, pourvoi n° 16-17.686, Bull. 2017, III, n° 133 (cassation partielle).
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CASS/JURITEXT000047073946.xml | LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle sans renvoi
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 93 FS-B
Pourvoi n° K 21-21.943
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 JANVIER 2023
1°/ Mme [S] [Z], domiciliée [Adresse 2],
2°/ la société Les Motocycles [Z] & Cie, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° K 21-21.943 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2021 par la cour d'appel de Bordeaux (4e chambre civile), dans le litige les opposant à la société Pharmacie Dubo, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [Z] et de la société Les Motocycles [Z] & Cie, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de la société Pharmacie Dubo, et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, conseillers, M. Jariel, Mme Schmitt, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, conseillers référendaires, M. Sturlèse, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 8 juin 2021), Mme [Z] et la société Les Motocycles [Z] et Cie (les bailleresses), propriétaires de locaux commerciaux donnés à bail à la société Pharmacie Dubo (la locataire) ont saisi le juge des loyers commerciaux en fixation du loyer du bail renouvelé.
2. La locataire a demandé, à titre subsidiaire, de fixer le loyer déplafonné à une certaine somme et de dire que les augmentations de loyer en résultant ne pourront être supérieures à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. Les bailleresses font grief à l'arrêt de fixer le prix du loyer du bail renouvelé à une certaine somme, alors « que dans leurs écritures d'appel, Mme [Z] et la société Les motocyclettes [Z] avaient fait valoir que le transfert à la charge du locataire notamment de l'impôt foncier ne pouvait constituer une charge exorbitante dès lors qu'elle constituait une pratique unanime dans le voisinage et figurait dans tous les baux qui avaient été retenus comme éléments de comparaison par l'expert ; qu'en omettant de répondre à ce moyen, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article R. 145-8 du code de commerce, les obligations incombant normalement au bailleur, dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative.
5. La cour d'appel, sans être tenue de répondre à des conclusions inopérantes, a, à bon droit, retenu que l'impôt foncier mis à la charge de la locataire par le bail constituait une charge exorbitante justifiant une diminution de la valeur locative qu'elle a souverainement estimée.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. Les bailleresses font grief à l'arrêt de fixer le prix du loyer du bail renouvelé à effet du 1er octobre 2015 à la somme annuelle de 29 500 euros et de fixer le montant du loyer du bail renouvelé dû par la locataire aux sommes annuelles de 22 417, 43 euros à compter du 1er janvier 2015, de 24 659,17 euros à compter du 1er janvier 2016, de 27 125, 09 euros à compter du 1er janvier 2017 et de 29 500 euros à compter du 1er janvier 2018, alors « que le dernier alinéa de l'article L. 145-34 du code de commerce instaure, dans les cas qu'il détermine, un étalement de la hausse du loyer du bail renouvelé qui résulte du déplafonnement, sans affecter la fixation du loyer à la valeur locative ; que ce dispositif étant distinct de celui de la fixation du loyer, il revient aux parties, et non au juge des loyers commerciaux dont la compétence est limitée aux contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, d'établir l'échéancier de l'augmentation progressive du loyer que le bailleur est en droit de percevoir, d'autant que l'étalement n'étant pas d'ordre public, les parties peuvent convenir de ne pas l'appliquer ; que dès lors, en fixant l'étalement de l'augmentation du loyer selon un échéancier, le juge des loyers commerciaux a violé l'article L. 145-34 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. La locataire conteste la recevabilité du moyen en soutenant qu'il est nouveau et mélangé de fait et droit.
9. Toutefois, ce moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.
10. Il est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 145-34, dernier alinéa, et R. 145-23 du code de commerce :
11. Selon le premier texte, en cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 du code de commerce où s'il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d'une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente.
12. Selon le second, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les premières.
13. Le dernier alinéa de l'article L. 145-34 n'instaure, dans les cas qu'il détermine, qu'un étalement de la hausse du loyer qui résulte du déplafonnement, sans affecter la fixation du loyer à la valeur locative.
14. Ce dispositif étant distinct de celui de la fixation du loyer, il n'entre pas dans l'office du juge des loyers commerciaux de statuer sur son application.
15. Pour fixer le montant du bail renouvelé dû par la locataire aux sommes de 22 417, 43 euros à compter du 1er janvier 2015, de 24 659,17 euros à compter du 1er janvier 2016, de 27 125, 09 euros à compter du 1er janvier 2017 et de 29 500 euros à compter du 1er janvier 2018, l'arrêt retient que le loyer du bail renouvelé ne s'établira à ce dernier montant qu'à compter du 1er janvier 2018 en application du dernier alinéa de l'article L. 145-34.
16. En statuant ainsi, alors que saisie de l'appel d'un jugement du juge des loyers commerciaux, elle ne pouvait statuer que dans la limite des pouvoirs de celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
17. Tel que suggéré par le mémoire en demande, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
19. La cour d'appel n'en ayant pas le pouvoir, il n'y a pas lieu de fixer l'étalement de la hausse du loyer déplafonné.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement, de la seule disposition fixant le montant du loyer du bail renouvelé dû par la société Pharmacie Dubo à compter du 1er janvier 2015 à la somme annuelle de 22 417, 43 euros hors taxes et hors charges ; à compter du 1er janvier 2016, à la somme annuelle de 24 659,17 euros hors taxes et hors charges ; à compter du 1er janvier 2017 à la somme annuelle de 27 125, 09 euros hors taxes et hors charges et à compter du 1er janvier 2018, à la somme annuelle de 29 500 hors taxes et hors charges, l'arrêt rendu le 8 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne la société Pharmacie Dubo aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour Mme [Z] et la société Les Motocycles [Z] & Cie
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Mme [Z] et la société Les motocyclettes [Z] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir fixé le prix du loyer du bail renouvelé à effet du 1e octobre 2015 à la somme annuelle de 29 500 € ;
ALORS QUE dans leurs écritures d'appel (p. 5, al. 3 et suivants), Mme [Z] et la société Les motocyclettes [Z] avaient fait valoir que le transfert à la charge du locataire notamment de l'impôt foncier ne pouvait constituer une charge exorbitante dès lors qu'elle constituait une pratique unanime dans le voisinage et figurait dans tous les baux qui avaient été retenus comme éléments de comparaison par l'expert ; qu'en omettant de répondre à ce moyen, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Mme [Z] et la société Les motocyclettes [Z] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir fixé le prix du loyer du bail renouvelé à effet du 1er octobre 2015 à la somme annuelle de 29 500 €, et fixé le montant du loyer du bail renouvelé dû par la société Pharmacie Dubo à compter du 1er janvier 2015, à la somme annuelle de 22 417,43 €, à compter du 1er janvier 2016, à la somme annuelle de 24 659,17 €, à compter du 1er janvier 2017, à la somme annuelle de 27 125,09 €, et à compter du 1er janvier 2018, à la somme annuelle de 29 500 €, tous les loyers s'entendant hors taxes et hors charges ;
1- ALORS QUE le dernier alinéa de l'article L. 145-34 du code de commerce instaure, dans les cas qu'il détermine, un étalement de la hausse du loyer du bail renouvelé qui résulte du déplafonnement, sans affecter la fixation du loyer à la valeur locative ; que ce dispositif étant distinct de celui de la fixation du loyer, il revient aux parties, et non au juge des loyers commerciaux dont la compétence est limitée aux contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, d'établir l'échéancier de l'augmentation progressive du loyer que le bailleur est en droit de percevoir, d'autant que l'étalement n'étant pas d'ordre public, les parties peuvent convenir de ne pas l'appliquer ; que dès lors, en fixant l'étalement de l'augmentation du loyer selon un échéancier, le juge des loyers commerciaux a violé l'article L. 145-34 du code de commerce ;
2- ET ALORS QU'en tout état de cause, dans ses écritures d'appel, la société Pharmacie Dubo n'avait pas demandé au juge de fixer un échéancier de l'augmentation du loyer, mais seulement de dire que les augmentations de loyer en résultant ne pourront être supérieures à 10 % du loyer acquitté au cours de l'année précédente ; qu'en établissant néanmoins un échéancier, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile.
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CASS/JURITEXT000047073942.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Cassation partielle
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 57 FS-B
Pourvoi n° M 19-25.478
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 25 JANVIER 2023
M. [R] [F], domicilié [Adresse 5], a formé le pourvoi n° M 19-25.478 contre l'arrêt rendu le 17 octobre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [W] [F], domiciliée [Adresse 4],
2°/ à M. [G] [F], domicilié [Adresse 2],
3°/ à Mme [C] [F], domiciliée [Adresse 3],
4°/ à M. [I] [F], domicilié [Adresse 7],
5°/ à Mme [B] [F], domiciliée [Adresse 6],
6°/ à la Société centrale de réalisations immobilières promotions, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
7°/ à la société Socri immo, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société HC ,
défendeurs à la cassation.
La Société centrale de réalisations immobilières promotions,la société Socri immo et M. [I] [F] ont formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Les demandeurs au pourvoi incident éventuel invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Buat-Ménard, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [R] [F], de la SCP Spinosi, avocat de M. [I] [F], de Société centrale de réalisations immobilières promotions et de la société Socri immo, et l'avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Buat-Ménard, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, Conseiller doyen, Mmes Antoine, Beauvois, Dard et Poinseaux, M. Fulchiron, conseillers, M. Duval et Mme Azar, conseillers référendaires, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 octobre 2019), par acte du 30 janvier 2010, M. [I] [F] et ses cinq enfants, M. [R] [F], Mme [W] [F], Mme [B] [F], M. [G] [F] et Mme [C] [F], ainsi que la société HC, actionnaires de la société par actions simplifiée Société centrale de réalisations immobilières promotions (la société SOCRI promotions), ont conclu un contrat intitulé « pacte d'actionnaires », qui prévoit ce qui devra être mis en oeuvre lorsque M. [I] [F] ne sera plus associé du groupe SOCRI afin que le groupe reste au sein de la famille, ainsi que des dispositions devant immédiatement régir la vie de la société et les actes des associés. Par lettre du 23 février 2017, M. [I] [F] et la société HC ont notifié à M. [R] [F] la résolution unilatérale du pacte d'actionnaires.
2. M. [R] [F] a assigné M. [I] [F] et la société HC, en présence de Mme [W] [F], Mme [B] [F], M. [G] [F], Mme [C] [F], ainsi que de la société SOCRI promotions, afin qu'il soit jugé que la résolution du pacte avait été mise en oeuvre de manière abusive et qu'elle était irrégulière et inefficace. Mme [B] [F] a également résilié de façon unilatérale le pacte d'actionnaires.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, du pourvoi incident, qui est préalable
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
4. Les sociétés SOCRI promotions et SOCRI Immo, celle-ci venant aux droits de la société HC, et M. [I] [F] font grief à l'arrêt de dire que le pacte du 30 janvier 2010 est un pacte d'associés et, partant, de rejeter la demande en nullité de ce pacte formée par M. [I] [F], la société HC et Mme [B] [F], alors « qu'une stipulation ayant pour objet d'attribuer un droit éventuel sur tout ou partie d'une succession non ouverte constitue un pacte sur succession future prohibé par la loi ; qu'en l'espèce, en retenant que le pacte du 30 janvier 2010 n'est pas un pacte sur succession future, lorsqu'elle relevait que "l'article 5 [...] énonce une disposition relative à un bien futur de la succession de Monsieur [I] [F] dans la mesure où elle prévoit les modalités de remboursement de son compte courant d'actionnaire lors de l'ouverture de sa succession", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 722 du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article 722 du code civil, les conventions qui ont pour objet de créer des droits ou de renoncer à des droits sur tout ou partie d'une succession non encore ouverte ou d'un bien en dépendant ne produisent effet que dans les cas où elles sont autorisées par la loi.
6. Lorsque la nullité en résultant n'affecte qu'une ou plusieurs clauses de l'acte, elle n'emporte sa nullité en son entier que si cette ou ces clauses en constituent une condition essentielle et déterminante.
7. La cour d'appel a retenu que, si l'article 5 du pacte d'actionnaires énonçait une disposition relative à un bien futur de la succession de M. [I] [F] dans la mesure où elle prévoyait les modalités de remboursement de son compte courant d'actionnaire lors de l'ouverture de sa succession, ce pacte ne portait pas, en ses autres dispositions, sur les biens meubles ou immeubles de cette succession, mais avait pour objectif de définir la stratégie de gestion que devraient adopter ses héritiers lorsque M. [I] [F] se serait retiré des affaires ou serait décédé, afin de pérenniser le groupe SOCRI et de préserver les intérêts de chacun d'entre eux.
8. Elle a relevé que l'examen des quatorze autres articles de ce pacte démontrait que celui-ci traitait notamment de la stratégie d'entreprise, de la responsabilité des descendants, de la rémunération des mandats sociaux, de la prise de décisions collectives, de l'embauche de certains collaborateurs, du fonctionnement des holdings familiales, de la cession des actions entre descendants, des droits sociaux dérivés, de la politique de distribution des dividendes, des engagements de non-concurrence, des droits de préférence, de l'arbitrage et de la médiation en cas de mésentente entre descendants.
9. Elle a estimé que, dans ce contexte, l'article 5 n'avait été conçu que comme une des mesures de gestion de la société au décès de M. [I] [F].
10. Ayant ainsi fait ressortir que l'article 5 n'était pas un élément essentiel du pacte d'actionnaire, déterminant de l'engagement des parties, la cour d'appel n'a pu qu'en déduire que la demande de nullité du pacte en son entier devait être rejetée.
11. Le moyen est donc inopérant.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal
La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, sur l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats à l'audience publique du 20 avril 2022 où étaient présents : Mme Mouillard, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mme Daubigney, M. Ponsot, Mme Fèvre, conseillers, M. Guerlot, Mmes Lion, Tostain, MM. Boutié, Gillis, Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, Mme Fornarelli, greffier de chambre.
Enoncé du moyen
12. M. [R] [F] fait grief à l'arrêt de déclarer régulière la résiliation du pacte d'actionnaires du 30 janvier 2010 par M. [I] [F] et la société HC, le 23 février 2017, et par Mme [B] [F], le 10 janvier 2018, et de le débouter de sa demande de dommages-intérêts, alors « qu'un pacte d'associés conclu pour la durée de vie de la société, contribuant ainsi à la stabilité du pacte social, est un contrat à durée déterminée ; qu'en jugeant que le pacte d'associés conclu le 30 janvier 2010 pour la durée restant à courir de la société SOCRI promotions, soit 58 ans, était d'une durée excessive assimilable à une durée indéterminée, la cour d'appel a violé l'article 1134, alinéa 1, devenu 1103, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 1838 du même code :
13. Il résulte de la combinaison de ces textes que la prohibition des engagements perpétuels n'interdit pas de conclure un pacte d'associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement.
14. Pour déclarer régulière la résiliation du pacte d'actionnaires du 30 janvier 2010 par M. [I] [F] et la société HC, le 23 février 2017, et par Mme [B] [F], le 10 janvier 2018, et débouter M. [R] [F] de sa demande de dommages-intérêts, l'arrêt, après avoir constaté que l'article 10 du pacte d'actionnaires prévoit que ce contrat est conclu pour la durée de la société, soit pour le temps restant à courir jusqu'à expiration des 99 années à compter de la date de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, qu'au terme de cette première période, le pacte sera automatiquement et tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée et qu'à l'occasion de chaque renouvellement, toute partie pourra dénoncer le pacte pour ce qui la concerne, en notifiant sa décision au moins six mois à l'avance aux autres parties, et que, selon l'article 11, le pacte liera et bénéficiera aux héritiers, aux légataires, ayants droit, ayants cause de chacune des parties, et notamment leurs holdings familiales, ainsi que leurs représentants légaux, relève que la société SOCRI promotions a été immatriculée au RCS le 24 janvier 1969, de sorte que la première période de ce pacte expirera le 24 janvier 2068, et qu'en respectant ces dispositions, les descendants de M. [I] [F] ne pourront sortir du pacte qu'à un âge particulièrement avancé, entre 79 et 96 ans selon les signataires du pacte. Il en déduit que cette durée excessive, qui confisque toute possibilité réelle de fin de pacte pour les associés, ouvre aux parties la possibilité de résilier ce pacte unilatéralement à tout moment.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident éventuel;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare régulière la résiliation du pacte d'actionnaires du 30 janvier 2010, d'une part, par M. [I] [F] et la SARL HC le 23 février 2017, et d'autre part, par Mme [B] [F] le 10 janvier 2018, déboute M. [R] [F] de sa demande de dommages et intérêts et statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 17 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne les sociétés SOCRI promotions et SOCRI Immo et M. [I] [F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Socri promotions et Socri Immo et M. [I] [F], ainsi que celle formée par M. [R] [F] en ce qu'elle est dirigée contre Mmes [W], [C] et [B] [F] et M. [G] [F] et condamne les sociétés Socri promotions et Socri Immo et M. [I] [F] à payer à M. [R] [F] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit, au pourvoi principal, par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [R] [F]
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré régulière la résiliation du pacte d'actionnaires du 30 janvier 2010 par M. [I] [F] et la SARL HC le 23 février 2017, et par Mme [B] [F] le 10 janvier 2018 et d'AVOIR débouté M. [R] [F] de sa demande de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QUE l'article 1210 du code civil énonce que les engagements perpétuels sont prohibés. Cependant, ce texte est entré en vigueur le 1er octobre 2016 et le code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ne comportait pas de texte similaire. L'alinéa 2 de cet article 1210 et l'article 1211 ont introduit dans la loi les règles jurisprudentielles antérieures, soit que chaque cocontractant peut mettre fin au contrat dans les conditions prévues au contrat à durée indéterminée, soit à défaut de stipulation expresse, à tout moment sous réserve de respect du délai contractuel de préavis, ou d'un délai de préavis raisonnable. A la date de la signature du pacte, un engagement à durée indéterminée n'entraîne pas la nullité de la convention mais chaque contractant peut y mettre fin de façon unilatérale. Dans la présente instance, l'article 10 du pacte d'actionnaire du 30 janvier 2010 précise qu'il est conclu pour la durée de la société, soit pour le temps restant à courir jusqu'à expiration des 99 années à compter de la date de son immatriculation au RCS, qu'au terme de cette première période, le pacte sera automatiquement et tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée, qu'à l'occasion de chaque renouvellement, toute partie pourra dénoncer le pacte pour ce qui la concerne, en notifiant sa décision au moins 6 mois à l'avance aux autres parties. L'article 11 ajoute que le pacte liera et bénéficiera aux héritiers, aux légataires, ayants droit, ayants cause de chacune des parties et notamment leurs holdings familiales ainsi que leurs représentants légaux. La SAS Socri Promotions ayant été immatriculée au RCS le 24 janvier 1969, la première période du pacte expirera le 24 janvier 2068, c'est-à-dire, en respectant ces dispositions, les descendants de M. [I] [F] ne pourront sortir de ce pacte qu'à un âge particulièrement avancé, 96 ans pour M. [R] [F], 93 ans pour Mme [W] [F], 81 ans pour Mme [B] [F], 80 ans pour M. [G] [F], 79 ans pour Mme [C] [F]. Cette durée excessive avec un renouvellement automatique tous les 99 ans qui confisque toute possibilité réelle de fin de pacte pour les descendants fait que ce contrat est à durée indéterminée. Dès lors, M. [I] [F], la société HC et Mme [B] [F] pouvaient mettre fin, en ce qui les concerne, audit pacte du 30 janvier 2010 à tout moment. Leur résiliation produit donc effet. En conséquence, M. [R] [F] sera débouté de sa demande tendant à dire que ces résiliations sont inefficaces ;
1°) ALORS QUE l'article 10 du pacte d'associé du 30 janvier 2010 stipule qu'il « est conclu pour la durée de la société, soit pour le temps restant à courir jusqu'à expiration des quatre-vingt-dix-neuf (99) années à compter de la date de son immatriculation au Registre du commerce et des sociétés », intervenue le 24 janvier 1969, qu'« au terme de cette première période [soit au 24 janvier 2068] le pacte sera automatiquement et tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée » et qu'« à l'occasion de chaque renouvellement, toute partie pourra dénoncer le pacte pour ce qui la concerne, en notifiant sa décision au moins six (6) mois à l'avance aux autres parties » ; qu'en affirmant, pour juger que M. [I] [F], la société HC et Mme [B] [F] pouvaient mettre fin à tout moment au pacte d'associé, que ce contrat dont le terme était fixé à la date du 24 janvier 2068 était un contrat à durée indéterminée, la cour d'appel l'a dénaturé en violation des articles 1134, alinéa 1er, devenu 1103, et 1192 du code civil, ensemble le principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2°) ALORS QU'un pacte d'associés conclu pour la durée de vie de la société, contribuant ainsi à la stabilité du pacte social, est un contrat à durée déterminée ; qu'en jugeant que le pacte d'associé conclu le 30 janvier 2010 pour la durée restant à courir de la société Socri Promotions, soit 58 ans, était d'une durée excessive assimilable à une durée indéterminée, la cour d'appel a violé l'article 1134, alinéa 1er, devenu 1103, du code civil;
3°) ALORS QU'un engagement n'est pas perpétuel si les parties ont la faculté de se libérer de leurs obligations ; qu'en relevant que l'âge avancé des descendants de M. [I] [F] à la date de survenance du terme en 2068 les privait de toute possibilité réelle de sortir du pacte d'associés, quand la faculté, pour ces derniers, de dénoncer le pacte d'associés à un âge inférieur à leur espérance de vie n'était pas illusoire, la cour d'appel a violé l'article 1134, alinéa 1er, devenu 1103 du code civil;
4°) ALORS QU'en toute hypothèse, dans une société familiale, un engagement n'est pas perpétuel si les parties ou leurs ayants droit ont la faculté de se libérer de leurs obligations ; qu'en relevant que l'âge avancé des descendants de M. [I] [F] à la date de survenance du terme en 2068 les privait de toute possibilité réelle de sortir du pacte d'associés quand les héritiers des enfants de M. [I] [F] seront en toute hypothèse en mesure de dénoncer le pacte d'associé à la survenance du terme, la cour d'appel a violé l'article 1134, alinéa 1er, devenu 1103 du code civil.
Moyen produit, au pourvoi incident éventuel, par la SCP Spinosi , avocat aux Conseils, pour M. [F], les sociétés centrale de réalisations immobiliéres promotions et socri immo
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le pacte du 30 janvier 2010 signé par M. [I] [F], la SARL HC, M. [R] [F], Mme [W] [F], Mme [B] [F], M. [G] [F] et Mme [C] [F], en présence de la SA SOCIETE CENTRALE DE REALISATIONS IMMOBILIERES PROMOTIONS (SOCRI PROMOTIONS) est un pacte d'associés et, partant, d'avoir débouté M. [I] [F], la SARL HC et Mme [B] [F] de leur demande de nullité du pacte du 30 janvier 2010 ;
Aux motifs que « 1. Le pacte d'actionnaires ou d'associés est une convention conclue entre tous, ou certains, des actionnaires ou associés d'une société afin de prévoir la mise en oeuvre d'une stratégie d'investissement ou de gestion, ou les mouvements des titres de la société.
Un pacte sur succession future est un contrat portant sur tout ou partie des biens dépendant de la succession d'une personne encore en vie, soimême ou quelqu'un d'autre.
Dans le préambule du pacte du 30 janvier 2010, il est exposé :
"Le Fondateur, a émis le voeu que ses enfants poursuivent son oeuvre dans le cadre de règles destinées d'une part à permettre la pérennisation du Groupe Socri ainsi que de ses actifs, et d'autre part l'entente entre ses enfants dans le cadre de la stratégie devant présider à la conduite des affaires dudit Groupe Socri, l'intérêt de chacun devant toutefois être garanti par une gestion saine et équilibrée.
C'est la raison pour laquelle, après et comme suite à la transformation de la société en société par actions simplifiées, les parties aux présentes se sont réunies pour déterminer les objectifs à long terme de la société et du groupe qu'elle forme avec ses filiales, ainsi que les principes de gestion et de direction des affaires de celles-ci qui devront être respectés par les enfants de Monsieur [I] [F], une fois que celui-ci ne sera plus associé de la société, ce point ces derniers consentent expressément.
De manière plus générale, les parties conviennent que le présent pacte d'associés fait, dans les relations d'associés, indivisiblement corps avec les statuts de la société. Le présent pacte a pour objet de fixer les règles devant régir les relations d'associés au sein du groupe Socri, une fois le décès du Fondateur intervenu."
Ce pacte ne porte donc pas sur les biens meubles ou immeubles de la succession de Monsieur [I] [F], mais a pour objectif de définir la stratégie de gestion que devront adopter les héritiers au sein du groupe Socri lorsque Monsieur [I] [F] se sera retiré des affaires ou sera décédé, afin de pérenniser le groupe, et de préserver les intérêts de chacun des héritiers.
Certes, l'article 5 relatif à la Créance Fondateur énonce une disposition relative à un bien futur de la succession de Monsieur [I] [F] dans la mesure où elle prévoit les modalités de remboursement de son compte courant d'actionnaire lors de l'ouverture de sa succession.
Toutefois, l'examen des 14 autres articles de ce pacte démontre que cette convention traite notamment de la stratégie d'entreprise, la responsabilité des descendants, la rémunération des mandats sociaux, la prise de décisions collectives, l'embauche de certains collaborateurs, le fonctionnement des holdings familiales, la cession des actions entre descendants, les droits sociaux dérivés, la politique de distribution des dividendes, les engagements de non-concurrence, les droits de préférence, l'arbitrage et la médiation en cas de mésentente entre descendants.
Dans ce contexte, l'article 5 a été conçu comme une des mesures de gestion de la société au décès de Monsieur [I] [F].
Enfin, même si sont utilisés les termes de "Fondateur" et de "Descendants", il ne peut en être tiré aucun argument. En effet, d'après les définitions énoncées à l'article 1 du pacte du 30 janvier 2010, "Descendant" s'applique à toute personne physique ou morale autre que le Fondateur qui est M. [I] [F]. Or la société HC, actionnaire, n'est pas la descendante de M. [I] [F].
Ces termes sont utilisés dans les statuts de la société Socri Promotions du 30 janvier 2010 qui a transformé la SA en SAS ainsi que dans le projet de modification des statuts présenté à l'assemblée générale du 24 juin 2015 de façon identique, soit Fondateur et Descendants, ces derniers étant tous les actionnaires, personne physique ou morale qui ne sont pas le Fondateur.
Il suit de là que le pacte du 30 janvier 2010 est un pacte d'associés » ;
Et que « le pacte d'associés est un contrat qui ne peut déroger aux statuts de la société, ni être contraire à l'intérêt social, ni être contraire aux règles d'ordre public.
Par application des dispositions de l'article 1108 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, quatre conditions sont essentielles pour la validité d'une convention :
-le consentement de la partie qui s'oblige,
-sa capacité à contracter,
-un objet certain qui forme la matière de l'engagement,
-une cause licite dans l'obligation.
Au regard des griefs formulés par M. [I] [F], la société HC et Mme [B] [F], ne sont contesté ni le consentement des parties, ni leur capacité à contracter, ni l'absence d'objet certain au pacte du 30 janvier 2010.
M. [I] [F], la SARL HC et Mme [B] [F] sollicitent la nullité du pacte du 30 janvier 2010, les deux premiers en soutenant qu'il s'agit d'un pacte sur succession future, la troisième en invoquant l'irrégularité de plusieurs clauses dudit pacte.
En premier lieu, il a déjà été explicité et retenu que le pacte du 30 janvier 2010 est un pacte d'associés. Or, un pacte d'associés est une convention licite.
En second lieu, l'illicéité invoquée de certaines clauses, à la supposer établie, n'entraîne pas la nullité de la convention en son entier.
Comme il ne pourra être fait droit à la demande de Mme [B] [F] de nullité du pacte pour illicéité de certaines des clauses, il n'y a lieu d'examiner lesdites clauses.
M. [I] [F], la société HC et Mme [B] [F] seront donc déboutés de leur demande de nullité du pacte du 30 janvier 2010 » ;
1°) Alors que, d'une part, une stipulation ayant pour objet d'attribuer un droit éventuel sur tout ou partie d'une succession non ouverte constitue un pacte sur succession future prohibé par la loi ; qu'en l'espèce, en retenant que le pacte du 30 janvier 2010 n'est pas un pacte sur succession future, lorsqu'elle relevait que « l'article 5 [?] énonce une disposition relative à un bien futur de la succession de Monsieur [I] [F] dans la mesure où elle prévoit les modalités de remboursement de son compte courant d'actionnaire lors de l'ouverture de sa succession » (arrêt, p. 7), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 722 du code civil ;
2°) Alors que, d'autre part, l'article 3 du pacte du 30 janvier 2010 stipule « qu'à l'ouverture de la succession de Monsieur [I] [F], ses héritiers directs, associés en pleine propriété de la société, notamment par l'effet de la réunion de l'usufruit et de la nuepropriété des actions procéderont en tant que de besoin à la constitution pour chacun d'eux d'une holding familiale [?] » ; qu'en énonçant, pour débouter M. [I] [F] de sa demande d'annulation du pacte, que ce dernier n'était pas un pacte sur succession future, la cour d'appel a dénaturé ledit pacte et méconnu l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause ;
3°) Alors que, de troisième part, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile en ne répondant pas au moyen, péremptoire, tiré de ce que le pacte du 30 janvier 2010 est irrégulier en la forme en ce que, ajoutant des charges à des donations-partages de 1990 et 1998, il devait être conclu par acte notarié (conclusions d'appel, pp. 36-38) ;
4°) Alors que, de quatrième part, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile en ne répondant pas au moyen, péremptoire, tiré de ce que le pacte du 30 janvier 2010 emportait renonciation à l'action en réduction de sorte qu'à défaut d'avoir été formalisé par acte authentique, il était entaché de nullité (conclusions d'appel, pp. 39-40).
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CASS/JURITEXT000047073948.xml | LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 25 janvier 2023
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 95 FS-B
Pourvoi n° G 21-20.009
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 JANVIER 2023
La société Uni-Commerces, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° G 21-20.009 contre l'arrêt rendu le 26 mai 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 3), dans le litige l'opposant à la société H & M Hennes & Mauritz, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], et précédemment [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations et les plaidoiries de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Uni-Commerces, de la SARL Cabinet Briard, avocat de la société H & M Hennes & Mauritz, et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, auquel les parties n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, David, Jobert, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, conseillers, M. Jariel, Mme Schmitt, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, conseillers référendaires, Mme Morel-Coujard, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 mai 2021), le 19 septembre 2013, la société Uni-Commerces (la bailleresse), propriétaire de locaux commerciaux donnés à bail à la société H & M Hennes & Mauritz (la locataire), lui a délivré un congé avec offre de renouvellement à effet du 1er avril 2014.
2. Le 30 mars 2016, la bailleresse a notifié un mémoire à la locataire, puis l'a assignée, le 14 mars 2018, devant le tribunal de grande instance en validation du congé et, accessoirement, en fixation du loyer.
Examen du moyen
Sur le moyen
Enoncé du moyen
3. La bailleresse fait grief à l'arrêt de déclarer ses demandes irrecevables comme prescrites, alors :
« 1°/ que la demande en justice interrompt le délai de prescription ; que constitue une demande en justice un acte juridique par lequel une personne formule une prétention ayant vocation d'être soumise au juge, peu important que la saisine du juge soit différée ; qu'il résulte de l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, conférant un effet interruptif de prescription à la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce, que la notification de ce mémoire doit être regardée comme la formation d'une prétention ayant vocation d'être ultérieurement soumise au juge en cas de désaccord entre les parties, c'est-à-dire comme l'exercice d'une action en justice par la formation d'une demande en justice ; qu'en retenant au contraire - pour en déduire que la notification par le bailleur du mémoire préalable n'avait pu interrompre la prescription de l'action exercée devant le tribunal de grande instance aux fins de validation du congé et de fixation du loyer du bail renouvelé - que ce mémoire n'était pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil, puisqu'il n'avait pas pour effet de saisir une juridiction, cependant que ce mémoire avait vocation d'être soumis au juge en cas de désaccord entre les parties et devait, par là même, être qualifié de demande en justice, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article 2241 du code civil, l'article 30 du code de procédure civile et l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ;
2°/ qu'il résulte de l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, qui n'opère pas de distinction à cet égard, que la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce interrompt la prescription de toute action tendant à la fixation judiciaire du loyer d'un bail commercial renouvelé, quelle que soit la juridiction - juge des loyers commerciaux ou juridiction de droit commun - devant laquelle est ensuite portée l'action ; qu'en retenant au contraire que la notification du mémoire du bailleur n'avait, à l'égard d'une action ultérieure du bailleur tendant notamment à la fixation du loyer du bail renouvelé, un effet interruptif de prescription que lorsque ce mémoire était un préalable obligatoire à la saisine du juge des loyers commerciaux, donc qu'un tel mémoire ne pouvait interrompre la prescription de la procédure suivie devant le tribunal de grande instance et que le mémoire notifié en l'espèce n'avait pas d'effet interruptif de prescription dès lors qu'il n'avait pas été suivi d'une saisine du juge des loyers commerciaux, et en estimant ainsi que seule une saisine ultérieure du juge des loyers commerciaux était de nature à conférer un effet interruptif de prescription au mémoire notifié par le bailleur, la cour d'appel, en ajoutant à la loi une condition non prévue, a violé, par fausse interprétation, l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ;
3°/ que la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce interrompt la prescription de toute action tendant à la fixation judiciaire du loyer d'un bail commercial renouvelé, que la demande en fixation du loyer soit formée à titre principal ou accessoire ; que la cour d'appel avait constaté, par motifs adoptés , que l'action du bailleur devant le tribunal de grande instance tendait, outre le renouvellement du bail, à la fixation du loyer du bail renouvelé ; qu'il en résultait que la notification du mémoire du bailleur avait interrompu la prescription d'une telle action, qui tendait à titre accessoire à la fixation du prix du bail renouvelé ; qu'en jugeant au contraire que le mémoire préalable du bailleur ne pouvait interrompre la prescription de la procédure suivie à de telles fins devant le tribunal de grande instance, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ;
4°/ que la prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ; qu'il résulte de l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 que l'effet interruptif de prescription attaché à la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce tient à la prétention qu'y exprime le bailleur - exclusive de toute inaction - tendant à la fixation du loyer du bail renouvelé ; qu'il suit de là que cet effet interruptif ne saurait être entravé ou effacé en considération de ce que le régime procédural en vigueur devant la juridiction ultérieurement saisie ne prévoit pas un tel mémoire ; qu'en retenant au contraire qu'aucune disposition légale n'impos[ait] le suivi de la procédure sur mémoire devant le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire), y compris lorsque celui-ci était saisi d'une demande accessoire de fixation du loyer ; qu'en effet, il était admis que la procédure applicable devant le tribunal de grande instance saisi à titre accessoire d'une demande en fixation du prix du bail renouvelé était la procédure en matière contentieuse applicable devant cette juridiction et non la procédure spéciale sur mémoire en vigueur devant le juge des loyers commerciaux, pour en déduire que c'était à bon droit que le jugement entrepris avait considéré que le mémoire préalable ne pouvait interrompre la prescription de la procédure suivie devant le tribunal de grande instance, et en estimant ainsi que le régime procédural en vigueur devant le tribunal de grande instance était de nature à annihiler l'effet interruptif de prescription attaché au mémoire du bailleur en fixation du loyer, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article 2219 du code civil et l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953. »
Réponse de la Cour
4. L'énumération des articles 2240, 2241 et 2244 du code civil des causes de droit commun d'interruption du délai de prescription étant limitative, le mémoire préalable, qui ne constitue pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil, n'est une cause interruptive de la prescription qu'en vertu de l'article 33, alinéa 1er, du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, selon lequel la notification du mémoire institué par l'article R. 145-23 du code de commerce interrompt la prescription.
5. Selon l'article R. 145-23 du code de commerce, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace, qui statue sur mémoire, et les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes susmentionnées.
6. Il en résulte que le mémoire préalable n'est institué que pour la procédure devant le juge des loyers commerciaux de sorte que sa notification n'interrompt la prescription que lorsque la contestation relative à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé est portée devant ce juge.
7. La cour d'appel a d'abord exactement énoncé que la procédure applicable devant le tribunal de grande instance saisi à titre accessoire d'une demande en fixation du prix du bail renouvelé est la procédure en matière contentieuse applicable devant cette juridiction et non la procédure spéciale sur mémoire en vigueur devant le juge des loyers commerciaux, que le mémoire préalable n'est pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil, et que sa notification n'interrompt la prescription que lorsque la contestation est portée devant le juge des loyers commerciaux.
8. Ensuite, elle a justement retenu que la notification du mémoire par la bailleresse à la locataire n'avait pas interrompu le délai de prescription dès lors qu'elle n'avait pas été suivie d'une saisine du juge des loyers commerciaux.
9. Enfin, ayant constaté que l'assignation devant le tribunal de grande instance avait été délivrée plus de deux années après la date d'effet du renouvellement du bail, elle en a exactement déduit que la demande en fixation du prix du bail renouvelé était prescrite.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Uni-Commerces aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Uni-Commerces et la condamne à payer à la société H & M Hennes & Mauritz la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé le vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Le conseiller referendaire rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société Uni-Commerces
La société Uni Commerce, bailleresse, fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué D'AVOIR déclaré ses demandes irrecevables comme prescrites ;
1) Alors que la demande en justice interrompt le délai de prescription ; que constitue une demande en justice un acte juridique par lequel une personne formule une prétention ayant vocation d'être soumise au juge, peu important que la saisine du juge soit différée ; qu'il résulte de l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, conférant un effet interruptif de prescription à la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce, que la notification de ce mémoire doit être regardée comme la formation d'une prétention ayant vocation d'être ultérieurement soumise au juge en cas de désaccord entre les parties, c'est-à-dire comme l'exercice d'une action en justice par la formation d'une demande en justice ; qu'en retenant au contraire – pour en déduire que la notification par le bailleur du mémoire préalable n'avait pu interrompre la prescription de l'action exercée devant le tribunal de grande instance aux fins de validation du congé et de fixation du loyer du bail renouvelé – que ce mémoire n'était « pas une demande en justice au sens de l'article 2241 du code civil, puisqu'il n'avait pas pour effet de saisir une juridiction » (arrêt, p. 5, troisième paragraphe), cependant que ce mémoire avait vocation d'être soumis au juge en cas de désaccord entre les parties et devait, par là même, être qualifié de demande en justice, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article 2241 du code civil, l'article 30 du code de procédure civile et l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ;
2) Alors qu'il résulte de l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, qui n'opère pas de distinction à cet égard, que la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce interrompt la prescription de toute action tendant à la fixation judiciaire du loyer d'un bail commercial renouvelé, quelle que soit la juridiction – juge des loyers commerciaux ou juridiction de droit commun – devant laquelle est ensuite portée l'action ; qu'en retenant au contraire que la notification du mémoire du bailleur n'avait, à l'égard d'une action ultérieure du bailleur tendant notamment à la fixation du loyer du bail renouvelé, un effet interruptif de prescription que lorsque ce mémoire était un « préalable obligatoire à la saisine du juge des loyers commerciaux » (arrêt, p. 5, troisième paragraphe), donc qu'un tel mémoire ne pouvait « interrompre la prescription de la procédure suivie devant le tribunal de grande instance » (arrêt, p. 5, sixième paragraphe et jugement, p. 4, quatrième paragraphe) et que le mémoire notifié en l'espèce n'avait « pas d'effet interruptif de prescription dès lors qu'il n'a[vait] pas été suivi d'une saisine du juge des loyers commerciaux » (arrêt, p. 5, avant-dernier paragraphe et jugement, p. 4, sixième paragraphe), et en estimant ainsi que seule une saisine ultérieure du juge des loyers commerciaux était de nature à conférer un effet interruptif de prescription au mémoire notifié par le bailleur, la cour d'appel, en ajoutant à la loi une condition non prévue, a violé, par fausse interprétation, l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ;
3) Alors que la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce interrompt la prescription de toute action tendant à la fixation judiciaire du loyer d'un bail commercial renouvelé, que la demande en fixation du loyer soit formée à titre principal ou accessoire ; que la cour d'appel avait constaté, par motifs adoptés (jugement, p. 2, avant-dernier paragraphe), que l'action du bailleur devant le tribunal de grande instance tendait, outre le renouvellement du bail, à la fixation du loyer du bail renouvelé ; qu'il en résultait que la notification du mémoire du bailleur avait interrompu la prescription d'une telle action, qui tendait à titre accessoire à la fixation du prix du bail renouvelé ; qu'en jugeant au contraire que le mémoire préalable du bailleur ne pouvait interrompre la prescription de la procédure suivie à de telles fins devant le tribunal de grande instance (arrêt, p. 5, sixième paragraphe), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 ;
4) Alors que la prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ; qu'il résulte de l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 que l'effet interruptif de prescription attaché à la notification du mémoire préalable institué par l'article R. 145-23 du code de commerce tient à la prétention qu'y exprime le bailleur – exclusive de toute inaction – tendant à la fixation du loyer du bail renouvelé ; qu'il suit de là que cet effet interruptif ne saurait être entravé ou effacé en considération de ce que le régime procédural en vigueur devant la juridiction ultérieurement saisie ne prévoit pas un tel mémoire ; qu'en retenant au contraire qu'« aucune disposition légale n'impos[ait] le suivi de la procédure sur mémoire devant le tribunal de grande instance (devenu tribunal judiciaire), y compris lorsque celui-ci [était] saisi d'une demande accessoire de fixation du loyer [ ; qu'e]n effet, il [était] admis que la procédure applicable devant le tribunal de grande instance saisi à titre accessoire d'une demande en fixation du prix du bail renouvelé [était] la procédure en matière contentieuse applicable devant cette juridiction et non la procédure spéciale sur mémoire en vigueur devant le juge des loyers commerciaux » (arrêt, p. 5, cinquième paragraphe et jugement, p. 4, quatrième paragraphe), pour en déduire que c'était « à bon droit que le jugement entrepris a[vait] considéré que le mémoire préalable ne p[ouvai]t interrompre la prescription de la procédure suivie devant le tribunal de grande instance » (arrêt, p. 5, sixième paragraphe et jugement, p. 4, quatrième paragraphe), et en estimant ainsi que le régime procédural en vigueur devant le tribunal de grande instance était de nature à annihiler l'effet interruptif de prescription attaché au mémoire du bailleur en fixation du loyer, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, l'article 2219 du code civil et l'article 33 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953.
Le greffier de chambre
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CASS/JURITEXT000047074173.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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QUESTION PRIORITAIRE
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________
Audience publique du 26 janvier 2023
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 152 FS+B
Affaire n° D 22-40.019
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 JANVIER 2023
Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Rennes a transmis à la Cour de cassation, par ordonnance rendue le 21 octobre 2022, reçue le 28 octobre 2022, une question prioritaire de constitutionnalité dans l'instance mettant en cause :
D'une part,
M. [V] [B], domicilié [Adresse 1],
D'autre part,
le centre hospitalier [3], dont le siège est [Adresse 2],
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, et l'avis de M. Aparisi, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Jessel, Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Le Gall, de Cabarrus, M. Serrier, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Le 11 octobre 2022, M. [B] a été admis en soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d'une hospitalisation complète, sur décision prise au vu d'un péril imminent par un directeur d'établissement sur le fondement de l'article L. 3212-1, II, 2°, du code de la santé publique. Le 17 octobre, il a été placé en chambre d'isolement.
2. Le 19 octobre, le directeur d'établissement a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de statuer sur la poursuite de la mesure d'isolement sur le fondement de l'article L. 3222-5-1 du même code.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
3. Par ordonnance du 21 octobre 2022, le juge des libertés et de la détention a transmis la question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, en ce qu'elles ne prévoient pas d'obligation pour le directeur de l'établissement spécialisé en psychiatrie ou pour le médecin d'informer le patient soumis à une mesure d'isolement ou de contention - et ce, dès le début de la mesure - de la voie de recours qui lui est ouverte contre cette décision médicale sur le fondement de l'article L. 3211-12 du même code et de son droit d'être assisté ou représenté par un avocat choisi, désigné au titre de l'aide juridictionnelle ou commis d'office, est-il conforme à la Constitution et notamment au principe constitutionnel des droits de la défense, du droit à une procédure juste et équitable, au principe de dignité de la personne, à la liberté fondamentale d'aller et venir et du droit à un recours effectif, ainsi qu'à l'objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice résultant des articles 12, 15 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
4. La disposition contestée, qui fixe, dans sa rédaction issue de la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022, les conditions dans lesquelles il peut être recouru, à l'égard de patients en hospitalisation complète sans consentement, à des mesures d'isolement et de contention en prévoyant un contrôle du juge des libertés et de la détention, est applicable au litige au sens et pour l'application de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
5. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
6. La question posée présente un caractère sérieux.
7. En effet, en ce qu'elle ne prévoit pas, dès le début de la mesure de placement en isolement ou sous contention, une information du patient quant à la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention d'une demande de mainlevée de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12 du code de la santé publique et à son droit d'être assisté ou représenté par un avocat, la disposition contestée est susceptible de porter atteinte aux droits et libertés garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
8. En conséquence, il y a lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047074175.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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QUESTION PRIORITAIRE
CONSTITUTIONNALITÉ
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Audience publique du 26 janvier 2023
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 153 FS+B
Affaire n° F22-40.021
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26JANVIER2023
Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bobigny a transmis à la Cour de cassation, par ordonnance rendue le 28 juin 2022, reçue le 12 décembre 2022, une question prioritaire de constitutionnalité dans l'instance mettant en cause :
D'une part,
Mme [J] [C], domiciliée [Adresse 3],
D'autre part,
1°/ le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bobigny, domicilié tribunal judiciaire de Bobigny, [Adresse 1],
2°/ le centre [4], dont le siège est [Adresse 2],
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, et l'avis de M. Aparisi, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Jessel, Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Le Gall, de Cabarrus, M. Serrier, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Le 17 juin 2022, Mme [C] a été admise en soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d'une hospitalisation complète, sur décision prise au vu d'un péril imminent par un directeur d'établissement sur le fondement de l'article L. 3212-1, II, 2°, du code de la santé publique. Elle a fait l'objet de mesures d'isolement et de contention, de manière discontinue.
2. Le 22 juin, le directeur d'établissement a saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de statuer sur la poursuite de la mesure d'hospitalisation complète sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du même code.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
3. Par ordonnance du 28 juin 2022, reçue le 12 décembre suivant, le juge des libertés et de la détention a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« Le II de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique est-il contraire à la Constitution en ce qu'il porte atteinte aux principes du respect des droits de la défense qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au respect de la liberté individuelle que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire, en ne prévoyant pas l'intervention systématique d'un avocat au côté du patient lors du contrôle des mesures d'isolement et de contention ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
4. La disposition contestée, qui prévoit le régime applicable aux mesures d'isolement et de contention auxquelles un médecin peut recourir à l'égard d'un patient admis en soins psychiatriques sans consentement, est applicable au litige, qui concerne la poursuite d'une mesure d'hospitalisation complète à l'égard d'une personne placée par intermittence en isolement ou sous contention.
5. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
6. La question posée présente un caractère sérieux.
7. En effet, en ce qu'il ne prévoit pas l'assistance ou la représentation systématique du patient par un avocat lorsque le juge des libertés et de la détention, saisi d'une demande de mainlevée ou de prolongation de la mesure d'isolement ou de contention ou se saisissant d'office, statue sans audience selon une procédure écrite, l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique est susceptible de porter atteinte au principe des droits de la défense garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
8. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six janvier deux mille vingt-trois.
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COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er février 2023
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 86 F-B
Pourvoi n° W 21-13.029
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER FÉVRIER 2023
Mme [Y] [M], domiciliée [Adresse 2] (Italie), a formé le pourvoi n° W 21-13.029 contre l'arrêt rendu le 6 janvier 2021 par la cour d'appel de Bastia (chambre civile, section 1), dans le litige l'opposant à la société d'Exploitation des déménagements de Petriconi, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Bruyère, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, avocat de Mme [M], de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société d'Exploitation des déménagements de Petriconi, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Bruyère, conseiller rapporteur, M. Hascher, conseiller le plus ancien faisant fonction de conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 6 janvier 2021), suivant lettre de voiture du 20 septembre 2017, Mme [M] a confié à la société d'Exploitation des déménagements de Petriconi (la société de Petriconi) le déménagement de son mobilier jusqu'au garde-meubles de cette entreprise.
2. En raison du non-paiement de la facture, la société de Petriconi a refusé à Mme [M] l'accès à son mobilier afin d'en vérifier l'état après son transfert.
3. Elle a assigné Mme [M] en paiement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Mme [M] fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la société de Petriconi la somme de 4 500 euros à titre de paiement du prix du contrat de déménagement, avec intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2018, de prononcer la résolution judiciaire du contrat de garde-meubles,et de la condamner à verser à la société de Petriconi la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour le retard relatif à l'inexécution du contrat de déménagement et la somme de 150 euros par mois à compter du 27 septembre 2017 au jour où les meubles seront retirés, à titre de dommages-intérêts pour la conservation du mobilier en garde-meubles, alors « que l'exécution du contrat de transport ne prend fin qu'à la livraison, laquelle s'entend de la remise physique de la marchandise au client ou à son représentant, qu'elle ait lieu au domicile du client ou au garde-meubles du transporteur ; que pour condamner Mme [M], l'arrêt retient qu'elle était absente le jour de la livraison et que le contrat de déménagement a pris fin par le dépôt au garde-meubles de la société de Petriconi ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'en l'absence de Mme [M], aucune livraison n'avait pu s'effectuer, de sorte que le contrat de déménagement n'avait pas pris fin, la cour a violé l'article L. 224-63 du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
5. Vu l'article L. 224-63 du code de la consommation :
6. Il résulte de ce texte que, à peine de forclusion de son action en responsabilité pour avarie, le consommateur peut formuler des réserves à la livraison des objets transportés ou des protestations dans les dix jours de leur réception. La livraison s'entend de la remise physique des biens au destinataire ou à son représentant, qui l'accepte.
7. Pour condamner Mme [M] au paiement du prix, l'arrêt retient que le contrat de déménagement a pris fin par le dépôt en garde-meubles et que, par application des stipulations contractuelles, Mme [M], qui était absente le jour de la livraison et ne s'est pas manifestée dans les dix jours suivants, doit payer la somme convenue dès le dépôt des meubles en garde-meubles et avant d'opposer éventuellement des protestations et réserves.
8. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que Mme [M] n'avait pas été mise en mesure de vérifier l'état de ses biens transportés et, le cas échéant, d'assortir son acceptation de réserves, puis de prendre effectivement possession de la chose livrée, de sorte que la livraison n'était pas intervenue et que le contrat n'avait pas pris fin, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition relative au prix du contrat de déménagement entraîne la cassation de l'ensemble des chefs de dispositif de l'arrêt, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Condamne la société d'Exploitation des déménagements de Petriconi aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société d'Exploitation des déménagements de Petriconi et la condamne à payer à Mme [M] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Briard, avocat aux Conseils, pour Mme [M]
Mme [M] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à verser à la SARL De Petriconi la somme de 4 500 euros à titre de paiement du prix du contrat de déménagement, avec intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2018, d'avoir prononcé la résolution judiciaire du contrat de garde-meubles, de l'avoir condamnée à verser à la SARL De Petriconi la somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts pour le retard relatif à l'inexécution du contrat de déménagement et la somme de 150 euros par mois à compter du 27 septembre 2017 au jour où les meubles seront retirés, à titre de dommages-intérêts pour la conservation du mobilier en garde-meubles ;
1°) Alors que l'exécution du contrat de transport ne prend fin qu'à la livraison, laquelle s'entend de la remise physique de la marchandise au client ou à son représentant, qu'elle ait lieu au domicile du client ou au garde-meubles du transporteur ; que pour condamner Mme [M], l'arrêt retient qu'elle était absente le jour de la livraison et que le contrat de déménagement a pris fin par le dépôt au garde-meubles de la SARL De Petriconi ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'en l'absence de Mme [M], aucune livraison n'avait pu s'effectuer, de sorte que le contrat de déménagement n'avait pas pris fin, la cour a violé l'article L. 224-63 du code de la consommation ;
2°) Alors que la circonstance que le mobilier ait été déposé au garde-meubles du déménageur en l'absence du client ne prive pas ce dernier du droit, lorsqu'il prend livraison de ses biens, de vérifier leur état avant de payer le prix convenu, afin d'être en mesure de décider d'accepter la réception, éventuellement sous réserves, ou de la refuser ; qu'en jugeant que Mme [M] devait, dès le dépôt au garde-meubles de la SARL De Petriconi, réalisé en son absence, payer la somme convenue avant d'opposer éventuellement des réserves, la cour a violé les articles L. 224-63 et R. 212-1 du code de la consommation, ensemble l'article 1217 du code civil ;
3°) Alors que la circonstance que le mobilier ait été déposé au garde-meubles du déménageur en l'absence du client ne prive pas ce dernier du droit, lorsqu'il prend livraison de ses biens, de vérifier leur état avant de payer le prix convenu, afin d'être en mesure de décider d'accepter la réception, éventuellement sous réserves, ou de la refuser ; qu'en jugeant que la SARL De Petriconi était fondée à invoquer son droit de rétention, lequel ne faisait cependant pas obstacle à l'usage, par Mme [M], de son droit de vérification des meubles avant paiement, la cour, qui s'est fondée sur des motifs impropres à caractériser l'obligation de Mme [M] de payer le prix convenu avant de vérifier l'état de ses biens, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 224-63 et R. 212-1 du code de la consommation, ensemble l'article 1217 du code civil ;
4°) Alors qu'en cas de doute, les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs s'interprètent dans le sens le plus favorable au consommateur ; qu'en jugeant qu'il résulte des articles 11 et 17 des conditions générales de vente que Mme [M] devait payer la somme convenue avant d'opposer éventuellement des protestations et réserves, cependant que les conditions générales de vente ne prévoient aucune modalité du paiement du prix convenu et ne précisent pas s'il doit intervenir avant ou après la vérification des meubles, de sorte qu'en présence d'un doute sur ce point, l'interprétation la plus favorable à Mme [M] devait prévaloir, la cour a violé l'article L. 211-1 du code de la consommation ;
5°) Alors que dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal ; qu'en condamnant Mme [M] au paiement d'une somme de 500 euros de dommages et intérêts pour le retard de paiement du contrat de déménagement, après l'avoir déjà condamnée au paiement du principal avec intérêts au taux légal à compter de la date de la mise en demeure, la cour a violé l'article 1231-6 du code civil.
Le greffier de chambre
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CASS/JURITEXT000047096622.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er février 2023
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 82 F-B
Pourvoi n° T 20-22.176
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER FÉVRIER 2023
1°/ M. [S] [N], domicilié [Adresse 3], agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'ayant droit de [O] [N],
2°/ [O] [D], épouse [N], ayant été domiciliée [Adresse 3], décédée,
3°/ Mme [K] [N], domiciliée [Adresse 5],
4°/ Mme [T] [N], domiciliée [Adresse 4],
5°/ M. [P] [N], domicilié [Adresse 6],
tous trois pris en qualité d'héritiers de [O] [N],
ont formé le pourvoi n° T 20-22.176 contre l'arrêt rendu le 3 juin 2020 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Domofinance, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Sweetcom, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],
3°/ à la société Ekip', société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sweetcom,
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de MM. [S] et [P] [N], de [O] [D] et de Mmes [K] et [T] [N], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Domofinance, et l'avis de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire rapporteur, M. Hascher, conseiller, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à MM. [S] et [P] [N] et à Mmes [K] et [T] [N] en leurs qualités respectives de conjoint survivant et d'héritiers de [O] [D] épouse [N], décédée le 6 janvier 2021, de leur reprise d'instance.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 3 juin 2020), le 17 juillet 2014, à la suite d'un démarchage à domicile, M. [N] et son épouse [O] [D] (les acquéreurs) ont acquis de la société Sweetcom (le vendeur) une pompe à chaleur et un chauffe-eau thermodynamique financés par un crédit souscrit auprès de la société Domofinance (la banque).
3. Invoquant l'irrégularité du bon de commande et une absence de réalisation des économies annoncées, les acquéreurs ont assigné le vendeur et la banque en annulation des contrats de vente et de crédit affecté et en indemnisation.
4. Le vendeur a été placé en liquidation judiciaire, la société EKIP' étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. M. [N], agissant en son nom personnel et en sa qualité d'ayant droit de [O] [D] son épouse, Mmes [K] et [T] [N] et M. [P] [N], agissant en leurs qualités d'héritiers de [O] [D], font grief à l'arrêt de rejeter les demandes formées par les emprunteurs, alors « qu'il appartient au professionnel de rapporter la preuve de la régularité du contrat conclu avec un consommateur à la suite d'un démarchage à domicile ; qu'il lui incombe donc de produire un bon de commande complet comportant les mentions informatives requises à peine de nullité par les anciens articles L. 121-18 et suivants du code de la consommation dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ; qu'en affirmant, pour débouter les emprunteurs de leur demande en nullité de la vente et du contrat de crédit qui en était l'accessoire, qu'ils avaient produit une copie incomplète du bon de commande qui ne permettait pas de vérifier la conformité du contrat au code de la consommation, quand il appartenait au vendeur de rapporter la preuve de la régularité du bon de commande par la production d'un document complet comportant toutes les mentions requises par les dispositions précitées du code de la consommation, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'ancien article 1315 devenu l'article 1353 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 121-17, III, du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et l'article 1315, devenu 1353, du code civil :
7. Il résulte de ces textes que la charge de la preuve de l'accomplissement par le professionnel des obligations légales d'information mises à sa charge à l'occasion de la conclusion d'un contrat hors établissement pèse sur celui-ci.
8. Il lui incombe dès lors de rapporter la preuve de la régularité d'un tel contrat au regard des mentions légales devant y figurer à peine de nullité.
9. Pour rejeter la demande d'annulation des contrats de vente et de crédit affecté, l'arrêt retient que les acquéreurs ne produisent qu'une copie incomplète du contrat de vente et qu'ainsi la cour n'est pas en mesure de vérifier si le contrat est conforme au code de la consommation.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la société Domofinance et la société Sweetcom, représentée par la société Ekip' prise en sa qualité de liquidateur judiciaire, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Domofinance et la condamne à payer à M. [N], agissant en son nom personnel et en sa qualité d'ayant droit de [O] [D] son épouse, à Mmes [K] et [T] [N] et à M. [P] [N], agissant en leurs qualités d'héritiers de [O] [D], la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
Le conseiller referendaire rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour MM. [S] et [P] [N], Mmes [K] et [T] [N] et [O] [D].
Les consorts [N] font grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR débouté M. et Mme [N] de leurs demandes d'annulation de la vente et du prêt conclus le 17 juillet 2014 ainsi que de leurs demandes indemnitaires ;
1. ALORS QU'il appartient au professionnel de rapporter la preuve de la régularité du contrat conclu avec un consommateur à la suite d'un démarchage à domicile ; qu'il lui incombe donc de produire un bon de commande complet comportant les mentions informatives requises à peine de nullité par les anciens articles L. 121-18 et suivants du code de la consommation dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ; qu'en affirmant, pour débouter M. et Mme [N] de leur demande en nullité de la vente et du contrat de crédit qui en était l'accessoire, qu'ils avaient produit une copie incomplète du bon de commande qui ne permettait pas de vérifier la conformité du contrat au code de la consommation, quand il appartenait à la société SWEETCOM de rapporter la preuve de la régularité du bon de commande par la production d'un document complet comportant toutes les mentions requises par les dispositions précitées du code de la consommation, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, en violation de l'ancien article 1315 devenu l'article 1353 du code civil ;
2. ALORS QUE la conformité du bon de commande au code de la consommation ne résulte pas de la seule mention de la remise d'un document qui comporte au verso les conditions générales reprenant les dispositions du code de la consommation et qui est doté d'un formulaire détachable de rétractation ; qu'en se déterminant d'après une telle mention pour débouter M. et Mme [N] de leur action en nullité du contrat de vente et du contrat de crédit qui en était l'accessoire, quand elle ne constituait qu'un indice qu'il incombait au vendeur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires, la cour d'appel a violé l'ancien article 1315 devenu l'article 1353 du code civil ;
3. ALORS QUE sont présumées irréfragablement abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet d'« imposer au consommateur, la charge de la preuve qui, en application du droit applicable, devrait incomber normalement à l'autre partie au contrat » ; qu'il s'ensuit que doit être réputée non écrite, la clause de reconnaissance de l'exécution de ses obligations par le vendeur qui opère un renversement de la charge de la preuve au détriment du consommateur ; qu'en se déterminant d'après la clause d'un bon de commande incomplet mentionnant la remise d'un document qui comporte au verso les conditions générales reprenant les dispositions du code de la consommation et qui est doté d'un formulaire détachable de rétractation, quand elle opérait un renversement de la charge de la preuve au détriment du consommateur et devait donc être réputée non écrite, la cour d'appel a violé l'article R. 212-1, 2°, du code de la consommation, ensemble l'ancien article 1315, devenu l'article 1353, du code civil.
Le greffier de chambre
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CASS/JURITEXT000047096730.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 février 2023
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 130 F-B
Pourvoi n° T 21-15.924
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 FÉVRIER 2023
La société Robert Bosch Ag, dont le siège est [Adresse 3] (Autriche), a formé le pourvoi n° T 21-15.924 contre l'arrêt rendu le 18 février 2021 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Cummins France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de la société Robert Bosch Ag, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Cummins France, de la société Axa France IARD, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 février 2021) la société Casier et fils a confié au chantier naval Meuse et Sambre des travaux à effectuer sur une coque de bateau, notamment l'installation d'un moteur de marque Cummins.
2. A la suite d'avaries constatées sur ce moteur et après expertise ordonnée en référé, elle a assigné la société Cummins France et son assureur, la société Axa France IARD, en paiement de diverses sommes sur le fondement de la garantie des vices cachés.
3. La société Cummins France a assigné en garantie la société de droit autrichien Robert Bosch, fabricant des injecteurs du moteur.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société Robert Bosch fait grief à l'arrêt de dire l'exception d'incompétence irrecevable, alors « qu' une défense au fond est un moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire ; que la décision de jonction ou de disjonction est une mesure d'administration judiciaire qui peut être ordonnée par le juge s'il est de l'intérêt d'une bonne justice de faire instruire ou juger ensemble deux instances pendantes devant lui ; que cette décision ne portant pas sur le fond du droit, la contestation émise par le défendeur à la demande de jonction ne constitue pas une défense au fond devant nécessairement être soulevée après toute exception de procédure ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que « les conclusions de la société Robert Bosch ont été notifiées en réponse à des conclusions de la société Cummins qui sollicitaient la jonction avec l'instance principale introduite par la société Casier » et que la société Bosch s'était « positionnée sur la demande de jonction », la cour d'appel a pourtant considéré que « la protestation de la société Bosch à l'égard de sa mise en cause, du fait d'une éventuelle inopposabilité de l'expertise, constitue bien un moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée la prétention de la société Cummins tendant à sa garantie » et en a déduit que l'exception de procédure, qui n'avait pas été soulevée in limine litis, était irrecevable ; qu'en statuant de la sorte, quand l'opposition de la société Bosch à la demande de jonction d'instances ne constituait pas une défense au fond de nature à rendre irrecevable une exception de procédure soulevée ensuite, la cour d'appel a violé l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 71 et 368 du même code.»
Réponse de la Cour
Vu les articles 74 et 71 du code de procédure civile :
5. Il résulte du premier de ces textes que les exceptions de procédure doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Selon le second, constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire
6. Pour dire l'exception d'incompétence irrecevable, l'arrêt retient que la protestation de la société Bosch à l'égard de sa mise en cause, du fait d'une éventuelle inopposabilité de l'expertise, constitue bien un moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée la prétention de la société Cummins France tendant à sa garantie, de sorte que l'exception d'incompétence qu'elle soulevait était irrecevable.
7. En statuant ainsi, alors que la société Bosch ne demandait pas que l'expertise lui soit déclarée inopposable et s'était bornée à défendre à la demande de jonction de l'instance en garantie la concernant à celle sur le fondement des vices cachés intentée contre la société Cummins France, sans faire valoir de défense sur le fond du droit, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.
Condamne la société Cummins France et la société Axa France IARD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cummins France et la société Axa France IARD et les condamne à payer à la société Robert Bosch Ag la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour la société Robert Bosch Ag
La société Robert Bosch fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit l'exception d'incompétence irrecevable ;
ALORS QU' une défense au fond est un moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire ; que la décision de jonction ou de disjonction est une mesure d'administration judiciaire qui peut être ordonnée par le juge s'il est de l'intérêt d'une bonne justice de faire instruire ou juger ensemble deux instances pendantes devant lui ; que cette décision ne portant pas sur le fond du droit, la contestation émise par le défendeur à la demande de jonction ne constitue pas une défense au fond devant nécessairement être soulevée après toute exception de procédure ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que « les conclusions de la société Robert Bosch ont été notifiées en réponse à des conclusions de la société Cummins qui sollicitaient la jonction avec l'instance principale introduite par la société Casier » et que la société Bosch s'était « positionnée sur la demande de jonction », la cour d'appel a pourtant considéré que « la protestation de la société Bosch à l'égard de sa mise en cause, du fait d'une éventuelle inopposabilité de l'expertise, constitue bien un moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée la prétention de la société Cummins tendant à sa garantie » et en a déduit que l'exception de procédure, qui n'avait pas été soulevée in limine litis, était irrecevable ; qu'en statuant de la sorte, quand l'opposition de la société Bosch à la demande de jonction d'instances ne constituait pas une défense au fond de nature à rendre irrecevable une exception de procédure soulevée ensuite, la cour d'appel a violé l'article 74 du code de procédure civile, ensemble les articles 71 et 368 du même code.
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CASS/JURITEXT000047096732.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 février 2023
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 128 F-B
Pourvoi n° Y 21-18.942
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 FÉVRIER 2023
M. [V] [G], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Y 21-18.942 contre l'arrêt rendu le 19 avril 2021 par la cour d'appel de Rennes (6e chambre A), dans le litige l'opposant au procureur général près la cour d'appel de Rennes, domicilié en son parquet général, place du Parlement, CS 66423, 35064 Rennes cedex, défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Delbano, conseiller, les observations de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de M. [G], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Delbano, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 19 avril 2021) et les productions, le 24 août 2016, un procureur de la République a assigné M. [G] devant un tribunal de grande instance, aux fins d'annulation d'une mention portée en marge de son acte de naissance.
2. Par ordonnance du 22 juin 2017, un juge de la mise en état a prononcé la nullité de l'assignation.
3. Le 1er octobre 2019, le même procureur de la République ayant assigné M. [G] devant un tribunal de grande instance, aux fins d'annulation d'une mention portée en marge de son acte de naissance, un juge de la mise en état a, par une ordonnance du 15 octobre 2020, débouté ce dernier de ses exceptions et fins de non-recevoir.
4. M. [G] a interjeté appel.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. M. [G] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à voir constater l'absence du ministère public aux débats de première instance et en conséquence de sa demande de nullité de l'ordonnance du juge de la mise en état du 15 octobre 2020, alors « que le ministère public est tenu d'assister à l'audience au cas où il est partie principale ; que la cour d'appel qui a décidé que cette obligation n'était pas applicable à un incident devant le juge de la mise en état a violé les dispositions de l'article 431 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
6. L'obligation, pour le ministère public, d'assister à l'audience dans les cas où il est partie principale, qui résulte de l'article 431 du code de procédure civile, ne porte que sur l'audience au cours de laquelle les parties débattent du bien-fondé de leurs prétentions respectives. Elle ne concerne pas les audiences que tient le juge de la mise en état à l'occasion de l'instruction de l'affaire.
7. Ayant retenu que l'article 431 du code de procédure civile, qui s'insère dans les dispositions relatives aux débats avant jugement, comprises dans le titre quatorzième du livre premier du code de procédure civile, n'est pas applicable à un incident devant le juge de la mise en état, régi par les dispositions du titre I du deuxième livre du dit code, la cour d'appel a fait l'exacte application du texte visé au moyen.
8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Et sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. M. [G] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à voir dire et juger que le ministère public avait acquiescé et renoncé à l'action, alors :
« 1°/ que l'acquiescement emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action ; que la cour d'appel a constaté que dans l'instance engagée par Monsieur le procureur de la République de Nantes aux fins de voir annuler la mention en marge de l'acte de naissance de Monsieur [G], le procureur avait reconnu que la demande de nullité de l'assignation formée par Monsieur [G] invoquant l'absence de moyen de droit, était fondée et qu'il n'avait aucun moyen à opposer ; qu'en décidant que cet acquiescement ne portait que sur l'exception de procédure et non pas sur le fond du litige, sans s'expliquer comme cela lui était demandé sur le fait que l'irrégularité de l'assignation aurait pu être régularisée de sorte qu'en indiquant qu'il n'avait aucun moyen à opposer le ministère public avait sans équivoque renoncé à l'action, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 408 du code de procédure civile ;
2°/ que de plus, l'acquiescement qui vaut renonciation à l'action peut être implicite et résulter d'actes ou faits dénués de toute équivoque traduisant l'intention de reconnaître le bien fondé des prétentions adverses ; que la cour d'appel qui a décidé que l'acquiescement du ministère public reconnaissant qu'il n'avait formulé aucun moyen de droit et qu'il n'avait aucun moyen à opposer, ne portait que sur l'exception de procédure et que l'absence d'exercice de voie de recours et la délivrance postérieure à l'instance des actes de naissance réclamés par Monsieur [G] ne valaient pas renonciation à l'action la cour d'appel a violé les articles 408 et 410 du code de procédure civile ».
Réponse de la Cour
10. Selon l'article 408 du code de procédure civile, l'acquiescement, qui emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action, n'est admis que pour les droits dont la partie a la libre disposition.
11. Le procureur de la République n'ayant pas la libre disposition des droits relatifs à l'état civil, qui relèvent de l'ordre public, le moyen, dès lors, manque en droit.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne M. [G] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi décidé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-trois et signé par lui et Mme Martinel, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP de Nervo et Poupet, avocat aux Conseils, pour M. [G]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur [G] de sa demande tendant à voir constater l'absence du ministère public aux débats de première instance et en conséquence de sa demande de nullité de l'ordonnance du juge de la mise en état du 15 octobre 2020
Alors que le ministère public est tenu d'assister à l'audience au cas où il est partie principale ; que la Cour d'appel qui a décidé que cette obligation n'était pas applicable à un incident devant le juge de la mise en état a violé les dispositions de l'article 431 du code de procédure civile
SECOND MOYEN DE CASSATION
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur [G] de sa demande tendant à voir dire et juger que le ministère public avait acquiescé et renoncé à l'action
1° Alors que l'acquiescement emporte reconnaissance du bien-fondé des prétentions de l'adversaire et renonciation à l'action ; que la Cour d'appel a constaté que dans l'instance engagée par Monsieur le procureur de la République de Nantes aux fins de voir annuler la mention en marge de l'acte de naissance de Monsieur [G], le procureur avait reconnu que la demande de nullité de l'assignation formée par Monsieur [G] invoquant l'absence de moyen de droit, était fondée et qu'il n'avait aucun moyen à opposer ; qu'en décidant que cet acquiescement ne portait que sur l'exception de procédure et non pas sur le fond du litige, sans s'expliquer comme cela lui était demandé sur le fait que l'irrégularité de l'assignation aurait pu être régularisée de sorte qu'en indiquant qu'il n'avait aucun moyen à opposer le ministère public avait sans équivoque renoncé à l'action, la Cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 408 du code de procédure civile
2° Alors que de plus, l'acquiescement qui vaut renonciation à l'action peut être implicite et résulter d'actes ou faits dénués de toute équivoque traduisant l'intention de reconnaître le bien fondé des prétentions adverses ; que la Cour d'appel qui a décidé que l'acquiescement du ministère public reconnaissant qu'il n'avait formulé aucun moyen de droit et qu'il n'avait aucun moyen à opposer, ne portait que sur l'exception de procédure et que l'absence d'exercice de voie de recours et la délivrance postérieure à l'instance des actes de naissance réclamés par Monsieur [G] ne valaient pas renonciation à l'action la Cour d'appel a violé les articles 408 et 410 du code de procédure civile
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CASS/JURITEXT000047096726.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 2 février 2023
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 120 FS-B
Pourvoi n° M 21-17.459
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 FÉVRIER 2023
La société Green Go Aircraft, société à responsabilité limitée de droit hongrois, dont le siège est [Adresse 3] (Hongrie), a formé le pourvoi n° M 21-17.459 contre l'arrêt rendu le 31 mars 2021 par la cour d'appel de Nîmes, dans le litige l'opposant à la société Air tourisme instruction service, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vendryes, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Green Go Aircraft, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Air tourisme instruction service, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 décembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Vendryes, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, Mmes Kermina, Durin-Karsenty, M. Delbano, conseillers, Mme Jollec, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 31 mars 2021), sur autorisation du juge de l'exécution d'un tribunal de grande instance du 29 novembre 2018, la société Air tourisme instruction service (la société Atis) a fait pratiquer, le 3 décembre 2018, à l'aéroport d'[2], la saisie conservatoire d'un aéronef, immatriculé en Grande-Bretagne, et propriété de la société Green Go Aircraft (la société GGA), société de droit hongrois.
2. Le procès-verbal a été dénoncé à la société GGA le 7 décembre suivant.
3. Le 21 février 2020, la société GGA a assigné la société Atis devant le juge de l'exécution ayant ordonné la saisie, à fin de mainlevée de celle-ci.
4. Par jugement du 26 novembre 2020, celui-ci a prononcé la nullité de cette saisie conservatoire au motif de l'incompétence du juge de l'exécution pour autoriser une telle mesure.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. La société GGA fait grief à l'arrêt de dire que le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Avignon était compétent pour autoriser la saisie conservatoire litigieuse, en conséquence de déclarer cette saisie régulière et fondée et de rejeter en conséquence les demandes en nullité et mainlevée formulées à son encontre, alors « que lorsque le propriétaire de l'aéronef n'est pas domicilié en France ou que l'aéronef est de nationalité étrangère, tout créancier a le droit de pratiquer une saisie conservatoire avec l'autorisation du juge d'instance du lieu où l'appareil a atterri ; qu'en jugeant que bien que l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile, dans sa rédaction applicable à la cause, soit « par principe applicable », dès lors qu'il est « acquis que le propriétaire de l'aéronef, la société GGA, n'est pas domiciliée en France mais en Hongrie, l'aéronef étant de surcroît de nationalité étrangère » , le juge de l'exécution était compétent pour ordonner la saisie, aux motifs qu'en vertu de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, le juge de l'exécution autorise de manière exclusive les mesures conservatoires, qu'« un texte réglementaire même spécial ne peut trouver application face à des articles législatifs plus récents et expressément déclarées d'ordre public » , et qu'« aucun argument utile ne peut être déduit de la modification intervenue par décret du 18 septembre 2019 quant à la rédaction de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile, puisque si, à la désignation du « juge d'instance », succède désormais celle du « juge du tribunal judiciaire », le juge de l'exécution n'en demeure pas moins l'un des juges du tribunal judiciaire en vertu de l'article 213-5 du code de l'organisation judiciaire », la cour d'appel a violé les articles R. 123-9 du code de l'aviation civile et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. »
Réponse de la Cour
6. Par arrêt du 3 mars 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a saisi le Conseil d'Etat d'une question préjudicielle relative à l'appréciation de la légalité de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile au regard des dispositions de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, du 3° de l'article L. 721-7 du code de commerce et des articles L. 511-2 et L. 511-3 du code des procédures civiles d'exécution. Elle a sursis à statuer jusqu'à la décision du Conseil d'Etat.
7. Par décision du 14 octobre 2022, le Conseil d'Etat a jugé qu'il résulte de la combinaison des dispositions précitées, ainsi que des travaux préparatoires des lois du 9 juillet 1991 et du 22 décembre 2010, que le législateur a conféré au juge de l'exécution une compétence exclusive en matière d'autorisation des saisies conservatoires, y compris en matière de saisie des aéronefs étrangers, sous réserve de la compétence concurrente du président du tribunal de commerce prévue par les dispositions de l'article L. 721-7 du code de commerce, dans les conditions qu'elles énoncent, que, par suite, les dispositions de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile, dans leur version applicable au litige, doivent être déclarées illégales en tant qu'elles désignent le juge d'instance du lieu où l'appareil a atterri comme juge compétent pour autoriser la saisie conservatoire des aéronefs de nationalité étrangère ou dont le propriétaire n'est pas domicilié en France.
8. Il résulte de ce qui précède que le juge de l'exécution autorise, de manière exclusive, les saisies conservatoires portant sur les aéronefs de nationalité étrangère ou dont le propriétaire n'est pas domicilié en France, sous réserve de la compétence facultative, concurremment reconnue au président du tribunal de commerce.
9. Le moyen, dès lors, manque en droit.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société Green Go Aircraft aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Green Go Aircraft et la condamne à payer à la société Air tourisme instruction service la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour la société Green Go Aircraft
La société GREEN GO AIRCRAFT fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que le juge de l'exécution d'Avignon était compétent pour autoriser la saisie conservatoire litigieuse, d'AVOIR en conséquence déclaré cette saisie régulière et fondée et d'AVOIR rejeté en conséquence les demandes en nullité et mainlevée formulées à son encontre ;
ALORS QUE lorsque le propriétaire de l'aéronef n'est pas domicilié en France ou que l'aéronef est de nationalité étrangère, tout créancier a le droit de pratiquer une saisie conservatoire avec l'autorisation du juge d'instance du lieu où l'appareil a atterri ; qu'en jugeant que bien que l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile, dans sa rédaction applicable à la cause, soit « par principe applicable » (arrêt, p.13), dès lors qu'il « est acquis que le propriétaire de l'aéronef, la société CGA, n'est pas domiciliée en France mais en Hongrie, l'aéronef étant de surcroit de nationalité étrangère » (ibid.), le juge de l'exécution était compétent pour ordonner la saisie, aux motifs qu'en vertu de l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, le juge de l'exécution autorise de manière exclusive les mesures conservatoires, qu'« un texte réglementaire même spécial ne peut trouver application face à des articles législatifs plus récents et expressément déclarés d'ordre public » (ibid. p.14), et qu'« aucun argument utile ne peut être déduit de la modification intervenue par décret du 18 septembre 2019 quant à la rédaction de l'article R. 123-9 du code de l'aviation civile, puisque si, à la désignation du « juge d'instance », succède désormais celle du « juge du tribunal judiciaire », le juge de l'exécution n'en demeure pas moins l'un des juges du tribunal judiciaire en vertu de l'article 213-5 du code de l'organisation judiciaire » (ibid.), la cour d'appel a violé les articles R. 123-9 du code de l'aviation civile et L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire.
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CASS/JURITEXT000047128499.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 février 2023
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 160 F-B
Pourvoi n° N 21-20.036
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 FÉVRIER 2023
Mme [K] [Y], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 21-20.036 contre l'ordonnance n° RG : 20/01437 rendue le 25 mai 2021 par la première présidente de la cour d'appel de Colmar, dans le litige l'opposant à M. [C] [E], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [Y], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [E], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par la première présidente d'une cour d'appel (Colmar, 25 mai 2021), M. [E] a confié à M. [F], avocat, la défense de ses intérêts dans une procédure de divorce suivie d'un partage judiciaire. Une convention d'honoraires a été établie entre les parties, laquelle prévoyait notamment des « honoraires de réussite » représentant un pourcentage sur la valeur globale des attributions faites à M. [E] à l'issue des opérations de partage.
2. Le 28 mars 2018, M. [F] a établi une facture d'honoraires d'un montant de 17 769,40 euros. Un acte notarié transactionnel a été dressé le 30 octobre 2018. Le 29 août 2019, Mme [Y] (l'avocate), venue à la succession du cabinet de M. [F], parti à la retraite, a saisi le bâtonnier de son ordre d'une demande de fixation de ses honoraires.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
3. L'avocate fait grief à l'ordonnance de limiter le montant des honoraires lui étant dus par M. [E] à la somme de 1 014,90 euros, alors « qu'en tout état de cause, l'honoraire de résultat prévu par une convention préalable est dû par le client à son avocat à la date à laquelle il a été mis fin à l'instance par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable, peu important que la facture ait été émise avant sa date d'exigibilité ; qu'en se fondant sur la circonstance inopérante que la facture relative à l'honoraire de réussite avait été émise le 28 mars 2018, soit avant sa date d'exigibilité, pour fixer le montant des honoraires dus par M. [E] à l'avocate à la somme de 1 014,90 euros, laquelle excluait le paiement de tout honoraire de résultat, après avoir pourtant constaté qu'aux termes de la convention préalable signée entre eux, il était prévu le versement d'une somme représentant le pourcentage de la valeur globale des attributions faite à l'issue des opérations de partage, pour la première instance s'entendant tant de la phase de procédure devant le notaire que de l'éventuelle procédure à soumettre au tribunal de grande instance suite à la rédaction d'un procès-verbal de difficultés et que, précisément, le 30 octobre 2018, il avait été mis fin à la procédure de partage par un acte notarié irrévocable, la première présidente de la cour d'appel a violé l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 ensemble l'article 1103 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 :
4. Selon ce texte, les honoraires de postulation, de consultation, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client. Sauf en cas d'urgence ou de force majeure ou lorsqu'il intervient au titre de l'aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, l'avocat conclut par écrit avec son client une convention d'honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés. Est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu.
5. Pour rejeter la demande de paiement d'un « honoraire de réussite », l'ordonnance retient que les termes de la convention d'honoraires sont clairs et précis et que l'honoraire de résultat prévu par une convention préalable n'est dû par le client que lorsqu'il est mis fin à l'instance par un acte ou une décision de justice irrévocable.
6. L'ordonnance constate que la demande de règlement d'un « honoraire de réussite » a été présentée à M. [E] par M. [F] le 28 mars 2018 et que l'acte notarié transactionnel a été dressé le 30 octobre 2018.
7. L'ordonnance en déduit que cet honoraire ne pouvait être réclamé par M. [F] à M. [E] avant le 30 octobre 2018, date à laquelle il a été mis fin à la procédure par un acte notarié irrévocable.
8. En statuant ainsi, alors qu'au jour où elle statuait, une transaction irrévocable avait été signée par les parties, à l'issue des opérations de partage, la première présidente, qui s'est référée à tort aux modalités de facturation de l'honoraire de résultat, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle déclare recevable l'appel formé par M. [E], en ce qu'elle dit n'y avoir lieu d'accueillir la fin de non-recevoir soulevée par M. [E] et en ce qu'elle rejette la demande de M. [E] aux fins de voir dire que la convention d'honoraires est entachée de nullité pour vice de consentement, l'ordonnance rendue le 25 mai 2021, entre les parties, par la première présidente de la cour d'appel de Colmar ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Nancy.
Condamne M. [E] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SAS Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour Mme [Y]
Me [Y] fait grief à l'ordonnance infirmative attaquée d'avoir limité le montant des honoraires lui étant dus par M [E] à la somme de 1.014,90 euros ;
1°) ALORS QUE le juge doit respecter et faire respecter le principe du contradictoire ; qu'en se fondant d'office, pour fixer le montant des honoraires dus par M [E] à la somme de 1.014, 90 euros, excluant ainsi le paiement de l'honoraire de réussite contractuellement prévu, sur le moyen tiré de ce que la demande de règlement de cet honoraire avait été présentée par Me [F] le 28 mars 2018, à une date où le paiement de l'honoraire ne pouvait encore être sollicité, l'acte de partage notarié transactionnel irrévocable ayant été dressé le 30 octobre 2018, sans inviter au préalable les parties à s'expliquer sur ce moyen tiré de ce que la facture avait été émise avant que la date d'exigibilité de l'honoraire de réussite contractuellement prévu, la Première Présidente de la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QU'en tout état de cause, l'honoraire de résultat prévu par une convention préalable est dû par le client à son avocat à la date à laquelle il a été mis fin à l'instance par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable, peu important que la facture ait été émise avant sa date d'exigibilité ; qu'en se fondant sur la circonstance inopérante que la facture relative à l'honoraire de réussite avait été émise le 28 mars 2018, soit avant sa date d'exigibilité, pour fixer le montant des honoraires dus par M [E] à Me [Y] à la somme de 1.014,90 euros, laquelle excluait le paiement de tout honoraire de résultat, après avoir pourtant constaté qu'aux termes de la convention préalable signée entre eux, il était prévu le versement d'une somme représentant le pourcentage de la valeur globale des attributions faite à l'issue des opérations de partage, pour la première instance s'entendant tant de la phase de procédure devant le notaire que de l'éventuelle procédure à soumettre au tribunal de grande instance suite à la rédaction d'un procès-verbal de difficultés et que, précisément, le 30 octobre 2018, il avait été mis fin à la procédure de partage par un acte notarié irrévocable, la Première Présidente de la cour d'appel a violé l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 ensemble l'article 1103 du code civil.
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COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 février 2023
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 145 FS-B
Pourvoi n° C 21-19.498
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 FÉVRIER 2023
La société Zerda, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 21-19.498 contre l'arrêt rendu le 18 mai 2021 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale), dans le litige l'opposant à la société Axa France Iard, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SCP de Nervo et Poupet, avocat de la société Zerda, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France Iard, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Martin, Mmes Chauve, Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mme Philippart, conseillers référendaires, Mme Nicolétis, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 18 mai 2021), la société Zerda (l'assurée), exploitante d'un fonds de commerce, a souscrit un contrat d'assurance multirisques professionnelle auprès de la société Axa France Iard (l'assureur).
2. Victime de deux vols les 20 mars 2014 et 13 juin 2015, elle a sollicité vainement la garantie de son assureur puis a saisi un juge des référés afin qu'une mesure d'expertise soit ordonnée et une provision fixée. Par ordonnance du 18 janvier 2016, le juge des référés s'est déclaré incompétent et a invité les parties à mieux se pourvoir.
3. L'assurée a ensuite assigné, par acte du 24 novembre 2017, l'assureur devant un tribunal de commerce.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
5. L'assurée fait grief à l'arrêt de juger irrecevable, car prescrite, son action à l'encontre de l'assureur, alors « que l'article R. 112-1 du code des assurances dispose que la police d'assurance doit rappeler les dispositions législatives concernant la prescription ; que, a fortiori, la police ne doit pas contenir des indications de nature à induire l'assuré en erreur ; que dans le cas d'espèce, l'article 7.4 du contrat d'assurance, dont les stipulations ont été citées in extenso par l'arrêt attaqué, énonçait que la prescription était interrompue par « toute demande, même en référé », sans rappeler les dispositions de l'article 2243 du code civil, c'est-à-dire sans rappeler que l'interruption était considérée comme non avenue dans le cas où la demande, même en référé, était définitivement rejetée ; qu'en décidant que ces stipulations étaient claires et complètes quant aux règles concernant la prescription, la cour d'appel a violé l'article R. 112-1 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte de l'article R. 112-1 du code des assurances que l'assureur doit rappeler dans le contrat d'assurance, sous peine d'inopposabilité à l'assuré du délai de prescription biennale édicté par l'article L. 114-1, les différentes causes d'interruption de prescription mentionnées à l'article L. 114-2 et le point de départ de la prescription.
7. Il n'est pas tenu de préciser qu'en application de l'article 2243 du code civil, l'interruption de prescription est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande, laisse périmer l'instance ou si sa demande est définitivement rejetée.
8. C'est donc à bon droit que la cour d'appel, après avoir rappelé les termes de la clause du contrat d'assurance relative à la prescription de l'action dérivant du contrat et relevé que ces dispositions étaient claires et complètes quant aux règles de prescription applicables entre l'assureur et l'assurée, notamment quant aux points de départ et aux causes d'interruption, a jugé que la prescription biennale était opposable à l'assurée.
9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Condamne la société Zerda aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Zerda à payer à la société Axa France Iard la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP de Nervo et Poupet, avocat aux Conseils, pour la société Zerda
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué D'AVOIR dit et jugé irrecevable, car prescrite, l'action de la société Zerda à l'encontre de la société Axa Assurances IARD
1) ALORS QUE la chose jugée est contenue dans le seul dispositif des décisions judiciaires ; que le dispositif de l'ordonnance de référé en date du 18 janvier 2016 énonçait : « nous déclarons incompétent ; invitons les parties à mieux se pourvoir » ; que la Cour d'appel ne pouvait « interpréter » cette décision, au détriment du justiciable se fiant à ses énonciations, en disant qu'il s'agissait en réalité d'un jugement ayant statué définitivement sur le fond (arrêt, page 6, alinéa 3) ; que la Cour d'appel a donc violé l'article 1355 (anciennement 1351) du code civil ;
2) ALORS QUE, en tout état de cause, l'article R 112-1 du code des assurances dispose que la police d'assurance doit rappeler les dispositions législatives concernant la prescription ; que, a fortiori, la police ne doit pas contenir des indications de nature à induire l'assuré en erreur ; que dans le cas d'espèce, l'article 7.4 du contrat d'assurance, dont les stipulations ont été citées in extenso par l'arrêt attaqué (page 6, dernier alinéa), énonçait que la prescription était interrompue par « toute demande, même en référé », sans rappeler les dispositions de l'article 2243 du code civil, c'est-à-dire sans rappeler que l'interruption était considérée comme non avenue dans le cas où la demande, même en référé, était définitivement rejetée ; qu'en décidant que ces stipulations étaient claires et complètes quant aux règles concernant la prescription, la Cour d'appel a violé l'article R 112-1 du code des assurances.
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COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 février 2023
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 146 FS-B
Pourvoi n° C 21-17.681
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 FÉVRIER 2023
La société Swisslife assurances de biens, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° C 21-17.681 contre l'arrêt rendu le 6 avril 2021 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [Z] [P],
2°/ à M. [W] [P],
3°/ à M. [O] [P],
tous trois domiciliés [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Brouzes, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Swisslife assurances de biens, et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Brouzes, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Martin, Mmes Chauve, Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mme Philippart, conseillers référendaires, Mme Nicolétis, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 6 avril 2021), [U] [P] a souscrit, le 19 novembre 2003, un contrat dénommé « garantie accidents de la vie » auprès de la société Swisslife assurances de biens (l'assureur).
2. Il est décédé le 17 août 2013, laissant pour lui succéder sa veuve et leurs deux fils, MM. [O] et [W] [P], lesquels ont assigné l'assureur devant un tribunal afin d'obtenir la mise en oeuvre des garanties prévues par le contrat.
3. L'assureur a refusé sa garantie en se prévalant devant la cour d'appel d'une clause excluant le suicide.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
4. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à Mme [P] la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral et la somme de 108 478,018 euros [lire 108 478,02 euros] au titre de son préjudice économique, à M. [O] [P] la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice moral et la somme de 4 378,15 euros au titre de son préjudice économique et à M. [W] [P] la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice moral et la somme de 9 300,09 euros au titre de son préjudice économique, alors « que les dispositions de l'article L. 132-7 du code des assurances ne sont pas applicables aux assurances « accidents corporels » ; qu'en l'espèce, en faisant application de ce texte, dans sa version en vigueur le 19 novembre 2003, à la mise en jeu de la garantie décès prévue par le contrat « accidents de la vie » souscrit à cette date par [U] [P], pour retenir que dès lors qu'il s'était écoulé un délai de plus de deux ans entre cette souscription et son décès accidentel ou son suicide, la question de ce suicide ne se posait pas quant aux exclusions de garantie, que la garantie de la société Swisslife était due et que la clause d'exclusion liée au suicide devait être réputée non-écrite, la cour d'appel a violé l'article L. 132-7 du code des assurances dans sa version issue de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 132-7, alinéas 1 et 2, du code des assurances :
5. Il résulte de ce texte que, si l'assurance en cas de décès est de nul effet si l'assuré se donne volontairement la mort au cours de la première année du contrat, elle doit couvrir le risque de suicide à compter de la deuxième année du contrat.
6. Le caractère accidentel du décès constitue une circonstance qui, s'agissant de l'application d'un contrat d'assurance couvrant les accidents corporels, est une condition de la garantie.
7. Dès lors, le suicide n'est pas, sauf stipulation contraire, couvert par les contrats garantissant les accidents corporels, auxquels ce texte n'est pas applicable.
8. Pour dire que l'assureur doit sa garantie, l'arrêt retient que la clause d'exclusion tenant au suicide doit être réputée non écrite, dès lors que l'article L. 132-7 du code des assurances, d'ordre public, impose à l'assureur de couvrir le risque de suicide à compter de la deuxième année du contrat et que [U] [P] est décédé dix ans après la souscription de celui-ci.
9. En se déterminant ainsi, sans constater que le contrat d'assurance étendait sa garantie à des événements autres que les accidents corporels, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.
Condamne Mme [P] et MM. [O] et [W] [P] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour la société Swisslife assurances de biens
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Swisslife reproche à l'arrêt attaqué,
De l'AVOIR condamnée à payer à Mme [Z] [P] la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral et la somme de 108 478,018 euros au titre de son préjudice économique, à M. [O] [P] la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice moral et la somme de 4 378,15 euros au titre de son préjudice économique et à M. [W] [P] la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice moral et la somme de 9 300,09 euros au titre de son préjudice économique ;
1°) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, dans leurs conclusions d'appel respectives, ni la société Swisslife ni les consorts [P] n'invoquait l'article L. 132-7 du code des assurances au titre de la garantie décès prévue par le contrat « Accidents de la vie » souscrit par [U] [P] le 19 novembre 2003 ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de l'application de ce texte dans sa version alors en vigueur, prévoyant que l'assureur doit couvrir le risque de suicide à compter de la deuxième année du contrat, pour retenir que, dès lors qu'il s'était écoulé un délai de plus de deux ans entre la souscription du contrat par [U] [P] le 19 novembre 2003 et son décès accidentel ou par suicide le 17 août 2013, la question de ce suicide ne se posait pas quant aux exclusions de garantie, que la garantie de la société Swisslife était due et que la clause d'exclusion liée au suicide devait être réputée non-écrite, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE les dispositions de l'article L. 132-7 du code des assurances ne sont pas applicables aux assurances « accidents corporels » ; qu'en l'espèce, en faisant application de ce texte, dans sa version en vigueur le 19 novembre 2003, à la mise en jeu de la garantie décès prévue par le contrat « Accidents de la vie » souscrit à cette date par [U] [P], pour retenir que dès lors qu'il s'était écoulé un délai de plus de deux ans entre cette souscription et son décès accidentel ou son suicide, la question de ce suicide ne se posait pas quant aux exclusions de garantie, que la garantie de la société Swisslife était due et que la clause d'exclusion liée au suicide devait être réputée non-écrite, la cour d'appel a violé l'article L. 132-7 du code des assurances dans sa version issue de la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001.
SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société Swisslife reproche à l'arrêt attaqué,
De l'AVOIR condamnée à payer à Mme [Z] [P] la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral et la somme de 108 478,018 euros au titre de son préjudice économique, à M. [O] [P] la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice moral et la somme de 4 378,15 euros au titre de son préjudice économique et à M. [W] [P] la somme de 20 000 euros au titre de son préjudice moral et la somme de 9 300,09 euros au titre de son préjudice économique ;
ALORS QUE tout jugement doit être motivé ; que le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la société Swisslife faisait valoir dans ses conclusions d'appel que le tribunal n'avait retenu, pour déterminer l'indemnisation due aux consorts [P], qu'une somme de 4 084,92 euros s'agissant des revenus de Mme [Z] [P], quand, à l'examen de la pièce adverse n° 13 correspondant à l'avis d'impôt sur les revenus 2014, il apparaissait que Mme [Z] [P] avait perçu, outre la somme de 4 085 euros au titre d'« autres revenus salariaux », une somme de 1 166 euros au titre de « salaires » ; qu'en adoptant sur ce point la motivation du jugement sans répondre à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.
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CASS/JURITEXT000047128497.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 février 2023
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 144 FS-B
Pourvoi n° E 21-10.622
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 FÉVRIER 2023
Mme [T] [O], épouse [R], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 21-10.622 contre l'ordonnance n° RG : 18/00155 rendue le 18 novembre 2020 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 6), dans le litige l'opposant à M. [D] [C], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de Mme [O], épouse [R], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Martin, Mmes Chauve, Isola, conseillers, M. Ittah, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, Mme Nicolétis, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 18 novembre 2020), M. [C], avocat, a apporté son concours à Mme [O] aux fins d'assurer la défense de ses intérêts dans un litige successoral.
2. Contestant le montant des honoraires qui lui étaient réclamés, Mme [O] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
3. Mme [O] fait grief à l'ordonnance de rejeter sa demande tendant à voir prononcer la nullité de la convention d'honoraires du 30 novembre 2016, en conséquence de fixer les honoraires dûs à l'avocat à la somme de 12 147 euros HT, et de la condamner à lui payer la somme de 5 934,50 euros HT, outre intérêts et TVA, alors « que le seul fait d'avoir réglé une partie des honoraires ne saurait caractériser le consentement du client à la convention d'honoraires, en l'absence de toute autre circonstance établissant la réalité de son consentement ; qu'en appliquant la convention d'honoraires signée par l'avocat aux motifs que même si elle n'avait pas été signée, Mme [O] avait réglé une partie des honoraires, la cour d'appel a derechef violé l'article 10, alinéas 3 et 4, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1361 et 1362 du code civil et l'article 10, alinéa 3, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 :
4. Selon le dernier de ces textes, l'avocat conclut par écrit avec son client une convention d'honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés.
5. À défaut d'écrit signé par les parties, la preuve de cette convention peut être rapportée conformément aux règles fixées aux deux premiers de ces textes.
6. Pour fixer à la somme de 12 147 euros, en application des stipulations de la convention, le montant total des honoraires dus à M. [C], l'ordonnance retient qu'il n'est pas contesté que Mme [O], qui n'avait jamais formellement signé la convention, a acquitté une large partie des honoraires facturés sur cette base et a donc exécuté la convention dont elle sollicite l'annulation.
7. En statuant ainsi, alors que la convention invoquée n'avait pas été signée par Mme [O] et que le seul règlement partiel des honoraires était insuffisant à suppléer à cet écrit, le premier président a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 18 novembre 2020, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Paris autrement composée.
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [C] à payer à Mme [O] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour Mme [O], épouse [R]
Mme [O] fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR rejeté sa demande tendant à voir prononcer la nullité de la convention d'honoraires du 30 novembre 2016, d'AVOIR en conséquence fixé les honoraires dus à l'avocat à la somme de 12 147,00 € HT et d'AVOIR condamnée celle-ci à lui payer la somme de 5 934,50 € HT, outre intérêts et tva ;
1°/ ALORS QU'en l'absence de signature, par le client, de la convention d'honoraires, les émoluments de l'avocat doivent être fixés par référence aux diligences accomplies par celui-ci dans les conditions fixées par l'article 10 alinéas 3 et 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 : qu'en appliquant la convention d'honoraires à Mme [O] quand elle a elle-même relevé que celle-ci ne l'avait pas signée, le premier président de la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
2°/ ALORS, en tout état de cause, QUE le seul fait d'avoir réglé une partie des honoraires ne saurait caractériser le consentement du client à la convention d'honoraires, en l'absence de toute autre circonstance établissant la réalité de son consentement ; qu'en appliquant la convention d'honoraires signée par l'avocat aux motifs que même si elle n'avait pas été signée, Mme [O] avait réglé une des honoraires, la cour d'appel a derechef violé l'article 10 alinéas 3 et 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
3°/ ALORS, encore plus subsidiairement, QU'une société en participation n'a pas la personnalité juridique et ne peut donc pas être créancière d'une obligation de paiement ; que la convention d'honoraires établie par l'avocat le 30 novembre 2016 énonçait de façon claire et précise que les honoraires étaient facturés par la Sep Lachaud Mandeville Coutadeur et associés, laquelle était donc la créancière de l'obligation de paiement ; qu'en refusant d'annuler la convention d'honoraires aux motifs que celle-ci aurait été établie entre M. [C] et Mme [O], le premier président de la cour d'appel a violé le principe suivant lequel le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis ;
4°/ ALORS, toujours subsidiairement, QUE si le commencement d'exécution d'une convention s'oppose à ce que soit invoquée sa nullité paf voie d'exception, tel n'est pas le cas lorsque la nullité est sollicitée par voie d'action ; qu'en refusant à Mme [O] le droit de solliciter la nullité de la convention d'honoraires aux motifs qu'elle avait commencé de l'exécuter quand celle-ci avait invoqué cette nullité par voie d'action, le premier président de la cour d'appel a violé les articles 1178 et 1185 du code civil.
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CASS/JURITEXT000047128495.xml | LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 février 2023
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 162 F-B
Pourvoi n° W 21-21.217
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 FÉVRIER 2023
La société Pacifica, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° W 21-21.217 contre l'arrêt rendu le 28 juin 2021 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [P] [R], domiciliée [Adresse 1],
2°/ à la mutualité sociale agricole de Lorraine, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Philippart, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Pacifica, de la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme [R], et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 janvier 2023 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Philippart, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 28 juin 2021), Mme [R] a été victime d'un accident de la vie privée.
2. Au titre d'une garantie « accidents de la vie », elle a assigné son assureur, la société Pacifica (l'assureur), aux fins d'indemnisation de ses préjudices.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, troisième, quatrième et cinquième branches, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. L'assureur fait grief à l'arrêt de fixer le préjudice de la victime à 112 146,75 euros au titre des pertes de gains futurs et 737 874,60 euros au titre du retentissement économique, et de le condamner à payer à cette dernière la somme de 991 783,85 euros à titre d'indemnisation de ses préjudices, alors « que la victime ne peut obtenir une double indemnisation pour un même préjudice ; le contrat d'assurance garantissait « le retentissement économique définitif après consolidation sur l'activité professionnelle future de la victime, entraînant une perte de revenus ou son changement d'emploi » ; que la prise en charge du salaire d'un palefrenier pour remplacer la victime revient à solliciter la compensation d'une perte de revenus professionnels, lesquels connaissent une diminution par la hausse des charges de l'exploitation ; qu'en allouant la somme de 737 874,60 euros au titre du retentissement économique définitif résultant de « l'obligation d'être remplacée pour l'exécution des tâches devenues totalement et partiellement impossibles », en plus d'une indemnité pour la perte de gains professionnels futurs, la cour d'appel a indemnisé deux fois le même préjudice, en violation du principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime. »
Réponse de la Cour
Vu le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :
5. Pour allouer à Mme [R] une somme au titre du « retentissement économique définitif après consolidation », l'arrêt, après avoir relevé que celle-ci avait choisi de conserver son emploi mais était devenue incapable d'effectuer toutes les tâches physiques qu'elle exécutait avant l'accident, retient que cette diminution de ses aptitudes physiques, qui implique l'aide d'un tiers, justifie l'octroi d'une somme calculée sur la base du coût horaire d'embauche d'un salarié, capitalisée pour l'avenir.
6. En statuant ainsi, alors que pour allouer à la victime une somme distincte au titre de sa perte future de revenus personnels, elle avait pris en considération la diminution du bénéfice annuel de l'exploitation de la victime, qui inclut nécessairement le surcoût de charges lié à l'embauche d'un salarié, la cour d'appel, qui a indemnisé deux fois le même préjudice, a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe les préjudices de Mme [R] à la suite de l'accident du 15 décembre 2012 à la somme de 112 146,75 euros au titre de la perte de gains futurs et à la somme de 737 874,60 euros au titre du retentissement économique, et condamne la société Pacifica à payer à Mme [R] la somme de 991 783,85 euros à titre d'indemnisation, déduction faite des provisions de 14 100 euros, l'arrêt rendu le 28 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.
Condamne Mme [R] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille vingt-trois. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société Pacifica
La société Pacifica reproche à l'arrêt attaqué d'avoir fixé à 70 000 euros le préjudice au titre du préjudice d'agrément spécifique, 112 146,75 euros au titre des pertes de gains futurs et 737 874,60 euros au titre du retentissement économique, et de l'avoir condamnée à payer à Mme [R] la somme de 991 783,85 euros à titre d'indemnisation de ses préjudices ;
Alors 1°) que l'indemnisation de la perte de gains professionnels futurs suppose l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre l'accident subi et la perte des revenus invoquée ; qu'en retenant une somme de 112 146,75 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs, après avoir constaté que l'activité déployée par Mme [R] avant l'accident survenu le 15 décembre 2012 était déficitaire en 2009, que le bénéfice réalisé pour l'année 2012 avant l'accident était déjà en baisse par rapport à celui réalisé en 2011 et sans avoir caractérisé l'imputabilité à l'accident de la perte annuelle de revenus postérieurement au 15 décembre 2012, s'agissant d'une activité déficitaire au départ, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1103 du code civil ;
Alors 2°) que la victime ne peut obtenir une double indemnisation pour un même préjudice ; le contrat d'assurance garantissait « le retentissement économique définitif après consolidation sur l'activité professionnelle future de la victime, entraînant une perte de revenus ou son changement d'emploi » ; que la prise en charge du salaire d'un palefrenier pour remplacer Mme [R] revient à solliciter la compensation d'une perte de revenus professionnels, lesquels connaissent une diminution par la hausse des charges de l'exploitation ; qu'en allouant la somme de 737 874,60 euros au titre du retentissement économique définitif résultant de « l'obligation d'être remplacée pour l'exécution des tâches devenues totalement et partiellement impossibles », en plus d'une indemnité pour la perte de gains professionnels futurs, la cour d'appel a indemnisé deux fois le même préjudice, en violation du principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit pour la victime ;
Alors 3°) que l'indemnisation d'une « perte de revenus » ne peut être supérieure aux revenus perçus avant l'accident, sauf à procurer à la victime un profit ; qu'en indemnisant au titre du retentissement professionnel « l'obligation d'être remplacée pour l'exécution des tâches devenues totalement et partiellement impossibles », par capitalisation du coût salarial d'un palefrenier, évaluée à 38 246 euros par an, après avoir retenu que l'activité générait avant l'accident un bénéfice moyen de 5 153 euros par an, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que la somme demandée par la victime au titre de l'obligation d'être remplacée pour l'exécution de certaines tâches dépassait largement le revenu moyen perçu avant l'accident, violant ainsi le principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime ;
Alors 4°) que l'indemnisation d'un dommage suppose un lien de causalité avec l'accident ; qu'à défaut d'avoir recherché, comme elle y était invitée, si l'obligation d'embaucher un palefrenier n'était pas exclusivement due à la structure de l'exploitation elle-même, une personne seule ne pouvant s'occuper de plusieurs dizaines de chevaux, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 1231-3 du code civil ;
Alors 5°) que la réparation du préjudice d'agrément suppose la preuve par la victime de l'impossibilité pour elle de pratiquer régulièrement une activité sportive spécifique en raison de l'accident qu'elle a subi ; qu'en allouant une somme de 70 000 euros à Mme [R] à ce titre, après avoir constaté qu'elle ne possédait plus de licence pour la pratique de l'équitation depuis 1994 et qu'elle n'avait justifié de sa participation à des concours hippiques que jusqu'en 2001, soit bien avant son accident et sans préciser de quel élément de preuve il résultait que Mme [R] exerçait de manière effective et intense l'équitation de loisirs avant son accident, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit.
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CASS/JURITEXT000047128248.xml | LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 99 FS-B
Pourvoi n° H 22-10.743
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023
M. [S] [R], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° H 22-10.743 contre l'arrêt rendu le 15 octobre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Guigal, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ au syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] à [Localité 5] , dont le siège est [Adresse 3], représenté par son syndic, la société Cabinet Denis et Cie, domicilié [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Farrenq-Nési, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [R], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Guigal, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Farrenq-Nési, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Boyer, Mme Abgrall, MM. Delbano, Bosse-Platière, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Rat, M. Pons, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 octobre 2021), par acte authentique de vente du 9 mars 2016, la société Guigal (le vendeur) a vendu à M. [R] (l'acquéreur) un appartement dans un immeuble en copropriété.
2. Le 7 décembre 2017, la préfecture a mis en oeuvre une procédure de péril ordinaire concernant cet immeuble.
3. Ayant constaté des désordres affectant les planchers hauts et bas de l'appartement, dus à la présence d'insectes xylophages, l'acquéreur a assigné le vendeur pour obtenir, sur le fondement de la garantie des vices cachés, la réduction du prix de vente et des dommages-intérêts.
4. Le vendeur a appelé le syndicat des copropriétaires du [Adresse 2] (le syndicat des copropriétaires) en garantie sur le fondement des articles 14 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 et 1242 du code civil.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en restitution du prix, alors « que seule la réparation de la chose par le vendeur, non par un tiers, acceptée par l'acquéreur et qui fait disparaître le vice caché empêche l'acheteur d'exercer l'action rédhibitoire ou estimatoire ; qu'en déboutant M. [R] de son action estimatoire au motif qu'il avait accepté que le bien soit remis en état par le syndicat des copropriétaires , que le vice avait disparu et qu'il importait peu que la réparation n'ait pas été effectuée par la venderesse, la société Guigal, mais par la copropriété, la cour d'appel a violé les articles 1641 et 1644 du code civil . »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1641 et 1644 du code civil :
6. Aux termes du premier de ces textes, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus.
7. Selon le second, dans ce cas, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.
8. En application de ces textes, il est jugé que l'acheteur d'une chose comportant un vice caché qui accepte que le vendeur procède à la remise en état de ce bien ne peut plus invoquer l'action en garantie dès lors que le vice originaire a disparu (Com., 1er février 2011, pourvoi n° 10-11.269, Bull. 2011, IV, n° 15 (rejet)).
9. L'acquéreur, qui a seul le choix des actions prévues par la loi en cas de mise en jeu de la garantie du vendeur pour vice caché, peut accepter que celui-ci procède, par une remise en état à ses frais, à une réparation en nature qui fait disparaître le vice et rétablit l'équilibre contractuel voulu par les parties.
10. Cette solution ne peut pas être étendue à la réparation du vice caché par un tiers, laquelle, n'ayant pas d'incidence sur les rapports contractuels entre l'acquéreur et le vendeur, ne peut supprimer l'action estimatoire permettant à l'acquéreur d'obtenir la restitution du prix à hauteur du coût des travaux mis à sa charge pour remédier au vice.
11. Pour rejeter la demande en restitution de partie du prix, l'arrêt retient qu'ayant accepté que le syndicat des copropriétaires procède aux travaux de remise en état du bien affecté du vice caché, l'acquéreur ne peut plus exercer l'action estimatoire dès lors que le vice a disparu, peu important que la remise en état ait été effectuée par le syndicat et non par le vendeur.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation du chef de dispositif rejetant la demande de M. [R] en restitution du prix sur le fondement de l'action estimatoire entraîne, par voie de conséquence l'annulation de celui rejetant les demandes en dommages-intérêts, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [R] de sa demande en restitution du prix et de ses demandes en paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 15 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Guigal aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Guigal et la condamne à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. [S] [R]
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a débouté M. [R] de sa demande en restitution du prix sur le fondement de l'action estimatoire, et débouté M. [R] de ses demandes de dommages-intérêts pour les sommes de 2 721 € au titre du remboursement de l'appel de charges du 26 avril 2016, de 1 823,67 € au titre du remboursement de l'appel de charges du 8 février 2018, de 6 000 € au titre des honoraires d'avocats exposés lors du référé expertise, de 130 000 € au titre de la perte de valeur du bien et de 9 385,10 euros au titre de la restitution d'une partie des intérêts dus au titre du prêt destiné à financer l'acquisition du bien ;
ALORS, premièrement, QUE seule la réparation de la chose par le vendeur, non par un tiers, acceptée par l'acquéreur et qui fait disparaître le vice caché empêche l'acheteur d'exercer l'action rédhibitoire ou estimatoire ; qu'en déboutant M. [R] de son action estimatoire au motif qu'il avait accepté que le bien soit remis en état par le syndicat des copropriétaires, que le vice avait disparu et qu'il importait peu que la réparation n'ait pas été effectuée par la venderesse, la société Guigal, mais par la copropriété, la cour d'appel a violé les articles 1641 et 1644 du code civil ;
ALORS, deuxièmement, QU'à supposer même que la réparation du bien par un tiers faisant disparaître le vice caché fasse obstacle à l'action en garantie, elle ne prive pas l'acheteur du droit d'être indemnisé des dommages causés par le vice caché ; qu'en jugeant que M. [R] ne pouvait être indemnisé des intérêts du montant emprunté correspondant à la partie du prix dont il demandait la restitution, cette demande ayant été rejetée, non plus que de la perte de valeur du bien, lequel avait été remis en état, la cour d'appel a violé l'article 1645 du code civil ;
ALORS, troisièmement, QUE pour rejeter la demande de M. [R] tendant à être indemnisé des charges de copropriété, les juges du fond ont retenu que ces charges ont été appelées postérieurement à la vente et que l'acte de vente du 9 mars 2016 les faisait supporter par l'acquéreur ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si lesdites charges ne correspondaient pas, en moins en partie, à des travaux votés avant la vente et si en vertu de l'acte de vente du 9 mars 2016 le vendeur ne devait pas en supporter le coût, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1645 du code civil ;
ALORS, quatrièmement, QU'en déboutant M. [R] de sa demande d'indemnisation au titre des appels de charges de copropriété au motif qu'ils ont été émis postérieurement à la vente et qu'une clause de l'acte de vente du 9 mars 2016 prévoyait qu'il les supporterait seul, sans s'expliquer sur le point de savoir si les travaux correspondant aux appels de charges n'étaient pas liés au vice caché et si la société Guigal n'était pas irréfragablement présumée connaître le violé comme l'avait retenu le tribunal, auquel cas cette dernière ne pouvait se prévaloir de la clause en question, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1645 du code civil.
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CASS/JURITEXT000047128242.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 93 FS-B
Pourvoi n° V 21-23.976
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023
1°/ M. [A] [N], domicilié [Adresse 1],
2°/ la société Productions Alleluia, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° V 21-23.976 contre l'arrêt rendu le 12 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige les opposant à la société Librairie Artheme Fayard, dont le siège est [Adresse 2],
En présence de :
1°/ M. [P] [S], domicilié [Adresse 5],
2°/ M. [G] [D], domicilié [Adresse 3],
3°/ Mme [F] [B], domiciliée [Adresse 7],
4°/ Mme [U] [R], domiciliée [Adresse 6],
5°/ M. [L] [T], domicilié [Adresse 8],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [N] et de la société Productions Alleluia, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société Librairie Artheme Fayard, et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Jessel, Mornet, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Le Gall, de Cabarrus, Thieffry, M. Serrier, conseillers référendaires, M. Chaumont, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 janvier 2021), M. [N], agissant en qualité d'exécuteur testamentaire en charge de l'exercice du droit moral de [P] [K], dit [P] [Y], compositeur et artiste-interprète, décédé le 13 mars 2010, et la société Productions Alleluia, titulaire des droits de reproduction des oeuvres de celui-ci, faisant grief à la société Librairie Arthème Fayard d'avoir publié un ouvrage intitulé « [P] [Y] « Je ne chante pas pour passer le temps » », signé par l'écrivain [E] [M], qui reproduisait cent trente-et-un extraits des chansons de [P] [Y], ainsi que, en page de couverture, le titre de l'une d'elles, l'ont assignée en contrefaçon.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première à troisième branches
Enoncé du moyen
3. M. [N] et la société Productions Alleluia font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :
« 1°/ que, lorsqu'une oeuvre a été divulguée, son auteur ne peut interdire les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées ; que chaque citation doit être faite conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi ; qu'en affirmant, de manière générale, pour accueillir l'exception de courte citation, que l'ouvrage était de qualité et que les citations litigieuses étaient justifiées par son caractère pédagogique et d'information, sans les examiner individuellement afin de vérifier leur adéquation et leur nécessité par rapport au but poursuivi par l'ouvrage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-5, 3°, a), du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 5, § 3, d), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ;
2°/ qu'une décision de justice doit se suffire à elle-même ; qu'il ne peut être suppléé au défaut ou à l'insuffisance de motifs par le seul visa des documents de la cause ; qu'en énonçant, pour accueillir l'exception de courte citation, qu'en toute hypothèse, la société Librairie Arthème Fayard avait procédé dans ses écritures, pour chacun des extraits cités, à un exposé du contexte dans lequel s'inscrivait cette citation, démontrant ainsi que chacune des citations était nécessaire à l'analyse critique de la chanson citée, sans en rapporter la teneur, la cour d'appel n'a pas donné de motifs à sa décision et a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que la courte citation ne peut être effectuée que dans le respect du droit moral de l'auteur ; qu'une chanson, lorsqu'elle est l'oeuvre d'un auteur-compositeur unique ou lorsqu'elle est une oeuvre de collaboration, constitue un tout indivisible, en sorte que la citation de ses seules paroles porte atteinte à son intégrité ; qu'en énonçant, pour exclure toute atteinte au droit moral de [P] [Y] et accueillir l'exception de courte citation pour les oeuvres dont il était auteur compositeur ou coauteur, qu'aucune atteinte au droit moral ne pouvait résulter du fait que le texte avait été séparé de la musique, dans la mesure où le texte et la musique relèvent de genres différents et sont dissociables, la cour d'appel, qui a énoncé un motif inopérant, a violé l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble son article L. 122-5, 3°, a), interprété à la lumière de l'article 5, § 3, sous d), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre, lequel, attaché à sa personne, est transmissible à cause de mort à ses héritiers et dont l'exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.
5. Cependant, lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut, en application de l'article L. 122-5, 3°, du code de la propriété intellectuelle, interdire les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source.
6. En premier lieu, la cour d'appel a énoncé, à bon droit, que, le texte et la musique d'une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral de l'auteur.
7. En second lieu, en retenant que la société Librairie Arthème Fayard avait, par un exposé, pour chaque citation, de son contexte, démontré que chacune d'elles était nécessaire à l'analyse critique de la chanson à laquelle se livrait M. [M], permettant au lecteur de comprendre le sens de l'oeuvre évoquée et l'engagement de l'artiste, et que ces citations ne s'inscrivaient pas dans une démarche commerciale ou publicitaire mais étaient justifiées par le caractère pédagogique et d'information de l'ouvrage qui, richement documenté, s'attachait à mettre en perspective les textes des chansons au travers des étapes de la vie de [P] [Y], la cour d'appel, appréciant elle-même, par une décision motivée, les justifications apportées aux citations litigieuses, a pu accueillir l'exception de courte citation.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [N] et la société Productions Alleluia aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [N] et la société Productions Alleluia et les condamne à payer à la société Librairie Arthème Fayard la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. [N] et la société Productions Alleluia.
La société Productions Alleluia et M. [N] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté leurs demandes fondées sur la contrefaçon des droits patrimoniaux d'auteur de [P] [Y], pour la première, et sur l'atteinte à son droit moral d'auteur, pour le second, ce dernier dans la limite de la recevabilité de ses demandes,
1) ALORS QUE lorsqu'une oeuvre a été divulguée, son auteur ne peut interdire les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées ; que chaque citation doit être faite conformément aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi ; qu'en affirmant, de manière générale, pour accueillir l'exception de courte citation, que l'ouvrage était de qualité et que les citations litigieuses étaient justifiées par son caractère pédagogique et d'information, sans les examiner individuellement afin de vérifier leur adéquation et leur nécessité par rapport au but poursuivi par l'ouvrage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 122-5 3° a) du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 5 § 3 d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ;
2) ALORS QU' une décision de justice doit se suffire à elle-même ; qu'il ne peut être suppléé au défaut ou à l'insuffisance de motifs par le seul visa des documents de la cause ; qu'en énonçant, pour accueillir l'exception de courte citation, qu'en toute hypothèse, la société Librairie Arthème Fayard avait procédé dans ses écritures, pour chacun des extraits cités, à un exposé du contexte dans lequel s'inscrivait cette citation, démontrant ainsi que chacune des citations était nécessaire à l'analyse critique de la chanson citée, sans en rapporter la teneur, la cour d'appel n'a pas donné de motifs à sa décision et a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
3) ALORS QUE la courte citation ne peut être effectuée que dans le respect du droit moral de l'auteur ; qu'une chanson, lorsqu'elle est l'oeuvre d'un auteur-compositeur unique ou lorsqu'elle est une oeuvre de collaboration, constitue un tout indivisible, en sorte que la citation de ses seules paroles porte atteinte à son intégrité ; qu'en énonçant, pour exclure toute atteinte au droit moral de [P] [Y] et accueillir l'exception de courte citation pour les oeuvres dont il était auteur-compositeur ou coauteur, qu'aucune atteinte au droit moral ne pouvait résulter du fait que le texte avait été séparé de la musique, dans la mesure où le texte et la musique relèvent de genres différents et sont dissociables, la cour d'appel, qui a énoncé un motif inopérant, a violé l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble son article L. 122-5 3° a), interprété à la lumière de l'article 5, paragraphe 3, sous d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ;
4) ALORS QUE le droit moral de l'auteur est inaliénable ; que l'auteur ne peut y renoncer par avance ; qu'en retenant, pour exclure toute atteinte au droit moral de [P] [Y] et accueillir l'exception de courte citation pour les oeuvres dont il était auteur-compositeur ou coauteur, qu'il avait, en d'autres circonstances, autorisé la reproduction des seules paroles de ses chansons, la cour d'appel a violé l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble son article L. 122-5 3° a), interprété à la lumière de l'article 5, paragraphe 3, sous d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information ;
5) ALORS QU' en toute hypothèse, la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; qu'en retenant, pour exclure toute atteinte au droit moral de [P] [Y] et accueillir l'exception de courte citation pour les oeuvres dont il était auteur-compositeur ou coauteur, qu'il avait en d'autres circonstances autorisé la reproduction des seules paroles de ses chansons, ce qui ne pouvait valoir autorisation générale de dissocier les paroles et la musique pour ne citer que les premières, la cour d'appel a de nouveau violé l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, ensemble son article L. 122-5 3° a), interprété à la lumière de l'article 5, paragraphe 3, sous d) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.
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CASS/JURITEXT000047128246.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 110 F-B
Pourvoi n° A 22-10.852
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023
Le directeur du Groupe hospitalier universitaire [Localité 5] (GHU [Localité 5]) [6], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 22-10.852 contre l'ordonnance rendue le 3 décembre 2021 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 12), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [G] [O], domiciliée [Adresse 2], actuellement hospitalisée au GHU [Localité 5] [6] site [7], dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à M. [Y] [O], domicilié [Adresse 4],
3°/ au procureur général près de la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur du Groupe hospitalier universitaire [Localité 5], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [O], après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 3 décembre 2021), le 15 janvier 2021, Mme [O] a été admise en soins psychiatriques sans consentement, sous la forme d'une hospitalisation complète par décision du directeur d'établissement et à la demande de son père, M. [O], sur le fondement de l'article L. 3212-3 du code de la santé publique. Le 2 novembre 2021, alors qu'un programme de soins était en cours, le directeur d'établissement a pris une décision de réadmission en hospitalisation complète.
2. Le 4 novembre 2021, le directeur d'établissement a saisi le juge des libertés et de la détention d'une demande aux fins de prolongation de la mesure sur le fondement de l'article L. 3211-12-1 du même code.
Sur l'irrecevabilité du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [O], relevée d'office après avis donné aux parties conformément aux dispositions de l'article 1015 du code de procédure civile
Vu l'article 609 du code de procédure civile et l'article R. 3211-13 du code de la santé publique :
3. Le pourvoi formé contre M. [O], qui n'était pas partie à l'instance, n'est pas recevable.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le directeur d'établissement fait grief à l'ordonnance de lever la mesure d'hospitalisation sous contrainte de Mme [O] dans les 24 heures en vue de la mise en place d'un programme de soins adapté à sa situation, alors « qu'ayant constaté, au vu de l'avis médical du 9 novembre 2021 puis du certificat de situation du 1er décembre 2021 que l'ensemble des éléments médicaux figurant à la procédure justifiaient la poursuite de la mesure d'hospitalisation complète sous contrainte, le juge du fond ne pouvait qu'ordonner le maintien en hospitalisation complète ; qu'en décidant le contraire, il a violé les articles L. 3212-1 et L. 3211-12-1 du code de la santé publique. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 3212-1, I, et L. 3211-12-1 du code de la santé publique :
5. Aux termes du premier texte, une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l'objet de soins psychiatriques sur la décision du directeur d'un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
1° ses troubles mentaux rendent impossible son consentement ;
2° son état mental impose des soins immédiats assortis soit d'une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d'une surveillance médicale régulière justifiant une prise en charge sous la forme mentionnée au 2° du I de l'article L. 3211-2-1.
6. Lorsqu'il est saisi sur le fondement du second texte, aux fins de se prononcer sur le maintien de l'hospitalisation complète d'un patient, le juge doit examiner le bien fondé de la mesure au regard des éléments médicaux, communiqués par les parties ou établis à sa demande, sans pouvoir porter une appréciation d'ordre médical.
7. Pour prononcer la mainlevée différée de l'hospitalisation complète de Mme [O], après avoir constaté que l'ensemble des éléments médicaux figurant à la procédure justifient la poursuite de la mesure d'hospitalisation complète sous contrainte, l'ordonnance retient qu'il paraît néanmoins adapté à la situation de l'intéressée, qui a déjà passé de longs mois au sein de l'hôpital et qui a été réhospitalisée à la suite d'une rechute, d'ordonner une mainlevée afin qu'à la suite de permissions de sortie qui se sont avérées positives, l'hôpital puisse mettre en place un programme de soins dans l'intérêt de Mme [O], cette mesure pouvant être de nature à lui laisser la possibilité de poursuivre ses études, nonobstant sa pathologie chronique dont elle semble désormais être consciente à l'audience.
8. En statuant ainsi, alors que les certificats médicaux, dont le caractère régulier et circonstancié n'était pas contesté, se prononçaient tous en faveur du maintien de l'hospitalisation complète, le premier président, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
10. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit statué sur le fond dès lors que, les délais pour statuer étant expirés, il ne reste plus rien à juger.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [O] ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle dit l'appel interjeté recevable, l'ordonnance rendue le 3 décembre 2021, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
Le conseiller referendaire rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour le directeur du Groupe hospitalier universitaire [Localité 5].
L'ordonnance attaquée, critiquée par le Directeur du GHU [Localité 5] [6], encourt la censure ;
EN CE QU'elle a infirmé l'ordonnance du 12 novembre 2021 puis ordonné la mainlevée de la mesure d'hospitalisation sous contrainte de l'intéressée dans les 24 heures en vue de la mise en place d'un programme de soins adapté à sa situation ;
ALORS QUE, premièrement, ayant constaté, au vu de l'avis médical du 9 novembre 2021 puis du certificat de situation du 1er décembre 2021 que l'ensemble des éléments médicaux figurant à la procédure justifiaient la poursuite de la mesure d'hospitalisation complète sous contrainte, le juge du fond ne pouvait qu'ordonner le maintien en hospitalisation complète ; qu'en décidant le contraire, il a violé les articles L. 3212-1 et L. 3211-12-1 du code de la santé publique ;
ALORS QUE, deuxièmement, en estimant qu'il y avait lieu à mainlevée de la mesure pour que l'hôpital puisse mettre en place un programme de soins dans l'intérêt de Mme [O], et ce, après des permissions de sortie qui se sont avérées positives, la mesure étant de nature à permettre à l'intéressée de poursuivre des études, le juge du fond s'est déterminé sur le fondement de considérations étrangères à l'état mental ou au consentement que visent les textes ; qu'à cet égard également, l'ordonnance attaquée encourt la censure pour violation des articles L. 3212-1 et L. 3211-12-1 du code de la santé publique ;
ET ALORS QUE, troisièmement, à supposer que les motifs mis en avant puissent concerner l'état mental de la patiente, le juge doit alors être considéré comme s'étant arrogé le pouvoir d'émettre une appréciation d'ordre médical, qui lui échappe, dès lors qu'il est tenu de se conformer aux éléments d'ordre médical figurant au dossier ; que de ce point de vue également, l'ordonnance encourt la censure pour violation des articles L. 3211-12-1, L. 3216-1, L. 3212-3 et R. 3211-12 du code de la santé publique.
Le greffier de chambre
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CASS/JURITEXT000047128252.xml | LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 101 FS-B
Pourvoi n° T 21-20.271
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023
1°/ la société MMA IARD assurances mutuelles,
2°/ la société MMA IARD,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 3] et agissant en leur qualité d'assureur de la société Scheiber,
3°/ la société Scheiber, société anonyme, dont le siège est [Adresse 7],
ont formé le pourvoi n° T 21-20.271 contre l'arrêt rendu le 27 mai 2021 par la cour d'appel de Rennes (4e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Gervot Stéphane, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société MMA IARD, société anonyme,
3°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,
ayant toutes deux leur siège [Adresse 3] et prises en leur qualité d'assureur de la société Gervot Stéphane,
4°/ à M. [Y] [E],
5°/ à Mme [R] [V], épouse [E],
tous deux domiciliés [Adresse 5],
6°/ à la société Maaf assurances, dont le siège est [Adresse 6],
7°/ à la société Rexel France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
8°/ à la société Zurich Global Corporate France, dont le siège est [Adresse 1],
9°/ à la société Vim, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 8],
défendeurs à la cassation.
Les sociétés Rexel France et Zurich Global Corporate France ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat des sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, ès qualités, et de la société Scheiber, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société Gervot Stéphane et des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, ès qualités, de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat des sociétés Rexel France et Zurich Global Corporate France, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Maaf Assurances, de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. et Mme [E], et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Maunand, conseiller doyen rapporteur, M. Delbano, Mme Farrenq-Nési, M. Boyer, Mme Abgrall, M. Bosse-Platière, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Rat, M. Pons, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 27 mai 2021), M. et Mme [E] ont confié à la société Gervot Stéphane, assurée auprès des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, le lot « électricité - ventilation » de la construction d'une maison d'habitation.
2. La société Gervot Stéphane a fourni une ventilation mécanique contrôlée (VMC) qui lui avait été vendue par la société Rexel France, assurée auprès de la société Zurich Global Corporate France (la société Zurich), et qui avait été fabriquée par la société Vim. La VMC était notamment composée d'une carte électronique fabriquée par la société Scheiber, assurée auprès des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles.
3. Après la réception, intervenue le 27 juillet 2001, un incendie s'est déclaré dans les combles de la maison.
4. Après expertise, M. et Mme [E] ont assigné leur assureur multirisques, la société Maaf assurances, ainsi que les sociétés Gervot Stéphane, Rexel France, Zurich, Vim, Scheiber et MMA IARD. La société MMA IARD assurances mutuelles est intervenue volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi principal, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident, rédigés en termes similaires, réunis
Enoncé des moyens
6. Par leur premier moyen, les sociétés Scheiber, MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles font grief à l'arrêt de les condamner à garantir la société VIM des condamnations mises à sa charge, dans la limite de la franchise et du plafond de garantie prévu par la police d'assurance MMA IARD, alors « que l'action en garantie des vices cachés, qui devait être exercée dans un bref délai à compter de la découverte du vice, est également enfermée dans le délai de prescription fixé par l'article L. 110-4 du code de commerce, lequel court à compter de la vente initiale ; qu'en décidant au contraire que le point de départ de cette prescription serait suspendu jusqu'à la date de l'assignation de la société VIM, fabriquant du groupe VMC litigieux, par la société Rexel, revendeur, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce ensemble l'article 1648 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005. »
7. Par leur moyen, les sociétés Rexel France et Zurich font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à garantir la société Gervot Stéphane et les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles de l'intégralité des condamnations mises à leur charge, alors « que l'action en garantie des vices cachés, même si elle doit être exercée dans un bref délai suivant la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente conclue entre les parties ; qu'en affirmant, au contraire, pour déclarer recevables les appels en garantie formés par l'entrepreneur et ses assureurs à l'encontre du fournisseur du groupe VMC, que le point de départ du délai de prescription était l'assignation délivrée contre l'entrepreneur, et que le délai de l'article L. 110-4 du code du commerce était suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître d'ouvrage, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce, ensemble l'article 1648 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005. »
Réponse de la Cour
8. Pour les ventes conclues antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, il est jugé que les vices affectant les matériaux ou les éléments d'équipement mis en oeuvre par un constructeur ne constituent pas une cause susceptible de l'exonérer de la responsabilité qu'il encourt à l'égard du maître de l'ouvrage, quel que soit le fondement de cette responsabilité et que, sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, le constructeur dont la responsabilité est ainsi retenue en raison des vices affectant les matériaux qu'il a mis en oeuvre pour la réalisation de l'ouvrage, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale.
9. Il s'ensuit que, l'entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d'avoir été lui même assigné par le maître de l'ouvrage, le point de départ du délai qui lui est imparti par l'article 1648, alinéa 1, du code civil est constitué par la date de sa propre assignation et que le délai de l'article L. 110-4, I, du code de commerce, courant à compter de la vente, est suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l'ouvrage (3e Civ., 16 février 2022, pourvoi n° 20-19.047, publié au bulletin).
10. Dès lors que le vendeur peut voir, ainsi, sa garantie recherchée par le constructeur et qu'il ne peut, non plus, agir avant d'avoir été assigné, le recours contre son propre vendeur ne peut, pas plus, être enfermé dans le délai de prescription de droit commun courant à compter de la vente initiale. La prescription de ce recours est elle-même suspendue jusqu'à ce que la responsabilité de son auteur soit recherchée.
11. La cour d'appel a relevé que la société Gervot Stéphane et son assureur avaient été assignés par la société Maaf assurances, subrogée dans les droits des maîtres de l'ouvrage, le 11 décembre 2014 et qu'ils avaient notifié leurs demandes de garantie à la société Rexel France et à son assureur le 22 novembre 2015.
12. Elle a, ensuite, relevé que la société Rexel France et son assureur, assignés par M. et Mme [E] le 19 juin 2014, avaient assigné la société VIM en garantie le 9 février 2015, laquelle avait assigné à son tour la société Scheiber le 29 mai 2015.
13. Ayant constaté que les actions en garantie des vices cachés de la société Gervot Stéphane et de la société VIM avaient été exercées contre la société Rexel France, la société Scheiber et leurs assureurs dans le délai prévu par l'article 1648, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, et ayant retenu, à bon droit, que la prescription de droit commun enfermant ces actions était suspendue jusqu'à ce que leurs auteurs fussent assignés, elle en a exactement déduit que les demandes n'étaient pas prescrites.
14. Les moyens ne sont donc pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne les sociétés Scheiber, MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles aux dépens du pourvoi principal et les sociétés Rexel France, Zurich Global Corporate France aux dépens du pourvoi incident ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits au pourvoi principal par la SARL Le Prado-Gilbert, avocat aux Conseils, pour les sociétés MMA IARD assurances mutuelles, MMA IARD et la société Scheiber
PREMIER MOYEN DE CASSATION
La société Scheiber et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, en leur qualité d'assureurs de la société Scheiber, reprochent à l'arrêt infirmatif attaqué de les AVOIR condamnées à garantir la société VIM des condamnations mises à sa charge, dans la limite de la franchise et du plafond de garantie prévu par la police d'assurance MMA IARD ;
ALORS QUE l'action en garantie des vices cachés, qui devait être exercée dans un bref délai à compter de la découverte du vice, est également enfermée dans le délai de prescription fixé par l'article L. 110-4 du code de commerce, lequel court à compter de la vente initiale ; qu'en décidant au contraire que le point de départ de cette prescription serait suspendu jusqu'à la date de l'assignation de la société VIM, fabriquant du groupe VMC litigieux, par la société Rexel, revendeur, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce ensemble l'article 1648 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005.
SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
La société Scheiber et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, en leur qualité d'assureurs de la société Scheiber, reprochent à l'arrêt infirmatif attaqué de les AVOIR condamnées à garantir la société VIM des condamnations mises à sa charge, dans la limite de la franchise et du plafond de garantie prévu par la police d'assurance MMA Iard ;
1°) ALORS QUE l'action en garantie des vices cachés ne peut pas prospérer sans que soit rapportée la preuve de la réunion des conditions nécessaires à l'application de la garantie contractuelle ; que la cour d'appel a relevé, à la lecture des différents rapports d'expertise, que le groupe VMC installé dans les combles au-dessus de la salle de bain des époux [E] avait été intégralement détruit par l'incendie et qu'il n'en restait plus aucun vestige (arrêt, p. 14, § 1) ; qu'en décidant tout de même que l'incendie serait imputable à l'inflammation d'une carte électronique du groupe VMC, fabriquée par la société Scheiber (arrêt, p. 14, dernier §), malgré l'impossibilité matérielle de vérifier une telle hypothèse, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1641 du code civil ;
2°) ALORS QUE l'action indemnitaire ne peut prospérer sans que ce soit établi un rapport de causalité certain entre le vice caché et le préjudice subi ;
que la société Scheiber et ses assureurs faisaient valoir que l'incendie pouvait avoir d'autres causes d'origine électrique, hors du groupe VMC, tenant particulièrement à la présence d'un autre appareil électrique branché sur le câble coaxial encore présent ou à défaut résistif sur l'installation électrique (conclusions, p. 26) ; qu'en décidant cependant que l'incendie serait nécessairement imputable au groupe VMC (arrêt, p. 14 dernier §), sans s'expliquer sur ces autres causes d'incendie d'origine électrique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1641 et 1645 du code civil ;
3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE l'action indemnitaire ne peut prospérer sans que ce soit établi un rapport de causalité certain entre le vice caché et le préjudice subi ; que la société Scheiber et ses assureurs faisaient valoir que les autres composants de la VMC, dont le bornier de connexion, le condensateur ou le moteur, pouvaient également être à l'origine de l'incendie (conclusions, p. 26 et 27) ; qu'en décidant cependant que l'incendie serait nécessairement imputable à la carte électronique du groupe VMC, fabriquée par la société Scheiber (arrêt, p. 14 dernier §), sans s'expliquer sur les autres causes d'incendie au sein du groupe VMC litigieux, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles 1641 et 1645 du code civil ;
4°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE l'action indemnitaire ne peut prospérer sans que ce soit établi un rapport de causalité certain entre le vice caché et le préjudice subi ; que la société Scheiber et ses assureurs faisaient valoir qu'au regard de tests effectués par un laboratoire indépendant, la carte électronique de la société Scheiber présentait tout au plus un simple risque d'échauffement dans des conditions d'humidité sévère, sans pour autant pouvoir aboutir à un risque d'inflammation de la carte électronique ou des autres éléments du groupe VMC (conclusions, p. 18) ; qu'en décidant cependant que l'incendie serait imputable à la carte électronique fabriquée par la société Scheiber (arrêt, p. 14, in fine), sans s'expliquer sur l'exclusion de ce risque grave au regard des tests réalisés par le laboratoire indépendant, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles 1641 et 1645 du code civil.
Moyens produits au pourvoi incident par la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour la société Rexel France et la société Zurich Global Corporate France
La société Rexel France et la société Zurich font grief à l'arrêt attaqué DE LES AVOIR condamnées in solidum à garantir la société Gervot et les sociétés Mma Iard et Mma Iard Assurances Mutuelles de l'intégralité des condamnations mises à leur charge ;
ALORS QUE, l'action en garantie des vices cachés, même si elle doit être exercée dans un bref délai suivant la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente conclue entre les parties ; qu'en affirmant, au contraire, pour déclarer recevables les appels en garantie formés par l'entrepreneur et ses assureurs à l'encontre du fournisseur du groupe VMC, que le point de départ du délai de prescription était l'assignation délivrée contre l'entrepreneur, et que le délai de l'article L. 110-4 du code du commerce était suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître d'ouvrage, la cour d'appel a violé l'article L. 110-4 du code de commerce, ensemble l'article 1648 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005.
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CASS/JURITEXT000047128244.xml | LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 105 F-B
Pourvoi n° G 22-10.169
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023
Mme [Y] [X], agissant à titre personnel et en qualité de représentante légale de sa fille mineure [U] [K], domiciliée [Adresse 3], a formé le pourvoi n° G 22-10.169 contre l'arrêt rendu le 7 octobre 2021 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [S] [W], domicilié [Adresse 2],
2°/ à la Société mutuelle d'assurances du corps de santé français, venant aux droits de la Société le sou médical, dont le siège est [Adresse 4],
3°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise a formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi principal, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi provoqué, le moyen unique de cassation, annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bacache-Gibeili, conseiller, les observations de Me Occhipinti, avocat de Mme [X], de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise, de la SCP Richard, avocat de M. [W], et la Société mutuelle d'assurances du corps de santé français, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Bacache-Gibeili, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 07 octobre 2021), le 15 mai 2010, Mme [X] a donné naissance par césarienne à une fille, [U] [K], qui présente une infirmité motrice cérébrale consécutive à une anoxo-ischémie.
2. Le 8 novembre 2012, contestant sa prise en charge lors de la naissance, au sein de la clinique [5], par M. [W], médecin-anesthésiste (le médecin-anesthésiste) ayant pratiqué une rachianesthésie et par M. [M], pédiatre (le pédiatre), Mme [X] a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (la CCI), qui a ordonné successivement deux expertises confiées à des collèges d'experts.
3. Par un avis du 18 décembre 2014, la CCI a estimé qu'il appartenait à la société Le Sou médical, assureur du pédiatre et du médecin- anesthésiste, d'indemniser les préjudices subis à hauteur de 30 % pour le premier et de 50 % pour le second.
4. Les 14 et 15 février 2017, à l'issue d'une indemnisation versée par la société Le Sou médical au titre de la part des préjudices imputés au pédiatre et d'un refus de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) de se substituer à cet assureur pour la part imputée au médecin-anesthésiste, Mme [X] a assigné en responsabilité et indemnisation M. [W], la société Le Sou médical, aux droits de laquelle vient la société Mutuelle d'assurances du corps de santé français (MACSF), et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise (la caisse), qui a demandé le remboursement de ses débours.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal et le moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident, rédigés en termes identiques, et sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, réunis
Enoncé des moyens
5. Par le moyen du pourvoi principal et le moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident, Mme [X] et la caisse font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors « qu'une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable ; qu'elle ne peut être exclue en matière de responsabilité médicale que s'il peut être tenu pour certain que les fautes du médecin n'ont pas eu de conséquences sur l'état de santé de la victime ; qu'en déboutant Mme [X] et la caisse faute d'établir avec certitude que les manquements imputables au médecin-anesthésiste avaient fait perdre une chance à [U] [K] d'éviter une anoxo-ischémie, la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et L. 1142-1 du code de la santé publique. »
6. Par le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, la caisse fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « qu' en cas de faute imputée au professionnel de santé dans la tenue du dossier médical, la charge de la preuve est inversée et il appartient au professionnel de santé de démontrer que sa faute n'est pas à l'origine du dommage corporel subi par la victime ; qu'ayant constaté qu'en méconnaissance des règles de bonne pratique, le Dr [W] n'avait pas consigné les données de surveillance hémodynamique qui auraient permis de savoir si Mme [X] a présenté une hypotension de nature à expliquer l'anoxo-ischémie dont a souffert son enfant, la cour d'appel se devait d'en déduire qu'il appartenait au médecin-anesthésiste de démontrer que sa faute, résultant de ce qu'il a omis de procéder à un acte de nature à prévenir l'hypotension, n'a pas été à l'origine du dommage et donc d'établir qu'il était exclu que Mme [X] ait présenté une hypotension ; qu'en déboutant toutefois la caisse de ses demandes, au motif que l'hypothèse de l'hypotension n'était pas étayée, la cour d'appel, qui a fait peser la charge et le risque de la preuve sur la victime et la caisse, a violé les articles 1315 ancien, devenu 1353, du code civil et L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble l'article 1147 ancien, devenu 1231-1, du code civil. »
Réponse de la Cour
7. Après avoir relevé l'existence de manquements imputables au médecin-anesthésiste pour prévenir le risque d'hypotension artérielle induit par la rachianesthésie, tenant à l'absence de remplissage vasculaire et de consignation des éléments de surveillance hémodynamique, la cour d'appel, se fondant sur les rapports d'expertise, a retenu que l'hypothèse émise par Mme [X], selon laquelle elle aurait présenté une hypotension artérielle sévère qui serait à l'origine de la survenue de l'anoxo-ischémie de l'enfant n'était pas étayée par les données cliniques et les éléments décrits au cours de l'intervention et qu'en l'absence d'indices sérieux en ce sens, elle ne pouvait être admise en se fondant seulement sur des données statistiques.
8. Ayant ainsi écarté l'éventualité que l'infirmité de l'enfant ait été causée par une hypotension artérielle sévère présentée par sa mère, elle n'a pu qu'en déduire, sans inverser la charge de la preuve, que les manquements du médecin-anesthésiste n'avaient pas fait perdre à l'enfant une chance d'éviter l'anoxo-ischémie.
9. Les moyens ne sont donc pas fondés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne Mme [Y] [X] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit, au pourvoi principal, par Me Occhipinti, avocat aux Conseils, pour Mme [X]
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme [X] de ses demandes ;
ALORS QU'une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable ; qu'elle ne peut être exclue en matière de responsabilité médicale que s'il peut être tenu pour certain que les fautes du médecin n'ont pas eu de conséquences sur l'état de santé de la victime ; qu'en déboutant Mme [X] de sa demande d'indemnisation faute d'établir avec certitude que les manquements imputables au Dr. [W] avaient fait perdre une chance à [U] [K] d'éviter une anoxo-ischémie, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
Moyen produit, au pourvoi provoqué, par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la caisse d'assurance maladie (CPAM) de l'Oise
L'arrêt attaqué, critiqué par la Caisse, encourt la censure ;
EN CE QU' il a rejeté les demandes formées par la Caisse ;
ALORS QUE, premièrement, en cas de faute imputée au professionnel de santé dans la tenue du dossier médical, la charge de la preuve est inversée et il appartient au professionnel de santé de démontrer que sa faute n'est pas à l'origine du dommage corporel subi par la victime ; qu'ayant constaté qu'en méconnaissance des règles de bonne pratique, le Dr [W] n'avait pas consigné les données de surveillance hémodynamique qui auraient permis de savoir si Mme [X] a présenté une hypotension de nature à expliquer l'anoxo-ischémie dont a souffert son enfant, la cour d'appel se devait d'en déduire qu'il appartenait au Dr [W] de démontrer que sa faute, résultant de ce qu'il a omis de procéder à un acte de nature à prévenir l'hypotension, n'a pas été à l'origine du dommage et donc d'établir qu'il était exclu que Mme [X] ait présenté une hypotension ; qu'en déboutant toutefois la Caisse de ses demandes, au motif que l'hypothèse de l'hypotension n'était pas étayée, la cour d'appel, qui a fait peser la charge et le risque de la preuve sur la victime et la Caisse, a violé les articles 1315 ancien [1353 nouveau] du code civil et L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble l'article 1147 ancien [1231-1 nouveau] du code civil ;
ALORS QUE, deuxièmement, une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable ; qu'elle ne peut être exclue en matière de responsabilité médicale que s'il peut être tenu pour certain que les fautes du médecin n'ont pas eu de conséquences sur l'état de santé de la victime ; qu'en déboutant la Caisse de ses demandes, au motif qu'il n'était pas établi avec certitude que les manquements imputables au Dr [W] avaient perdre une chance à [U] [K] d'éviter une anoxo-ischémie, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, ensemble l'article 1147 ancien [1231-1 nouveau] du code civil.
Le greffier de chambre
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CASS/JURITEXT000047128250.xml | LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 8 février 2023
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 100 FS-B
Pourvoi n° E 21-20.535
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 8 FÉVRIER 2023
La société des Camoins, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 21-20.535 contre l'arrêt rendu le 3 juin 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige l'opposant à la société Provençale d'investissements, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Maunand, conseiller doyen, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société des Camoins, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société Provençale d'investissements, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Maunand, conseiller doyen rapporteur, Mme Farrenq-Nési, MM. Delbano, Boyer, Mme Abgrall, M. Bosse-Platière, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Rat, M. Pons, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 3 juin 2021), le 25 septembre 1963, la société civile immobilière des Camoins (la SCI) a consenti à la société Clinique [4], devenue la société Provençale d'investissements, un bail emphytéotique d'une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans portant sur un terrain lui appartenant, afin d'y construire une clinique de rhumatologie alimentée en eau thermale depuis la source située sur une parcelle voisine, appartenant également à la SCI.
2. Le 6 novembre 1978, les parties ont modifié leurs relations contractuelles en concluant un protocole, un avenant au bail et un contrat de concession d'eau.
3. La caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) du Sud-Est ayant, en 1992, retiré à la clinique son forfait « Boues et eaux thermales », la société Provençale d'investissements a cessé son activité de soins thermaux, à laquelle elle a substitué une activité de rééducation fonctionnelle.
4. Invoquant les manquements du preneur à ses obligations contractuelles, la SCI l'a assigné en résiliation du bail, du contrat de concession d'eau et du protocole, en expulsion et en paiement de redevances et de dommages-intérêts.
Examen des moyens
Sur le premier moyen et le troisième moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation, et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, qui est irrecevable.
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à l'octroi de dommages-intérêts à raison d'un empiétement imputable à la société Provençale d'investissements, alors « que le dommage né d'un empiétement est continu ; que si même l'action visant à la réparation des dommages causés par un empiétement peut être regardée comme personnelle, elle doit être recevable, au moins dans la limite des cinq années qui précèdent la demande, dès lors que l'empiétement se poursuit et que l'action réelle n'est pas prescrite ; que tel était le cas en l'espèce ; qu'en déclarant la demande dans sa totalité irrecevable, par l'effet de la prescription, les juges du fond ont violé l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
7. Ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que l'empiétement dénoncé par la SCI était invoqué au titre d'un manquement contractuel du preneur à ses obligations issues du bail emphytéotique conclu le 25 septembre 1963 et modifié par avenant du 6 novembre 1978, la cour d'appel a exactement retenu que cette action en responsabilité contractuelle était soumise à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, courant à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, soit à la date de la connaissance de l'empiétement et non à celle de la cessation de celui-ci.
8. Ayant constaté que la SCI connaissait l'existence de l'empiétement au moins depuis le 22 avril 2008, date à laquelle elle avait assigné en référé la société Provençale d'investissements, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que l'action exercée le 3 septembre 2018 était prescrite.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
10. La SCI fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable puis de rejeter sa demande tendant au paiement des redevances, alors « que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action ; qu'en subordonnant la recevabilité de la demande, visant le paiement d'une redevance, à l'existence d'un droit de propriété sur la parcelle supportant la source de l'eau dont la fourniture était prévue, les juges du fond, qui ont fait dépendre la recevabilité des demandes de questions de fond, ont violé l'article 31 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 31 du code de procédure civile :
11. Aux termes de ce texte, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
12. Pour déclarer la SCI irrecevable à agir, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que, n'étant plus propriétaire de la source thermale, elle est dépourvue d'intérêt à demander le paiement de la redevance de substitution.
13. En statuant ainsi, alors que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action et que l'exécution, par la SCI, de son obligation de fourniture d'eau ne constituait pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du deuxième moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le chef de dispositif du jugement ayant déclaré irrecevable la demande de la société civile immobilière des Camoins tendant au paiement de la redevance prévue au contrat de concession d'eau sulfureuse en l'état de la vente de la parcelle sur laquelle se trouve la source d'eau thermale et déboute la société de cette demande, l'arrêt rendu le 3 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Provençale d'investissements aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit février deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société des Camoins
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par la SCI DES CAMOINS, encourt la censure ;
EN CE QU'il a, rejetant la demande de la SCI DES CAMOINS, prononcé la résiliation du contrat de concession d'eau, conclu le 6 novembre 1978, à compter du 1er novembre 2001 et non à compter du 14 janvier 2020 ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, la résolution judiciaire ne peut être prononcée qu'en cas de manquement d'une partie à ses engagements ; qu'au cas d'espèce, l'absence de fourniture d'eau ne pouvait fonder la résiliation du contrat de concession d'eau dès lors que ce contrat prévoyait formellement les conséquences d'une absence de fourniture d'eau en stipulant qu'en pareille hypothèse, la concession se poursuivrait, sauf à ce que la redevance soit calculée sur d'autres bases ; qu'en retenant l'absence de fourniture d'eau comme manquement aux obligations contractuelles de la SCI DES CAMOINS, les juges du fond ont violé l'article 1184 ancien du Code civil, devenu l'article 1227 du même code ;
ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, et de toute façon, pour résilier la convention de concession d'eau à la date du 1er novembre 2001, les juges du fond ont opposé que la SCI DES CAMOINS avait cédé la propriété de la parcelle cadastrée section B, n° [Cadastre 1], sur laquelle était située la source dont une branche desservait les parcelles données à bail à la Société PROVENCALE D'INVESTISSEMENTS ; que ce motif était impropre à justifier la résiliation aux torts de la SCI DES CAMOINS, laquelle supposait que celle-ci ait manqué à ses obligations contractuelles, dès lors que la SCI DES CAMOINS pouvait être en mesure de fournir de l'eau quand bien même elle aurait perdu la propriété de la parcelle sur laquelle était située la source ; que fondé sur un motif inopérant, l'arrêt doit être censuré pour violation de l'article 1184 ancien du Code civil, devenu les articles 1227 et 1228 du même code ;
ALORS QUE, TROISIEMEMENT, et en toute hypothèse, seul un manquement suffisamment grave peut justifier une résiliation judiciaire ; qu'en l'espèce, il est constaté par l'arrêt qu'à partir de 1993, la Société PROVENCALE D'INVESTISSEMENTS, suite au retrait de son forfait « boues et eaux thermales », a transformé la clinique en clinique de rééducation fonctionnelle, qu'elle a cessé d'utiliser l'eau de la source, s'est abstenue par la suite d'en solliciter la fourniture, qu'elle a cédé le fonds de commerce et qu'elle ne disposait, au reste, pas des autorisations administratives pour utiliser l'eau ; qu'en se fondant sur l'absence de fourniture d'eau pour prononcer la résiliation du contrat quand il résultait de leurs constatations qu'eu égard aux circonstances de la cause, l'absence de fourniture d'eau ne pouvait être qualifié de manquement de nature à justifier une résiliation judiciaire, les juges du fond ont de violé l'article 1184 ancien du Code civil, devenu les articles 1227 et 1228 du même code.
ET ALORS QUE, QUATRIEMEMENT, un manquement ne peut être invoqué à l'effet de justifier la résiliation judiciaire qu'en l'absence de renonciation du créancier à l'obligation en cause ; qu'en l'espèce, il est constaté par l'arrêt qu'à partir de 1993, la Société PROVENCALE D'INVESTISSEMENTS, suite au retrait de son forfait « boues et eaux thermales », a transformé la clinique en clinique de rééducation fonctionnelle, qu'elle a cessé d'utiliser l'eau de la source, s'est abstenue par la suite d'en solliciter la fourniture, avant de céder le fonds de commerce et qu'elle ne disposait au reste pas des autorisations administratives pour utiliser l'eau ; qu'en se fondant sur l'absence de fourniture d'eau pour prononcer la résiliation du contrat, quand il résultait de leurs constatations que la Société PROVENCALE D'INVESTISSEMENTS avait renoncé à la fourniture d'eau, les juges du fond ont violé l'article 1184 ancien du Code civil, devenu les articles 1227 et 1228 du même code.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par la SCI DES CAMOINS, encourt la censure ;
EN CE QU'il a déclaré irrecevables puis rejeté comme malfondées les demandes de la SCI DES CAMOINS tendant au paiement des redevances prévues dans le cadre du contrat de concession et du protocole d'accord, ensemble déclaré caduc le protocole d'accord du 6 novembre 1978 ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, sauf si l'action est attitrée, la recevabilité d'une action suppose simplement un intérêt à agir ; qu'en subordonnant la recevabilité de la demande, visant le paiement d'une redevance, à l'existence d'un droit de propriété sur la parcelle supportant la source de l'eau dont la fourniture était prévue, les juges du fond ont violé l'article 31 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action ; qu'en subordonnant la recevabilité de la demande, visant le paiement d'une redevance, à l'existence d'un droit de propriété sur la parcelle supportant la source de l'eau dont la fourniture était prévue, les juges du fond, qui ont fait dépendre la recevabilité des demandes de questions de fond, ont violé l'article 31 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, TROISIEMEMENT, dès lors que les juges du fond ont constaté que les redevances étaient contractuellement dues y compris en l'absence d'utilisation de l'eau thermale par le preneur et qu'au cas d'espèce, le preneur n'utilisait plus l'eau depuis 1993 et n'avait jamais manifesté sa volonté de l'utiliser, par hypothèse, la demande, qui ne supposait pas la propriété de la parcelle, ne pouvait être déclarée irrecevable au motif que la propriété de la parcelle avait été cédée ; que sous cet angle également, l'article 31 du Code de procédure civile a été violé ;
ALORS QUE, QUATRIEMEMENT, ayant déclaré la demande irrecevable, les juges du fond ne pouvaient, sans commettre un excès de pouvoir, la déclarer mal-fondée ; que dès lors, l'arrêt a été rendu en violation de l'article 122 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, CINQUIEMEMENT, et en toute hypothèse, l'arrêt ne pouvait opposer, sur le fond, l'absence de propriété de la parcelle, dès lors qu'il constatait que les redevances étaient contractuellement dues y compris en l'absence d'utilisation de l'eau thermale par le preneur et qu'au cas d'espèce, le preneur n'utilisait plus l'eau depuis 1993 et n'avait jamais manifesté sa volonté de l'utiliser ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article 1134 ancien du Code civil ;
ALORS QUE, SIXIEMEMENT, dès lors que les juges du fond se sont fondés sur la résiliation du contrat de concession à la date du 1er novembre 2001 pour écarter la demande de paiement des redevances, la cassation à intervenir du chef de l'arrêt relatif à la résiliation du contrat de concession d'eau ne peut manquer d'entrainer par voie de conséquence l'anéantissement des chefs de l'arrêt relatifs aux redevances ;
ET ALORS QUE, SEPTIEMEMENT, et toujours sur le fond, les juges du fond se sont fondés sur la caducité du protocole du 6 novembre 1978, laquelle a été déduite de la résiliation du contrat de concession d'eau ; que de ce point de vue encore, la cassation à intervenir du chef de l'arrêt relatif à la résiliation du contrat de concession d'eau ne peut manquer d'entrainer par voie de conséquence l'anéantissement des chefs de l'arrêt relatifs aux redevances.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué, critiqué par la SCI DES CAMOINS, encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté la demande de la SCI DES CAMOINS tendant à l'octroi de dommages et intérêts à raison d'un empiètement imputable à la Société PROVENCALE D'INVESTISSEMENTS ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, le dommage né d'un empiètement est continu ; que si même l'action visant à la réparation des dommages causés par un empiètement peut être regardée comme personnelle, elle doit être recevable, au moins dans la limite des cinq années qui précèdent la demande, dès lors que l'empiètement se poursuit et que l'action réelle n'est pas prescrite ; que tel était le cas en l'espèce ; qu'en déclarant la demande dans sa totalité irrecevable, par l'effet de la prescription, les juges du fond ont violé l'article 2224 du Code civil ;
ET ALORS QUE, DEUXIEMEMENT, et en toute hypothèse, qu'en s'abstenant de prendre en considération, au titre de l'interruption et de la suspension de la prescription, l'action en référé visant, avant tout procès, à voir constater l'empiètement, l'ordonnance du 27 juin 2008 par laquelle le juge des référés du Tribunal de grande instance de MARSEILLE a nommé un expert et la circonstance que, celui-ci n'ayant pas remis son rapport, la SCI DES CAMOINS a formé une nouvelle demande d'expertise, qu'un nouvel expert a été nommé par ordonnance du 30 mars 2018 et qu'il a remis son rapport le 26 novembre 2019, les juges du fond ont violé les articles 2227 et 2239 du Code civil.
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CASS/JURITEXT000047805158.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 juillet 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 783 FS-B
Pourvoi n° Z 21-25.797
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JUILLET 2023
La société Eurofeu services, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 21-25.797 contre l'arrêt rendu le 18 juin 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-2), dans le litige l'opposant à M. [R] [S], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Eurofeu services, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [S], et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Pecqueur, Laplume, MM. Chiron, Leperchey, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 juin 2021), M. [S] a été engagé en qualité de VRP exclusif par la société Parfeu le 10 juin 1986. Le 1er avril 2012, le contrat de travail a été transféré à la société Eurofeu services.
2. Le salarié a été déclaré inapte à son poste de travail après examens médicaux des 2 et 18 avril 2014, et licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 6 juin 2014.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser au salarié des sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de frais irrépétibles de première instance et d'appel, et de dépens d'appel, alors « qu'aux termes de l'article L. 1226-4 du code du travail, en cas de licenciement pour inaptitude d'origine non professionnelle, le préavis n'est pas exécuté et l'inexécution du préavis ne donne pas lieu au versement d'une indemnité compensatrice, par dérogation à l'article L. 1234-5 du code du travail ; que la cour d'appel, qui a condamné l'employeur à payer au salarié une indemnité compensatrice de préavis et une indemnité compensatrice de congés payés sur le préavis, au motif que cette indemnité était due en cas de non reprise du paiement du salaire à l'issue du délai d'un mois, tout en jugeant que le licenciement pour inaptitude reposait sur une cause réelle et sérieuse, a violé les articles L. 1226-2 et L. 1226-4 du code du travail, le premier de ces textes dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 6 août 2016 applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1226-2 et L. 1226-4 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
4. Il résulte de ces textes qu'en cas de licenciement pour inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel et impossibilité de reclassement, le préavis n'est pas exécuté, et cette inexécution ne donne pas lieu au versement d'une indemnité compensatrice.
5. Pour condamner l'employeur à payer au salarié des sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, l'arrêt retient que si un salarié ne peut en principe prétendre au paiement d'une indemnité pour un préavis qu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter en raison de son inaptitude physique à son emploi, cette indemnité est due en cas de non reprise du paiement du salaire à l'issue du délai d'un mois.
6. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait par ailleurs que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
7. Tel que suggéré par l'employeur, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
8. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
9. Au regard du paragraphe 4, il y a lieu de débouter le salarié de ses demandes au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents.
10. La cassation des chefs de dispositif relatifs à l'indemnité de préavis et aux congés payés afférents n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Eurofeu à payer à M. [S] les sommes de 15 366 euros à titre d'indemnité de préavis et 1 536,60 euros à titre de congés payés afférents, l'arrêt rendu le 18 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DÉBOUTE M. [S] de ses demandes au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents ;
Condamne M. [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047805172.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 juillet 2023
M. SOMMER, président
Arrêt n° 784 FS-B
Pourvoi n° K 21-24.703
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JUILLET 2023
La société Sofibor, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 21-24.703 contre l'arrêt rendu le 28 octobre 2021 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale-section B), dans le litige l'opposant à M. [P] [H], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pecqueur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Sofibor, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [H], et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Pecqueur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Laplume, MM. Chiron, Leperchey, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 28 octobre 2021), M. [H] a été engagé en qualité d'employé libre service par la société Sofibor le 31 août 2009.
2. Le salarié, déclaré inapte à son poste le 15 septembre 2017, a été licencié le 17 octobre 2017 et a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi principal et le moyen du pourvoi incident
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à verser au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que selon l'article L. 1226-10 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable aux licenciements intervenus à compter du 24 septembre 2017, l'employeur n'est tenu de rechercher des possibilités de reclassement en dehors de l'entreprise qu'à la condition que cette dernière appartienne à un groupe au sens du I de l'article L. 2331-1 du même code, c'est-à-dire à un groupe constitué d'une entreprise dominante et des entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce ; qu'en conséquence, pour retenir que le périmètre de reclassement s'étend au-delà de l'entreprise, le juge doit caractériser l'existence de liens capitalistiques ou de domination entre la société employeur et une ou plusieurs autres entreprises, dans les conditions précitées ; qu'en l'espèce, le salarié se bornait à soutenir que la société Sofibor, qui exploite un magasin à l'enseigne E. Leclerc, appartient au "groupe Leclerc", sans identifier l'entreprise dominante de ce groupe et les autres entreprises qui appartiendraient à ce groupe, ni fournir la moindre explication sur la nature des relations entre ces sociétés ; que la société Sofibor contestait appartenir à un groupe au sens du I de l'article L. 2331-1 du code du travail, en expliquant qu'il n'existe aucun lien capitalistique, ni de domination entre les membres du groupement E. Leclerc, ainsi que la Cour de cassation l'a reconnu dans un arrêt du 16 novembre 2016 ; qu'en se bornant en l'espèce à affirmer, pour retenir que la société Sofibor avait manqué à son obligation de reclassement, qu'elle "'se contente d'affirmer qu'elle exploite un magasin sous l'enseigne Leclerc ; qu'elle est indépendante tant juridiquement que capitalistiquement et n'est soumise à aucun rapport de domination sans apporter la moindre pièce à l'appui de cette affirmation, ce dont il résulte qu'il n'est pas suffisamment établi que le périmètre de reclassement n'excédait pas l'établissement de Bordeaux", la cour d'appel, qui a étendu le périmètre de reclassement au-delà de l'entreprise sans caractériser l'existence de liens capitalistiques ou de domination économique entre la société Sofibor et d'autres entreprises, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1226-10, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 22 septembre 2017, et de l'article L. 2331-1 du code du travail ;
2°/ que la charge de la preuve du périmètre de reclassement est partagée, le juge devant se prononcer au vu des éléments produits par les deux parties ; que le juge, qui ne peut exiger d'une partie une preuve impossible, ne peut exiger de l'employeur qu'il établisse que l'entreprise n'appartient pas à un groupe, sans que le salarié ait au moins identifié la ou les entreprises avec lesquelles il constituerait un groupe et produit un seul élément de preuve au soutien de ses allégations ; qu'en l'espèce, le salarié se bornait à soutenir que la société Sofibor appartient au groupe Leclerc, sans identifier l'entreprise dominante de ce groupe, ni la ou les entreprises avec lesquelles la société Sofibor est unie par des liens capitalistiques ou de domination économique ; qu'en reprochant néanmoins à la société Sofibor de ne pas justifier son indépendance tant juridique que capitalistique, sans avoir même identifié la ou les entreprises à l'égard desquelles elle aurait dû démontrer son indépendance capitalistique et juridique, la cour d'appel qui a ainsi fait peser sur la société Sofibor une preuve impossible a violé les articles 1353 du code civil et L. 1226-10 du code du travail. »
Réponse de la Cour
5. L'obligation qui pèse sur l'employeur de rechercher un reclassement au salarié déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment naît à la date de la déclaration d'inaptitude par le médecin du travail.
6. Le salarié ayant été déclaré inapte le 15 septembre 2017 et licencié le 17 octobre 2017, l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 n'était pas applicable.
7. Le moyen qui se réfère à un texte qui n'était pas applicable au litige est inopérant.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Sofibor aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sofibor et la condamne à payer à M. [H] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
Sur le point de départ de l'obligation qui pèse sur l'employeur de rechercher un reclassement au salarié déclaré inapte, à rapprocher : Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 20-20.717, Bull., (rejet) et l'arrêt cité.
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CASS/JURITEXT000047805181.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 juillet 2023
M. SOMMER, président
Arrêt n° 785 FS-B
Pourvoi n° W 22-10.158
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JUILLET 2023
La société CCA Holding, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° W 22-10.158 contre l'arrêt rendu le 19 novembre 2021 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [V] [J], domicilié [Adresse 1],
2°/ à Pôle Emploi, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Pecqueur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société CCA Holding, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. [J], et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Pecqueur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Laplume, MM. Chiron, Leperchey, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 19 novembre 2021), M. [J] a été engagé en qualité de mécanicien le 25 septembre 2001 par la société Corre automobiles de Bourges. Son contrat de travail a été transféré à la société CCA Holding en juin 2014.
2. Placé en arrêt de travail pour maladie le 23 octobre 2018, il a été déclaré inapte à toute activité dans l'entreprise suivant avis du médecin du travail du 30 septembre 2019.
3. Licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 27 novembre 2019, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer au salarié des sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, au titre des congés payés afférents et à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'à rembourser les indemnités de chômage à Pôle emploi, dans la limite de six mois, alors « que selon l'article L. 1226-2, alinéa 2, du code du travail, pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce ; qu'en retenant que la société Mille Lieux fait partie du groupe Vincent et qu'elle est placée "sous le contrôle notable de cette dernière" - et en déduisant qu'elle aurait dû être visée dans une liste des sociétés du groupe communiquée au CSE - sans néanmoins constater qu'étaient réunies les conditions posées par les articles L 233-1, L 233-3, I et II, et L 233-16 du code de commerce, auxquels renvoie l'article L. 1226-2, alinéa 2, du code du travail, à savoir : - soit la possession par la société mère de plus de la moitié du capital social de la fille (article L. 233-1) ; - soit la détention par la société mère de la majorité des droits de votes de la fille, ou à la détermination en fait, par les droits de vote dont elle dispose, des décisions des assemblées générales de cette société (article L. 233-3, I et II) ; - soit la désignation par la société mère pendant deux exercices successifs de la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance, ou à la détention de 40 % des droits de vote lorsqu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient une fraction supérieure (article L. 233-3-16), ce qui ne ressort aucunement des constatations de l'arrêt, la cour d'appel a, en toute hypothèse, privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-1, L. 1226-2, L. 1226-2-1 et L. 1226-4 du code du travail et des articles L 233-1, L 233-3, I et II, et L 233-16 du code de commerce pris en leur version applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1226-2, alinéa 2, du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, L. 233-1, L. 233-3, I et II, L. 233-16, L. 233-17-2 et L. 233-18 du code de commerce :
5. Selon le premier de ces textes, la notion de groupe au sens du premier alinéa désigne une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle, dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.
6. Selon le quatrième de ces textes, les sociétés commerciales établissent et publient chaque année des comptes consolidés dès lors qu'elles contrôlent de manière exclusive ou conjointe une ou plusieurs autres entreprises.
7. Il résulte de la combinaison des articles L. 233-17-2 et L. 233-18 du code de commerce que sont comprises dans les comptes consolidés, par mise en équivalence, les entreprises sur lesquelles l'entreprise dominante exerce une influence notable, laquelle n'est pas constitutive d'un contrôle au sens des articles L. 233-1, L. 233-3, I et II, ou L. 233-16 du code de commerce.
8. Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt constate que la société Mille Lieux fait partie du groupe Vincent au titre des sociétés consolidées par mise en équivalence selon l'extrait du rapport des commissaires aux comptes de la société Vincent sur les comptes consolidés pour l'exercice comptable 2019 et que l'extrait du rapport des commissaires aux comptes de la société Vincent la liste parmi les filiales du groupe Vincent SA avec une participation de 48,66 %.
9. L'arrêt en déduit que la société Mille Lieux est sous le contrôle notable de la société Vincent et qu'elle appartient au groupe Vincent en application de la définition du groupe de l'article L. 1226-2, alinéa 2, du code du travail.
10. En se déterminant ainsi, sans constater que les conditions du contrôle au sens des articles L. 233-1, L. 233-3, I et II, ou L. 233-16 du code de commerce étaient réunies, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
11. L'employeur fait à l'arrêt le même grief, alors « que selon l'article L. 1226-2, alinéa 1, du code du travail, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ; qu'aussi, outre la nécessité de caractériser l'existence d'un groupe au sens du droit commercial, l'intégration des entités de ce groupe dans l'obligation de reclassement implique également qu'elles disposent d'une organisation, d'activités ou d'un lieu d'exploitation qui permettent la permutation de tout ou partie de leur personnel ; qu'en l'espèce pour juger au cas présent que la société Mille Lieux faisait partie du périmètre de reclassement de Monsieur [J] - de sorte que la société CCA Holding aurait insuffisamment informé le CSE sur ce point - la cour d'appel s'est bornée à énoncer que "la société Mille Lieux en fait partie au titre des sociétés consolidées par mise en équivalence selon l'extrait du rapport des commissaires aux comptes de la société Mille Lieux sur les comptes consolidés pour cet exercice comptable, produit par l'employeur lui-même, ce document la listant également parmi les filiales du groupe Mille Lieux avec une participation de 48,66 %. Ces éléments ressortent aussi de l'annexe aux comptes annuels communiquée par le salarié" et que "les comptes de la société Mille Lieux sont consolidés par mise en équivalence, il doit en être déduit au visa des textes précités, que cette société, qualifiée de filiale de l'aveu même du commissaire aux comptes de la société Mille Lieux, est sous le contrôle notable de cette dernière et appartient au groupe qu'elle constitue avec les autres filiales" ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser l'appartenance de la société Mille Lieux au périmètre de reclassement de la société CCA Holding en l'absence de constatation d'une permutation de tout ou partie du personnel des sociétés CCA Holding et société Mille Lieux, ce que contestait l'exposante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-1, L. 1226-2, L. 1226-2-1 et L. 1226-4 du code du travail pris en leur version applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1226-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 :
12. Selon ce texte, lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.
Cette proposition prend en compte, après avis du comité social et économique lorsqu'il existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise.
13. Il résulte de ce texte que le périmètre du groupe à prendre en considération au titre de la recherche de reclassement est l'ensemble des entreprises, situées sur le territoire national, appartenant à un groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
14. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt, après avoir constaté que l'employeur était une filiale du groupe Vincent, retient d'abord que la société Mille Lieux fait partie du périmètre consolidé du groupe Vincent tel qu'il ressort de l'annexe aux comptes annuels de l'exercice clos du 31 décembre 2019 et que les comptes de la société Mille Lieux étant consolidés par mise en équivalence, cette société est sous le contrôle notable de la société Vincent et appartient au groupe qu'elle constitue avec les autres filiales.
15. Il retient ensuite que l'employeur a communiqué au comité social et économique une liste non exhaustive des sociétés du groupe dont il relève en omettant la mention de la société Mille Lieux.
16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation de la société Mille Lieux et de l'employeur assuraient la permutation de tout ou partie du personnel, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne M. [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
N1 >Sur la caractérisation d'un groupe de sociétés en tant que périmètre de l'exécution de l'obligation de reclassement d'un salarié déclaré inapte, évolution par rapport à : Soc., 24 juin 2009, pourvoi n° 07-45.656, Bull. 2009, V, n° 163 (rejet), et les arrêts cités. N2 >Sur la notion de permutabilité du personnel à l'intérieur du groupe pour satisfaire à l'obligation de reclassement d'un salarié déclaré inapte, à rapprocher : Soc., 30 septembre 2020, pourvoi n° 19-13.122, Bull., (rejet).
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CASS/JURITEXT000047805155.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 juillet 2023
M. SOMMER, président
Arrêt n° 781 FS-B
Pourvois n°
Y 21-19.816
à H 21-19.824 JONCTION
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de MM. [N] [R], [K], [S], [T],
[F], [E], [U] et [L].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 20 mai 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JUILLET 2023
1°/ M. [H] [N] [R], domicilié [Adresse 6],
2°/ M. [I] [K], domicilié [Adresse 5],
3°/ M. [Z] [S], domicilié [Adresse 3],
4°/ M. [A] [T], domicilié [Adresse 10],
5°/ Mme [J] [G], veuve [W], domiciliée [Adresse 8], prise en sa qualité d'ayant droit d'[Z] [W],
6°/ M. [P] [F], domicilié [Adresse 9],
7°/ M. [V] [E], domicilié [Adresse 1],
8°/ M. [V] [U], domicilié [Adresse 7],
9°/ M. [O] [L], domicilié [Adresse 4],
ont respectivement formé les pourvois n° Y 21-19.816 à H 21-19.824 contre neuf arrêts rendus le 29 mai 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans les litiges les opposant à l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leurs pourvois, trois moyens communs de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [N] [R] et des huit autres demandeurs aux pourvois, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs, et l'avis de Mme Wurtz, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, MM. Chiron, Leperchey, conseillers référendaires, Mme Wurtz, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° Y 21-19.816 à H 21-19.824 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Douai, 29 mai 2020), M. [N] [R] et huit autres demandeurs aux pourvois ont été employés en qualité d'ouvriers mineurs de fond par les Houillères du Bassin du Nord Pas de Calais, devenues établissement public à caractère industriel et commercial Charbonnages de France (l'EPIC). Cet établissement a été placé en liquidation le 1er janvier 2008. A la suite de la clôture de la liquidation, les droits et obligations de l'EPIC ont été transférés à l'Etat à compter du 1er janvier 2018.
3. Les salariés ont saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la condamnation de l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (l'ANGDM) au paiement de diverses sommes au titre de prestations de logement et de prestations de chauffage ainsi que des dommages-intérêts pour une perte de chance résultant d'une discrimination fondée sur la nationalité et l'âge. En appel, ils ont également sollicité sa condamnation au paiement de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice d'anxiété en raison du manquement à l'obligation de sécurité.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Les demandeurs aux pourvois font grief aux arrêts de confirmer les jugements en ce qu'ils ont déclaré l'action prescrite et les ont déboutés de toutes leurs demandes, et de les débouter de leur demande indemnitaire nouvelle au titre du préjudice moral, alors « que le juge qui déclare irrecevable la demande dont il est saisi, excède ses pouvoirs en statuant au fond sur cette demande ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a confirmé en toutes ses dispositions les jugements, qui avaient déclaré prescrite l'action des exposants et les avaient déboutés de leurs demandes ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé l'article 122 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Les premiers juges, comme ceux d'appel, ayant, dans les motifs de leurs décisions, jugé irrecevable comme prescrite la demande d'indemnisation d'une perte de chance subie du fait de discrimination sans l'examiner au fond, le moyen, qui relève une simple impropriété des termes du dispositif du jugement confirmé sans caractériser un excès de pouvoir, est inopérant.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. Les demandeurs aux pourvois font le même grief aux arrêts, alors :
« 1°/ que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit à compter de la révélation de la discrimination ; que la révélation n'est pas la simple connaissance des faits mais correspond au moment où le salarié dispose de l'ensemble des éléments de comparaison lui permettant d'apprécier la réalité et l'étendue de la discrimination ; qu'en l'espèce, les exposants soutenaient qu'ils ne disposaient pas, au mois de mars 2008, des éléments permettant de déterminer l'étendue de leur préjudice, à défaut de proposition de rachat de leurs avantages viagers de l'ANGDM, et qu'ils ne disposaient toujours pas d'éléments de comparaison avec la situation de mineurs français ou ressortissants européens ayant bénéficié d'une telle proposition ; qu'en retenant que l'absence de documents permettant une comparaison était un ''argument inopérant'', quand la révélation supposait précisément que les salariés fussent en possession de ces documents, la cour d'appel a violé l'article L. 1134-5 du code du travail ;
2°/ en tout cas que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit à compter de la révélation de la discrimination ; que la révélation n'est pas la simple connaissance des faits mais correspond au moment où le salarié dispose de l'ensemble des éléments de comparaison lui permettant d'apprécier la réalité et l'étendue de la discrimination ; que pour fixer le point de départ de la prescription au 3 mars 2008 et, partant, déclarer les actions prescrites, la cour d'appel s'est bornée à relever que les salariés étaient adhérents de l'association des mineurs marocains du nord et qu'à ce titre, ils bénéficiaient d'une information sur les différentes procédures engagées à l'encontre de l'ANGDM et avaient connaissance de la délibération de la Halde du 3 mars 2008 ; qu'en statuant par ces seuls motifs, impropres à caractériser que la discrimination fut révélée aux salariés à compter de cette date, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1134-5 du code du travail. »
Réponse de la Cour
7. Les arrêts font ressortir que les intéressés ne justifiaient pas avoir adressé auprès de l'ANGDM une demande de rachat sous forme de capital des indemnités de logement et de chauffage, ni que celle-ci leur ait opposé une décision de refus, ce dont il résultait qu'ils ne présentaient pas d'éléments de fait laissant supposer de mesure discriminatoire prise à leur encontre.
8. Le moyen est donc inopérant.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
9. Les demandeurs aux pourvois font grief aux arrêts de les débouter de leur demande indemnitaire nouvelle au titre d'un préjudice moral, alors « que l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs est un établissement public de l'Etat à caractère administratif qui, aux termes de l'article 1er de la loi n° 2004-105 qui l'a créée, a pour mission de garantir, au nom de l'Etat, en cas de cessation définitive d'activité d'une entreprise minière ou ardoisière, l'application des droits sociaux des anciens agents de cette entreprise et de leurs ayants droit tels qu'ils résultent des lois, règlements, conventions et accords en vigueur au jour de la cessation définitive d'activité de l'entreprise, et qui, en application de l'article 2 de cette même loi, assume les obligations de l'employeur envers ceux-ci ; qu'aux termes de l'article 2, 11° du décret n° 2004-1466 du 23 décembre 2004, l'Agence se substitue aux entreprises dans les contentieux relatifs aux droits et prestations relevant de sa compétence ainsi que dans ceux liés à la cessation d'activité des entreprises et relevant de sa compétence, notamment les contentieux relatifs au droit du travail ; qu'il résulte de ces textes que les demandes formées par les exposants, en indemnisation d'un préjudice d'anxiété subi du fait de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité, relevaient bien de la compétence de l'ANGDM ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
10. Aux termes de l'article 1er de la loi n° 2004-105 du 3 février 2004 portant création de l'ANGDM, « Il est créé un établissement public de l'Etat à caractère administratif dénommé "Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs" qui a pour mission de garantir, au nom de l'Etat, en cas de cessation définitive d'activité d'une entreprise minière ou ardoisière, quelle que soit sa forme juridique, d'une part, l'application des droits sociaux des anciens agents de cette entreprise, des anciens agents de ses filiales relevant du régime spécial de la sécurité sociale dans les mines et de leurs ayants droit tels qu'ils résultent des lois, règlements, conventions et accords en vigueur au jour de la cessation définitive d'activité de l'entreprise et, d'autre part, l'évolution de ces droits.
L'agence peut, par voie conventionnelle, gérer les mêmes droits pour le compte d'entreprises minières et ardoisières en activité. »
11. Selon l'article 2 de cette loi, l'ANGDM assume les obligations de l'employeur, en lieu et place des entreprises minières et ardoisières ayant définitivement cessé leur activité, envers leurs anciens agents et ceux de leurs filiales relevant du régime spécial de la sécurité sociale dans les mines en congé charbonnier de fin de carrière, en dispense ou en suspension d'activité, en garantie de ressources ou mis à disposition d'autres entreprises.
Elle remplit, en outre, les autres obligations sociales des entreprises minières et ardoisières ayant cessé définitivement leur activité à l'exception de celles manifestement liées à une situation d'activité de ces entreprises.
12. L'article 2 du décret n° 2004-1466 du 23 décembre 2004 relatif à l'ANGDM détaille les droits et prestations garantis par cette agence et précise, en son 11°, qu'elle se substitue aux entreprises dans les contentieux relatifs aux droits et prestations relevant de sa compétence ainsi que dans ceux liés à la cessation d'activité des entreprises.
13. Dans sa rédaction issue du décret n° 2007-1806 du 21 décembre 2007, portant dissolution et mise en liquidation de Charbonnages de France, le paragraphe 11 prévoit que l'ANGDM se substitue aux entreprises dans les contentieux relatifs aux droits et prestations relevant de sa compétence ainsi que dans ceux liés à la cessation d'activité des entreprises et relevant de sa compétence, notamment les contentieux relatifs au droit du travail.
14. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la mission confiée par la loi à l'ANGDM se limite à garantir l'application des droits sociaux résultant du statut des mineurs.
15. Les arrêts retiennent qu'il résulte des dispositions légales et réglementaires que l'ANGDM est substituée aux entreprises dans les contentieux relatifs aux droits et prestations relevant de sa compétence, ce qui ne concerne pas l'indemnisation au titre d'un préjudice d'anxiété lié à l'exercice de l'activité professionnelle ainsi que dans les contentieux liés à la cessation d'activité des entreprises s'ils relèvent de sa compétence, notamment les contentieux du droit du travail. Ils ajoutent qu'il se déduit de l'adverbe « notamment » que la prise en charge des contentieux relatifs au droit du travail se limite aux contentieux relevant de l'agence, ce qui n'est pas le cas de l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété lié à l'exercice de l'activité professionnelle.
16. Relevant que les salariés invoquaient un préjudice moral en lien causal direct avec un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, la cour d'appel en a exactement déduit qu'au regard de son statut et de ses missions spécifiques, l'ANGDM, qui ne peut être considérée comme l'employeur, seul tenu des obligations contractuelles, n'était pas débitrice de l'obligation de sécurité dont se prévalaient les anciens mineurs.
17. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne MM. [N] [R], [K], [S], [T], [F], [E], [U], [L] et Mme [G], veuve [W], en sa qualité d'ayant droit d'[Z] [W] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047805271.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
QUESTION PRIORITAIRE
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________
Audience publique du 5 juillet 2023
NON-LIEU A RENVOI
M. SOMMER, président
Arrêt n° 922 FS-B
Pourvoi n° R 22-24.712
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JUILLET 2023
Par mémoire spécial présenté le 24 avril 2023, Mme [F] [O], domiciliée [Adresse 1], a formulé des questions prioritaires de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi n° R 22-24.712 qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 8 juillet 2022 par la cour d'appel de Douai (chambre sociale), dans une instance l'opposant à l'Etablissement français du sang, dont le siège est [Adresse 2], et ayant un établissement Hauts-de-France Normandie, [Adresse 3].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [O], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de l'Etablissement français du sang Hauts-de-France Normandie, et l'avis de M. Juan, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 juillet 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, M. Leperchey, conseillers référendaires, M. Juan, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Mme [O] a été engagée en qualité de technicienne de laboratoire le 26 février 2020 par l'Etablissement français du sang (EFS).
2. Le 26 août 2021, l'employeur lui a notifié la suspension de son contrat de travail en application des dispositions de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021.
3. Elle a saisi la juridiction prud'homale statuant en référé d'une demande de réintégration dans ses fonctions.
Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité
4. A l'occasion du pourvoi qu'elle a formé contre l'arrêt rendu le 8 juillet 2022 par la cour d'appel de Douai rejetant sa demande, la salariée a présenté, par mémoire distinct et motivé, trois questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :
« 1°/ Les articles 12 et 14, II, de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, prévoyant la suspension du contrat de travail pour certains salariés refusant de se soumettre à l'obligation vaccinale contre la Covid 19, portent-ils atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, notamment au principe de protection de la santé garanti par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 dès lors qu'ils imposent une vaccination avec des produits qui ne sont qu'en phase d'expérimentation et dont l'absence de dangerosité n'est pas établie et au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'ils ne prévoient une obligation de vaccination que pour certaines personnes alors que les vaccins ne permettent pas de stopper la transmission du virus de la Covid 19 ?
2°/ L'article 14, II, de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 porte-t-il atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, notamment au principe à valeur constitutionnelle du droit au travail et de l'interdiction de léser un travailleur dans son emploi en raison de ses opinions garanti par le cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 dès lors qu'il impose la suspension du contrat de travail tant que le salarié ne sera pas vacciné ainsi qu'au principe selon lequel tout être humain dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence garanti par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 dès lors qu'il ne prévoit pas de régime d'indemnisation des salariés dont le contrat est suspendu par l'employeur ?
3°/ L'article 14, II, de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 porte-t-il atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, notamment au principe des droits de la défense garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dès lors que la suspension du contrat de travail n'étant précédée d'aucune procédure, elle ne permet pas à l'intéressé de bénéficier de tels droits ? »
Examen des questions prioritaires de constitutionnalité
5. Les dispositions contestées sont applicables au litige, qui concerne la suspension contestée d'une salariée soumise à l'obligation prévue à l'article 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, prononcée en application de l'article 14, II, de la même loi.
6. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
7. Cependant, d'une part, les questions posées, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles.
8. D'autre part, les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux.
9. En effet, en premier lieu, le législateur, en adoptant les dispositions contestées, a entendu, au regard de la dynamique de l'épidémie, du rythme prévisible de la campagne de vaccination, du niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains professionnels de santé et de l'apparition de nouveaux variants du virus plus contagieux, en l'état des connaissances scientifiques et techniques, permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 par le recours à la vaccination, et garantir le bon fonctionnement des services hospitaliers publics grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et protéger, par l'effet de la moindre transmission du virus par les personnes vaccinées, la santé des malades qui y étaient hospitalisés poursuivant ainsi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
10. Par ailleurs, l'obligation vaccinale ne s'impose pas, en vertu de l'article 13 de la même loi du 5 août 2021, aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Enfin, l'article 14 contesté donne compétence, en son IV, au pouvoir réglementaire, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques et après avis de la Haute autorité de santé, pour suspendre cette obligation pour tout ou partie des catégories de personnes qu'elle concerne.
11. Ainsi, les dispositions contestées, qui sont justifiées par une exigence de santé publique et ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif qu'elles poursuivent, ne portent pas atteinte au principe constitutionnel de protection de la santé.
12. En deuxième lieu, les dispositions contestées ne portent pas atteinte au principe d'égalité dès lors, d'une part, qu'elles s'appliquent de manière identique à l'ensemble des personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé du code de la santé publique, à l'exception de celles y effectuant une tâche ponctuelle, qu'elles fassent ou non partie du personnel soignant, et d'autre part, que la circonstance que les dispositions contestées font peser sur les personnes exerçant une activité au sein de ces établissements, une obligation vaccinale qui n'est pas imposée à d'autres personnes, constitue, compte tenu des missions des établissements de santé et de la vulnérabilité des patients qui y sont admis, une différence de traitement en rapport avec cette différence de situation, qui n'est pas manifestement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
13. En troisième lieu, les dispositions contestées ne portent pas atteinte au droit à l'emploi, ni à l'interdiction de léser un travailleur dans son emploi en raison de ses opinions, ni au droit de tout être humain dans l'incapacité de travailler d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence, dans la mesure où elles ne prévoient pas la rupture du contrat de travail mais uniquement sa suspension.
Cette suspension prend fin dès que le salarié, qui n'est ainsi pas privé d'emploi, remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité et produit les justificatifs requis, conservant, pendant la durée de celle-ci, le bénéfice des garanties de protection complémentaires auxquelles il a souscrit.
14. En dernier lieu, les dispositions contestées, en ce qu'elles n'instituent pas une sanction ayant le caractère d'une punition dès lors que la suspension du contrat s'impose à l'employeur et ne présente aucun caractère disciplinaire, ne portent pas atteinte aux droits de la défense. En outre, elles prévoient que l'employeur informe le salarié des conséquences de l'absence de vaccination, des moyens de régulariser sa situation, donnent ensuite la possibilité au salarié d'utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de repos conventionnels ou de congés payés.
15. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer les questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047805228.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 juillet 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 802 FS-B
Pourvoi n° D 21-24.122
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JUILLET 2023
1°/ Le comité sociale et économique [Localité 4] Onshore/Offshore de la société Technip France, dont le siège est [Adresse 6], venant aux droits du CHSCT de l'établissement de Paris-la -Défense de la société Technip France,
2°/ La Fédération CFDT communication, conseil, culture, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ Le comité sociale et économique [Localité 4] Onshore/Offshore de la société Technip France, dont le siège est [Adresse 6] venant aux droits du comité d'établissement de [Localité 5] de la société Technip France,
ont formé le pourvoi n° D 21-24.122 contre l'arrêt rendu le 16 septembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ au syndicat de l'Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens-CGT Technip France, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la société Technip France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], devenue la société Technip énergies France,
défendeurs à la cassation.
Le syndicat de l'Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens-CGT Technip France a formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, quatre moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi provoqué invoque, à l'appui de son recours, quatre moyens de casstion.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat du comité social et économique Paris Onshore/Offshore de la société Technip France, de la Fédération CFDT communication conseil culture, du comité social et économique Paris Onshore/Offshore de la société Technip France, de la SARL Cabinet François Pinet, avocat du syndicat de l'Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens-CGT Technip France, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Technip France, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Monge conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Mme Deltort, conseillers, Mmes Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaires, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 16 septembre 2021), la société Technip France, devenue la société Technip énergies France (la société), est spécialisée dans l'ingénierie et la construction de projets pour l'industrie de l'énergie, notamment le pétrole, le gaz et la chimie. Elle dispose de plusieurs établissements dont celui de [Localité 5].
2. Invoquant la survenue de plusieurs événements tragiques depuis 2015, dont de nombreux syndromes d'épuisement professionnel et plusieurs suicides, le comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et le comité d'établissement (CE) de [Localité 5] de la société Technip France, aux droits desquels vient le comité social et économique (CSE) [Localité 4] Onshore/Offshore de la société Technip France (le comité), la Fédération CFDT communication, conseil, culture (la fédération CFDT) et l'Union générale des ingénieurs cadres et techniciens-CGT (UGICT-CGT) Technip France, ont, le 6 juin 2018, saisi un tribunal de grande instance pour faire juger que la société n'avait pas respecté son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels et lui ordonner de mettre en place des mesures d'urgence pour lutter contre les risques psychosociaux.
Examen des moyens
Sur le premier et le deuxième moyens du pourvoi principal et les premier et quatrième moyens du pourvoi provoqué
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le quatrième moyen du pourvoi principal et le troisième moyen du pourvoi provoqué, réunis
Enoncé du moyen
4. Par leur quatrième moyen du pourvoi principal, le comité et la Fédération CFDT font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes tendant à faire juger que la société a manqué à son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels et a entravé le fonctionnement du comité d'établissement, à ordonner à la société d'organiser les entretiens professionnels prévus par l'article L. 6315-1 du code du travail à une date distincte de la tenue des entretiens annuels d'évaluation et de leurs demandes en paiement de dommages-intérêts alors :
« 1°/ que le salarié bénéficie tous les deux ans d'un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d'évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d'emploi ; que cet entretien ne devant pas porter sur l'évaluation du travail du salarié et devant ainsi être distinct de celui relatif à l'évaluation de la prestation de travail du salarié, l'employeur ne peut y convoquer celui-ci à la suite, ou le même jour, de la tenue de son entretien d'évaluation ; qu'en décidant au contraire que "ni les dispositions légales applicables ni la jurisprudence n'imposent la tenue de ces entretiens à des dates différentes, la seule obligation résidant dans le fait de rédiger deux comptes rendus distincts, ce qui est le cas au sein de la société", la cour d'appel a violé l'article L. 6315-1 du code du code du travail, ensemble les articles L. 4121-1, L. 4121-2, L. 4121-3, R. 4121-1 et R. 4121-1-1 du même code ;
2°/ qu'en retenant par ailleurs, qu'"il est justifié que ces deux entretiens sont d'ores et déjà réalisés à une date distincte dans certains cas de figure, à savoir après une absence de longue durée et à la demande du collaborateur" et que, "comme l'explique l'employeur, les salariés qui ne souhaitent pas que leur entretien professionnel se tienne le même jour que leur entretien annuel d'évaluation ont la possibilité de demander une dissociation à deux dates différentes, ce qui est accepté par les managers", la cour d'appel a statué par des motifs inopérants tirés du traitement spécifique de la situation de certains salariés se trouvant dans des circonstances particulières et de la possibilité pour les salariés de solliciter la tenue d'entretiens distincts, privant sa décision de base légale au regard de l'article L. 6315-1 du code du code du travail, ensemble les articles L. 4121-1, L. 4121-2, L. 4121-3, R. 4121-1 et R. 4121-1-1 du même code. »
5. Par son troisième moyen du pourvoi provoqué, l'UGICT-CGT fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ordonner à l'employeur d'organiser les entretiens professionnels prévus à l'article L. 6315-1 du code du travail à une date distincte de la tenue des entretiens annuels d'évaluation, alors que « selon l'article L. 6315-1 du code du travail, le salarié bénéficie tous les deux ans d'un entretien professionnel consacré à ses perspectives d'évolution professionnelle, qui ne porte pas sur l'évaluation de son travail ; qu'il en résulte que le salarié doit bénéficier, d'un entretien distinct et à une date différente, consacré à l'évolution de son travail ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 6315-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 6315-1, I, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, le salarié bénéficie tous les deux ans d'un entretien professionnel avec son employeur consacré à ses perspectives d'évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d'emploi. Cet entretien, qui ne porte pas sur l'évaluation du salarié, donne lieu à la rédaction d'un document dont une copie est remise au salarié.
7. Il en résulte que ce texte ne s'oppose pas à la tenue à la même date de l'entretien d'évaluation et de l'entretien professionnel pourvu que, lors de la tenue de ce dernier, les questions d'évaluation ne soient pas évoquées.
8. C'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que les dispositions légales n'imposent pas la tenue de ces entretiens à des dates différentes.
9. Les moyens ne sont donc pas fondés.
Mais sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche et le deuxième moyen du pourvoi provoqué, réunis
Enoncé du moyen
10. Par leur troisième moyen du pourvoi principal, le comité et la Fédération CFDT font grief à l'arrêt de les débouter des demandes tendant à ce qu'il soit dit que la société a violé son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels, qu'elle a entravé le fonctionnement du comité d'établissement et du CHSCT, qu'il soit ordonné à la société de mettre en place un dispositif de contrôle du temps de travail et de trajets inhabituels des salariés et d'assurer un suivi mensuel du volume horaire comptabilisé et de rejeter la demande en condamnation de la société à verser au comité une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice résultant des multiples entraves portées à son fonctionnement et de rejeter la demande en condamnation de la société à verser à la Fédération CFDT une certaine somme en réparation des préjudices portés à l'intérêt collectif de la profession, alors "que les articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, lus à la lumière de l'article 31, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que les articles 4, § 1, 11, § 3, et 16, § 3, de la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation d'un État membre qui, selon l'interprétation qui en est donnée par la jurisprudence nationale, n'impose pas aux employeurs l'obligation d'établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ; qu'en l'espèce, après avoir rappelé que "les appelants sollicitent ici qu'il soit ordonné à la société Technip France de mettre en place un dispositif de contrôle du temps de travail et de trajet inhabituels des salariés et d'assurer un suivi mensuel du volume horaire comptabilisé dans le mois" et qu'ils "soulignent la carence structurelle du système de déclaration des heures supplémentaires dans l'entreprise", "les salariés [étant] dans l'incapacité de déclarer leurs heures supplémentaires en raison des réglages opérés dans le logiciel de déclaration", alors même "qu'un tel mécanisme est illicite (...) [et] qu'il est avéré que de nombreux salariés réalisent des heures supplémentaires pour faire face à leur charge de travail", la cour d'appel a estimé que, "même si ces difficultés sont regrettables, le seul fait que le logiciel de déclaration soit défaillant, n'empêche pas les salariés de faire une déclaration par tout autre moyen", de sorte qu'"aucun manquement de l'employeur n'est donc caractérisé" ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il appartient à l'employeur, tenu d'assurer le contrôle des heures de travail effectuées, de mettre en oeuvre un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1, L. 4121-2, L. 4121-3 du code du travail, ainsi que les articles R. 4121-1 et R. 4121-1-1 du même code, tels qu'interprétés à la lumière des textes susvisés. »
11. Par son deuxième moyen l'UGICT-CGT fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à ordonner à la société de mettre en place un dispositif de contrôle du temps de travail et de trajets inhabituels des salariés, et d'assurer un suivi mensuel du volume horaire comptabilisé, alors « qu'il appartient à l'employeur, tenu d'assurer le contrôle des heures de travail effectuées, de mettre en place un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ; que pour débouter l'UGICT-CGT de sa demande tendant à voir ordonner à la société Technip France de mettre en place un tel système, la cour d'appel a retenu, d'une part, que la défaillance du système de déclaration des heures supplémentaires n'empêchait pas les salariés de faire une déclaration par tout autre moyen, d'autre part, que la question du temps de travail et des moyens de contrôle fait l'objet de négociations dans l'entreprise, de sorte qu'aucun manquement ne peut être retenu à l'encontre de l'employeur ; qu'en statuant ainsi quand il résulte de ses propres constatations que la société Technip France n'a mis en place aucun système satisfaisant et fiable de contrôle de la durée du travail dans l'entreprise, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1, L. 4121-2, L. 4121-3 et R. 4121-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
12. La société conteste la recevabilité du deuxième moyen du pourvoi provoqué. Elle soutient que l'UGICT-CGT ne se prévalait pas de défaillances de l'employeur dans le dispositif de mesure du temps de travail mis en place par ce dernier. Elle en déduit que le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit, et partant irrecevable.
13. Cependant, l'UGICT-CGT soutenait dans ses conclusions que la société n'apportait pas la preuve de la mise en place d'un dispositif de contrôle du temps de travail et de trajets inhabituels et que si la société soutenait qu'un accord était en voie de négociation, aucune mesure concrète n'avait pour lors été mise en place.
14. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 4121-1 du code du travail :
15. Il résulte de ce texte que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Il ne méconnaît pas cette obligation légale s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
16. Les différentes prescriptions énoncées par la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 en matière de temps minimal de repos constituent des règles de droit social d'une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale nécessaire pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé.
17. La preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l'Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne incombe à l'employeur.
18. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'afin d'assurer l'effet utile des droits prévus par la directive 2003/88/CE et du droit fondamental consacré à l'article 31, § 2, de la Charte, les Etats membres doivent imposer aux employeurs l'obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur (CJUE, arrêt du 14 mai 2019, Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO), C- 55/18, point 60). L'instauration d'un tel système relève de l'obligation générale, pour les Etats membres et les employeurs, prévue à l'article 4, § 1, et à l'article 6, § 1, de la directive 89/391, de mettre en place une organisation et les moyens nécessaires pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs et pour permettre aux représentants des travailleurs, ayant une fonction spécifique en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, d'exercer leur droit, prévu par l'article 11, § 3, de cette dernière directive (CJUE, arrêt du 14 mai 2019, point 62).
19. Pour rejeter la demande, l'arrêt, après avoir relevé que les appelants soulignaient la carence structurelle du système de déclaration des heures supplémentaires dans l'entreprise et expliquaient que les salariés sont dans l'incapacité de déclarer leurs heures supplémentaires en raison des réglages opérés dans le logiciel de déclaration, de sorte qu'un tel mécanisme était illicite, constate que, même si ces difficultés sont regrettables, le seul fait que le logiciel de déclaration soit défaillant n'empêche pas les salariés de faire une déclaration par tout autre moyen. Il conclut qu'aucun manquement de l'employeur n'est donc caractérisé.
20. L'arrêt relève que si les appelants évoquent des difficultés concernant le contrôle du temps de travail et font valoir que le problème reste entier comme l'a constaté l'inspecteur du travail lui-même par courrier du 23 novembre 2020, un mécanisme d'alerte des risques psycho-sociaux est déjà en place et des prestataires interviennent, selon des approches quantitatives pour l'un et plus qualitatives pour l'autre, sur des services pilotes afin d'évaluer les situations et proposer, sur la base des observations faites, des améliorations pour les services en question et plus généralement pour toute la société. L'arrêt ajoute qu'il est justifié que la question du temps de travail et des moyens de contrôle fait l'objet de négociations au sein de l'entreprise.
21. La cour d'appel en a déduit qu'aucun manquement ne peut être retenu à l'encontre de l'employeur à ce sujet.
22. En se déterminant ainsi, alors que ni la faculté ouverte aux salariés de procéder par eux-mêmes aux déclarations d'heures supplémentaires ni l'ouverture de négociations collectives n'étaient de nature à caractériser que l'employeur avait satisfait à son obligation de contrôle de la durée du travail et d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs en matière de durée du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
23. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif visés par le troisième moyen entraîne par voie de conséquence la cassation du chef de dispositif déboutant l'UGICT-CGT de sa demande en paiement de dommages-intérêts en réparation des préjudices causés à l'intérêt collectif de la profession, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute le comité social et économique [Localité 4] onshore/offshore de la société Technip France et la Fédération CFDT communication, conseil, culture de leurs demandes tendant à ce qu'il soit jugé que la société Technip France a violé son obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels et entravé le fonctionnement du comité d'établissement et du CHSCT, à ce qu'il soit ordonné à la société Technip France de mettre en place un dispositif de contrôle du temps de travail et de trajets inhabituels des salariés et d'assurer un suivi mensuel du volume horaire comptabilisé et à ce que la société Technip France soit condamnée au paiement de dommages-intérêts au comité social et économique et à la Fédération CFDT communication, conseil, culture, en réparation des préjudices causés à l'intérêt collectif de la profession, en ce qu'il déboute l'Union générale des ingénieurs cadres et techniciens-CGT Technip France de ses demandes tendant à ordonner à la société Technip France de mettre en place un dispositif de contrôle du temps de travail et de trajets inhabituels des salariés et d'assurer un suivi mensuel du volume horaire comptabilisé, en ce qu'il déboute l'Union générale des ingénieurs cadres et techniciens - CGT Technip France de sa demande en condamnation de la société Technip France au paiement de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte à l'intérêt collectif de la profession et en ce qu'il statue sur les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Technip énergies France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Technip énergies France et la condamne à payer au comité social et économique [Localité 4] Onshore/Offshore de la société Technip France et à la Fédération CFDT communication, conseil, culture la somme de globale de 3 000 euros et à l'Union générale des ingénieurs cadres et techniciens - CGT Technip France celle de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047805230.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 juillet 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 803 FS-B
Pourvoi n° A 21-23.222
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JUILLET 2023
M. [K] [R], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 21-23.222 contre l'arrêt rendu le 4 juin 2021 par la cour d'appel de Bourges (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Parc maintenance, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La société Parc maintenance a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. [R], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de la société Parc maintenance, et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Flores, conseiller rapporteur, Mme Monge conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Mme Deltort, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 4 juin 2021), le 30 mars 1998, M. [R] a été engagé en qualité d'agent de maîtrise par la société Parc maintenance. Par avenant du 1er janvier 2005, le salarié a été promu au poste de gestionnaire d'atelier et a été soumis à un forfait en jours.
2. Le 13 juin 2017, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail et en paiement de diverses sommes.
3. Le salarié a été licencié le 6 novembre 2017.
Examen des moyens
Sur les deuxième moyen et troisième moyen, pris en ses première et troisième branches, du pourvoi principal du salarié et le moyen du pourvoi incident de l'employeur
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à ce qu'il soit jugé que la convention de forfait en jours était privée d'effet, au prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail et à la condamnation de ce dernier au paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaires pour heures supplémentaires, de la contrepartie obligatoire en repos, des congés payés, d'indemnité pour travail dissimulé et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 2°/ que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ; qu'en retenant, dès lors, que la convention de forfait en jours stipulée par le contrat de travail de M. [K] [R] n'était ni entachée de nullité, ni privée d'effet à son égard, sans caractériser que les stipulations de la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981, ou de ses avenants, relatives à la convention de forfait en jours, assuraient la garantie du respect des durées légales maximales de travail, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 11 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946, les stipulations de l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) se référant à la charte sociale européenne et à la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs et les dispositions des articles L. 3121-39 et L. 3121-45 du code du travail, interprétées à la lumière des dispositions de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dans leur rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016, qui sont applicables à la cause ;
3°/ que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ; qu'en énonçant, par conséquent, pour retenir que la convention de forfait en jours stipulée par le contrat de travail de M. [K] [R] n'était ni entachée de nullité, ni privée d'effet à son égard, que les stipulations de l'article 1.09 f de la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981, sur le fondement desquelles la convention de forfait en jours stipulée par le contrat de travail de M. [K] [R] avait été conclue, qui n'étaient pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, avaient fait l'objet d'un avenant en date du 3 juillet 2014 constituant les stipulations de l'article 4.06 de la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981, et qu'il s'évinçait des stipulations de cet avenant que la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981, prévoit un suivi effectif et régulier du salarié bénéficiant d'une convention de forfait en jours permettant d'assurer une durée raisonnable de son amplitude de travail et de préserver sa santé et sa sécurité, quand les stipulations de l'avenant en date du 3 juillet 2014 n'imposent pas l'obligation, pour le supérieur hiérarchique du salarié, de contrôler, à un intervalle régulier de temps déterminé, les documents de suivi du forfait en jours renseignés par le salarié qu'elles prévoient, et, partant, n'instituent pas un véritable suivi effectif et régulier par le supérieur hiérarchique de ce dernier de ces documents, permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable de travail, et, donc, ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, les stipulations de l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs et les dispositions des articles L. 3121-39 et L. 3121-45 du code du travail, interprétées à la lumière des dispositions de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dans leur rédaction antérieure à la loi du 8 août 2016, qui sont applicables à la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :
6. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
7. Il résulte des articles susvisés de la directive de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
8. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
9. Pour débouter le salarié de sa demande tendant à ce qu'il soit jugé que la convention de forfait en jours était privée d'effet, l'arrêt retient que la convention collective du secteur de l'automobile prévoit un suivi effectif et régulier du salarié bénéficiant d'une convention de forfait en jours permettant d'assurer une durée raisonnable de son amplitude de travail et de préserver sa santé et sa sécurité.
10. En statuant ainsi, alors que les dispositions des articles 1.09 f et 4.06 de la convention collective du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981, étendue par arrêté du 30 octobre 1981, dans leur rédaction issue de l'avenant du 3 juillet 2014, qui se bornent à prévoir que la charge quotidienne de travail doit être répartie dans le temps de façon à assurer la compatibilité des responsabilités professionnelles avec la vie personnelle du salarié, que les entreprises sont tenues d'assurer un suivi individuel régulier des salariés concernés et sont invitées à mettre en place des indicateurs appropriés de la charge de travail, que compte tenu de la spécificité du dispositif des conventions de forfait en jours, le respect des dispositions contractuelles et légales sera assuré au moyen d'un système déclaratif, chaque salarié en forfait jours devant renseigner le document de suivi du forfait mis à sa disposition à cet effet, que ce document de suivi du forfait fait apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que le positionnement et la qualification des jours non travaillés et rappelle la nécessité de respecter une amplitude et une charge de travail raisonnables, que le salarié bénéficie, chaque année, d'un entretien avec son supérieur hiérarchique dont l'objectif est notamment de vérifier l'adéquation de la charge de travail au nombre de jours prévu par la convention de forfait et de mettre en oeuvre les actions correctives en cas d'inadéquation avérée, en ce qu'elles ne permettent pas à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, ce dont elle aurait dû déduire que la convention de forfait en jours était nulle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [R] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, l'arrêt rendu le 4 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne la société Parc maintenance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Parc maintenance et la condamne à payer à M. [R] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
Sur le principe selon lequel, pour être valables, les conventions de forfait en jours sur l'année doivent assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, à rapprocher : Soc., 9 novembre 2016, pourvoi n° 15-15.064, Bull. 2016, V, n° 214 (cassation partielle), et les arrêts cités.
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CASS/JURITEXT000047805242.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 juillet 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 804 FS-B
Pourvoi n° D 21-23.294
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JUILLET 2023
La société Centre européen de peinture industrielle (CEPI), anciennement dénommée société Simon, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 2], a formé le pourvoi n° D 21-23.294 contre l'arrêt rendu le 3 juin 2021 par la cour d'appel de Rennes (7e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à M. [J] [V], domicilié [Adresse 3], [Localité 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Centre européen de peinture industrielle, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [V], et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mme Deltort, conseillers, Mmes Ala, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 3 juin 2021), M. [V] a été engagé en qualité de technicien commercial, le 1er septembre 2014, par la société Simon, devenue la société Centre européen de peinture industrielle. Son contrat de travail comportait une convention de forfait de 216 jours de travail par an et était soumis aux dispositions de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006.
2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale, le 22 septembre 2017, afin d'obtenir la condamnation de son employeur à lui verser un rappel de salaires au titre des heures supplémentaires outre des dommages-intérêts pour travail dissimulé.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire nulle la convention individuelle de forfait annuel en jours, de le condamner à régler au salarié diverses sommes à titre de rappel d'heures supplémentaires sur la période 2014/2017 outre les congés payés afférents, ainsi qu'à titre de dommages-intérêts pour perte de ses droits à la contrepartie obligatoire en repos au titre des heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel, alors :
« 1°/ que l'article 4.2.9 de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006 impose que soit précisé, lors de la conclusion d'une clause de forfait en jours, "la répartition initiale des jours compris dans le forfait" et "les modalités de prise des jours de repos, en journées ou demi-journées", ainsi que "la répartition initiale du temps de travail sur les jours ouvrables de la semaine en journées ou demi-journées de travail et les modalités de prise des jours de repos" ; que l'article 4.2.9 susvisé prévoit encore non seulement le respect des repos quotidiens et hebdomadaires imposés par la loi, mais aussi que "L'employeur veille à ce que la pratique habituelle puisse permettre d'augmenter ces temps de repos minimum" et que "La charge de travail et l'amplitude des journées d'activité devront rester dans des limites raisonnables et assurer une bonne répartition dans le temps du travail de l'ETAM concerné, en permettant une réelle conciliation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale" ; qu'il est également organisé "un suivi régulier par la hiérarchie qui veille notamment aux éventuelles surcharges de travail et respect des durées minimales de repos" grâce à "Un document individuel de suivi des journées et demi-journées travaillées, des jours de repos et jours de congés" qui est "tenu par l'employeur ou par le salarié sous la responsabilité de l'employeur" ; que de plus, il est prévu que l'entretien au moins annuel portant "sur la charge de travail de l'ETAM et l'amplitude de ses journées d'activité, qui doivent rester dans des limites raisonnables, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que la rémunération du salarié" ; qu'il en résulte que la convention collective litigieuse ne prévoit pas essentiellement un "entretien au moins annuel" avec le supérieur hiérarchique visant à faire en sorte que "la charge de travail de l'ETAM et l'amplitude de ses journées d'activité" reste "dans des limites raisonnables" et une consultation des institutions représentatives du personnel, mais également un suivi de la charge de travail afin d'assurer que la charge de travail reste raisonnable et d'assurer le respect des durées minimales de repos ; qu'en affirmant le contraire pour en déduire que "Dans la mesure où en réalité ces dispositions conventionnelles sont insuffisantes à garantir que l'amplitude et la charge de travail des ETAM au forfait annuel en jours permettent d'aboutir à une répartition équilibrée de leur temps d'activité et donc à assurer une protection effective tant de leur sécurité que de leur santé, il convient de juger nulle la convention individuelle de forfait annuel en jours", la cour d'appel a violé l'article 4.2.9 de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006 ;
2°/ que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations sont de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition dans le temps du travail du salarié, et assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires ; que l'article 4.2.9 de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006 impose notamment que le contrat de travail ou l'avenant instaurant un forfait en jours doivent préciser "la répartition initiale des jours compris dans le forfait" et "les modalités de prise des jours de repos, en journées ou demi-journées", ainsi que "la répartition initiale du temps de travail sur les jours ouvrables de la semaine en journées ou demi-journées de travail et les modalités de prise des jours de repos" ; que l'article 4.2.9 susvisé prévoit encore non seulement le respect des repos quotidiens et hebdomadaires imposés par la loi, mais aussi que "L'employeur veille à ce que la pratique habituelle puisse permettre d'augmenter ces temps de repos minimum" et que "La charge de travail et l'amplitude des journées d'activité devront rester dans des limites raisonnables et assurer une bonne répartition dans le temps du travail de l'ETAM concerné, en permettant une réelle conciliation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale" ; qu'il est organisé "un suivi régulier par la hiérarchie qui veille notamment aux éventuelles surcharges de travail et respect des durées minimales de repos" grâce à "Un document individuel de suivi des journées et demi-journées travaillées, des jours de repos et jours de congés" qui est "tenu par l'employeur ou par le salarié sous la responsabilité de l'employeur" ; que de plus, l'accord collectif des ETAM du bâtiment impose que "La situation de l'ETAM ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours sera examinée lors d'un entretien au moins annuel avec son supérieur hiérarchique. Cet entretien portera sur la charge de travail de l'ETAM et l'amplitude de ses journées d'activité, qui doivent rester dans des limites raisonnables, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que la rémunération du salarié" ; qu'enfin "Le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel et le CHSCT, s'il en existe, seront consultés sur les conséquences pratiques de la mise en oeuvre de ce décompte de la durée du travail en nombre de jours sur l'année. Seront examinés notamment l'impact de ce régime sur l'organisation du travail, l'amplitude des journées et la charge de travail des salariés concernés" ; qu'il résulte de ces dispositions que l'employeur doit notamment veiller au risque de surcharge de travail du salarié et y remédier, de sorte que le contrôle de la durée maximale de travail soit assuré ; que la cour d'appel aurait dû en déduire que les stipulations conventionnelles étaient de nature à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés ayant conclu une convention de forfait en jours ; qu'en jugeant au contraire que "Ce dispositif conventionnel n'est pas en soi de nature à assurer un niveau suffisant de contrôle et de protection tant de la sécurité que de la santé au travail des salariés concernés, s'agissant plus particulièrement du nécessaire suivi de la charge et de l'amplitude de travail" pour en déduire que "Dans la mesure où en réalité ces dispositions conventionnelles sont insuffisantes à garantir que l'amplitude et la charge de travail des ETAM au forfait annuel en jours permettent d'aboutir à une répartition équilibrée de leur temps d'activité et donc à assurer une protection effective tant de leur sécurité que de leur santé, il convient de juger nulle la convention individuelle de forfait annuel en jours", la cour d'appel a violé l'article L. 3121-43 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 et l'article 4.2.9 de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006. »
Réponse de la Cour
Vu l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et l'article 4.2.9 de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006, dans sa rédaction issue de l'avenant n° 3 du 11 décembre 2012 :
4. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
5. Il résulte des articles susvisés de la directive de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
6. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
7. Pour dire nulle la convention individuelle de forfait annuel en jours signée par le salarié, l'arrêt relève que l'article 4.2.9 de la convention collective nationale susvisée prévoit que « la situation de l'ETAM ayant conclu une convention individuelle de forfait en jours sera examinée lors d'un entretien au moins annuel avec son supérieur hiérarchique. Cet entretien portera sur la charge de travail de l'ETAM et l'amplitude de ses journées d'activité, qui doivent rester dans des limites raisonnables, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que la rémunération du salarié... Les ETAM ayant conclu une convention individuelle de forfait-jours bénéficient d'un temps de repos quotidien d'au moins 11 heures consécutives et d'un temps de repos hebdomadaire de 35 heures consécutives... L'employeur veille à ce que la pratique habituelle puisse permettre d'augmenter ce temps de repos minimum. La charge de travail et l'amplitude des journées d'activité devront rester dans des limites raisonnables et assurer une bonne répartition dans le temps de travail de l'ETAM concerné... Le comité d'entreprise (CE) ou à défaut les délégués du personnel et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)... seront consultés sur les conséquences pratiques de la mise en oeuvre de ce décompte de la durée du travail en nombre de jours sur l'année. Seront examinés notamment l'impact de ce régime sur l'organisation du travail, l'amplitude des journées et la charge de travail des salariés concernés...La mise en place du forfait annuel en jours est précédée d'un entretien au cours duquel l'ETAM sera informé de l'organisation et de la charge de travail à venir ainsi que des éléments de rémunération pris en compte... ».
8. L'arrêt retient que ce dispositif conventionnel n'est pas de nature à assurer un niveau suffisant de contrôle et de protection tant de la sécurité que de la santé au travail des salariés concernés, s'agissant plus particulièrement du nécessaire suivi de la charge et de l'amplitude de travail, dès lors qu'il se limite pour l'essentiel à prévoir un entretien au moins annuel avec le supérieur hiérarchique, en visant de manière par trop générale que la charge de travail de l'ETAM et l'amplitude de ses journées d'activité doivent rester dans des limites raisonnables, et une consultation des institutions représentatives du personnel, qui n'est pas clairement détaillée.
9. En statuant ainsi, alors que l'article 4.2.9 prévoit également que l'organisation du travail des salariés fait l'objet d'un suivi régulier par la hiérarchie qui veille notamment aux éventuelles surcharges de travail et au respect des durées minimales de repos, qu'un document individuel de suivi des journées et demi-journées travaillées, des jours de repos et jours de congés (en précisant la qualification du repos : hebdomadaire, congés payés, etc.) est tenu par l'employeur ou par le salarié sous la responsabilité de l'employeur, que ce document individuel de suivi permet un point régulier et cumulé des jours de travail et des jours de repos afin de favoriser la prise de l'ensemble des jours de repos dans le courant de l'exercice, de sorte que répondent aux exigences relatives au droit à la santé et au repos et assurent ainsi le contrôle de la durée raisonnable de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires les dispositions de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment du 12 juillet 2006, dans sa version issue de l'avenant n° 3 étendu du 11 décembre 2012, qui imposent notamment à l'employeur de veiller au risque de surcharge de travail du salarié et d'y remédier, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le premier moyen entraîne la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif ordonnant à l'employeur de remettre au salarié un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes à l'arrêt d'appel, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
11. La cassation prononcée sur le premier moyen n'emporte pas, en revanche, cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit nulle la convention individuelle de forfait annuel en jours, en ce qu'il condamne la société Simon à régler à M. [V] les sommes de 31 059,17 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires sur la période 2014/2017, 3 105,92 euros au titre des congés payés afférents, outre les intérêts au taux légal, 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de ses droits à la contrepartie obligatoire en repos au titre des heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel, majorée des intérêts au taux légal, et en ce qu'il lui ordonne de remettre à M. [V] un bulletin de paie, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes à la décision de la cour d'appel, l'arrêt rendu le 3 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée ;
Condamne M. [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
Sur les conditions de validité des conventions de forfait en jours au regard de la durée du travail et des repos, journaliers et hebdomadaires, à rapprocher : Soc., 13 octobre 2021, pourvoi n° 19-20.561, Bull., (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Soc., 14 décembre 2022, pourvoi n° 20-20.572, Bull., (cassation partielle), et les arrêts cités.
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CASS/JURITEXT000047805269.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 juillet 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 808 FS-B
Pourvoi n° K 22-10.424
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [F].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 14 octobre 2021.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 JUILLET 2023
M. [M] [F], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 22-10.424 contre l'arrêt rendu le 27 janvier 2021 par la cour d'appel d'Amiens (5e chambre prud'homale), dans le litige l'opposant à la société Agence de presse et reportages hippiques, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La société Agence de presse et reportages a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ala, conseiller référendaire, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de M. [F], de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société Agence de presse et reportages hippiques, et l'avis de Mme Molina, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Ala, conseiller référendaire rapporteur, Mme Monge, conseiller doyen, Mme Cavrois, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mme Deltort, conseillers, Mmes Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ( Amiens, 27 janvier 2021), M. [F] a été engagé en qualité de reporter-photographe par contrat de travail à temps partiel conclu le 1er janvier 2014 par la société Agence de presse et reportages hippiques (la société) pour une durée mensuelle de cinquante-six heures.
2. Le 11 décembre 2017, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes se rapportant à l'exécution du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal du salarié
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la convention collective applicable est la convention collective nationale de travail des journalistes, de le débouter de sa demande en requalification de son contrat de travail à temps partiel en un contrat à temps complet ou à titre subsidiaire en un contrat à temps partiel de vingt-quatre heures hebdomadaires et des prétentions indemnitaires à ce titre, de limiter à certaines sommes le montant des condamnations prononcées à l'encontre de l'employeur au titre de la prime de treizième mois, de la prime d'ancienneté, au titre de l'indemnité pour l'amortissement et l'utilisation de son matériel photographique personnel, alors « qu'un employeur peut volontairement décider d'appliquer à ses salariés une convention collective qui ne serait pas normalement applicable dans l'entreprise, compte tenu de la nature de son activité principale, notamment, en la mentionnant dans le contrat de travail et dans les bulletins de paie ; que M. [F] a justement rappelé ce principe en rappelant que "même si la société APRH n'est pas signataire de la convention, elle (en) a accepté les conditions en la mentionn(ant) dans le contrat de travail du salarié. Avec ces mentions, la société défenderesse s'est obligée contractuellement à appliquer les dispositions de la convention collective des agences de presse" ; qu'en jugeant pourtant que "le juge doit, pour déterminer la convention collective dont relève un employeur, apprécier concrètement la nature de l'activité qu'il exerce à titre principal sans s'en tenir à ses statuts, ni aux mentions figurant au contrat de travail ou sur des bulletins de paie et autres documents de l'entreprise" quand la Sarl APRH pouvait volontairement décider d'appliquer à M. [F] la convention collective des employés et des agences de presse du 1er juin 1998, en lieu et place de la convention collective qui lui était normalement applicable compte tenu de la nature de l'activité de l'entreprise, en la mentionnant dans le contrat de travail et les bulletins de paie, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134, alinéa 1, du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
4. Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
5. Si, dans les relations collectives de travail une seule convention collective est applicable, laquelle est déterminée par l'activité principale de l'entreprise, dans les relations individuelles, le salarié, à défaut de se prévaloir de cette convention, peut demander l'application de la convention collective mentionnée dans le contrat de travail.
6. Pour dire que la convention collective applicable est la convention collective nationale de travail des journalistes du 1er novembre 1976, l'arrêt, après avoir rappelé les dispositions de l'article L. 2261-2 du code du travail retient que le juge doit, pour déterminer la convention collective dont relève un employeur, apprécier concrètement la nature de l'activité qu'il exerce à titre principal, sans s'en tenir à ses statuts, ni aux mentions figurant au contrat de travail ou sur des bulletins de paie et autres documents de l'entreprise. Il ajoute que la référence à l'identification de l'employeur auprès de l'Insee n'a qu'une valeur indicative, que les fonctions exercées par le salarié sont indifférentes et que la charge de la preuve de l'activité réelle incombe à la partie qui demande l'application d'une convention collective.
7. L'arrêt retient encore qu'il n'est pas utilement contredit que la société exerce à titre principal son activité dans le domaine des courses hippiques, employant des reporters-photographes pour se constituer une banque d'images et vendre les reportages réalisés à différents clients. Il conclut que les salariés recrutés sont soumis à la convention collective du travail des journalistes et non pas à la convention collective des employés des agences de presse.
8. En statuant ainsi, alors que la référence dans le contrat de travail à la convention collective des agences de presse valait reconnaissance de l'application de la convention à l'égard du salarié, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande subsidiaire en requalification de son contrat de travail en contrat à temps partiel de vingt-quatre heures hebdomadaires et en paiement d'indemnités à ce titre, alors:
« 1°/ que pour les contrats de travail à temps partiel conclus entre le 1er janvier 2014 et le 21 janvier 2014, il ne peut être dérogé à la durée minimale de travail hebdomadaire de 24 heures prévue à l'article L. 3123-14-1 du code du travail que sur demande écrite et motivée du salarié, dans les conditions de l'article L. 3123-14-2 devenu L. 3123-7 du code du travail ; que pour rejeter la demande subsidiaire de M. [F] aux fins de requalification de son temps partiel de 14 heures hebdomadaires en temps partiel de 24 heures hebdomadaires, l'arrêt énonce que l'entrée en vigueur de la durée minimale de travail hebdomadaire de 24 heures, initialement prévue au 1er janvier 2014, a été reportée au 1er juillet 2014 par l'article 20, III, de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014, "l'application de la nouvelle durée minimale de travail se faisant progressivement pour les contrats ayant débuté avant cette date, comme celui de M. [F], pour être généralisée au 1er janvier 2016" ; qu'en statuant ainsi, cependant que l'article 20, III, de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 prévoyait la suspension de l'application de l'article L. 3123-14-1 du code du travail et de la seconde phrase du VIII de l'article 12 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 à compter du 22 janvier 2014, de sorte que la durée minimale prévue à l'article L. 3123-14-1 du code du travail était applicable aux contrats conclus entre le 1er janvier 2014 et le 21 janvier 2014 et qu'une demande écrite et motivée de M. [F] était donc nécessaire pour y déroger, ce qui n'a jamais été effectué, la cour d'appel a violé les articles 12, VIII, de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et 20, III, de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014, ensemble les articles L. 3123-14-1 et L. 3123-14-2 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige ;
2°/ qu'à partir du 1er janvier 2016, pour l'ensemble des contrats en cours, il ne peut être dérogé à la durée minimale de travail hebdomadaire de 24 heures prévue à l'article L. 3123-14-1 du code du travail que sur demande écrite et motivée du salarié, dans les conditions de l'article L. 3123-14-2 devenu L. 3123-7 du code du travail ; qu'en jugeant que l'employeur a pu déroger à la durée minimale prévue à l'article L. 3123-14-1 du code du travail au vu d'une attestation de la gérante de la société quand une demande écrite et motivée de M. [F] était nécessaire pour y déroger, ce qui n'a jamais été effectué, la cour d'appel a violé les articles L. 3123-14-1 et L. 3123-14-2 du code du travail dans leur rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
10. L'employeur conteste la recevabilité du moyen pris en sa deuxième branche. Il soutient qu'il est irrecevable en ce que, mélangé de droit et de fait, il est nouveau.
11. Cependant le salarié soutenait dans ses écritures qu'une demande écrite et motivée de sa part était nécessaire pour que la durée minimale légale de vingt-quatre heures hebdomadaire pût être valablement écartée.
12. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 12, VIII, de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, les articles L. 3121-14-1, alinéa 1, L. 3121-14-2, alinéa 1, du code du travail, dans leur rédaction alors en vigueur, l'article 20, III, de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 :
13. Selon le premier de ces textes, l'article L. 3123-14-1 entre en vigueur le 1er janvier 2014.
14. Selon le deuxième, la durée minimale de travail du salarié à temps partiel est fixée à vingt-quatre heures par semaine ou, le cas échéant, à l'équivalent mensuel de cette durée ou à l'équivalent calculé sur la période prévue par un accord collectif conclu en application de l'article L. 3122-2.
15. Aux termes du troisième, une durée de travail inférieure à celle prévue par l'article L. 3123-14-1 peut être fixée à la demande du salarié soit pour lui permettre de faire face à des contraintes personnelles, soit pour lui permettre de cumuler plusieurs activités afin d'atteindre une durée globale d'activité correspondant à un temps plein ou au moins égale à la durée mentionnée au même article. Cette demande est écrite et motivée.
16. Selon le quatrième, pour permettre la négociation prévue à l'article L. 3123-14-3 du code du travail, l'application de l'article L. 3123-14-1 du même code est suspendue jusqu'au 30 juin 2014. Cette suspension prend effet à compter du 22 janvier 2014.
17. Il résulte de l'effet combiné de ces textes qu'en raison de la suspension de l'application de l'article L. 3123-14-1 du code du travail à compter du 22 janvier 2014, les contrats à temps partiel conclus entre le 1er et le 21 janvier 2014, qui n'étaient pas des contrats en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, doivent, sauf demande écrite et motivée du salarié ou accord collectif répondant aux conditions de l'article L. 3123-14-3 du code du travail, être conclus pour une durée minimale de vingt-quatre heures hebdomadaires.
18. Pour rejeter les demandes du salarié se rapportant à un contrat de travail d'une durée hebdomadaire de vingt-quatre heures, l'arrêt retient que l'entrée en vigueur de la durée minimale de vingt-quatre heures a été reportée au 1er juillet 2014 par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014, l'application se faisant progressivement pour les contrats ayant débuté avant cette date comme celui du salarié pour être généralisée au 1er janvier 2016.
19. L'arrêt ajoute qu'à la demande du salarié pour lui permettre de conserver son allocation d'adulte handicapé, l'employeur devait procéder à l'embauche à temps complet d'une autre salariée le 1er octobre 2016.
20. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que le contrat de travail à temps partiel avait été conclu le 1er janvier 2014, ce dont il résultait qu'il n'était pas concerné par la suspension de l'application de l'article L. 3123-14-1 du code du travail, la cour d'appel, qui n'a pas constaté l'existence d'une demande écrite et motivée du salarié tendant à la fixation d'une durée du travail inférieure à celle prévue par cet article, a violé les textes susvisés.
Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
21. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors « que pour rejeter la demande subsidiaire de M. [F] aux fins de requalification de son temps partiel, la cour d'appel, tirant les conséquences de l'application de la convention collective de travail des journalistes, a encore fait application de l'accord du 6 novembre 2014 relatif à la durée du travail des personnels à temps partiel annexé à la convention collective de travail des journalistes (IDCC 1480), lequel permet de conclure un contrat à temps partiel de 10 heures hebdomadaires ; qu'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation qui sera prononcée sur le premier moyen emportera, par voie de conséquence, la censure de l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande subsidiaire de requalification de son contrat de travail en temps partiel de 24 heures hebdomadaires et des prétentions indemnitaires à ce titre. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
22. La cassation prononcée sur le premier moyen du pourvoi principal entraîne la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif critiqués par le moyen qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
Et sur le moyen unique du pourvoi incident de l'employeur
Enoncé du moyen
23. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement de sommes à titre de rappel de prime de treizième mois et de prime d'ancienneté alors, « que par voie de conséquence de la cassation éventuelle sur le premier moyen du pourvoi principal, les condamnations de l'employeur à payer une prime de 13e mois et une prime d'ancienneté sur le fondement de la convention collective dont l'application est contestée par le salarié, seront, le cas échéant, annulées par application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
24. La cassation prononcée sur le premier moyen du pourvoi principal entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif critiqués par le moyen qui s'y rattachent par un lien dépendance nécessaire.
Portée et conséquences de la cassation
25. La cassation prononcée sur le premier moyen du pourvoi principal n'emporte pas la cassation des chefs de dispositif rejetant la demande en requalification du contrat de travail en contrat de travail à temps complet et condamnant l'employeur à verser au salarié une certaine somme à titre d'indemnité pour l'amortissement et l'utilisation du matériel photographique due en application du contrat de travail qui ne s'y rattachent pas par un lien d'indivisibilité ni de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la convention collective applicable est la convention collective nationale de travail des journalistes, déboute M. [F] de sa demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat à temps partiel de vingt-quatre heures hebdomadaires et des prétentions indemnitaires à ce titre, condamne la société Agence de presse et reportages hippiques à payer à M. [F] les sommes de 4 215,12 euros au titre de la prime de treizième mois pour la période de septembre à décembre 2016, 632,26 euros à titre de prime d'ancienneté pour la période de septembre à décembre 2016, l'arrêt rendu le 27 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne la société Agence de presse et reportages hippiques aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Agence de presse et reportages hippiques et la condamne à payer à la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maître la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047781209.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 28 juin 2023
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 769 F-B
Pourvoi n° W 22-11.699
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 JUIN 2023
M. [S] [V], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 22-11.699 contre l'arrêt rendu le 2 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société PM Turenne, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à M. [N] [B], domicilié [Adresse 3], pris en qualité de liquidateur amiable de la société PM Turenne,
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ollivier, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [V], de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société PM Turenne, et de M. [B], ès qualités, après débats en l'audience publique du 1er juin 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ollivier, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, Mme Laulom, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 juin 2021), M. [V] a été employé en qualité de serveur par la société PM Turenne (la société) à compter du 2 juin 2014.
2. Le 9 octobre 2015, le salarié a demandé l'organisation d'élections professionnelles. Il a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement le 5 novembre 2015, avec mise à pied conservatoire. Il a été licencié pour faute grave le 9 novembre 2015.
3. Invoquant l'existence d'une discrimination syndicale et contestant le bien-fondé de son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale le 16 février 2016 aux fins notamment d'annulation du licenciement, de réintégration et de paiement de rappels de salaire et de diverses indemnités.
4. La société a été placée en liquidation amiable, M. [B] étant désigné liquidateur.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à ce que son licenciement soit dit nul, que soit ordonnée sa réintégration et en paiement d'un rappel de salaire à compter du licenciement jusqu'à sa réintégration effective ainsi qu'un rappel de salaire provisionnel, alors « que lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'il appartient au juge d'examiner les éléments invoqués par le salarié au soutien de ses allégations de discrimination ; que pour caractériser la discrimination subie, le salarié faisait valoir que l'employeur avait engagé une procédure de licenciement à son encontre le jour même de la réception du courrier par lequel il sollicitait l'organisation d'élections professionnelles ; qu'en se bornant à affirmer que le salarié ne faisait état d'aucun élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale sans rechercher si la concomitance entre la réception du courrier du salarié demandant l'organisation d'élections professionnelles et l'engagement de la procédure de licenciement ne laissait pas supposer l'existence d'une discrimination, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1132-1 et L. 2141-5 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause :
6. Lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient à l'employeur de démontrer que la rupture du contrat de travail ne constitue pas une mesure de rétorsion à la demande antérieure du salarié d'organiser des élections professionnelles au sein de l'entreprise.
7. Pour rejeter les demandes du salarié au titre de la nullité du licenciement pour discrimination syndicale et de dommages-intérêts, l'arrêt retient que le salarié ne présente dans ses conclusions aucun élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale.
8. En statuant ainsi, alors qu'elle retenait que le licenciement prononcé n'était pas justifié par l'existence d'une cause réelle et sérieuse, qu'il résultait de ses constatations que le salarié avait demandé l'organisation des élections professionnelles le 9 octobre 2015, qu'il avait été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 5 novembre 2015 et licencié pour faute grave le 9 novembre 2015, et que le salarié soutenait dans ses conclusions que la procédure de licenciement avait été engagée le 14 octobre 2015, date à laquelle l'employeur avait reçu sa demande d'organisation des élections des délégués du personnel, de sorte qu'il appartenait à l'employeur de démontrer l'absence de lien entre la demande du salarié d'organiser les élections professionnelles et le licenciement prononcé, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour absence d'institutions représentatives du personnel, alors « que l'employeur qui n'a pas accompli, bien qu'il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts ; qu'en rejetant la demande de réparation du salarié fondée sur l'absence d'institution représentative du personnel au motif inopérant que l'intéressé ne justifiait d'aucun préjudice consécutif à cette carence, la cour d'appel a violé l'article L. 2313-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, ensemble l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 1382, devenu 1240, du code civil et l'article 8, § 1, de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 2313-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause, l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 27 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'article 1382, devenu 1240, du code civil et l'article 8, § 1, de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l'information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne :
10. Il résulte de l'application combinée de ces textes que l'employeur qui n'a pas accompli, bien qu'il y soit légalement tenu, les diligences nécessaires à la mise en place d'institutions représentatives du personnel, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi, commet une faute qui cause un préjudice aux salariés, privés ainsi d'une possibilité de représentation et de défense de leurs intérêts.
11. Pour débouter le salarié de sa demande d'indemnité pour absence d'institutions représentatives du personnel, l'arrêt retient que le salarié ne justifie d'aucun préjudice consécutif à cette absence.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt ayant débouté le salarié de ses demandes de dire le licenciement nul, de réintégration dans l'entreprise et de rappel de salaires provisionnel entraîne la cassation des chefs de dispositif ayant condamné l'employeur à payer au salarié certaines sommes au titre du préavis et des congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire
14. La cassation des chefs de dispositif ayant débouté le salarié de ses demandes de dire le licenciement nul, de réintégration dans l'entreprise et de rappel de salaires provisionnel et condamné l'employeur à payer au salarié certaines sommes au titre du préavis et des congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et ayant débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour absence d'institutions représentatives du personnel n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [V] de sa demande de dommages-intérêts pour absence d'institutions représentatives du personnel, de ses demandes de dire le licenciement nul, de réintégration dans l'entreprise et de rappel de salaires provisionnel, en ce qu'il condamne la société PM Turenne à payer à M. [V] la somme de 5 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de 2 473 euros au titre du préavis, la somme de 247,30 euros au titre des congés payés afférents, la somme de 741,96 euros au titre de l'indemnité de licenciement, l'arrêt rendu le 2 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société PM Turenne, prise en la personne de son liquidateur amiable M. [B], aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société PM Turenne et condamne M. [B], ès qualités, à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047781215.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC. / ELECT
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 28 juin 2023
Non-lieu à statuer
M. SOMMER, président
Arrêt n° 776 FS-B
Pourvoi n° T 22-16.020
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 JUIN 2023
1°/ Le syndicat Site CGT PCA [Localité 10], dont le siège est [Adresse 7],
2°/ M. [K] [C], domicilié [Adresse 6],
3°/ M. [W] [U], domicilié [Adresse 3],
4°/ M. [J] [A], domicilié [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° T 22-16.020 contre le jugement rendu le 28 avril 2022 par le tribunal judiciaire de Versailles (contentieux des élections professionnelles), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [X] [E], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à M. [Y] [T], domicilié [Adresse 9],
3°/ à M. [N] [F], domicilié [Adresse 8],
4°/ au syndicat CGT Stellantis [Localité 10], dont le siège est [Adresse 7],
5°/ à la société PSA Automobiles établissement de [Localité 10], dont le siège est [Adresse 7],
6°/ à la fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, FTM CGT, union de syndicats professionnels, dont le siège est [Adresse 5],
7°/ à l'union départementale des syndicats CGT des Yvelines, union de syndicats professionnels, dont le siège est [Adresse 4],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat du syndicat Site CGT PCA [Localité 10], de MM. [C], [U] et [A], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société PSA Automobiles établissement de [Localité 10], de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [E], de MM. [T] et [F], du syndicat CGT Stellantis [Localité 10], de la fédération des travailleurs de la métallurgie CGT, FTM CGT et de l'union départementale des syndicats CGT des Yvelines, et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé et Bérard, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue et Ollivier, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Versailles, 28 avril 2022), le syndicat CGT Stellantis [Localité 10], implanté au sein de l'établissement de [Localité 10] de la société PSA automobiles, a été affilié à l'union départementale des syndicats CGT des Yvelines par délibération du 11 janvier 2022 et à la fédération des travailleurs de la métallurgie CGT par délibération des 12-13 janvier de la même année.
2. À la suite de ces délibérations, ont été désignés, par le syndicat CGT Stellantis [Localité 10], en qualité de délégués syndicaux, Mme [E] et M. [T] et, en qualité de représentant syndical au comité social et économique d'établissement, M. [F].
3. Par requête du 9 mars 2022, le syndicat Site CGT PCA [Localité 10], antérieurement affilié auxdites union et fédération, ainsi que MM. [C], [U] et [A] ont sollicité l'annulation de ces désignations en contestant toute exclusion de ce syndicat par l'union et la fédération.
Non-lieu à statuer sur le pourvoi
Après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile;
4. Il résulte d'une jurisprudence établie de la Cour de cassation (Soc., 18 mai 2011, pourvoi n° 10-60.069, Bull. 2011, V, n° 125) que l'affiliation confédérale sous laquelle un syndicat a présenté des candidats au premier tour des élections des membres titulaires du comité d'entreprise constitue un élément essentiel du vote des électeurs et qu'il s'ensuit qu'en cas de désaffiliation après ces élections le syndicat ne peut continuer à se prévaloir des suffrages ainsi recueillis pour se prétendre représentatif.
5. La Cour de cassation en a déduit que, en cas de désaffiliation d'un syndicat ayant recueilli au moins 10 % des suffrages au premier tour des dernières élections professionnelles, la confédération ou l'une de ses fédérations ou unions à laquelle ce syndicat était auparavant affilié peut désigner un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'établissement. Cette désignation met fin au mandat du salarié désigné par ce syndicat avant sa désaffiliation (Soc., 6 mars 2019, pourvoi n° 18-15.238, publié au Bulletin ; Soc., 18 mai 2011, pourvoi n° 10-60.300, Bull. 2011, V, n° 121). De même, en cas de désaffiliation de l'organisation syndicale ayant procédé à la désignation d'un délégué syndical, le mandat de ce délégué peut être révoqué par la confédération syndicale, la fédération ou l'union à laquelle le syndicat désignataire était affilié (Soc., 16 octobre 2013, pourvoi n° 12-60.281, Bull. 2013, V, n° 241).
6. Il en résulte qu'un syndicat, qui s'est désaffilié de la confédération sous le sigle de laquelle il avait présenté des candidats lors des dernières élections professionnelles, est irrecevable à contester la désignation de représentants syndicaux par la fédération ou par un syndicat affilié à la fédération appartenant à cette même confédération.
7. Il résulte des pièces communiquées par la fédération des travailleurs de la métallurgie CGT et l'union départementale des syndicats CGT des Yvelines par mémoire complémentaire du 20 décembre 2022 que le syndicat Site CGT PCA [Localité 10] a voté, lors de son congrès extraordinaire du 11 décembre 2022, son affiliation à l'union fédérale SUD Industrie.
8. Dès lors, la demande d'annulation des désignations opérées par le syndicat CGT Stellantis [Localité 10] au regard des statuts de la confédération CGT étant devenue sans objet, il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DIT N'Y AVOIR LIEU A STATUER
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille vingt-trois.
Sur les conséquences de la désaffiliation d'un syndicat après les élections, à rapprocher : Soc., 6 mars 2019, pourvoi n° 18-15.238, Bull., (cassation partielle), et les arrêts cités.
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CASS/JURITEXT000047781203.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 28 juin 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 761 FS-B
Pourvois n°
F 22-12.260
G 22-12.262
E 22-13.110
F 22-13.111 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 JUIN 2023
I. 1°/ Mme [I] [Z], domiciliée [Adresse 3],
2°/ Mme [X] [V], domiciliée [Adresse 1]
ont formé respectivement les pourvois n° F 22-12.260 et G 22-12.262,
II. La caisse primaire centrale d' assurance maladie des Bouches-du-Rhône, dont le siège est [Adresse 2], a formé les pourvoi n° E 22-13.110 et F 22-13.111,
contre deux même arrêts rendus le 17 décembre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-2, RG n° 18/07309 et 18/07308), dans les litiges les opposant.
Les demanderesses aux pourvois n° F 22-12.260 et G 22-12.262 invoquent, à l'appui de chacun de leur recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse aux pourvois n° E 22-13.110 et F 22-13.111 invoque, à l'appui de chacun de ses recours, quatre moyens de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de Mmes [Z] et [V], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats à l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Barincou, Seguy, Mmes Grandemange, Douxami, conseillers, MM. Le Corre, Carillon, Mme Maitral, conseillers référendaires, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 22-12.260, 22-12.262, 22-13.110 et 22-13.111 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 17 décembre 2021), Mmes [Z] et [V], engagées par la caisse primaire centrale d'assurance maladie (CPCAM) des Bouches-du-Rhône respectivement le 9 janvier 1978 et le 8 août 1997, ont été affectées en dernier lieu en qualité de techniciennes de production informatique.
3. Estimant ne pas être remplies de leurs droits, les salariées ont saisi la juridiction prud'homale aux fins de reclassement au niveau 3 de la convention collective nationale de travail du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957.
4. Par arrêts du 27 février 2015, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a dit que les salariées devaient être classées à la position 3 de la catégorie personnel informatique à compter du 21 avril 2005 et a condamné la CPCAM à leur payer les rappels de salaire correspondant.
5. Les salariées ont été licenciées pour faute grave le 10 novembre 2015, après avis du conseil de discipline régional.
6. Contestant cette rupture, elles ont saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens des pourvois des salariées et le deuxième moyen des pourvois de l'employeur
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen des pourvois de l'employeur
Enoncé du moyen
8. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à payer aux salariées un rappel de salaire pour la période du 1er mars au 2 octobre 2015 outre les congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 25 février 2016 et capitalisation des intérêts, alors « qu'une convention collective doit être interprétée comme la loi, c'est à dire d'abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l'objectif social du texte ; qu'en l'espèce, l'article 33 de la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957, dans sa rédaction issue du protocole d'accord du 30 novembre 2004, prévoit qu'"en cas d'accès à un niveau de qualification supérieur, les points de compétence acquis dans l'emploi précédent sont supprimés. Les points d'expérience acquis sont maintenus. En tout état de cause, dès sa prise de fonction l'agent est classé au coefficient de qualification de son nouveau niveau de qualification, et bénéficie d'une rémunération supérieure d'au moins 5 % à celle servie dans son emploi avant la promotion, y compris les points d'expérience et de compétences" ; que ce texte n'opérant aucune distinction, il s'applique dès lors qu'un agent accède à un niveau de qualification supérieure, peu important que cette accession résulte d'une décision de justice rectifiant une sous-classification ; qu'en jugeant le contraire, en se référant à l'intention supposée des partenaires sociaux, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »
Réponse de la Cour
9. Aux termes de l'article 33 de la convention collective nationale de travail du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957, dans sa rédaction issue du protocole d'accord du 30 novembre 2004, en cas d'accès à un niveau de qualification supérieur, les points de compétence acquis dans l'emploi précédent sont supprimés. Les points d'expérience acquis sont maintenus. En tout état de cause, dès sa prise de fonction l'agent est classé au coefficient de qualification de son nouveau niveau de qualification, et bénéficie d'une rémunération supérieure d'au moins 5 % à celle servie dans son emploi avant la promotion, y compris les points d'expérience et de compétences.
10. Il en résulte que l'accès à un niveau de qualification supérieur correspond à une promotion dans le cadre du parcours professionnel, et non pas à une requalification par décision de justice replaçant rétroactivement le salarié dans une catégorie ou un échelon d'emploi supérieur correspondant aux fonctions effectivement exercées depuis plusieurs années.
11. Ayant d'abord relevé que s'agissant d'un texte conventionnel, c'est à dire issu de la négociation, les partenaires sociaux n'ont pas envisagé le cas du changement de qualification par décision de justice, mais seulement celui de la progression accordée par l'employeur dans le cadre d'une carrière gérée hors désaccord ou conflit, la cour d'appel a constaté que dans ce cas le salarié promu conserve son ancienneté, calculée en nombre de points, mais, abordant de nouvelles fonctions de degré supérieur, doit démontrer qu'il acquiert une nouvelle dextérité dans sa nouvelle compétence, et perd donc une partie de ses points de compétence acquis dans la fonction ancienne de degré inférieur.
12. Elle a ensuite retenu que tel n'est absolument pas le cas lorsque l'employeur n'a pas donné, dans le temps voulu, la qualification correspondant aux compétences mises en oeuvre par le salarié dans son emploi actuel mais répondant aux critères de classification d'un emploi supérieur, et que le juge opère une rectification de cet état de sous-classification par l'attribution du niveau et du coefficient correspondant aux dites compétences.
13. La cour d'appel en a exactement déduit que les points de compétence déjà acquis antérieurement à sa reclassification judiciaire n'ont pas à être enlevés au salarié.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen des pourvois de l'employeur
Enoncé du moyen
15. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à payer aux salariées diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et d'incidence congés payés sur préavis, avec intérêts au taux légal à compter du 25 février 2016 et capitalisation des intérêts, alors « qu'il résulte de l'article 54 de la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 que la durée du préavis applicable au licenciement du personnel titulaire est égale, après cinq ans de présence, à trois mois, et que le bénéfice d'un préavis de six mois est réservé au personnel cadre ayant une ancienneté minimale de 5 ans ; qu'en l'espèce, la CPCAM des Bouches-du-Rhône faisait valoir que la salariée, occupant en dernier lieu les fonctions de "Technicien production informatique", niveau 3S, et ayant plus de cinq ans de présence, n'avait pas la qualité de cadre, et ne pouvait donc solliciter le paiement d'une indemnité compensatrice correspondant à six mois de salaire comme elle le faisait, le préavis applicable étant de trois mois ; qu'en condamnant l'employeur à payer l'indemnité compensatrice de préavis à hauteur du montant sollicité par la salariée sur la base d'une durée de six mois, sans s'expliquer sur l'absence de qualité de cadre de cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 54 de la convention collective nationale de travail du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 :
16. Selon ce texte, le délai congé applicable au licenciement du personnel, après cinq ans de présence, est égal à trois mois pour le personnel titulaire et à six mois pour les cadres.
17. Pour condamner l'employeur à payer aux salariées une indemnité compensatrice de préavis correspondant à six mois de salaire, l'arrêt retient qu'elles ont vocation à percevoir cette indemnité, avec son incidence congés payés, dont elles ont justement fixé le montant.
18. En se déterminant ainsi, sans vérifier si les salariées avaient la qualité de cadre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le quatrième moyen des pourvois de l'employeur
Enoncé du moyen
19. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à payer aux salariées une somme à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du 25 février 2016 et capitalisation des intérêts, alors « qu'aux termes de l'article 55 de la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957, "Outre le délai congé, tout agent licencié, pour quelque cause que ce soit, à l'exclusion des cas prévus aux articles 48, 56 et 58, aura droit à une indemnité égale à la moitié du dernier traitement mensuel par année d'ancienneté dans les organismes, telle que cette ancienneté est déterminée par l'article 30 de la présente convention, avec un maximum de 13 mois." ; que l'article 48 de cette convention collective vise la procédure applicable en matière disciplinaire ; qu'il résulte de la combinaison de ces textes que l'indemnité conventionnelle de licenciement n'est pas due en cas de licenciement disciplinaire, seule l'indemnité légale pouvant être allouée au salarié ; qu'en l'espèce, la CPCAM des Bouches-du-Rhône soutenait que le licenciement étant disciplinaire, la salariée ne pouvait, même si la faute grave était écartée, prétendre qu'à l'indemnité légale de licenciement, s'élevant à 31 088 euros ; qu'en condamnant l'employeur à payer à la salariée la somme de 53 394,12 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, après avoir constaté que le licenciement reposait sur une faute réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 55 de la convention collective nationale de travail du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 :
20. Aux termes de ce texte, outre le délai congé, tout agent licencié, pour quelque cause que ce soit, à l'exclusion des cas prévus aux articles 48, 56 et 58, aura droit à une indemnité égale à la moitié du dernier traitement mensuel par année d'ancienneté dans les organismes, telle que cette ancienneté est déterminée par l'article 30 de la présente convention, avec un maximum de 13 mois.
21. Il résulte de la combinaison des textes précités que le salarié licencié dans le cadre d'une procédure disciplinaire diligentée selon les termes de l'article 48, en cas de révocation pour faute grave ou indélicatesse ou en cas de départ en retraite, est exclu du bénéfice de l'indemnité conventionnelle de licenciement.
22. Pour condamner l'employeur à payer aux salariées une indemnité conventionnelle de licenciement, l'arrêt retient qu'elles ont vocation à percevoir cette indemnité, dont elles ont justement fixé le montant.
23. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le licenciement était fondé et reposait sur un motif disciplinaire, ce dont il se déduisait que les salariées étaient exclues du bénéfice de l'indemnité conventionnelle de licenciement, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
24. La cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur à verser aux salariées diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité conventionnelle de licenciement n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt le condamnant aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils condamnent la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône à payer :
- à titre d'indemnité compensatrice de préavis les sommes de 19 167,10 euros à Mme [Z], outre 1 916,71 euros d'incidence congés payés sur préavis, et de 19 922,94 euros à Mme [V], outre 1 992,29 euros d'incidence congés payés sur préavis,
- à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement les sommes de 53 394,12 euros à Mme [Z] et de 37 257 euros à Mme [V],
avec intérêts calculés au taux légal à compter du 25 février 2016 et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil, les arrêts rendus le 17 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;
Condamne Mmes [Z] et [V] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047781213.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 28 juin 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. SOMMER, président
Arrêt n° 775 FS-B
Pourvoi n° P 21-19.784
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 JUIN 2023
La Fédération nationale des syndicats et des salariés des mines et de l'énergie CGT, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-19.784 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2021 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Réseau de transport d'électricité, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ au syndicat CFDT Energie chimie de l'Ile-de-France SECIF-CFDT, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La société Réseau de transport d'électricité et le syndicat CFDT Energie chimie de l'Ile-de-France SECIF-CFDT ont chacun formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
La société Réseau de transport d'électricité et le syndicat CFDT Energie chimie de l'Ile-de-France SECIF-CFDT, demandeurs aux pourvois incidents invoquent, chacun à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la Fédération nationale des syndicats et des salariés des mines et de l'énergie CGT, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Réseau de transport d'électricité, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du syndicat CFDT Energie chimie de l'Ile-de-France, et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Bérard, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, Ollivier, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 20 mai 2021), le 3 juillet 2020, la société Réseau de transport d'électricité (la société RTE), gestionnaire du réseau de transport national d'électricité, a dénoncé, avec effet au 1er janvier 2021, « toute note, engagement unilatéral, pratique ou usage ayant pour objet l'accompagnement financier de la mobilité des salariés de RTE, et notamment, sans que la liste soit nécessairement exhaustive, les dispositions des notes :
- DP 20-159 : aides à la mobilité du 6 février 2003 et ses notes d'application,
- DP 20-154 : dispositif d'aide aux célibataires géographiques du 6 mars 2002,
- Na-Rh-Rhjag-Drh-2003-0003 : dispositif de mobilité encouragée à RTE du 30 juin 2003,
- Rh-Dcrhrs-2015-0002 : décision relative aux mesures d'accompagnement en cas de réorganisation du 30 mars 2015, chapitre 5 et annexes. »
2. Le même jour, la société RTE a également pris, avec effet au 1er janvier 2021, une décision D-Rh-Drh-Dsds-2020-00003 définissant les différentes mesures d'accompagnement financier de la mobilité.
3. Par acte du 23 juillet 2020, le syndicat CFDT Energie chimie de l'Ile-de-France (le syndicat SECIF-CFDT) a saisi le tribunal judiciaire afin qu'il soit ordonné à la société RTE d'ouvrir une négociation portant sur le dispositif national d'accompagnement financier de la mobilité d'entreprise.
4. La Fédération nationale des syndicats et des salariés des mines et de l'énergie (la fédération FNME-CGT) est intervenue volontairement à l'instance afin que soit annulée la dénonciation formalisée par la société RTE et qu'il soit enjoint à celle-ci d'ouvrir une négociation collective avec l'ensemble des organisations syndicales représentatives de l'entreprise.
Examen des moyens
Sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident de la société RTE, qui est préalable
Enoncé du moyen
5. La société RTE fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence du juge judiciaire pour statuer sur la demande d'annulation de la décision du 3 juillet 2020, de la note D-Rh-Drh-Dsds-2020-00003 du 1er juin 2020 et de la dénonciation des dispositions antérieures relatives aux mesures d'accompagnement financier de la mobilité d'entreprise, alors « que les actes unilatéraux relatifs à l'organisation d'un service public industriel et commercial et au statut du personnel sont des actes administratifs dont l'appréciation de la légalité relève de la compétence de la juridiction administrative ; qu'en l'espèce, les décisions contestées, afférentes à l'accompagnement financier accordé aux salariés à l'occasion de mobilités géographiques, constituent un élément de l'organisation du service public exploité par la société RTE et présentent à ce titre le caractère d'actes administratifs ; qu'en se fondant, pour juger le contraire, sur la circonstance inopérante selon laquelle ces mesures avaient pour objet l'organisation interne des services et non l'organisation du service public de développement et d'exploitation des réseaux publics de transport d'électricité, la cour d'appel de Versailles a violé les dispositions des lois des 16-24 août 1790 et du 28 pluviôse an VIII et du décret du 16 fructidor an III. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, l'article L. 2233-1 du code du travail, l'article 47, alinéas 1 à 3, de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010, et l'article 1er, alinéa 1, du statut national du personnel des industries électriques et gazières approuvé par le décret n° 46-1451 du 22 juin 1946 :
6. D'abord, il résulte de l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III que l'appréciation de la légalité d'un acte administratif échappe à la compétence du juge judiciaire.
7. Ensuite, aux termes de l'article L. 2233-1 du code du travail, dans les entreprises publiques et les établissements publics à caractère industriel ou commercial et les établissements publics déterminés par décret assurant à la fois une mission de service public à caractère administratif et à caractère industriel et commercial, lorsqu'ils emploient du personnel dans les conditions du droit privé, les conditions d'emploi et de travail ainsi que les garanties sociales peuvent être déterminées, en ce qui concerne les catégories de personnel qui ne sont pas soumises à un statut particulier, par des conventions et accords conclus conformément aux dispositions du présent titre. Ces dispositions s'appliquent aux entreprises privées lorsque certaines catégories de personnel sont régies par le même statut particulier que celles d'entreprises ou d'établissements publics.
8. Aux termes de l'article 47, alinéas 1 à 3, de la loi du 8 avril 1946, des décrets pris sur le rapport des ministres du travail et de la production industrielle, après avis des organisations syndicales les plus représentatives des personnels, déterminent le statut du personnel en activité et du personnel retraité et pensionné des entreprises ayant fait l'objet d'un transfert. Ce statut national, qui ne peut réduire les droits acquis des personnels en fonctions ou retraités à la date de la publication de la présente loi, mais qui peut les améliorer, se substituera de plein droit aux règles statutaires ou conventionnelles, ainsi qu'aux régimes de retraite ou de prévoyance antérieurement applicables à ces personnels. Ce statut s'applique à tout le personnel de l'industrie électrique et gazière en situation d'activité ou d'inactivité, en particulier celui des entreprises de production, de transport, de distribution, de commercialisation et de fourniture aux clients finals d'électricité ou de gaz naturel, sous réserve qu'une convention collective nationale du secteur de l'énergie, qu'un statut national ou qu'un régime conventionnel du secteur de l'énergie ne s'applique pas au sein de l'entreprise. Il s'applique au personnel des usines exclues de la nationalisation par l'article 8, à l'exception des ouvriers mineurs employés par les centrales et les cokeries des houillères et des employés de chemin de fer qui conservent, sauf demande de leur part, leur statut professionnel. Il ne s'appliquera ni au personnel des centrales autonomes visées aux paragraphes 4° et 5° du troisième alinéa de l'article 8 de la présente loi, ni à l'ensemble du personnel de l'une quelconque des installations visées au paragraphe 6° du troisième alinéa de l'article 8 ci-dessus, si la majorité de ce personnel a demandé à conserver son statut professionnel.
9. Aux termes de l'article 1er, alinéa 1, du statut national du personnel des industries électriques et gazières, ce dernier s'applique à l'ensemble du personnel (ouvriers, employés, agents de maîtrise, cadres administratifs et techniques) en situation d'activité ou d'inactivité :
a) des services nationaux et des services de distribution créés par les articles 2 et 3 de la loi du 8 avril 1946 ;
b) des entreprises de production et de distribution exclues de la nationalisation ;
c) de la Caisse nationale de l'énergie.
10. Il en résulte que les conditions d'emploi et de travail du personnel de l'industrie électrique et gazière ne sont pas déterminées par des conventions et accords collectifs de travail, sous réserve des dispositions des articles L. 161-1 et L. 161-4 du code de l'énergie, mais par un statut qui, constituant un élément de l'organisation du service public exploité, a le caractère d'un règlement administratif et que les mesures d'accompagnement financier de la mobilité d'entreprise, dont les notes DP 20-159 du 6 février 2003, DP 20-154 du 6 mars 2002, Na-Rh-Rhjag-Drh-2003-0003 du 30 juin 2003, Rh-Dcrhrs-2015-0002 du 30 mars 2015 et D-Rh-Drh-Dsds-2020-00003 du 1er juin 2020, sont elles-mêmes, eu égard à l'article 28, § 1, du statut, des éléments de ce statut réglementaire.
11. Pour retenir la compétence du juge judiciaire pour connaître de la décision du 3 juillet 2020 de dénonciation des mesures d'accompagnement financier de la mobilité d'entreprise, dont les notes DP 20-159 du 6 février 2003, DP 20-154 du 6 mars 2002, Na-Rh-Rhjag-Drh-2003-0003 du 30 juin 2003, Rh-Dcrhrs-2015-0002 du 30 mars 2015 et de la décision d'adoption de la note D-Rh-Drh-Dsds-2020-00003 du 1er juin 2020, l'arrêt retient que ces mesures ont pour objet l'organisation interne des services et non l'organisation du service public de développement et d'exploitation des réseaux publics de transport d'électricité.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
14. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi principal de la fédération FNME-CGT, sur le pourvoi incident du syndicat SECIF CFDT et sur la seconde branche du moyen du pourvoi incident de la société RTE, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT la juridiction judiciaire incompétente ;
RENVOIE les parties à mieux se pourvoir ;
Condamne la fédération FNME-CGT et le syndicat SECIF-CFDT aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Versailles ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille vingt-trois.
Sur la détermination de l'ordre juridictionnel compétent en matière de décision prise par EDF GDF relative à l'organisation du service public, à rapprocher : Soc., 16 mai 2007, pourvoi n° 06-13.044, Bull. 2007, V, n° 80 (cassation partiellement sans renvoi), et l'arrêt cité.
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CASS/JURITEXT000047781207.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 28 juin 2023
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 766 F-B
Pourvoi n° M 22-10.586
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 JUIN 2023
Le groupement d'intérêt économique (GIE) Klesia Adp, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 22-10.586 contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant à comité social et économique de l'association de moyens Klesia, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat du groupement d'intérêt économique (GIE) Klesia Adp, après débats en l'audience publique du 1er juin 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, Mme Sommé, conseiller, Mme Laulom, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 décembre 2021), statuant en matière de référé, l'association de moyens Klésia, aux droits de laquelle vient le groupement d'intérêt économique Klésia Adp (le GIE), afin d'anticiper d'éventuelles modifications dans les régimes de retraite complémentaires, a envisagé une évolution de son organisation et la création d'autres activités de retraite complémentaire et d'assurance aux personnes en mettant en place trois structures juridiques distinctes. Le 9 octobre 2020, son comité social et économique (le comité) a été convoqué à une première réunion d'information sur le projet fixée au 16 octobre 2020. Les documents d'informations afférents au projet et à ses conséquences ont été joints à la convocation et à l'ordre du jour.
2. Le 5 novembre 2020, le secrétaire du comité a sollicité l'inscription à l'ordre du jour d'un vote d'une résolution sur un droit d'alerte économique. Arguant du non-respect du délai de cinq jours prévu par l'accord collectif du 5 juillet 2019 relatif à la mise en place du comité social et économique pour l'inscription d'un point à l'ordre du jour, le président du comité a refusé l'inscription d'un vote sur le droit d'alerte. Lors de la réunion du comité du 9 novembre 2020, les élus ont, cependant, voté un droit d'alerte économique.
3. Par assignation du 23 novembre 2020, le GIE a saisi la formation des référés du tribunal judiciaire en contestation de la procédure d'alerte votée par le comité et en annulation de la délibération prise par celui-ci le 9 novembre 2020 relative au déclenchement de son droit d'alerte économique.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, et le second moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches
Enoncé du moyen
5. Le GIE fait grief à l'arrêt de dire que la demande de mise en oeuvre du droit d'alerte par le comité avait été formée régulièrement, que sa demande d'explications formulée suivant délibération du 9 novembre 2020 était exempte d'abus, qu'aucun trouble manifestement illicite n'était caractérisé dans la mise en oeuvre du droit d'alerte et de le débouter en conséquence de l'intégralité de ses demandes, alors :
« 1°/ qu'aux termes de l'article L. 2262-1 du code du travail, les conventions et accords de travail lient tous les signataires ou membres des organisations ou groupements signataires de ceux-ci, lesquels ont dès lors tous la possibilité de s'en prévaloir ; qu'en retenant, pour considérer que le GIE Klesia ADP ne pouvait refuser d'inscrire à l'ordre du jour de la réunion une demande soumise moins de cinq jours ouvrables avant qu'elle ne se tienne, que les membres du CSE étaient les seuls à pouvoir de se prévaloir de la méconnaissance de ce délai quand celui-ci, qui résultait de l'article 4.2 d'un accord collectif d'entreprise en date du 5 juillet 2019, était applicable à tous les signataires de l'accord, de sorte que l'employeur pouvait s'en prévaloir, la cour d'appel a violé l'article L. 2262-1 du code du travail, ensemble l'article 4.2 de l'accord collectif du 5 juillet 2019 ;
2°/ qu'en statuant de la sorte quand il ne résulte ni des articles L. 2315-2 et L. 2315-30 du code du travail, ni de l'article 4.2 du chapitre II de l'accord collectif du 5 juillet 2019 que le délai de convocation et de communication des documents et de l'ordre du jour n'aurait été formulé que dans l'intérêt des membres du CSE qui pourraient dès lors seuls [s'en] (se) prévaloir de sa violation, la cour d'appel a violé ensemble lesdits articles ;
3°/ qu'en retenant, pour considérer que le GIE Klesia ne pouvait se prévaloir du non-respect du délai conventionnel, que le déclenchement du droit d'alerte économique relevait d'un régime d'inscription de droit, quand l'article L. 2312-63, alinéa 2, du code du travail excluait uniquement que l'employeur puisse refuser d'inscrire ce point à l'ordre du jour de la prochaine réunion, sans modifier les modalités d'organisation prévues par les articles L. 2315-2 et L. 2315-30, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 2312-63 alinéa 2 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. Aux termes de l'article L. 2312-63, alinéas 1 et 2, du code du travail, lorsque le comité social et économique a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise, il peut demander à l'employeur de lui fournir des explications. Cette demande est inscrite de droit à l'ordre du jour de la prochaine séance du comité.
7. Selon l'article L. 2315-30 du même code, l'ordre du jour des réunions du comité social et économique est communiqué par le président aux membres du comité trois jours au moins avant la réunion.
8. Il résulte de ce dernier texte que seuls les membres de la délégation du personnel au comité social et économique peuvent se prévaloir de cette prescription instaurée dans leur intérêt.
9. L'arrêt relève que, selon l'article 4.2, alinéa 3, de l'accord collectif du 5 juillet 2019 relatif à la mise en place du comité social et économique, « l'ordre du jour ainsi que les documents afférents sont communiqués aux membres du CSE au moins cinq jours ouvrables avant la réunion ».
10. Dès lors, la cour d'appel, qui a constaté que, par courriel du 5 novembre 2020, le secrétaire du comité avait demandé au président de lui fournir des explications au vu de la réorganisation envisagée affectant de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise et d'inscrire le déclenchement de la procédure de droit d'alerte à l'ordre du jour de la réunion du 9 novembre 2020, a retenu exactement que c'est à tort que le président du comité avait refusé cette inscription à l'ordre du jour, seuls les membres de la délégation du personnel pouvant se prévaloir du non-respect du délai conventionnel, de sorte que l'absence de mention à l'ordre du jour du 9 novembre 2020 du déclenchement de la procédure de droit d'alerte n'était pas un motif d'irrégularité de la délibération du comité.
11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le groupement d'intérêt économique (GIE) Klesia Adp aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le groupement d'intérêt économique (GIE) Klesia Adp ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille vingt-trois.
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COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 28 juin 2023
M. SOMMER, président
Arrêt n° 774 FS-B
Pourvoi n° T 22-10.293
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 28 JUIN 2023
1°/ La société Catherine Gervason expertise, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ le comité social et économique de la clinique de l'Espérance, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° T 22-10.293 contre le jugement rendu le 16 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre (1re chambre civile), dans le litige les opposant à la société d'exploitation de la clinique de l'Espérance, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ott, conseiller, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de la société Catherine Gervason expertise, du comité social et économique de la clinique de l'Espérance, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société d'exploitation de la clinique de l'Espérance, et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Ott, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Sommé, Bérard, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (président du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, 16 décembre 2021), statuant selon la procédure accélérée au fond, le 13 juillet 2021, le comité social et économique de la clinique de l'Espérance (le comité) a décidé de recourir à une expertise, concernant l'exercice clos au 31 décembre 2020, destinée à l'assister lors des consultations annuelles sur la situation économique et financière de la société d'exploitation de la clinique de l'Espérance (la société) et sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi et a désigné, pour ce faire, la société Catherine Gervason expertise (l'expert).
2. Le 22 juillet 2021, l'expert a notifié à la société une lettre de mission, datée du 20 juillet 2021, portant sur les modalités de son intervention au titre de la politique sociale, des conditions de travail et de l'emploi et une autre lettre de mission, datée du 21 juillet 2021, portant sur ses modalités d'intervention concernant la consultation annuelle sur la situation économique et financière au titre de l'exercice clos au 31 décembre 2020 et de la consultation sur les orientations stratégiques.
3. Le 30 juillet 2021, la société a fait assigner le comité et l'expert devant le président du tribunal judiciaire aux fins de réduire le taux journalier et le coût prévisionnel de l'expertise ainsi que la durée de celle-ci.
Examen du moyen
Sur le premier moyen, en ce qu'il fait grief au jugement de réduire la durée de l'intervention et le coût prévisionnel de l'expertise au titre de la consultation sur la situation économique et financière, et sur le premier moyen, en ce qu'il fait grief au jugement de réduire la durée de l'intervention et le coût prévisionnel de l'expertise au titre de la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi, pris en ses première, troisième, quatrième et cinquième branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, en ce qu'il fait grief au jugement de réduire la durée de l'intervention et le coût prévisionnel de l'expertise au titre de la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi, pris en sa deuxième branche, et sur le second moyen, rédigés en termes identiques, réunis
Enoncé du moyen
5. Par son premier moyen, l'expert fait grief au jugement d'ordonner la réduction de la durée de son intervention au titre de l'expertise qui lui a été confiée par le comité pour l'analyse de la politique sociale, des conditions de travail et de l'emploi pour l'exercice clos le 31 décembre 2020, par délibération du 13 juillet 2021, de fixer son coût prévisionnel à quatre jours soit 4 800 euros HT, sur la base d'un taux journalier de 1 200 euros, et par son second moyen, l'expert fait grief au jugement de le débouter de sa demande tendant à ce qu'il soit fait injonction à la société de lui permettre de conduire les entretiens avec les salariés et de diffuser les questionnaires, alors « que selon les articles L. 2315-82 et L. 2315-83 du code du travail, l'expert a libre accès à l'entreprise pour les besoins de sa mission ; qu'il détermine seul les éléments qu'il estime utiles à l'exercice de cette mission ; qu'il peut dès lors, dans le cadre de l'analyse de la politique sociale, de l'emploi et des conditions de travail, exiger de réaliser des entretiens avec les salariés ; qu'en décidant le contraire au motif inopérant que selon "le guide des missions de l'expert-comptable" des entretiens ne peuvent être réalisés avec les membres du personnel qu'avec l'accord de la direction, le tribunal a violé les articles L. 2315-82 et L. 2315-83 du code du travail. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 2315-82 du code du travail, l'expert-comptable désigné dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi a libre accès dans l'entreprise pour les besoins de sa mission.
7. Aux termes de l'article L. 2315-83 du même code, l'employeur fournit à l'expert les informations nécessaires à l'exercice de sa mission.
8. Il résulte de ces dispositions que l'expert-comptable, désigné dans le cadre de la consultation sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi, s'il considère que l'audition de certains salariés de l'entreprise est utile à l'accomplissement de sa mission, ne peut y procéder qu'à la condition d'obtenir l'accord exprès de l'employeur et des salariés concernés.
9. Ayant constaté d'une part que, selon la lettre de mission, l'intervention de l'expert-comptable au titre de l'analyse de la politique sociale, des conditions de travail et de l'emploi portait limitativement sur les conditions de travail et devait être exclusivement réalisée au moyen d'entretiens avec les salariés prévus sur cinq à six jours en prévoyant de réaliser des entretiens avec vingt-cinq salariés d'une durée de 1h30 chacun avec un battement de quinze minutes entre chaque entretien, soit un total de cinq entretiens sur cinq à six jours, d'autre part que l'employeur s'était opposé à ces entretiens, le président du tribunal en a exactement déduit que devait être rejetée la demande de l'expert-comptable tendant à faire injonction à l'employeur de lui permettre de conduire lesdits entretiens de sorte que le nombre de jours prévus pour l'expertise devait être réduit.
10. Par ailleurs, après avoir apprécié la valeur et la portée des pièces produites, le président du tribunal a souverainement estimé la durée prévisionnelle et le coût prévisionnel de l'expertise en fonction de la mission confiée à l'expert.
11. Les moyens, en ce qu'ils critiquent des motifs surabondants faisant référence au guide des missions de l'expert-comptable, ne peuvent, dès lors, être accueillis.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Catherine Gervason expertise et le comité social et économique de la clinique de l'Espérance aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille vingt-trois.
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N° F 22-80.317 F-B
21 JUIN 2023
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 JUIN 2023
M. [D] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'assises de la Gironde, en date du 17 décembre 2021, qui, pour viols et violences, aggravés, arrestation et séquestration arbitraire, l'a condamné à treize ans de réclusion criminelle, une interdiction définitive du territoire national, quinze ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, dix ans d'inéligibilité et une confiscation.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Leprieur, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [D] [J], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Leprieur, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [D] [J] a été mis en accusation devant la cour d'assises de la Dordogne des chefs de viols aggravés et délits connexes.
3. Par arrêt pénal du 24 septembre 2020, ladite cour d'assises l'a condamné à douze ans de réclusion criminelle, cinq ans de suivi socio-judiciaire et cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation.
4. L'accusé et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et quatrième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que, par arrêt incident du 16 décembre 2021, la cour a rejeté les conclusions de la défense qui, s'opposant à ce qu'il soit passé outre aux débats à l'absence du témoin, tendaient au renvoi de l'affaire, alors :
« 1°/ que tout arrêt rendu sur un incident contentieux doit, à peine de nullité, être motivé ; en rejetant la demande de renvoi au motif que la comparution du témoin à une autre session, absent de son domicile pour un motif inconnu et n'ayant pu être localisé le 16 décembre 2021, « demeurerait incertaine », la cour a statué par un motif hypothétique, et violé l'article 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que tout accusé a le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge et à décharge ; les conclusions faisaient expressément valoir qu'en l'absence de ce témoin, la cause de Monsieur [D] [J] ne saurait être entendue équitablement, ce dernier ne pouvant poser à Monsieur [F] [L] des questions essentielles à sa défense ; en affirmant « qu'au vu des résultats de l'instruction orale à laquelle il a été procédé, l'audition de ce témoin n'est pas indispensable à la manifestation de la vérité », la cour ne justifie pas mieux sa décision dès lors que cette nécessité ne peut être appréciée qu'au vu des questions qui seront posées au témoin et de ses réponses, ce que la juridiction ne connaissait pas quand elle a écarté la nécessité de cette audition ; la cour a statué par un motif inopérant et violé l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6, § 3, d) de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
7. Pour rejeter la demande de renvoi présentée par la défense en raison de l'absence d'un témoin, l'arrêt incident du 16 décembre 2021 relève que les investigations entreprises pour le localiser sont demeurées vaines et que la cour se trouve dans l'impossibilité d'assurer sa comparution.
8. Les juges en déduisent que la nécessité de juger l'accusé dans un délai raisonnable s'oppose à ce que l'affaire soit renvoyée à une autre session, à laquelle la comparution du témoin demeurerait incertaine.
9. La cour ajoute qu'au vu des résultats de l'instruction orale à laquelle il a été procédé, l'audition de ce témoin n'est pas indispensable à la manifestation de la vérité.
10. En l'état de ces énonciations, dénuées de caractère hypothétique, la cour, qui a souverainement apprécié qu'au vu de l'instruction orale à laquelle il avait été procédé, l'audition de ce témoin n'apparaissait pas nécessaire à la manifestation de la vérité, a justifié sa décision, sans méconnaître les textes visés au moyen.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que, par arrêt incident du 17 décembre 2021, la cour a, rejetant la demande de visionnage avant la clôture des débats des vidéos du passage à l'hôtel de l'accusé et de la partie civile, décidé que ne seront projetées que les photographies tirées de cet enregistrement, alors :
« 1°/ que tout arrêt rendu sur un incident contentieux doit, à peine de nullité, être motivé ; en rejetant la demande de visionnage formulée au cours des débats, au motif que le complément d'information sollicité est tardif, sans constater une impossibilité technique de procéder à ce visionnage à l'audience avant la clôture des débats ni exposer en quoi la demande serait tardive, l'arrêt ne satisfait pas aux exigences de l'article 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'en retenant que « la cour est en mesure de s'assurer que le complément d'information sollicité est (?) inutile à la manifestation de la vérité » mais « qu'en revanche, et pour satisfaire au principe de la demande formée par la défense, la cour décide que seront projetées les photographies cotées Dl 15 tirées de l'enregistrement vidéo du passage à l'hôtel de l'accusé et de la victime partie civile », la cour, qui s'est contredite, a derechef violé l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
12. Pour rejeter la demande, adressée à la cour et tendant au visionnage de vidéos placées sous scellés, l'arrêt incident du 17 décembre 2021 retient que l'instruction à l'audience a permis la complète audition de l'accusé, des témoins et des experts et que la cour est en mesure de s'assurer que le complément d'information sollicité est non seulement tardif mais également inutile à la manifestation de la vérité.
13. L'arrêt ajoute qu'en revanche, et pour satisfaire au principe de la demande formée par la défense, seront projetées les photographies tirées de l'enregistrement vidéo dont il est demandé le visionnage.
14. En l'état de ces énonciations, et abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant relatif au caractère tardif de la demande, la cour a justifié sa décision.
15. En effet, la cour, saisie de conclusions tendant à la diffusion d'un enregistrement, apprécie souverainement si la mesure sollicitée est utile à la manifestation de la vérité.
16. Ainsi, le droit pour l'accusé d'obtenir, s'il le demande, la présentation des pièces à conviction sur le fondement de l'article 341 du code de procédure pénale, n'implique pas le droit à la diffusion des enregistrements sonores, visuels ou audiovisuels, placés sous scellés.
17. Le moyen doit dès lors être écarté.
18. Par ailleurs, la procédure est régulière et la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la cour et le jury.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-et-un juin deux mille vingt-trois.
A rapprocher :Crim., 24 mars 1993, pourvoi n° 92-81.700, Bull. crim. 1993, n° 131 (rejet).
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N° X 22-85.530 F-B
21 JUIN 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 JUIN 2023
Le procureur général près la cour d'appel de Rouen a formé un pourvoi contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 5 septembre 2022, qui, après relaxe de M. [P] [J] pour conduite après usage de stupéfiants, l'a condamné à 400 euros d'amende dont 300 euros avec sursis, pour contravention au code de la route.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Guerrini, conseiller référendaire, et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Guerrini, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Par jugement du 21 janvier 2021, le tribunal correctionnel a déclaré M. [P] [J] coupable de conduite d'un véhicule en ayant fait usage de produits stupéfiants, et excès de vitesse d'au moins 40 km/h et inférieur à 50 km/h, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis, à six mois de suspension du permis de conduire, ainsi qu'à 50 euros d'amende.
3. M. [J] a relevé appel de cette décision, le ministère public a formé appel incident.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen est pris de la violation de l'article L. 235-1 du code de la route.
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [J] du chef de conduite après usage de stupéfiants, au motif que l'expertise toxicologique ne mentionne pas de taux de tétrahydrocannabinol (THC), et qu'il n'a pas été recherché si le cannabidiol (CBD) que l'intéressé indiquait avoir consommé excédait la teneur admise en THC, alors que l'article L. 235-1 du code de la route incrimine le seul fait de conduire après avoir fait usage de stupéfiants, sans qu'il soit fait référence à un dosage de stupéfiants à établir lors des analyses biologiques du prélèvement salivaire ou sanguin du contrevenant. En effet l'arrêté du 13 décembre 2016 en vigueur au moment des faits, qui fixe les modalités du dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants, et des analyses et examens prévus par le code de la route, mentionne un seuil de détection et non un seuil d'incrimination. Par ailleurs, conformément aux dispositions de l'article L. 235-2 du code la route, l'usage de stupéfiants ne peut être établi qu'au moyen d'analyses sanguine ou salivaire à l'exclusion de toutes autres vérifications telles que la recherche et le dosage de tétrahydrocannabinol pouvant être contenu dans le CBD retrouvé à l'occasion du contrôle routier du contrevenant et pouvant être celui qu'il déclare avoir consommé.
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 235-1 du code de la route et l'annexe IV de l'arrêté du 22 février 1990 modifié, pris pour l'application de l'article L. 5132-7 du code de la santé publique :
6. Le premier de ces textes incrimine le seul fait de conduire après avoir fait usage de stupéfiants, cet usage étant établi par une analyse sanguine ou salivaire, peu important que le taux de produits stupéfiants ainsi révélé soit inférieur au seuil minimum prévu par l'arrêté, en vigueur au moment des faits, fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants, qui est un seuil de détection et non un seuil d'incrimination.
7. Selon le second, le tétrahydrocannabinol est une substance classée comme stupéfiants.
8. Pour relaxer M. [J] du délit de conduite après usage de stupéfiants, l'arrêt attaqué retient que, s'agissant de la présence de cannabis dans la salive, l'expertise toxicologique, qui en fait état, ne mentionne pas de taux de THC, et qu'en outre, aucune investigation n'a été menée afin de savoir si le CBD consommé par l'intéressé dépassait ou non la teneur admise en tétrahydrocannabinol, fixée à moins de 0,20 % à la date des faits.
9. Le juge en conclut qu'il résulte de ces éléments et des déclarations du prévenu, que ni l'élément matériel, ni l'élément intentionnel de l'infraction ne sont établis avec certitude.
10. En prononçant ainsi, alors que l'autorisation de commercialiser certains dérivés du cannabis, dont la teneur en delta 9 tétrahydrocannabinol, substance elle-même classée comme stupéfiant par l'arrêté susvisé, n'est pas supérieure à 0,30 %, est sans incidence sur l'incrimination de conduite après usage de stupéfiants, cette infraction étant constituée s'il est établi que le prévenu a conduit un véhicule après avoir fait usage d'une substance classée comme stupéfiant, peu important la dose absorbée, la cour d'appel a méconnu les textes précités.
11. La cassation est, dès lors, encourue.
Portée et conséquence de la cassation
12. La cassation portera sur les dispositions de l'arrêt ayant relaxé le prévenu du délit de conduite après usage de stupéfiants et toutes les peines prononcées, la déclaration de culpabilité pour l'infraction d'excès de vitesse, non critiquée par le moyen, étant maintenue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 5 septembre 2022, mais en ses seules dispositions ayant relaxé le prévenu du délit de conduite après usage de stupéfiants et celles relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-et-un juin deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047738118.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° X 22-82.701 F-B
21 JUIN 2023
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 JUIN 2023
M. [N] [X], Mme [V] [X] épouse [W], MM. [L] [X], [R] [W], [I] [W], [O] [W] et Mme [T] [E] épouse [W], parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Angers, en date du 6 avril 2022, qui a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction déclarant irrecevable leur constitution de partie civile contre personne non dénommée des chefs d'assassinat, enlèvement, séquestration, tortures et actes de barbarie.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Laurent, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [N] [X], Mme [V] [X] épouse [W], MM. [L] [X], [R] [W], [I] [W], [O] [W] et Mme [T] [E] épouse [W], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 24 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Laurent, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le corps de [S] [W] a été découvert le 25 juin 2002.
3. Une information judiciaire suivie contre personne non dénommée, du chef de meurtre, sur la plainte avec constitution de partie civile de ses parents, s'est achevée par un arrêt confirmatif de non-lieu, rendu par la chambre de l'instruction le 6 avril 2011. Le pourvoi formé contre cette décision a été déclaré non admis le 4 janvier 2012.
4. Le 20 juillet 2021, sept membres de la famille du défunt ont porté plainte, des chefs d'assassinat, enlèvement, séquestration, tortures et actes de barbarie, et se sont constitués partie civile devant le juge d'instruction.
5. Ce magistrat a, par ordonnance du 23 septembre 2021, déclaré leur constitution de partie civile irrecevable.
6. Les parties civiles ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a jugé irrecevable la plainte avec constitution de partie civile des consorts [W], alors « qu'en cas d'information contre personne non dénommée débouchant sur un non-lieu, celui-ci n'a pas autorité de chose jugée, les articles 188 et suivants du code de procédure pénale sont inapplicables, le dépôt ultérieur d'une plainte avec constitution de partie civile portant sur les mêmes faits ne tend pas à la réouverture de l'information pour charges nouvelles, et un réquisitoire à cette fin du ministère public n'est pas une condition nécessaire à la recevabilité d'une telle plainte ; qu'en l'état de l'information contre personne non dénommée clôturée par l'ordonnance de non-lieu du 20 décembre 2010, en jugeant que la plainte avec constitution de partie civile des exposants était irrecevable faute de réquisitoire du ministère public aux fins de réouverture de l'information pour charges nouvelles, la chambre de l'instruction a violé les articles 188 à 190 du code de procédure pénale et les règles régissant l'autorité de chose jugée. »
Réponse de la Cour
8. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction, l'arrêt attaqué retient qu'en application des dispositions de l'article 190 du code de procédure pénale, il appartient au ministère public seul de décider s'il y a lieu de requérir la réouverture sur charges nouvelles d'une information clôturée par une décision de non-lieu, même si ladite information avait été suivie contre personne non dénommée.
9. C'est à tort que la chambre de l'instruction a fondé sa décision sur l'article 190 du code de procédure pénale, alors que ce texte n'est applicable qu'à la réouverture d'une information clôturée par une ordonnance de non-lieu, rendue par le juge d'instruction.
10. La cassation n'est cependant pas encourue.
11. En effet, lorsque l'information judiciaire précédemment suivie a été clôturée par un arrêt de non-lieu, rendu par la chambre de l'instruction, le juge d'instruction ne peut être de nouveau saisi, que ce soit par le procureur de la République ou par les parties civiles. En application des dispositions de l'article 196 du code de procédure pénale, le procureur général a compétence exclusive pour soumettre à la chambre de l'instruction, seule habilitée à en apprécier la valeur, les pièces lui paraissant contenir des charges nouvelles, au sens de l'article 189 du même code. Les dispositions de l'article 196 précité s'appliquent que l'arrêt de non-lieu ait clôturé une information suivie contre personne dénommée ou non dénommée.
12. Dès lors, le moyen doit être écarté.
13. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047805098.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 23-82.364 F-B
27 JUIN 2023
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 27 JUIN 2023
M. [X] [T] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Toulouse, en date du 21 avril 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, a déclaré irrecevable son appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [X] [T], et les conclusions de M. Desportes, premier avocat général, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 27 juin 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Joly, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, M. Desportes, premier avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [X] [T] a été mis en examen des chefs précités et placé en détention provisoire.
3. Le 22 mars 2023, le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de sa détention.
4. M. [T] a formé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable l'appel de l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire de M. [T] en date du 3 avril 2023 formé par Mme Molton, avocat substituant M. Parra-Bruguière, avocat, alors :
« 1°/ que selon les dispositions de l'article 502 du code de procédure pénale, la déclaration d'appel doit être signée par le greffier et par l'appelant lui-même « ou par un avocat » ou un fondé de pouvoir spécial ; dans ce dernier cas, le pouvoir est annexé à l'acte dressé par le greffier ; que s'agissant de l'appel des ordonnances du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention, l'article 186 du code de procédure pénale prévoit que l'appel doit être formé « dans les conditions et selon les modalités prévues par les articles 502 et 503 » ; qu'en exigeant en outre que l'appel soit formé par un avocat désigné dans les conditions de l'article 115 du code de procédure pénale, ce que n'aurait plus été maître Parra-Bruguière le jour de l'appel, la chambre de l'instruction a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, excédé ses pouvoirs et violé les dispositions des articles 502 et 503, 186 du code de procédure pénale et 115 du même code par fausse application ;
2°/ qu'à supposer que l'article 115 du code de procédure pénale puisse en la matière trouver une quelconque application, lorsque le changement de désignation d'avocat a lieu pendant le délai d'appel, l'avocat premier désigné qui a reçu la notification de l'ordonnance de première instance est recevable pendant tout le délai à interjeter appel, nonobstant la nouvelle désignation intervenue ; en l'espèce, l'appel interjeté le 3 avril 2023 dans le délai expirant le 1er avril (reporté en raison du week-end) par l'avocat désigné qui assistait le mis en examen devant le juge des libertés et de la détention et qui a reçu notification de l'ordonnance, a été régulièrement formé et était recevable, nonobstant l'intervention d'une nouvelle désignation d'avocat le 31 mars ; la chambre de l'instruction a encore violé les droits de la défense et les textes précités ;
3°/ que comme l'a jugé récemment la chambre criminelle de la Cour de cassation, la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties ; que si le droit d'exercer un recours est soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant les règles de procédure, éviter un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure et au droit d'interjeter appel ; que tel est le cas lorsqu'appliquant les règles de désignation des avocats de l'article 115 du code de procédure pénale à la procédure d'appel, la chambre de l'instruction considère irrecevable l'appel interjeté par l'avocat désigné par le prévenu en première instance qui a reçu notification de la décision entreprise parce qu'il a été ultérieurement et transitoirement « remplacé » par la désignation d'un autre avocat, maître Harir, méconnaissant ainsi les articles préliminaire au code de procédure pénale et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, ainsi que les droits de la défense. »
Réponse de la Cour
6. Pour déclarer irrecevable l'appel formé contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant prolongé sa détention provisoire, l'arrêt attaqué énonce que le 31 mars 2023, M. [T] a, par déclaration au greffe de la maison d'arrêt, procédé à un changement d'avocat, désignant M. Said Harir en remplacement de M. Alexandre Parra-Bruguière, avocat qui l'assistait jusqu'alors.
7. Les juges ajoutent que cette désignation a été adressée par courrier électronique au cabinet du juge d'instruction le 31 mars 2023 à 16 heures 45.
8. Ils rappellent que le 3 avril 2023, Mme Lucile Molton, avocat substituant M. Parra-Bruguière, a interjeté appel de l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire de M. [T].
9. Ils indiquent que M. Parra-Bruguière ne pouvait agir utilement ainsi pour le compte de M. [T] le 3 avril 2023, n'étant plus son conseil dans le cadre de l'information judiciaire suite à la révocation explicite de son mandat adressée au juge d'instruction.
10. Ils considèrent que le fait que M. Parra-Bruguière soit à nouveau le conseil de M. [T] dans le cadre de l'information judiciaire, selon déclaration en date du 12 avril 2023, est sans effet sur son défaut de désignation au jour de l'appel.
11. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
12. En effet, d'une part, il résulte des articles 115 et 502 du code de procédure pénale que, si l'avocat qui fait une déclaration d'appel n'est pas tenu de produire un pouvoir spécial, il ne peut exercer ce recours, au stade de l'information, qu'à la condition, d'abord, que la partie concernée ait préalablement fait choix de cet avocat et en ait informé le juge d'instruction et, ensuite, qu'au moment où l'appel est formé, ce choix n'ait pas été révoqué en désignant un autre avocat pour le remplacer.
13. D'autre part, les conditions restrictives résultant des dispositions de l'article 115 du code de procédure pénale, qui ne sont pas incompatibles avec celles de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, sont la contrepartie des droits procéduraux particuliers réservés à l'avocat désigné dans le cadre de l'instruction et tendent à assurer la sécurité juridique de la procédure, le formalisme exigé étant nécessaire et proportionné au but poursuivi.
14. Il en résulte que M. [T], qui pouvait en tout état de cause former appel lui-même et à qui il appartenait de prendre toutes dispositions utiles pour que l'avocat qui a formé appel soit celui désigné conformément aux dispositions susvisées, n'est pas fondé à se plaindre d'un formalisme excessif.
15. Ainsi, le moyen doit être écarté.
16. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept juin deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047636261.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° E 22-87.124 F-B
31 MAI 2023
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 31 MAI 2023
M. [D] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 18e chambre, en date du 21 novembre 2022, qui, pour contravention au code de la route, l'a condamné à 400 euros d'amende.
Un mémoire personnel a été produit.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Un véhicule immatriculé au nom de M. [D] [W] a été verbalisé alors qu'il circulait à une vitesse excessive.
3. Sur sa requête en exonération de l'amende forfaitaire, l'intéressé a été cité devant le tribunal de police, qui l'a déclaré coupable du chef d'excès de vitesse.
4. M. [W] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième, troisième, quatrième et cinquième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le sixième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 495, 496 et suivants, 541, 707-6 du code de procédure pénale, 132-19 du code pénal, L. 121-3 du code de la route et du principe du droit à un procès équitable.
7. Le moyen, en substance, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il fixe à 400 euros le montant de l'amende dont M. [W] est déclaré redevable pécuniairement, alors :
1°/ que la cour d'appel ne peut pas, après avoir relaxé le prévenu du chef d'excès de vitesse, déclarer l'intéressé redevable pécuniairement d'une amende d'un montant supérieur à celui de l'amende prononcée par le premier juge ;
2°/ que les juges ne peuvent en tout état de cause procéder à une telle aggravation sans la motiver.
Réponse de la Cour
8. Pour déclarer M. [W] pécuniairement redevable d'une amende de 400 euros, l'arrêt attaqué énonce que l'amende sera fixée à ce montant.
9. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision, sans méconnaître aucun des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.
10. En premier lieu, il résulte de l'article 515, alinéa 1er, du code de procédure pénale que les juges peuvent, sur l'appel du ministère public, infirmer en tout ou partie le premier jugement, dans un sens favorable ou défavorable au prévenu.
11. En second lieu, il se déduit de l'article L. 121-3 du code de la route que les juges qui déclarent le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule redevable pécuniairement de l'amende encourue pour les infractions visées par ce texte doivent motiver leur décision au regard des ressources et charges de l'intéressé.
12. Cependant, la cour d'appel, devant laquelle M. [W] n'a fourni aucune information sur ce point, n'avait pas à rechercher d'autres éléments que ceux qui lui étaient produits.
13. En conséquence, le moyen doit être écarté.
14. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un mai deux mille vingt-trois.
Sur les ressources et charges à considérer pour le prononcé d'une amende, à rapprocher :Crim., 10 mai 2023, pourvoi n° 22-80.375, Bull. crim. (cassation partielle), et les arrêts cités ;Crim., 15 mars 2017, pourvoi n° 16-83.838, Bull. crim. 2017, n° 73 (cassation partielle), et les arrêts cités ;Crim., 12 décembre 2017, pourvoi n° 16-87.230, Bull. crim. 2017, n° 286 (rejet), et l'arrêt cité ;Crim., 30 mai 2018, pourvoi n° 16-85.777, Bull. crim. 2018, n° 106 (2) (rejet), et l'arrêt cité ;Crim., 9 janvier 2018, pourvoi n° 17-80.200, Bull. crim. 2018, n° 5 (cassation partielle) ;Crim., 27 juin 2018, pourvoi n° 16-87.009, Bull. crim. 2018, n° 128 (cassation partielle et désignation de juridiction).
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CASS/JURITEXT000047781101.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° G 22-84.804 FS-B
27 JUIN 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 27 JUIN 2023
M. [V] [D] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 3 mars 2022, qui, pour infractions au code de l'urbanisme et au code de l'environnement, l'a condamné à 3 000 euros d'amende, a ordonné la remise en état des lieux sous astreinte et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de M. [V] [D], les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la commune de [Localité 2], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, M. Samuel, Mme Goanvic, MM. Sottet, Coirre, Mme Hairon, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Charmoillaux, conseillers référendaires, M. Lemoine, avocat général, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [V] [D], propriétaire de parcelles situées sur le territoire de la commune de [Localité 2], a été poursuivi des chefs d'exécution de travaux non autorisés par un permis de construire, construction ou aménagement dans une zone interdite par un plan de prévention des risques naturels, infraction au plan local d'urbanisme et poursuite de travaux malgré arrêté interruptif.
3. Le juge du premier degré l'a déclaré coupable de l'ensemble des faits objet de la prévention, l'a condamné à 5 000 euros d'amende, a ordonné la remise en état des lieux sous astreinte et a prononcé sur les intérêts civils.
4. M. [D] et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [D] à une peine d'amende de 3 000 euros et a ordonné la mise en conformité des lieux et la démolition des seuls ouvrages irréguliers exécutés sur la parcelle cadastrée section H n° [Cadastre 1] dans un délai de six mois à compter du prononcé du présent arrêt sous astreinte de 50 euros par jour de retard, alors :
« 1°/ que toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; que pour condamner M. [D] au paiement d'une peine d'amende de 3.000 euros et à une peine complémentaire de démolition des ouvrages irréguliers, l'arrêt attaqué se borne à énoncer qu' « en considération de ce qui précède et des ressources du prévenu, dirigeant d'une société de travaux publics, il y a lieu d'infirmer le jugement dont appel sur la peine principale d'amende qui sera réduite à hauteur de 3.000 euros » et qu' « au titre de la peine complémentaire, il n'y a lieu de confirmer la mise en conformité des lieux et la démolition des seuls ouvrages irréguliers exécutés sur la parcelle cadastrée section H n° [Cadastre 1] sous la même astreinte (?) » ; qu'en statuant ainsi, sans préciser en quoi la gravité des faits, la personnalité et la situation personnelle de M. [D] auraient justifié le prononcé d'une telle amende et d'une telle peine complémentaire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 485-1 et 512 du code de procédure pénale, ensemble l'article 132-1 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen en ce qu'il concerne la remise en état
7. En ordonnant la remise en état des lieux, qui ne constitue pas une peine mais une mesure à caractère réel destinée à faire cesser une situation illicite, les juges d'appel n'ont fait qu'user de la faculté que leur accorde l'article L. 480-5 du code de l'urbanisme.
8. Ainsi, le grief doit être écarté.
Sur le moyen en ce qu'il concerne la peine d'amende
Vu les articles 132-1 du code pénal, 485, 485-1, 512 et 593 du code de procédure pénale :
9. En matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale.
10. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
11. Pour condamner M. [D] à 3 000 euros d'amende, l'arrêt attaqué se borne à statuer en considération des dispositions de l'article 132-20 du code pénal et des ressources du prévenu, dirigeant d'une société de travaux publics.
12. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui n'a pas motivé le choix de cette peine au regard des circonstances de l'infraction, n'a pas justifié sa décision.
13. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation sera limitée à la peine d'amende, dès lors que la déclaration de culpabilité et la mesure de remise en état n'encourent pas la censure, les dispositions civiles de l'arrêt attaqué n'étant par ailleurs pas critiquées. Les autres dispositions seront donc maintenues.
Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale
15. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. La déclaration de culpabilité de M. [D] étant devenue définitive par suite de la non-admission des premier et deuxième moyens, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nîmes, en date du 3 mars 2022, mais en ses seules dispositions relatives à la peine d'amende, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
FIXE à 2 500 euros la somme que M. [V] [D] devra payer à la commune de [Localité 2] au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nîmes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept juin deux mille vingt-trois.
Sur les ressources et charges à considérer pour le prononcé d'une amende, à rapprocher :Crim., 31 mai 2023, pourvoi n° 22-87.124, Bull. crim. 2023 (rejet), et les arrêts cités.
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N° H 22-86.689 F-B
27 JUIN 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 27 JUIN 2023
M. [L] [R] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Orléans, en date du 10 novembre 2022, qui, dans l'information suivie contre lui du chef d'infractions à la législation sur les stupéfiants, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.
Par ordonnance du 6 février 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [L] [R], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Dans le cadre d'une enquête préliminaire portant sur un trafic de stupéfiants susceptible d'impliquer Mme [S] [U] et M. [L] [R], son ami, détenu au centre pénitentiaire d'[Localité 1]-[Localité 2], le procureur de la République a donné pour instruction à l'officier de police judiciaire de requérir de l'administration pénitentiaire la communication des enregistrements des conversations téléphoniques de plusieurs personnes détenues, dont M. [R], réalisés en application des dispositions de l'article 727-1 du code de procédure pénale.
3. Mis en examen du chef susvisé, M. [R] a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation de diverses pièces de la procédure, dont les écoutes réalisées par l'administration pénitentiaire.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit la requête en nullité non fondée et dit n'y avoir lieu à annulation d'actes de la procédure, alors « que par mémoire distinct, il est sollicité le renvoi au Conseil constitutionnel de questions prioritaires de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, et en particulier au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au droit à l'accès au juge garanti par l'article 16 de cette Déclaration, des articles L. 223-1 à L. 223-5 du code pénitentiaire, et 727-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction en vigueur du 25 mars 2019 au 1er mai 2022 ; que l'abrogation de ces textes, en vertu desquels ont été recueillis, conservés, exploités et transmis les données et enregistrements concernant Monsieur [R], entraînera la cassation de l'arrêt. »
Réponse de la Cour
5. La Cour de cassation ayant, par arrêt du 31 mai 2023, dit n'y avoir lieu à renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité, le grief est devenu sans objet.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit la requête en nullité non fondée et dit n'y avoir lieu à annulation d'actes de la procédure, alors :
« 1°/ que la personne mise en examen est recevable à invoquer devant la chambre de l'instruction l'irrégularité des interceptions et enregistrements téléphoniques réalisés, en détention, en application de l'article 727-1 du code de procédure pénale, dès lors que ces interceptions et enregistrements sont versés au dossier ; qu'elle est, en particulier, recevable à contester la régularité de la conservation des données personnelles et de l'accès à ces données, ainsi que celle de l'autorisation et de la mise en oeuvre de ces interceptions et enregistrements ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [R] faisait valoir que la conservation des données téléphoniques et des enregistrements de ses conversations était irrégulière, faute pour lui de pouvoir s'assurer, en l'absence de versement en procédure d'éléments à ce propos, que cette mesure avait été autorisée par le ministre de la justice et mise en oeuvre par des agents de l'administration pénitentiaire individuellement désignés et habilités à cette fin ; qu'en affirmant, pour écarter ce moyen, qu'elle « ne saurait se prononcer sur l'annulation d'écoutes administratives versées dans une procédure judiciaire, qui ne constituent pas un acte ou une pièce de la procédure au sens de l'article 173 du code de procédure pénale », la chambre de l'instruction a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les articles 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 233-1 à L 233-5 du code pénitentiaire préliminaire, 727-1 ancien du code de procédure pénale, 591 et 593 du code de procédure pénale ; »
Réponse de la Cour
Vu les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme :
7. En application du droit à un recours juridictionnel effectif, la chambre de l'instruction est compétente, dans le cadre du contentieux des nullités, pour apprécier la régularité d'interceptions téléphoniques administratives réalisées au sein d'un établissement pénitentiaire dès lors qu'elles ont été versées à une procédure pénale.
8. Pour dire n'y avoir lieu à annulation des écoutes opérées par l'administration pénitentiaire, l'arrêt attaqué énonce que la chambre de l'instruction ne saurait se prononcer sur la régularité d'écoutes administratives versées dans une procédure judiciaire, qui ne constituent pas un acte ou une pièce de la procédure au sens de l'article 173 du code de procédure pénale.
9. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
10. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.
Portée et conséquences de la cassation
11. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la demande d'annulation des écoutes effectuées par l'administration pénitentiaire et des actes subséquents.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Orléans, en date du 10 novembre 2022, mais en ses seules dispositions relatives à la demande d'annulation des écoutes effectuées par l'administration pénitentiaire et des actes subséquents, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Orléans et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept juin deux mille vingt-trois.
Sur le contrôle de la régularité d'un acte accompli dans une procédure distincte, à rapprocher :Crim., 9 décembre 2015, pourvoi n° 15-82.300, Bull. crim. 2015, n° 283 (rejet) ;Crim., 19 janvier 2016, pourvoi n° 15-81.041, Bull. crim. 2016, n° 14 (rejet), et les arrêts cités.
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N° Q 22-83.338 F-B
27 JUIN 2023
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 27 JUIN 2023
Mme [W] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 4-10, en date du 17 mars 2021, qui, pour pratiques commerciales trompeuses, l'a condamnée à deux-cents jours-amende de 1 000 euros et dix ans d'interdiction de gérer, a ordonné la publication de la décision et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [W] [H], les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [N] [E], les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de l'[6], les observations de la SCP Le Griel, avocat de Mme [L] [B], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société [1] ([1]), dirigée par Mme [W] [H], exploitant plusieurs enseignes ou marques parmi lesquelles « [2] », « [4] » et « [5] », organisait des jeux-concours destinés aux consommateurs, consistant en des loteries avec pré-tirage ou post-tirage.
3. Saisie par le procureur de la République, mais aussi directement destinataire des réclamations de consommateurs, la [3] ([3]) a mené une enquête sur les pratiques commerciales de la société [1], à l'issue de laquelle Mme [H] a été poursuivie du chef de pratiques commerciales trompeuses.
4. Les juges du premier degré l'ont déclarée coupable, condamnée à 90 000 euros d'amende, ont ordonné la publication de la décision et prononcé sur les intérêts civils.
5. L'association [6] ([6]), M. [K] [I], parties civiles, et Mme [H] ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches, et les deuxième, troisième, quatrième, cinquième et septième moyens
6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il n'a que partiellement fait droit aux exceptions de nullité que soulevait Mme [H], alors :
« 2°/ qu'en se bornant pour écarter le moyen tiré de la déloyauté du recours au procédé du client mystère, à retenir que cette méthode d'investigation avait été consacrée par la loi Hamon du 17 mars 2014 (arrêt, p. 17), sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions in limine litis n° 3, p. 9) et selon les circonstances propres à l'espèce, si le recours à cette méthode n'avait pas consisté en un stratagème de nature à vicier la recherche de la preuve, la cour d'appel a méconnu le principe de loyauté de la preuve, l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article préliminaire du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour rejeter l'exception de nullité tirée du recours à la méthode du client mystère, l'arrêt attaqué énonce, notamment, que les courriers transmis par les plaignants ayant été ouverts avant de parvenir à la [3], des éléments étant susceptibles d'être manquants, d'autres étant raturés, surlignés ou photocopiés, et afin d'éviter de fausser leur étude, une commande de madeleines a été passée sur le site internet de « [2] », le 2 octobre 2015, sous l'identité de M. [P], directeur départemental, en mentionnant ses coordonnées téléphoniques professionnelles et l'adresse du service.
9. Les juges ajoutent qu'il n'est pas démontré que le défaut d'impartialité qui résulterait des méthodes d'enquête utilisées par la [3] ait eu pour effet de porter atteinte au caractère équitable et contradictoire de la procédure ou de compromettre l'équilibre des droits des parties.
10. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a fait l'exacte application des principes et textes visés au moyen.
11. En effet, les enquêteurs ont eu recours à un procédé conforme aux dispositions des articles L. 215-3-4 du code de la consommation, en vigueur jusqu'au 1er juillet 2016, et L. 512-16 du même code, applicable depuis cette date, sans provoquer l'infraction et sans contournement ni détournement de procédure ayant pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l'un des droits essentiels ou à l'une des garanties fondamentales de Mme [H].
12. Ainsi le moyen n'est pas fondé.
Mais sur le sixième moyen
Enoncé du moyen
13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné Mme [H] à une peine complémentaire d'interdiction de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale pendant une durée de dix ans, alors « qu'il découle du principe de légalité des peines que les juges ne sauraient prononcer une peine non prévue par la loi ; qu'en prononçant une interdiction de gérer d'une durée de dix ans lorsque cette interdiction excède le maximum prévu par la loi, fixé à cinq ans par l'article L. 121-6 du code de la consommation, devenu l'article L. 132-3, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble les articles 7 de la Convention européenne des droits de l'homme et 111-3 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 111-3 du code pénal :
14. Selon ce texte, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.
15. Après avoir déclaré Mme [H] coupable de pratiques commerciales trompeuses, l'arrêt attaqué l'a condamnée à dix ans d'interdiction de gérer.
16. En prononçant ainsi une peine excédant le maximum prévu par les articles L. 121-6, dans sa rédaction antérieure au 1er juillet 2016, et L. 132-3 du code de la consommation réprimant le délit reproché, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation sera limitée à la peine d'interdiction de gérer, dès lors que la déclaration de culpabilité et la peine de jours-amende n'encourent pas la censure. Elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
Examen des demandes fondées sur l'article 618-1 du code de procédure pénale
19. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. La déclaration de culpabilité de Mme [H] étant devenue définitive par suite de la non-admission ou du rejet des premier à cinquième moyens, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 17 mars 2021, mais en ses seules dispositions relatives à la peine d'interdiction de gérer, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT que la peine complémentaire prononcée à l'encontre de Mme [H] est l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale, pour une durée de cinq ans ;
FIXE à 2 500 euros la somme que Mme [H] devra payer à l'[6] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que Mme [H] devra payer à M. [N] [E] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 2 500 euros la somme que Mme [H] devra payer à la SCP Le Griel en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale et de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1991 modifiée ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept juin deux mille vingt-trois.
Ass. plén., 9 décembre 2019, pourvoi n° 18-86.767, Bull. crim. (rejet), et les arrêts cités.
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N° P 22-83.406 FS-B
27 JUIN 2023
CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 27 JUIN 2023
Mme [F] [E] et le rectorat de l'académie de [Localité 1], civilement responsable, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 3 mai 2022, qui, pour homicide involontaire, a condamné la première à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [F] [E] et du rectorat de l'académie de [Localité 1], les observations de Me Balat, avocat de Mme [X] [T] et M. [Y] [T], tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de [P] [T], Mme [M] [T] et M. [R] [T], et les conclusions de M. Aldebert, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, M. Samuel, Mme Goanvic, MM. Sottet, Coirre, Mme Hairon, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Charmoillaux, conseillers référendaires, et M. Aldebert, avocat général, Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Le 8 janvier 2015, [S] [C], élève de la classe de Mme [F] [E], a poussé par la fenêtre la jeune [K] [T], provoquant son décès.
3. Mme [E] a été renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef d'homicide involontaire.
4. Les juges du premier degré l'ont relaxée et ont déclaré irrecevable la constitution de partie civile des parents, frère et soeurs de [K] [T].
5. Le procureur de la République et les consorts [T] ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions d'irrecevabilité et d'incompétence soulevées par le rectorat d'académie de [Localité 1], déclaré recevables les constitutions de parties civiles des consorts [T] contre l'Etat français, déclaré l'Etat français responsable des dommages causés aux consorts [T] et condamné l'Etat français, représenté par le rectorat d'académie de [Localité 1] au paiement de diverses sommes, alors « que l'action indemnitaire dirigée contre les membres de l'enseignement public en vertu de l'article L. 911-4 du code de l'éducation se prescrit par trois ans à partir du jour de la commission du fait dommageable ; qu'au cas d'espèce le Rectorat d'Académie de [Localité 1] faisait valoir que les demandes présentées à son encontre étaient prescrites faute pour lui (et même pour le Préfet) d'avoir été cité dans les trois ans suivant l'accident pour lequel la responsabilité de Madame [J] était recherchée ; qu'en affirmant, pour écarter cette fin de non-recevoir et faire droit aux demandes indemnitaires des parties civiles à l'encontre du Rectorat, que « l'action civile qui a été exercée devant la juridiction répressive par les consorts [T] se prescrit selon les règles de l'action publique, de sorte que la prescription a été interrompue par les actes d'enquête et d'instruction réalisés à compter du 8 janvier 2015 et jusqu'au 2 août 2018 puis par les citations à comparaître délivrées au civilement responsable les 29 novembre 2019 et 16 mars 2022 » ; quand la prescription de l'action civile ne pouvait résulter que de la citation régulière du civilement responsable devant la juridiction de jugement, la Cour d'appel a violé les articles L. 911-4 du code de l'éducation, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour déclarer recevables les constitutions de partie civile des consorts [T], l'arrêt attaqué énonce que l'action civile, qui a été exercée devant la juridiction répressive, se prescrit selon les règles de l'action publique.
9. Les juges ajoutent que la prescription a été interrompue par les actes d'enquête et d'instruction réalisés du 8 janvier 2015 au 2 août 2018 puis par la citation à comparaître délivrée au civilement responsable le16 mars 2022.
10. En l'état de ces seules énonciations, et dès lors que tout acte de poursuite et d'instruction accompli dans le délai de prescription de l'action publique interrompt la prescription de l'action civile exercée devant la juridiction répressive, non seulement à l'encontre de tous les participants à l'infraction mais encore à l'égard de l'Etat, civilement responsable des faits dommageables commis par les enseignants à raison de leurs fonctions, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.
11. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions d'irrecevabilité et d'incompétence soulevées par le rectorat d'académie de [Localité 1], déclaré recevables les constitutions de parties civiles des consorts [T] contre l'Etat français, déclaré l'Etat français responsable des dommages causés aux consorts [T] et condamné l'Etat français, représenté par le rectorat d'académie de [Localité 1] au paiement de diverses sommes, alors « que l'action civile ne peut être exercée pour la première fois en cause d'appel contre une partie qui n'était pas présente en première instance ; qu'au cas d'espèce, le Rectorat d'Académie de [Localité 1] faisait valoir que la demande présentée par les parties civiles à son encontre pour la première fois en appel et alors qu'il n'avait pas été cité en première instance étaient irrecevables ; qu'en affirmant, pour dire néanmoins cette demande recevable et y faire droit, que « l'Etat français, civilement responsable mis en cause par les parties civiles, était partie en première instance », quand il lui appartenait de rechercher si le Recteur d'Académie, seul contre qui l'action en responsabilité pouvait être engagée en application de l'article L. 911-4 du code de l'éducation, avait été cité en première instance, à défaut de quoi aucune demande ne pouvait être présentée à son encontre pour la première fois en appel, la chambre de l'instruction a violé les articles 3 du code de procédure pénale, ensemble L. 911-4 du code de l'éducation. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 911-4 du code de l'éducation, 3 et 515 du code de procédure pénale :
13. Selon le premier de ces textes, l'action en responsabilité exercée par la victime d'un fait dommageable commis par un enseignant à raison de ses fonctions, par les parents ou les ayants droit de cette victime, intentée contre l'Etat, responsable du dommage, est portée devant le tribunal judiciaire et dirigée contre l'autorité académique compétente.
14. Il résulte des deux derniers qu'en vertu de la règle d'ordre public du double degré de juridiction, une partie ne peut intervenir pour la première fois en cause d'appel.
15. Pour accueillir l'action civile dirigée, devant la cour d'appel, par les consorts [T] contre le rectorat de l'académie de [Localité 1], l'arrêt attaqué retient que l'Etat français, civilement responsable, était partie en première instance.
16. En statuant ainsi, alors que, devant le tribunal correctionnel, les parties civiles avaient dirigé leur action contre le préfet, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.
17. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
18. La cassation, limitée à l'action civile, aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 3 mai 2022, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT irrecevable l'action civile dirigée par les consorts [T] contre le rectorat de l'académie de [Localité 1] ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept juin deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047781270.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° V 22-85.091 FS-B
28 JUIN 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 28 JUIN 2023
Mmes [W] [U] et [Y] [L], parties intervenantes, M. [T] [A] et Mme [H] [U] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 12e chambre, en date du 1er juillet 2022, qui, dans la procédure suivie contre MM. [K] [A] et [T] [A] des chefs de tentative d'escroquerie et blanchiment aggravé, a ordonné des confiscations.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mmes [W] [U], [Y] [L], [H] [U] et de M. [T] [A], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 mai 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, M. Wyon, Mme Piazza, MM. Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, Mme Fouquet, M. Gillis, Mme Chafaï, conseillers référendaires, Mme Viriot-Barrial, avocat général, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [K] [A], M. [T] [A] et Mme [H] [U], notamment, ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel, les deux premiers pour blanchiment aggravé et mise en circulation, détention en vue de la mise en circulation, et transport de monnaie ayant cours légal contrefaisante ou falsifiée, la troisième pour association de malfaiteurs.
3. Par jugement du 18 février 2021, le tribunal a renvoyé Mme [H] [U] des fins de la poursuite, a requalifié les faits de transport, mise en circulation, détention en vue de la mise en circulation de monnaie ayant cours légal en France contrefaisante ou falsifiée, reprochés à M. [T] [A], en tentative d'escroquerie, a déclaré le prévenu coupable de ce délit et de celui de blanchiment aggravé, et l'a condamné à trente-six mois d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis.
4. Le tribunal a par ailleurs requalifié les faits de transport, mise en circulation, détention en vue de la mise en circulation de monnaie ayant cours légal en France contrefaisante ou falsifiée, reprochés à M. [K] [A], en tentative d'escroquerie, et déclaré le prévenu coupable de ce délit et de celui de blanchiment aggravé.
5. En répression des faits commis par M. [K] [A], le tribunal a ordonné la confiscation d'un terrain sur lequel est construit un garage situé [Adresse 2] à [Localité 5] (93), section A n° [Cadastre 1], appartenant en indivision à M. [T] [A] et Mme [Y] [L], et des loyers y afférents.
6. Le tribunal a également ordonné la confiscation d'un véhicule Ford Focus immatriculé [Immatriculation 4] et ses accessoires appartenant à Mme [H] [U], en répression des faits commis par le même prévenu.
7. Enfin, le tribunal a ordonné la confiscation d'un véhicule Mercedes 350 immatriculé [Immatriculation 3] et ses accessoires appartenant à Mme [W] [U], en répression des faits commis par M. [T] [A].
8. M. [T] [A] a interjeté appel de la décision en cantonnant son appel à la confiscation du véhicule Mercedes et de l'immeuble, ainsi que des loyers y afférents.
9. Mme [H] [U] a par ailleurs interjeté appel de la décision en cantonnant son appel à la confiscation du véhicule Ford Focus.
10. Mme [L] est intervenue volontairement pour solliciter la restitution de l'immeuble et des loyers.
11. Mme [W] [U] est par ailleurs intervenue volontairement pour solliciter la restitution du véhicule Mercedes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a été rendu sans que la parole en dernier ait été donnée à la défense de M. [T] [A], prévenu, en violation des articles 460 et 512 du code de procédure pénale et des droits de la défense.
Réponse de la Cour
13. En vertu de l'article 460 du code de procédure pénale, dans le débat pénal devant la chambre des appels correctionnels, le prévenu ou son conseil doivent toujours avoir la parole les derniers.
14. Il ressort des mentions de l'arrêt attaqué que l'avocat de Mme [L], partie intervenante, a eu la parole après l'avocat de M. [T] [A], prévenu.
15. La décision critiquée n'encourt cependant pas la censure.
16. En effet, aucune atteinte n'a été portée aux intérêts de M. [T] [A], dès lors que Mme [L] et ce dernier ont tous deux sollicité la restitution de l'immeuble confisqué en répression des faits commis par M. [K] [A], en invoquant leur qualité commune de tiers indivisaire de celui-ci et en faisant valoir l'un comme l'autre que ce prévenu n'en avait pas la libre disposition, qu'ils étaient de bonne foi et que la confiscation portait une atteinte disproportionnée à leur droit de propriété.
17. Le moyen ne peut dès lors être accueilli.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement en toutes ses dispositions sur les confiscations, et a rejeté l'intervention volontaire de Mme [W] [U] et la requête en intervention volontaire de Mme [L], alors :
« 1°/ qu'hormis le cas où la confiscation, qu'elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui dans sa totalité, constitue le produit ou l'objet de l'infraction, le juge doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé, même s'il s'agit d'un tiers aux poursuites, et ne peut ordonner la confiscation d'un bien indivis qu'après s'être assuré, au besoin d'office, de l'atteinte portée au droit de propriété de chacun des indivisaires au regard de la gravité concrète des faits et de leur situation personnelle ; qu'en affirmant que la confiscation de l'immeuble sis [Adresse 2] à [Localité 5] propriété indivise de M. [T] [A] et de Mme [Y] [L], acquis en 2011, avant les faits reprochés au seul M. [K] [A], uniquement concerné par cette peine de confiscation, et des loyers de cet immeuble, est proportionnée à l'égard de M. [T] [A] « parce qu'il a admis avoir rendu service en acquérant ce bien », et à l'égard de Mme [Y] [L] « qui n'a rien dépensé pour ce bien », sans rechercher concrètement au regard tant de la gravité des faits que de la situation personnelle des intéressés, étant précisé que Mme [L] n'a jamais été visée par les poursuites, et indépendamment des modalités d'acquisition du bien et de son financement éventuel, si la mesure ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété des intéressés, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 du code pénal, 485, 512 et 593 du code de procédure pénale qu'elle a violés ;
2°/ qu'en toute hypothèse, la mauvaise foi d'une personne qui détient un bien n'est pas présumée et ne peut être établie que s'il est démontré que cette personne a participé sciemment ou a eu connaissance de l'infraction sanctionnée par la confiscation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que M. [T] [A] et Mme [Y] [L] ne peuvent être considérés de bonne foi car ils étaient conscients d'avoir servi de prête-nom, l'immeuble étant géré par M. [K] [A], sans pour autant constater soit qu'ils auraient participé à l'infraction sanctionnée par la confiscation, soit qu'ils en auraient eu nécessairement connaissance, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés ;
3°/ que s'agissant de la confiscation du véhicule Mercedes dont la carte grise indique que sa propriétaire est Mme [W] [U], même si son frère, M. [T] [A] l'utilisait et en payait l'assurance et l'entretien, l'arrêt qui indique que Mme [W] [U] « ne démontre pas sa bonne foi », ne sachant pas comment M. [T] [A] avait les moyens de payer ses mensualités et l'entretien du véhicule, a renversé la charge de la preuve de la mauvaise foi de cette personne, qui n'a jamais été poursuivie, et n'a pas davantage établi que Mme [W] [U] connaissait l'activité délictueuse de son frère ou y aurait participé, ni ne justifie du caractère proportionné à son égard de la mesure de confiscation prononcée, méconnaissant le principe de la charge de la preuve et les textes susvisés ;
4°/ que sur la confiscation du véhicule Ford Focus dont la carte grise indique que son propriétaire est Mme [H] [U], l'arrêt affirme que son mari M. [K] [A] en aurait eu la libre disposition, et que Mme [U] n'en serait pas la véritable propriétaire, mais nonobstant les conditions d'acquisition de ce véhicule, qui appartenait officiellement à Mme [U], la cour d'appel n'a pas recherché si celle-ci n'était pas tiers de bonne foi, comme n'ayant pas participé ni n'ayant eu connaissance des activités délictueuses de son mari et n'a pas non plus justifié, à son égard, du caractère proportionné de la confiscation prononcée en violation des textes susvisés. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, en ce qu'il est dirigé à l'encontre de la confiscation de l'immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 5] (93) et des loyers
19. Pour confirmer la confiscation de l'immeuble et des loyers, l'arrêt relève notamment, après avoir énoncé les motifs propres à établir que ceux-ci sont à la libre disposition de M. [K] [A], que M. [T] [A] et Mme [L] ne peuvent être considérés comme étant de bonne foi puisqu'ils étaient bien conscients de servir de prête-nom et que l'immeuble était géré par M. [K] [A] qui leur reversait l'équivalent des mensualités de crédit.
20. Les juges ajoutent que la confiscation est proportionnée à l'égard de M. [T] [A] qui a admis qu'il a rendu service et n'est pas le véritable propriétaire de l'immeuble, de même qu'à l'égard de Mme [L] qui n'a rien dépensé pour ce bien jusqu'à la confiscation, outre le fait que la mesure ne remet pas en cause sa situation financière.
21. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen.
22. En effet, d'une part, elle a établi que M. [T] [A] et Mme [L] savaient que M. [K] [A] était le propriétaire économique réel des biens confisqués, de sorte qu'ils n'étaient pas de bonne foi.
23. D'autre part, elle s'est assurée que la confiscation ne portait pas à leur droit de propriété une atteinte disproportionnée en retenant qu'ils n'étaient pas les propriétaires économiques réels des biens confisqués.
Sur le moyen, en ce qu'il est dirigé à l'encontre de la confiscation du véhicule Mercedes 350 immatriculé [Immatriculation 3] et ses accessoires
24. Pour confirmer la confiscation du véhicule, les juges retiennent, après avoir énoncé les motifs propres à établir que celui-ci est à la libre disposition de M. [T] [A], que Mme [W] [U] ne démontre pas sa bonne foi, ne sachant pas comment M. [A] avait les moyens de payer les mensualités et l'entretien du véhicule.
25. Ils ajoutent que la confiscation est proportionnée car Mme [W] [U] n'est pas la véritable propriétaire du véhicule.
26. En prononçant ainsi, par des motifs dont il se déduit que Mme [W] [U] savait qu'elle n'était pas la propriétaire économique réelle du véhicule, en sorte qu'elle n'était pas de bonne foi, la cour d'appel, qui s'est par ailleurs assurée que la confiscation ne portait pas au droit de propriété de l'intéressée une atteinte disproportionnée, en retenant qu'elle n'était pas la propriétaire économique réelle du bien confisqué, a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen.
Mais sur le moyen, en ce qu'il est dirigé à l'encontre de la confiscation du véhicule Ford Focus immatriculé [Immatriculation 4] et ses accessoires
Vu l'article 131-21, alinéas 1 et 5, du code pénal :
27. Selon ce texte, la peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement.
28. S'il s'agit d'un crime ou d'un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, la confiscation porte également sur les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, lorsque ni le condamné, ni le propriétaire, mis en mesure de s'expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée, n'ont pu en justifier l'origine.
29. Pour confirmer la confiscation du véhicule, l'arrêt retient que la carte grise indique que son propriétaire est Mme [H] [U] mais qu'il ressort des éléments du dossier qu'il est utilisé par MM. [T] et [K] [A], ce dernier n'ayant pas interjeté appel du jugement ayant déclaré qu'il avait la libre disposition du véhicule.
30. Les juges ajoutent que Mme [H] [U] ne donne aucun renseignement sur le financement du véhicule et son entretien.
31. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, pour établir la mauvaise foi de Mme [H] [U], si cette dernière savait que M. [K] [A] était le propriétaire économique réel du véhicule, a insuffisamment justifié sa décision.
32. La cassation est par conséquent encourue.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 1er juillet 2022, mais en ses seules dispositions relatives à la confiscation du véhicule Ford Focus immatriculé [Immatriculation 4] et ses accessoires, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille vingt-trois.
N1>Sur la bonne foi, à rapprocher :Crim., 13 avril 1999, pourvoi n° 97-85.443, Bull. crim. 1999, n° 74 (cassation) ;Crim., 15 janvier 2014, pourvoi n° 13-81.874, Bull. crim. 2014, n° 12 (rejet).Sur la propriété économique réelle, à rapprocher :Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-86.979, Bull. crim. (rejet).N2>Sur la proportionnalité de la peine de confiscation :Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-86.979, Bull. crim. (rejet).
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N° B 21-87.002 FS-B
28 JUIN 2023
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 28 JUIN 2023
La société [3] a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 166/2021 de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 24 novembre 2021, qui a prononcé sur sa demande de restitution d'objet saisi.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de SAS Hannotin Avocats, avocat de la société [3], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, l'avocat du demandeur ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 1er juin 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Piazza, MM. Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, Mme Fouquet, M. Gillis, Mme Chafaï, conseillers référendaires, M. Bougy, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Les difficultés financières rencontrées par le [8] au début des années 1990 ont conduit l'Etat à organiser la défaisance de la banque, c'est-à-dire le cantonnement de ses actifs à risque ou compromis, par un protocole du 5 avril 1995 conclu avec la banque, puis par la loi n° 95-1251 du 28 novembre 1995.
3. La défaisance a été confiée à une société chargée d'assurer la réalisation des actifs litigieux dénommée [7] (la société [7]) et un Etablissement public de financement et de restructuration (EPFR), établissement public administratif national doté de l'autonomie financière et placé sous la tutelle du ministre chargé de l'économie, ayant pour mission de gérer le soutien financier apporté par l'Etat au [8] dans le cadre du cantonnement de certains de ses actifs au sein de la société [7] et de veiller à ce que soient respectés les intérêts financiers de l'Etat dans le cadre du plan de redressement de la banque.
4. Initialement filiale du [8], la société [7] a vu son actionnariat transféré à l'EPFR en 1998. Elle constitue une société anonyme holding ayant notamment pour filiale la société [7] constituée à partir d'une filiale du [8], la [14] (la [14]), banque du groupe [H].
5. Au-delà du risque lié à la qualité des créances détenues par le groupe [7], est ultérieurement apparu un risque consécutif au développement des contentieux qui a reçu l'appellation de risques non chiffrables.
6. Ces risques incluaient notamment celui généré par le contentieux opposant [B] [H] et le [8], ainsi que la [14], sa filiale, à la suite de la vente des titres de la société de droit allemand [B] [H] [13], filiale de la société anonyme [B] [H] [10] (la société [5]), elle-même contrôlée par la société en nom collectif Groupe [B] [H], et propriétaire des participations dans le capital de la société allemande [2] à la suite de leur acquisition au début des années 1990 pour un prix de 1,6 milliard de francs.
7. En 1996, à la suite du placement en liquidation judiciaire des époux [H] par jugement du tribunal de commerce du 14 décembre 1994, puis de l'ensemble des sociétés du groupe, à l'exception de la société [5], par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 31 mai 1995, le litige opposant [B] [H] au [8] a donné lieu à une action engagée par les liquidateurs du groupe [H] contre la société [7], nouvelle dénomination de la [14], et le [8].
8. Par arrêt du 30 septembre 2005, la cour d'appel de Paris a notamment condamné solidairement la société [7] et le [8] à payer la somme de 135 millions d'euros en réparation du préjudice résultant de la vente des participations [2].
9. Par arrêt du 9 octobre 2006, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel du chef des condamnations prononcées contre la société [7] et le [8], et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée (Ass. plén., 9 octobre 2006, pourvois n° 06-11.307, n° 06-11.056, Bull. 2006, Ass. plén, n° 11).
10. La cour d'appel de Paris autrement composée a été saisie par les liquidateurs judiciaires du groupe [H] et les époux [H].
11. Le 16 novembre 2007, les liquidateurs judiciaires, les époux [H], et les sociétés [7] et [7] ont signé un compromis prévoyant que le contentieux les opposant donnerait lieu à des désistements d'instance et serait soumis à l'arbitrage de trois arbitres, MM. [R] [X], [V] [M] et [R] [D].
12. Par une sentence du 7 juillet 2008, le tribunal arbitral a condamné solidairement les sociétés [7] et [7] à payer aux liquidateurs judiciaires la somme de 240 000 000 euros, outre intérêts, a fixé à 45 000 000 euros le préjudice moral des époux [H] et à 8 448 529,29 euros les dépenses engagées sur frais de liquidation.
13. Trois autres sentences ont été rendues par les arbitres le 27 novembre 2008, dont l'une a statué sur les frais de liquidation et les deux autres sur des requêtes en interprétation de la sentence principale.
14. Le 28 juin 2013, les sociétés [7] et [7], alléguant le défaut d'impartialité de M. [D], ont introduit un recours en révision des sentences arbitrales devant la cour d'appel de Paris.
15. Par arrêt du 17 février 2015, cette juridiction a ordonné la rétractation de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2008, ainsi que des trois sentences du 27 novembre 2008, et enjoint aux parties de conclure sur le fond du litige afin qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.
16. Les pourvois formés contre cette décision ont été rejetés par arrêt de la Cour de cassation du 30 juin 2016 (1re Civ., 30 juin 2016, pourvois n° 15-14.145, n° 15-13.755, n° 15-13.904, Bull. 2016, I, n° 151).
17. Par arrêt du 3 décembre 2015, la cour d'appel de Paris, statuant au fond sur le contentieux qui était soumis aux arbitres aux termes du compromis du 16 novembre 2007, a notamment rejeté toutes les demandes formulées à l'encontre des sociétés [7] et [7], et a condamné solidairement les sociétés [9], [11], les liquidateurs judiciaires de [B] [H] et des sociétés [1] (la société [1]) et [B] [H] [12] (la société [6]), et Mme [H] à restituer aux sociétés [7] et [7] la somme de 404 623 082,04 euros avec intérêts au taux légal depuis le jour du paiement en exécution de la sentence et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil.
18. Les pourvois formés contre cette décision ont été rejetés par arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2017 (Com., 18 mai 2017, pourvois n° 15-28.683, n° 16-10.339 et n° 16-10.344).
19. [B] [H] a par ailleurs été mis en cause pénalement pour avoir frauduleusement organisé le recours à la procédure d'arbitrage, avec la complicité de son avocat, M. [C] [F], et de M. [D].
20. La procédure pénale a également conduit à la mise en cause de Mme [J] [N], ministre de l'économie et des finances, de l'industrie et de l'emploi, M. [A] [O], son directeur de cabinet, M. [K] [S], président du conseil d'administration de la société [7], et M. [B] [Y], président de l'EPFR.
21. Au terme de l'enquête puis de l'information judiciaire, Mme [N] a été déclarée coupable de négligence par une personne dépositaire de l'autorité publique dont il est résulté un détournement de fonds publics par un tiers, par arrêt définitif du 19 décembre 2016 de la Cour de justice de la République.
22. [B] [H] et MM. [D], [F], [O] et [S], notamment, ont quant à eux été renvoyés devant le tribunal correctionnel.
23. Par jugement du 9 juillet 2019, le tribunal correctionnel a notamment renvoyé les prévenus des fins de la poursuite.
24. Le procureur de la République, ainsi que les sociétés [7] et [7], notamment, ont interjeté appel de la décision.
25. La société [3] est intervenue en instance d'appel.
26. Elle a sollicité, à son seul bénéfice et dans la limite de sa créance vis-à-vis de [B] [H] au titre d'un contrat de prêt du 23 novembre 2012, la mainlevée de la saisie pénale de la créance figurant sur le contrat d'assurance vie n° 988/31 souscrit par ce dernier auprès de la société [4].
27. Elle a notamment exposé que cette créance a fait l'objet d'un acte de délégation à son profit antérieur à la saisie pénale, en garantie du prêt de 18,9 millions d'euros souscrit par [B] [H] auprès d'elle le 23 novembre 2012.
28. Par arrêt n° 164/2021 du 24 novembre 2021, la cour d'appel a notamment déclaré coupables MM. [F] et [D] du chef d'escroquerie, et MM. [F], [S] et [O] du chef de complicité de soustraction, détournement ou destruction de biens d'un dépôt public.
Examen de la recevabilité du pourvoi
29. L'intervention de la société [3], qui prétend avoir des droits sur la créance saisie pénalement, et sollicite la mainlevée de la saisie pénale à son seul bénéfice et dans la limite de sa créance vis-à-vis de [B] [H], s'analyse en une demande de restitution au sens de l'article 479 du code de procédure pénale.
30. L'intervention et le pourvoi de la société [3] sont donc recevables.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première, troisième et neuvième branches
31. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses autres branches
Enoncé du moyen
32. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a « rejeté la requête en mainlevée de la saisie pénale en date du 28 juin 2013 sur le contrat d'assurance-vie souscrit par [B] [H] auprès de la société [4], contrat n° 988/31 « Sélection multi investissement », au seul bénéfice du délégataire, la société [3], et dans la limite de la créance de cette dernière vis-à-vis de feu [B] [H] au titre du contrat de prêt en date du 23 novembre 2012 », alors :
« 2°/ que le juge du principal saisi d'une demande de mainlevée de la saisie pénale ordonnée pendant l'instruction ne pouvait, en l'état du droit en vigueur à la date des faits infractionnels comme de la saisie pénale de l'espèce, refuser cette mainlevée que dans une hypothèse et une seulement : « lorsque celle-ci présente un danger pour les personnes ou les biens » ; que ce n'est que postérieurement tant aux faits de l'espèce qu'à la saisie litigieuse, par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, que le législateur a ajouté à ce premier cas de refus de mainlevée un second cas tiré de la circonstance que « le bien saisi est [?] le produit direct ou indirect de l'infraction » ; qu'au cas présent, la cour d'appel a écarté la demande de mainlevée formulée par la société [3], délégataire des contrats d'assurance-vie objets des saisies pénales ordonnées en 2013, pour des faits infractionnels remontant à 2008, au motif que « la créance qui figure sur le contrat d'assurance sur la vie est le produit indirect du délit d'escroquerie commis par [C] [F] et [R] [D] et de complicité de détournement de biens publics dont [C] [F], [K] [S] et [A] [O] sont coupables » (p. 6) et que « la cour refuse par conséquent la mainlevée de la saisie pénale en date du 28 juin 2013 de la créance figurant sur le contrat d'assurance sur la vie souscrit par [B] [H] auprès de la société [4], contrat n° 988/31 « sélection multi investissement », qui est le produit indirect des infractions d'escroquerie et de détournement de biens publics par un particulier, en application des articles 481 et 484 du code de procédure pénale » (arrêt p. 6, al. 2) ; qu'en statuant ainsi, tout en constatant elle-même (arrêt p. 4) que la faculté pour le juge de refuser la demande de mainlevée de la saisie pénale pour le cas où les biens saisis apparaîtraient comme le « produit indirect de l'infraction » résulte d'un ajout tardif, par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, la cour d'appel, qui a fait une application non pas post-active mais bien rétroactive d'une loi pénale, manifestement plus sévère en ce qu'elle instituait un nouveau motif de non-restitution post-sentencielle donc définitive, partant assimilable à une peine, a violé les articles 481 et 484 du code de procédure pénale, l'article 112-1 du code pénal, ensemble les principes de sécurité juridique, de la non-rétroactivité in pejus de la loi pénale et le droit au respect des biens, les articles 17 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 7§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4°/ que la confiscation du produit de l'infraction n'est pas une peine complémentaire obligatoire non plus que, en l'absence de confiscation, le refus de restituer un bien saisi dans la mesure où il serait le produit de l'infraction ne s'impose obligatoirement au juge pénal, ce dernier disposant dans un cas comme dans l'autre d'une marge d'appréciation et d'une liberté de confisquer ou non comme de restituer ou non ; qu'il en résulte que le juge pénal qui refuse de restituer un bien placé sous main de justice par suite d'une saisie spéciale, en dépit de l'absence de prononcé d'une peine de confiscation relative à ce bien dans la décision sur l'action publique, ne doit pas se borner à constater que ce bien est le produit direct ou indirect de l'infraction mais doit motiver plus avant son refus de mainlevée au regard notamment des circonstances de l'infraction, de la personnalité de ses auteurs ou de leur situation personnelle ; qu'au cas présent, pour écarter la demande de mainlevée formulée par la société [3], délégataire des contrats d'assurance-vie objets des saisies pénales, l'arrêt attaqué s'est borné à affirmer que « les créances qui figurent sur les contrats d'assurance sur la vie sont le produit indirect du délit d'escroquerie commis par [C] [F] et [R] [D] et de complicité de détournement de biens publics dont [C] [F], [K] [S] et [A] [O] sont coupables » et que « la cour refuse par conséquent la mainlevée de la saisie pénale en date du 28 juin 2013 de la créance figurant sur le contrat d'assurance sur la vie souscrit par [B] [H] auprès de la société [4], contrat n° 988/31 « sélection multi investissement », qui est le produit indirect des infractions d'escroquerie et de détournement de biens publics par un particulier, en application des articles 481 et 484 du code de procédure pénale » (arrêt p. 6) ; que – à supposer même, par extraordinaire, qu'elle ait pu légalement appliquer à la présente espèce l'article 481 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 –, en se déterminant ainsi, au regard de la seule nature de « produit indirect de l'infraction » des biens objets de la saisie dont elle refusait la mainlevée, la cour d'appel, qui a opéré comme si le refus post-sentenciel de mainlevée était obligatoire dès lors que la saisie spéciale porte sur le produit de l'infraction, sans égard notamment pour les circonstances de l'infraction, la personnalité de ses auteurs, leur situation personnelle ou tout autre critère permettant de motiver sa décision de refus de restituer le bien saisi pour laquelle elle disposait d'une marge d'appréciation dont elle devait compte, a méconnu le sens et la portée des articles 481, 484, 591, 593, 706-141 et 706-155 du code de procédure pénale, ensemble l'article 131-21 du code pénal.
5°/ que lorsque le bien objet de la saisie pénale apparaissant comme le produit indirect de l'infraction fait par ailleurs l'objet d'un droit dont la solidité, la validité ou l'efficacité n'est pas en soi affectée par la saisie pénale, au bénéfice d'un tiers de bonne foi, et que ce tiers de bonne foi demande la mainlevée de la saisie pénale afin de pouvoir exercer son droit, le juge ne peut pas rejeter purement et simplement ladite demande de mainlevée ; qu'il doit, à tout le moins, ménager les droits du tiers de bonne foi ; qu'au cas présent, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que les créances de rachat résultant de la conclusion des contrats d'assurance-vie, si elles avaient pu faire l'objet d'un « gel » par suite des ordonnances de saisies pénales intervenues en 2013, avaient par ailleurs été affectées en garantie à la société [3], par l'effet d'une délégation dont la validité n'était pas en soi remise en cause par les saisies pénales ; qu'en rejetant la demande de mainlevée de la saisie portant sur un bien (une créance de rachat) dont il n'était pas contesté qu'elle faisait l'objet de droits au bénéfice d'un tiers ([3], par l'effet de la délégation), et ce sans relever que ce tiers aurait été de mauvaise foi, la cour d'appel, qui n'a pas préservé les droits du tiers de bonne foi, a violé les articles 481, 484, 706-141 et 706-155 du code de procédure pénale, 131-21 du code pénal, lus, en tant que de besoin, à la lumière des articles 4 et 5 de la décision-cadre 2005/212/JAI du Conseil du 24 février 2005 « relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime » ainsi que des articles 6 et 8 de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 « concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l'Union européenne », ensemble les articles 17 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
6°/ que si l'effet de gel attaché à la saisie pénale des contrats d'assurance-vie consiste bien à paralyser l'exercice de la créance de rachat, y compris par le bénéficiaire d'une délégation antérieure dudit contrat d'assurance-vie, au point que le délégataire du contrat d'assurance-vie ne peut, à compter de la saisie pénale, procéder à une voie d'exécution qui serait destinée à appréhender cette créance de rachat, cette efficacité de la saisie pénale prise en soi face à la délégation antérieure et en cas de tentative de réalisation de son droit sur la créance de rachat, par voie d'exécution forcée, par le délégataire, ne dit rien de la nécessité pour le juge de reconnaître la prééminence de la délégation face à la saisie pénale postérieure au stade du dénouement de ladite saisie pénale ; qu'au cas présent, il est constant que le juge pénal n'a pas prononcé de mesure de confiscation des contrats d'assurance-vie objets des saisies pénales ; que, pour déterminer si les contrats d'assurance-vie devaient malgré tout être appréhendés par l'Etat, plutôt que de permettre au délégataire, la société [3], d'en bénéficier, la cour d'appel devait dès lors procéder à une comparaison de la date de la saisie pénale et de la date de la délégation ; que dès lors que la délégation était antérieure à la saisie pénale, elle devait être considérée comme primant la saisie pénale ; qu'en refusant au contraire la mainlevée au bénéfice de la société [3] au motif que la délégation n'aurait pas interdit la constitution d'une saisie pénale, et que la saisie pénale aurait par suite interdit la mise en oeuvre d'une voie d'exécution par le délégataire primant l'Etat saisissant, la cour d'appel, qui a négligé la circonstance qu'elle était saisie d'une question de dénouement des droits concurrents constitués tant par l'Etat (par voie de saisie pénale) que par le délégataire ([3]), question se résolvant par référence aux dates respectives de ces deux mesures, a violé les articles 481, 484, 706-141, 706-145 et 706-155 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6-§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 17 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
7°/ que la délégation du contrat d'assurance-vie consentie au bénéfice du prêteur de deniers par l'emprunteur, par ailleurs souscripteur du contrat d'assurance-vie, a pour effet de créer un droit de créance direct au bénéfice du délégataire (le prêteur) contre le délégué (l'assureur-vie) ; que l'assureur-vie-délégué se trouve, par l'effet de la constitution de cette garantie, directement engagé à l'égard du prêteur-délégataire, sans pouvoir invoquer à l'égard de ce dernier les exceptions tirées de la relation l'unissant (l'assureur-vie) au souscripteur-emprunteur ; que ce droit direct, dont la cour d'appel constate formellement l'existence (« il n'y a pas substitution mais adjonction de débiteur. Par ce mécanisme, une obligation nouvelle est créée, le délégué devenant débiteur de la banque [3] » - arrêt p. 5, al. 7), n'est ni affecté, ni appréhendé par la saisie pénale du contrat d'assurance-vie, celle-ci ayant, ainsi que la cour d'appel le constate par ailleurs, un objet distinct, à savoir la créance de rachat ; que ce droit direct et autonome, né de la délégation, ne peut non plus être considéré comme le « produit direct ou indirect » d'une quelconque infraction commise par le souscripteur-emprunteur, le droit direct étant régi par le principe de l'inopposabilité des exceptions ; qu'en refusant d'ordonner la mainlevée au bénéfice du délégataire [3] dans la mesure de ce qui lui était dû, du fait de la défaillance de l'emprunteur ainsi que de son décès, la cour d'appel, qui n'a pris en compte cette créance autonome née de la délégation, dont l'exécution par l'assureur-vie était parasitée par le maintien sans raison des saisies pénales, a violé les articles 481, 484, 706-141 et 706-155 du code de procédure pénale, ensemble les articles 1275 et suivants du code civil, dans leur rédaction applicable en la cause, le principe de l'inopposabilité des exceptions et les articles 6-1 de la CEDH et 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 17 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
8°/ que le juge appelé à prononcer la mainlevée d'une mesure de saisie pénale doit s'expliquer sur la nécessité actuelle de la mesure en cause et vérifier que le maintien de la mesure ne cause pas à un tiers de bonne foi une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens dont il devrait avoir la libre disposition ; qu'au cas présent, la saisie pénale des assurances-vie déléguées au bénéfice d'[3] n'était plus d'aucune utilité pour l'Etat, qui n'avait ni obtenu, ni semble-t-il requis, de mesure de confiscation de ces assurances-vie ; qu'en maintenant ces saisies spéciales, qui gelaient depuis 2013 le droit au rachat des contrats d'assurance-vie pourtant délégué au bénéfice de l'établissement de crédit exposant, sans vérification de l'utilité de cette mesure de réglementation de l'usage des biens devant revenir au délégataire, la cour d'appel a violé les articles 481, 484, 706-141 et 706-155 du code de procédure pénale, l'article 131-21 du code pénal, lus à la lumière de la décision-cadre 2005/212/JAI et des articles 6 et 8 de la directive 2014/42/UE du 3 avril 2014, l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les principes du respect des biens et de proportionnalité, les articles 17 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
33. La demanderesse ne saurait se faire un grief de ce que la cour d'appel a rejeté sa requête au motif que la créance saisie constitue le produit indirect des infractions d'escroquerie et de détournement de biens publics par un particulier, en application des dispositions du troisième alinéa de l'article 481 du code de procédure pénale qui, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, énonce que la restitution peut être refusée lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction.
34. En effet, si les décisions de non-restitution du produit de l'infraction ont pour effet, comme la peine complémentaire de confiscation de celui-ci, de transférer à l'Etat la propriété des biens sur lesquels ces mesures portent, la non-restitution ne constitue pas pour autant une peine, comme ayant pour seul objet de lutter contre toute forme d'enrichissement illicite (Cons. const., 3 décembre 2021, décision n° 2021-951 QPC), de sorte que les dispositions précitées de la loi du 3 juin 2016 constituent une loi de procédure s'appliquant aux faits commis avant son entrée en vigueur.
35. Dès lors, le grief doit être écarté.
Sur le moyen, pris en sa quatrième branche
36. Le grief est infondé, dès lors que la restitution d'un bien saisi constituant le produit direct ou indirect de l'infraction constitue une faculté pour la juridiction saisie, de sorte que la décision qui la refuse n'a pas lieu d'être motivée.
Sur le moyen, pris en ses cinquième à huitième branches
37. Pour rejeter la requête de la demanderesse aux fins de mainlevée de la saisie, l'arrêt relève qu'une partie des fonds détournés par [B] [H] a été utilisée par ce dernier, à hauteur de 9 millions d'euros, pour souscrire le contrat d'assurance sur la vie précité, de sorte que la créance de rachat figurant sur ce contrat constitue le produit indirect des infractions poursuivies.
38. Les juges constatent cependant que le contrat a été mis en garantie, au moyen d'un acte de délégation de créance, d'un contrat de prêt de 18,9 millions d'euros consenti par acte sous seing privé du 23 novembre 2012 entre la société [3] et [B] [H], et que, devant l'absence de règlement des échéances, la banque s'est prévalue de la déchéance du terme et le contrat de prêt a été résolu, [B] [H] restant devoir à la banque la somme de 19 898 361,34 euros à la date du 18 juillet 2014, selon les calculs de cette dernière.
39. Pour néanmoins considérer que la délégation de créance n'est pas de nature à justifier la mainlevée de la saisie, les juges retiennent qu'il ressort de la jurisprudence que le droit de créance, qui est indisponible à compter de l'acceptation du délégataire, la société [3], demeure dans le patrimoine du délégant, [B] [H], et qu'au cas d'espèce, le droit de créance est indisponible mais demeure donc bien dans le patrimoine de ce dernier compte tenu du gel et de l'absence de rachat par la banque.
40. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
41. En premier lieu, en cas de saisie pénale d'une créance figurant sur un contrat d'assurance sur la vie ayant préalablement fait l'objet d'un acte de délégation imparfaite, en garantie d'une dette par ailleurs souscrite par le titulaire de la créance, le délégataire, fût-il de bonne foi, qui est sans droit sur la créance saisie pénalement demeurée dans le patrimoine de son titulaire, est pour ce motif infondé à obtenir la mainlevée de la mesure de saisie pénale.
42. En second lieu, le délégataire de la créance saisie pénalement, qui est lui-même titulaire d'une créance ayant le même objet à l'encontre du débiteur de la créance saisie pénalement, par l'effet de l'acte de délégation, ne saurait se faire un grief de ce que la mesure de saisie pénale le prive de la faculté d'obtenir le paiement de sa propre créance.
43. En effet, la saisie pénale entraîne l'indisponibilité de la créance sur laquelle elle porte et interdit pour ce motif le paiement de la créance dont est titulaire le délégataire à l'encontre du délégué, y compris lorsque l'acte de délégation est antérieur à la saisie pénale, dès lors qu'à défaut, le paiement par le délégué de sa dette éteindrait la créance saisie pénalement à due concurrence en application de l'article 1339 du code civil.
44. Cependant, d'une part, en cas d'antériorité de la délégation par rapport à la saisie pénale, la créance du délégataire à l'encontre du délégué est opposable à l'Etat lors de l'exécution de la peine de confiscation ou de la décision de non-restitution.
45. Cette opposabilité s'exerce, en cas de confiscation de la créance saisie pénalement, au moment de l'exécution de cette peine, qui, en application des articles L. 160-9 du code des assurances, L. 223-29 du code de la mutualité ou L. 932-23-2 du code de la sécurité sociale, entraîne la résolution judiciaire de la convention et le transfert des fonds confisqués à l'Etat.
46. Il en est de même en cas de décision définitive de non-restitution de la créance saisie pénalement, qui entraîne le transfert de la propriété de la créance à l'Etat dans les conditions du troisième alinéa de l'article 41-4 du code de procédure pénale, ainsi que la résolution du contrat d'assurance sur la vie et le transfert des fonds à l'Etat, en application des textes précités (Crim., 8 mars 2023, pourvoi n° 22-81.100, publié au Bulletin).
47. D'autre part, il est loisible au délégataire, au cours de l'enquête ou de l'information, lorsque l'acte de délégation est antérieur à l'ordonnance de saisie, de former devant le magistrat ayant ordonné cette mesure une requête relative à l'exécution de celle-ci, en application de l'article 706-144 du code de procédure pénale, afin de solliciter l'autorisation de poursuivre le paiement de sa créance à l'encontre du délégué, la saisie pénale se reportant sur le solde restant dû par ce dernier au délégant au titre de la créance qu'il détient à son encontre.
48. Dès lors, le moyen doit être écarté.
49. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille vingt-trois.
N1> Sur l'application immédiate des dispositions du troisième alinéa de l'article 481 du code de procédure pénale :Crim., 28 février 2018, pourvoi n° 17-81.577, Bull. crim. 2018, n° 41 (rejet).N3>Sur la motivation de la décision de restituer le bien saisi, à rapprocher :Crim., 20 janvier 2021, pourvoi n° 20-81.118, Bull. crim. (rejet)
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CASS/JURITEXT000047781272.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° C 21-87.417 FS-B
28 JUIN 2023
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 28 JUIN 2023
MM. [N] [V], [H] [Y], [R] [E], [G] [A], et les sociétés [14], [13], [26], [30], [8], [22], [5], [25], [41], [46] et [7] ont formé des pourvois contre l'arrêt n° 164/2021 de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 24 novembre 2021, qui a condamné le premier, pour escroquerie, à trois ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende, le deuxième, pour escroquerie et complicité de détournement de biens publics commis par un particulier, à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis, 300 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction professionnelle, le troisième, pour complicité de détournement de biens publics commis par un particulier, à un an d'emprisonnement avec sursis et 50 000 euros d'amende, le quatrième, pour complicité de détournement de biens publics commis par un particulier, à deux ans d'emprisonnement avec sursis et 25 000 euros d'amende, des confiscations et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés [14], [13], les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [R] [E], les observations du cabinet Munier-Apaire, avocat des sociétés [22], [5], [25], [41], [46], les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [G] [A], les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat des sociétés [30], [8], les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [H] [Y], les observations de la SCP Poulet-Odent, avocat de la société [26], les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. [N] [V], les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'agent judiciaire de l'Etat, et les conclusions de M. Bougy, avocat général, les avocats ayant eu la parole en dernier, après débats en l'audience publique du 1er juin 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mmes de la Lance, Piazza MM. Pauthe, Turcey, de Lamy, conseillers de la chambre, Mme Fouquet, M. Gillis, Mme Chafaï, conseillers référendaires, M. Bougy, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Les difficultés financières rencontrées par le [16] au début des années 1990 ont conduit l'Etat à organiser la défaisance de la banque, c'est-à-dire le cantonnement de ses actifs à risque ou compromis, par un protocole du 5 avril 1995 conclu avec la banque, puis par la loi n° 95-1251 du 28 novembre 1995.
3. La défaisance a été confiée à une société chargée d'assurer la réalisation des actifs litigieux dénommée [14] (la société [13]) et un Etablissement public de financement et de restructuration ([18]), établissement public administratif national doté de l'autonomie financière et placé sous la tutelle du ministre chargé de l'économie, ayant pour mission de gérer le soutien financier apporté par l'Etat au [16] dans le cadre du cantonnement de certains de ses actifs au sein de la société [13] et de veiller à ce que soient respectés les intérêts financiers de l'Etat dans le cadre du plan de redressement de la banque.
4. Initialement filiale du [16], la société [13] a vu son actionnariat transféré à l'EPFR en 1998. Elle constitue une société anonyme holding ayant notamment pour filiale la société [13] constituée à partir d'une filiale du [16], la [36] (la [34]), banque du groupe [D].
5. Au-delà du risque lié à la qualité des créances détenues par le groupe [13], est ultérieurement apparu un risque consécutif au développement des contentieux qui a reçu l'appellation de risques non chiffrables.
6. Ces risques incluaient notamment celui généré par le contentieux opposant [C] [D] et le [16], ainsi que la [34], sa filiale, à la suite de la vente des titres de la société de droit allemand [11], filiale de la société anonyme [9] (la société [12]), elle-même contrôlée par la société en nom collectif [26], et propriétaire des participations dans le capital de la société allemande [4] à la suite de leur acquisition au début des années 1990 pour un prix de 1,6 milliard de francs.
7. En 1996, à la suite du placement en liquidation judiciaire des époux [D] par jugement du tribunal de commerce du 14 décembre 1994, puis de l'ensemble des sociétés du groupe, à l'exception de la société [12], par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 31 mai 1995, le litige opposant [C] [D] au [16] a donné lieu à une action engagée par les liquidateurs du groupe [D] contre la société [13], nouvelle dénomination de la [34], et le [16].
8. Par arrêt du 30 septembre 2005, la cour d'appel de Paris a notamment condamné solidairement la société [13] et le [16] à payer la somme de 135 millions d'euros en réparation du préjudice résultant de la vente des participations [3].
9. Par arrêt du 9 octobre 2006, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel du chef des condamnations prononcées contre la société [13] et le [16], et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée (Ass. plén., 9 octobre 2006, pourvois n° 06-11.307, n° 06-11.056, Bull. 2006, Ass. plén, n° 11).
10. La cour d'appel de Paris autrement composée a été saisie par les liquidateurs judiciaires du groupe [D] et les époux [D].
11. Le 16 novembre 2007, les liquidateurs judiciaires, les époux [D], et les sociétés [13] et [13] ont signé un compromis prévoyant que le contentieux les opposant donnerait lieu à des désistements d'instance et serait soumis à l'arbitrage de trois arbitres, MM. [N] [W], [Z] [S] et [N] [V].
12. Par une sentence du 7 juillet 2008, le tribunal arbitral a condamné solidairement les sociétés [13] et [13] à payer aux liquidateurs judiciaires la somme de 240 000 000 euros, outre intérêts, a fixé à 45 000 000 euros le préjudice moral des époux [D] et à 8 448 529,29 euros les dépenses engagées sur frais de liquidation.
13. Trois autres sentences ont été rendues par les arbitres le 27 novembre 2008, dont l'une a statué sur les frais de liquidation et les deux autres sur des requêtes en interprétation de la sentence principale.
14. Le 28 juin 2013, les sociétés [13] et [13], alléguant le défaut d'impartialité de M. [V], ont introduit un recours en révision des sentences arbitrales devant la cour d'appel de Paris.
15. Par arrêt du 17 février 2015, cette juridiction a ordonné la rétractation de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2008, ainsi que des trois sentences du 27 novembre 2008, et enjoint aux parties de conclure sur le fond du litige afin qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.
16. Les pourvois formés contre cette décision ont été rejetés par arrêt de la Cour de cassation du 30 juin 2016 (1re Civ., 30 juin 2016, pourvois n° 15-14.145, n° 15-13.755, n° 15-13.904, Bull. 2016, I, n° 151).
17. Par arrêt du 3 décembre 2015, la cour d'appel de Paris, statuant au fond sur le contentieux qui était soumis aux arbitres aux termes du compromis du 16 novembre 2007, a notamment rejeté toutes les demandes formulées à l'encontre des sociétés [13] et [13], et a condamné solidairement les sociétés [19], [21], les liquidateurs judiciaires de [C] [D] et des sociétés [6] (la société [2]) et [10] (la société [10]), et Mme [D] à restituer aux sociétés [13] et [13] la somme de 404 623 082,04 euros avec intérêts au taux légal depuis le jour du paiement en exécution de la sentence et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil.
18. Les pourvois formés contre cette décision ont été rejetés par arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2017 (Com., 18 mai 2017, pourvois n° 15-28.683, n° 16-10.339, n° 16-10.344).
19. [C] [D] a par ailleurs été mis en cause pénalement pour avoir frauduleusement organisé le recours à la procédure d'arbitrage, avec la complicité de son avocat, M. [H] [Y], et de M. [V].
20. La procédure pénale a également conduit à la mise en cause de Mme [M] [O], ministre de l'économie et des finances, de l'industrie et de l'emploi, M. [R] [E], son directeur de cabinet, M. [G] [A], président du conseil d'administration de la société [13], et M. [C] [I], président de l'EPFR.
21. Au terme de l'enquête puis de l'information judiciaire, Mme [O] a été déclarée coupable de négligence par une personne dépositaire de l'autorité publique dont il est résulté un détournement de fonds publics par un tiers, par arrêt définitif du 19 décembre 2016 de la Cour de justice de la République.
22. [C] [D] et MM. [V], [Y], [E] et [A], notamment, ont quant à eux été renvoyés devant le tribunal correctionnel.
23. Par jugement du 9 juillet 2019, le tribunal correctionnel a notamment renvoyé les prévenus des fins de la poursuite.
24. Le procureur de la République, ainsi que les sociétés [13] et [13], notamment, ont interjeté appel de la décision.
Déchéance du pourvoi formé par la société [7]
25. La société [7] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de la déclarer déchue de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Sur la recevabilité des mémoires additionnels produits pour MM. [Y] et [V]
26. Les mémoires additionnels produits pour MM. [Y] et [V] après le dépôt du rapport du conseiller rapporteur sont irrecevables en application de l'article 590 du code de procédure pénale, dès lors que les demandeurs ne démontrent pas, ni même n'allèguent, qu'ils se trouvaient, avant le dépôt du rapport, dans l'incapacité de saisir la Cour de cassation des moyens développés dans lesdits mémoires.
27. La mise en oeuvre de ces dispositions, qui répondent à la nécessité de la mise en état des procédures, ne procède pas en conséquence d'un formalisme excessif.
Examen des moyens
Sur les premier moyen, deuxième moyen, troisième moyen, quatrième moyen, cinquième moyen, pris en ses première, cinquième et sixième branches, sixième moyen, septième moyen, pris en sa première branche, neuvième moyen, pris en sa première branche, onzième moyen, douzième moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, et quinzième moyen, proposés pour M. [Y]
Sur les premier moyen, troisième moyen, quatrième moyen, cinquième moyen, sixième moyen, septième moyen, pris en sa deuxième branche, neuvième moyen, dixième moyen, onzième moyen, douzième moyen, pris en sa deuxième branche, treizième moyen et quinzième moyen, proposés pour M. [V]
Sur les premier moyen, deuxième moyen, troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches, quatrième moyen, sixième moyen, pris en sa quatrième branche, et huitième moyen, proposés pour M. [E]
Sur les premier moyen, deuxième moyen, quatrième moyen, pris en sa deuxième branche, et cinquième moyen, proposés pour M. [A]
Sur le troisième moyen proposé pour les sociétés [30] et [8]
Sur le moyen, pris en ses première, troisième et cinquième branches, proposé pour les sociétés [22], [5], [25], [41] et [46]
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, proposé pour les sociétés [13] et [13]
28. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen proposé pour M. [V]
Enoncé du moyen
29. Le deuxième moyen critique l'arrêt en ce qu'il a rejeté la demande de copie de notes d'audience du 25 mai 2021, alors « que tout accusé a droit aux facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; qu'il en résulte que les juridictions correctionnelles doivent communiquer à la demande des parties ou de leurs conseils les notes d'audience avant que soit rendue la décision, notamment quand cette communication a pour but d'éclairer les parties sur une requalification proposée par le ministère public; qu'en l'espèce, le conseil de M. [V] avait demandé la communication des notes d'audience en cours de procès ; que pour rejeter cette demande, la cour d'appel a énoncé qu'« aucun texte ni aucune jurisprudence ne prévo[it] que les copies des notes d'audience soient délivrées avant la fin des débats » (arrêt attaqué, p. 85) ; qu'en statuant ainsi, quand le respect des droits de la défense commandait la communication de ces notes en cours de procès, la cour d'appel a méconnu l'article 6, § 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
30. Le moyen est infondé, dès lors qu'aucune disposition légale ni réglementaire ne prévoit que la note du déroulement des débats doive être communiquée aux parties en cours d'instance, l'article 453 du code de procédure pénale disposant au contraire que cette note peut être visée par le président dans les trois jours suivant l'audience.
31. Le moyen est en tout état de cause inopérant en ce qu'il invoque la méconnaissance de l'article 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors qu'il ressort des pièces de procédure que la requalification proposée par le ministère public avait été mise dans le débat et contradictoirement discutée par les parties.
Sur le quatorzième moyen proposé pour M. [Y], troisième moyen proposé pour M. [A], et cinquième moyen proposé pour M. [E]
Enoncé des moyens
32. Le quatorzième moyen proposé pour M. [Y] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable du délit de complicité de détournement de biens d'un dépôt public, alors :
« 1°/ que le dépositaire public est celui dont la fonction est de percevoir et de reverser des fonds ; que la mission de la société [14] consistait à acquérir les actifs du [16] considérés comme compromis et d'en assurer la liquidation ; que si la société [13] recevait pour l'exécution de cette mission des fonds de l'Etablissement public de financement et de restructuration, ces versements de fonds ne constituaient que les modalités de financement de la société ; qu'en retenant au motif inopérant que le [13] recevait des fonds de l'EPFR, sa qualité de dépositaire public, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que le dépositaire public est celui qui perçoit et reverse des sommes qu'il détient en vertu d'un titre légal ; que la loi n° 95-1251 du 28 novembre 1995 a pour objet d'instituer l'Etablissement public de financement et de restructuration et de lui donner la mission de « gérer le soutien financier apporté par l'Etat au [16] » ; que ces dispositions n'investissent le [13] d'aucune mission ; qu'ainsi que la cour d'appel le relève, les modalités de financement du Consortium de réalisation sont fixées par l'avenant n° 13 au protocole du 5 avril 1995 entre l'Etat et le [16], qui est un contrat de droit privé (arrêt p. 147) ; qu'ainsi, à supposer que la perception de fonds puisse être regardée comme la fonction du [13], ce dernier n'en est pas investi par un titre légal ; qu'en jugeant pourtant que le [13] répondait à la notion légale de dépositaire public, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'est chargée d'une mission de service public la personne qui accomplit, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général ; que pour retenir la qualité de personne chargée d'une mission de service public de la société [14], l'arrêt attaqué se fonde sur la circonstance que la société est détenue par l'EPFR, financée par ce dernier et que son mandataire social était agréé par le ministre chargé de l'économie ; qu'en statuant par ces motifs, inopérants pour caractériser des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'est chargée d'une mission de service public la personne qui accomplit, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général ; que l'arrêt constate que le [13] était une société anonyme de droit privé ayant pour mission l'acquisition et la cession d'actifs dans des conditions normales de marché, dans le cadre d'une opération de cantonnement et de défaisance ; qu'il constate encore que la défense des intérêts financiers de l'Etat était assurée par l'EPFR dans le cadre de sa mission de surveillance ; qu'en jugeant pourtant que le [13] était chargé d'une mission de service public, quand elle constatait que les actes par lui accomplis n'avaient pas pour but de satisfaire à l'intérêt général mais répondaient à un intérêt privé d'apurement de la comptabilité du [16], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
33. Le troisième moyen proposé pour M. [A] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de biens contenus dans un dépôt public commis par un particulier, alors :
« 1°/ que le dépositaire public est celui dont la fonction est de percevoir et reverser des fonds ; que la mission de la société [14] consistait à acquérir les actifs du [16] considérés comme compromis et d'en assurer la liquidation ; que si la société [13] recevait pour l'exécution de cette mission des fonds en vertu d'un prêt consenti par l'Etablissement public de financement et de restructuration, ces versements de fonds ne constituaient que les modalités de financement de la société ; qu'en retenant, au motif inopérant que le [13] recevait des fonds de l'EPFR, sa qualité de dépositaire public, la cour d'appel a violé l'article 433-4 du code pénal ;
2°/ que le dépositaire public est celui qui perçoit et reverse des sommes qu'il détient en vertu d'un titre légal ; que la loi n° 95-1251 du 28 novembre 1995 a pour objet d'instituer l'Etablissement public de financement et de restructuration et de lui donner la mission de « gérer le soutien financier apporté par l'Etat au [16] » ; que ces dispositions n'investissent le [13] d'aucune mission ; qu'ainsi que la cour d'appel le relève, les modalités de financement du Consortium de réalisation sont fixées par l'avenant n° 13 au protocole du 5 avril 1995 entre l'Etat et le [16], qui est un contrat de droit privé (arrêt p. 147) ; qu'ainsi, à supposer que la perception de fonds puisse être regardée comme la fonction du [13], ce dernier n'en est pas investi par un titre légal ; qu'en jugeant pourtant que le [13] répondait à la notion légale de dépositaire public, la cour d'appel a encore violé l'article 433-4 du code pénal ;
3°/ qu'est chargée d'une mission de service public la personne qui accomplit, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général ; que pour retenir la qualité de personne chargée d'une mission de service public de la société [14], l'arrêt attaqué se fonde sur la circonstance que la société est détenue par l'EPFR, financée au moyen d'un prêt consenti par ce dernier et que son mandataire social était agréé par le ministre chargé de l'économie ; qu'en statuant par ces motifs, inopérants pour caractériser des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général, la cour d'appel a violé l'article 433-4 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'est chargée d'une mission de service public la personne qui accomplit, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général ; que l'arrêt constate que le [13] était une société anonyme de droit privé ayant pour mission l'acquisition et la cession d'actifs dans des conditions normales de marché, dans le cadre d'une opération de cantonnement et de défaisance ; qu'il constate encore que la défense des intérêts financiers de l'Etat était assurée par l'EPFR dans le cadre de sa mission de surveillance ; qu'en jugeant pourtant que le [13] était chargé d'une mission de service public, quand elle constatait que les actes par lui accomplis n'avaient pas pour but de satisfaire à l'intérêt général mais répondaient à un intérêt privé d'apurement de la comptabilité du [16], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a encore violé l'article 433-4 du code pénal. »
34. Le cinquième moyen proposé pour M. [E] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de biens d'un dépôt public, alors :
«1°/ que le dépositaire public est celui dont la fonction est de percevoir et reverser des fonds ; que la mission de la société [14] consistait à acquérir les actifs du [16] considérés comme compromis et d'en assurer la liquidation ; que si la société [13] recevait pour l'exécution de cette mission des fonds de l'Etablissement public de financement et de restructuration, ces versements de fonds ne constituaient que les modalités de financement de la société ; qu'en retenant, au motif inopérant que le [13] recevait des fonds de l'EPFR, sa qualité de dépositaire public, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que le dépositaire public est celui qui perçoit et reverse des sommes qu'il détient en vertu d'un titre légal ; que la loi n° 95-1251 du 28 novembre 1995 a pour objet d'instituer l'Etablissement public de financement et de restructuration et de lui donner la mission de « gérer le soutien financier apporté par l'Etat au [16] » ; que ces dispositions n'investissent le [13] d'aucune mission ; qu'ainsi que la cour d'appel le relève, les modalités de financement du Consortium de réalisation sont fixées par l'avenant n° 13 au protocole du 5 avril 1995 entre l'Etat et le [16], qui est un contrat de droit privé (arrêt p. 147) ; qu'ainsi, à supposer que la perception de fonds puisse être regardée comme la fonction du [13], ce dernier n'en est pas investi par un titre légal ; qu'en jugeant pourtant que le [13] répondait à la notion légale de dépositaire public, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'est chargée d'une mission de service public la personne qui accomplit, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général ; que pour retenir la qualité de personne chargée d'une mission de service public de la société [14], l'arrêt attaqué se fonde sur la circonstance que la société est détenue par l'EPFR, financée par ce dernier et que son mandataire social était agréé par le ministre chargé de l'économie ; qu'en statuant par ces motifs, inopérants pour caractériser des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu'est chargée d'une mission de service public la personne qui accomplit, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général ; que l'arrêt constate que le [13] était une société anonyme de droit privé ayant pour mission l'acquisition et la cession d'actifs dans des conditions normales de marché, dans le cadre d'une opération de cantonnement et de défaisance ; qu'il constate encore que la défense des intérêts financiers de l'Etat était assurée par l'EPFR dans le cadre de sa mission de surveillance ; qu'en jugeant pourtant que le [13] était chargé d'une mission de service public, quand elle constatait que les actes par lui accomplis n'avaient pas pour but de satisfaire à l'intérêt général mais répondaient à un intérêt privé d'apurement de la comptabilité du [16], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
35. Les moyens sont réunis.
36. Pour déclarer les prévenus coupables de complicité de détournement de biens publics commis par un particulier au préjudice des sociétés [13] et [13], l'arrêt relève notamment que ces sociétés répondaient à la définition légale de dépositaire public, en ce qu'elles recevaient des fonds de l'EPFR en vertu de la loi du 28 novembre 1995 pour les besoins de la défaisance du [16].
37. Les juges ajoutent que, par ailleurs, la mission majeure de l'EPFR était la défense des intérêts financiers de l'Etat, qu'il disposait de représentants de l'Etat dans son conseil d'administration et agissait sous le contrôle du ministre de l'économie et des finances, et qu'ainsi il était d'évidence chargé d'une mission de service public.
38. Ils énoncent encore que la société [13] était une filiale à 100 % de l'EPFR, et que la mission de cette société, sous le contrôle de l'EPFR, consistait, grâce à un prêt accordé par l'établissement, à acquérir les actifs du [16] considérés comme compromis, la société remboursant ce prêt grâce aux produits générés par la vente des actifs du [16], quand les moins-values réalisées lors de la vente de ces actifs étaient compensées par des abandons de créances consentis par l'EPFR, dont la dette était garantie par l'Etat, donc en définitive par le contribuable qui supportait ainsi les pertes générées par la revente des actifs compromis du [16].
39. Ils retiennent enfin que, dans la convention de gestion entre l'Etat et l'EPFR du 30 janvier 1998, il est préalablement exposé que la stratégie de la société [13] ne serait plus exclusivement liquidative mais que la société devrait déterminer la stratégie de cession de ses actifs dans le seul souci de les valoriser au mieux et d'optimiser le résultat financier pour l'Etat, c'est-à-dire en prenant pleinement en compte l'ensemble des coûts de financement du [13].
40. En prononçant ainsi, abstraction faite de motifs erronés mais surabondants relatifs à la qualité de dépositaires publics des sociétés [13] et [13] à qui l'EPFR ne remettait pas de fonds en dépôt, la cour d'appel, qui a établi que les sociétés [13] et [13] accomplissaient des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général, a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés aux moyens.
41. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
Sur le cinquième moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, proposé pour M. [Y], sixième moyen, pris en ses première à troisième branches, proposé pour M. [E], quatrième moyen, pris en sa première branche, et sixième moyen proposé pour M. [A]
Enoncé des moyens
42. Le cinquième moyen proposé pour M. [Y] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de biens d'un dépôt public, alors :
« 2°/ que la complicité n'est caractérisée qu'autant qu'il y a un fait principal punissable dont l'existence est établie en tous ses éléments constitutifs ; que le délit de détournement de biens d'un dépôt public exige, à titre de condition préalable, une remise librement consentie de l'objet ensuite détourné ; qu'en déclarant M. [Y] coupable complicité de détournement de biens d'un dépôt public après avoir relevé que « la remise des fonds (?) n'a été ni volontaire, ni librement consentie, mais la conséquence d'une escroquerie commise par MM. [Y] et [V] » (arrêt, p. 193), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 121-6, 121-7, 433-4 du code pénal et 591 du code de procédure pénale ;
3°/ que la caractérisation de l'infraction de détournement de biens d'un dépôt public nécessite que le bien détourné ait été remis à titre précaire ; qu'en déclarant M. [Y] coupable de complicité de détournement de biens d'un dépôt public pour avoir facilité le détournement des sommes qui avaient été remises à M. et Mme [D] et aux mandataires liquidateurs des sociétés du groupe [D] en exécution de la sentence arbitrale, lorsque ces sommes leur avaient été remises en pleine propriété, la cour d'appel a violé les articles 121-6, 121-7, 433-4 du code pénal et 591 du code de procédure pénale ;
4°/ que la remise des fonds est une condition préalable du détournement ; qu'en déclarant M. [Y] coupable de complicité de détournement de biens d'un dépôt public sans relever au titre de l'infraction principale aucun acte de détournement postérieur à la remise des sommes à M. et Mme [D] et à ses liquidateurs en exécution de la sentence arbitrale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, en violation des articles 121-6, 121-7, 433-4 du code pénal et 591 du code de procédure pénale. »
43. Le sixième moyen proposé pour M. [E] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de biens d'un dépôt public, alors :
« 1°/ que le délit de détournement de biens d'un dépôt public exige, à titre de condition préalable, une remise librement consentie de l'objet ensuite détourné ; qu'en déclarant M. [E] coupable complicité de détournement de biens d'un dépôt public après avoir relevé que « la remise des fonds (?) n'a été ni volontaire, ni librement consentie, mais la conséquence d'une escroquerie commise par MM. [Y] et [V] » (arrêt, p. 193), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que la caractérisation de l'infraction de détournement de biens d'un dépôt public nécessite que le bien détourné ait été remis à titre précaire ; qu'en déclarant M. [E] coupable de complicité de détournement de biens d'un dépôt public pour avoir facilité le détournement des sommes qui avaient été remises à M. et Mme [D] et aux mandataires liquidateurs des sociétés du groupe [D] en exécution de la sentence arbitrale, lorsque ces sommes leur avaient été remises en pleine propriété, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que la remise des fonds est une condition préalable du détournement ; qu'en déclarant M. [E] coupable de complicité de détournement de biens d'un dépôt public sans relever au titre de l'infraction principale aucun acte de détournement postérieur à la remise des sommes à M. et Mme [D] et à ses liquidateurs en exécution de la sentence arbitrale, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
44. Le quatrième moyen proposé pour M. [A] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de biens contenus dans un dépôt public commis par un particulier, alors :
« 1°/ que la complicité suppose un fait principal punissable ; que M. [G] [A] a été poursuivi, sur le fondement de l'article 433-4 du code pénal, en sa qualité de président du [13], pour avoir été complice par aide et assistance « du détournement par [C] [D] de fonds publics détenus par l'EPFR, en l'espèce de la somme d'environ 403 millions d'euros octroyée indûment par le tribunal arbitral aux mandataires liquidateurs des sociétés du groupe [D] et à M. et Mme [D], pour un préjudice inexistant, au terme d'un arbitrage frauduleux » ; que M. [C] [D] a été poursuivi sur ce même fondement pour avoir « détourné les fonds publics détenus par l'EPFR, dépositaire public » ; que l'acte matériel de détournement au sens de l'article 433-4 du code pénal implique une inversion de titre, soit par substitution d'une possession à titre de propriétaire à une simple détention précaire d'un bien, soit, en l'absence de détention matérielle, par usurpation de certaines fonctions ou d'une mission lui permettant l'accès audit bien; qu'il suppose donc, en amont de l'acte qui consomme le détournement, soit que l'auteur du détournement avait déjà la détention précaire du bien placé en dépôt public, soit, à défaut de détention matérielle, qu'il détenait ou avait détenu, à raison de sa mission ou de ses fonctions, un accès à ce bien ou une prérogative sur ce bien ; que cette exigence préalable nécessaire fait défaut en l'espèce ; qu'il y a eu paiement, en exécution d'une sentence arbitrale ; que la remise des fonds est directement intervenue à titre de propriétaire et a opéré transfert de propriété aux liquidateurs des époux [D] et du groupe [D]; qu'elle s'est doublée d'un abandon de créances aux fins d'exécution de cette même sentence ; que M. [C] [D] ne disposait, en amont de ces paiements, en vertu d'une quelconque fonction ou mission, d'aucun accès ni d'aucun pouvoir d'aucune sorte sur les fonds ou effets en tenant lieu; que dès lors, en l'absence de fait matériel principal constitutif d'un détournement au sens l'article 433-4 du code pénal, la cour d'appel ne pouvait déclarer M. [A] coupable de complicité de détournement de biens contenus dans un dépôt public par un particulier sans violer les articles 111-3, 111-4, 121-6, 121-7 et 433-4 du code pénal. »
45. Le sixième moyen proposé pour M. [A] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de biens contenus dans un dépôt public commis par un particulier, alors :
« 1°/ que le délit de détournement de biens d'un dépôt public exige, à titre de condition préalable, une remise librement consentie de l'objet ensuite détourné ; que l'arrêt attaqué constate p. 193 que la remise des fonds n'a été « ni volontaire ni librement consentie, mais la conséquence d'une escroquerie commise par MM. [Y] et [V] » ; que dès lors la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et ainsi violé les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que l'infraction de détournement de biens d'un dépôt public suppose que le bien détourné a été remis à titre précaire ; qu'en l'espèce, comme l'arrêt le constate, les sommes ont été remises à M. et Mme [D] et au mandataire liquidateur des sociétés du groupe [D] en exécution de la sentence arbitrale, en pleine propriété ; que dès lors en déclarant M. [A] coupable de détournement de biens d'un dépôt public, la Cour d'appel a violé les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que la remise des fonds est une condition préalable du détournement ; qu'en l'espèce aucun acte de détournement n'est relevé à l'encontre de M. [A], postérieur à la remise des sommes à M. et Mme [D] et leurs liquidateurs en exécution de la sentence arbitrale ; que dès lors, en le déclarant néanmoins coupable de détournement de biens d'un dépôt public, l'arrêt attaqué à violé les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
46. Les moyens sont réunis.
47. Le délit de détournement de biens publics commis par un particulier n'a pas pour condition que les biens détournés aient été préalablement remis à l'auteur du détournement, dès lors que l'article 433-4 du code pénal dispose que ce délit a pour objet un acte ou un titre, des fonds publics ou privés, ou des effets, pièces ou titres en tenant lieu ou tout autre objet qui ont été remis, non pas au particulier auteur de l'infraction mais, en raison de ses fonctions, à une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, à un comptable public, à un dépositaire public ou à l'un de ses subordonnés.
48. L'acte de détournement s'entend ainsi du fait de priver le dépositaire public ou la personne chargée d'une mission de service public, à qui les biens ont été remis, de son contrôle légitime sur ceux-ci.
49. Dès lors, les moyens, qui sont infondés, doivent être écartés.
Sur les septième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [Y], et septième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [V]
Enoncé des moyens
50. Le septième moyen proposé pour M. [Y] critique l'arrêt en ce qu'il l'a condamné au paiement d'une amende de 300 000 euros, alors :
« 2°/ que le juge qui prononce une amende doit tenir compte des charges résultant de sa décision ; qu'en affirmant péremptoirement, pour condamner M. [Y] au paiement d'une amende de 300 000 euros, que ce montant était en rapport avec son état de fortune, sans mieux s'en expliquer, quand elle le condamnait à verser aux parties civiles les sommes totales de 392 623 082,54 euros de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice matériel, 145 000 euros en réparation de leur préjudice moral, 600 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale et qu'elle ordonnait par ailleurs à son encontre, à titre de peine complémentaire, la confiscation de la somme de 99 230,63 euros figurant au crédit de son compte bancaire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 132-1, 132-20 du code pénal, 485 et 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme. »
51. Le septième moyen proposé pour M. [V] critique l'arrêt en ce qu'il l'a condamné à verser une amende de 300 000 euros, alors :
« 1°/ que le montant de l'amende est déterminé en tenant compte des ressources et des charges de l'auteur de l'infraction ; qu'il appartient à la juridiction de jugement qui prononce une peine d'amende de prendre en compte, au titres des charges, celles qui résultent des condamnations qu'elle prononce sur l'action civile, en particulier lorsqu'elles sont considérables ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. [N] [V] était âgé de 95 ans au moment du prononcé de l'arrêt et qu'il était atteint de graves problèmes de santé ; que la cour a condamné M. [V], sur l'action civile, à verser aux parties civiles au titre de dommages-intérêts et frais irrépétibles une somme totale s'élevant à plus de 400 millions d'euros ; qu'en condamnant M. [V], un homme âgé de plus de 95 ans atteint de graves problèmes de santé, au paiement d'une amende de 300 000 euros sans examiner les charges d'un montant exceptionnel nées de la condamnation sur l'action civile, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 132-20, alinéa 2, du code pénal, ensemble l'article 132-1 du même code. »
Réponse de la Cour
52. Les moyens sont réunis.
53. D'une part, si, en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, et s'il est en outre tenu, s'il prononce une amende, de motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu, celles-ci ne comprennent pas les charges résultant de la déclaration de culpabilité, telles que les condamnations au paiement de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis par les parties civiles, dès lors que l'importance du préjudice peut au contraire constituer un critère d'appréciation de la gravité de l'infraction.
54. D'autre part, il ne résulte pas de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. [Y] aurait saisi la cour d'appel du moyen pris du caractère disproportionné de l'atteinte portée à son droit de propriété par le niveau global des peines pécuniaires, lequel moyen aurait en tout état de cause été inopérant en l'espèce, dès lors que la confiscation avait pour objet un bien qui était dans sa totalité, en valeur, le produit des infractions dont le prévenu a été déclaré coupable.
55. Dès lors, les moyens, qui sont infondés, doivent être écartés.
Sur les dixième moyen proposé pour M. [Y], et huitième moyen proposé pour M. [V]
Enoncé des moyens
56. Le dixième moyen proposé pour M. [Y] critique l'arrêt en ce qu'il a prononcé la confiscation en valeur de la somme de 99 230,63 euros inscrite au crédit de son compte bancaire n° [XXXXXXXXXX01], alors :
« 1°/ que peuvent seuls constituer le produit d'une infraction les fonds et biens générés par celle-ci ; que, dès lors, en énonçant, pour confisquer en valeur la somme de 99 230, 63 euros figurant au crédit du compte bancaire du prévenu, que celui-ci avait perçu une rémunération d'au moins deux millions d'euros à l'issue de l'arbitrage en sa qualité d'avocat de mandataires liquidateurs du groupe [D] et de [C] [D] et que la part de rémunération correspondant à ses conseils et actions relatifs à l'arbitrage frauduleux et au détournement de biens publics était au moins égale au montant de la somme confisquée, sans établir que les fonds qu'il avait ainsi perçus en règlement de ses honoraires provenaient en partie de ceux qui avaient été versés à ses clients par le [13] et le [13] en exécution de la sentence arbitrale litigieuse, la cour d'appel, qui n'a pas établi l'origine illicite de cette rémunération, n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-21 et 313-7 du code pénal dans leur rédaction applicable ;
2°/ qu'en affirmant péremptoirement, pour confisquer en valeur la somme de 99 230, 63 euros figurant au crédit du compte bancaire du prévenu, qu'elle « estime certain que [la] part de la rémunération correspondant aux conseils et actions de [H] [Y] relatifs à l'arbitrage frauduleux et au détournement de biens publics est au moins égale au montant de la somme saisie » (arrêt, p. 203), sans déterminer le montant exact des honoraires perçus par M. [Y] dans le cadre de la procédure d'arbitrage, lesquels correspondaient, selon elle, au produit des infractions dont elle le déclarait coupable, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-21 et 313-7 du code pénal dans leur rédaction applicable. »
57. Le huitième moyen proposé pour M. [V] critique l'arrêt en ce qu'il a ordonné la confiscation à hauteur de 389 000 euros de l'ensemble immobilier situé à [Adresse 32], alors :
« 1°/ que la confiscation peut porter sur tous les biens qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction ; que le produit indirect de l'infraction est constitué par la transformation de ce qui a été généré directement par l'action ou l'abstention incriminée ; que le produit direct du délit d'escroquerie est constitué par l'objet de la remise opérée par la dupe et son produit indirect par la transformation de l'objet de cette remise ; que pour ordonner la confiscation à hauteur de 389 000 euros de l'ensemble immobilier situé à [Adresse 32], la cour d'appel a énoncé que « si le produit direct de l'infraction est tout avantage économique tiré de l'infraction pénale elle-même, le produit indirect de l'infraction vise, quant à lui, à appréhender toutes les formes d'enrichissement susceptibles d'avoir un lien avec la commission des faits, ce qui est le cas en l'espèce s'agissant du bien immobilier saisi, financé avec la rémunération de M. [V] en qualité d'arbitre » (arrêt attaqué, p. 206) ; qu'en statuant ainsi, quand la rémunération de M. [V] ne constituait pas le produit indirect du délit d'escroquerie pour lequel il a été condamné, la cour d'appel a méconnu l'article 131-21 du code pénal ;
2°/ que selon les propres constatations de l'arrêt, la « cour considère que le produit de l'infraction s'élève au montant des sommes versées aux liquidateurs (305 495 780,97 euros), auquel doit s'ajouter la créance abandonnée de la [34] sur la liquidation [D] (87 127 301,57 euros), [qu'] il est donc de 392 623 082,54 euros » (arrêt attaqué, p. 222), la cour d'appel ayant par ailleurs énoncé que « ce montant total constitue le produit direct des infractions connexes d'escroquerie et de complicité de détournement de biens publics par un particulier » (eod. loc.) ; qu'en énonçant néanmoins par ailleurs que le bien immobilier des époux [V] était le produit indirect de l'escroquerie car financé avec sa rémunération d'arbitre, rémunération qui n'est pas la transformation des sommes qu'elles considérait elle-même comme le produit de l'escroquerie, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires en violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;
3°/ que hormis le cas où la confiscation, qu'elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le produit de l'infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé lorsqu'une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d'office lorsqu'il s'agit d'une confiscation de tout ou partie du patrimoine ; qu'il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu ; que l'ensemble immobilier situé à Saint-Martin dont la cour d'appel a ordonné la confiscation n'est pas, ainsi qu'il a été démontré par les deux premières branches du moyen, le produit de l'escroquerie pour lequel l'exposant a été condamné ; qu'en ordonnant la confiscation de ce bien sans s'être assurée de son caractère confiscable en application des conditions légales, sans préciser le fondement de la mesure, la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu, la cour d'appel, qui ne met pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer que les exigences de motivation rappelées ci-dessus ont été respectées, n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 131-21 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
58. Les moyens sont réunis.
59. Pour condamner M. [Y] à la confiscation en valeur, à titre de produit des infractions dont il a été déclaré coupable, de la somme de 99 230,63 euros figurant sur un compte bancaire dont il est titulaire au [15], l'arrêt attaqué relève que ce dernier, en qualité d'avocat des mandataires liquidateurs du groupe [D] et de [C] [D], a perçu la somme d'au moins 2 millions d'euros à l'issue de l'arbitrage, et que cette somme peut s'analyser, au moins pour partie, en l'avantage économique qu'il a retiré de la commission des infractions d'escroquerie et de complicité de détournement de biens publics par un particulier.
60. Les juges précisent que M. [Y] a fait valoir que cette somme était la rémunération de la défense de [C] [D] dans ses procès l'opposant au [16] et à la société [13], et n'incluait donc que pour partie son concours lors de la préparation et la tenue de l'arbitrage, mais qu'ils estiment certain que cette part de la rémunération correspondant aux conseils et actions du prévenu relatifs à l'arbitrage frauduleux et au détournement de biens publics est au moins égale au montant de la somme saisie.
61. Pour par ailleurs condamner M. [V] à la confiscation, à hauteur de 389 000 euros, d'un ensemble immobilier dont son épouse et lui sont propriétaires à [Localité 31] (97), à titre de produits des infractions dont il a été déclaré coupable, l'arrêt retient que les époux [V] sont propriétaires de cet ensemble immobilier dont la construction a été financée, à hauteur de 389 000 euros, au moyen des fonds perçus par M. [V], pour un montant de 399 262,66 euros, à titre d'honoraires à la suite de la sentence arbitrale.
62. En prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen.
63. En effet, d'une part, les juges ont souverainement évalué l'avantage économique tiré des infractions dont les prévenus ont été déclarés coupables.
64. D'autre part, cet avantage, qui constitue le produit de ces infractions pour chacun des prévenus, se distingue de l'objet du délit de complicité de détournement de biens publics commis par un particulier, lequel, identique pour l'ensemble des participants à l'infraction comme étant un élément constitutif de celle-ci, correspond aux fonds versés par les sociétés [13] et [13] en exécution de la sentence arbitrale frauduleuse.
65. Dès lors, les moyens doivent être écartés.
Sur le neuvième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [Y]
Enoncé du moyen
66. Le neuvième moyen critique l'arrêt en ce qu'il a assorti la peine d'interdiction d'exercer la profession d'avocat et de conseil juridique prononcée à son encontre de l'exécution provisoire, alors :
« 2°/ qu'en déclarant exécutoire par provision la peine d'interdiction d'exercer la profession d'avocat ou de conseil juridique qu'elle prononçait à l'encontre de M. [Y], sans relever la commission, par celui-ci, d'autres faits délictueux dans l'exercice de ses fonctions depuis les faits poursuivis, anciens de plus de dix ans, ni établir l'existence d'un risque de récidive, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-10, 131-26 du code pénal, 471, 512 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
67. Aucune disposition législative ne prévoit l'obligation pour les juges de motiver leur décision par laquelle ils déclarent exécutoire par provision une peine d'interdiction professionnelle.
68. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.
Sur le premier moyen proposé pour les sociétés [30] et [8]
Enoncé du moyen
69. Le premier moyen critique l'arrêt en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de condamnation formées contre les sociétés [8] et [30] ès qualités par les sociétés [13] et [13], alors « que la créance née postérieurement au jugement d'ouverture n'est payée par les organes de la procédure collective que si elle est née régulièrement ; qu'une créancé née de la commission d'un fait délictueux ne saurait être regardée comme née régulièrement ; qu'en jugeant au contraire que la condition de naissance régulière n'est pas affectée par le caractère délictueux ou dommageable de l'acte générateur de la créance pour déclarer les demandes de condamnation des exposantes recevables, la cour d'appel a violé l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985, applicable en l'espèce. »
Réponse de la Cour
70. Est régulière, au sens de l'article 40 de la loi n° 85-98 du 5 janvier 1985, la créance qui ne résulte pas d'un acte accompli en méconnaissance des règles gouvernant les pouvoirs du débiteur et des organes de la procédure de liquidation judiciaire, quand bien même cette créance serait née d'un acte fautif du débiteur.
71. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le moyen proposé pour la société [26]
Enoncé du moyen
72. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a rejeté la demande de la société [26] en mainlevée des saisies pénales et restitution du solde du contrat d'assurance capitalisation souscrit le 12 juin 2009 par la société [21] auprès de [40], des soldes des comptes bancaires de la société [21] n° 95721002781 et n° 72741279 ouverts dans les livres de la [35] et des soldes des comptes bancaires de la société [21] n° 175937 et n° 175938 ouverts dans les livres de l'[45], alors :
« 1°/ que tout jugement doit être suffisamment motivé ; que l'insuffisance de motifs équivaut à leur absence; que, dans ses écritures d'appel, la société [21] faisait valoir que ses actifs étaient insuffisants pour faire face au montant de son passif, de sorte qu'il convenait d'ordonner la mainlevée des biens saisis pour préserver le gage des créanciers (conclusions d'appel de la société [21], p. 2, in fine, p. 3, in limine); qu'en refusant d'ordonner la mainlevée des saisies pratiquées aux seuls motifs que les biens saisis étaient le produit indirect de l'infraction, et que la société [21] n'était pas de bonne foi, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de la société [21], à l'égard de laquelle la saisie avait été pratiquée, n'était pas de nature à justifier la mainlevée des saisies afin de préserver le gage des créanciers de la société, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, en violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que la mesure de saisie pénale, de nature provisoire, a pour objet de garantir la peine complémentaire de confiscation selon les conditions définies à l'article 131-21 du code pénal ; que la mesure de saisie pénale n'opère pas transfert de propriété du bien saisi ; que le maintien d'une mesure de saisie pénale d'un bien appartenant au débiteur d'une procédure collective sans prononcé d'une peine complémentaire de confiscation a pour effet de maintenir le bien saisi dans le patrimoine du débiteur tout en empêchant la détermination de son insuffisance d'actifs et, en conséquence, la clôture de la procédure collective ; qu'en refusant d'ordonner la mainlevée des saisies pratiquées tout en s'abstenant de prononcer une peine complémentaire de confiscation, la cour d'appel a maintenu artificiellement les biens saisis dans le patrimoine de la société [21] sans terme, empêchant la détermination de l'actif réalisable et rendant impossible la clôture de la liquidation judiciaire ouverte à l'endroit de cette dernière, en violation de l'article 706-141 du code de procédure pénale, ensemble les articles L. 622-21 et L. 643-9 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
73. La demanderesse ne saurait se faire un grief de ce que la cour d'appel n'a pas répondu au moyen tiré des conséquences de l'ouverture d'une procédure collective à son encontre, dès lors que la mise en liquidation judiciaire, qui ne s'oppose ni au prononcé d'une peine de confiscation, ni à une mesure préalable de saisie destinée à en garantir l'exécution (Crim., 23 octobre 2019, pourvoi n° 18-85.820, publié au Bulletin), n'est pour ce motif pas propre à imposer la mainlevée d'une telle mesure.
74. Par ailleurs la non-restitution d'un bien saisi ne revient pas à le maintenir sous main de justice sans limitation de durée, dès lors qu'il résulte du troisième alinéa de l'article 41-4 du code de procédure pénale que les biens non restitués deviennent la propriété de l'Etat, sous réserve des droits des tiers, dans les conditions de ce texte.
75. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le moyen, pris en ses deuxième, quatrième, sixième, septième et huitième branches, proposé pour les sociétés [22], [5], [25], [42] et [46]
Enoncé du moyen
76. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il rejeté la demande des sociétés [22], [41], [25], [5] et [46] en mainlevée de saisies pénales et restitution concernant le bien immobilier situé sur la commune de [Localité 33], les comptes ouverts au nom de la société [22] à l'[45] et à la [39], ceux ouverts au nom de la société [41] à la [37] de [Localité 33], à la [37] de [Localité 29] et à l'[45], celui ouvert au nom de la société [5] à la [39], celui ouvert au nom de la société [25] à [28] et ceux ouverts au nom de la société [46] à la [39], alors :
« 2°/ que la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, qui a ajouté au troisième alinéa de l'article 481 du code de procédure pénale que le tribunal correctionnel peut refuser la restitution « lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction » est postérieure aux faits reprochés aux prévenus ; que, partant, à supposer même que l'article 481 alinéa 3 du code de procédure pénale ait été applicable en l'espèce, il ne pouvait l'être que dans sa rédaction antérieure à la loi du 3 juin 2016 conformément au principe de non-rétroactivité des délits et des peines applicable au refus de restitution au stade du jugement, qui équivaut à une peine de confiscation dès lors qu'il conduit à la perte de la propriété du bien saisi ; que la cour d'appel, qui a refusé la restitution du produit des infractions aux exposantes en se fondant sur l'article 481 alinéa 3 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi du 3 juin 2016, a violé le principe précité et ainsi méconnu les articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 49.1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 112-1 du code pénal ;
4°/ que la bonne foi de la société propriétaire, qui sollicite la restitution, s'apprécie en la personne de son représentant légal à la date de la demande en restitution et ce a fortiori lorsque la société a changé de statut juridique et se trouve en liquidation judiciaire, les anciens dirigeants se trouvant dessaisis de la gestion de ses actifs au profit du liquidateur, qui a pour mission légale de les liquider dans l'intérêt des créanciers ; qu'en l'espèce, l'absence de caractère frauduleux du changement de représentant légal des sociétés exposantes résultait du fait que les liquidateurs judiciaires (curateurs de justice) avaient été désignés par une autorité judiciaire et qu'il n'existait aucun soupçon de collusion entre eux et [C] [D] ou ses ayants droit ; qu'en outre, la liquidation judiciaire n'avait pas seulement eu pour effet de changer les représentants légaux des sociétés exposantes mais plus radicalement de changer leur statut juridique et de donner mandat aux liquidateurs de vendre leurs actifs dans l'intérêt de leurs créanciers, à savoir les sociétés [13] et [13], qui étaient également des tiers de bonne foi et même les victimes des infractions commises ; qu'en refusant d'apprécier la bonne foi des sociétés exposantes à l'aune de leur changement de statut juridique et de celle de leurs actuels liquidateurs judiciaires ainsi que de la mission légale de ceux-ci, qui est d'agir dans l'intérêt des créanciers, la cour d'appel a violé les articles 481 et 484 du code de procédure pénale, ensemble l'article 131-21 du code pénal ;
6°/ que la bonne foi d'une personne morale s'apprécie au regard de la bonne ou mauvaise foi de ses dirigeants ; que si à la date du remploi des fonds provenant du protocole d'exécution des sentences arbitrales le capital des sociétés exposantes était détenu directement ou indirectement par [C] [D], il est constant que ce dernier était en liquidation judiciaire et que les fonds avaient été versés aux liquidateurs judiciaires des époux [D] et du Groupe [D] (par le [13] et le [13]) (arrêt p. 193 § 9 et p. 208 § 5), ce dont il résultait que la bonne foi des sociétés exposantes devait s'apprécier au regard de la bonne ou mauvaise foi des liquidateurs judiciaires des époux [D] et du Groupe [D], c'est-à-dire de la Selafa [30] et de société [17] (arrêt p. 215 § 5), et non pas au regard de celle de [C] [D] ; qu'en retenant la mauvaise foi des exposantes, pour rejeter leur demande en restitution, sans vérifier ni constater que la Selafa [30] et la société [17] auraient été de mauvaise foi lorsque les fonds ont été remployés au bénéfice des exposantes, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles 481 et 484 du code de procédure pénale, et de l'article 131-21 du code pénal ;
7°/ que le refus de restitution d'un bien saisi constituant le produit direct ou indirect de l'infraction est une simple faculté pour la juridiction saisie ; qu'en rejetant la demande de restitution formée par les exposantes aux motifs que les biens saisis constituaient le produit indirect des infractions d'escroquerie et de complicité de détournement de fonds publics et que les exposantes n'étaient pas de bonne foi au moment de la commission des faits, sans répondre aux conclusions par lesquelles elles faisaient valoir que, compte tenu des particularités de l'espèce, il était inopportun de rejeter leur demande de restitution dès lors, d'une part, que les exposantes, dont les intérêts ne se confondaient plus aujourd'hui avec ceux de [C] [D] ou de ses ayants droit, sollicitaient la restitution des biens afin de désintéresser les créanciers dans le cadre de leur liquidation, dont principalement le [13] et le [13], parties civiles dans le cadre de l'instance, sans qu'aucune somme ne puisse revenir à l'avenir aux ayants droits de [C] [D] et, d'autre part, que la restitution des biens aux exposantes aurait le même effet que leur confiscation – à savoir servir à l'indemnisation du [13] et du [13] – à ceci près que les diligences seraient effectuées par le liquidateur et les curateurs plutôt que l'AGRASC, ce qui serait plus rapide pour les parties civiles et moins coûteux pour l'Etat, la cour d'appel a statué par des motifs insuffisants et ainsi violé l'article 593 du code de procédure pénale ;
8°/ que le tiers, y compris celui de mauvaise foi, n'est pas assimilable à un condamné et doit bénéficier du plus haut standard de protection, notamment de l'application en tout état de cause du contrôle de proportionnalité de toute atteinte portée à son droit de propriété ; qu'en l'espèce, ainsi que le faisaient valoir les exposantes (conclusions p. 18-20), le refus de leur restituer les biens saisis dont elles sont propriétaires prive d'indemnisation leurs créanciers, dont les sociétés [13] et [13], également privés de leur indemnisation en tant que parties civiles dès lors que l'article 706-164 du code de procédure pénale, qui permet l'indemnisation des parties civiles sur les fonds confisqués, ne s'applique pas en cas de refus de restitution, ce qui ne peut se trouver justifié ici par l'objectif d'éviter l'enrichissement du condamné en cas de restitution, les ayants droit de [C] [D] n'ayant aucune chance de percevoir des sommes après que les sociétés [13] et [13] aient été désintéressées dans le cadre de la liquidation judiciaire des sociétés exposantes ; qu'ainsi, à supposer même que les exposantes soient considérées comme des tiers de mauvaise foi et quand bien même les biens dont elles sollicitaient la restitution étaient le produit d'infractions, la cour d'appel aurait dû vérifier, comme elle y était invitée, si le refus de restitution qu'elle leur opposait n'était pas disproportionné ; qu'en ne le faisant pas, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
77. Pour rejeter, en application de l'article 481 du code de procédure pénale, la demande de restitution de biens placés sous main de justice présentée par les sociétés [22], [5], [25], [41] et [46], l'arrêt relève que ces biens constituent le produit des infractions connexes d'escroquerie et de complicité de détournement de biens publics par un particulier, par suite du réemploi par [C] [D] et la société [26], à partir de 2009, de la somme de 305 495 780,97 euros versée aux liquidateurs en exécution de la sentence arbitrale litigieuse, à laquelle doit être ajoutée la créance abandonnée par la [34] sur la liquidation [D] pour un montant de 87 127 301,57 euros, le produit total s'élevant ainsi à la somme de 392 623 082,54 euros.
78. Les juges ajoutent que, si la restitution du produit de l'infraction ne peut être refusée à un requérant de bonne foi, les sociétés requérantes ne sont pas en l'espèce de bonne foi.
79. Ils précisent que la bonne foi du tiers propriétaire apparent ou réel de la société doit s'apprécier au moment de la commission des faits, puisque la rechercher chez ses nouveaux dirigeants ou liquidateurs au moment de la demande de restitution aurait notamment pour conséquence de rendre impossible tout refus de restitution, y compris du produit infractionnel, en cas de changement de représentant de la personne morale.
80. Ils énoncent encore que l'absence de bonne foi renvoie ainsi à la connaissance qu'avaient la société [22], détenue à 100 % par [C] [D], et ses filiales et sous-filiales détenues elles-même à 100 %, de l'utilisation des fonds et de leur origine illicite, les intérêts de [C] [D] se confondant avec ceux de l'ensemble de ces sociétés qui ne pouvaient ignorer, dans les circonstances de la cause, la provenance frauduleuse de leurs biens.
81. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
82. En effet, d'une part, si les décisions de non-restitution du produit de l'infraction ont pour effet, comme la peine complémentaire de confiscation de celui-ci, de transférer à l'Etat la propriété des biens sur lesquels ces mesures portent, la non-restitution ne constitue pas pour autant une peine, comme ayant pour seul objet de lutter contre toute forme d'enrichissement illicite (Cons. const., 3 décembre 2021, décision n° 2021-951 QPC), de sorte que les dispositions de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 ayant modifié les dispositions de l'article 481 du code de procédure pénale en prévoyant que le tribunal peut refuser la restitution lorsque le bien saisi est le produit direct ou indirect de l'infraction, s'analysent en une loi de procédure s'appliquant aux faits commis avant son entrée en vigueur.
83. D'autre part, en matière de restitution, la bonne foi du requérant doit être appréciée à la date où ce dernier a acquis ses droits sur les biens objet de sa requête, et non à la date de celle-ci, de sorte que le moyen tiré du placement en liquidation judiciaire des requérantes dans l'ordre juridique belge est inopérant, celui-ci étant intervenu postérieurement au transfert de la propriété des fonds litigieux.
84. La circonstance que [C] [D] avait déjà été placé en liquidation judiciaire à la date où la société [22] et ses filiales se sont vues transférer la propriété du produit de l'infraction est sans emport, dès lors que le jugement de liquidation judiciaire d'une personne physique emporte dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens, notamment des parts dans le capital de sociétés, mais ne le dessaisit pas de ses fonctions de représentant légal de celles-ci (Com., 27 novembre 2001, pourvoi n° 97-22.086, Bull. civil 2001, IV, n° 189), de sorte que la cour d'appel était fondée à apprécier la bonne foi de ces sociétés en la personne de [C] [D], lequel, d'une part était organe et représentant de ces personnes morales, l'une ou l'autre de ces qualités justifiant une telle appréciation, d'autre part, avait accepté la possession des fonds litigieux pour le compte de celles-ci.
85. Enfin, la restitution d'un bien saisi constituant le produit direct ou indirect de l'infraction constitue une faculté pour la juridiction saisie, de sorte que la décision qui la refuse n'a pas lieu d'être motivée.
86. Par ailleurs, le moyen pris du caractère disproportionné de l'atteinte portée au droit de propriété par ce refus est inopérant.
87. Dès lors, le moyen doit être écarté.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour les sociétés [13] et [13]
Enoncé du moyen
88. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a, d'une part, rejeté leur demande de restitution du contrat de capitalisation souscrit par la société [21] auprès de [40] et des sommes figurant au crédit des comptes bancaires saisis de [C] [D] et de ses sociétés, à savoir du compte ouvert à la [37] succursale de [Localité 33] au nom de la société [43], de celui ouvert par la société [20] dans les livres de la [28] à [Localité 27], du compte à vue au nom de la société [43] et ouvert auprès de la [38], des comptes ouverts auprès d'[45] et dont sont titulaires M. [D] et plusieurs de ses sociétés (compte ouvert le 25 novembre 2011 au nom de la société [43], deux comptes ouverts le même jour au nom de la société [26] SNC, le compte ouvert le 9 février 2012 au nom de la société [23]) et des comptes ouverts auprès de la [39] (au nom de [24], de [23], de [C] [D], d'Aircraft management services, de [46] et de [44]) et a, d'autre part, rejeté toutes les autres demandes de mainlevée des saisies pénales et de restitution formées respectivement par la SNC [26], représentée par son liquidateur judiciaire, Maître [J], et par les sociétés [22], [41], [25], [5] et [46], représentées par leur administrateur, alors :
« 3°/ que la saisie par le magistrat instructeur de biens qui sont les produits directs et indirects d'une infraction contre les biens est une mesure de caractères provisoire et conservatoire destinée à préserver l'efficacité d'une peine ultérieure de confiscation et, le cas échéant, à permettre à la partie civile, victime de l'infraction, d'exercer la faculté que lui octroie l'article 706-164 du code de procédure pénale d'obtenir de l'AGRASC un paiement prioritaire des dommages et intérêts par prélèvement sur les sommes et valeurs liquidatives des biens saisis ; que la juridiction de jugement qui constate l'existence d'un délit d'escroquerie et prononce au bénéfice de la victime une condamnation à dommages-intérêts, mais ne prononce pas de peine de confiscation des produits directs et indirects de cette infraction, compte tenu du décès, survenu en cours d'instance, de l'un des prévenus, est tenue de se prononcer sur le dénouement des saisies ordonnées lors de l'instruction préparatoire d'une manière telle que les biens saisis soient restitués à la partie civile si celle-ci peut faire valoir un droit sur ces biens ou, à défaut, restitués à leur propriétaire, de telle sorte que la partie civile et les autres créanciers soient en mesure d'appréhender ces biens par des voies d'exécution individuelles ou collectives ; qu'en l'espèce, les sociétés [13] et [13] formaient une demande de restitution des actifs placés sous main de justice, tantôt à titre principal, tantôt à titre subsidiaire pour le cas où les demandes des mandataires judiciaires des sociétés du groupe [D] tendant à en obtenir, dans l'intérêt des créanciers, la restitution ne seraient pas accueillies ; que, tout en constatant que ces actifs constituaient des produits directs ou indirects des infractions connexes d'escroquerie et de détournement de biens publics dont elle a caractérisé l'existence, la cour d'appel n'en a pas prononcé la confiscation, compte tenu du décès de [C] [D], titulaire direct ou indirect de ces actifs ; qu'en refusant de faire droit à la fois aux demandes de restitution formées par les sociétés [13] et [13] et aux demandes de restitution formées par les liquidateurs judiciaires des diverses sociétés du groupe [D], la cour d'appel qui a, par-là placé les sociétés [13] en situation de ne pouvoir, ni procéder à des voies d'exécution sur les produits de l'infraction commise à son détriment, ni faire utilement valoir ses droits dans les procédures collectives de [C] [D] et des sociétés de son groupe, a méconnu les droits des parties civiles, en particulier leur droit de propriété et leur droit à l'exécution de la décision de justice rendue en leur faveur, et a ainsi violé l'article préliminaire du code de procédure pénale, ensemble l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et l'article 6 §1 de cette convention. »
Réponse de la Cour
89. Les sociétés [13] et [13] ne sauraient se faire un grief de ce que l'arrêt attaqué a rejeté leur demande de restitution du produit des infractions commises à leur préjudice, ainsi que les demandes de restitution des liquidateurs des sociétés du groupe [D], ce dont elles déduisent que la cour d'appel les aurait ainsi placées en situation de ne pouvoir, ni procéder à des voies d'exécution sur les produits de l'infraction commise à leur détriment, ni faire utilement valoir leurs droits dans la liquidation judiciaire de [C] [D] et des sociétés de son groupe, pour les motifs qui suivent.
90. Les demanderesses sont fondées à obtenir de l'AGRASC, dans les conditions de l'article 706-164 du code de procédure pénale, que les dommages-intérêts et les frais leur soient payés par prélèvement sur les fonds ou sur la valeur liquidative des biens dont la non-restitution a été prononcée par décision définitive, à compter du transfert de la propriété des biens à l'Etat en application du troisième alinéa de l'article 41-4 du même code.
91. En effet, l'article 481 de ce code doit être interprété à la lumière de la directive 2014/42/UE du 3 avril 2014, dont l'article 4, § 2, dispose que, lorsqu'il n'est pas possible de procéder à la confiscation à la suite d'une condamnation définitive, au moins lorsque cette impossibilité résulte d'une maladie ou de la fuite du suspect ou de la personne poursuivie, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation des instruments ou produits dans le cas où une procédure pénale a été engagée concernant une infraction qui est susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique et où ladite procédure aurait été susceptible de déboucher sur une condamnation pénale si le suspect ou la personne poursuivie avait été en mesure de comparaître en justice.
92. Ces dispositions ont été transposées par l'article 84 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 qui a modifié l'article 481 du code de procédure pénale en prévoyant que le tribunal correctionnel peut refuser la restitution d'un bien saisi lorsqu'il est le produit direct ou indirect de l'infraction.
93. Il s'en déduit que, si la non-restitution de l'instrument et du produit de l'infraction ne constitue pas une peine, dès lors que le seul objet de cette mesure est de prévenir le renouvellement d'infractions et de lutter contre toute forme d'enrichissement illicite, dans l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public, la décision de non-restitution de l'instrument et du produit prononcée par la juridiction de jugement constitue néanmoins une alternative à la confiscation, lorsque le prononcé de celle-ci est impossible en raison, comme en l'espèce, d'une circonstance personnelle à la personne poursuivie, et en partage les effets comme emportant la dévolution du bien non restitué à l'Etat en application du troisième alinéa de l'article 41-4 du code de procédure pénale.
94. En conséquence, pour l'application de l'article 706-164 du code de procédure pénale, la non-restitution de l'instrument et du produit direct ou indirect de l'infraction produit les mêmes effets que la confiscation lorsque la non-restitution a été décidée par la juridiction de jugement en application de l'article 481 du code de procédure pénale, après la caractérisation par les juges des éléments constitutifs de l'infraction et de l'impossibilité d'entrer en voie de condamnation en raison d'une circonstance propre à la personne de l'auteur, telle que le décès, de nature à rendre impossible la déclaration de culpabilité et le prononcé de la confiscation.
95. Dès lors, le moyen, qui soutient à tort que les dispositions de l'article 706-164 du code de procédure pénale ne pourraient être mises en oeuvre, doit être écarté.
Mais sur le quatrième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposé pour M. [A], et sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [E]
Enoncé des moyens
96. Le quatrième moyen proposé pour M. [A] critique l'arrêt en ce qu'il
l'a déclaré coupable de complicité de détournement de biens contenus dans un dépôt public commis par un particulier, alors :
« 3°/ que la complicité punissable suppose une aide et assistance apportée sciemment à l'auteur principal du délit de détournement de biens dans un dépôt public, ce qui suppose, en l'espèce, la connaissance du caractère frauduleux de la sentence arbitrale en exécution de laquelle la remise des fonds est intervenue ; que dès lors que l'arrêt retient que M. [A], relaxé de ce chef, n'a pas participé à l'escroquerie à la sentence arbitrale et qu'il n'apparait pas qu'il savait que l'arbitrage était frauduleux, la cour d'appel ne pouvait retenir, faute de l'élément intentionnel requis, sa complicité du chef de détournement de biens contenus dans un dépôt public ; que la cour d'appel a violé les articles 121-6, 121-7 et 433-4 du code pénal ;
4°/ qu'en retenant que l'intention coupable de M. [A] a consisté à favoriser clandestinement la partie adverse du [13] au détriment des intérêts de ce dernier, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé les articles 121-6, 121-7, 433-4 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »
97. Le troisième moyen proposé pour M. [E] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de fonds publics, alors :
« 3°/ que le détournement de fonds publics implique la conscience d'utiliser les fonds à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été remis ; que la cour d'appel a jugé qu'« il n'apparaît pas qu'il [M. [E]] savait que l'arbitrage serait frauduleux » ; qu'en estimant cependant que M. [E] a concouru à un détournement des fonds en exécutant la sentence arbitrale conformément à ce que celle-ci prévoyait, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a de nouveau méconnu les dispositions des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-3 et 121-7, 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
98. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 121-7 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
99. Selon le premier de ces textes, est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation.
100. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
101. Pour déclarer les prévenus coupables de complicité de détournement de biens publics commis par un particulier au préjudice des sociétés [13] et [13], l'arrêt relève en substance que les concessions accordées par M. [A] à [C] [D] dissimulées au conseil d'administration de la société [13], au président et au conseil d'administration de l'EPFR et à l'Agence des participations de l'Etat, de par leur nombre et leur importance, ne peuvent être mises sur le compte d'une simple négligence, mais ne peuvent que résulter d'un choix délibéré et orienté de gestion personnelle du contentieux qui s'écartait de la défense des intérêts de la société [13] et des finances publiques pour venir favoriser la partie adverse.
102. Les juges ajoutent que les actes de M. [E] ne peuvent être considérés comme de la simple négligence, du fait de leur caractère délibéré, répété et déterminant pour la poursuite du processus délictuel, mais ne peuvent que résulter de l'intention d'agir, à propos du contentieux litigieux, à l'encontre des intérêts qu'il aurait dû défendre, pour favoriser la partie adverse. Ils précisent qu'en agissant clandestinement, à l'insu parfois de la ministre dont il était pourtant le directeur de cabinet, le prévenu a démontré la parfaite conscience qu'il avait du caractère anormal de ses actes.
103. Ils énoncent encore qu'en contribuant de manière décisive au renoncement de la société [13] à l'exercice d'un recours contre la sentence arbitrale, au mépris des intérêts de cette société et des finances publiques qu'ils étaient chargés de défendre, MM. [A] et [E] ont délibérément apporté leur aide à la partie adverse qui a pu ainsi recevoir une somme d'environ 403 millions d'euros en exécution d'un arbitrage frauduleux, ce versement consommant l'infraction de détournement de biens publics par un particulier.
104. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel, qui a par ailleurs, pour relaxer les prévenus du délit de complicité d'escroquerie à la sentence arbitrale, retenu qu'ils n'avaient pas connaissance du caractère frauduleux de l'arbitrage, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et n'a ainsi pas justifié sa décision.
105. La cassation est par conséquent encourue.
Et sur le huitième moyen proposé pour M. [Y]
Enoncé du moyen
106. Le huitième moyen critique l'arrêt en ce qu'il a interdit à M. [Y] l'exercice de la profession d'avocat ou de conseil juridique pendant une durée de cinq ans, alors :
« 1°/ qu'en condamnant M. [Y] à cinq ans d'interdiction d'exercer la profession d'avocat ou de conseil juridique lorsque, dans les motifs de sa décision, il est énoncé qu'il y a lieu de condamner l'intéressé à l'interdiction d'exercer la profession d'avocat seulement, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-27, 131-28, 313-7, 433-22 du code pénal et a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;
2°/ que la profession de conseil juridique n'existe plus depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 dont l'article 1er a modifié l'article 1er de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ; que, dès lors, en interdisant l'exercice de cette profession à M. [Y] pour une durée de cinq ans, la cour d'appel a violé ces textes, ensemble les articles 131-27, 131-28, 313-7, 433-22 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
107. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
108. Après avoir énoncé dans ses motifs qu'il est indispensable de prononcer à l'encontre de M. [Y] l'interdiction d'exercer la profession d'avocat pendant une durée de cinq ans, l'arrêt le condamne, dans son dispositif, à cinq d'ans d'interdiction d'exercice de la profession d'avocat ou de conseil juridique.
109. En se déterminant ainsi, par des motifs en contradiction avec le dispositif de la décision, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
110. La cassation est par conséquent à nouveau encourue.
Et sur les douzième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [Y], douzième moyen, pris en sa première branche, seizième moyen, proposés pour M. [V], et deuxième moyen proposé pour les sociétés [30] et [8]
Enoncé des moyens
111. Le douzième moyen proposé pour M. [Y] critique l'arrêt en ce qu'il l'a condamné solidairement avec M. [V] à verser la somme de 301 124 236,27 euros à la société [13] et la somme de 91 498 846,27 euros à la société [13] à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice matériel et l'a condamné solidairement avec M. [V] à verser à ces deux sociétés la somme de 45 000 euros de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral, alors :
« 1°/ que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'en condamnant solidairement M. [Y] et M. [V], à verser aux sociétés [13] et [13] la somme totale de 392 623 082,54 euros en réparation de leur préjudice matériel, correspondant à « toutes les sommes versées du fait de la sentence arbitrale frauduleuse » (arrêt, p. 218), quand elle constatait que, par un arrêt définitif du 3 décembre 2015, la cour d'appel de Paris avait annulé la sentence arbitrale (arrêt, p. 218) et condamné solidairement les sociétés [19], [21], les mandataires liquidateurs des époux [D] et des sociétés [6] et [10] à restituer au [13] et au [13] la somme de 404 623 082,04 euros que ceux-ci leur avait versée en exécution de la sentence arbitrale litigieuse, outre les intérêts à taux légal et la capitalisation (arrêt, p. 109), la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. »
112. Le douzième moyen proposé pour M. [V] critique l'arrêt en ce qu'il l'a condamné solidairement à verser à la société [13] la somme de 301 124 236,27 euros et à la société [13] la somme de 91 498 846,27 euros de dommages-intérêts au titre de leur préjudice matériel, alors :
« 1°/ que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et que cette réparation doit avoir lieu sans perte ni profit ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que par arrêt définitif de la cour d'appel de Paris du 3 décembre 2015, les sociétés [13] et [13] ont obtenu la restitution des sommes versées en exécution de la sentence arbitrale annulée ; que pour condamner solidairement M. [N] [V] à verser à la société [13] la somme de 301 124 236,27 euros et à la société [13] la somme de 91 498 846,27 euros de dommages-intérêts au titre de leur préjudice matériel, la cour d'appel a énoncé que « le fait que les parties civiles disposent déjà d'un titre exécutoire à l'encontre d'un débiteur ne les empêche pas de demander réparation de leur préjudice à un autre débiteur, ou bien au même débiteur mais pour une cause différente de celle retenue par la juridiction civile » (arrêt attaqué, p. 218-219) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu l'article 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale. »
113. Le seizième moyen proposé pour M. [V] critique l'arrêt en ce qu'il l'a condamné solidairement à verser à la société [13] la somme de 301 124 236,27 euros et à la société [13] la somme de 91 498 846,27 euros de dommages-intérêts au titre de leur préjudice matériel, alors « que les sociétés [13] et [13] demandaient à la cour d'appel la condamnation « en deniers ou quittance » de M. [V], tenant compte de la condamnation prononcée par la juridiction civile le 3 décembre 2015 ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu les limites du litige en violation de l'article 2 du code de procédure pénale. »
114. Le deuxième moyen proposé pour les sociétés [30] et [8] critique l'arrêt en ce qu'il les a condamnées ès qualités à verser la somme de 301 124 236,27 euros à la société [13] et la somme de 91 498 846,23 euros à la société [13] en réparation de leur préjudice matériel, in solidum avec MM. [V] et [Y], alors :
« 1°/ que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'en indemnisant le préjudice subi par les sociétés [13] et [13] créances quand celles-ci avaient déjà été indemnisées de leur préjudice par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 3 décembre 2015, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé en violation des articles 593 du code de procédure pénale et 1240 du code civil ;
2°/ que les sociétés [13] et [13] demandaient à la cour d'appel la condamnation « en deniers ou quittance » des sociétés [8] et [30] ès qualités, tenant compte de la condamnation prononcée par la juridiction civile le 3 décembre 2015 ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu les limites du litige en violation de l'article 2 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
115. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 1382 devenu 1240 du code civil, 2 et 3 du code de procédure pénale :
116. Il résulte de ces textes que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.
117. Les juges du fond, statuant sur les intérêts civils, doivent se prononcer dans les limites des conclusions des parties.
118. Pour condamner solidairement MM. [Y] et [V], in solidum avec les sociétés [30] et [8], à verser 301 124 236,27 euros à la société [13] et 91 498 846,27 euros à la société [13], en réparation de leur préjudice matériel, l'arrêt retient notamment que, par arrêt en date du 3 décembre 2015, la cour d'appel de Paris, statuant au fond sur le contentieux qui était soumis aux arbitres aux termes du compromis, a rejeté toutes les demandes formulées à l'encontre des sociétés [13] et [13], et condamné solidairement les sociétés [19], [21], les mandataires liquidateurs de [C] [D] et des sociétés [2] et [10], et Mme [D] à restituer aux sociétés [13] et [13] la somme de 404 623 082,04 euros avec intérêts au taux légal depuis le jour du paiement en exécution de la sentence et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil.
119. Les juges relèvent cependant que le fait que les parties civiles disposent déjà d'un titre exécutoire à l'encontre d'un débiteur ne les empêche pas de demander réparation de leur préjudice à un autre débiteur, ou bien au même débiteur mais pour une cause différente de celle retenue par la juridiction civile.
120. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas prononcé la condamnation en deniers ou quittances dans les limites de la demande dont elle était saisie, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
121. La cassation est par conséquent à nouveau encourue.
Et sur les treizième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [Y], quatorzième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [V], septième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [A] et septième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [E]
Enoncé des moyens
122. Le treizième moyen proposé pour M. [Y] critique l'arrêt en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'agent judiciaire de l'Etat, alors :
« 1°/ que l'action civile ne peut être exercée devant les juridictions pénales que par celui qui a subi un préjudice personnel prenant directement sa source dans l'infraction poursuivie, c'est-à-dire dans les faits visés à la prévention ; que, dès lors, en déclarant recevable la constitution de partie civile de l'Agent judiciaire de l'Etat venant aux droits de l'EPFR, après avoir retenu que l'Etat était une victime « par ricochet » des délits d'escroquerie et de complicité de détournement d'un bien public poursuivis « du fait de la garantie des fonds du [13] et de [13] par l'EPFR » (arrêt, p. 214), la cour d'appel a violé l'article 2 du code de procédure pénale. »
123. Le quatorzième moyen proposé pour M. [V] critique l'arrêt en ce qu'il l'a condamné in solidum à verser 100 000 euros en réparation du préjudice moral de l'Etat, alors :
« 2°/ que l'action civile devant les juridictions répressives, qui n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement et directement souffert des faits, objet de l'infraction poursuivie ; qu'en énonçant que l'« Etat a donc bien été victime directe, par ricochet, du fait de la garantie des fonds du [13] et de [13] par l'EPFR » (arrêt attaqué, p. 214) du délit d'escroquerie commis par M. [N] [V], la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires et méconnu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale. »
124. Le septième moyen proposé pour M. [A] critique l'arrêt en ce qu'il déclaré recevable la constitution de partie civile de l'agent judiciaire de l'Etat et l'a condamné solidairement avec MM. [V], [Y] et [E] à lui verser la somme de 100 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral de l'Etat, alors :
« 1°/ que l'action civile ne peut être exercée devant les juridictions pénales que par celui qui a subi un préjudice personnel prenant directement sa source dans l'infraction poursuivie ; qu'en déclarant recevable la constitution de partie civile de l'agent judiciaire de l'Etat venant aux droits de l'EPFR, après avoir retenu que l'Etat était une victime « par ricochet » des délits d'escroquerie et de complicité de détournement d'un bien public poursuivi « du fait de la garantie des fonds du [13] et de [13] par l'EPFR » (arrêt p. 124), la Cour d'appel a violé les articles 2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
125. Le septième moyen proposé pour M. [E] critique l'arrêt en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'agent judiciaire de l'Etat et a condamné M. [E], solidairement avec MM. [V], [Y] et [A], à verser à l'agent judiciaire de l'Etat la somme de 100 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral de l'Etat, alors :
« 1°/ que l'action civile ne peut être exercée devant les juridictions pénales que par celui qui a subi un préjudice personnel prenant directement sa source dans l'infraction poursuivie, c'est-à-dire dans les faits visés à la prévention ; que, dès lors, en déclarant recevable la constitution de partie civile de l'Agent judiciaire de l'Etat venant aux droits de l'EPFR, après avoir retenu que l'Etat était une victime « par ricochet » des délits d'escroquerie et de complicité de détournement d'un bien public poursuivis « du fait de la garantie des fonds du [13] et de [13] par l'EPFR » (arrêt, p. 214), la cour d'appel a méconnu les articles 2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
126. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 2 et 593 du code de procédure pénale :
127. Selon le premier de ces textes, l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.
128. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
129. Pour déclarer recevable la constitution de partie civile de l'agent judiciaire de l'Etat, l'arrêt retient que ce dernier, agissant au nom de l'Etat, vient aux droits de l'EPFR à la suite de la dissolution de celui-ci le 1er janvier 2015, les éléments de passif et d'actif ainsi que les biens, droits et obligations de son activité, tels que les créances liées aux garanties consenties par l'EPFR aux sociétés [13] et [13], ayant été transférés à l'Etat.
130. Les juges ajoutent que l'EPFR ayant participé au versement des sommes obtenues par les mandataires liquidateurs du groupe et des époux [D] en exécution de l'arbitrage, comme étant chargé du financement de la garantie de la société [13], l'Etat a été victime directe, par ricochet, du fait de la garantie des fonds des sociétés [13] et [13] par l'EPFR, des infractions dont les prévenus ont été déclarés coupables et des fautes civiles commises par [C] [D].
131. En prononçant ainsi, par des motifs dont il résulte que les préjudices susceptibles d'avoir été subis par l'Etat n'avaient pas pour cause directe les infractions poursuivies, mais étaient la conséquence de la garantie des dettes des sociétés [13] et [13] par l'EPFR, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
132. La cassation est par conséquent à nouveau encourue.
Portée et conséquence de la cassation
133. La cassation sur le huitième moyen proposé pour M. [Y] aura lieu sans renvoi et par voie de retranchement.
134. La cassation sur les douzième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [Y], douzième moyen, pris en sa première branche, et seizième moyen, proposés pour M. [V], et deuxième moyen proposé pour les sociétés [30] et [8] aura également lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.
135. Le renvoi ne concernera que l'action publique et l'action civile relatives à MM. [A] et [E], ainsi que l'action civile relative à l'agent judiciaire de l'Etat.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le treizième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [Y], le quatorzième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [V], le septième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [A], et le septième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [E], relatifs à l'étendue du droit à réparation de l'Etat, la Cour :
Sur le pourvoi formé par la société [7] :
CONSTATE la déchéance du pourvoi ;
Sur les pourvois formés par MM. [N] [V], [H] [Y], [R] [E], [G] [A], et les sociétés [13], [13], [26], [30], [8], [22], [5], [25], [41] et [46] :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 24 novembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives à l'action publique et à l'action civile concernant MM. [E] et [A], relatives aux intérêts civils concernant l'Etat, relatives à la peine de cinq ans d'interdiction professionnelle prononcée à l'encontre de M. [Y], mais seulement en ce que l'arrêt a interdit à ce prévenu d'exercer la profession de conseil juridique, et relatives à la condamnation solidaire de MM. [Y] et [V], in solidum avec les sociétés [30] et [8], à réparer le préjudice matériel des sociétés [13] et [13], mais seulement en ce que la cour d'appel s'est abstenue de prononcer cette condamnation en deniers ou quittances, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
DIT que la condamnation de MM. [Y] et [V], et des sociétés [30] et [8], à réparer le préjudice matériel des sociétés [13] et [13], telle qu'énoncée par l'arrêt susvisé, interviendra en deniers ou quittances ;
DIT que l'interdiction professionnelle d'une durée de cinq ans prononcée par l'arrêt susvisé, a pour seul objet la profession d'avocat ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites du surplus de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit juin deux mille vingt-trois.
N2>Sur la remise préalable des biens détournés, à rapprocher :Crim., 19 octobre 1993, pourvoi n° 93-83.225, Bull. crim. 1993, n° 297 (rejet).N7>Sur l'application immédiate des dispositions du troisième alinéa de l'article 481 du code de procédure pénale, à rapprocher :Crim., 28 février 2018, pourvoi n° 17-81.577, Bull. crim. 2018, n° 41 (rejet).N9>Sur l'appréciation de la bonne foi de la personne morale en la personne de l'organe ou du représentant, à rapprocher :Crim., 15 janvier 2014, pourvoi n° 13-81.874, Bull. crim. 2014, n° 12 (rejet) ;Crim., 10 mars 2021, pourvoi n° 20-84.117, Bull. crim. (rejet).N10>Sur la motivation de la décision de refus de restitution, à rapprocher :Crim., 20 janvier 2021, pourvoi n° 20-81.118, Bull. crim. (rejet).N11>Sur l'application de l'article 706-164, à rapprocher :Crim., 19 avril 2017, pourvoi n° 16-80.718, Bull. crim. 2017, n° 108 (cassation).N12 >Sur l'élément moral de la complicité par aide ou assistance, à rapprocher :Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 19-87.367, Bull. crim. (cassation).N13 >Sur le préjudice direct en matière d'escroquerie, à rapprocher :Crim., 27 juin 1963, pourvoi n° 62-91.086, Bull. crim. 1963 n° 238 (cassation) ; Crim., 2 mai 1983, pourvoi n° 81-94.911, Bull. crim. 1983, n° 122 (rejet) ;Crim., 4 novembre 1969, pourvoi n° 68-91.999, Bull. crim. 1969, n° 280 (rejet).
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CASS/JURITEXT000047738017.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 juin 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 447 F-B
Pourvoi n° S 21-18.453
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 JUIN 2023
La société Brasserie Vanuxeem France, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° S 21-18.453 contre l'arrêt rendu le 18 mars 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre 1, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à la directrice générale des douanes et droits indirects, domiciliée [Adresse 2],
2°/ au directeur régional des douanes et droits indirects de [Localité 3], domicilié [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Daubigney, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Brasserie Vanuxeem France, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la directrice générale des douanes et droits indirects et du directeur régional des douanes et droits indirects de [Localité 3], et l'avis écrit de M. Crocq, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Daubigney, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 18 mars 2021), la société Brasserie Vanuxeem France (la société Vanuxeem) est un entrepositaire agréé qui exploite une activité de négoce d'alcools, notamment de bières brassées par trois brasseries situées en Belgique, dont elle fait l'acquisition auprès de la société de droit belge Brouwerij Vanuxeem.
2. Le 18 juin 2015, à la suite d'un contrôle, l'administration des douanes lui a notifié un procès-verbal d'infraction de paiement du droit spécifique sur les bières au titre des années 2012 à 2015.
3. Après l'émission d'un avis de mise en recouvrement (AMR) et rejet de sa contestation, la société Vanuxeem a saisi le tribunal de grande instance en annulation de l'AMR litigieux.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. La société Vanuxeem fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation du procès-verbal d'audition de M. [E], alors :
« 1°/ que la personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre des faits constituant une infraction en matière de contributions indirectes ne peut être entendue qu'après la notification des informations prévues à l'article 61-1 du code de procédure pénale, parmi lesquelles le droit de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d'accès au droit ; qu'il ressort des propres mentions de l'arrêt attaqué et du procès-verbal d'audition du 17 avril 2015 que M. [E], responsable export de la société Vanuxeem, n'a pas été informé de ce droit, préalablement à son audition ; que ce défaut d'information fait nécessairement grief à la personne interrogée dès lors que l'infraction reprochée n'est pas punie d'emprisonnement de sorte que la personne auditionnée n'est pas informée qu'elle a le droit de se faire assister d'un avocat de son choix ; qu'en outre, ce type de consultation juridique a vocation à expliciter les droits de la défense, les faits reprochés, la législation applicable au besoin en renvoyant la personne soupçonnée auprès d'un avocat spécialisé dans la matière si celle-ci est trop technique ; qu'en décidant que l'omission invoquée n'avait pas pu causer à la société Vanuxeem de grief dès lors que les conseils juridiques qu'elle pouvait espérer obtenir ne relevaient manifestement pas des consultations gratuites et généralistes permettant de favoriser l'accès au droit mais bien de la consultation personnelle d'un avocat spécialisé en matière d'infraction douanière, consultation qui aura lieu par la suite, la cour d'appel a violé les articles L. 39 du livre des procédures fiscales, 61-1 et 802 du code de procédure pénale ;
2°/ que la personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre des faits constituant une infraction en matière de contributions indirectes ne peut être entendue qu'après la notification des informations prévues à l'article 61-1 du code de procédure pénale, parmi lesquelles le droit de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d'accès au droit ; qu'il ressort des propres mentions de l'arrêt attaqué et du procès-verbal d'audition du 17 avril 2015 que M. [E], responsable export de la société Vanuxeem, n'a pas été informé de ce droit, préalablement à son audition ; que ce défaut d'information fait nécessairement grief à la personne interrogée, qui, au lieu de se rendre dans ce type de structure d'accès au droit, afin d'être conseillée, accepte d'être immédiatement auditionnée sans savoir qu'elle pouvait préalablement être conseillée ; qu'en jugeant que l'omission invoquée n'avait pas pu causer à la société Vanuxeem de grief dès lors qu'elle avait accepté d'être entendue immédiatement alors qu'elle était informée qu'elle pouvait quitter les lieux et qu'elle avait le droit de se taire, la cour d'appel a derechef violé les articles L. 39 du livre des procédures fiscales, 61-1 et 802 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
6. Il résulte des articles L. 39 du livre des procédures fiscales et 61-1, 6°, du code de procédure pénale, qu'une personne à l'encontre de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre des faits constituant une infraction en matière de contributions indirectes, ne peut être entendue librement sur ces faits qu'après avoir été informée, notamment, de la possibilité de bénéficier, le cas échéant gratuitement, de conseils juridiques dans une structure d'accès au droit.
7. Selon l'article 802 du code de procédure pénale, en cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d'une demande d'annulation ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne.
8. Après avoir constaté que M. [E], responsable export de la société Vanuxeem, s'est vu notifier son droit de se taire et son droit de quitter à tout moment les locaux où il était entendu, et que l'infraction n'étant pas punie d'une peine d'emprisonnement, il n'y avait pas lieu de lui notifier le droit à bénéficier de l'assistance d'un avocat, l'arrêt retient que l'omission de notification à M. [E] de son droit à bénéficier des conseils juridiques d'une structure d'accès au droit n'a causé aucun grief à la société Vanuxeem dès lors que celle-ci, entendue sur une éventuelle infraction douanière commise dans le cadre de son activité commerciale en matière de droit d'accise, a bénéficié, tout au long de la procédure, des conseils d'avocats spécialisés en matière d'infractions douanières.
9. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il n'y avait pas lieu d'annuler le procès-verbal d'audition du 17 avril 2015.
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
10. La société Vanuxeem fait grief à l'arrêt de de confirmer l'AMR du 19 juin 2015 et de dire que la décision de rejet de sa contestation était fondée, alors « qu'il résulte de l'article 4 de la directive 92/83/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 que les Etats membres peuvent appliquer des taux d'accise réduits en faveur des petites brasseries indépendantes, lesquelles s'entendent de brasseries juridiquement et économiquement indépendantes de toute autre brasserie, qui utilisent des installations physiquement distinctes de celles de toute autre brasserie et qui ne produisent pas sous licence ; les Etats membres veillent à ce que les taux réduits qu'ils introduisent éventuellement soient appliqués de la même manière à la bière fournie sur leur territoire en provenance de petites brasseries indépendantes situées dans d'autres Etats membres ; que, selon l'article 178-0 bis C de l'annexe III au code général des impôts, pris pour l'application de cette directive, les personnes qui mettent à la consommation des bières brassées par des petites brasseries indépendantes doivent, pour bénéficier de taux réduits du droit d'accise en matière de bière, produire, à l'appui de la déclaration de mise à la consommation, une attestation certifiée par l'autorité administrative compétente du lieu de production que les bières en cause ont bien été produites par une brasserie qui respecte les conditions fixées par l'article 4, § 2, de la directive 92/83/CEE du 19 octobre 1992 ; qu'il s'ensuit que la détermination du point de savoir si une brasserie peut être qualifiée de petite brasserie indépendante au sens de l'article 4, § 2, de la directive précitée est fondée sur une répartition des compétences entre les autorités douanières des Etats membres en ce sens que cette qualification est établie en premier lieu par l'autorité douanière compétente du lieu de production de la bière, le contrôle d'une telle qualification étant assurée par le règlement (UE) n° 389/2012 du Conseil du 2 mai 2012 relatif à la coopération administrative dans le domaine des droits d'accise, et notamment les articles 8 et 15 de ce règlement qui prévoient une obligation d'interroger l'autorité compétente en cas de risque d'infraction à la législation sur le droit d'accise ; qu'en jugeant que l'administration douanière française était habilitée à remettre en cause unilatéralement, la qualification de petite brasserie indépendante résultant des attestations délivrées par les autorités douanières belges, sans avoir à justifier qu'elle avait interrogé son homologue belge, ni produire sa réponse, la cour d'appel a violé l'article 178-0 bis C de l'annexe III au code général des impôts, 8 et 15 du règlement (UE) n° 389/2012 du Conseil du 2 mai 2012 et, par fausse application, l'article 16 du même règlement. »
Réponse de la Cour
11. En premier lieu, l'article 8 du règlement (UE) n° 389/2012 du Conseil du 2 mai 2012 relatif à la coopération administrative dans le domaine des droits d'accise, impose à l'autorité requise de communiquer à l'autorité requérante les informations que cette dernière juge nécessaire à la bonne application de la législation relative aux droits d'accise, mais n'instaure aucune obligation, pour l'autorité compétente d'un Etat membre, de recourir à ce mécanisme lorsqu'elle estime disposer de toutes les informations dont elle a besoin.
12. En deuxième lieu, si, aux termes de l'article 15, § 1, sous a) à c), du même règlement, l'autorité compétente de chaque État membre transmet à l'autorité compétente de tous les autres États membres concernés, sans demande préalable et dans le cadre de l'échange automatique régulier ou de l'échange automatique déclenché par un événement, les informations nécessaires à la bonne application de la législation relative aux droits d'accise, notamment, lorsqu'une irrégularité ou une infraction à la législation relative aux droits d'accise a été commise ou est suspectée d'avoir été commise dans un autre État membre, lorsqu'une irrégularité ou une infraction à la législation relative aux droits d'accise qui a été commise ou qui est suspectée d'avoir été commise sur le territoire d'un État membre peut avoir des répercussions dans un autre État membre ou lorsqu'il existe un risque de fraude ou de perte de droits d'accise dans un autre État membre, cet article ne subordonne pas la perception des droits d'accise par les autorités de l'Etat membre sur le territoire duquel des produits soumis à accise sont mis à la consommation à la transmission, par ces autorités, des informations nécessaires à la bonne application de la législation relative aux droits d'accise par les autorités des autres Etats membres.
13. En dernier lieu, si les autorités douanières françaises doutent du bien-fondé de l'attestation, exigée à l'article 178-0 bis C de l'annexe III du code général des impôts, que des bières mises à la consommation en France ont été produites par une petite brasserie indépendante au sens de l'article 4 de la directive 92/83/CEE du Conseil du 19 octobre 1992, elles sont en droit d'exiger de la personne mettant les bières à la consommation qu'elle justifie de ce que leur producteur a cette qualité, sans être tenue de solliciter l'autorité compétente de l'Etat membre de production qui a certifié ladite attestation.
14. Le moyen, qui postule le contraire, doit être rejeté.
Sur ce moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
15. La société Vanuxeem fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 2°/ qu'il résulte de l'article 4 de la directive 92/83CEE du Conseil du 19 octobre 1992 que les Etats membres peuvent appliquer des taux d'accises réduits en faveur des petites brasseries indépendantes, lesquelles s'entendent de brasseries juridiquement et économiquement indépendantes de toute autre brasserie, qui utilisent des installations physiquement distinctes de celles de toute autre brasserie et qui ne produisent pas sous licence ; que, dans son arrêt en date du 4 juin 2015, (CJUE, arrêt du 4 juin 2015, Brasserie Bouquet, C-285/14) la Cour de justice de l'Union européenne a dit, en son considérant 23, que la notion de production "sous licence" devait être interprétée de manière à ce qu'elle comprenne la production de bière sous toute forme d'autorisation, telle que l'autorisation d'exploiter un brevet, une marque ou un procédé de production appartenant à un tiers ; qu'il résulte des propres mentions de l'arrêt attaqué que la société Brouwerij Vanuxeem est seule propriétaire de la marque de bière Queue de Charrue ; que les brasseries Verhaeghe, Du Bocq et Van Steenberghe, qui ne commercialisent pas les bières Queue de Charrue qu'elles produisent, ne sont pas autorisées à utiliser ladite marque ; qu'il est constant qu'il n'existe aucun brevet attaché aux bières Queue de Charrue ; que s'il est fait état d'une recette originale de fabrication à laquelle la société Brouwerij Vanuxeem a participé, la cour d'appel ne constate pas qu'elle constitue un procédé de fabrication appartenant à cette dernière société, que les trois brasseries en cause auraient été autorisées à utiliser ; qu'en jugeant que ces trois brasseries ne pouvaient être considérées comme agissant en dehors de toute autorisation dès lors qu'elles produisaient des bières spécifiques pour le seul compte de la société Brouwerij Vanuxeem, et pour l'apposition de la marque de cette dernière, sans constater que la recette originale de fabrication desdites bières constituait un procédé de fabrication appartenant à la société Brouwerij Vanuxeem et qu'elle aurait fait l'objet d'une autorisation d'utilisation en faveur des trois brasseries de production, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 178-0 bis A de l'annexe III au code général des impôts et 4 de la directive 92/83/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 ;
3°/ qu'en jugeant que les brasseries Verhaeghe, Du Bocq et Van Steenberghes ne pouvaient être considérées comme agissant en dehors de toute autorisation dès lors qu'elles produisaient une bière pour le seul compte de la société Brouwerij Vanuxeem, et pour l'apposition de la marque de cette dernière, sans préciser sur quel bien appartenant à cette dernière aurait porté l'autorisation de produire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 178-0 bis A de l'annexe III au code général des impôts et 4 de la directive 92/83/CEE du Conseil du 19 octobre 1992. »
Réponse de la Cour
16. Selon l'article 178-0 bis A de l'annexe III du code général des impôts, transposant la directive 92/83/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 en matière d'harmonisation des structures des droits d'accises sur l'alcool et les boissons alcooliques, pour l'application des taux réduits du droit spécifique mentionnés à l'article 520 A du code général des impôts, une petite brasserie indépendante doit produire annuellement moins de 200 000 hectolitres de bière, être indépendante juridiquement et économiquement de toute autre brasserie, utiliser des installations distinctes de celles de toute autre brasserie et ne pas produire sous licence.
17. Dans son arrêt du 4 juin 2014, Brasserie Bouquet (C-285/14), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que la notion de production sous licence doit être interprétée de manière à ce qu'elle comprenne la production de bière sous toute forme d'autorisation, dont il résulte que la petite brasserie n'est pas complètement indépendante du tiers qui lui a donné cette autorisation, et que tel est le cas s'agissant de l'autorisation d'exploiter un brevet, une marque ou un procédé de production appartenant à un tiers (point 23) et a dit pour droit qu'aux fins de l'application du taux d'accise réduit sur la bière, la condition prévue à l'article 4, § 2, de la directive 92/83/CEE selon laquelle une brasserie ne doit pas produire sous licence n'est pas remplie si la brasserie concernée fabrique sa bière conformément à un accord en vertu duquel elle est autorisée à utiliser les marques et le procédé de fabrication d'un tiers.
18. L'arrêt énonce exactement que les dispositions de l'article 178-0 bis C de l'annexe III du code général des impôts, qui imposent à l'entrepositaire agréé d'obtenir une attestation de production et d'en justifier ab initio, n'interdisent pas à l'administration des douanes de la remettre en cause dès lors qu'elle dispose d'éléments pour en contester le bien-fondé.
19. Après avoir constaté que la société Brouwerij Vanuxeem est propriétaire de la marque de bière Queue de Charrue, inscrite au registre des marques en Belgique et en France, et que les bières commercialisées sous cette marque sont produites par trois brasseries distinctes, l'arrêt relève que le représentant de la société Vanuxeem est convenu que la société Brouwerij Vanuxeem avait élaboré les recettes des bières en collaboration avec les brasseries productrices, et que la production des bières produites sur la base des recettes originales n'est vendue que sous la marque Queue de Charrue et ne peut l'être qu'à la société Brouwerij Vanuxeem ou à l'une de ses filiales. Il ajoute qu'il n'est pas établi que les brasseries productrices aient pu commercialiser les bières ainsi élaborées sous une autre marque.
20. En l'état de ces énonciations dont il se déduit que l'administration des douanes française disposait d'éléments concrets, objectifs et vérifiables pour dire que les producteurs des bières mises à la consommation en France par la société Vanuxeem n'étaient pas des petites brasseries indépendantes, au sens de l'article 178-0 bis A de l'annexe III du code général des impôts, la cour d'appel a, à juste titre, retenu que cette société ne pouvait prétendre au taux réduit du droit spécifique.
21. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Brasserie Vanuxeem France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Brasserie Vanuxeem France et la condamne à payer à la directrice générale des douanes et droits indirects et au directeur régional des douanes et droits indirects de [Localité 3] la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047738015.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 juin 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 443 FS-B
Pourvoi n° P 21-18.312
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 JUIN 2023
1°/ M. [B] [M], domicilié [Adresse 3],
2°/ Mme [I] [M], domiciliée [Adresse 2],
3°/ la société La Seiglière, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° P 21-18.312 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2020 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige les opposant à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Est (CRCAM), dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Blanc, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. et Mme [M], et de la société La Seiglière, de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Est, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Blanc, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mmes Fèvre, Ducloz, MM. Alt, Calloch, conseillers, M. Guerlot, Mmes Lion, Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 novembre 2020), rendu sur renvoi après cassation (Com., 22 janvier 2020, pourvoi n° 17-20.819), le 29 août 2000, la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Est (la banque) a consenti à la société La Seiglière un prêt remboursable in fine, le 12 novembre 2013, garanti par le nantissement de deux contrats d'assurance-vie souscrits par M. et Mme [M], associés de la société.
2. Reprochant à la banque un manquement à ses obligations d'information et de conseil, la société La Seiglière et M. et Mme [M] l'ont assignée en responsabilité.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
4. La société La Seiglière et M. et Mme [M] font grief à l'arrêt de rejeter les demandes de la société en paiement de dommages et intérêts formées à l'encontre de la banque, alors :
« 1°/ que la perte de chance d'éviter un risque est certaine lorsque le risque s'est réalisé ; que, dans un contrat de prêt in fine nanti par un contrat d'assurance-vie, la perte de chance d'éviter le risque de ne pas pouvoir rembourser le capital emprunté grâce au rachat du contrat d'assurance-vie est certaine lorsque la valeur du contrat d'assurance-vie, à la date d'exigibilité du capital, n'en permet pas le remboursement ; qu'en jugeant que le préjudice était hypothétique, sans rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si la situation des contrats d'assurance-vie permettait ou aurait permis à l'échéance du terme de rembourser le capital, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil ;
2°/ les juges du fond doivent examiner tous les documents de la cause ; que la société La Seiglière produisait aux débats les relevés annuels de valorisation d'épargne au 31 décembre 2013, que la banque leur a envoyés le 4 février 2014, selon lesquels au 31 décembre 2013, les comptes affichaient les sommes de 35 231,91 euros pour celui de Mme [M] et de 34 677,06 euros pour celui de M. [M] ; qu'en n'examinant pas ces documents, dont il ressortait que les contrats d'assurance-vie ne permettaient pas à l'échéance du crédit, le 12 novembre 2013, de s'acquitter de la somme due en capital de 152 449 euros, et qui établissaient la réalisation du risque dont la société La Seiglière n'avait pas été informée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Le dommage résultant du manquement d'une banque à l'obligation d'informer le souscripteur d'un prêt in fine du risque que le rachat de contrats d'assurance-vie, du fait d'une contre-performance de ceux-ci, ne permette pas le remboursement du prêt à son terme consiste en la perte d'une chance d'éviter la réalisation de ce risque.
6. Lorsqu'ayant pris conscience de l'existence de ce risque, dont il pouvait légitimement craindre qu'il se réalisât, l'emprunteur rembourse le prêt par anticipation à seule fin d'en prévenir la réalisation, son préjudice consiste en la perte d'une chance, non d'éviter la réalisation du risque, mais d'éviter les conséquences dommageables de ce remboursement anticipé.
7. La valeur de rachat des contrats d'assurance-vie à la date du terme initialement prévu est dès lors sans incidence sur l'appréciation de ce préjudice.
8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société La Seiglière et M. et Mme [M] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société La Seiglière et M. et Mme [M] et les condamne in solidum à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Centre Est la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.
Sur le point de départ de la prescription en matière d'action en responsabilité contre une banque, à rapprocher : Com., 6 mars 2019, pourvoi n° 17-22.668, Bull., (cassation partielle).
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CASS/JURITEXT000047738011.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 juin 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 441 FS-B
Pourvoi n° P 21-19.853
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 JUIN 2023
M. [N] [T], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° P 21-19.853 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2021 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Axyalis patrimoine, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ghestin, avocat de M. [T], de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Axyalis patrimoine, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mmes Fèvre, Ducloz, MM. Alt, Calloch, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 8 juin 2021), sur les conseils de la société Axyalis patrimoine, M. [T] a souscrit un contrat d'assurance-vie en unités de compte et a investi, le 9 décembre 2010, une certaine somme dans des unités de compte « Axyalis coupons ». En 2014, les fonds ont été désinvestis et réinvestis dans des unités de compte « Kairos ».
2. Soutenant avoir subi une forte baisse des capitaux investis, résultant d'un manquement de la société Axyalis patrimoine à ses obligations de conseil, de mise en garde et d'assurer l'adéquation des supports conseillés avec le profil de risque déclaré de l'investisseur, M. [T] l'a assignée en responsabilité.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. [T] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action en responsabilité contre la société Axyalis patrimoine, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que le dommage résultant du manquement d'une société de conseil en gestion de patrimoine à son devoir de conseil, de mise en garde et d'assurer l'adéquation des supports d'investissement avec le profil de risque déclaré des investisseurs se réalise et ne peut être connu de ces derniers qu'à l'échéance des unités de compte constituées de produits structurés dont le résultat n'est acquis qu'à cette échéance ; qu'à l'appui de sa décision, la cour d'appel a estimé que, dès la conclusion des contrats en cause, M. [T] savait que les supports conseillés comportaient des risques de perte en capital, le point de départ du délai de prescription de son action en responsabilité contre cette société de conseil en gestion de patrimoine se situant en conséquence à la date de conclusion desdits contrats ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le devoir de conseil, de mise en garde et d'assurer l'adéquation des supports conseillés avec le profil de risque déclaré de l'investisseur, violant les articles 1134 ancien et 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :
4. Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
5. Le manquement d'un conseiller en gestion de patrimoine à son obligation d'informer le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie libellé en unités de compte sur le risque de pertes présenté par un support d'investissement, ou à son obligation de le conseiller au regard d'un tel risque, prive ce souscripteur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes. Celles-ci ne se réalisent qu'au rachat du contrat d'assurance-vie, quand bien même le support en cause aurait fait antérieurement l'objet d'un désinvestissement. Le préjudice résultant d'un tel manquement doit être évalué au regard, non de la variation de la valeur de rachat de l'ensemble du contrat, mais de la moins-value constatée sur ce seul support, modulée en considération du rendement que, dûment informé ou conseillé, le souscripteur aurait pu obtenir du placement des sommes initialement investies sur ce support jusqu'à la date du rachat du contrat.
6. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date où l'investissement a lieu, mais à la date du rachat du contrat d'assurance-vie.
7. Pour déclarer prescrite l'action de M. [T], l'arrêt retient qu'il résulte de divers éléments que, dès son premier investissement sous forme d'unités de compte, qu'il s'agisse de l'unité de compte Axyalis coupons ou de l'unité de compte Kairos, il était informé du risque inhérent à ce type de placement et de l'aléa que représente l'interdépendance entre les actions du panier. Il en déduit que, dès le 9 décembre 2010, M. [T] savait qu'un dommage caractérisé par la perte du capital investi était susceptible de se réaliser et qu'il en assumait intégralement le risque et que, par conséquent, le point de départ du délai de prescription doit être fixé à cette date.
8. En statuant ainsi, alors qu'à cette date, le dommage invoqué par M. [T], tenant aux pertes subies sur les sommes investies, ne s'était pas réalisé, de sorte que le délai de prescription n'avait pas commencé à courir, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne la société Axyalis patrimoine aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Axyalis patrimoine et la condamne à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.
Sur la détermination du point de départ de la prescription en présence d'un nantissement d'un contrat d'assurance-vie, à rapprocher : Com., 6 mars 2019, pourvoi n° 17-22.668, Bull., (cassation partielle).
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COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 juin 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 442 FS-B
Pourvoi n° D 21-16.716
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 JUIN 2023
1°/ M. [L] [C],
2°/ Mme [Z] [W], épouse [C],
tous deux domiciliés [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° D 21-16.716 contre l'arrêt rendu le 23 mars 2021 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige les opposant à la société Axyalis patrimoine, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ghestin, avocat de M. et Mme [C], de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Axyalis patrimoine, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mmes Fèvre, Ducloz, MM. Alt, Calloch, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 23 mars 2021), sur les conseils de la société Axyalis patrimoine, M. et Mme [C] ont souscrit chacun un contrat d'assurance-vie en unités de compte et ont investi, les 14 décembre 2010 et 5 janvier 2011, pour M. [C], le 10 mai 2011, pour Mme [C], une certaine somme dans des unités de compte « Axyalis coupons ». En 2014, les fonds ont été désinvestis et réinvestis dans des unités de compte « Kairos ».
2. Soutenant avoir subi des pertes en capital à la suite de ces investissements, résultant d'un manquement de la société Axyalis patrimoine à ses obligations de conseil et de mise en garde, M. et Mme [C] l'ont assignée en responsabilité.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. et Mme [C] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite leur action en responsabilité contre la société Axyalis patrimoine, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que le dommage résultant du manquement d'une société de conseil en gestion de patrimoine à son devoir de conseil, de mise en garde et d'assurer l'adéquation des supports d'investissement avec le profil de risque déclaré des investisseurs se réalise et ne peut être connu de ces derniers qu'à l'échéance des unités de compte constituées de produits structurés dont le résultat n'est acquis qu'à cette échéance ; qu'à l'appui de sa décision, la cour d'appel a estimé que, dès la conclusion des contrats en cause, M. et Mme [C] savaient que les supports conseillés comportaient des risques de perte en capital, le point de départ du délai de prescription de leur action en responsabilité contre cette société de conseil en gestion de patrimoine se situant en conséquence à la date de conclusion desdits contrats ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le devoir de conseil, de mise en garde et d'assurer l'adéquation des supports conseillés avec le profil de risque déclaré des investisseurs, violant les articles 1134 ancien et 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :
4. Il résulte de la combinaison de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
5. Le manquement d'un conseiller en gestion de patrimoine à son obligation d'informer le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie libellé en unités de compte sur le risque de pertes présenté par un support d'investissement, ou à son obligation de le conseiller au regard d'un tel risque, prive ce souscripteur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes. Celles-ci ne se réalisent qu'au rachat du contrat d'assurance-vie, quand bien même le support en cause aurait fait antérieurement l'objet d'un désinvestissement. Le préjudice résultant d'un tel manquement doit être évalué au regard, non de la variation de la valeur de rachat de l'ensemble du contrat, mais de la moins-value constatée sur ce seul support, modulée en considération du rendement que, dûment informé ou conseillé, le souscripteur aurait pu obtenir du placement des sommes initialement investies sur ce support jusqu'à la date du rachat du contrat.
6. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage commence à courir, non à la date où l'investissement a lieu, mais à la date du rachat du contrat d'assurance-vie.
7. Pour déclarer prescrite l'action de M. et Mme [C], l'arrêt retient qu'il résulte de divers éléments que, dès leur premier investissement sous forme d'unités de compte, qu'il s'agisse de l'unité de compte « Axyalis coupons » ou de l'unité de compte « Kairos », M. et Mme [C] étaient informés du risque inhérent à ce type de placement et de l'aléa que représente l'interdépendance entre les actions du panier, qu'ainsi, dès le 14 décembre 2010 pour M. [C] et le 10 mai 2011 pour Mme [C], ils savaient qu'un dommage caractérisé par la perte du capital investi était susceptible de se réaliser et qu'ils en assumaient intégralement le risque et que, par conséquent, le point de départ du délai de prescription doit être fixé à ces dates.
8. En statuant ainsi, alors qu'à ces dates, le dommage invoqué par M. et Mme [C], tenant aux pertes subies sur les sommes investies dans les contrats d'assurance-vie qu'ils avaient souscrits, ne s'était pas réalisé, de sorte que le délai de prescription n'avait pas commencé à courir, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne la société Axyalis patrimoine aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Axyalis patrimoine et la condamne à payer à M. et Mme [C] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.
Sur la détermination du point de départ de la prescription en présence d'un nantissement d'un contrat d'assurance-vie, à rapprocher :Com., 6 mars 2019, pourvoi n° 17-22.668, Bull.
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COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 juin 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 455 F-B
Pourvoi n° G 21-23.298
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 JUIN 2023
1°/ la société Transalliance Europe, dont le siège est [Adresse 2] (Luxembourg),
2°/ la société Transwaters, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° G 21-23.298 contre l'arrêt rendu le 28 septembre 2021 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige les opposant à la société Bourgey Montreuil, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La société Bourgey Montreuil a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident, invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat des sociétés Transalliance Europe et Transwaters, de Me Bertrand, avocat de la société Bourgey Montreuil, après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 28 septembre 2021), la société Transalliance Europe et la société Bourgey Montreuil ont créé la société par actions simplifiée Transwaters, dont elles détiennent, chacune pour moitié, le capital social. Cette société a pour objet le pilotage des transports terrestres de la société Nestlé Waters. Ses statuts prévoient que la présidence en est assurée alternativement par une personne désignée par chacun des actionnaires pour une durée de deux ans.
2. Le 20 mai 2015, les sociétés Transwaters et Nestlé Waters ont conclu un contrat aux termes duquel la première assurerait, jusqu'au 31 décembre 2017, la coordination du pilotage et la gestion du transport de tout ou partie des produits finis ou semi-finis de la seconde.
3. Courant 2017, la société Nestlé Waters a informé la société Transwaters qu'elle envisageait une restructuration de son système de gestion des transports de nature à remettre en cause la poursuite de leurs relations contractuelles.
4. Le 13 octobre 2017, la société Nestlé Waters a demandé à la société Transwaters de lui soumettre une proposition d'offre de contrat transitoire.
5. Le 25 octobre 2017, le directeur général de la société Transwaters a convoqué une assemblée générale qui a, le 7 novembre suivant, rejeté, faute d'unanimité, la résolution tendant à ce qu'il soit proposé à la société Nestlé Waters une offre de contrat transitoire.
6. Invoquant un abus d'égalité et un manquement au devoir de loyauté, les sociétés Transalliance Europe et Transwaters ont assigné la société Bourgey Montreuil aux fins de la voir condamner à leur payer des dommages-intérêts en réparation de leur préjudice. La société Bourgey Montreuil a formé une demande reconventionnelle en paiement, par la société Transwaters, de la somme de 404 958 euros au titre d'une facture lui restant due.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses sixième et septième branches
Enoncé du moyen
7. Les sociétés Transalliance Europe et Transwaters font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes et de dire que l'expertise ordonnée par un tribunal de commerce est devenue sans objet, alors :
« 6°/ que manque à son devoir de loyauté l'actionnaire égalitaire d'une société, dont l'influence sociale est prépondérante, pour la diriger à intervalle régulier avec l'autre actionnaire, et dont le vote est nécessaire à l'adoption de toute résolution importante, qui entreprend une activité concurrente de la société, qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Bourgey Montreuil était associée égalitaire de la société Transwaters, qu'avec la société Transalliance elle la dirigeait alternativement pour une durée de deux ans, et que toutes les décisions collectives essentielles devaient être prises à l'unanimité des actionnaires, que la cour d'appel a encore constaté qu'"il n'est pas contesté par la société Bourgey Montreuil que le groupe Géodis a finalement obtenu le marché proposé par la société Nestlé Waters à partir du 1er janvier 2018", et que la société Bourgey Montreuil avait mené des discussions en ce sens avec la société Nestlé Waters alors que le contrat liant cette dernière avec la société Transwaters était encore en cours, qu'en déboutant pourtant les exposantes de leurs demandes fondées sur le manque de loyauté de la société Bourgey Montreuil, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
7°/ que manque à son devoir de loyauté l'actionnaire prépondérant qui entreprend une activité concurrente de la société sans informer cette dernière, ni les autres actionnaires, qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'"il n'est pas contesté par la société Bourgey Montreuil que le groupe Géodis a finalement obtenu le marché proposé par la société Nestlé Waters à partir du 1er janvier 2018", et que la société Bourgey Montreuil avait mené des discussions en ce sens avec la société Nestlé Waters alors que le contrat liant cette dernière avec la société Transwaters était encore en cours, que la cour d'appel a pourtant estimé que "la société Bourgey Montreuil n'avait nulle obligation d'informer son associée ou la société Transwaters des propres démarches de son groupe à l'égard de la société Nestlé Waters", et ce au seul prétexte que le contrat avec Nestlé Waters arrivait à son terme le 31 décembre 2017, qu'en statuant ainsi, quand, peu important la date à laquelle la société Transwaters risquait d'être mise en concurrence, la société Bourgey Montreuil ne pouvait mener des discussions occultes avec la société Nestlé Waters alors que le contrat était encore en cours sans manquer aux exigences de loyauté, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la cour
8. Sauf stipulation contraire, l'associé d'une société par actions simplifiée n'est, en cette qualité, tenu ni de s'abstenir d'exercer une activité concurrente de celle de la société ni d'informer celle-ci d'une telle activité et doit seulement s'abstenir d'actes de concurrence déloyaux.
9. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
10. Les sociétés Transalliance Europe et Transwaters font le même grief à l'arrêt, alors « que commet un abus d'égalité l'actionnaire qui adopte un comportement contraire à l'intérêt social en refusant de voter la réalisation d'une opération essentielle pour la société dans l'unique dessein de favoriser ses intérêts au détriment de l'autre actionnaire, que l'abus d'égalité doit notamment être admis lorsque les associés ont fait le choix de s'unir dans une structure capitalistique égalitaire où chaque décision collective doit être prise à l'unanimité, chacun des associés étant alors à la merci de l'abus commis par l'autre, que, pour débouter les sociétés Transwaters et Transalliance de leur demande fondée sur l'abus d'égalité, la cour d'appel a pourtant retenu que "les deux sociétés actionnaires fondatrices de la société Transwaters ont clairement entendu soumettre l'ensemble de leurs décisions à la règle de l'unanimité, ce qui a pour conséquence que l'une comme l'autre a accepté l'hypothèse d'une mésentente conduisant, dans ce cas, à un blocage du fonctionnement de la société, voire à la disparition, de fait, de l'affectio societatis", qu'en statuant de la sorte, quand la circonstance que les associés de la société Transwaters avaient pris la décision d'exiger l'unanimité pour l'adoption des décisions collectives, loin d'exclure la possibilité de constater un abus d'égalité, la rendait au contraire nécessaire, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1240 du code civil :
11. Selon ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
12. Constitue un abus d'égalité le fait, pour un associé à parts égales, d'empêcher, par son vote négatif, une opération essentielle pour la société, dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l'autre associé.
13. Pour rejeter les demandes des sociétés Transalliance Europe et Transwaters fondées sur l'abus d'égalité, l'arrêt retient que les sociétés Transalliance Europe et Bourgey Montreuil, actionnaires fondateurs de la société Transwaters, ont entendu soumettre l'ensemble de leurs décisions à la règle de l'unanimité, ce qui a pour conséquence que l'une comme l'autre a accepté l'hypothèse d'une mésentente conduisant à un blocage du fonctionnement de la société, voire à la disparition de l'affectio societatis.
14. En se déterminant ainsi, par des motifs tirés de la règle de l'unanimité impropres à exclure l'existence d'un abus d'égalité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
15. Les sociétés Transalliance Europe et Transwaters font le même grief à l'arrêt, alors « que pour établir que c'est bien la société Bourgey Montreuil qui avait refusé de voter en faveur de la résolution tendant à ce que la société Transwaters propose à la société Nestlé Waters un contrat transitoire, les sociétés Transwaters et Transalliance Europe se prévalaient expressément d'un courriel du 27 octobre 2017, adressé par la société Transalliance à la société Bourgey Montreuil, indiquant : "Lors de la réunion du 17 octobre matin, tenue en vos locaux, M. [S] [F] a clairement exposé à M. [R] [C] le choix de Bourgey Montreuil de ne pas répondre à la demande de Nestlé Waters. Par conséquent et dans la mesure où l'un des deux associés de la société Transwaters, représentant 50 % des droits de vote, a déjà clairement exprimé son choix de ne pas donner suite à la demande de Nestlé Waters, la convocation de cette assemblée générale à votre initiative nous semble surprenante", qu'en retenant pourtant que, "même si les circonstances de l'affaire permettent de supposer que la société Bourgey Montreuil n'a pas voté favorablement à cette résolution, pour autant la preuve formelle de cette opposition n'est pas rapportée", sans examiner, serait-ce sommairement, cette pièce, qui établissait que c'est nécessairement la société Bourgey Montreuil qui s'était opposée à la résolution, dans la droite ligne de sa position exprimée lors de la réunion du 17 octobre 2017, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
16. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
17. Pour rejeter les demandes des sociétés Transalliance Europe et Transwaters fondées sur l'abus d'égalité, l'arrêt, après avoir relevé que le procès-verbal de l'assemblée générale de la société Transwaters du 7 novembre 2017 énonce qu'il n'y a pas unanimité pour proposer à la société Nestlé Waters la mise en place d'un contrat transitoire, retient que le sens du vote des deux actionnaires n'est pas précisé et qu'il n'est ainsi pas possible de vérifier lequel des deux a voté contre ou s'est abstenu. L'arrêt en déduit que, même si les circonstances de l'affaire permettent de supposer que la société Bourgey Montreuil n'a pas voté en faveur de cette résolution, la preuve de cette opposition n'est pas rapportée.
18. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions des sociétés Transalliance Europe et Transwaters qui soutenaient qu'il résultait d'un courriel du 27 octobre 2017, adressé par la société Transalliance Europe à la société Bourgey Montreuil, que cette dernière s'était opposée à ce qu'il soit proposé une offre de contrat transitoire à la société Nestlé Waters, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
19. La société Bourgey Montreuil fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de paiement de la facture n° H07L0154 du 21 décembre 2017 d'un montant de 337 465 euros hors taxes (404 958 euros toutes taxes comprises), alors « que pour rejeter la demande de la société Bourgey Montreuil tendant à la condamnation de la société Transwaters à lui payer le montant d'une facture de prestations de services informatiques, la cour d'appel a retenu qu'en dépit des demandes de la société Transwaters et de la société Transalliance Europe, la société Bourgey Montreuil n'avait pas justifié de la convention de prestations de services dont elle se prévalait, que les pièces produites ne permettaient pas de connaître le contenu et l'objet des prestations en cause, et que la société Bourgey Montreuil ne justifiait pas de facturations similaires au titre des exercices précédents, que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a considéré que l'enregistrement comptable de cette facture dans les comptes de la société Transwaters clos au 31 décembre 2017 ne valait pas acceptation de cette dette, et qu'il n'était pas justifié que cette dépense ait été décidée dans le respect de l'article 12 des statuts de la société Transwaters, qui prévoyait la consultation préalable du comité d'études, qu'en statuant de la sorte, sans rechercher, comme elle y était invitée si le vote de l'assemblée générale des associés du 25 septembre 2018 à l'unanimité des deux associés de la société Transwaters, approuvant les comptes annuels de la société dans lesquels avait été enregistrée la facture litigieuse, en dépit de la contestation émise par le président de la société Transwaters, qui avait contesté cette facture, ne valait pas ratification de celle-ci et n'obligeait pas la société Transwaters à la payer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1103 et 1231-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1103 du code civil :
20. Selon ce texte, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
21. Pour rejeter la demande de la société Bourgey Montreuil en paiement de la somme de 404 958 euros au titre d'une facture lui restant due, l'arrêt retient qu'elle ne justifie pas de la convention de prestations de services qu'elle aurait conclue avec la société Transwaters et que les pièces produites ne permettent pas d'établir que cette convention existe. L'arrêt ajoute que l'enregistrement comptable de la facture litigieuse dans les comptes de la société Transwaters clos au 31 décembre 2017 ne vaut pas acceptation de cette dette et qu'il n'est pas justifié que cette dépense ait été décidée dans le respect de l'article 12 des statuts de la société, qui prévoient la consultation préalable du comité d'études.
22. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si, en approuvant à l'unanimité les comptes de la société Transwaters de l'exercice clos au 31 décembre 2017, les associés avaient été en mesure de vérifier l'existence de la facture litigieuse et, le cas échéant, de la contester, et s'ils avaient, par suite, entendu, en approuvant les comptes, approuver l'existence de cette dette, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit n'y avoir lieu à écarter la pièce n° 14 produite par la société Bourgey Montreuil, déclare recevable l'action de la société Transwaters à l'encontre de la société Bourgey Montreuil, et rejette la demande de la société Bourgey Montreuil en dommages et intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 28 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.
N1 >Com., 10 septembre 2013, pourvoi n° 12-23.888, Bull. 2013, IV, n° 131 (cassation partielle sans renvoi).
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CASS/JURITEXT000047738021.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 juin 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 454 F-B
Pourvoi n° M 21-21.875
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 JUIN 2023
1°/ M. [U] [Y], domicilié [Adresse 3],
2°/ la société Holding 2P, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
ont formé le pourvoi n° M 21-21.875 contre l'arrêt rendu le 1er juin 2021 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [C] [P], domicilié [Adresse 1],
2°/ à la société Financière Kartesis, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
3°/ à la société Induspo, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
M. [P] et les sociétés Financière Kartesis et Induspo ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, quatre moyens de cassation.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [Y] et de la société Holding 2P, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de M. [P] et des sociétés Financière Kartesis et Induspo, après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 1er juin 2021), M. [Y] a créé la société 2P et la société Holding 2P (la société H2P), à laquelle il a apporté l'intégralité des titres qu'il détenait dans le capital social de la société 2P.
2. MM. [Y], [P], [G] et [E] ont créé la société par actions simplifiée Financière Kartesis. Ils en étaient les administrateurs, M. [E] en étant le président et M. [Y] le directeur général.
3. La société H2P a apporté l'intégralité des titres de la société 2P qu'elle détenait à la société Financière Kartesis et a reçu, en contrepartie, des actions de cette société au prix nominal de un euro ainsi que des bons de souscription d'actions.
4. Le 17 décembre 2013, la société H2P a consenti à M. [P], à la société Induspo, dirigée par M. [E] et à la société Blumeca, dirigée par M. [G], une promesse unilatérale de vente par laquelle elle s'engageait à leur céder l'ensemble des titres qu'elle détenait dans le capital de la société Financière Kartesis en cas de révocation de M. [Y] des fonctions qu'il occupait au sein de cette société.
5. Le 18 août 2016, soutenant avoir été victime d'un dol, M. [Y] a assigné la société Financière Kartesis en nullité du traité d'apport et de la promesse de vente qu'il avait conclus. Par un jugement irrévocable du 19 avril 2018, ses demandes ont été déclarées irrecevables.
6. Le 30 août 2016, l'assemblée générale de la société Financière Kartesis a décidé la révocation pour faute grave de M. [Y] de ses fonctions de directeur général et d'administrateur.
7. M. [Y] et la société H2P ont assigné la société Financière Kartesis en annulation de cette décision. La société Induspo et M. [P] sont intervenus volontairement à l'instance et ont sollicité, à titre reconventionnel, la mise en oeuvre de la promesse unilatérale de vente que leur avait consentie la société H2P.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens du pourvoi principal et le quatrième moyen, pris en ses première et troisième branches, de ce pourvoi, et le premier moyen du pourvoi incident
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le quatrième moyen du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
9. M. [Y] et la société H2P font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à voir écarter l'article 4, b) et c), de la promesse de vente du 17 décembre 2013, de dire que la mise en oeuvre de la promesse de vente portera sur l'intégralité des titres de la société Financière Kartesis détenus par la société H2P, lesquels seront cédés à un prix par titre égal au prix unitaire de souscription avec une décote de 1 %, de les condamner in solidum à signer les ordres de mouvement des 2 825 000 actions et des 716 667 bons de souscription d'actions détenus par la société H2P dans la société Financière Kartesis dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt, contre remise du prix de cession, et de dire qu'à défaut d'exécution de l'arrêt par eux, l'arrêt vaudra cession des bons de souscription d'actions et des actions détenus par la société H2P au bénéfice de M. [P] et de la société Induspo dans les termes de leur courrier de levée d'option, alors « que constitue une clause léonine, réputée non écrite, la clause d'une promesse de vente prévoyant l'obligation de vendre des actions à un prix maximum, quelle que soit leur valeur réelle, et sans limitation de temps, de sorte que le promettant est seulement soumis au risque de disparition ou de dépréciation des actions sans pouvoir jamais bénéficier de leur augmentation éventuelle, qu'en jugeant le contraire, au motif que, jusqu'à leur départ, les dirigeants concernés ont bien été soumis au risque de disparition ou de dépréciation des titres, cependant que l'atteinte au pacte social résultait de ce qu'ils étaient privés de toute possibilité de profiter de leur augmentation, la cour d'appel a violé l'article 1844-1 du code civil. »
Réponse de la Cour
10. Selon l'article 1844-1 du code civil, la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes, ou celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes, sont réputées non écrites.
11. Seule est prohibée par ce texte la clause qui porte atteinte au pacte social dans les termes qu'il prévoit.
12. Il en résulte qu'une convention dont l'objet est, sauf fraude, d'assurer, moyennant un prix librement convenu, la transmission de droits sociaux, est étrangère au pacte social et est, par suite, sans incidence sur la participation aux bénéfices et la contribution aux dettes dans les rapports sociaux.
13. Ayant retenu que la clause litigieuse stipulée dans la promesse unilatérale de vente avait pour objet la cession d'actions à un prix déterminé en cas de départ du promettant de la société Financière Kartesis dans des hypothèses que cette clause énonçait, la cour d'appel en a exactement déduit, peu important que le prix de cession soit égal au prix de souscription des actions, que cette clause ne constituait pas un moyen de fixer une répartition des bénéfices et des pertes et qu'elle n'était pas léonine.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen du pourvoi incident, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes des sociétés Financière Kartesis et Induspo et de M. [P] autres que celles relatives à la cession des titres de la société Financière Kartesis détenus par la société H2P
Enoncé du moyen
15. Les sociétés Financière Kartesis et Induspo et M. [P] font grief à l'arrêt de rejeter leurs autres demandes, alors :
« 1°/ que pour modérer le montant d'une clause pénale, le juge doit se fonder sur la disproportion manifeste entre la peine stipulée et le préjudice effectivement subi, qu'en se bornant néanmoins, pour retenir le caractère manifestement excessif de la décote de 20 % prévue par la clause pénale stipulée à l'article 4, c), de la promesse de cession des titres de la société Financière Kartesis détenus par la société H2P, à relever le caractère défavorable des conditions financières fixées par l'article 4 de ladite promesse pour M. [Y], tenant notamment à la fixation d'un prix de cession maximum, et à la perte subie par celui-ci liée à la différence entre le prix de souscription des actions et leur valeur réelle supérieure, sans se fonder sur la disproportion manifeste entre la peine prévue et l'importance du préjudice effectivement subi par les créanciers bénéficiaires de la promesse, M. [P] et la société Induspo, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article 1152 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en la cause ;
2°/ que le juge qui réduit le montant d'une clause pénale manifestement excessive est tenu de vérifier et justifier que la révision opérée permet de réparer le préjudice réellement subi par le créancier, qu'en l'espèce, la cour d'appel a opéré une réduction de la décote prévue de 20 % à 1 % du prix de cession, sans vérifier ni justifier que cette réduction permettait de réparer le préjudice réellement subi par les créanciers bénéficiaires de la promesse, M. [P] et la société Induspo, qu'en ne le faisant pas, elle a privé sa décision de base légale au regard du même texte. »
Réponse de la Cour
16. Les motifs critiqués ne fondent pas le chef de dispositif attaqué. Le moyen est donc inopérant.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal
Enoncé du moyen
17. M. [Y] et la société H2P font grief à l'arrêt de dire que M. [Y] a été révoqué pour faute grave, de dire que la mise en oeuvre de la promesse de vente portera sur l'intégralité des titres de la société Financière Kartesis détenus par la société H2P, lesquels seront cédés à un prix par titre égal au prix unitaire de souscription avec une décote de 1 %, de les condamner in solidum à signer les ordres de mouvement des 2 825 000 actions et des 716 667 bons de souscription d'actions détenus par la société H2P dans la société Financière Kartesis dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt, contre remise du prix de cession, de dire qu'à défaut d'exécution de l'arrêt par eux, l'arrêt vaudra cession des bons de souscription d'actions et des actions détenus par la société H2P au bénéfice de M. [P] et de la société Induspo dans les termes de leur courrier de levée d'option et de rejeter la demande de M. [Y] en dommages et intérêts pour révocation dans des circonstances abusives et frauduleuses, alors « que la promesse de vente qualifie de "faute grave", pour les seuls besoins de la détermination du prix de cession des titres, la révocation de M. [Y] pour "faute créant ou susceptible de créer un préjudice grave à la société ou à une filiale", qu'en retenant que la révocation de M. [Y] est bien intervenue pour faute grave, au motif essentiellement que l'assignation délivrée par M. [Y] en annulation des actes constitutifs de la société Financière Kartesis, fondée sur des allégations de dol et rejetée par le tribunal de commerce, était bien susceptible de créer un préjudice grave à la société ou une filiale, sans caractériser en quoi le fait pour M. [Y], en sa qualité d'associé de la société H2P, de faire délivrer cette assignation serait constitutif d'une faute, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
18. Il résulte du premier de ces textes que le droit d'agir en justice constitue une liberté fondamentale.
19. Il s'ensuit que la révocation pour faute du dirigeant ou de l'administrateur d'une société ne saurait, sauf à porter atteinte à cette liberté fondamentale, être fondée sur la circonstance que ce dirigeant ou cet administrateur a introduit une action en justice à l'encontre de la société. Il importe peu, à cet égard, que cette action ait été déclarée non fondée.
20. Pour dire que la révocation pour faute grave de M. [Y] était fondée, qu'il y avait lieu, en conséquence, de mettre en oeuvre la promesse unilatérale de vente des titres de la société Financière Kartesis à un prix par titre égal au prix unitaire de souscription, auquel est appliqué une décote, et rejeter la demande de M. [Y] en dommages et intérêts pour révocation abusive, l'arrêt, après avoir relevé, d'une part, que la promesse de vente en litige prévoit que l'intégralité des titres de la société Financière Kartesis détenus par la société H2P seront, en cas de révocation de M. [Y], cédés à un prix par titre égal au prix unitaire de souscription et que ce prix sera réduit de 20 % si la révocation est décidée pour faute grave, et définit la faute grave comme une faute créant ou susceptible de créer un préjudice grave à la société, d'autre part, que le procès-verbal de l'assemblée générale de la société Financière Kartesis du 30 août 2016, révoquant pour faute grave M. [Y], mentionne que l'assignation qu'il a délivrée est constitutive d'une faute grave de la part d'un mandataire, retient que l'assignation délivrée par M. [Y] en annulation des actes constitutifs de la société Financière Kartesis, fondée sur des allégations de dol et rejetée par le tribunal de commerce, est susceptible de créer un préjudice grave à la société.
21. En statuant ainsi, alors que la circonstance que M. [Y] ait assigné en justice la société dont il était le dirigeant ne saurait justifier sa révocation pour faute, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident, en tant qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes des sociétés Financière Kartesis et Induspo et de M. [P] relatives à la cession des titres de la société Financière Kartesis détenus par la société H2P
Enoncé du moyen
22. Les sociétés Financière Kartesis et Induspo et M. [P] font grief à l'arrêt de dire que l'article 4, c), de la promesse de vente, en ce qu'il prévoit une réfaction de 20 % sur le prix de souscription des titres, constitue une clause pénale manifestement excessive qui sera réduite à 1 %, que la mise en oeuvre de la promesse de vente portera sur l'intégralité des titres de la société Financière Kartesis détenus par la société H2P, lesquels seront cédés à un prix par titre égal au prix unitaire de souscription avec une décote de 1 %, de condamner en conséquence M. [P] et la société Induspo à remettre à la société H2P un ou plusieurs chèques de banque d'un montant total de 2 833 049,90 euros, à l'ordre de la société H2P, au plus tard le jour de la signature des ordres de mouvement par celle-ci, de condamner in solidum la société H2P et M. [Y] à signer les ordres de mouvement des 2 825 000 actions et des 716 667 bons de souscription d'actions détenus par la société H2P dans la société Financière Kartesis, dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt, contre remise du prix de cession, alors « que pour modérer le montant d'une clause pénale, le juge doit se fonder sur la disproportion manifeste entre la peine stipulée et le préjudice effectivement subi, qu'en se bornant néanmoins, pour retenir le caractère manifestement excessif de la décote de 20 % prévue par la clause pénale stipulée à l'article 4, c), de la promesse de cession des titres de la société Financière Kartesis détenus par la société H2P, à relever le caractère défavorable des conditions financières fixées par l'article 4 de ladite promesse pour M. [Y], tenant notamment à la fixation d'un prix de cession maximum, et à la perte subie par celui-ci liée à la différence entre le prix de souscription des actions et leur valeur réelle supérieure, sans se fonder sur la disproportion manifeste entre la peine prévue et l'importance du préjudice effectivement subi par les créanciers bénéficiaires de la promesse, M. [P] et la société Induspo, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article 1152 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1152 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
23. Selon ce texte, le juge peut, même d'office, modérer une clause pénale contractuelle si elle est manifestement excessive.
24. Pour réduire à 1 % la décote appliquée au prix de cession des titres de la société Financière Kartesis et fixer, en conséquence, le prix de cession de ces titres, l'arrêt retient que cette décote est une clause pénale qui est manifestement excessive compte tenu des conditions déjà très avantageuses consenties par le promettant.
25. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la peine prévue était manifestement excessive en considération du préjudice réellement subi par M. [P] et la société Induspo, bénéficiaires de la clause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Portée et conséquences de la cassation
26. La cassation prononcée sur le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif rejetant la demande de la société H2P et de M. [Y] tendant à voir écarter l'article 4, b) et c), de la promesse de vente du 17 décembre 2013, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande de dommages et intérêts présentée par les intimés ainsi que leur demande d'application d'une amende civile, rejette les autres moyens d'irrecevabilité des parties et déclare recevables les autres demandes des appelants et des intimés, dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte et déboute les intimés de leurs autres demandes, l'arrêt rendu le 1er juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047738019.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 juin 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 453 F-B
Pourvoi n° H 21-19.985
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 JUIN 2023
1°/ la société FP Invest, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ Mme [I] [U], domiciliée [Adresse 7],
ont formé le pourvoi n° H 21-19.985 contre l'arrêt rendu le 14 juin 2021 par la cour d'appel de Nouméa (chambre commerciale), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [N] [E], domicilié [Adresse 6],
2°/ à la société Compagnie financière calédonienne, dont le siège est [Adresse 1],
3°/ à la société Ficbal, dont le siège est [Adresse 8],
4°/ à Mme [Y] [Z], domiciliée [Adresse 8],
5°/ à la société Figespart SC, dont le siège est [Adresse 2],
6°/ à la société Etablissements [N] [E], dont le siège est [Adresse 3],
7°/ à M. [S] [E], domicilié [Adresse 5],
8°/ à la société SCP CBF & associés, dont le siège est [Adresse 9], prise en qualité de liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Compagnie financière calédonienne,
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société FP Invest et de Mme [U], de la SCP Lesourd, avocat de la société Compagnie financière calédonienne et de la SCP CBF & associés, de la SCP Richard, avocat de M. [E], après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nouméa,14 juin 2021), la société à responsabilité limitée Compagnie financière calédonienne (la société COFICAL), ayant son siège social à Nouméa, était détenue par les sociétés Ficbal, Etablissements [N] [E], Figespart SC et FP Invest. Elle avait pour cogérants Mmes [E] et [U] et MM. [S] et [N] [E].
2. Les statuts de la société avaient désigné M. [T] en qualité de commissaire aux comptes et stipulaient que les nominations ultérieures auraient lieu par décision collective ordinaire des associés.
3. Le 13 mai 2014, les associés de la société Cofical ont désigné M. [O] en qualité de commissaire aux comptes titulaire et M. [J] en qualité de commissaire aux comptes suppléant. Le 23 juin 2017, M. [O] a démissionné de ses fonctions et a été remplacé par M. [J].
4. Le 31 juillet 2017, l'assemblée générale ordinaire de la société COFICAL a révoqué M. [N] [E] de ses fonctions de gérant.
5. Invoquant le défaut de désignation régulière d'un commissaire aux comptes, M. [N] [E] a assigné la société COFICAL ainsi que M. [S] [E], Mmes [E] et [U] et les sociétés Ficbal, Figespart SC, Etablissements [N] [E] et FP Invest en annulation de la délibération de l'assemblée générale du 31 juillet 2017. La société COFICAL a été dissoute judiciairement, la SCP CBF & associés étant nommée liquidateur.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et sixième branches
Enoncé du moyen
6. La société FP Invest et Mme [U] font grief à l'arrêt de déclarer nulle la délibération du 31 juillet 2017 ayant décidé la révocation de M. [N] [E] de ses fonctions de gérant de la société COFICAL et de constater sa réintégration dans ses fonctions de gérant, alors :
« 1°/ qu'il résulte de l'article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce que la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les contrats, que, sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d'aménager statutairement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est pas sanctionné par la nullité, qu'en retenant en l'espèce qu'"aux termes de l'article 27 des statuts, les associés fondateurs ont désigné M. [T] en qualité de commissaire aux comptes", que les statuts prévoient que "les nominations qui interviendront ultérieurement auront lieu par décision collective ordinaire des associés pour une durée de trois exercices", qu'ils investissent le commissaire aux comptes désigné "des fonctions, pouvoirs et attributions que leur confèrent la loi" et que le sixième alinéa de l'article 27 stipule que "les commissaires aux comptes sont avisés, au plus tard en même temps que les associés, des assemblées ou consultations. Ils ont accès aux assemblées", pour en déduire que la délibération du 31 juillet 2017 était nulle à défaut de désignation régulière du commissaire aux comptes suppléant, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constations dont il résultait qu'une méconnaissance des statuts en la matière ne pouvait entraîner la nullité de la délibération, violant ainsi le texte susvisé ;
6°/ que l'article L. 820-3-1 du code de commerce ne vise que les délibérations d'assemblée générale devant figurer dans le rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels, qu'en déclarant nulle la délibération du 31 juillet 2017 ayant décidé la révocation de M. [N] [E] de ses fonctions de gérant de la société COFICAL, étrangère au rapport du commissaire aux comptes, la cour d'appel a méconnu les articles L. 235-1, L. 820-3-1 et L. 823-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
7. Selon l'article L. 820-3-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, dans les personnes morales dotées d'une assemblée générale ordinaire, les délibérations de cette instance prises à défaut de désignation régulière de commissaires aux comptes, sont nulles.
8. En premier lieu, ce texte, inséré au livre VIII du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, édicte une règle de nullité qui, d'une part, déroge, dans le domaine qu'il régit, à celle édictée à l'article L. 235-1 de ce code, d'autre part, est d'ordre public et s'applique peu important que la désignation du commissaire aux comptes soit volontaire ou imposée par la loi ou les statuts.
9. En second lieu, ce texte visant les délibérations de l'assemblée générale ordinaire sans distinguer selon leur objet, il en résulte que la nullité qu'il prévoit s'applique à toutes les délibérations des assemblées générales ordinaires, qu'elles doivent ou non figurer dans le rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels.
10. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
11. La société FP Invest et Mme [U] font le même grief à l'arrêt alors « que les statuts de la société COFICAL prévoyaient la désignation d'un commissaire aux comptes titulaire, mais non d'un suppléant, qu'en retenant que l'obligation de désignation des commissaires aux comptes résultait des statuts qu'elle a cités et qui ne prévoyaient pas de désignation d'un commissaire aux comptes suppléant, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales des propres constatations, dont il résultait que l'absence de désignation d'un suppléant ne pouvait être sanctionnée au titre de l'obligation exclusivement statutaire en matière de désignation des commissaires aux comptes, violant ainsi la force obligatoire des statuts et ainsi l'article 1134, devenu 1103, du code civil, ensemble l'article L. 235-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
12. Il résulte de l'article L. 823-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie qu'une société à responsabilité limitée qui a désigné un commissaire aux comptes est, que cette désignation soit volontaire ou imposée par la loi ou les statuts, tenue de désigner également un commissaire aux comptes suppléant.
13. L'arrêt relève que les statuts de la société COFICAL nomment le premier commissaire aux comptes et prévoient que les nominations ultérieures auront lieu par décision collective ordinaire des associés, que, le 13 mai 2014, les associés ont désigné M. [O] en qualité de commissaire aux comptes titulaire et M. [J] en qualité de commissaire aux comptes suppléant et que, le 23 juin 2017, M. [O] a démissionné de ses fonctions et a été remplacé par M. [J].
14. Il déduit exactement de ces constatations, dont il résulte que les associés de la société COFICAL étaient tenus de désigner un commissaire aux comptes suppléant en remplacement de M. [J] pour la durée du mandat restant à courir, que la délibération litigieuse est intervenue à défaut de désignation d'un commissaire aux comptes suppléant.
15. Dès lors, la cour d'appel, qui n'a pas prononcé l'annulation de la délibération litigieuse pour violation des statuts de la société COFICAL, mais pour violation de l'article L. 823-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, n'a pas méconnu la force obligatoire de ces statuts.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
17. La société FP Invest et Mme [U] font le même grief à l'arrêt, alors « que la nullité prévue par l'article L. 820-3-1 du code de commerce n'est pas applicable en cas de défaut de désignation du commissaire aux comptes suppléant avant la tenue d'une assemblée générale, qu'en déclarant nulle la délibération du 31 juillet 2017 pour être intervenue à défaut de désignation régulière du commissaire aux comptes suppléant, la cour d'appel a méconnu les articles L. 235-1, L. 820-3-1 et L. 823-1 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 820-3-1 et L. 823-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie :
18. Selon le premier de ces textes, dans les personnes morales dotées d'une assemblée générale ordinaire, les délibérations de cette instance prises à défaut de désignation régulière de commissaires aux comptes, sont nulles.
19. Selon le second, le commissaire aux comptes suppléant est appelé à remplacer le commissaire aux comptes titulaire en cas de refus, d'empêchement, de démission ou de décès de ce dernier.
20. Ainsi qu'il ressort du rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2005-1126 du 8 septembre 2005 relative au commissariat aux comptes, dont ils sont issus, ces textes ont pour objectif d'assurer la sécurité des actionnaires et des associés, ceux-ci ne devant se prononcer qu'après avoir pu être éclairés par le rapport du commissaire aux comptes. Tel est le cas lorsqu'un commissaire aux comptes titulaire a été régulièrement désigné. Le défaut de désignation d'un commissaire aux comptes suppléant n'a, par suite, dans une telle hypothèse, pas pour effet de priver les actionnaires ou les associés de la protection que ces textes leur accorde.
21. Il en résulte que la nullité des délibérations de l'assemblée générale ordinaire ne peut être prononcée, sur le fondement de l'article L. 820-3-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie, qu'en l'absence de désignation ou en cas de désignation irrégulière de commissaires aux comptes titulaires.
22. Pour dire nulle la délibération de l'assemblée générale ordinaire du 31 juillet 2017 révoquant M. [N] [E] de ses fonctions de gérant de la société COFICAL et constater sa réintégration dans ces fonctions, l'arrêt, après avoir relevé qu'à la date de la convocation des associés à cette assemblée générale, M. [J], commissaire aux comptes suppléant, avait remplacé le commissaire aux comptes titulaire à la suite de la démission de celui-ci, retient que la société était dépourvue d'un commissaire aux comptes suppléant. L'arrêt en déduit que la délibération litigieuse est intervenue à défaut de désignation régulière des commissaires aux comptes et qu'elle encourt la nullité en application de l'article L. 820-3-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie.
23. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la délibération litigieuse avait été adoptée alors qu'un commissaire aux comptes titulaire avait été régulièrement désigné, ce dont elle aurait dû déduire que cette délibération ne pouvait être annulée au seul motif qu'un commissaire aux comptes suppléant n'avait pas été nommé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
Mise hors de cause
24. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société COFICAL et la société CBF & associés, ès qualités, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande de la société Compagnie financière calédonienne tendant à la révocation de M. [N] [E], l'arrêt rendu le 14 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nouméa ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nouméa autrement composée ;
Condamne M. [N] [E] et la SCP CBF & associés, en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Compagnie financière calédonienne, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [N] [E] et par la SCP CBF & associés, ès qualités, et condamne M. [N] [E] et la SCP CBF & associés, ès qualités, à payer chacun la somme globale de 1 500 euros à Mme [U] et à la société FP Invest ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047738025.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 juin 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 456 F-B
Pourvoi n° X 21-24.691
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 JUIN 2023
M. [S] [U], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 21-24.691 contre l'arrêt rendu le 5 août 2021 par la cour d'appel de Bourges (chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [G] [X], domicilié [Adresse 3],
2°/ à la société JLG Invest, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à M. [M] [O], domicilié [Adresse 1], pris en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société JLG Invest,
défendeurs à la cassation.
M. [X], la société JLG Invest et M. [O] ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Guerlot, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [U], de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M. [X], de la société JLG Invest et de M. [O], après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Guerlot, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bourges, 5 août 2021) et les productions, par un acte du 21 novembre 2014, M. [U] a cédé à la société JLG Invest, représentée par M. [X], les cent quatre-vingt-quatorze actions qu'il détenait sur les deux cents formant le capital social de la société [U] Forage Horizontal, payable à hauteur de 300 000 euros dans les trois jours ouvrés à compter de la date de la cession, puis en vingt-quatre mensualités de 50 000 euros, à compter du 1er avril 2015.
2. Par le même acte, M. [X] s'est rendu caution solidaire en garantie du paiement du prix de cession par la société JLG Invest.
3. Alléguant l'existence d'un dol, la société JLG Invest et M. [X] ont assigné M. [U] aux fins de le voir condamner à leur payer des dommages et intérêts. M. [U] a demandé reconventionnellement la condamnation de M. [X] à lui payer, en sa qualité de caution, le solde du prix de cession des actions.
4. Un jugement du 23 mars 2016 a placé la société JLG Invest sous sauvegarde, M. [M] [O] étant désigné en qualité de mandataire judiciaire.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
6. M. [U] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement dirigée contre M. [X] au titre de son engagement de caution, alors « que le créancier professionnel est celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles ; que tel n'est pas le cas de l'associé-cédant ayant consenti, à l'occasion de la cession de la totalité de ses actions, un crédit-vendeur au cessionnaire dans la mesure où d'une part, la cession d'actions ne caractérise pas, en elle-même, l'exercice d'une activité professionnelle - même si l'associé cédant a été le dirigeant de la société dont les actions ont été cédées - et où d'autre part, le crédit-vendeur ne se trouve pas en rapport direct avec la profession de dirigeant exercée par le cédant ; qu'en retenant cependant que "M. [U] en cédant les parts sociales de sa société en consentant un crédit-vendeur garanti par le cautionnement de M. [X] [devait] être considéré comme un créancier professionnel" de sorte qu'il ne pouvait se prévaloir du cautionnement prétendument disproportionné souscrit par M. [X], la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 332-1 [L. 341-4, alors applicable] du code de la consommation. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
7. Il résulte de ce texte que le créancier professionnel s'entend de celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n'est pas principale.
8. La cession par un associé des droits qu'il détient dans le capital d'une société ou le remboursement des avances qu'il a consenties à la société ne caractérisent pas en eux-mêmes l'exercice d'une activité professionnelle, même si le cédant a été le gérant de la société cédée.
9. Pour considérer que les dispositions de l'article L. 341-4 étaient applicables à l'engagement souscrit par M. [X], l'arrêt, après avoir relevé que M. [U] n'était pas retraité à l'époque où le cautionnement a été souscrit en sa faveur mais était associé et dirigeant de la société [U] Forage Horizontal, retient que M. [U], en cédant les parts sociales de sa société en consentant un crédit-vendeur garanti par le cautionnement de M. [X], doit être considéré comme un créancier professionnel.
10. En statuant ainsi, alors que la créance de M. [U] n'était pas née dans l'exercice de sa profession ni ne se trouvait en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles, même accessoire, de sorte que les règles du code de la consommation relatives à la disproportion manifeste ne lui étaient pas applicables, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il déboute M. [U] de sa demande en paiement dirigée contre M. [X] au titre de son engagement de caution et le condamne à payer à M. [X] la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 août 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Condamne M. [X], la société JLG Invest et M. [O], en sa qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société JLG Invest, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [X], la société JLG Invest et M. [O], ès qualité, et les condamne à payer à M. [U] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.
Sur la notion de créancier professionnel en matière de cautionnement, à rapprocher : 1re Civ.,, 9 juillet 2009, pourvoi n° 08-15.910, Bull. 2009, I, n° 173 (rejet).
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COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 21 juin 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 460 F-B
Pourvois n°
T 21-25.952
X 22-12.045 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 21 JUIN 2023
I - M. [R] [Y], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° T 21-25.952 contre un arrêt rendu le 16 décembre 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 2), dans le litige l'opposant à la société Financière Wagram, société de participations financières de professions libérales à forme de société par action simplifiée (SPFPL), dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
II - La société Financière Wagram, société de participations financières de professions libérales à forme de société par action simplifiée (SPFPL), a formé le pourvoi n° X 22-12.045 contre le même arrêt rendu, dans le litige l'opposant à M. [R] [Y], défendeur à la cassation.
Le demandeur au pourvoi n° T 21-25.952 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
La demanderesse au pourvoi n° X 22-12.045 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [Y], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Financière Wagram, après débats en l'audience publique du 10 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-25.952 et n° 22-12.045 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Douai,16 décembre 2021), le 4 juin 2015, un « pacte entre associés et obligataires » a été conclu entre M. [Y], président et associé de la société d'exercice libéral par actions simplifiée GPF [Y] (la société [Y]), et les sociétés Financière Alma et Corpore + Sano Benelux, aux droits desquelles sont venues respectivement les sociétés Financière Wagram (la société FW) et Boticinal.
3. Les statuts de la société [Y] comportent un article 2-9 intitulé « Exclusion pour manquement aux obligations professionnelles ».
4. Le pacte d'associés et d'obligataires stipule, en son article 14 C, qu'en cas de non-respect de l'un quelconque de ses engagements par l'une des parties, l'autre peut lui adresser une mise en demeure aux fins de respecter ses engagements et qu'à défaut de régularisation dans un délai de trente jours, la partie fautive s'engage irrévocablement, au choix de la partie victime de la défaillance, soit à acquérir la totalité des actions de la partie victime de la défaillance, soit à lui céder la totalité de ses propres actions.
5. Soutenant que M. [Y] n'avait pas respecté ses obligations résultant de ce pacte, la société FW l'a assigné aux fins de le voir condamner à lui céder ses actions dans le capital de la société [Y].
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° 22-25.952
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° 22-12.045
Enoncé du moyen
7. La société FW fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir ordonner l'exécution forcée du pacte du 4 juin 2015 et la mise en oeuvre des dispositions de son article 14 C et à voir condamner M. [Y] à lui céder les actions qu'il détient dans le capital de la société [Y], alors « que selon l'article L. 227-15 du code de commerce, toute cession effectuée en violation des clauses statutaires est nulle ; qu'en l'espèce, la clause 14 C du pacte d'associés du 4 juin 2015 stipulait qu'en cas de non-respect de l'un quelconque des engagements par l'une ou l'autre des parties, l'autre pourrait lui adresser une mise en demeure aux fins de respecter ses engagements, et qu'à défaut de régularisation dans un délai de trente jours, la partie fautive s'engageait irrévocablement, si la partie victime de la défaillance le sollicitait "soit à acquérir la totalité des actions de la partie victime de la défaillance, soit à lui céder la totalité de ses propres actions" ; que cette clause comportait ainsi une double promesse, de vente ou d'achat, un associé s'engageant envers l'autre, soit à lui acheter ses droits sociaux, soit à lui vendre les siens, à un prix convenu ; qu'en énonçant, pour retenir la nullité partielle de la clause, qu'elle contrevenait à la clause statutaire d'exclusion 2-9, laquelle n'avait pas trait à la cession des titres, mais régissait le cas d'exclusion d'un associé pour violation des règles de fonctionnement de la société, la cour d'appel a violé l'article L. 227-15 du code de commerce, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 227-15 du code de commerce :
8. Aux termes de ce texte, toute cession effectuée en violation des clauses statutaires est nulle.
9. Ce texte ne régissant pas l'exclusion d'un associé et la cession forcée de ses actions qui en résulte, la nullité qu'il prévoit vise uniquement à sanctionner la violation de toute clause statutaire ayant pour objet la cession d'actions librement consentie par leur titulaire.
10. Pour rejeter les demandes de la société FW tendant à l'exécution forcée du pacte d'associés et d'obligataires du 4 juin 2015 et à la mise en oeuvre des dispositions de son article 14 C et à voir condamner M. [Y] à lui céder les actions qu'il détient dans le capital de la société [Y], l'arrêt retient que l'article 14 C du pacte doit être déclaré nul en ce qu'il permet l'exclusion d'un associé dans des hypothèses et selon un processus qui contreviennent à l'article 2-9 des statuts.
11. En statuant ainsi, alors que l'article 2-9 des statuts ne concerne pas la cession des actions de la société [Y] mais régit le cas d'exclusion d'un associé pour violation des règles de fonctionnement, de sorte qu'il n'a pas pour objet de priver un associé de la faculté de conclure une promesse unilatérale de vente de ses actions consentie sous la conditions suspensive de la réalisation d'un événement qu'elle prévoit, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il rejette les demandes de la société Financière Wagram tendant à voir ordonner l'exécution forcée du pacte du 4 juin 2015 et la mise en oeuvre des stipulations de son article 14 C et à voir condamner M. [Y] à lui céder les 344 285 actions détenues dans le capital de la société GPF Clayes moyennant le prix de 328 497,73 euros, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 180e jour suivant la signification de l'arrêt, et en ce qu'il statue sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 16 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne M. [Y] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [Y] et le condamne à payer à la société Financière Wagram la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.
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COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 juin 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 415 FS-B
Pourvoi n° X 21-15.445
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 JUIN 2023
1°/ La société XL Insurance Company SE, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 6] (Irlande), ayant un établissement [Adresse 5],
2°/ la société XL Insurance Company SE, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 6] (Irlande), ayant un établissement [Adresse 5], venant aux droits de la société Axa Corporate solutions assurance,
3°/ la société CNA Insurance Company, société anonyme de droit étranger, dont le siège est [Adresse 3] (Luxembourg), ayant un établissement [Adresse 4], venant aux droits de la société CNA Insurance Company Limited,
4°/ la société AIG Europe Limited, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 12] (Royaume-Uni), ayant un établissement [Adresse 13],
5°/ la société KA [Localité 11] Assekuranz Agentur GmbH, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 9] (Allemagne),
6°/ la société Royal & Sun Alliance Insurance PLC, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 1] (Royaume-Uni), ayant un établissement [Adresse 10],
7°/ la société Torus Insurance Marketing Limited, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 8] (Pays-Bas),
ont formé le pourvoi n° X 21-15.445 contre l'arrêt rendu le 8 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 16, chambre commerciale internationale), dans le litige les opposant à la société Eukor Car Carriers Inc, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 2] (Corée du Sud), défenderesse à la cassation.
La société Eukor Car Carriers Inc a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guillou, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés XL Insurance Company SE, venant aux droits de la société Axa Corporate solutions assurance, CNA Insurance Company, venant aux droits de la société CNA Insurance Company Limited, AIG Europe Limited, KA [Localité 11] Assekuranz Agentur GmbH, Royal & Sun Alliance Insurance PLC et Torus Insurance Marketing Limited, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Eukor Car Carriers Inc, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Guillou, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Bélaval, Fontaine, M. Riffaud, Mme Boisselet, M. Bedouet, conseillers, Mmes Barbot, Kass-Danno, M. Boutié, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 décembre 2020), entre décembre 2014 et juillet 2015, la société Eukor Car Carriers Inc (la société Eukor), de droit coréen, a été chargée du transport de véhicules au départ d'[Localité 7] (Belgique) vers la République de Corée, selon plusieurs connaissements sur lesquels figure la société Hanbul Motors Corporation (la société Hanbul Motors).
2. Des dommages ayant été constatés par la société Hanbul Motors qui a réceptionné les véhicules, les compagnies d'assurance AXA Corporate solutions assurance, aux droits de laquelle se trouve la société XL Insurance Company SE, CNA Insurance Company Limited, AIG Europe Ltd, XL Insurance Company Ltd, Royal & Sun Alliance Insurance PLC, KA [Localité 11] Assekuranz Agentur GmbH, et Torus Insurance Marketing Ltd (les assureurs), ayant indemnisé la société Hanbul Motors, ont saisi le tribunal de commerce de Paris d'une action contre la société Eukor, laquelle a soulevé l'incompétence des juridictions françaises en se prévalant d'une clause des connaissements attribuant compétence au tribunal de district civil de Séoul (République de Corée). Les assureurs ont répliqué que les juridictions françaises étaient compétentes en application de l'article 14 du code civil, faisant valoir à cet égard que la société AXA CS solutions assurance était une société de droit français.
Examen des moyens
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a délibéré sur le pourvoi incident qui, bien qu'éventuel, est préalable, sur l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats à l'audience publique du 7 février 2023, où étaient présents : M. Pireyre, président, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mmes Durin-Karsenty, Vendryes, Caillard, M. Waguette, conseillers, Mme Jollec, M. Cardini, Mmes Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Adida-Canac, avocat général, Mme Thomas, greffier de chambre.
Sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La société Eukor fait grief à l'arrêt de dire l'appel recevable, alors « que toute partie demeurant à l'étranger a la faculté de déclarer au greffe de la juridiction saisie qu'elle élit domicile en France afin d'être rendue destinataire de la notification du jugement à intervenir ; qu'en retenant en l'espèce, pour juger que la notification du jugement faite au domicile élu en France par les sociétés de droit étranger n'avait pas fait courir le délai d'appel, que l'élection de domicile n'emporte pas pouvoir pour l'agent désigné de recevoir la notification du jugement destinée à la partie elle-même, la cour d'appel a violé les articles 682, 689 et 689-1 du code de procédure civile, ensemble les articles 84 et 85 du même code. »
Réponse de la Cour
4. Ayant exactement rappelé qu'en application de l'article 84, alinéa 1, du code de procédure civile, le délai d'appel court à compter de la notification du jugement, qui, pour les parties domiciliées à l'étranger, est augmenté de deux mois et doit respecter les dispositions spéciales prévues pour les notifications à l'étranger, puis relevé que les compagnies d'assurance, dont certaines sont étrangères, ont interjeté appel du jugement rendu en matière de compétence par le tribunal de commerce de Paris le 17 septembre 2019 par une déclaration d'appel du 27 septembre 2019 et qu'aucun élément n'est produit pour savoir si la notification a été valablement faite au siège des sociétés étrangères et française, la cour d'appel en a exactement déduit que faute de connaître la date de la notification de la décision aux parties en France et à l'étranger, le délai d'appel doit être considéré comme n'ayant pas couru.
5. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
6. La société Eukor fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en cas de représentation obligatoire, l'appel d'un jugement statuant sur la compétence est instruit et jugé comme en matière de procédure à jour fixe ; qu'en cas de procédure à jour fixe, copies de la requête adressée au premier président et de son ordonnance sont jointes à l'assignation, à peine d'irrecevabilité de l'appel ; qu'en retenant en l'espèce que l'absence d'une copie de la requête à l'acte d'assignation adressé par les sociétés appelantes n'entachait pas leur appel d'irrecevabilité, la cour d'appel a violé les articles 85 et 920 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Selon l'article 83 du code de procédure civile, lorsque le juge s'est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision peut faire l'objet d'un appel dans les conditions prévues notamment par les articles 84 et 85 du même code.
8. Selon l'article 84 précité, l'appelant doit à peine de caducité de la déclaration d'appel, saisir, dans le délai d'appel, le premier président en vue d'être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire.
9. Aux termes de l'article 85 du même code, outre les mentions prescrites selon le cas par les articles 901 ou 933, la déclaration d'appel précise qu'elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et doit, à peine d'irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration. Nonobstant toute disposition contraire, l'appel est instruit ou jugé comme en matière de procédure à jour fixe si les règles applicables à l'appel des décisions rendues par la juridiction dont émane le jugement frappé d'appel imposent la constitution d'avocat.
10. Il résulte de ces textes que la requête adressée au premier président, qui n'a pas à justifier d'un péril, contrairement à ce qu'exige l'article 918 de ce code pour d'autres procédures à jour fixe, ne tend qu'à obtenir une date d'audience.
11. L'information des intimés et, par elle, le respect des droits de la défense, sont assurés par la notification qui leur est faite de la déclaration d'appel motivée et des conclusions qui y sont jointes.
12. Dans ces conditions, la circonstance que la copie de la requête ne soit pas jointe à l'assignation délivrée aux intimés ne peut donner lieu à sanction.
13. L'arrêt constate que si la procédure sur appel-compétence emprunte à la procédure à jour fixe et renvoie à cette fin aux dispositions, dont l'article 920 du code de procédure civile pour l'instruction et le jugement de l'appel, la déclaration d'appel en la matière est soumise à un régime propre défini par les articles 84 et suivants précités, la requête n'étant qu'une modalité procédurale permettant à l'appelant de faire fixer par le premier président le jour où l'affaire sera appelée.
14. Il retient enfin que l'acte délivré par l'appelant aux intimés, qui contient l'assignation, la déclaration d'appel, l'ordonnance sur requête, les conclusions d'appel sur la compétence et les pièces, a clairement et efficacement informé la société Eukor de la date et de l'enjeu du débat.
15. En l'état de ces énonciations et constatations, c'est à bon droit que la cour d'appel a rejeté la demande d'irrecevabilité de l'appel.
16. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
17. Les assureurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, de dire la juridiction saisie incompétente et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir, alors « que les compagnies d'assurances demanderesses rappelaient que, pour 98 % des connaissements en litige établis par la société Eukor, les sociétés Woori, Shinan, Industrial Bank, ou Korea Développement étaient seules désignées en qualité de destinataires contractuels, que les connaissements avaient été établis à l'ordre de ces sociétés, et que la société Hanbul Motors, qui avait les qualités de "notify party" et de destinataire réel des marchandises, n'avait jamais acquis et porté les connaissements litigieux ; qu'en relevant, à supposer ce motif adopté, que "les connaissements comportent un paragraphe à leur recto indiquant qu'en acceptant ce connaissement, le chargeur, le propriétaire ou destinataire des marchandises et le porteur de ce connaissement [...] sont d'accord sur toutes les stipulations", sans caractériser, pour 98 % des connaissements en litige pour lesquels la société Hanbul Motors avait la simple qualité de destinataire réel et de "Notify Party", l'acceptation de ces connaissements par la société Hanbul Motors et sa qualité de tiers porteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, devenu 1103, et 1165, devenu 1199, du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 14, 1134, devenu 1103, et 1165, devenu 1199, du code civil :
18. La recevabilité de l'action en responsabilité contractuelle contre un transporteur maritime s'apprécie indépendamment des mentions du connaissement émis pour constituer, notamment, la preuve du contrat de transport, ces mentions n'ayant pas pour objet d'attribuer de manière exclusive aux seules personnes qu'elles indiquent la qualité de partie à ce contrat, de sorte que l'action contractuelle peut être ouverte au destinataire qui invoque un préjudice du fait du transport. Pour autant, étant extérieur au connaissement, ce destinataire n'est lié par ce document qu'en ce qu'il définit et précise les conditions du transport lui-même, depuis la prise en charge jusqu'à la livraison. Il ne peut, dès lors, se voir opposer la clause de compétence que le connaissement contiendrait, à moins qu'il ne l'ait spécialement acceptée ou que la compétence internationale qu'elle institue ne s'impose en vertu d'un Traité ou du droit de l'Union européenne.
19. Pour dire les juridictions françaises incompétentes, l'arrêt, après avoir dit le droit coréen applicable au contrat, retient que c'est au regard de ce droit que la détermination des effets du connaissement doit être appréciée et que, selon celui-ci, établi par les consultations ou opinions juridiques dont la teneur n'a pas été contestée, lorsque les marchandises arrivent à destination, le destinataire acquiert les mêmes droits que ceux du chargeur et qu'en l'espèce la société Hanbul Motors, qui a réceptionné les véhicules à la livraison et a subi le préjudice, indépendamment de sa qualité de notify ou de destinataire mentionnée sur les connaissements, est bien le destinataire réel des marchandises confiées par les chargeurs au transporteur en vertu des connaissements dont elle a été porteur, de sorte que la clause attributive de juridiction désignant la juridiction coréenne lui est opposable.
20. En se déterminant ainsi, alors que, s'agissant d'un litige opposant des assureurs, dont certains sont établis en France et invoquent le privilège de l'article 14 du code civil, subrogés dans les droits de la société Hanbul Motors, établie en République de Corée, à un transporteur coréen, aucune Convention internationale pertinente n'existant entre cet Etat et la France, la cour d'appel, qui, d'une part, s'est référée implicitement à une solution qui n'est acquise, en matière maritime, que dans les limites d'application du droit de l'Union européenne, d'autre part, attribue à la société Hanbul Motors les diverses qualités de réceptionnaire des véhicules, notify, destinataire ou porteur des connaissements, qualités qu'elle dit déduire tantôt des connaissements, tantôt des circonstances de la cause, sans indiquer ni la nature des connaissements, ni sous quel intitulé exact y apparaît la société Hanbul Motors, n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il constate l'intervention volontaire de la société XL Insurance Company SE venant aux droits de la société AXA CS solutions, dit l'appel recevable et dit que la caducité de la déclaration d'appel n'est pas encourue, l'arrêt rendu le 8 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Eukor Car Carriers Inc aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Eukor Car Carriers Inc et la condamne à payer aux sociétés XL Insurance Company SE, venant aux droits de la société Axa Corporate solutions assurance, CNA Insurance Company, venant aux droits de la société CNA Insurance Company Limited, AIG Europe Limited, Royal & Sun Alliance Insurance PLC, KA [Localité 11] Assekuranz Agentur GmbH et Torus Insurance Marketing Limited la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille vingt-trois.
N3 >Sur l'opposabilité d'une clause attributive de juridiction, à rapprocher :1re Civ., 16 décembre 2008, pourvoi n° 07-18.834, Bull. 2008, I, n° 283
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CASS/JURITEXT000047737785.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 juin 2023
Cassation sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 413 FS-B
Pourvoi n° C 21-15.864
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 JUIN 2023
La société Axyme, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de M. [J] [N], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Sonia, a formé le pourvoi n° C 21-15.864 contre l'arrêt rendu le 16 mars 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige l'opposant à la société Paulaner Brauerei Gruppe Gmbh & Ko Kgaa, dont le siège est [Adresse 2] (Allemagne), défenderesse à la cassation.
La société Paulaner Brauerei Gruppe Gmbh & Ko Kgaa a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal et la demanderesse au pourvoi incident invoquent, chacune, à l'appui de leurs recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Axyme, ès qualités, de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Paulaner Brauerei Gruppe Gmbh & Ko Kgaa, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Bélaval, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, M. Bedouet, conseillers, Mmes Barbot, Kass-Danno, M. Boutié, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mars 2021), le 26 novembre 2015, la société Sonia, qui avait acquis de la société Mamy un fonds de commerce, a été mise en redressement judiciaire. Un plan de cession a été arrêté par un jugement du 30 septembre 2016, puis, le 4 novembre suivant, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire, la société EMJ étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire, remplacée le 20 juillet 2017 par la société Axyme.
2. La société Paulaner Brauerei Gruppe Gmbh & Ko Kgaa (la société Paulaner), qui avait consenti à la société Mamy un prêt garanti par un nantissement et qui, n'ayant pas été réglée de la totalité du crédit, était bénéficiaire d'un droit de suite sur le fonds de commerce, a assigné le liquidateur pour être colloquée en premier rang sur le prix de vente à concurrence de la somme de 87 044,13 euros.
3. Par jugement du 30 septembre 2019, le tribunal a dit que la société Paulaner devait être colloquée sur le prix de vente du fonds de commerce à hauteur de 87 044,13 euros et qu'elle viendrait au rang des créanciers bénéficiaires d'un nantissement sur le fonds de commerce. La société Axyme, ès qualités, a interjeté appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen unique du pourvoi incident
Enoncé du moyen
5. La société Paulaner fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'elle devait être colloquée sur le prix de vente du fonds de commerce et de dire qu'en conséquence, elle devait être colloquée sur la quote-part du prix de cession de l'entreprise affectée au fonds de commerce de la société Sonia, qui devait être définie par le tribunal de la procédure collective conformément à l'article L. 642-12 du code de commerce, alors « que le tribunal saisi par le créancier nanti sur le fonds de commerce qui exerce son droit de suite peut, après avoir constaté que l'inscription n'a pas été purgée par le jugement arrêtant le plan de cession faute d'avoir affecté une quote-part du prix au bien grevé de la sûreté, ordonner que le créancier sera directement colloqué sur le prix payé par le cessionnaire, dès lors que le fonds de commerce nanti constitue le seul actif cédé, sans qu'il soit besoin d'exercer une requête en omission de statuer contre le jugement ayant arrêté le plan ; qu'en énonçant que le jugement sera confirmé sauf à préciser que la société Paulaner doit être colloquée non sur le prix de cession mais sur sa quote-part devant être définie par le tribunal de la procédure collective, le cas échéant saisi dans le cadre d'une omission de statuer, la cour d'appel a violé l'article L. 143-12 du code de commerce, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 642-12, alinéa 1, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2014, du code de commerce :
6. Il résulte de ce texte que le tribunal qui arrête le plan de cession doit déterminer la quote-part du prix de vente affectée aux biens grevés d'un privilège spécial, d'un gage, d'un nantissement ou d'une hypothèque, pour la répartition du prix et l'exercice sur ce montant du droit de préférence, cette quote-part correspondant au rapport entre la valeur de ce bien et la valeur totale des actifs cédés.
7. Pour dire que le tribunal de la procédure collective devra définir la quote-part du prix de cession du fonds de commerce de la société Sonia, sur laquelle la société Paulaner devra être colloquée, l'arrêt retient que le tribunal a omis de statuer sur ce point, imposé par la loi.
8. En statuant ainsi, après avoir relevé que le plan de cession ne portait que sur le fonds de commerce objet du nantissement, de sorte que, en l'espèce, l'absence d'affectation par le tribunal était sans portée sur l'assiette des droits du créancier qui était déterminable, comme portant nécessairement sur la totalité du prix de l'actif cédé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen relevé d'office
9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.
Vu les articles L. 642-12, alinéa 1, L. 641-13, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 15 septembre 2021, et R. 643-5 du code de commerce :
10. Le premier de ces textes, ayant pour finalité de déterminer l'assiette du droit de préférence, ne déroge pas à l'ordre de paiement des créanciers prévu par le deuxième.
11. Il résulte du troisième de ces textes que, sous peine d'être déchu de son droit de participer à la distribution, le créancier d'un propriétaire antérieur qui a fait connaître au liquidateur l'existence de son droit de suite dans le délai de deux mois après l'avertissement de ce dernier, participe à la distribution des biens au même titre que les créanciers de la procédure.
12. Pour dire que la société Paulaner vient en premier rang par rapport aux créanciers de la procédure collective de la société Sonia, l'arrêt retient que cette société est titulaire d'un nantissement inscrit sur le fonds de commerce du chef du propriétaire antérieur et qu'une priorité doit lui être accordée sur les créanciers personnels de la société Sonia.
13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa seconde branche, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 30 septembre 2019 ;
Condamne la société Axyme, en qualité de liquidateur de la société Sonia, aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Paris ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047805141.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 juillet 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 501 F-B
Pourvoi n° K 21-21.115
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 JUILLET 2023
La société Helvetia compagnie suisse d'assurances, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 3]), prise en son établissement, [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 21-21.115 contre l'arrêt rendu le 25 mai 2021 par la cour d'appel d'Angers (chambre A, commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Transports Montaville, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la société Texatop, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],
4°/ à la société Transports Coué, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
défenderesses à la cassation.
Les sociétés Transports Montaville et Axa France IARD ont formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Les demanderesses au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guillou, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Helvetia compagnie suisse d'assurances, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat des sociétés Transports Montaville et Axa France IARD, de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de la société Texatop, de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Transports Coué, après débats en l'audience publique du 23 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Guillou, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 25 mai 2021), la société Texatop a vendu à la société Merien un moule, d'un poids de 5 300 kg, et une bobine d'acier, d'un poids de 1 200 kg, la vente étant stipulée « départ usine ». La société Merien en a confié le transport à la société Transports Coué, commissionnaire de transport, qui s'est substituée la société Transports Montaville. Le 24 septembre 2014, au cours du transport, le moule a chuté de la semi-remorque et a été endommagé.
2. La société Helvetia compagnie suisse d'assurances (la société Helvetia), subrogée dans les droits de son assurée, la société Merien, a assigné en remboursement des sommes versées à cette dernière la société Texatop, la société Transports Montaville et l'assureur de celle-ci, la société AXA France IARD (la société AXA), qui ont appelé en garantie les sociétés Texatop et Transports Coué. Cette dernière a assigné en garantie les sociétés Texatop, Transports Montaville et AXA.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La société Helvetia fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes qu'elle a formées contre la société Texatop et de limiter à la somme de 12 190 euros la condamnation prononcée in solidum à l'encontre de la société Transports Montaville et de son assureur, la société AXA, alors « qu'en dépit du choix par les parties d'une "vente départ d'usine", le vendeur qui assume la responsabilité des opérations de chargement doit répondre des conséquences dommageables de leur exécution défectueuse ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la société Texatop, qui a signé la lettre de voiture en qualité d'expéditeur remettant, a procédé seule aux opérations de chargement dont l'exécution défectueuse, en l'absence de calage et d'arrimage de la marchandise, a été la cause exclusive des dommages subis par le matériel livré à la société Merien ; qu'en déboutant la société Helvetia de son action en responsabilité à l'encontre de la société Texatop au motif inopérant que l'outil était vendu "départ usine", ce qui signifiait que le vendeur ne se chargeait pas du transport, la cour d'appel a violé les articles 7.2 du décret n° 99-269 du 6 avril 1999 portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat type spécifique dans sa version applicable au litige, 1382, devenu 1240, du code civil et L. 132-8 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 132-8 du code de commerce et 7.2 du décret n° 99-269 du 6 avril 1999 portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat type spécifique, dans sa version applicable au litige :
4. Il résulte de ces textes qu'en dépit de la conclusion d'une vente « départ d'usine », le vendeur qui, ayant signé la lettre de voiture en qualité d'expéditeur-remettant et y ayant apposé son cachet, procède lui-même aux opérations de chargement, calage et arrimage du bien vendu, en assume la responsabilité et doit répondre, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, des conséquences dommageables de leur exécution défectueuse.
5. Pour rejeter les demandes formées contre la société Texatop, l'arrêt retient que la société Merien a demandé à la société Transports Coué d'organiser le déplacement, conformément à ses engagements contractuels pris à l'égard de la société Texatop en vertu du contrat de vente qui les lie et selon lequel l'outil était vendu « départ d'usine », ce qui signifie que le vendeur ne se charge pas du transport. Il ajoute que si la société Texatop a, dans les faits, procédé aux opérations de chargement, ce ne peut être que comme représentant de la société Transports Coué, donneur d'ordre, en vertu de l'article 7.2 du contrat type qui prévoit que les opérations de chargement, calage et arrimage d'un envoi supérieur à 3 tonnes sont exécutées par le donneur d'ordre ou par son représentant sous sa responsabilité, c'est-à-dire sous la responsabilité du donneur d'ordre.
6. En statuant ainsi, alors qu'il ne résulte pas de l'arrêt que la société Texatop aurait indiqué sur la lettre de voiture qu'elle aurait agi pour le compte d'un tiers, la cour d'appel, qui a relevé que la société Texatop figurait sur la lettre de voiture en qualité d'expéditeur-remettant et qu'elle avait effectué elle-même les opérations de chargement et de calage des outils vendus, a violé les textes susvisés.
Sur le second moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
7. La société Helvetia fait grief à l'arrêt d'avoir limité à la somme de 12 190 euros la condamnation prononcée in solidum à l'encontre de la société Transports Montaville et de son assureur, la société AXA, alors « qu'aux termes de l'article 21 du décret n° 99-269 du 6 avril 1999 portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat type spécifique, dans sa rédaction applicable au litige, l'indemnité que le transporteur est tenu de verser pour la réparation des dommages résultant de la perte totale ou partielle ou de l'avarie de la marchandise, ne peut excéder, pour les envois égaux ou supérieurs à trois tonnes, 14 euros par kilogramme de poids brut de marchandises manquantes ou avariées pour chacun des objets compris dans l'envoi, sans pouvoir dépasser, par envoi perdu, incomplet ou avarié, quels qu'en soient le poids, le volume, les dimensions, la nature ou la valeur, une somme supérieure au produit du poids brut de l'envoi exprimé en tonnes multiplié par 2 300 euros ; que selon l'article 2.1 du contrat type, l'envoi est la quantité de marchandises, emballage et support de charge compris, mise effectivement, au même moment, à la disposition du transporteur et dont le transport est demandé par un même donneur d'ordre pour un même destinataire d'un lieu de chargement unique à un lieu de déchargement unique et faisant l'objet d'un même contrat de transport ; qu'en calculant le plafond de l'indemnité par tonnes de marchandises endommagées et non sur le tonnage total de l'envoi, la cour d'appel a violé l'article précité dans sa version applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2.1 et 21 du décret n° 99-269 du 6 avril 1999, portant approbation du contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat type spécifique :
8. Selon le second de ces textes, le transporteur est tenu de verser une indemnité pour la réparation de tous les dommages justifiés dont il est légalement tenu pour responsable, résultant de la perte totale ou partielle ou de l'avarie de la marchandise. Pour les envois égaux ou supérieurs à trois tonnes, elle ne peut excéder 14 euros par kilogramme de poids brut de marchandises manquantes ou avariées pour chacun des objets compris dans l'envoi, sans pouvoir dépasser, par envoi perdu, incomplet ou avarié, quels qu'en soient le poids, le volume, les dimensions, la nature ou la valeur, une somme supérieure au produit du poids brut de l'envoi exprimé en tonnes multiplié par 2 300 euros.
9. Selon le premier, l'envoi est défini comme la quantité de marchandises, emballage et support de charge compris, mise effectivement, au même moment, à la disposition d'un transporteur et dont le transport est demandé par un même donneur d'ordre pour un même destinataire d'un lieu de chargement unique à un lieu de déchargement unique et faisant l'objet d'un même contrat de transport.
10. Il en résulte que, pour le transport de marchandises chargées au même lieu en vue d'un déchargement en un lieu unique pour le même destinataire, le plafond de l'indemnité mise à la charge du transporteur doit être calculé sur le poids brut de l'ensemble du chargement et non sur le poids brut de la seule marchandise sinistrée.
11. Pour limiter à 12 190 euros la condamnation prononcée in solidum à l'encontre de la société Transports Montaville et de son assureur, la société AXA, l'arrêt, après avoir écarté l'existence d'une faute inexcusable, retient qu'en application de la limitation de responsabilité prévue à l'article 21 du contrat type général, la société Transports Montaville ne peut être tenue que d'une indemnité limitée à 12 190 euros (soit 5,3 tonnes X 2 300 euros) sur la base du poids en tonne de la marchandise sinistrée qui est de 5,3 tonnes, le calcul devant être fait sur le poids brut du seul moule avarié et non sur la base du poids brut de l'ensemble de l'envoi, bobine comprise, même si c'est un poids d'ensemble qui a été indiqué dans l'ordre d'affrètement, précision étant donné qu'il y avait deux colis.
12. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la société Merien avait acheté à la société Texatop le moule et une bobine d'acier, chargés tous deux au même lieu et dont le transport avait été demandé à la société Transports Coué en vue d'un déchargement en un lieu unique pour le même destinataire, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen unique du pourvoi incident
Enoncé du moyen
13. Les sociétés Transports Montaville et AAXA font grief à l'arrêt de rejeter leur appel en garantie contre la société Texatop, alors « que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire avec le chef de l'arrêt cassé ; que la cassation qui interviendra du chef du premier moyen de cassation du pourvoi principal visant le dispositif de l'arrêt attaqué ayant rejeté les demandes de la société Helvetia contre la société Texatop, fondée sur la circonstance que la responsabilité de celle-ci ne pouvait être engagée ni en qualité d'expéditeur, ni de donneur d'ordre, entraînera la cassation du chef de dispositif attaqué par le présent moyen en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs du dispositif de l'arrêt rejetant les demandes formées par la société Helvetia contre la société Texatop et limitant à 12 190 euros la condamnation prononcée in solidum contre les sociétés Transports Montaville et AXA entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif rejetant l'appel en garantie formé par ces dernières contre la société Texatop, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
Portée et conséquences de la cassation
15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt en ce qu'il a rejeté les demandes formées par la société Helvetia contre la société Texatop entraîne en outre la cassation du chef de la condamnation de la société Texatop à garantir la société Transports Coué des condamnations prononcées contre elle, « en sa qualité de représentant de la société Transports Coué », qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi principal, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes formées par la société Helvetia contre la société Texatop, en ce qu'il limite à 12 190 euros la condamnation prononcée in solidum contre les sociétés Transports Montaville et AXA, en ce qu'il rejette l'appel en garantie formé par ces sociétés contre la société Texatop, en ce qu'il fait droit à l'appel en garantie de la société Transports Coué contre la société Texatop et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 25 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes ;
Condamne la société Texatop aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Texatop, la condamne à payer à la société Helvetia compagnie suisse d'assurances la somme de 3 000 euros, et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
Sur la responsabilité du vendeur en présence d'un choix par les parties au contrat de vente de l'Incoterm Ex Works, à rapprocher :Com., 13 septembre 2016, pourvoi n° 14-23.137, Bull. 2016, IV, n° 114
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CASS/JURITEXT000047805153.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 juillet 2023
Cassation sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 576 FS-B
Pourvoi n° G 22-22.290
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 JUILLET 2023
1°/ La direction générale des douanes et droits indirects, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° G 22-22.290 contre l'ordonnance rendue le 5 octobre 2022 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 15), dans le litige les opposant à M. [K] [O], domicilié [Adresse 3], élisant domicile au [Adresse 4], défendeur à la cassation.
M. [O] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Daubigney, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la direction générale des douanes et droits indirects et de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. [O], et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 juin 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Daubigney, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mme Graff-Daudret, M. Ponsot, Mmes Fèvre, Ducloz, MM. Alt, Calloch, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 5 octobre 2022) et les productions, par le règlement d'exécution (UE) 2022/427 du Conseil du 15 mars 2022, paru au Journal officiel de l'Union européenne du même jour, M. [O] a été inscrit à l'annexe I du règlement (UE) n° 269/2014 du Conseil du 17 mars 2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l'intégrité territoriale, la souveraineté et l'indépendance de l'Ukraine.
2. Le même jour, l'administration des douanes a réceptionné des documents transmis par les autorités diplomatiques maltaises portant sur le navire « La Petite Ourse », appartenant à la société Orangery maritime Ltd et dont M. [O] admet être le propriétaire effectif.
3. Le 16 mars 2022, des agents de l'administration des douanes ont, sur le fondement de l'article 63 du code des douanes, accédé à bord de ce navire en présence de M. [E], capitaine et représentant de la société Orangery Marine Ltd, et procédé à la visite de la cabine de ce dernier. Ils ont consigné cette opération dans un procès-verbal numéroté 5.
4. Par procès-verbal numéroté 6, les agents de l'administration des douanes ont informé M. [E] des mesures restrictives prises en application du règlement d'exécution (UE) 2022/427, consistant en l'immobilisation du navire « La Petite Ourse », ainsi que des peines prévues à l'article 459 du code des douanes en cas de violation de ces mesures.
5. Le 30 mars 2022, M. [O] a saisi le premier président d'une demande tendant à l'annulation des procès-verbaux n° 5 et n° 6.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
6. L'administration des douanes fait grief à l'ordonnance de déclarer le recours de M. [O] recevable à l'encontre du procès-verbal n° 5 du 16 mars 2022, alors « qu'en relevant, pour juger que M. [O] disposait d'un recours contre le déroulement des opérations de visite du navire "La petite Ourse", qu'il était le propriétaire de ce navire et qu'il devait être considéré, à ce titre, comme un "occupant des lieux" auquel l'article 63, V, du code des douanes réserve le droit de contester les opérations de visite d'un navire, quand l'occupant des locaux à usage privé ou d'habitation visités sur le navire, seul recevable à recourir contre le déroulement des opérations de visite, désigne exclusivement l'occupant effectif de ces locaux lors de la visite, ce dont il résulte que seul le capitaine du navire, M. [E], qui occupait effectivement la cabine visitée par les agents des douanes, pouvait contester les opérations de visite, et non M. [O] qui n'était pas l'occupant effectif de cette cabine, le premier président de la cour d'appel a violé l'article 63, V, du code des douanes. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 63, V, du code des douanes :
7. Il résulte de ce texte, qui a pour objet d'assurer le respect du domicile et de la vie privée de la personne qui demeure dans les lieux visités, que seul l'occupant des locaux affectés à un usage privé ou d'habitation d'un navire peut former le recours qu'il prévoit contre le déroulement des opérations de visite desdits locaux.
8. Il en découle que, s'il n'est pas effectivement occupant des locaux visités, le propriétaire du navire n'est pas recevable à exercer le recours prévu à l'article 63, V, précité.
9. Pour admettre le recours de M. [O] à l'encontre du procès-verbal de visite de la cabine de M. [E], l'ordonnance, après avoir relevé que le procès-verbal n° 5 relate sommairement la visite de la cabine de ce dernier, occupant des lieux, l'ordonnance retient que M. [O] est le propriétaire effectif du navire et en déduit qu'il doit, en cette qualité, être considéré comme occupant des lieux, au sens de l'article 63, III, B, du code des douanes, et disposer d'un recours contre le déroulement des opérations de visite.
10. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que M. [O] n'était pas l'occupant de la cabine ayant fait l'objet du procès-verbal de visite, le premier président a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
13. M. [O], qui n'était pas l'occupant de la cabine visitée, est irrecevable à exercer le recours prévu à l'article 63, V, du code des douanes.
14. Le recours formé par M. [O] doit donc être déclaré irrecevable.
15. Il en découle que le moyen du pourvoi incident formé par M. [O], qui fait grief à l'arrêt de ne pas annuler le procès-verbal n° 6 par voie de conséquence de l'annulation du procès-verbal n° 5, est inopérant.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi principal, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 5 octobre 2022, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DÉCLARE le recours de M. [O] irrecevable ;
Condamne M. [O] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le premier président de la cour d'appel de Paris ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [O] et le condamne à payer à la direction générale des douanes et droits indirects et à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
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CASS/JURITEXT000047805134.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 5 juillet 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 494 F-B
Pourvoi n° Q 22-14.476
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 JUILLET 2023
1°/ La société Chubb European Group SE, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée Ace European Group LTD,
2°/ la société Danone produits frais France (DPFF), société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° Q 22-14.476 contre l'arrêt n° RG 18/06224 rendu le 4 novembre 2021 par la cour d'appel de Bordeaux (4e chambre civile), dans le litige les opposant à la société TRSO, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
La société Chubb European Group SE invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Chubb European Group SE, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société TRSO, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Danone produits frais France (la société Danone) du désistement de son pourvoi.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 4 novembre 2021, n° RG 18/06224), le 3 février 2016, la société Danone a confié à la société TRSO l'acheminement d'un lot de produits laitiers à destination de [Localité 4] (Val-de-Marne).
3. Au cours du transport, la semi-remorque contenant la marchandise a été arrêtée par des manifestants qui ont contraint le chauffeur à descendre du véhicule et ont déchargé la remorque pour distribuer le contenu de trois des vingt-quatre palettes aux occupants des véhicules circulant à proximité.
4. Le 3 février 2017, la société Danone et son assureur, la société Ace European Group Limited, devenue la société Chubb European Group SE (la société Chubb), ont assigné la société TRSO en réparation de leur préjudice.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La société Chubb fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes à l'encontre de la société TRSO, alors « que le voiturier est garant de la perte des objets à transporter, hors les cas de la force majeure ; que seul un événement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution est constitutif d'un cas de force majeure ; que pour juger que le transporteur était exonéré de toute responsabilité pour cas de force majeure, l'arrêt attaqué retient que si le mouvement social initié par les agriculteurs et sa poursuite ainsi que le barrage filtrant auquel a été confronté le chauffeur du camion étaient prévisibles dès le 2 février 2016, le transporteur ne pouvait pas prévoir le sort que les manifestants réserveraient à la marchandise transportée en contraignant le chauffeur à descendre de son véhicule pour dérober les marchandises et les distribuer ; qu'en statuant ainsi par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser que dans le contexte connu d'un mouvement social d'agriculteurs et de mise en place de barrages routiers filtrants par les manifestants, le transporteur ne pouvait ni anticiper, ni éviter l'événement dommageable, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 133-1 du code de commerce, 1148 et 1150 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
7. L'arrêt retient que si, le mouvement social des agriculteurs étant connu, le blocage du camion à un barrage était prévisible, en revanche, il n'est pas établi que les organisations syndicales aient donné des consignes précises aux manifestants, s'agissant notamment de la localisation des barrages, de sorte que la société TRSO ne pouvait prévoir un itinéraire évitant le blocage de ses camions.
8. Il ajoute qu'il n'est pas démontré que les informations routières et les réseaux sociaux ont, le jour de l'incident litigieux, donné les informations utiles qui auraient permis au chauffeur de la société TRSO d'éviter un tel blocage.
9. Il retient encore que celle-ci ne pouvait pas prévoir le fait que des manifestants allaient contraindre le chauffeur à descendre du véhicule pour dérober des marchandises et les distribuer à tout venant.
10. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire l'existence d'un événement imprévisible et irrésistible, constitutif d'un cas de force majeure exonérant le transporteur de toute responsabilité dans la survenance du dommage.
11. Le moyen n'est pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Chubb European Group SE aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Chubb European Group SE et la condamne à payer à la société TRSO la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
Ass. plén., 14 avril 2006, pourvoi n° 04-18.902, Bull. Ass. Plén. 2006, n° 6
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COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 juillet 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 488 FS-B
Pourvoi n° M 22-11.621
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 JUILLET 2023
La société Caisse de réassurance mutuelle agricole de Centre Manche (Groupama Centre-Manche), dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° M 22-11.621 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2021 par la cour d'appel de Caen (2e chambre civile et commerciale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société AGB, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société Etablissements Soetaert, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
La société Etablissements Soetaert a formé un pourvoi provoqué contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi provoqué invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller, les observations de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société Caisse de réassurance mutuelle agricole de Centre Manche, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Etablissements Soetaert, de Me Laurent Goldman, avocat de la société AGB, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 23 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Fontaine, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Bélaval, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, M. Bedouet, conseillers, Mmes Barbot, Kass-Danno, M. Boutié, conseillers référendaires, Mme Guinamant, avocat général référendaire, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 18 novembre 2021), le 19 mai 2015, la société AGB a commandé à la société Etablissements Soetaert (la société Soetaert) un tracteur, mis en circulation le 11 janvier 2013, avec pose d'un matériel attelé, une déchiqueteuse de bois.
2. Soutenant que le moteur du tracteur était affecté d'un vice caché, la société AGB a assigné la société Soetaert en résolution judiciaire du contrat de vente.
3. La société Caisse de réassurance mutuelle agricole de Centre Manche (l'assureur), assureur de la société Soetaert, est intervenue volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal et les deux premiers moyens du pourvoi provoqué
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal et le troisième moyen du pourvoi provoqué
Enoncé des moyens
5. L'assureur fait grief à l'arrêt de prononcer la résolution de la vente, de condamner la société Soetaert à restituer à la société AGB le prix de vente, à reprendre possession du tracteur à ses frais exclusifs, à payer à la société AGB une certaine somme au titre des frais de location du tracteur de remplacement et en conséquence de condamner l'assureur à garantir la société Soetaert des condamnations prononcées contre cette dernière, alors « qu'il résulte de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la Convention) que nul ne peut porter une atteinte disproportionnée au droit à la preuve d'une partie ; que contrevient à ce principe une règle probatoire faisant irrémédiablement obstacle à ce que puisse être rapportée la preuve contraire d'un fait présumé à l'encontre d'une partie, générant à l'encontre de celle-ci une condamnation de nature civile au regard de sa seule qualité de professionnel ; que tel est le cas de la présomption irréfragable de connaissance du vice caché à la charge du vendeur professionnel, qui interdit à ce dernier d'apporter la preuve de sa bonne foi et de démontrer qu'il ignorait - à le supposer établi - le vice de la chose vendue, pour mettre à sa charge une obligation de garantie à ce titre, nonobstant même la qualité de professionnel de l'acheteur ; qu'en retenant que la société Soetaert, vendeur professionnel, était présumée irréfragablement connaître le vice litigieux, pour en déduire qu'elle était tenue à garantie envers la société AGB, acheteur professionnel, la cour d'appel a porté au droit à la preuve de la société Soetaert une atteinte disproportionnée en violation du texte précité, ensemble l'article 9 du code de procédure civile. »
6. La société Soetaert fait grief à l'arrêt de prononcer la résolution de la vente, de la condamner à restituer le prix de vente et à reprendre possession du tracteur, de la condamner en outre à payer à la société AGB une certaine somme en réparation du préjudice correspondant aux frais de location d'un autre tracteur, alors :
« 1°/ que méconnaît le droit au procès équitable garanti par l'article 6, § 1, de la Convention la règle de droit national portant une atteinte disproportionnée au droit à la preuve d'une partie ; qu'en retenant en l'espèce que la société Soetaert supportait, en sa qualité de vendeur professionnel, une présomption irréfragable de connaissance du vice caché affectant la chose vendue, de sorte à l'empêcher de démontrer qu'elle ignorait l'existence de ce vice, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention, ensemble l'article 9 du code de procédure civile ;
2°/ que la présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice caché de la chose vendue porte une atteinte disproportionnée à son droit à la preuve lorsque l'acquéreur achète le bien pour l'exercice de sa propre activité professionnelle ; qu'en retenant en l'espèce le caractère irréfragable de cette présomption, pour empêcher la société Soetaert de démontrer qu'elle ignorait l'existence du vice caché affectant le tracteur vendu à la société AGB, exploitant agricole, la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention, ensemble l'article 9 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Il résulte des articles 1641 et 1646 du code civil que le vendeur, garant à raison des défauts cachés de la chose vendue, n'est tenu qu'à la restitution du prix et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente s'il ignorait ces vices.
8. Aux termes de l'article 1645 du code civil, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.
9. Selon une jurisprudence ancienne et constante de la Cour de cassation (1re Civ., 21 novembre 1972, pourvoi n° 70-13.898, Bull. 1972, n° 257 ; 2e Civ., 30 mars 2000, pourvoi n° 98-15.286, Bull. 2000, n°57 ; Com., 19 mai 2021, pourvoi n° 19-18.230), il résulte de ce texte une présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l'oblige à réparer l'intégralité de tous les dommages qui en sont la conséquence.
10. Le caractère irréfragable de cette présomption, fondée sur le postulat que le vendeur professionnel connaît ou doit connaître les vices de la chose vendue, qui a pour objet de contraindre ce vendeur, qui possède les compétences lui permettant d'apprécier les qualités et les défauts de la chose, à procéder à une vérification minutieuse de celle-ci avant la vente, répond à l'objectif légitime de protection de l'acheteur qui ne dispose pas de ces mêmes compétences, est nécessaire pour parvenir à cet objectif et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du vendeur professionnel au procès équitable garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Après avoir retenu l'existence d'un vice caché affectant le moteur, antérieur à la vente et diminuant l'usage voire rendant le tracteur impropre à sa destination, de nature à justifier la résolution du contrat, l'arrêt retient à bon droit que la société Soetaert, vendeur professionnel, est présumée avoir eu connaissance du vice et qu'il s'agit d'une présomption irréfragable qui joue même lorsque l'acheteur est lui-même un professionnel. Il en déduit exactement que la société AGB a droit, outre la restitution du prix, à l'indemnisation de tous ses dommages.
12. Les moyens ne sont donc pas fondés.
Mais sur le second moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
13. L'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à garantir la société Soetaert des condamnations prononcées contre cette dernière, alors « que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que pour retenir la garantie de l'assureur, la cour d'appel s'est fondée exclusivement sur une clause générale du contrat d'assurance souscrit par la société Soetaert ; qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur le moyen des conclusions de l'assureur pris de l'applicabilité à l'espèce de la clause spéciale d'exclusion expressément visée par l'exposante dans ses écritures, la cour a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
14. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
15. Pour condamner l'assureur à garantir la société Soetaert des condamnations prononcées contre elle, l'arrêt écarte l'application d'une clause d'exclusion de garantie relative au défaut ou insuffisance de performance ou d'impropriété à l'usage et se réfère à une clause générale relative aux conditions de garantie.
16. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'assureur, qui soutenait aussi qu'était applicable une autre clause d'exclusion relative aux frais de remboursement des pièces et fournitures reconnues défectueuses, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme le jugement en ce qu'il déboute la société Etablissements Soetaert de son appel en garantie et, statuant à nouveau, il condamne la société Caisse de réassurance mutuelle agricole de Centre Manche à garantir la société Etablissements Soetaert des condamnations prononcées contre elle, en principal, dommages et intérêts, frais, dépens et accessoires, et condamne la société Caisse de réassurance mutuelle agricole de Centre Manche aux dépens et en application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 18 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen autrement composée ;
Condamne la société Etablissements Soetaert aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
Sur la présomption irréfragable de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, à rapprocher :2e Civ., 30 mars 2000, pourvoi n° 98-15.286, Bulletin civil 2000, II, n° 57
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CASS/JURITEXT000047805361.xml | LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 juillet 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 499 F-B
Pourvoi n° N 22-10.104
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 JUILLET 2023
M. [K] [C], domicilié [Adresse 3], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Capnor Invest, a formé le pourvoi n° N 22-10.104 contre l'arrêt rendu le 4 novembre 2021 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 2), dans le litige l'opposant :
1°/ à la Société générale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Crédit du Nord,
2°/ à la société Capnor Invest, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de M. [C], ès qualités, de la SARL Cabinet Briard, avocat de la Société générale, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 4 novembre 2021), la société Capnor Invest a été mise en liquidation judiciaire par un jugement du 7 juillet 2014 qui a désigné M. [C] en qualité de liquidateur.
2. La société Crédit du Nord, aux droits de laquelle est venue la Société générale (la banque), a déclaré une créance à cette procédure collective au titre de la garantie d'achèvement des travaux consentie le 26 juin 2012 à la société Capnor Invest pour un programme immobilier réalisé par la société débitrice sous le régime de la vente d'immeubles à rénover.
3. Le liquidateur a contesté cette créance en soutenant que la garantie d'achèvement n'était plus susceptible d'être engagée par les acquéreurs des différents lots, dès lors qu'il avait réalisé les immeubles dépendant de l'actif de la procédure collective par voie d'adjudication et que l'action susceptible d'être exercée par les acquéreurs des autres lots, en raison de l'inachèvement des travaux, était nécessairement prescrite.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. Le liquidateur fait grief à l'arrêt d'admettre la créance de la banque au passif de la société Capnor Invest, alors :
« 1° / que le liquidateur judiciaire d'un marchand de biens n'ayant pas mené les travaux de rénovation à leur terme, qui se trouve de ce fait dans l'impossibilité de produire une déclaration d'achèvement des travaux conforme, peut s'opposer à la déclaration de créance de la banque garante de bon achèvement qui exerce le recours avant paiement ouvert à la caution en montrant que cette garantie n'est pas susceptible d'être mise en jeu par les acquéreurs des lots ; qu'en l'espèce, M. [C] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Capnor Invest a attesté que "la totalité des biens immobiliers appartenant à cette société qui existaient à la date du jugement de liquidation judiciaire ont été réalisés par voie de saisie-immobilière", à l'exception d'un immeuble non concerné par la présente procédure ; que le liquidateur judiciaire a produit le cahier des conditions de cette vente mentionnant que seraient vendus sept appartements avec chacun une place de stationnement ainsi qu'une place de stationnement isolée ; qu'il a également produit tous les jugements d'adjudication ; que cette vente par adjudication en liquidation judiciaire était par nature exclue du bénéfice de la garantie d'achèvement ; qu'en affirmant néanmoins que le liquidateur judiciaire n'avait pas suffisamment justifié des lots vendus par adjudication, la cour d'appel a violé les articles 2039 du code civil, L. 262-7 et R. 262-12 du code de la construction et de l'habitation et L. 624-2 du code de commerce ;
2°/ que dans la mesure où le liquidateur judiciaire de la société Capnor Invest a attesté avoir vendu par adjudication tous les lots de l'immeuble litigieux dont cette société était encore propriétaire au jour du jugement de liquidation judiciaire, il en résultait nécessairement que tous les autres lots, quel que soit leur nombre et leur consistance, avaient été vendus auparavant ; que le délai de la prescription quinquennale des acquéreurs de ces lots pour agir contre la banque tenue d'une garantie d'achèvement a commencé à courir le 7 juillet 2014, date du jugement de liquidation judiciaire de la société Capnor Invest, pour se terminer le 7 juillet 2019 ; que le Crédit du Nord n'a pas justifié de poursuites à son encontre dans ce délai, la lettre envoyée par l'avocat de cinq acquéreurs en avril 2013 n'établissant pas l'engagement de telles poursuites ; qu'en jugeant cependant que le liquidateur judiciaire n'avait pas suffisamment justifié des lots vendus de gré à gré avant la procédure collective, ni de déclaration de créances des acquéreurs, ni de l'achèvement ou de la réception des ouvrages, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des motifs inopérants, a violé les articles 2224 et 2313 du code civil, L. 262-7, R. 262-12 du code de la construction et de l'habitation et L. 624-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
5. Il résulte des articles L. 622-24, alinéa 1, et L. 622-25 du code de commerce, qu'au titre des créances antérieures au jugement d'ouverture de la procédure collective, le montant de la créance à admettre est celui existant au jour de ce jugement d'ouverture, date à laquelle le juge-commissaire puis la cour d'appel se prononçant sur la contestation d'une telle créance doivent se placer pour statuer sur son admission, sans tenir compte d'événements postérieurs susceptibles d'influer sur la somme qui sera ultérieurement distribuée par le liquidateur.
6. Il s'ensuit que l'admission de la créance déclarée par la banque au titre de la garantie d'achèvement des travaux en application de l'article 2309 du code civil qui, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, applicable au cautionnement consenti par la société Crédit du Nord, permettait à la caution, même avant d'avoir payé, d'agir contre le débiteur pour être indemnisée, lorsque ce dernier était en procédure collective, ne peut être tributaire des conditions de la réalisation des immeubles dépendant de l'actif de la procédure collective pendant le cours de cette procédure ou d'une prescription de l'action en garantie prétendument acquise cinq ans après l'ouverture de cette procédure.
7. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.
8. Le moyen ne peut être accueilli.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [C], en sa qualité de liquidateur de la société Capnor Invest, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
Dans le même sens :Com., 8 juin 2020, pourvoi n° 09-14.624, Bull. 2010, IV, n° 108
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COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 juillet 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 624 FS-B+R
Pourvoi n° P 22-17.902
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 JUILLET 2023
1°/ L'UNEDIC, dont le siège est [Adresse 3], agissant en qualité de gestionnaire de l'AGS, élisant domicile au Centre de gestion et d'études AGS (CGEA) de [Localité 5], dont le siège est Les [Adresse 6], représentée par Mme [R] [V], en qualité de directrice nationale de la DUA,
2°/ l'AGS, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° P 22-17.902 contre l'arrêt rendu le 14 juin 2022 par la cour d'appel de Poitiers (2e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société [M], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de son gérant M. [E] [M], prise en qualité de mandataire liquidateur à la procédure de liquidation judiciaire de la société Ets Audis,
2°/ à la société AJ UP, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de son cogérant M. [J] [S], prise en qualité d'administrateur judiciaire à la procédure de liquidation judiciaire de la société Ets Audis,
défenderesses à la cassation.
Partie intervenante volontaire :
Le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), dont le siège est [Adresse 4].
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations écrites et orales de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de l'UNEDIC, ès qualités, et de l'AGS, de la SARL Ortscheidt, avocat de la société [M], ès qualités, et de la société AJ UP, ès qualités, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), et l'avis de Mme Henry, avocat général, à la suite duquel le président a demandé aux avocats s'ils souhaitaient présenter des observations complémentaires, après débats en l'audience publique du 4 juillet 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Bélaval, Fontaine, Boisselet, Guillou, M. Bedouet, conseillers, Mmes Barbot, Kass-Danno, M. Boutié, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Intervention
1. Il est donné acte au Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires de son intervention volontaire au soutien de la société AJ UP et de la société [M], en leurs qualités respectives d'administrateur et de liquidateur de la société Ets Audis.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 14 juin 2022), le 20 novembre 2020, la société Ets Audis a été mise en redressement judiciaire, la société AJ UP étant désignée en qualité d'administrateur et la société [M] en celle de mandataire judiciaire.
3. Par un jugement du 16 avril 2021, le tribunal a arrêté un plan de cession des actifs de la société Ets Audis au profit de la société Ridoret menuiserie. Il a fixé la date d'entrée en jouissance au 1er mai 2021 et celle du transfert de propriété à la date de signature des actes. Le prix de cession a été consigné entre les mains du mandataire judiciaire.
4. Par un jugement du 30 avril 2021, la procédure collective a été convertie en liquidation judiciaire, la société [M] étant désignée en qualité de liquidateur.
5. Le 5 mai 2021, la société [M] a saisi le Centre de gestion et d'études AGS (CGEA) de [Localité 5] d'une demande d'avance par l'Association de garantie des salaires (l'AGS) pour assurer le paiement des salaires du mois d'avril 2021 et d'heures supplémentaires.
6. Le CGEA lui ayant partiellement opposé un refus en invoquant la subsidiarité de son intervention, le liquidateur l'a assigné devant le tribunal de la procédure collective pour obtenir le versement d'une somme correspondant au montant du solde ressortant du relevé des créances salariales.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa cinquième branche
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première à quatrième branches
Enoncé du moyen
8. L'UNEDIC, agissant en sa qualité de gestionnaire de l'AGS, fait grief à l'arrêt de la condamner au versement d'une somme équivalente au solde du relevé des créances salariales, alors :
« 1°/ que ce n'est que si les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L. 3253-19 du code du travail, que le mandataire judiciaire peut demander, sur présentation des relevés, l'avance des fonds nécessaires aux institutions de garantie mentionnées à son article L. 3253-14 ; qu'en jugeant qu'aucun contrôle a priori de l'insuffisance des fonds disponibles de l'entreprise n'est ouvert aux institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 du code du travail, tenues, dès présentation des relevés par le mandataire, de verser les avances demandées, la sanction de l'absence de respect par le liquidateur de la subsidiarité ne pouvant être obtenue par lesdites institutions qu'a posteriori, par le droit au remboursement de ces avances, ainsi que par la responsabilité du mandataire, la cour d'appel a violé l'article L. 3253-20 du code du travail ;
2°/ que l'AGS a un droit propre pour contester le principe et l'étendue de sa garantie, dans tous les cas où les conditions de celle-ci ne paraissent pas remplies ; qu'en jugeant qu'aucun contrôle a priori de l'insuffisance des fonds disponibles de l'entreprise n'est ouvert aux institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 du code du travail, tenues, dès présentation des relevés par le mandataire, de verser les avances demandées, la sanction de l'absence de respect par le liquidateur de la subsidiarité ne pouvant être obtenue par lesdites institutions qu'a posteriori, par le droit au remboursement de ces avances, ainsi que par la responsabilité du mandataire, la cour d'appel a violé l'article L. 3253-20 du code du travail, ensemble l'article L. 625-4 du code de commerce ;
3°/ que la charge de la preuve de ce que les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L. 3253-19 du code du travail repose sur le mandataire judiciaire ; qu'en jugeant qu'aucun contrôle a priori de l'insuffisance des fonds disponibles de l'entreprise n'est ouvert aux institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 du code du travail, tenues, dès présentation des relevés par le mandataire, de verser les avances demandées, la cour d'appel a violé l'article 1353 du code civil ;
4°/ qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ; qu'en jugeant qu'il n'appartiendrait pas au mandataire judiciaire de prouver que les créances salariales ne pouvaient pas être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L. 3253-19 du code du travail, pour demander l'avance des fonds nécessaires aux institutions de garantie mentionnées à son article L. 3253-14, la cour d'appel a violé l'article 9 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. D'une part, selon l'article L. 3253-19, 1° et 3°, du code du travail, en cas d'ouverture d'une procédure collective, il incombe au mandataire judiciaire d'établir le relevé des créances mentionnées aux articles L. 3253-2 et L. 3253-4 de ce code dans les dix jours suivant le prononcé du jugement d'ouverture et, pour les salaires et les indemnités de congés payés couvertes en application du 3° de l'article L. 3253-8 et les salaires couverts en application du dernier alinéa de ce même article, dans les dix jours suivant l'expiration des périodes de garantie prévues à ce 3° et ce, jusqu'à concurrence du plafond mentionné aux articles L. 3253-2, L. 3253-4 et L. 7313-8 du même code.
10. D'autre part, l'article L. 3253-20 du code du travail dispose, en son premier alinéa, que si les créances salariales ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L. 3253-19, le mandataire judiciaire demande, sur présentation des relevés, l'avance des fonds nécessaires aux institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14 de ce code. Le second alinéa de ce texte prévoit pour sa part, qu'en cas d'ouverture d'une sauvegarde, le mandataire judiciaire justifie à ces institutions, lors de sa demande, que l'insuffisance des fonds disponibles est caractérisée, la réalité de cette insuffisance pouvant être contestée par l'AGS devant le juge-commissaire.
11. Faisant l'exacte application de ces textes, la cour d'appel a retenu, sans méconnaître les règles gouvernant l'administration de la preuve, ni la subsidiarité de l'intervention de l'AGS, que l'obligation de justification préalable par le mandataire judiciaire de l'insuffisance des fonds disponibles de la procédure collective et la possibilité de sa contestation immédiate par les institutions de garantie ne sont prévues qu'en cas de sauvegarde et en a déduit qu'en dehors de cette procédure, aucun contrôle a priori n'est ouvert à l'AGS, de sorte que, sur la présentation d'un relevé de créances salariales établi sous sa responsabilité par le mandataire judiciaire, et afin de répondre à l'objectif d'une prise en charge rapide de ces créances, l'institution de garantie est tenue de verser les avances demandées.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'UNEDIC, agissant en sa qualité de gestionnaire de l'AGS, et l'AGS aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'UNEDIC, agissant en sa qualité de gestionnaire de l'AGS, et l'AGS et les condamne à payer à la société [M] et à la société AJ UP, en leurs qualités de liquidateur et d'administrateur de la société Ets Audis, la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille vingt-trois.
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COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 juillet 2023
Cassation partielle sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 493 F-B
Pourvoi n° Y 22-10.436
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 JUILLET 2023
Le Fonds commun de titrisation Cedrus, ayant pour société de gestion la société Equitis gestion, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], représenté par la société MCS et associés, société par actions simplifiée à associé unique, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la Société générale, a formé le pourvoi n° Y 22-10.436 contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2021 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société MJ Alpes, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de Mme [I] [M], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société HPH,
2°/ à la société HPH, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4],
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat du Fonds commun de titrisation Cedrus, de la SCP Richard, avocat de la société HPH et de la société MJ Alpes, ès qualités, après débats en l'audience publique du 23 mai 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 19 octobre 2021), le 6 juin 2017, la liquidation judiciaire de la Société d'exploitation Electric Boutic a été étendue à la société HPH. La Société générale (la banque), qui avait accordé un prêt à la société Electric Boutic garanti par une hypothèque consentie par la société HPH, a déclaré une créance privilégiée qui a été contestée. Par une ordonnance du 28 août 2018, le juge-commissaire a constaté que l'appréciation de la validité de la garantie hypothécaire consentie par la société HPH, qui constituait le motif de contestation, ne relevait pas de son office juridictionnel, sursis à statuer et renvoyé la banque à mieux se pourvoir.
2. Le 25 septembre 2018, la banque a assigné devant le tribunal la société MJ Alpes, en sa qualité de liquidateur de la société HPH. Par un jugement du 30 avril 2019, le tribunal a déclaré l'action de la banque irrecevable au motif qu'elle n'avait pas assigné la société HPH, titulaire d'un droit propre en matière de vérification du passif.
3. La banque a fait appel du jugement en intimant le liquidateur. Par conclusions du 9 juillet 2020, le Fonds commun de titrisation Cedrus (le FCT Cedrus), ayant pour société de gestion la société Equitis gestion, cessionnaire de la créance de la banque, est intervenu volontairement à l'instance, puis a appelé en intervention forcée la société HPH. Le 15 octobre 2020, il a fait appel du jugement en intimant le liquidateur et la société HPH.
4. Le FCT Cedrus a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état déclarant irrecevable cet appel.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Le FCT Cedrus, ayant pour société de gestion la société Equitis gestion, fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'appel formé à l'encontre de la société HPH par déclaration du 15 octobre 2020, alors « que l'instance en vérification des créances diligentée devant le juge-commissaire et l'instance introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties s'inscrivent dans une même procédure indivisible ; qu'en conséquence, lorsque étaient parties à l'instance devant le juge-commissaire le créancier, le débiteur et le liquidateur, et que dans le cadre de l'instance devant la juridiction compétente n'étaient présents que le créancier et le liquidateur, le créancier est recevable à intimer, dans sa déclaration d'appel, le débiteur ; qu'en effet, le débiteur était bien présent à l'instance devant le juge-commissaire laquelle est indivisible de celle tenue devant la juridiction compétente ; qu'en l'espèce, il est constant aux débats que dans le cadre de l'instance devant le juge-commissaire étaient présents, appelés et représentés, la Société générale, aux droits de laquelle vient le FCT Cedrus, la SCI HPH et la Selarl MJ Alpes, ès qualités ; qu'en revanche, il n'est pas contesté que la SCI HPH n'avait pas été appelée à l'instance au fond tenue devant le tribunal de commerce d'Annecy ; qu'il n'en demeurerait pas moins qu'en raison de l'indivisibilité des procédures le FCT Cedrus pouvait intimer la SCI HPH, présent lors de la première instance ; qu'en retenant pourtant que "la SCI HPH n'étant pas partie à l'instance devant le tribunal de commerce et ne pouvant être regardée comme l'ayant été, l'appel formé à son encontre par la déclaration du 15 octobre 2020 est irrecevable", la cour d'appel a violé les articles 552 et 553 du code de procédure civile par refus d'application, et 547 dudit code par fausse application. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 553 et 547 du code de procédure civile :
6. Aux termes du premier texte, en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l'instance et l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance. Selon le second, en matière contentieuse, l'appel ne peut être dirigé que contre ceux qui ont été parties en première instance.
7. L'instance introduite devant la juridiction compétente par l'une des parties à la procédure de vérification des créances, sur l'invitation du juge-commissaire, s'inscrit dans cette même procédure, laquelle est indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire ou le liquidateur. Il en résulte que la partie qui saisit le juge compétent doit mettre en cause devant ce juge les deux autres parties, dont le cas échéant le débiteur qui est une partie nécessaire en tant que titulaire, en matière de vérification du passif, d'un droit propre.
8. Pour déclarer l'appel irrecevable, l'arrêt énonce que seules les personnes qui ont été parties en première instance peuvent être intimées, et relève que si la société HPH a bien été partie à l'instance de vérification de créance devant le juge-commissaire, elle n'a pas été appelée à l'instance distincte et autonome qui a été introduite devant le tribunal de commerce par la banque, par assignation du 25 septembre 2018, et en déduit que la société HPH non partie en première instance, ne pouvait être intimée.
9. En statuant ainsi, alors que la société débitrice devait être intimée par le créancier, appelant du jugement rendu par le juge compétent saisi, sur invitation du juge-commissaire, pour trancher la contestation de sa créance, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
10. A la demande du FCT Cedrus, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'appel formé contre la société HPH par déclaration du 15 octobre 2020, l'arrêt rendu le 19 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Déclare recevable l'appel formé par le Fonds commun de titrisation Cedrus contre la société HPH par déclaration du 15 octobre 2020 ;
Condamne la société HPH et la société MJ Alpes, en qualité de liquidateur de la société HPH, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq juillet deux mille vingt-trois.
Sur la nécessité de mettre en cause devant le juge compétent le créancier, le débiteur, le mandataire judiciaire ou le liquidateur, à rapprocher :Com., 5 septembre 2018, pourvoi n° 17-5.978, Bull. 2018, IV, n° 91
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COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 juin 2023
Cassation sans renvoi
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 420 F-B
Pourvoi n° H 21-24.815
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 JUIN 2023
La société MJA, société d'exercice libéral à forme anonyme, dont le siège est [Adresse 1], en la personne de M. [T] [W], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Etablissements Duperche, a formé le pourvoi n° H 21-24.815 contre l'arrêt rendu le 22 juin 2021 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant à la société Compagnie générale de location d'équipements, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société MJA, ès qualités, de la SCP Marc Lévis, avocat de la société Compagnie générale de location d'équipements, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 juin 2021), la société Etablissements Duperche (la société Duperche) a été mise en liquidation judiciaire le 21 février 2019, la société MJA étant désignée en qualité de liquidateur. La société Compagnie générale de location d'équipements (la société CGL), qui a demandé en vain au liquidateur d'acquiescer à une demande de restitution d'un véhicule qu'elle avait financé, a déposé une requête à cette fin auprès du juge-commissaire, en produisant une quittance subrogative du vendeur du véhicule. Le juge-commissaire a rejeté cette requête par une ordonnance du 31 octobre 2019 confirmée par un jugement du 23 avril 2020.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
2. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de lui ordonner de restituer le véhicule financé à la société CGL, alors « que le prêteur de deniers professionnel qui a accordé un prêt en vue de l'acquisition d'un bien et qui verse les fonds entre les mains du vendeur pour paiement du prix ne peut bénéficier de la subrogation ex parte creditoris dans les droits du vendeur et ne peut donc invoquer sur ce fondement la clause de réserve de propriété prévue par le contrat de vente ; que pour ordonner la restitution à la société CGL, prêteur, du véhicule vendu avec réserve de propriété, la cour d'appel a relevé que le vendeur avait subrogé le prêteur selon quittance du 14 décembre 2016 dans l'entier effet de la clause de réserve de propriété, l'acheteur se reconnaissant informé de la réserve de propriété stipulée par le vendeur dès avant la livraison du bien ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 2367 et 1346-1 du code civil, ensemble l'article L. 624-16 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1346-1 et 2367, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, du code civil :
3. Il résulte du premier de ces textes que c'est seulement lorsque le créancier a reçu son paiement d'une tierce personne qu'il peut conventionnellement subroger celle-ci dans ses droits, actions et accessoires contre le débiteur.
4. Selon le second, la propriété d'un bien peut être retenue en garantie par l'effet d'une clause de réserve de propriété qui suspend l'effet translatif d'un contrat jusqu'au complet paiement de l'obligation qui en constitue la contrepartie.
5. Il en résulte que, lorsque le prêteur se borne à verser au vendeur du bien financé les fonds empruntés par son client, il n'est pas l'auteur du paiement et le client devient, dès ce versement, propriétaire du matériel vendu, de sorte que le prêteur ne peut prétendre être subrogé dans les droits du vendeur et ne peut, dès lors, se prévaloir d'une clause de réserve de propriété stipulée au contrat de vente.
6. Pour condamner le liquidateur à restituer le véhicule litigieux à la société CGL, l'arrêt relève que le vendeur avait confirmé que les conditions de vente comprenaient une clause de réserve de propriété différant le transfert de propriété du bien jusqu'au paiement effectif et complet du prix d'achat TTC, avait reconnu avoir reçu du prêteur la somme représentant le montant du solde du prix de vente du bien et subrogé ce dernier dans tous ses droits et actions contre l'acheteur et notamment dans l'entier effet de la clause de réserve de propriété, l'acheteur se reconnaissant informé de la réserve de propriété stipulée par le vendeur dès avant la livraison du bien qu'il a confirmé avoir acceptée purement et simplement. Il en déduit que le prêteur pouvait, par subrogation, agir en restitution du bien.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Versailles du 23 avril 2020 ;
Condamne la société Compagnie générale de location d'équipements aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Compagnie générale de location d'équipements et la condamne à payer à la société MJA, en qualité de liquidateur de la société Etablissements Duperche, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille vingt-trois.
Sur la subrogation conventionnelle, à rapprocher : Avis de la Cour de cassation, 28 novembre 2016, n° 16-70.009, Bull. 2016, Avis n° 9.
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COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 juin 2023
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 414 FS-B
Pourvoi n° W 20-19.948
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 JUIN 2023
La société Traxys France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 20-19.948 contre l'arrêt rendu le 25 juin 2020 par la cour d'appel de Douai (chambre 2, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Aramis Entreprises Company, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ à la société Tranvast Shipping Co Limited, dont le siège est [Adresse 4],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kass-Danno, conseiller référendaire, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de la société Traxys France, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Aramis Entreprises Company, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Kass-Danno, conseiller référendaire rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, Mmes Vallansan, Bélaval, Fontaine, M. Riffaud, Mmes Boisselet, Guillou, M. Bedouet, conseillers, Mme Barbot, M. Boutié, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 25 juin 2020), rendu sur renvoi après cassation (Com., 19 décembre 2018, pourvoi n° 17-18.900) et les productions, suivant une charte-partie du 31 août 2016, la société Aramis Entreprises Company (la société Aramis) a frété à temps le navire Nikator à la société Tranvast Shipping Co Limited (la société Tranvast), laquelle l'a sous-frété, suivant une charte-partie du 5 septembre 2016, à la société Traxys France (la société Traxys) pour le transport d'une cargaison de bauxite du port chinois de [Localité 3] au port français de [Localité 2], transport qui a fait l'objet d'un connaissement émis le 9 septembre 2016 mentionnant la société Aramis en qualité de transporteur et la société Traxys en qualité de destinataire.
2. Prétendant ne pas avoir été payée par la société Tranvast de son fret et du coût des soutes qu'elle avait avancés pour le voyage, la société Aramis a obtenu l'autorisation, par deux ordonnances des 6 et 9 décembre 2016 du président du tribunal de commerce de Dunkerque, de pratiquer une saisie-conservatoire de la cargaison à son arrivée au port de [Localité 2] et sa consignation entre les mains d'un tiers séquestre.
3. Le 14 décembre 2016, la société Traxys, prétendant avoir payé le sous-fret entre les mains du fréteur au voyage, affréteur à temps, a assigné en référé la société Aramis devant le tribunal de commerce de Dunkerque en mainlevée des saisies pratiquées. Le même jour, la société Aramis a assigné en référé la société Tranvast aux fins d'être autorisée à vendre la marchandise litigieuse en paiement de ses créances. Les deux instances ont été jointes.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. La société Traxys fait grief à l'arrêt de la condamner à restituer à la société Aramis les 2 930 tonnes de bauxite saisies, et les consigner, ou consigner une marchandise équivalente, en nature, qualité et quantité, entre les mains de la société Kerneos, en tant que séquestre, pour son compte aux fins de son exercice du droit de rétention sur l'intégralité de la marchandise, en garantie du paiement de la somme de 153 128,79 USD, avec intérêts capitalisables, au titre de fret impayé et de la somme de 218 450 USD, avec intérêts capitalisables, au titre de fournitures de soutes, à défaut, lui fournir une garantie équivalente, alors :
« 1°/ qu'en droit international privé, lorsqu'un droit réel est de source conventionnelle, la loi applicable au contrat régit les conditions de naissance de ce droit ; qu'il en est ainsi de l'exigence d'un lien de connexité entre la créance et les marchandises s'agissant d'un droit de rétention conventionnel ; qu'en l'espèce, le "lien upon all cargoes", à supposer qu'il puisse être assimilé à un droit de rétention, serait né d'une charte-partie à temps expressément soumise à la loi anglaise ; qu'en jugeant que le droit français reconnaît l'existence d'un droit de rétention conventionnel, sans que la démonstration de l'existence d'un lien de connexité entre la créance et les marchandises ne soit nécessaire, sans rechercher si, en application du droit anglais, un lien de connexité était requis entre la créance et les marchandises pour que le droit réel existe, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du code civil et des principes qui régissent le droit international privé ;
2°/ qu'en droit international privé, le "lien upon all cargoes" ne peut produire effet en France qu'à la condition qu'il soit équivalent au droit de rétention français ; qu'en affirmant que le "lien upon all cargoes", en tant que droit réel sur les marchandises invoqué en garantie d'une créance impayée peut être assimilé au droit de rétention français, sans expliquer, ne serait-ce que sommairement, en quoi le "lien upon all cargoes" était équivalent au droit de rétention français, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du code civil et des principes qui régissent le droit international privé. »
Recevabilité du moyen, contestée en défense
5. S'agissant de droits disponibles, le moyen tiré de l'application du droit étranger ne peut être présenté pour la première fois devant la Cour de cassation.
6. Il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions d'appel que, pour s'opposer aux demandes de la société Aramis, fondées sur le droit français, la société Traxys ait invoqué l'application de la loi anglaise.
7. Le moyen est donc irrecevable.
Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
8. La société Traxys fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'à supposer qu'un lien de connexité matériel ou juridique entre la chose détenue et la créance invoquée ne soit pas requis pour un droit de rétention conventionnel, un droit de rétention conventionnel ne peut porter sur un bien propriété d'un tiers ; qu'en l'espèce la marchandise était propriété de la société Traxys, alors que la créance impayée était celle de la société Tranvast, de sorte qu'en décidant qu'un contrat conclu entre la société Aramis et la société Tranvast peut grever d'un droit réel le bien d'un tiers, la cour d'appel a violé l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
9. Il résulte de ce texte que le droit de rétention conventionnel que le fréteur tient du contrat d'affrètement ne peut être exercé que sur les biens de son cocontractant, sans préjudice d'un droit de rétention dont il pourrait se prévaloir contre un tiers, propriétaire de la marchandise se trouvant à bord de son navire, en raison d'une connexité matérielle ou juridique entre la créance invoquée et la marchandise retenue.
10. Pour condamner la société Traxys à restituer à la société Aramis les 2 930 tonnes de bauxite saisies ou consigner une marchandise équivalente, après avoir constaté que le contrat d'affrètement à temps conclu entre la société Aramis et la société Tranvast comporte une clause aux termes de laquelle « les armateurs peuvent exercer un droit de rétention sur toutes marchandises et tous sous-frets, surestaries, loyers, sous-loyers, pour toutes sommes dues au titre de la présente charte-partie », l'arrêt retient que cette clause, instituant un droit réel sur les marchandises invoqué en garantie d'une créance impayée, peut être assimilée au droit de rétention français. Il ajoute que, conformément à l'article 2286, 1°, du code civil, l'existence d'un droit de rétention conventionnel ne requiert pas la démonstration d'un lien de connexité entre la créance et la marchandise et qu'il s'agit d'un droit réel opposable à tous, de sorte que le fréteur à temps peut opposer au sous-affréteur au voyage la clause comportant ce droit de rétention.
11. En statuant ainsi, sans constater l'existence d'une connexité matérielle ou juridique entre la créance invoquée et la marchandise retenue, propriété d'un tiers, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de la société Traxys tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions de la société Aramis du 19 novembre 2019 et dit n'y avoir lieu à rejeter celles-ci, l'arrêt rendu le 25 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société Aramis Entreprises Company aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Aramis Entreprises Company et la condamne à payer à la société Traxys France la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille vingt-trois.
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Audience publique du 14 juin 2023
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 431 F-B
Pourvoi n° Y 21-23.864
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 JUIN 2023
La société Evotel, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° Y 21-23.864 contre l'arrêt rendu le 5 octobre 2021 par la cour d'appel de Chambéry (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société Mark Warner France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société Mark Warner Limited, société de droit anglais, dont le siège est [Adresse 1] (Royaume-Uni),
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guillou, conseiller, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de la société Evotel, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés Mark Warner France et Mark Warner Limited, après débats en l'audience publique du 18 avril 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Guillou, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 5 octobre 2021), la société Evotel a confié à la société Mark Warner Alpes, aux droits de laquelle se trouve la société Mark Warner France, la location-gérance d'un fonds de commerce d'hôtel-restaurant-bar. Le 10 avril 2007, une garantie à première demande a été consentie par la société Mark Warner Limited au profit de la société Evotel en cas de défaillance de la société Mark Warner France. La société Mark Warner France n'ayant pas renouvelé le contrat, la société Evotel, invoquant la non-remise en état des lieux et une perte de valeur du fonds de commerce, a assigné la société Mark Warner Limited en exécution de la garantie. La demande a été accueillie par un arrêt du 26 septembre 2017 qui a condamné la société Mark Warner Limited à payer à la société Evotel la somme de 611 187,40 euros.
2. Le 25 janvier 2017, soutenant que les conditions de mise en oeuvre de la garantie consentie le 10 avril 2007 n'étaient pas réunies lorsqu'elle a été appelée par la société Evotel, la société Mark Warner France a assigné cette dernière en demandant sa condamnation à lui reverser cette somme.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. La société Evotel fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande de la société Mark Warner France et, statuant sur le fond, et fixant à 115 000 euros le montant du préjudice subi par la société Evotel ensuite de la restitution de son fonds de commerce par la société Mark Warner France, de la condamner à rembourser à la société Mark Warner France la somme de 633 928,99 euros outre intérêts au taux légal à compter du 18 juillet 2019, outre celle de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ que si le donneur d'ordre dispose, contre le bénéficiaire d'une garantie autonome, d'un recours en remboursement fondé sur le contrat de base en cas d'appel injustifié de la garantie, l'exercice de ce recours fondé sur l'enrichissement sans cause exige que le donneur d'ordre se soit appauvri en remboursant au garant les sommes réglées par ce dernier au bénéficiaire ; que pour déclarer recevable les prétentions de la société Mark Warner France au regard de l'intérêt et de la qualité à agir, l'arrêt se borne à relever que "le donneur d'ordre d'une garantie à première demande est recevable à demander la restitution de son montant au bénéficiaire, à charge pour lui d'établir que le bénéficiaire en a reçu indument le paiement, par la preuve de l'exécution de ses propres obligations contractuelles ou par celle de l'imputabilité de l'inexécution du contrat à la faute du cocontractant bénéficiaire de la garantie ou par la nullité du contrat de base, et ce sans avoir à justifier d'une fraude ou d'un abus manifeste, comme en cas d'opposition préventive à l'exécution de la garantie par le garant" ; qu'en statuant ainsi, sans s'assurer que la société Mark Warner France (donneur d'ordre) avait remboursé à la société Mark Warner Limited (garant) la somme versée à la société Evotel (bénéficiaire) en exécution de la garantie à première demande, la cour d'appel a violé les articles 31 et 122 du code de procédure civile ;
2°/ que la société Evotel faisait valoir dans ses conclusions d'appel que la société Mark Warner France n'avait pas qualité ni intérêt pour solliciter le remboursement d'une somme qu'elle n'avait pas payée personnellement et qu'elle ne justifiait pas avoir dû payer à la société Mark Warner Limited ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Après paiement d'une garantie (ou contre-garantie) autonome, le donneur d'ordre est recevable à exercer un recours contre le bénéficiaire pour faire juger que celui-ci a perçu indûment le montant de la garantie, sans avoir à justifier du remboursement préalable du garant.
5. Après avoir énoncé que le donneur d'ordre d'une garantie à première demande est recevable à demander la restitution partielle ou totale de son montant au bénéficiaire, à charge pour lui d'établir que le bénéficiaire en a reçu indûment le paiement, par la preuve de l'exécution de ses propres obligations contractuelles, ou par celle de l'imputabilité de l'inexécution du contrat à la faute du cocontractant bénéficiaire de la garantie, la cour d'appel, qui n'avait pas à s'interroger sur le remboursement préalable du garant par le donneur d'ordre, en a exactement déduit que l'action de la société Mark Warner France contre la société Evotel en remboursement des sommes indûment perçues était recevable.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Evotel aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Evotel et la condamne à payer aux sociétés Mark Warner France et Mark Warner Limited la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze juin deux mille vingt-trois.
Sur le recours du donneur d'ordre contre le bénéficiaire d'une garantie à première demande, à rapprocher : Com., 31 mai 2016, pourvoi n° 13-25.509, Bull. 2016, IV, n° 79 (rejet).
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